Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article AES

AES (Xaaxôç).-Les anciens comprenaient sous ces noms aussi bien le cuivre pur que le bronze, formé par la combinaison de ce métal avec divers alliages. Ils connurent le cuivre et surent le travailler avant le fer', parce qu'ils le trouvèrent d'abord en plus grande abondance dans les contrées qu'ils habitaient, et qu'étant plus ductile et plus souple, il se prêtait plus facilement à toutes les formes qu'ils voulaient lui donner. Les Phéniciens, dont le commerce était actif sur toutes les mers avant les temps historiques de la Grèce, durent être les premiers qui importèrent du cuivre dans ce pays. Ils le cherchaient en Arabie, le pays le plus riche en métaux de l'Asie occidentale, dans l'île de Chypre, plus tard en Espagne et en Lusitanie. Dès le temps d'Homère 2, les Grecs allaient eux-mêmes le chercher à Chypre, qui fut longtemps le pays du cuivre par excellence, à ce point que son nom s'est confondu avec celui du métal, souvent appelé yaaxuç xbtptoç, aes cyprium, ou simplement cyprium et cyprum. Nous renvoyons à l'article METALLA pour tout ce qui concerne le travail des mines et le traitement du métal brut; il suffira de rappeler ici qu'il n'est fait mention dans Homère de mines d'aucune sorte. Toutefois on ne tarda pas beaucoup à découvrir et à exploiter celles qui fournissent du cuivre en abondance sur plusieurs points du territoire hellénique, comme l'attestent les noms si fréquents de Chalcé, de Chalcis, de Chalcitis, donnés à diverses localités, particulièrement à une ville importante de l'Eubée, et même à file tout entière où, pour la première fois, d'après certaines traditions, on avait vu travailler le cuivre'. L'âge homérique ne connut guère que le cuivre, et le nom de yaaxséi demeura celui de tout ouvrier en métaux, même lorsque le fer, plus difficile à extraire et à travailler, eut pris la place de ce métal malléable qu'on avait l'art de durcir (a7:oi.oty) par la trempe ?S)4. Une vive discussion s'est élevée au sujet de la trempe du cuivre. Mongez' a soutenu qu'elle était impossible, contre le comte de Caylus, qui appuyait sur des expériences les témoignages des anciens'. Les recherches du capitaine Caron sur la fabrication des aciers ont confirmé les résultats obtenus déjà par un chimiste français, Geffroy, au siècle dernier , et prouvé que la trempe donne réellement au cuivre de la dureté et de la consistance'. Presque tous les objets que nous faisons aujourd'hui en fer étaient alors en cuivre. Comme on ne fondait pas encore les métaux, les mélanges et alliages étaient inconnus. On ramollissait le métal au feu, et pendant qu'il était encore chaud, on le travaillait au marteau. C'est ce qu'on appelle 6pupzi),ciTsly (de aapupé, marteau), ou bien ixxpodsty, excudere. Le métal était réduit en plaques de longueur et d'épaisseur très-différentes, puis on le découpait avec de grands ciseaux. Ces lamelles s'ajustaient ensemble au moyen de clous, de boulons, de queues d'aronde, ou bien on les soudait (xo».zv). On faisait ainsi des armes offensives et défensives des trépieds, des ustensiles et des ornements de tout genre'. Le cuivre, à cause de son brillant éclat, servait de revêtement aux parois 10 des palais, des temples ; les trésors, comme on appelle généralement ces bâtiments en pierres immenses et en forme de rotonde à toit conique, qui nous reportent à une très-haute antiquité, étaient intérieurement couverts de plaques de ce métal. Les plus anciennes statues furent faites de même de lamelles repoussées au marteau et soudées ou rivées ensemble''. Tous les renseignements que l'on possède sur l'Italie primitive prouvent que les peuples qui l'habitaient employèrent, comme ceux de l'âge héroïque de la Grèce, le cuivre avant le fer, pour les usages de la guerre, de l'agriculture et de la vie domestique". Comme en Grèce aussi, on retrouve dans quelques rites consacrés par la religion et dans quelques superstitions populaires des vestiges de ce passé reculé. De là datait la coutume des magiciennes de cueillir avec des faucilles d'airain et de faire cuire dans des vases du même métal les herbes destinées à la composition de leurs breuvages13; Macrobe, qui a rassemblé les témoignages des anciens à ce sujet, dit encore que la plupart des instruments du culte étaient d'airain, et que les Étrusques traçaient avec un soc d'airain le circuit de leurs villes nouvelles. Les prêtres sabins se coupaient les cheveux avec des couteaux de ce métal, et Ronge, le FLAMEN IIALIS devait faire usage de ciseaux semblables10. Pour se servir de fer dans les choses du culte, il fallait des permissions expresses et des purifications particulières 1S. Au cuivre pur succéda le bronze. Avec l'art de la fonte, familier aux Égyptiens bien avant d'être importé en Grèce, on apprit aussi celui de mélanger au cuivre d'autres métaux. Les anciens ignoraient quel était le premier qui en avait trouvé le secret. Certaines traditions faisaient remonter cette découverte aux Dactyles [DACTYLI], les inventeurs mythiques de la plupart des progrès en métallurgie. L'opinion la plus répandue en attribue l'honneur aux artistes samiens, Rhoekos et Theodoros, qui vivaient vers la 50' Olympiade : cette date cependant est sujette à discussion 1'. Le bronze a sur le cuivre l'avantage d'une plus grande dureté; la fonte en est pure et claire, tandis que celle du cuivre est pâteuse; il offre des contours nets et franchement accentués. Les sels qui se forment à la surface du bronze (patina) ne Io rongent pas comme la rouille le fer, mais le protégent, le conservent et lui donnent une coloration dont l'art a su tirer parti. Les bronzes diffèrent par la couleur, la dureté et le degré de liquidité 17 du métal fondu. Les Grecs mêlaient en général au cuivre de l'étain (xarctTspoç, plumbum album), quelquefois un peu de plomb (µd?,uEloç, plumbum nigrum), les Romains de la calamine ou bien de l'étain et du plomb contenant un peu de zinc. On y introduisait encore du plomb d'oeuvre contenant une légère quantité d'argent (stamnum). Le plumbum aryentariuaa dont parle Pline 18 se compose à égales parties d'étain et de plomb. Ce que l'on sait au sujet des alliages dans les bronzes des anciens e été résumé par un juge des plus compé 16 AEs = 122 -AES_ tents ". « Les ressources dont dispose la chimie, dit-il, ont permis d'étudier les bronzes de toutes les provenances et de toutes les époques. Dans les bronzes antiques, dans ceux qu'à raison de leur beauté comme oeuvres d'art on peut rattacher avec quelque certitude aux temps où la sculpture a été portée à la perfection, l'étain se trouve seul associé avec le cuivre. Ainsi, dans quelques ouvrages grecs, on a trouvé une proportion d'étain qui peut être estimée en moyenne à 44 0/0 dans les statues, et à 70 1 /3 quand il s'agit des ustensiles. C'est aussi, à peu de chose près, la composition des bronzes égyptiens, qui donnent 85,85 de cuivre pour 14,15 d'étain. Et les personnes qui chaque jour dans nos musées ont l'occasion d'admirer la belle coloration des armes et des bijoux gaulois ne peuvent ignorer que, sauf quelques traces de fer et de plomb, le métal qui les compose a des bases identiques. 11 y avait entre les peuples qui bordaient la Méditerranée de nombreux échanges. Non-seulement le cuivre se tirait à la fois des îles de la Grèce et de l'Espagne, mais il y avait des villes, comme Délos et Égine20, dont l'industrie consistait à faire du bronze et à l'exporter. Cette combinaison (lu cuivre et de l'étain, qui répond à ce que l'on appelait l'airain, fournit un métal d'une couleur naturelle plus ou moins rouge et dont la dureté se marque davantage à mesure que l'étain y entre en plus grande quantité. Dans l'antiquité, le genre de bronze qui consiste dans le mélange du cuivre avec le zinc, d'où vient le laiton, se trouve particulièrement dans la monnaie romaine du temps de l'empire. Elle donne une moyenne de 95,20 de cuivre pour 4,80 de zinc. Pline ]'Ancien, dont le langage n'a pas une précision suffisamment scientifique 23, parle beaucoup de l'introduction dans le bronze de différentes sortes de plomb. On rencontre relui-ci dans les antiques monnaies du Latium, avec cette particularité qu'associé ici au cuivre et à l'étain, il est absent de tous les objets d'art ou des ustensiles du même pays et de la même époque. Le témoignage de Pline indique que l'on s'en servait de son temps, et il apparaît dans les bronzes gallo-romains, dans la statue de Lillebonne 22 et dans d'autres encore, comme un élément constant. Les expériences que nous résumons n'ont pu être que très-bornées : telles quo Mongez, d'Arcet, Vauquelin, Girardin93 et quelques autres les ont fait connaître, elles ne répondent pas assez à ce que les ouvrages d'art et les écrits des anciens nous apprennent. Elles ne suffisent pas à nou expliquer les effets qu'ils ont su tirer du bronze. Il y a des traditions qui autorisent à penser qu'ils s'étaient créé dans ce genre des ressources qui échappent à nos analyses. Qu'on se rappelle ce qui est dit d'une figure de Jocaste et de sa pâleur"; d'un Athamas dont le visage était rouge de honte 2'. La statue d'Athénè, par Phidias, qu'on appelait la Lemnienne, avait sur ses joues la fraîcheur du coloris de la jeunesse". On estimait beaucoup le bronze qui avait la couleur du foie (a5,7cuTi oV) et celui qui imitait le teint des athlètes brunis par le soleil27, le graecanicus colon, qu'un auteur appelle vous celer aeris 2A. On voyait à Delphes des statues commémoratives de victoires navales qui avaient la couleur de la mer 2p. Des couleurs différentes étaient quelquefois réunies dans tut même bronze. Apulée décrit 3° une tunique ainsi bigarré ‘e (picturis variegatam). Ces secrets d'atelier (oicinarum tenebrae) 31, ces procédés tombèrent dans l'oubli à mesure que diminua la gloire des ateliers de la Grèce, dit Quatremère de Quincy n, et probablement ils ne passèrent pas en Italie. Ce que Pline lui-même publie sur les beaux alliages de Corinthe (il réfute la fable qui attribue la composition dti célèbre bronze corinthien, aes eorintlliutn, yüXXI4.n'0t xoptVAtoupy~ 33 aux hasards de l'incendie) prouve que ces notions, quoique répandues de son temps, n'étaient que des notions vagues et superficielles, puisque le métal de la statue de Néron par Zénodore fut jugé si inférieur à ceux des écoles de la Grèce". n Myron n'employa que le métal de Délos, Polyclète que celui d'Égine. Un autre raffinement consistait à combiner les produits de fabriques différentes, par exemple à réunir dans un candélabre une tige produit des fonderies de Tarente, et un plateau ou une bobèche venant d'Égine ts. La variété de coloration des différentes parties d'une statue, de la coiffure, des attributs, des bordures d'une draperie, etc., n'était pas toujours obtenue par les alliages ou peut-être par des teintures appliquées au métal (7a),xoû (iacpeis) 36, mais encore au moyen de pièces de rapport; mais nous n'entrerons pas ici dans l'examen des procédés de la toreutique nous borner à résumer ce que l'on sait de la préparation du bronze, de ses alliages, de sa fonte, opérations qui étaient l'oeuvre du 'a),xoupy1s37 chez les Grecs, du flaturan'us 38 ou aerarius fabe°39 chez les Romains. Les Étrusques furent les premiers qui pratiquèrent cet art en Italie4°. Ils y acquirent de bonne heure une habileté qui fit rechercher leurs produits, même hors de leur pays". Critias, d'Athènes, contemporain de Mys, si célèbre dans le même art, déclarait" que les bronzes d'ameublement étrusques l'emportaient sur tous les autres. La seule ville de Volsinii renfermait, quand les Romains s'en emparèrent, jusqu'à deux mille statues '3. Les premières figures de bronze que l'on vit à Rome paraissent avoir été des ouvrages étrusques. Nous n'essayerons pas de donner ici l'énumération des divers genres d'objets que les anciens ont fabriqués en bronze ; des armes, des meubles, des ustensiles de toute espèce ont été fournis en abondance par les tombeaux antiques et par les fouilles faites en tous pays : il sera parlé de chacun en son lieu. Rappelons seulement que chez les Romains, les actes officiels soit de l'État, soit des communes, étaient gravés sur de grandes tables de bronze [TABULA]; on en possède aujourd'hui encore un certain nombre. AES 123 AES Pour l'emploi du bronze comme monnaie, voyez les articles As et MONETA. Le mot aes, dans la langue latine, servit toujours pour exprimer l'idée de monnaie en général, sans égard au métal dont elle est battue. W. CART.