Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article FALX

FALX. Diminutif falcula 1 ; 4é7ravov, Bpo,.xvrf, ô(6e7tâ vto^l2. Ces noms désignent des instruments de forme et de grandeur diverses, correspondant aux outils nommés aujourd'hui faux, faucille, serpe, serpette, mais ayant ce caractère commun que le tranchant unique présente une convexité' plus ou moins forte, ce qui les distingue des différentes variétés de couteaux [CULTER]. La faux et la faucille sont essentiellement des outils agricoles : elles servent à faucher la paille ou l'épi, à tailler la vigne, les pousses des jeunes arbres, etc.' De là, les différentes épithètes que les agronomes anciens leur donnent pour en marquer avec précision l'usage. Ainsi l'on distingue la faux du faucheur, faix fcenaria 4, celle du moissonneur, faix messoria «ou simplement messoria 6), et faix stramentaria 7, la faucille du jardinier et du vigneron, faix putatoria8, vinitoria° , vineatica10, celle du bfcheron et de l'émondeur, faix siivatica1l, arborea ou arborariai2, ruscaria", lumaria14, scirpicula15. La faux est encore dite denticulata'6, vericulata17, rostrata18, adunca19, suivant que la lame est pourvue de dentelures ou d'un bec crochu. Les épithètes générales mettent en évidence la cour curva 22, parfois aussi la qualité qu'elle a d'être très coupante, faix peracuta, 23, praeacula24. Au point de vue de la matière dont elles étaient faites, on peut aujourd'hui suivre l'histoire des faucilles depuis ses débuts les plus lointains. M. Flinders Petrie a découvert à Kahun, dans le Delta, une faucille en bois garnie de silex, appartenant à la xvlue dynastie 26. « La forme de cet outil, dit M. Maspéro 26, nous montre quelle en est FAL -969FAL l'origine. Les Égyptiens se servaient au début, pour scier leur blé, d'une mâchoire d'animal, où les dents furent remplacées par des pierres coupantes; cela explique pourquoi -les mots qui signifient la mâchoire ont pour déterminatif une paire de faucilles simples ou dentelées ». L'Égypte a fourni beaucoup de faucilles en bronze l; on les trouve aussi représentées sur les monuments 2. Une faucille de bronze a été découverte par Schliemann dans la sixième ville d'Hissarlik 3. C'est avec des faucilles de bronze que les poètes nous montrent Médée ° et Elissa 3 coupant des herbes pour leurs opérations magiques. Les faucilles de fer ne devinrent d'un usage fréquent que lorsque la trempe de ce métal se fut perfectionnée. Pline dit que les druides gaulois coupent le gui avec une faucille d'or 6, et un instrument de cette matière passe pour avoir été découvert en 1739 à Nesmy en Vendée 7. L'emmanchement des faucilles de bronze doit surtout être étudié à l'aide des nombreux spécimens qu'ont fournies les stations lacustres de la Suisse et les dépôts du premier âge des métaux 8. On a découvert à MCeringen une faucille fixée à. son manche de bois et plusieurs poignées de bois isolées'. L'insertion dans le manche s'opère souvent grâce à un ou plusieurs boutons arrondis dont est pourvue la base de la faucille ; on trouve aussi un bouton aplati, une languette, un talon ou un crochet, enfin un trou à travers lequel passe un rivet. La faucille de bronze à douille ne s'est guère rencontrée qu'en Grande-Bretagne". A l'époque classique, le manche est en bois ou en os et la faucille y est fixée par une soie. Nous donnons, comme spécimen, une faux dentelée qui figure, entre les lettres D et M (Dis Dlanibus) sur une brique découverte à Agen (fig. 2862) 11. Les faucilles en fer présentent des types analogues à ceux des fau cilles en bronze i2, mais elles sont plus souvent pourvues d'une douille 13. Les fabricants de faucilles s'appelaient pe7cavo77oto(, ôpe7r«vouro.'`, en latin falcctrii; une rue de Rome était dite inter falcarios 15. On voit des faucilles représentées à côté des couteaux dans la boutique du cultrarius que nous avons reproduite ci-dessus [CULTER] (fig. 2113). La faux et la faucille sont les instruments principaux des moissonneurs16, qu'une épigramme trouvée à Mactaris en Tunisie appelle falci fera turba virûm 17. Varron 18 distingue trois manières de moissonner, en usage dans l'Ombrie, dans le Picenum et aux environs de Rome. « Pour la seconde manière, on se sert d'un instrument de bois recourbé, à l'extrémité duquel est adaptée une petite scie de fer : cet instrument réunit en faisceau les épis qu'il hache sur pied, laissant la paille debout pour être sciée plus tard. » Il s'agit évidemment d'une grande faux denticulata. Suivant Columellet9, beaucoup de personnes coupent la tige par le milieu avec des faux armées d'un très long manche, dont les unes sont à. bec et les autres à dents (vericulata, rostrata, denticulata). Cette faix denticulata se trouve déjà en Égypte 20. Pline indique comme il suit l'emploi de la faux et de la faucille dans la moisson 2i : a Le travail du faucheur (faenisex) une fois terminé, il faut passer la faucille dans le champ, pour enlever ce quilui a échappé. Anciennement, pour aiguiser la faux'', on se servait de pierres à aiguiser que l'on employait avec de l'huile [cos] : le faucheur marchait, avec une corne pour l'huile attachée à sa cuisse. L'Italie a fourni depuis des pierres à eau qui mordent sur le fer comme une lime. Il y a deux espèces de faux : la faux d'Italie est plus courte et maniable même au milieu des ronces; celle des Gaules abrège l'ouvrage dans les vastes domaines, car elle coupe l'herbe par le milieu et laisse celle qui est courte. Le faucheur italien ne coupe que de la main droite. » Columelle 23 a décrit avec détail la faix vinitoria, dont on trouve la représentation dans plusieurs manuscrits de son livre (fig. 2865). Dans la serpe du vigneron, la partie la plus voisine du manche s'appelle cuiter; celle qui est recourbée s'appelle sinus; celle qui descend de la courbure, scalprum; celle qui la suit et qui est crochue, rostrum, celle qui surmonte cette dernière en forme de demilune, securis, enfin celle qui forme pointe sur le devant, mucro. Chacune de ces parties a ses fonctions particulières : pour couper, on se sert du cuiter, pour tirer à soi, du sinus, pour unir la plaie, du scalprum. Nous reproduisons ici la figure d'une femme tenant une faucille à couper le blé (fig. 2866)2'; on voit plus FAL -970FAL haut (fig. 2863) un soldat romain coupant du blé, d'après un bas-relief de la colonne Trajane' et une faux longue conservée au musée deNaples (fig. 2864) 2 : nous donnons encore un Satyre taillant une vigne, sur un miroir étrusque (fig. 2867) 3, enfin une serpette et deux scies de jardinier découvertes à Pompéi (fig. 2868, 2869, 2870) 4. Un instrument à bec recourbé ou à cran, appelé '47nl, harpe' , falcatus ensis 6, hamatus ensis ', est attribué par les poètes et les artistes à plusieurs Jupiter combattant Typhon8, Hercule tuant l'Hydre de Lerne', Hermès cou pant la tête d'Argus 10, Persée tuant la Gorgone et le monstre marin 11, enfin aux Ménades f 2. Le cran ou épine, qui aggravait la blessure, s'appelait hamu.sl3, mot qui signifie proprement l'épine d'une ronce ; ce crochet n'est pas d'ailleurs indispensable à la harpé, comme on le voit en comparant les deux images de l'arme de Persée que nous empruntons à des vases peints (fig. 2871, 2872) i°. Une arme analogue, faix, falcatus ensis, Spé7cavov, faisait partie de l'équipement guerrier de certains peuples barbares, les Lyciens et les CariensS5, les Osques16, les Gètes17, les Gélons'e, auxquels il faut peut-être ajouter les Carthaginois i' On en trouve de sem blables dans les tombes des barbares qui envahirent l'Europe au ve siècle 20. De très grandes et lourdes faux sont placées entre les mains des Daces sur la colonne Trajane et sur la frise du monument triomphal d'Adam-Klissi en Roumanie 21. Le Sps77avov était également usité à la chasse 22 : c'est l'arme prêtée au jeune chasseur Céphale sur quelques miroirs étrusques 23. Mais, à la guerre, les Grecs et les Romains ne s'en sont jamais servis, non plus que des chars armés de faux 24. En revanche, ils ont employé dans les sièges et sur mer les faux murales et les faux navales. Les premières, falces murales, asseres falcati, sont mentionnées au siège de Tyr parAlexandre2', oel les Tyriens s'en servirent pour ruiner les travaux des Grecs, au siège d'Ambracie en 18926 et dans plusieurs attaques de villes gauloises par César 27. Végèce 28 désigne par faix la tête d'un bélier armée d'une pointe et d'un crochet pour détacher les pierres des murs. Au siège d'Avaricum, les Gaulois détournaient les béliers à tête aiguë (falces) avec des lacets et, une fois accrochés, ils les tiraient à eux au moyen de machines29. Vitruve30 raconte quelque chose d'analogue à propos du siège de Marseille. Une faux murale a été gaulois de Vesontio, exploré en 1862 (fig. 2873). « Cet outil, long de 01'1,60, se compose, dit M. Castan 31, d'un vigoureux grappin, au talon arrondi et relié au moyen d'une tige rendue octogonale par quatre chanfreinements, à une longue douille soudée à chaud. La perfection du travail de forge de cette pièce, l'habile calcul de ces proportions, tout démontre qu'elle n'est point le produit d'une fabrication isolée et arbitraire : un oeil exercé reconnaît sans peine la reproduction d'un type réglementaire et savamment étudié. » La faux navale, Sopuop€7avov32, que César employa avec FAM 971 -FAM succès contre les vaisseaux des Vénètes', était, dit l'historien de ces guerres', « un fer à pointe et à crochet aiguisé et emmanché à de longues poutrelles qui, suspendues aux mâts par des cordages, recevaient une impulsion semblable à celle du bélier. Un ou plusieurs navires s'approchaient d'un bâtiment gaulois et quand leur équipage était parvenu à accrocher avec ces gaffes les cordages qui attachaient les vergues à la mâture, les matelots faisaient force de rames pour s'éloigner, de manière à rompre ou à couper les cordages. Les vergues tombaient, le vaisseau désemparé était aussitôt entouré par les Romains, qui montaient à l'abordage. Le couteau recourbé du gladiateur, que l'on manoeuvrait en tenant la pointe en haut, est appelé faix supina par Juvénal'. Le même nom est donné par Properce à un outil de charpentier en forme de croissant', qui s'appelle proprement DoLAB13A. Un passage de Martial' pourrait faire croire à l'emploi de la faix dans les sacrifices, mais le contexte prouve qu'il s'agit de la faucille d'un paysan. En dehors des divinités auxquelles la faux était attribuée comme arme de guerre, il y en a d'autres auxquels elle est prêtée avec une signification symbolique plus ou moins claire. La faux de Saturne, vieille divinité agri cote', était considérée comme l'emblème de la moisson 7 ; d'autres la rapportaient à l'histoire de la mutilation d'Uranus8. On disait que cette faux avait été fabriquée par les Telchiness. Suivant Hésiode]', elle était très grande (7rEltàptoç) et dentelée (xapyzp6ôwv), mais, sur les monuments authentiques, où elle paraît tantôt dans la main du dieu, tantôt à côté de sa tête, elle ressemble plutôt a la harpé de Persée 11. La grande faux prêtée à Saturne et considérée comme la faux de Temps (Xpvoç) ne se rencontre que sur des monuments apocryphes". Nous donnons comme spécimen des premiers un denier de la famille Neria, où la harpé apparaît derrière la tête du dieu (fig. 2874) 13; on peut en rapprocher la faucille dentelée auprès de la tête de Saturne, sur une lampe publiée par Passeri". Dans le temple de Saturne à Aïn Tounga (Tunisie), qui a été récemment exploré, la serpe figure seule sur les ex-voto consacrés au dieu''. Une faux longue et étroite, sans épine, est l'attribut de la Saison d'été sur une mosaïque de Lambèse 1G. Enfin, la faux de saule, falx saligna, est attribuée au dieu des jardins Priape 17 et la faucille paraît l'avoir été par la même raison à Vertumnus ou à Silvain 1S. S. REINACH.