Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article FASTIGIUM

FASTIGIUM. Point culminant, sommet, faîte d'une construction quelconque 1; plus particulièrement le frontispice d'un temple, ce que les Grecs appelaient ivn s.x, avec l'ensemble des figures et des ornements qui en décorent les acrotères [ACBOTERIUnt] e t le tympan [TYMPANUM] 2, C'est cette décoration réservée aux temples, que Jules César fut autorisé exceptionnellement, par un décret du Sénat, à placer sur le fronton de sa maison 3. Ce sont des figures semblables, faites alors en terre cuite creuses et seulement fixées par des chevilles 5, qu'une tempête, en l'an 182 av. J.-C. arracha des frontons de plusieurs temples de Rome 5. Les auteurs parlent aussi de statues du temple d'Apollon in aede Apollinis in fastigio', et des quadriges du temple de Jupiter au Capitole in fastigio delubri Jovis Capitolini8, qui ne pouvaient être placés que sur les acrotères du fronton'. Dans ces exemples et dans d'autres encore il n'est pas douteux que le mot fastigium ne s'applique au frontispice d'un temple. Ailleurs il est employé à propos de figures décorant le faîte des maisons : par exemple dans un passage où il est question d'une statue d'Apollon tombée du haut du toit, qui fut trouvée à l'intérieur couchée sur un lit (ex summo fastigio in lectulo 10). E. SAGLIO. FATUM. MG-oc, Moïp«, P ALICA. L'idée du destin a tenu, dans les préoccupations de l'antiquité gréco-romaine, une place considérable ; c'est affaire aux historiens de la philosophie et des religions de la suivre dans ses phases diverses et d'en expliquer la véritable portée' ; nous n'avons à la considérer ici que dans son expression poétique, puis dans ses rapports avec l'art et le culte ou elle a pénétré par le canal de la poésie. Des deux mots qui traduisent l'idée du Destin chez Homère, «ici« et p.0ip«, le premier semble impliquer une idée d'égalité (ivoç), le second une idée de partage ((j,Epoç)2. On ne saurait dire que vint ait jamais été personnifiée par le poète; tout au plus fait-elle partie des daemons d'apparition fugitive qui n'ont de réalité que dans la mesure où le poète les emploie3. Elle ne perd son caractère vague et indéterminé qu'en s'associant à l'idée du daemon proprement dit ou à l'action de quelque divinité, surtout de Zeus`. La Moïra a un peu plus de consistance, sans qu'on puisse affirmer qu'elle s'élève jamais au rang d'une divinité ou. d'un démon distinct. Homère lui donne la personnalité poétique à l'aide d'épithètes comme xpvzv(vl, ôao,, iundvu(.t.oç5, etc., ou en FAT 1017 FAT animant son action par des verbes comme aaeÉCtirixE, Szu:cccc, EXÀAt, é7c~ôyre, cipee', etc. Le plus souvent la force qu'elle personnifie se confond à ses yeux avec la volonté des dieux, particulièrement de Zeus2; quelquefois cependant cette force est considérée comme indépendante et revêt tous les caractères d'une divinité spéciale, mais seulement parce que la logique du poète en a besoin pour expliquer les événements extraordinaires'. Moiea n'est employée au pluriel qu'une seule fois dans l'Iliade; et le vers de l'Odyssée où nous trouvons Aica personnifiée, associée aux Fileuses (K),nOE;), c'est-à-dire aux Mo.pat, peut difficilement être mis au compte d'Homère4, c'est dans la Théogonie d'Hésiode, où abondent les abstractions personnifiées, que les Destinées (Motpat), au nombre de trois, prennent pour la première fois une réalité mythologiques. Elles y sont appelées d'abord des filles de la Nuit, et font partie d'une nombreuse lignée de démons, pour la plupart funestes. Dans un appendice peut-être apocryphe du même poème, elles sont présentées comme les filles de Zeus et de Thémis, ce qui en fait des divinités favorables ou tout au moins équitables. En tant que démons issus de la Nuit, elles s'appellent Clotho, Lachésis et Atropos, noms qui expriment les divers aspects du Destin devant l'imagination primitive. Clotho est la fileuse qui tisse, comme dans une trame compliquée, les événements de la vie des mortels; Lachésis (?,ayxâven) personnifie le caractère arbitraire et fortuit de ces événements; Atropos (a priv. et tiel7w) en signifie le caractère immuables. A partir de ce moment, les Destinées font partie du culte populaire et sont représentées par l'art. Ce qui domine dans leur légende, d'ailleurs très simple, c'est l'idée de leurs rapports, tant avec Zeus, le dieu en qui s'incarne de préférence la loi suprême du développement du monde, qu'avec les divinités spéciales qui président à la naissance, au mariage, à la mort. Zeus est invoqué en divers lieux sous le vocable de Motpaylt7n;, régulateur de la destinée' ; ainsi au temple de Delphes, où Apollon participe, lui aussi, à l'honneur de ce titre, et où les statues des Mo-pat, au nombre de deux seulement, figurent; au temple d'Olympie, où un autel de Zeus appelé Motpay€Tri; est flanqué d'un autel des Moipat et d'un autel d'Hermès ; au sanctuaire d'Artémis àéc7totva en Arcadie, où un bas-relief représentait Zeus Motpa'lTri; avec les _Moîpat. A Mégare, elles sont représentées avec les Ilorae3 au-dessus de la tête de Zeus, sans doute pour exprimer cette idée que le cours naturel de ce monde et l'enchaînement obscur des forces morales procèdent également de sa volonté. Un fragment d'Euripide nous les montre assises dans le voisinage immédiat de son trône 9. La force de la destinée humaine éclatant particulièrement dans les deux événements qui résument la vie, c'est-à-dire dans la naissance et dans la mort, nous trouvons les Morpat associées surtout à Eleithyie et aux diverses personnifications de la 'mort. Sur le miroir Borgia, l'une d'elles assiste à la naissance de Dionysos30 Eleithyie chez Pindare est appelée compagne (7tIpEpoç) des Destinées au sens profond"; toutes ensemble, elles retardent auprès d'Alcmène, la naissance d'Héraklès, ou elles assistent", sur l'ordre d'Apollon, Evadné dans les douleurs de l'enfantement13 ; c'est pour cela qu'Euripide peut invoquer les Mo%eat avec le qualificatif de ),oztat, geaitales, et que déjà, chez Homère, le roi Agamemnon est salué par l'épithète de µotp riyevr~; qui, jointe à celle d ô),E7tolcd wv, célèbre son heureuse destinée 1Y. Nous retrouvons les Mo?pat mêlées d'une façon spéciale à l'acte du mariage, chez les dieux et chez les hommes; elles conduisent vers Zeus ou Thémis ou Héra, et président à leur union sacrée 15 ; de concert avec Artémis, elles interviennent dans le mariage d'Alceste et d'Admète. La jeune fille, au moment de prendre un époux, est vouée aux Moipat en même temps qu'à Héra et à Artémis, elle leur fait le sacrifice de sa chevelure16. A ce titre, elles figurent dans le chant nuptial qui, à la fin des Oiseaux, célèbre les noces de Basileia et de Pisthétère; chez Catulle, elles chantent elles-mêmes l'épithalame de Thétis et de Pélée, tout en dévidant leur quenouille. La participation de la Moïpa à la mort, surtout quand elle est violente, imprévue et prématurée, n'a pas peu contribué àlui donner,le relief personnel dans les poèmes homériques. Elle y est très souvent identique, soit à Octvaaoç, soit à K~p dont elle implique d'ailleurs l'idée17. La Moipa est alors la force secrète qui polisse les héros au-devant de leur perte, elle est surtout l'incarnation du mystère qui destine les uns au trépas avant l'âge et qui réserve les autres pour une vie heureuse et glorieuse. Patrocle peut dire qu'il succombe sous les coups de la Moïaa et du fils de Latone, tout en annonçant à Hector que la mort et la terrible Moîpa le guettent à son tour13. Une description, étrange par son caractère démoniaque, en fait chez Hésiode des divinités sanguinaires, qui, avec les Kères, se mêlent au carnage des champs de bataille19. Elles figuraient aussi, d'après Apollodore, dans la lutte des géants et des dieux2o Le dualisme de la vie et de la mort dans lequel se résume l'action de la Mo-Cea n'est qu'une des formes de celui du bien et du mal qui, nous l'avons dit ailleurs21, a déterminé l'être de tous les démons dans la religion hellénique. Le symbole de ce dualisme est la balance que Zeus manie en qualité d'arbitre des destinées (N.otpayiT71ç T«(J.(riç 770M!.tOtO) 22, et où il pèse, tantôt le sort de deux guerriers rivaux, tantôt les deux influences contraires d'une même existence. Ce symbole a été recueilli par la poésie des âges suivants; Eschyle, dans la Psychostasis23, l'a même transporté sur la scène et Virgile fait peser à Jupiter : fata diversa, les Destinées inégales de Turnus et d'Énée. Si les MoYpat sont honorées au nombre de deux seulement à Delphes, alors qu'elles FAT 1018 FAT sont trois dans la légende ordinaire, c'est sans doute en vertu de cette conception dualiste qui a influé également sur la représentation des divinités du destin dans la mythologie étrusque'. Peut-être faut-il expliquer de même les deux versions différentes que donnent de la généalogie des Moïpat, les poèmes hésiodiques. En tant qu'elles représentent les malheurs de l'existence et la mort, elles sont les soeurs et les alliées des Érinyes. Comme elles, filles de la Nuit', elles possèdent un autel dans le bois sacré de Colone où va mourir OEdipe, et le tombeau d'Oreste à Sparte est voisin d'un sanctuaire qui leur est dédié'. Mais de même que chez Eschyle, les Érinyes se transforment en Euménides, ainsi les Moïpac terribles et funestes deviennent dans la légende des divinités équitables et bienfaisantes, filles de Zeus et de Thémis, gardiennes de l'ordre, expression de la justice absolue 4; Pindare les invoque comme telles en faveur de son héros, pour qu'elles le comblent de leurs insignes faveurs. Déesses du mal et de l'ombre, elles ont pour adversaire Apollon, dieu lumineux, qui les malmène à cause d'Alceste, avec aussi peu de ménagement que les Érinyes acharnées sur Oreste 5 ; mais à Delphes même, Apollon est invoqué comme Moteay'rr,ç et les Moipat sont associées à son culte. L'esprit hellénique va plus loin encore; il fait de ces déesses, à l'origine ou si vagues ou si terribles, la personnification des lois naturelles, de la règle physique et surtout morale des choses. Elles interviennent, dans la fable, partout où il s'agit de faire rentrer un être quelconque, mortel ou divin, dans sa condition primordiales. Elles règlent le partage d'immortalité que font entre eux les Dioscures, dont l'un seulement a droit de prétendre par sa naissance au privilège des dieux 7. Esculape, Chiron ne peuvent exercer leur art, qui semble limiter la puissance naturelle de la mort, sans tomber sous le contrôle des Moipat 8 ; et si Hélios s'avisait de quitter sa route, les Érinyes, disait Héraclite, se chargeant d'exécuter les décrets de la Moïpa, le rappelleraient à l'ordre'. De même quand Déméter, après le rapt de sa fille, veut empêcher les moissons de pousser, Zeus, suivant une légende arcadienne, lui dépêche les Moïoat qui fléchissent sa résolutioni". Comme Némésis, en qui s'incarne et par qui s'épure la conception de la jalousie des dieux, elles maintiennent entre les êtres de ce monde l'équilibre et l'harmonie ; sous sa forme la plus élevée, la croyance à la Moïpa n'est pas autre chose que la croyance à la règle qui préside au désordre apparentde la nature et de l'humanité". C'est pour cela que, sur l'autel Borghèse (fig. 2891), nous trouvons les Moipcct en compagnie des Charites et des Ilorae". Nous les avons vues, dans un temple de Mégare, représentées avec ces dernières, au-dessus de la tête de Zeus, alors qu'à Thèbes elles faisaient cortège à Zeus et à Thémis. Aphrodite Urania, qui n'est pas sen lement une personnification de la fécondité universelle mais celle de l'ordre dans la nature, est appelée la plus ancienne des 111oipon avec une intention analogue13. Un lyrique inconnu implore leurs bienfaits en ces termes" : « Clotho, Lachésis et vous, filles de la Nuit, écoutez nos prières, divinités redoutables qui régnez dans le ciel et sur la terre; envoyez-nous Eunomia au sein parfumé de roses et ses soeurs au trône étincelant, Diké et Eiréné qui porte la couronne. n Ainsi envisagées, les Moïpxc ne sont pas des puissances aveugles, mais les personnifications de la force intelligente et juste qui préside au gouvernement de l'univers. Aussi les stoïciens n'ont-ils eu aucune peine à adapter ce mythe à leurs doctrines, en faisant de Eiuxpp.fvri ou lla7rpw ,fvr1, expressions qui dérivent en droite ligne du vocabulaire homérique, la raison suprême des choses '°. Si on peut leur reprocher d'avoir fait prédominer l'idée de fatalité dans la notion du Destins, il est inexact de dire que la fatalité est le grand ressort de la tragédie athénienne, particulièrement de celle d'Eschyle; cette tragédie est la parfaite expression de la morale grecque au temps des guerres Médiques; la liberté humaine y est entière, mais placée sous la garantie et le contrôle de la Motpa, c'est-à-dire d'une loi d'ordre et d'harmonie qu'elle applique au nom de Zeus". Un intéressant mélange de conceptions philosophiques et d'imaginations fabuleuses, d'ailleurs conformes à la tradition, nous est offert par Platon, célébrant les Moipuc comme les puissances suprêmes qui président au mouvement du Cosmos18. Elles sont pour lui filles d'Anankè, c'est-à-dire de la force abstraite et indéterminée qui se manifeste dans les phénomènes de la nature physique et morale. Il les montre trônant sur des sièges élevés, revêtues de robes blanches, la tête couronnée; tout en dévidant leur quenouille, elles accompagnent de la voix la musique des sphères célestes, Lachésis chantant le passé, Clotho le présent et Atropos l'avenir; chez Aristote, Clotho garde son domaine, ses deux soeurs échangent le leur. X11 FAT 1019 FAT Nous retrouvons l'écho de quelques-unes de ces idées sur la nature du Destin chez les Étrusques. La religion de ce peuple a fait une large place aux puissances qui décident de la vie et de la mort' ; tantôt elle les incarne dans quelque grande divinité comme Minerve; tantôt elle les représente, sous des noms dont le sens n'est pas sûr, comme des femmes ailées qui tiennent à la main ou un flambeau ou un rouleau, ou enfin le marteau symbolique et le clou de la Destinée 2. Que Minerve ait rempli pour sa part, chez les Étrusques, le rôle d'une Moira comme Aphrodite Uranie chez les Grecs, la chose n'est pas douteuse; Gerhard rapporte avec raison le nom de ilIean, plusieurs fois donné aux figures que nous avons décrites 3, au même radical ; à Rome, au temple du Capitole, le magistrat le plus élevé de la çité enfonçait chaque année, lors des Ludi Romani, à l'endroit où la cella de Minerve confinait à celle de Jupiter, le clou qu'à Volsinies on plantait dans le temple de Nortia ° ; le nom de cette dernière divinité [FORTUVA] est identique par le sens à celui d'Atropos Un miroir (fig. 2892) nous offre d'ailleurs la troisième Moi« (Athrpa), en train de fixer audessus de la tête de Méléagre, un des héros dans l'existence desquels l'arbitraire de la Destinée s'est surtout manifesté, le clavus trabalis 6. Ailleurs la MoTF (yiura) est en compagnie des divinités delphiques, d'Apollon, de Latone et d'Artémis (Aplu, Letun, 7haine) 7 ; Aesa («ira) est probable sur des monnaies de Fiésoles 8. Les reliefs des tombeaux, de même que les miroirs, nous montrent IV. -parfois des figures de femmes ailées (fig. 2893) qui semblent garder les morts et ne sont autre chose que les personnifications de leurs destinées°. Les rares renseignements que nous possédons sur les Dii involuti des Étrusques font penser qu'ils représentaient les deux faces mystérieuses du sort des mortels et de l'ordre universel; c'est du moins ce qui résulte d'un passage de Servius on il est dit que, suivant les livres Étrusques, on pouvait obtenir de différer les maux de la vie, en s'adressant soit à Jupiter, soit aux l+ata10. Les divinités cachées ou voilées peuvent être rapprochées de la Fortune double d'Antium, telle qu'elle figure sur les monnaies de la gens Rustia ". Les peuples de race italique ayant apporté à distinguer les nuances morales dans la personnalité de leurs dieux beaucoup moins de subtilité que les Grecs, il s'ensuit que l'idée de la Destinée, Fatum, qui correspond chez ces derniers à une force équitable et intelligente, se confond très souvent pour les premiers avec l'idée de la Fortune (TG7:ri) qui est la destinée aveugle [FORTUNA]. Cette confusion que nous constatonschezlesÉtrusques, se retrouve plus manifeste encore chez les Romains. Le nom qui traduit en latin les termes de ioip« et d'air« est fatum; il se rattache, ainsi que fas, désignant le droit divin par opposition à jus, au verbe fari. Fatum est originairement la parole inspirée, divine, celle qui annonce l'avenir et qui, par conséquent, le représente ; c'est ainsi que les oracles et les prédictions s'appellent fata12. De là le mot passe à l'expression de la volonté des dieux, particulièrement de Jupiter" ; il devient le synonyme exact de air«, de même que fas est celui de 129 Dl PATTR" FAT 1020 FAT Oév.t; 1. Tout comme les Grecs, les Latins voient surtout l'intervention de cette volonté dans les phénomènes de la naissance et de la mort. L'enfant, à son entrée dans la vie, est sous la domination du Fatum personnifié; dans la vieille religion romaine, la divinité qui détient le secret de son avenir, s'appelait Parca, que Varron rattache, avec raison sans doute, à parere (enfanter)2. 11 est probable qu'on ne connaissait d'abord qu'une seule Parca, laquelle fut simplement la déesse présidant à l'enfantement; mais cet acte étant mis aussi sous l'influence de 1Vona et de Decuma, qui incarnent l'action décisive du neuvième et du dixième mois, l'identification avec les trois Moip t des Grecs dut s'opérer très aisément : d'où les trois Parques ou tria Fala des Romains. Tertullien nous apprend qu'au dernier jour de la semaine où l'enfant était mis au monde, on invoquait en sa faveur les Fata Seribunda, ce qui veut dire les Destinées en train de rédiger les événements à venir de son existence. Il est probable que cette idée de divinités qui écrivent, inconnue des Grecs, est venue d'Étrurie à Rome 3. M. Peter a cru voir une représentation d'une de ces Destinées sur l'une des faces d'un cippe funéraire (fig. 2894) dont l'autre représente le génie du sommeil avec un flambeau renversé. L'inscription FATIS CAE CILIUS FEROX FILIUS 5, l'attitude générale de la femme qui rappelle, moins les ailes, l'image des Destinées sur les tombeaux étrusques et qui s'accommode fort bien de l'action d'écrire (les mains et le visage manquent), rend cette interprétation plausible; quant à la roue sur laquelle elle s'appuie, l'emblème convient autant à une personnification des Fata qu'à la Fortuna proprement dite. Les poètes, eux aussi, ont exploité à leur manière les registres de la Destinée 6 ; pour Ovide, qui décrit le palais où elle réside, ils sont ou en fer massif ou en diamant inaltérable. On peut rapprocher les tablettes que le prologue du Rudens prête à Jupiter, tablettes sur lesquelles ce dieu conserve la mention des actes bons ou mauvais accomplis par les mortels, suivant les renseignements que lui fournit chaque jour le Génie familier'. Les trois Parques, sous le nom de Fata divina, sont représentées dans une peinture (fig. 2893) d'un tombeau 6 voisin des catacombes de Praetextatus. Le groupe entier figure le jugement de la morte, auprès du trône de Dis Pater et d'Aerecura 9; les Parques sont placées à leur droite et voilées ; Vibia, la défunte, leur est amenée par Alceste, l'héroïne de l'amour conjugal et par Mercure conducteur des morts, Il en est de la personnification du Fatum comme *de celle des démons ou génies; la foi populaire la détaille en quelque sorte et l'applique au sexe, à la condition des individus; elle en fait des divinités préposées à la vie des familles, des maisons impériales, des villes et des nations. L'emploi du mot Fatum, toujours au plu riel avec ce sens, est tellement fréquent ÂERAÇVRAV chez les auteurs que des citations détaillées sont superflues. Ce qui est surtout digne de remarque, c'est que dans les inscriptions très nombreuses, tant en Italie que dans les provinces, où les Fala figurent, ces personnifications sont parfois ou au masculin Fatus ou au fé minin Fata 10. Il est même proba ble que souvent, aux cas indirects du pluriel, nous avons à faire à des Fati ou Fatae, ex pressions qui ap partiennent toutes sans restriction au langage popu laire; ces divini tés sont à peu de chose près identi ques aux démons personnels nom més Genii quand il s'agit des hom mes, Matres et Junones lorsqu'ils sont attachés à des femmes [GENIUS, Juuo]. Un texte de Lactance citant Gavius Bassus, un grammairien du temps de César ", donne à penser que Fatua-Fauna, divinité prophétique à l'action bienfaisante, était considérée comme une des Fatae. Le souvenir des Mo put helléniques, qui est sans doute à Rome l'explication de leur trinité, l'est aussi de ce genre; ailleurs on devine le genre masculin par assimilation à l'Agalhodaemon des Grecs, nom que les lettrés traduisent de préférence par;Bonus Eventus, mais pour lequel le langage vulgaire semble avoir préféré Fatus Bonus" ; il existe une dédicace : Fatis IMasculis 13. L'invocation aux Fata dans les inscriptions et sur les monnaies a souvent pour objet les empereurs; le spécimen le plus remarquable en ce genre nous est fourni par des monnaies de Dioclétien et de Maximien Hercule qui portent en exergue 15: FATIS VICTRICtBUS, autour d'un groupe de trois femmes debout, se donnant la main (fig. 2896). Un aureus du premier de ces empereurs leur donne pour attributs la corne d'abon FAT 1021 FAU dance et le gouvernail qui appartiennent d'ordinaire à Fortune. Il existait à Rome, près du Forum, très probablement sur l'emplacement actuel des églises de SainteMartine et de Saint-Hadrien (l'une d'elles a été appelée à cause de cela templum fatale), un sanctuaire dédié aux Tria Fatal; pour Pline l'Ancien, les images qui y étaient placées étaient celles de trois Sibylles. Comme il parle de restaurations dont elles ont été l'objet de la part de Sext. Pacuvius Taurus édile et de M. Dessala, on peut admettre pour ce sanctuaire, qui sert d'indication topographique encore en plein moyen âge, une respectable antiquité. On ne sait rien de précis sur un culte des Fala ; le calendrier de Philocalus mentionne des ludi fatales, célébrés le 30 septembre à Rome; mais on en ignore le sens exact autant que l'objet 2. Il est certain tout au moins que lapopularité des Fatae dans les provinces celtiques ou germaniques était aussi grande que celle des Sibylles en Italie'. La croyance aux Fées qui interviennent surtout auprès du berceau des nouveau-nés est issue de la croyance aux Fatae ou lui aété redevable de ses traits caractéristiques. Les représentations des Destinées ne deviennent fréquentes que sur les sarcophages romains ; chez les Grecs elles ont dû être extrêmement rares 4. La plus intéressante nous est fournie par le bas-relief dit de Hum boldt «fig. 2897). Clotho y est reconnaissable à la quenouille; Atropos marque la destinée sur un globe et Lachésis tient, non des ciseaux, comme on l'a cru à tort, mais trois sorts, dont elle tire celui du milieu. Le basrelief du musée du Capitole, où Lachésis, placée entre ses deux soeurs, les dépasse de la tête, est de conception romaine; Atropos tient le rouleau où sont gravées les destinées et la Parque du milieu est munie à la fois de la balance et de la corne d'abondance 6. Sur l'autel Borghèse, figuré plus haut, les Parques n'ont d'autre attribut que de longs sceptres, par l'attitude et la coiffure elles ressemblent à la Junon Barberini; elles y correspondent, pour un des côtés, aux Ilorae et aux Grâces, auxquelles elles étaient associées déjà dans le temple de Zeus à Mé gare 7. A partir du Ier siècle de notre ère, les représenta-. tions du Fatum à Rome sont supplantées peu à peu par