Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article FERRAMENTARIUS

FERRAIIIENTARIUS, FERRARIUS [FERRUM]. FERRUM(Eiiiii o5). Nous étudierons successivement : 1° les usages auxquels les anciens employaient le fer; 92 les gisements d'où il le tiraient; 3° la façon dont ils l'élaboraient. 1. USAGES DU FER. A quelle époque remonte l'usage du fer et a-t-il existé une période où l'homme, connaissant le bronze, ignorait encore le fer : autrement dit, un âge du bronze intermédiaire entre l'âge de pierre et l'âge de fer? C'est là une question très discutée, qu'il convient d'examiner ici en premier lieu. Nous allons essayer de montrer que l'on a quelques raisons techniques pour croire, à priori, que l'homme a dû obtenir le fer avant le cuivre, et ces deux métaux avant le bronze, mais que, pendant très longtemps, les objets de fer travaillés par lui ont dû être très petits, très frustes, très fragiles, tandis que le cuivre, puis le bronze, dès leur apparition, se recommandèrent par des avantages pratiques incontestables. Si l'on ajoute à cela que les progrès de la civilisation n'ont certainement pas été, dans les diverses régions, synchroniques, ni même réglés par une loi d'évolution rigoureusement immuable, mais, au contraire, ont subi des influences très diverses, en particulier celle des relations commerciales de pays à pays, on conçoit dans quel sens et avec quelles restrictions il nous semble y avoir réellement eu, dans le monde méditerranéen comme dans le monde scandinave, un âge du cuivre, FER 1075 FER puis un âge du bronze antérieurs à l'âge du fer, pendant lequel, bien que le fer fût connu, les objets d'une certaine dimension, en particulier les armes, étaient fabriqués, non en fer, mais en bronze. Les arguments en faveur de cette hypothèse sont de trois ordres : historiques et tirés de la littérature ancienne, archéologiques, techniques'. Comme argument historique, on remarquera la conviction générale, où étaient les anciens, que l'usage du bronze avait précédé celui du fer : tout au moins, le rôle prépondérant que les documents les plus primitifs attribuaient au bronze. On a objecté, il est vrai, que les auteurs, dont les écrits nous sont parvenus, étaient déjà trop loin de ces premiers temps pour les connaître autrement que par des traditions ou des légendes; que, s'ils interposent l'âge de bronze entre l'âge d'or disparu et l'âge de fer actuel, c'est par pessimisme, pour mieux marquer la marche rétrograde de l'humanité; ou encore que, s'ils s'attachent de préférence à décrire des objets de bronze ou de cuivre, c'est par un goût de sauvages pour ce qui brille. Cette remarque faite, voici les textes principaux. C'est, d'abord, un passage très précis d'Hésiode' : « et leurs armes étaient d'airain, et d'airain leurs demeures, et ils travaillaient l'airain, car le fer noir n'était pas encore »; puis les vers de Lucrèce qui, en énonçant le même fait, essayent de l'expliquer' : Varron émet la même idée', qui se retrouve chez Ovide. On a noté encore que, dans le Pentateuque, le cuivre est cité quarante fois, le fer seulement deux fois; que dans les parties les plus anciennes de l'épopée homérique, le fer apparaît bien plus rarement que dans les récentes : dans l'Iliade, les armes sont toujours de cuivre ou de bronze, certains objets agricoles et domestiques seuls en fer°; dans l'Odyssée apparaissent des armes de fer'. Homère, qui est toujours très réaliste et précis dans le détail, n'a pas, comme on l'a soutenu, prêté, d'une façon symbolique, des armes de bronze aux héros comme des ornements d'or aux dieux, parce que le bronze lui semblait supérieur au fer; mais il indique, en chaque cas, de son mieux, la nature de chaque objet, et, lorsqu'une masse de fer est offerte en prix par Achille lors des funérailles de Patrocle, c'est pour que le gagnant ait de quoi se fournir, pendant cinq ans, en instruments agricoles, « sans avoir besoin d'aller à la ville pour y acheter des outils s n. Assurément, les objections signalées plus haut peuvent porter contre ceux qui veulent en conclure qu'à une certaine époque l'usage du fer était absolument ignoré; en tout cas, la première épopée homérique, pas plus que le Pentateuque, n'appartiennent à un âge du bronze ab IV. solu; mais l'étude de tous les textes anciens nous paraît confirmer l'idée, très vraisemblable pour des raisons techniques, d'un âge du bronze restreint, où le fer était connu, mais point en grandes masses et n'avait que peu d'usages. On a encore tiré des textes d'autres preuves indirectes. Ainsi l'on a observé que les mots Zxa)du , ya)xsïov, etc., évidemment dérivés de -aÀx' et, par suite, appliqués sans doute primitivement au seul travail du cuivre, désignent déjà, dans Homère, un métal quelconque. Le mot yaaxdç, avec ses très nombreux dérivés, a été, dans la langue, un élément antérieur à c(SrIroç9. D'autre part, on constate à l'origine, non seulement chez les Romains et chez les Grecs, mais chez tous les peuples anciens, une véritable répugnance à se servir du fer, un préjugé contre cette nouveauté. Les preuves archéologiques confirment les inductions tirées des textes. Aussitôt après l'âge de pierre, quand les métaux apparaissent dans les fouilles, c'est d'abord l'or ; puis le cuivre et le bronze ; tandis que le fer, ou fait complètement défaut, ou est très rare. Les épées de fer appartiennent à une civilisation plus avancée que les épées de bronze. Là encore, on a objectét0 que l'absence du fer tenait, soit à sa destruction facile par la rouille, soit à son peu de prix, qui aurait empêché d'en mettre dans des tombes. Ces deux arguments sont d'assez faible valeur; car la rouille, qui avait pour effet de corroder les objets, n'a pu les faire entièrement disparaître, comme le montrent les objets de fer, extrêmement anciens, trouvés en Égypte, en Assyrie, ou dans les tombes de ce qu'on a appelé la première époque du fer à Villanova, Benacci, dans les villages lacustres du lac de Zurich, etc. Dans les couches les plus profondes, ce sont les plus petits objets de fer qui subsistent, comme on le conçoit aisément par des raisons techniques; une destruction par la rouille aurait dû, au contraire, laisser subsister des parties des plus volumineux, en anéantissant les petits. En tout cas, du fait que los armes découvertes étaient en bronze, ainsi qu'un grand nombre d'objets usuels, tels que ciseaux, couteaux, il faut bien conclure que le bronze, quoique moins propre à leur fabrication que le fer, était adopté généralement pour ces emplois, à moins de supposer que partout on a affaire à des objets de parade. La civilisation antique a dû très longtemps, en ce qui concerne l'usage des métaux, ressembler à ce qui existait, il y a vingt ans encore, au Japon, ol1 le bronze, travaillé avec un art admirable, était le métal vraiment usuel; le fer, une exception. Quant à expliquer la rareté du fer dans les premiers âges par son peu de valeur, qui aurait dû avoir, au contraire, pour conséquence, son extrême diffusion, c'est ce que nous ne pouvons comprendre. Ce ne sont pas seulement des tombes que l'on a retrouvées, mais aussi des maisons, des palais, etc.: croit-on sérieusement 136 FER 1076 FER qu à Mycènes ou à Hissarlik', le fer eût été moins employé s'il avait été plus commun et, si l'on fouillait des tombes contemporaines, n'y trouverait-on pas de très nombreux objets en fer (indépendamment des clous, ferrures, etc.), surtout si l'usage était encore d'enterrer les soldats avec leurs armes. Examinons donc les faits eux-mêmes, sans leur chercher une aussi subtile interprétation. En sol grec, les objets les plus anciens qu'on connaisse, objets remontant à une époque bien antérieure à celle d'Homère, sont ceux que Schliemann a sortis des fouilles de Mycènes, Orchomène et Tirynthe ; on peut en rapprocher ses trouvailles d'Ilion. Or, en tous ces points, le fer fait presque absolument défaut, tandis que les armes de bronze et les ustensiles domestiques de cuivre sont nombreux', l'or très abondant. Les seuls objets de fer trouvés à Mycènes, des clefs, des couteaux, ne peuvent avoir appartenu à l'ancienne civilisation mycénienne; Schliemann lui-même n'hésitait pas à. les considérer comme du ve siècle avant Jésus-Christi. Il en est de même de ceux qu'on a trouvés dans les couches les plus profondes d'Olympie et de deux boules de fer qui représentent seules ce métal dans la ville brûlée d'Hissarlik. Nous ajouterons que divers indices philologiques ou archéologiques conduisent à supposer, ce qui est techniquement presque incontestable et ce qui confirme, par contrecoup, la valeur des arguments techniques pour établir l'ordre de succession historique des métaux, l'antériorité du cuivre au bronze. C'est ainsi que, par l'étude comparée des langues aryennes, on arrive à l'idée que les aryens indivis connaissaient le cuivre (latin: aes; gothique : air; sanscrit: ayas ; zend : ayanh) 4, non le bronze et le fer. Dans les langues sémitiques et finnoises, les divers noms du cuivre se ramènent à une forme unique, tandis que l'étain a des noms différents; de même, dans les langues turcotartares. Dans un autre ordre d'idées, en Égypte, le cuivre, qui figure dans les tribut des peuples asiatiques, apparaît avant le fer 5, et M. Berthelot, en analysant le sceptre d'un roi de la troisième dynastie, a reconnu qu'il était, non en bronze, mais en cuivre pur, sans trace d'étain. L'analyse a donné le même résultat pour une statuette venant des fouilles de M. de Sarzec en Chaldée 0; à Ilion, dans la première cité de Schliemann, on trouve, avec des haches en diorite, de très petits objets, surtout des broches et couteaux, en cuivre assez impur'; dans la seconde, les haches sont en cuivre pur, d'autres armes en bronze et une couche épaisse de scories de cuivre ne renferme pas trace d'étain. A Santorin, dans les maisons recouvertes par l'éruption du volcan, on a recueilli des instruments de silex taillé, de l'or pur et une scie de cuivre, mais pas de bronze ni de fer e. A Mycènes, des chaudrons étaient en cuivre pur. En Hongrie, les fouilles ont trouvé du cuivre avant le bronze, etc. En dernier lieu, les raisons techniques son t fondées sur l'abondance plus ou moins grande des minerais et la facilité de leur élaboration. Comme nous allons le voir, la différence qui peut exister entre le fer et le cuivre est trop faible pour permettre d'affirmer absolument que le fer ait été découvert avant le cuivre; mais, ce qui semble indubitable, c'est que le bronze, alliage complexe, n'a pu être obtenu qu'après ces deux métaux simples et que les lopins de fer extraits au début ont été, pendant longtemps, très petits. Étudions d'abord les minerais. Si on laisse de côté l'or, qui se présente fréquemment, bien qu'en petites quantités, à l'état natif, dans les alluvions des rivières, sur le bord desquelles se sont établis les premiers hommes et dont l'éclata dû, tout d'abord, attirer leur attention, le métal dont les minerais sont de beaucoup les plus communs et les plus faciles à réduire, est assurément le fer; mais ce qui empêche de se prononcer, d'une façon précise, sur l'antériorité de la découverte du fer, c'est que les minerais de cuivre, également assez abondants, sont, par les couleurs bleues ou vertes des carbonates, par les diaprures des phillipsites, par l'éclat (comparable à l'or) de la pyrite, beaucoup plus remarquables pour un oeil de sauvage ou d'enfant, et contiennent, en outre, parfois, dans les argiles des affleurements, une certaine proportion de cuivre natifs. En ce qui concerne précisément les métaux natifs, on a voulu faire jouer aux météorites un rôle, à notre avis, très exagéré, en supposant que le premier fer avait pu en être extrait10. D'abord, les météorites sont fort rares : ce qu'on pourrait, à la rigueur, expliquer par le soin avec lequel les anciens les auraient recueillies; mais, surtout, celles d'une certaine taille seraient très difficiles à façonner; car le fer natif nickélifère qui constitue celles, dites holosidères", dont on aurait pu être tenté de faire des outils, ne fond qu'à une haute température et ne peut être découpé qu'avec de l'acier. Quant aux météorites plus ou moins pierreuses (syssidères et sporadosidères), il n'y avait pas plus de raison pour en extraire le fer que de toute autre roche à silicates ferrugineux. Quant à l'élaboration, elle est des plus faciles pour le fer, dont les oxydes, chauffés simplement dans un basfoyer avec du charbon de bois, finissent par se réduire assez pour pouvoir être façonnés. Mais le même basfoyer, instrument de travail très souple (à volonté réducteur ou oxydant) permet également, quoiqu'avec un peu plus de complication et une habileté de main plus grande, d'obtenir du cuivre en une seule opération; et ce procédé est celui ;qu'emploient encore les Japonais, beaucoup plus riches, comme on sait, en cuivre et en bronze qu'en fer". Dans les deux cas, le métal extrait est d'assez mauvaise qualité, mêlé de scories dans le cas du fer, chargé de soufre, d'antimoine, d'arsenic, etc., dans le cas du FE B. 10'17 FER cuivre; mais, par des martelages et réchauffements répétés, qui jouent un grand rôle dans toutes les métallurgies primitives, on peut arriver à obtenir une petite masse de fer forgeable et des fusions analogues purifient progressivement le cuivre. Dès lors, la difficulté de l'opération est à peu près la même pour les deux métaux. Quant à la température à atteindre, elle est de 700 degrés pour travailler le fer (qu'on n'a pas besoin de porter à son point de fusionl), de 1100 degrés pour fondre le cuivre : ce qui, avec l'abondance plus grande des minerais de fer, crée une certaine présomption en faveur de ce métal. En tout cas, le fer a dû être connu avant le bronze; car, le cuivre même étant supposé obtenu, l'idée de lui allier un autre métal, l'étain, pour lui donner les propriétés, très spéciales, du bronze, n'a pu venir qu'après un usage assez long et bien des tâtonnements, à la suite de l'extension des relations commerciales. Le cuivre et, l'étain, en effet, ne sont pas associés dans leurs minerais; ils ne le sont que très exceptionnellement dans leurs gisements, sauf en quelques points du globe, comme le Cornwall (dont on nous semble avoir exagéré le rôle aux époques primitives) et, de plus, le minerai d'étain, la cassitérite, est un corps très rare, assez difficile à reconnaître, dont l'emploi a dû être long à se développer2. En résumé, nous croyons que le fer et le cuivre ont précédé le bronze 3, et que probablement le fer est venu avant le cuivre. Mais, pendant longtemps, ce métal, que nous sommes trop portés à juger d'après celui de même nom qui joue un rôle capital dans notre civilisation moderne, a été si défectueux et en si petites masses qu'on y a attaché peu d'importance; tandis que le cuivre et le bronze, aussitôt connus, ont excité l'attention par leurs avantages considérables. Aussi, est-ce seulement du jour où le monde méditerranéen (qui avait peut-être déjà découvert, par lui-même, le moyen d'obtenir le fer), s'est trouvé en rapport avec des commerçants orientaux porteurs de bronze, que l'emploi des métaux y a pris un réel développement. Il s'est passé là quelque chose d'analogue à ce que l'on constaterait chez des Tasrnaniens ou des nègres de l'Afrique Centrale passant soudain, par l'arrivée des blancs, de la hache de pierre au fusil. Il ne faut pas oublier, en effet, que si des moyens élémentaires suffisent pour obtenir de petits lopins de fer, il est fort difficile d'en avoir de gros, et le fer, extrait par ces méthodes primitives, est fragile, impropre à la fabrication des armes, difficile à polir et à façonner', ainsi qu'à réparer le jour où on le brise. Si l'on se souvient, en outre, du défaut capital du fer, qui est de se rouiller, on comprendra comment le fer, après sa première découverte, n'a pas pris, de longtemps, la supériorité qu'avec nos idées actuelles nous sommes disposés à lui attribuer. Entre le premier fer des sauvages et le fer de nos usines ou même celui de la période à laquelle on donne le nom de ce métal, il y a un abîme, qui n'a été franchi que pas à pas et, dans l'intervalle, on avait eu le temps d'apprendre à fabriquer le bronze. Celui-ci avait, à cette époque, tous les avantages : éclat, beauté, inaltérabilité presque complète, grandes facilités pour refondre et retravailler les objets détériorés, etc. Aussi est-ce lui que nous verrons bientôt importé par les Phéniciens sur tous les bords de la Méditerranée. Nous ne ferons que mentionner un autre argument, sur lequel on s'est appuyé, à tort à notre avis, pour démontrer que le fer avait été employé avant le bronze, c'est l'impossibilité où l'on aurait été de travailler le bronze sans couteaux et marteaux d'acier, d'y faire des incrustations, comme celles qu'on rencontre sur les armes de Mycènes, sans fer ou acier. On oublie l'usage, évidemment très développé alors, des instruments de pierre, qui pouvaient parfaitement suffire pour le martelage du bronze. D'ailleurs, il est facile, sinon de durcir le bronze par la trempe comme on l'a supposé sans aucune preuve, au moins de varier sa dureté suivant la proportion d'étain ou de certaines matières étrangères, telles que le phosphore. Sans en avoir connu la raison, on a dû, par expérience, arriver vite à préparer ces variétés dures qui, ensuite, ont pu servir au travail des métaux tendres. On a déjà remarqué, à ce propos [CAELA'fURA], que l'on semblait, au début, ignorer l'art de percer le bronze; car les trous destinés aux rivets étaient toujours ménagés dans le moule. Quant au découpage ou à la ciselure du métal, on a trouvé [CAELUM] de vrais ciseaux en bronze, en pierre et en os, les uns pour couper, les autres pour graver, des gouges, etc. Laissant donc de côté cette première question générale, sur laquelle on ne peut raisonner que par induction, nous allons essayer de retrouver les usages auxquels le fer a été successivement appliqué dans l'histoire de la civilisation antique, sans oublier toutefois ce fait essentiel qu'à une même époque des degrés de culture très différents ont existé côte à côte et que les grands progrès de l'humanité, en particulier ceux qu'elle a faits dans l'emploi des métaux, ont dû se produire en plusieurs points du globe à la fois. Les deux plus anciens foyers de civilisation dont nous ayons à nous occuper (la Chine étant restée sans rapport avec le monde occidental) sont la Chaldée et l'Égypte, et, sans vouloir développer ici ce qui les concerne 6, il nous semble impossible de ne pas marquer, au moins, le degré de science métallurgique que ces pays avaient atteint, pour montrer ce que les Phéniciens, puis les Grecs ont pu tirer d'eux. En Chaldée, nous avons la preuve, par les trouvailles faites dans les sépultures de Warka et de Moughéir, que, vingt-cinq ou trente siècles avant JésusChrist, on connaissait les métaux. Ces tombes renfermaient, en effet, à côté de nombreux outils de pierre, FER 1078 FER du cuivre, du bronze, du fer et de l'or (pas d'argent). Le fer était alors réservé, comme un métal précieux, pour de petits objets de toilette, des anneaux, des bracelets; on n'en faisait encore ni armes, ni outils'. Un millier d'années plus tard, vers 1590 avant JésusChrist, nous voyons Thutmosis III s'emparer, à Damas, de masses considérables de fer. Carchémis et Damas étaient, dès ce temps, des centres métallurgiques importants. Une inscription égyptienne nous montre les Rotennu, peuplade qui habitait au nord des Hétéens jusLiban et aux environs de Damas, apportant au pharaon un tribut de fer brut, d'armes et de chars de guerre du même métal. Plus tard encore, chez les Israélites, Moïse vante la Palestine comme un pays « dont les pierres sont de fer 2 n. Les Hébreux tiraient, peut-être, leurs épées de fer de ces fabuleux Chalybes, riverains de la mer Noire (que personnifierait Tubalcain, l'inventeur mythique de la métallurgie) et qui, par l'intermédiaire des Lydiens, passent pour avoir transmis leur science métallurgique aux Grecs. Eux-mêmes étaient peu avancés dans le travail du métal, comme le montrent les commandes faites par Salomon à Hiram (1013 av. J.-C.). Ézéchiel nous apprend, d'ailleurs 3, que Tyr était un centre très important du commerce de fer. Enfin, huit ou neuf siècles avant Jésus-Christ, nous avons, par les fouilles de Place 4 à Khorsabad, la preuve que l'emploi du fer était très généralisé en Assyrie. Il a trouvé, en effet, dans une chambre du palais qu'il a appelée le magasin des fers, environ 160000 kilogrammes d'objets en fer de toute espèce, symétriquement rangés sur tout un des côtés de la salle Il y avait là des grappins et des crochets, attachés par des anneaux très solides à des chaînes à maillons, des pics, des pioches, des marteaux, des socs de charrue, le tout en fer excellent; puis, en grande quantité, des lopins de fer percés d'un trou, où Place avait cru voir des outils de toutes sortes, et qui étaient, peut-être, seulement des morceaux de métal brut en réserve, analogues à ceux dont nous trouverons bientôt la mention chez Homère. A Nimroud, Layard 6 a rencontré des pieds de meubles, des pioches et des marteaux de fer, des pointes de flèche et de lances du même métal, ainsi qu'une scie à double manche, longue de Im,65, etc. A Kouioundjik et à Nimroud, un certain nombre d'anses, de cercles, d'ustensiles divers, en particulier des pieds de taureaux', étaient en fer, recouvert (probablement par coulée) d'une mince couche de bronze 6. De cuirasses et casques de Nimroud étaient en fer avec incrustations de bronze à la surface 9. Il semble qu'on saisisse là sur le fait le goût pour le bronze qui, dans tout le monde méditerranéen, a fait longtemps préférer le bronze au fer. Les objets de luxe étaient en bronze à 10 p. 100 d'étain et, comme à Mycènes, le cuivre pur était réservé pour des sortes de grands chan drons. On a supposé que les Assyriens tiraient leur fer de cette région, située entre le Pont-Euxin, le Caucase, la Caspienne, la Mésopotamie, le Taurus et la Cappadoce, où toutes les traditions recueillies par les Grecs plaçaient le berceau de la métallurgie. D'une façon plus précise, les montagnes de Titjnis, à quelques journées de Mossoul, renferment, paraît-il, des richesses minières considérables Enfin, avant de quitter l'Asie Mineure, il convient, au moins, de mentionner les Hétéens ou Khiti, ce peuple, longtemps oublié, auquel on attribue aujourd'hui un rôle important dans les origines de la civilisation grecque. Les Hétéens, dont la grande période d'expansion vers la mer Égée peut être placée au xme siècle et qui, à cette époque, équilibraient la puissance même de l'Égypte, connaissaient assurément les métaux, l'or, l'argent, le bronze, comme le montrent les monuments figurés qu'ils nous ont laissés ; rien n'indique qu'ils se soient servis du fer". Parallèlement à la civilisation chaldéenne et assyrienne, celle de l'Égypte se développait. Là également, l'usage du fer paraît remonter à environ 3000 ans avant Jésus-Christ, mais est resté longtemps très restreint et même a cédé la place au bronze vers la dix-huitième dynastie". Ce dernier fait, qui semble bien établi, prouve que le fer, tel que les Égyptiens, comme la plupart des peuples primitifs, savaient le préparer, leur rendait peu de services et leur semblait moins commode que le bronze. C'est sans preuve bien convaincante qu'on a supposé l'emploi du fer nécessaire pour le travail des statues en syénite ou en granit. Il semble fort vraisemblable, en effet, que les sculpteurs usaient d'instruments contondants beaucoup plutôt que d'instruments tranchants, et ces instruments pouvaient être simplement en bronze, ou même en pierre. Quant aux objets de fer retrouvés, ils se bornent, à peu près, dans les temps anciens, à un fragment d'outil entre deux assises de pierre de la pyramide de Chéops et une faucille sous les pieds du sphinx de Karnakf3. 11 existe, en outre, au Louvre, des pointes de flèches et des piques de lance en fer, de provenance égyptienne. La civilisation phénicienne, qui va nous servir de transition pour arriver aux Grecs" et qui, à ce titre, nous arrêtera davantage, n'a été, comme on sait, à bien des égards, qu'une sorte de contrefaçon de celle de l'Égypte. Cependant les Phéniciens i5 ont donné à l'art des mines et à la métallurgie un développement qu'on n'avait pas connu auparavant. Ils ont ouvert d'innombrables exploitations dans toute la Méditerranée, en Sardaigne, en Espagne, sans doute plus loin encore, jusqu'en Cornwall, et, avec eux, le commerce des métaux a pris une extension considérable. Ils avaient, en particulier, une sorte de monopole pour les vases en métal FER 1079 -FER travaillé (cuivre, bronze, argent et or) dont ils ont appris l'usage au monde méditerranéen. Ils connaissaient également le fer qu'ils tiraient, d'après Ézéchiel, de Tharsis, c'est-à-dire du sud de l'Espagne, si riche en métaux de toutes sortes': mais ils ne paraissent en avoir fait qu'assez tardivement emploi et d'une façon restreinte. On ne possède, en fait d'ouvrages en fer phéniciens, qu'un sabre de 60 centimètres de long et une certaine quantité de pointes de javelots sorties d'une tombe cypriote, qui ne remonte, sans doute, guère au delà du ve siècle'. Nous savons, en outre, que les cuirasses cypriotes de Démétrius-Poliorcète étaient en fer' et un fondeur de fer paraît dans une inscription phénicienne de Cypre Les Phéniciens ont exercé sur la Grèce une influence qu'on ne conteste plus, qu'on aurait plutôt une tendance à exagérer; y ont-ils introduit la connaissance des métaux? C'est là une question importante et délicate, sur laquelle il semble que l'on arrive, par deux voies différentes, à des solutions contradictoires. En abordant la Grèce, en effet, nous avons, pour la première fois, d'une façon certaine, affaire aux Aryens. La première civilisation grecque se relie donc, d'une façon intime, à celle des Aryens indivis. Or, s'il est impossible de préciser à quelle époque les premières migrations aryennes se mirent en marche pour aller, par les valléés du Dnieper et du Danube, peupler la Grèce et l'Europe Occidentale, on peut, du moins, par des considérations de linguistique, reconnaître que l'état de civilisation des Aryens indivis était à peu près celui des hommes des stations lacustres, c'est-à-dire qu'ils se servaient surtout d'instruments de pierre ou de bronze et n'utilisaient que très exceptionnellement le fer 5. Il n'y a donc pas de différence bien capitale entre leur degré de culture, en ce qui concerne les métaux, et celui des habitants de Mycènes ou de la ville brûlée d'Ilissarlik. On serait donc amené à conclure que l'usage du bronze a été apporté directement par terre par ce premier courant aryen, qu'on a nommé les Pélasges' et que suivit, longtemps après, une seconde migration, divisée en deux rameaux : les Doriens venus également par terre, par la Thessalie, et les Ioniens, passés par mer de la côte occidentale d'Asie Mineure en Europe. Or, tout au contraire, les nombreux récits légendaires des Grecs sont d'accord pour nous apprendre que les premières connaissances métallurgiques, d'abord considérées comme sacrées, arrivèrent en Grèce par les îles, de l'Orient et, plus précisément, de la Phrygie. C'est le sens des fictions relatives aux Dactyles, Cabires, Corybantes, Curètes, Telchines, etc., c'est-à-dire aux génies métall urges. C'est ainsi que, dans un fragment d'un poème très ancien, la Phoronide7, il est question des Phrygiens qui, les premiers, trouvèrent, dans les bois des montagnes, l'art de l'ingénieux Vulcain, le fer noir, et le portèrent au feu. Pour Strabon', Diodore de Siciles, etc., les inventeurs du fer furent, de même, les DACTYLI, qui résidaient en Phrygie. Ces Dactyles, d'après un passage perdu d'Ilésiode cité par Pline 1e, auraient également découvert le fer en Crète : la Chronique de Paros en donne même la date, 1432 ans avant Jésus-Christ". Clément d'Alexandrie leur attribue la découverte du fer, mais il la place à Chypre12. Enfin nous les voyons résider dans l'île de Samothrace1'. Les cAmiaa, dit le Scholiaste d'Apollonius de Rhodes, venaient, eux aussi, de Phrygie et, de là, ils se rendirent dans la Samothrace ", puis à Lemnos et à Imbros15. Ces Cabires, comme les Dactyles, sont qualifiés d'habiles dans la forge, de puissants par le feu. Plus tard, leur culte se répandit très loin, jusqu'à Memphis, où Cambyse, d'après HérodoteS6, profana leur temple. Enfin, les CORYBANTES ont suivi le même chemin de la Troade à Samothrace, puis à Chypre17, qualifiée de cuivreuse par excellence (ael'osa)" et, d'après Strabonis, les TELCRINES mirent les premiers en oeuvre et le fer et le cuivre. En résumé, ces divers génies, qui nous représentent la métallurgie, science longtemps considérée comme sacrée, sont, d'après les anciens, tous partis du nord de l'Asie Mineure pour aller s'établir successivement dans les îles minières de la Méditerranée, à Samothrace, en Crète, à Chypre, à Rhodes et, de là, par une voie qui a pu être également celle des Phéniciens, progressivement sur les côtes d'Europe20. Cela concorde assez bien avec d'autres passages des écrivains classiques, qui placent le berceau de la métallurgie au nord de l'Asie Mineure, vers la mer Noire, dans le pays des Chalybes, appelés par Eschyle « les ouvriers du fer o 71, pays décrit par Hérodote comme habité uniquement par des mineurs et forgerons et qui a donné le nom même de l'acier en grec, ycl),u4. Toute cette région de l'Asie Mineure et de la Transcaucasie, qui borde la mer Noire, a été, sans conteste, un centre métallurgique très ancien d'où (si l'on tient à faire concorder les deux théories ci-dessus exposées) la connaissance des métaux a pu se répandre par deux routes, l'une terrestre, l'autre maritime, au nord et au sud du Pont Euxin. Parmi les trouvailles archéologiques faites en Grèce ou dans les régions voisines2', les plus anciennes sont celles d'Ilion et de Santorin, puis de Mycènes23, qui nous montrent un âge du cuivre et du bronze, où le fer est absent. Si l'on voulait assigner une date à cette civilisation du bronze, FER 1080 FER on la rapporterait, peut-être, au xive siècle, époque où les Grecs avaient déjà été mis en rapport par les Phéniciens avec l'Égypte, et où, nous l'avons dit, l'usage du fer était développé en Chaldée. La première épopée homérique remonte à un temps où le fer était déjà répandu, sinon pour la fabrication des armes, au moins pour les usages agricoles, comme cela ressort des paroles d'Achille, offrant en prix une masse de fer (eeoç) lors des funérailles de Patrocle'. Pourtant, à l'époque de l'Iliade, des objets de fer sont mentionnés comme précieux (xsy.-lPtz) à côté de ceux d'or et d'argent2 : « J'emporterai d'ici, dit Achille3, de l'or et du cuivre rouge, ainsi que des femmes à la ceinture élégante et du fer brillant.» Ailleurs, à diverses reprises, le cuivre (ya1xdç) est mentionné pour des usages qui, plus tard, ont été réservés au fer. Achille a coupé son sceptre avec l'airain'. Les armes sont toutes en bronze'. Si l'acier y entre, c'est au même titre que l'or, l'argent, l'étain, comme un métal précieux dont les tein sont utilisées en incrustations [caRYSOGRAPIOIA]. Dans l'Odyssée, le fer et même l'acier sont beaucoup plus abondants que dans l'Iliade. Il est question d'un véritable commerce de fer' : « Je me rends, dit Montés, chez des hommes qui parlent une langue étrangère, à Témèse, pour chercher de l'airain ; j'y porte du fer non travaillé. » Ailleurs, on voit mentionnés des outils (haches, cognées 8), des armes en fer, des disques en fer fondu (n roxcovos) [Dlscus], des chaînes de fer9, etc. Il est question, à diverses reprises, de la trempe de l'acier' 0. Plus nous nous rapprochons des temps modernes, plus nous voyons les usages du fer se multiplier. Le fer n'est point rare dans les couches les plus profondes d'Olympie" (vile-vie siècles). On y a trouvé des clous, des pointes de lance, des pieds de meuble, des anneaux de trépieds, point d'anneaux de doigt en fer, mais seulement des anneaux de bronze, quoique l'usage des premiers soit ancien en Grèce : il s'est perpétué chez les Spartiates et jusque sous l'empire romain 12. Dans les fouilles du Dipylon, à Athènes, qui nous conduisent au vile siècle, on a rencontrél3 des armes et des outils de fer, clous, haches, couteaux, pointes de lance et une épée copiée, comme les épées de fer l'ont été partout au début, sur des épées de bronze. On peut affirmer que les armes, au moins les armes offensives, aussi bien que beaucoup d'outils, ont été de bonne heure en fer, ou plutôt en acier'. Le fer des mines de Laconie servit de bonne heure, à faire des armes et des outils renommés pour leur qualité '5; ceux qui étaient façonnés dans l'Eubée étaient également fameux 16. L'abondance du fer devait aussi faire de ce métal, pour les Lacédémoniens, un moyen d'échange, soit qu'on Io débitàt en barres (ôôE),oi), soit en véritable monnaie, On a souvent parlé de la monnaie de fer de Sparte et aussi de celle de Byzance17; mais on a mis en doute qu'il s'agisse réellement d'une monnaie dans les textes où il en est question. Le doute ne peut guère subsister depuis que l'on a découvert des monnaies de fer à la marque de Tégée et d'Argos18. On sait encore que le fer entrait dans l'armature et la construction des vaisseaux". Les architectes l'ont également employé : des crampons de fer en queue d'aronde, en forme de I ou de N, ont été retrouvés dans les murs du Parthénon, du Théseion, de l'Érechthéion, du petit temple de la Victoire à Athènes, du temple de Jupiter et du Métroon à Olympie, aux Propylées d'Athènes et d'Éleusis, dans les murs du Pirée, au temple d'Égirle, à Éphèse, à Sardes, à Paestum, etc.20 Pour le détail des objets de toutes sortes fabriqués avec le fer, nous ne pouvons que renvoyer aux articles spéciaux qui concernent chacun d'eux. Disons seulement encore que le fer forgé a sa place dans l'histoire de l'art. C'est ainsi que Glaucus de Chios, à qui les Grecs attribuaient l'invention de la soudure du fer et de l'art d'amollir et de durcir le fer par l'eau et le feu 21, avait façonné en fer un support de cratère, qui passait pour son chef-d'oeuvre et dont Alyatte fit présent au temple de Delphes. Ce support était formé de barres assemblées et orné d'animaux et de feuillages". Kibyra en Phrygie, était célèbre pour les beaux ouvrages en fer qu'on y ciselait". Pausanias et Pline citent même des statues en fer : ainsi un groupe d'Héraclès avec l'hydre à Delphes, de Tisagoras; des têtes de lion et de sanglier à Pergame", un Hercule d'Alcon à Rhodes", une statue d'Épaminondas au temple d'Esculape à Messène 26, etc. On a, d'ailleurs, conservé quelques rares objets en fer forgé, grecs ou romains : notamment une tête de bélier au musée du Louvre 21. Nous nous sommes borné, jusqu'ici, au fer proprement dit : il nous reste à examiner l'emploi que les Grecs ont pu faire de l'acier ou même de la fonte. L'acier a été connu de très bonne heure et, de très bonne heure aussi, on a su le durcir par la trempe. Il est même vraisemblable que les anciens avaient des procédés analogues à ceux qu'emploient aujourd'hui les peuples d'Orient pour souder ensemble des parties de métal plus ou moins dur, plus ou moins carburé, et obtenir des tranchants ou des pointes bien aiguisées sans rendre la pièce entière trop cassante. Les auteurs nous parlent de lances ou de haches ainsi constituées 28. C'est en acier, et non en fer, que se faisaient les meil FER 11081 FER loures armes, celles en acier indou, parthe ou espagnol dont On appréciait, dit-on, l'élasticité en les courbant sur sa tête et leur faisant toucher les deux épaules. Des épées en fer proprement dit se seraient immédiatement tordues, comme cela arrivait, d'après Polybe', aux Gaulois, obligés, pendant le combat, de redresser leurs armes. Les boucliers étaient aussi parfois en acier, ainsi qu'une foule de petits objets, aiguilles, couteaux, etc. Quant à la fonte, on a beaucoup discuté pour savoir si les anciens l'avaient connue et, en général, on a tranché la question par la négative. Nous avouons qu'elle reste pour nous très douteuse et que si, pour des motifs techniques, nous sommes peu disposé à croire à une fabrication directe de la fonte chez les Grecs, quelques textes des auteurs, rapprochés en particulier par Gurlt et par Liger3, sont cependant assez difficiles à expliquer. C'est ainsi qu'Aristote nous parle positivement de fer fondant sous l'action de la chaleur, de manière à devenir liquide et se coagulant ensuite Pausanias nous dit également que Théodore de Samos trouva le moyen de liquéfier le fer (l ccyEïv) 5, et Pline (qui paraît, d'ailleurs, fort peu au courant de la question) nous parle de fer liquide comme de l'eau (aquae modo liquari ferrum) °. Il n'est pas bien aisé d'admettre, avec Hausmann, Beck, Paehler, Blümner, etc., qu'il s'agisse, dans tous ces passages, du ramollissement habituel du fer par la chaleur ou que Pausanias ait écrit, par inadvertance, fer au lieu de bronze En outre, il est certain qu'il nous est parvenu de l'antiquité (tout au moins de la période alexandrine) quelques très petits objets en fonte 3, bien probablement authentiques : des statuettes, en particulier une d'Isis trouvée à Bonn, un masque doré au musée de Leyde°, un anneau découvert en Moravie et rattaché à la période d'Hallstadt, etc.10 Devons-nous croire que ces petits objets de fonte résultent d'une carburation du fer, opérée, comme Réaumur, en 1722, en a montré la possibilité, dans des creusets d'argile de dimensions restreintes? Ce qui éloigne, malgré tout, l'idée d'une fabrication antique de la fonte, analogue à celle qui est aujourd'hui en usage, c'est principalement que les fours antiques, retrouvés dans des fouilles, paraissent avoir été tout à fait impropres à cet emploi; en outre, que, chez tous les peuples primitifs où l'on connaît des foyers analogues, le fer est obtenu par une méthode directe et la fonte inconnue". De plus, toutes les fois que les anciens parlent d'un ouvrage en fer, il est fait allusion à la difficulté et à la peine du façonnage, qui n'aurait pas existé pour la fonte et ne peut se rapporter qu'à un travail de forge. Nulle part, même chez Pausanias, l'opération, si carac téristique, du moulage n'est seulement indiquée pour le fer; au contraire, il est toujours question de l'étirer et battre au marteau. Enfin, on possède, pour l'époque alexandrine, un texte du critique Aristarque qui, à propos du disque de fer (sec); aû-roydnvoç) jeté par les héros d'Homère, dit précisément que le fer n'est pas fusible''. Nous passons maintenant en Italie. Là, la civilisation la plus ancienne est celle qu'on a pu observer principalement dans les habitations lacustres de la vallée du Pô et des terramares émiliennes, mais qui a duré fort longtemps, semble-t-il, dans toute la péninsule 13. Ces premiers Italiques formaient une population pastorale et agricole, qui paraît avoir ignoré totalement l'usage du fer. A cette période en succède une autre, antérieure encore à l'histoire proprement dite des peuples italiens, où le fer apparaît en petite quantité à côté du bronze. A Villanova, par exemple, on a trouvé quelques outils et des armes '4; à la Certosa de Bologne, des poignards et des pointes de lances 15 ; à Caput aquae Ferentinae, un bracelet". Les Étrusques, établis successivement sur les deux versants de l'Apennin, ont passé par les mêmes vicissitudes, jusqu'au moment où ils sont entrés en relation avec les Phéniciens et les Grecs. C'est eux qui semblent avoir commencé les exploitations des mines de l'île d'Elbe, dont nous aurons à reparler, et qui, pendant les premiers siècles, fournirent le fer aux Romains. D'après le traité imposé par Porsenna aux Romains, ceux-ci ne devaient pas importer plus de fer qu'il ne leur en fallait pour les besoins de l'agriculture". Cependant, le bronze restait le métal sacré réservé aux cérémonies religieuses. Chez les Étrusques, le périmètre des villes devait être tracé avec un soc d'airain". Le fer, longtemps inconnu dans le Latium, est resté, chez les Romains, proscrit dans toute sorte d'acte religieux, par un préjugé semblable, que l'on retrouve en Grèce" et dont on a signalé les traces dans presque toute l'Europe20. C'est ainsi qu'une loi, attribuée à Numa", ordonnait au Flamen Dialis de se couper la barbe et les cheveux avec un rasoir d'airain, non de fer''. De même, il était interdit absolument et sous peine de profanation d'introduire des instruments de fer dans les enceintes et bois sacrés. Dans le rituel des frères ARVALBS23, se trouve la mention d'une série de sacrifices expiatoires, à l'occasion du fer introduit dans le temple pour graver quelque inscription : « Ob ferrum inlatum in aedem scriplurae causa »; ou remporté hors du temple : « Ob ferrum aede educlum »; ou encore introduit dans un bois sacré pour y couper des arbres FER 1082 FER frappés de la foudre. Dans ce dernier cas, l'expiation est même double : « Operis inchoandi causa, et hujus operis perfecti causa. » Numa passait pour avoir fondé à Rome des collèges d'aerarii, qui ne travaillaient que le bronze et, dans la division qu'il fit de la plèbe en métiers, il n'est pas question de fondeurs de fer (ferrarii)'. Plus tard, l'usage du fer se développa à Rome, et, à mesure que les Romains conquirent le monde, ils mirent en exploitation, comme nous le verrons, les gisements qu'ils trouvèrent, de tous côtés, en Illyrie, en Pannonie, en Mésie, en Gaule, en Espagne et surtout en Norique (c'est-à-dire en Carinthie)2. On importait du fer même de l'Inde et du pays des Parthes. Néanmoins, on peut dire que, pendant toute la durée de l'antiquité, le bronze continua à jouer un rôle essentiel et à être employé souvent pour une foule d'objets, tels que serrures, clefs, couteaux, outils, etc., aujourd'hui fabriqués exclusivement en fer. Pline l'Ancien' nous renseigne sur les usages du fer au Ier siècle ap. J.-C. : « C'est avec le fer, dit-il, que nous labourons la terre, que nous plantons les arbres, que nous taillons les hautains (les plants auxquels on marie la vigne), que nous dressons les vergers, que nous forçons, tous les ans, la vigne à se rajeunir en retranchant les branches décrépites: c'est avec le fer que nous bâtissons les maisons, que nous taillons les pierres, etc. Mais c'est aussi le fer que l'on emploie pour la guerre, pour le meurtre et le brigandage, non seulement de près, mais encore lancé de loin et volant dans les airs, mû, soit par les machines, soit par le bras et souvent aussi empenné. » On a, d'ailleurs, retrouvé, dans toutes les parties de l'empire romain, des objets en fer de toute espèce, armes, outils, instruments d'agriculture, etc., dont on trouvera la description aux articles spéciaux qui les concernent Il a été déjà question, plus haut, de statues en fer forgé, oeuvres d'artistes grecs, comme l'Hercule d'Alcon, à Thèbes; Pline parle, au même endroit', de coupes de fer consacrées dans le temple de Mars Vengeur, à Rome. Dans un autre passage 5, il nous apprend que, pendant longtemps, à Rome, on a, par une mode qui se conserva, même à l'époque du plus grand luxe, porté des anneaux de fer; il était encore d'usage d'envoyer à la fiancée, en cadeau, un anneau de fer qui, même, était sans pierres. Il a été question, ailleurs, du mélange par incrustation sur d'autres métaux [cIIRYSOGRAPRIA]. D'après Pline', on protégeait le fer contre la rouille avec la céruse, le gypse et la poix liquide, « préparation que les Grecs nomment antipathie ». Nous ne ferons que mentionner enfin les idées superstitieuses attachées au fer8. « En traçant un cercle avec le fer autour des adultes ou des enfants, on croyait protéger contre les maléfices. En clouant au seuil des clous arrachés d'un tombeau, on écartait les visions nocturnes. En piquant légèrement, avec un fer qui avait blessé un homme, on guérissait les douleurs subites de côté ou de poitrine, etc. En Gaule, l'usage primitif des métaux a donné lieu, s dans ces dernières années, à de nombreux travaux archéologiques. Nous nous contenterons de rappeler que, parmi les populations primitives de notre sol, les hommes des dolmens comme les hommes des cités lacustre se servaient déjà, au moins huit siècles avant notre ère, de bronze (haches, couteaux, faucilles, épées, poignards lances, flèches, bracelets, etc.), et accessoirement, pour de petits objets, de fers. Puis, à l'âge du bronze prédominant,.a succédé progressivement, et sans d'abord supprimer complètement l'emploi du premier métal, l'usage du fer. C'est ainsi que l'association des deux métaux se rencontre dans certains tumulus funéraires, non dolméniques. On arrive ainsi au premier âge du fer proprement dit, qu'on peut placer vers le vne siècle et que caractérisent les cimetières de Garin (Haute-Garonne), du plateau de Ger (Hautes-Pyrénées), de la forêt de Haguenau (Bas-Rhin). Enfin, vers le vie siècle, se produisit, avec l'arrivée des Celtes et des Gaulois, c'est-à-dire des Aryens, la transformation capitale qui a donné à la Gaule son caractère national et introduit une civilisation nouvelle. Ces Aryens, partis des bords du Pont-Euxin vers le xvie siècle10 et sans doute, à cette époque primitive, encore mal distincts, comme civilisation, des rameaux de la même race qui avaient peuplé la Grèce et l'Italie, puis longtemps arrêtés dans la vallée du Danube (d'où ils firent des incursions vers la Méditerranée), sont les premiers peuples gaulois avec lesquels l'antiquité classique se trouva en contact. Ils se servaient assurément de fer, ainsi que le prouvent les nombreux noms de lieu, intro duits par les Celtes, Germains, etc., avec des mots désignant le fer". Comme confirmation, on a trouvé des couteaux en fer celtiques du u° siècle av. J.-C., ainsi que des traces probables d'exploitations celtiques dans les mines de fer de Norique, de Gaule ou d'Angleterre. Lorsque César envahit la Gaule, il nous apprend 12 que l'industrie du fer était très développée en divers points du pays, notamment chez les Bituriges. Nous possédons, d'ailleurs, aujourd'hui un assez grand nombre d'objets en fer trouvés dans les tumulus gaulois et, de plus, les fouilles de Bibracte, les études de M. Quiquerez, sur les fours du Jura bernois, etc., nous renseignent même, jusqu'à un certain point, sur les conditions de l'industrie métallurgique avant l'occupation romaine. Parmi les objets en fer gaulois, on peut voir, au musée de Saint-Germain, des glaives, des pointes, de lances, des couteaux, des bracelets, des fragments de collier avec traces d'étamage ou d'émaux, des objets de harnachement toujours très soignés, etc. 13 Les fouilles si intéressantes de M. Bulliot, à Bibracte ", ont montré l'existence de toute une population de fondeurs vivant sous la protection de l'oppidum. Ces ouvriers n'extrayaient pas le métal de ses minerais, car les scories résultant de leur travail étaient peu abondantes, mais ils l'élaboraient : on a retrouvé, avec des médailles gauloises, des débris de l'enclume sous laquelle, d'après M. Bulliot, le forgeron se faisait enterrer, des ciseaux pour couper le fer à froid, FER 1083 FER des ténailles, des débris de creusets et même des blocs d'acier qu'on pouvait avoir, dès lors, corroyer, scinder et tremper. A Alise et à Jublains, on a rencontré, de même, des outils de forgeron. Plus tard, après l'occupation romaine, la Gaule participa à la civilisation de l'Italie et l'industrie du fer s'y développa considérablement, comme nous aurons l'occasion de le dire bientôt, en nous occupant des gisements et de la métallurgie'. II. GISEMENTS. Les minerais de fer, utilisés aujourd'hui encore, sont, soit des oxydes (tels que la magnétite, l'oligiste, les hématites rouge et brune plus ou moins hydratées), soit des carbonates. Les anciens, dont les procédés métallurgiques étaient rudimentaires, se sont attaqués de préférence aux minerais riches et aux minerais fusibles. Nous pouvons juger du choix qu'ils faisaient par celui qui s'est pratiqué longtemps dans les pays où l'on a conservé des méthodes analogues aux leurs (bas-foyers de l'Inde, du Japon, de Bornéo, de l'Afrique, forges catalanes, etc.). Parmi les minerais riches utilisés dans l'antiquité, on doit compter les oligistes et magnétites° de l'île d'Elbe, peut-être celles du Piémont. Les hématites brunes, à 50-p. 100 de fer au moins, assez compactes pour être extraites en gros morceaux et d'une nature poreuse, sont celles qui conviennent le mieux aux méthodes de réduction directe du fer employées dans l'antiquité. On a travaillé longtemps sur de semblables minerais dans l'Ariège, en Maine-et-Loire, dans le Berry, etc. Certaines hématites rouges, telle que celle désignée sous le nom de Vena à Bilbao (Provinces.Basques) ont été également recherchées pour leur réductibilité facile. Pline mentionne déjà ces mines de Bilbao (Cantabrie) pour leur grande richesse Enfin, il est certain que les Romains ont exploité, avec activité, des fers carbonatés en Norique (Carinthie) : de préférence, les carbonates manganésifères, et ceux qui se trouvaient, par altération à l'air, colorés plus ou moins vivement en brun ou en jaune, tandis qu'ils rejetaient, dans leurs haldes, les fers spathiques blancs. Ces minerais de Carinthie tiennent, crus, 40 p. 100 de fer et 50 p. 100 après grillage. Peut-être également faut-il considérer comme de la sphérosidérite (Thoneisenstein des Allemands) le minerai désigné par Dioscoride 4 sous le nom de txtrtidç. Il a dû arriver forcément que la recherche des minerais fusibles, altérés et superficiels, aura conduit, au début, à travailler des minerais phosphoreux, donnant par suite un fer cassant. En outre, on sait combien des traces de certaines substances étrangères, telles que le manganèse, le chrome, le titane, etc., peuvent modifier la qualité du métal. Les résultats qu'on obtient aujourd'hui, grâce à l'analyse chimique, par des additions savantes, les anciens ont dû les réaliser en partie par IV. hasard et par tâtonnements, isolant, au moyen de triages, les minerais qui leur procuraient des résultats favorables' ou auxquels ils attribuaient telle ou telle propriété spéciale. Pline nous en donne une idée dans le passage suivant : « Certaines terres ne donnent qu'un fer mou, d'autres un fer cassant, détestable pour les roues et les clous, auxquels le fer mou convient; un autre n'est bon qu'en petits morceaux : on l'emploie pour les clous de caligae, un autre est très sujet à la rouille'. » Malgré ces restrictions, les gisements de fer connus et exploités des anciens ont été, sans conteste, extrêmement nombreux' et les usines rudimentaires, où on élaborait ce métal, très multipliées. Les minerais de fer sont, en effet, des plus abondants et souvent superficiels; en outre, des procédés métallurgiques primitifs, des moyens de transport difficiles, conduisaient à établir une foule de petits centres industriels à proximité des forêts qui donnaient le combustible. C'est ce qui explique, dans nos pays de culture antique, la fréquence des dépôts de scories ferrugineuses, datés, d'une façon plus ou moins précise, par les objets anciens, grecs ou surtout romains, les monnaies, les poteries, etc., qu'on y a trouvés. On ne connaissait guère alors l'équivalent de nos grandes exploitations de fer modernes, de plus en plus centralisées en vue de la réduction des frais généraux, exploitations puissamment outillées et pourvues de nombreux travailleurs, dont, par la nature différente des gisements plus rares et plus profonds, on a eu, dès les premiers temps, pour d'autres métaux, tels que le plomb, le cuivre ou l'or, un certain équivalent. Cependant, à côté des innombrables petites fouilles restreintes et d'une durée éphémère, il a existé, dès l'antiquité, certains grands centres d'exploitation du fer, dont les textes nous font connaître la vieille renommée et dont quelques-uns ont pu, après tant de siècles, continuer à être exploités jusqu'à nos jours. Nous allons en mentionnner quelques-uns, en nous étendant seulement sur deux ou trois exemples plus intéressants'. En Afrique, Strabon cite, d'une façon précise, des gîtes de fer en Nubie, dans l'île de Méroé'. Dans la grande plaine comprise entre la mer Rouge et le Nil", on a trouvé, en bien des points, des restes d'anciens travaux. Enfin, plus loin, dans l'intérieur, à Kordofan", existent encore des mines qui semblent avoir fourni du fer aux Égyptiens. Toute cette région de l'Éthiopie et du Soudan a été considérée comme une source importante de fer chez les Égyptiens; mais ceux-ci tiraient surtout ce métal de la région qui leur fournissait aussi le cuivre, la presqu'île du Sinaï où, tout à fait dans le voisinage de Wadi-Maghara, ainsi qu'à Surabit-el-Khadur, on connaît des travaux, des scories, etc., remontant, d'après les inscriptions gravées sur les rochers, à l'occupation égyptienne 1R. 137 FER 1081 FER En Asie, l'Inde' est riche en minerais de fer et nous savons que le fer et surtout l'acier indou (encore connu sous le nom d'acier de Wootz et devant, peut-être, ses propriétés à des traces de tungstène 2) étaient réputés chez les Grecs 3 et formaient des articles d'exportation4. L'acier de Sérique et celui des Parthes, que Pline considérait comme les meilleurs, venaient aussi de l'intérieur d'Asie. « Ce sont les seuls, dit Pline, où il n'entre que de l'acier, tous les autres sont mélangés d'un fer plus mou 6. » Les Assyriens. qui accumulaient les masses de fer retrouvées à Khorsabad, pouvaient tirer leur fer de là, sans doute aussi de Syrie et de Palestine. En Assyrie même, Layard cite des gîtes de fer à trois jours de Mossoul, dans les monts Tiyari6. Dans l'Asie antérieure, on citait le pays des Chalybes 7, sur le Pont, qui a donné une forme poétique du mot acier en grec, puis en latin : chalybs, chalgbeius 3. La position de ce pays est assez difficile à préciser et il semble que ce peuple chalybe se soit répandu sur tout le Pont, de Trébizonde vers Erzeroum et Kastamouni, c'est-à-dire jusqu'en Arménie et en Paphlagonie 9, mais son rôle dans l'industrie antique du fer a été certainement considérable. Pour les anciens, les Chalybes avaient été les premiers à travailler le fer10. En tout cas, de nombreux textes " montrent que l'industrie du fer occupait une grande partie de ce peuple et nous dépeignent leurs durs travaux, leur habileté comme forgerons. Leurs ouvrages en fer et en acier formaient un article d'exportation considérable et par des ports de la mer Noire, Sinope, Amisos, etc., se répandaient dans le monde entier. Les gisements métallifères 12 sont, d'ailleurs, très nombreux dans toute l'Asie Mineure et, sans doute, appelés à prendre de l'importance le jour où les circonstances politiques le permettront. Plus au nord, vers le Caucase également riche en métaux, Strabon mentionne le pays de Colchide où les mines de fer, d'or et d'argent étaient, selon lui, assez productives pour justifier des expéditions tentées dans le pays '3. Dans le Caucase, on exploite aujourd'hui, à Kiadébek, Akhtala, etc.. d'importantes mines de cuivre ; M. de Morgan i' a trouvé, au voisinage, des sépultures à armes de fer. Dans le Linkoran, en Transcaucasie, les plus anciens dolmens fouillés par lui ne renfermaient, au contraire, que du bronze avec des colliers de cornaline et de porcelaine bleue. Tout conduit à supposer que la région transcaucasienne et le haut cours de l'Euphrate, dans le massif de l'Ararat, ont été (comme le Pamir et l'Altaï, de l'autre côté de la dépression aralo-caspique) un centre métallurgique très ancien. Au contraire, le pays des Scythes, où l'on a aujourd'hui une tendance à chercher le point de départ des peuples aryens, passait, comme il l'est en effet, pour très pauvre en métaux, particulièrement en fer16 En Asie Mineure, il est encore question du fer de Cappa dote 16, d'Anderia en Troade 17. A Chypre, on a retrouvé d'anciennes mines de fer. Tyr, d'après Ézéchiel", était un centre important du commerce du fer et de l'acier. En Palestine et en Phénicie, une montagne, située à la frontière moabite, s'appelait la montagne du Fer. Près des sources du Jourdain, à Hasbeya, on extrait encore un peu de fer19. Dans les mines du Liban, on constate également des travaux anciens, qui recherchaient le minerai facilement fusible en négligeant le reste26 En Grèce même, les mines de fer ont dû être peu nombreuses; on connaît cependant des gisements dans le Péloponnèse au promontoire du Tœnare 21 (près PortoQuaglio); ces gisements, recouverts d'amas de scories, doivent, quoique non mentionnés par les anciens, avoir contribué à la production du fer qui passe pour avoir été assez forte en Laconie ". Le fer du Laurium paraît avoir été méprisé, sans doute parce que la galène argentifère absorbait là toute l'attention. La mine la plus certainement exploitée était en Eubée, près des mines de cuivre (d'après Strabon, on exploitait le fer et le cuivre dans les mêmes travaux 23) ; à Chalcis et fEdepsos en Eubée il y avait, dit Étienne de Byzance, des mines de fer et de cuivre ; « car les Eubéens excellaient à travailler les métaux ». Enfin, Denys le Périégète vante le fer de Béotie comme célèbre dans l'antiquité 2a Dans les îles, Skyros possède du fer chromé et du fer spathique26; Andros et Syros, de l'hématite. Sériphos26 était particulièrement riche en gîtes de fer, que les textes ne mentionnent pas, mais ois l'on voit encore des traces d'importants travaux et qu'on a essayé de nos jours d'utiliser. A Siphnos et Mélos, il existe quelques gîtes de fer, mais dont l'exploitation antique est douteuse. En Italie, nous rencontrons des gisements qui méritent, par leur importance comme par leur intérêt historique, de nous arrêter un peu plus longtemps; ce sont ceux de l'île d'Elbe et tout à côté, sur le continent, ceux du Campigliese toscan 27. L'exploitation de ces mines remonte à la domination étrusque, c'est-à-dire au vine ou xe siècle av. J.-C. On y extrayait, non seulement, du fer mais, en outre, en Toscane, du plomb argentifère, du cuivre et, sans doute, un peu d'étain. A l'île d'Elbe, des amas d'oligiste, avec un peu de magnétite, encore exploités de nos jours, se présentent sur la côte est, à Rio, Vigneria, Terra Nera et Calamita, et sont recouverts par d'énormes accumulations de déblais (gettale) qui remontent à l'antiquité. De nombreux textes anciens sont relatifs à cette île minière que les Grecs nommaient déjà, comme l'île de Lemnos habitée par Vulcain, Aethalia (île brûlée°°) et que Virgile appelle: Ilva... insula, inexhaustis Chalybum generosa metallis29.On a, d'ailleurs, retrouvé, dans les vides produits par l'exploitation, de nombreux outils antiques, qui présentent ce caractère général d'être en fer, tandis que, dans FER 1085 FER d'autres mines très anciennes, en Espagne par exemple, on a commencé par se servir d'outils de bronze. Les minerais furent d'abord fondus dans l'île même, notamment vers Porto Longone où subsistent des amas de scories; puis, sans doute quand le bois vint à manquer, on prit l'habitude de les conduire, sur la côte d'Étrurie voisine', à Populonia, ville industrielle importante2 et centre également des travaux du Campigliese, dont les murs pélasgiques embrassent une étendue considérable et qui partageait, avec Volterra, le droit de battre monnaie pour toute la confédération étrusque «fig. 2953). A l'époque de la deuxième guerre Punique, Popu lonia fournit à Scipion l'Africain tout le fer dont il avait besoin dans son expédition contre Carthage'. II y subsistait des fours du temps de Strabon, quoique la ville même eût été détruite sous la dictature de Sylla, et on les trouve encore mentionnés dans le récit d'un voyageur des derniers temps de l'empire romain, Rutilius Namatianus6 : ce qui explique la véritable montagne de scories de fer, de plus de 600 mètres de long sur 2 mètres de haut, que viennent aujourd'hui battre les eaux de la mer. Dans le Campigliese, on a surtout exploité pour fer les mines du Monte Valerio, dont les minerais siliceux, à 60 et 65 p. 100 de fer, devaient servir, comme addition, pour corriger la gangue argileuse et calcaire des minerais de l'île d'Elbe 6. M. Simonin a fait remarquer que les galeries de mines, taillées là par les Étrusques dans les roches très dures avec la masse et la pointerolle, n'avaient pu être obtenues qu'au moyen d'un fer très aciéreux. En Italie encore7, on a mentionné, comme ayant produit du fer, l'île de Sardaigne, peut-être le district de San Leone', qui a été l'objet de travaux contemporains. En Carinthie (Norique), les mines d'Hüttenberg, Eisenerz, Vordernberg ont, comme celles de l'île d'Elbe, été exploitées, presque sans interruption, depuis l'antiquité et même certainement depuis une époque antérieure à l'occupation romaine'. Il existe là une véritable montagne (Erzberg) de carbonate de fer, le plus souvent un peu manganésifère (2 à 3 p. 100 de protoxyde de manganèse), qui continue à fournir des quantités considérables de minerai. Ce minerai, cru, contient 40 p. 100 de fer; après grillage, il arrive à 50 p. 100. Le fer qu'on en retirait était célèbre dans l'antiquité pour sa dureté et sa ténacité. Pline, distinguant le fer qui doit ses qualités au travail de celui qui, naturellement, est d'une ténacité particulière, désigne, comme tel, le fer préparé dans le pays des Noriques". Ce fer, produit en Carinthie, était exporté dans le nord de l'Italie, à Brescia, etc., pour y être transformé en armes 1t. Des voies militaires, créées par Auguste, desservaient le pays et des colonies romaines s'y établirent: Dans la même région, on a la preuve d'exploitations de fer romaines à Rodernberg (Styrie), à Radmannsdorf en Carniole ", etc. Dans l'Allemagne plus septentrionale, les textes ne mentionnent pas de mines; mais on a trouvé des restes de travaux dans le Palatinat, sur la Lahn supérieure, la Siegi3, etc. Tacite parle de mines de fer dans le pays des Celtes Cotini" (Carpathes). L'Espagne, on le sait, a été dans l'antiquité, dès l'occupation phénicienne et carthaginoise, une région minièré par excellence. Les mines de plomb argentifère de Carthagène, de cuivre d'Huelva, d'étain des Asturies, etc., ont eu une très antique fortune. Le fer également était exploité dans ce pays et les Espagnols, excellents mineurs en général, passaient pour avoir une habileté spéciale dans le travail de ce métal; les armes espagnoles étaient très réputées chez les Romains : en particulier, celles des fabriques de Nova Carthago (Carthagène), Bilbilis, Turiasso, Toletum (Tolède)16, et Pline explique par la nature de l'eau les résultats qu'on y obtenait. En Cantabrie, Peine cite16, au bord de la mer, une montagne, toute de minerai de fer, qui paraît correspondre aux beaux gisements de Bilbao, objet d'une exploitation si intense, de notre temps. Aux environs de l'Escurial (Sierra de Guadarrama), on a retrouvé des amas de scories romaines, d'où l'endroit tira même son nom. Enfin l'on cite encore des mines de fer au nord de l'Ébre, versant sud des Pyrénées 17; sur la côte est, à Dianion, aux environs d'Iléméros Kopeion, etc.'$ En Gaule, les mines de fer étaient nombreuses, comme le prouvent les allusions fréquentes des auteurs anciens à la richesse en fer des Gaulois et à leur habileté d'armuriers". Parmi les principales, on peut noter celles du Berry où l'on exploite encore de nos jours des minerais en grains oolithiques, rassemblés dans des poches superficielles. César fait allusion à ces mines quand il dit que les Bituriges montrèrent, dans les contre-mines du siège d'Avaricum, leur talent connu de mineurs 20. On a, d'ailleurs, retrouvé, dans le Cher, des restes d'exploitations celtiques ou romaines, à l'ouest de Bourges, le long de la vallée du Fouzon, dans la région de Saint-Christophe entre Graçay et Dun-le-Poêlier, etc. Également dans le Cher, on connaît, dans la forêt d'Alogny, des amas considérables de scories, qui renfermaient des poteries romaines et des monnaies de Dioclétien; ces scories, provenant d'un minerai alumineux, retenaient beaucoup d'alumine et il y restait jusqu'à 35 et 40 p. 100 d'oxyde de fer. Dans l'Indre, près de Belabre, on a décou FER 1086 FER vert également des traces d'anciennes mines de fer. Parmi les autres grands gisements de fer exploités aujourd'hui, le principal, celui de Meurthe-et-Moselle, a pu être connu des anciens. Au moins, ont-ils exploité des minerais superficiels du pays, comme le montrent, près de Chavigny, de Ludres et de dessein, des restes de travaux certainement antérieurs au vie siècle, sans doute romains'. Nos beaux gisements des Pyrénées, Rancié, Fillols, etc., ont été également attaqués dès l'antiquité ; à Fillols, on a trouvé une lampe romaine avec des coins. Mentionnons encore Palmesalade dans le Gard', où l'on a rencontré, dans un gîte de sidérose, une masse, une poterie, un bûcher de bois de chêne préparé pour calciner la roche, et de petits fourneaux; Mazenay, en Saône-et-Loire, exploité aujourd'hui par le Creusot; Thostes et Beauregard', où l'on a découvert de nombreuses tranchées, des foyers dont le creuset était en arkose, des tas de scories contenant des médailles, des poteries, des statuettes; Segré, en Maineet-Loire, où des tas de scories étaient à proximité de travaux, d'âge inconnu mais antérieurs à l'usage de la poudre'. Toutes ces mines sont encore en activité actuellement. Près d'Alban, dans le Tarn, les anciens ont exploité, de même, des filons de quartz avec sidérose et hématite; on a trouvé là, dans les travaux, une lampe en terre cuite romaine et des masses de charbon de bois, qui ont fait supposer un abatage au moyen du feu. Quant aux amas de scories et restes de foyers, ils sont innombrables en Gaule; dans le canton de Saulieu, on en a reconnu 38; 21 dans le canton de Semur; 29 dans celui de Précy-sous-Thil (Côte-d'Or)'. Dans la Nièvre et le Bourbonnais, on en rencontre fréquemment. M. Builiot a décrit le foyer de Saint-Aubain-en-Charolais ° ; dans la Loire-Inférieure, à Saint-Molf, près Guérande, on a trouvé des lopins de fer dont nous donnons un exemple (fig. 2954) et qui présentent avec les masses ou bou chardes de Khorsabad (fig. 2955) une analogie que M. Daubrée a signalée; dans l'Eure', près de Bernay, dans le Var, près d'Ampus, on en a décrit également. Enfin, dans la Grande-Bretagne, les anciens citent, d'une façon précise, des mines de fer'. On a, d'ailleurs, constaté de nombreux restes de travaux, auxquels Perey a consacré une étude spéciale'; en particulier dans la forêt de Dean et dans celle de Sussex. Dans la première étaient, au milieu des scories, des monnaies de Trajan; dans la seconde, des monnaies de Néron, Vespasien et Dioclétien, avec des poteries. Il est même à peu près certain que ces gisements étaient exploités avant la conquête romaine, comme le prouvent les scories de fer trouvées avec des flèches en silex et des fragments de verre dans les ruines celtiques de l'Yeavering Bell. César dit que la monnaie des Celtes consistait, en partie, en anneaux de fer ajustés suivant un certain poids et parle également de faux attachées aux essieux de leurs chars de guerre; il ajoute, il est vrai, que la Bretagne produisait peu de fer'°; mais, tandis qu'il mentionne l'airain comme importé de l'étranger (aere utuntur importais), il ne dit rien de semblable pour le fer. Dans tous les gisements du monde ancien, que nous venons de passer en revue, l'exploitation des divers mi nerais de fer (cf)poses pr.rzUct, metalla ferraria) était sou vent intimement reliée à leur métallurgie, dont nous nous occuperons bientôt. L'ensemble des travaux portait le nom de atô 1Poupychu", of/icinae ferrariae ou simplement ferrariae'2, et les ouvriers des mines se nommaient at8rpoupioi13, ferrarii, ferrariari''4. Nous n'avons pas à entrer ici dans les détails de l'exploitation, qui se faisait, comme pour les autres métaux, soit souterrainement (Norique), soit à ciel ouvert (île d'Elbe, etc.) III. Métallurgie et travail du fer. La métallurgie du fer, chez les anciens, se distingue immédiatement, par son principe, de celle qui est partout en usage aujourd'hui. Tandis qu'actuellement on opère toujours par la méthode indirecte, c'est-à-dire que, pour extraire le fer de son oxyde, on passe par un produit intermédiaire, qui est la fonte (ou fer carburé) obtenu dans le hautfourneau, autrefois on extrayait directement le fer, soit dans de simples trous creusés dans le sol, soit dans de petits fourneaux (Wind6 fen) à courant d'air naturel ou soufflés à bras d'homme, soit, plus tard, dans des basfoyers à la catalane soufflés mécaniquement. Les anciens, comme nous l'avons vu, n'ont probablement pas connu la fonte ou, du moins, n'ont su, après l'époque alexandrine, qu'en obtenir de très petits objets par carburation du fer, mais ils préparaient du fer plus ou moins aciéreux et de l'acier proprement dit''. Cette métallurgie ancienne, nous la connaissons, tant par les textes classiques ou les restes de fours, scories, etc., retrouvés que par l'étude des procédés encore appliqués chez certains peuples primitifs, tels que les Hindous, les Japonais, les sauvages de Bornéo, de l'Afrique ou de Madagascar 16 ou simplement par l'examen de la méthode, dite catalane, longtemps perpétuée dans certains pays. Noue allons en résumer les phases principales. Le premier point est de casser et trier le minerai : ce' qui devait se faire avec d'autant plus de soin que les procédés de réduction étaient plus imparfaits; on recherchait, en particulier, en se guidant sur la couleur, les parties les plus riches en fer; dans les Pyrénées, il est arrivé ainsi, pendant longtemps, qu'on a rejeté le carbo FER 1087 FER nate de fer blanc, qui ne semblait pas ferrugineux, pour choisir les parties les plus altérées. Cette préparation mécanique pouvait également comprendre un lavage, mentionné par le Pseudo-Aristote pour le fer des Chas lybes'. Puis on faisait souvent un grillage en tas : à Populonia, en Étrurie, M. Simonin a rencontré, par exemple, un tas de minerai grillé, au voisinage des scories. En Carinthie, nous décrirons un grillage du même genre, qui est, d'ailleurs, mentionné formellement par Diodore 2. fLe grillage achevé, on ajoutait, sans doute, des fondants, de manière à obtenir une scorie de fer très fusible, qu'on pût séparer aisément de la loupe de fer par battage. Cette scorie était, soit un bisilicate de fer si la gangue était siliceuse, soit un silicate d'alumine et de protoxyde de fer si elle était argileuse; dans les deux cas, on perdait, avec cette scorie, une forte proportion du fer contenu; mais l'essentiel était de produire une scorie fusible ; aussi ajoutait-on de la silice, sous une forme quelconque, lorsque le minerai était argileux ou calcaire. Pline indique, d'une façon nette, l'addition de silex, dont nous citerons bientôt un exemple en Carinthie. De même, le Pseudo-Aristote parle de aup(N..«çoç ),(6oç 3: ce qui concorde avec un passage de Théophraste disant que, pour obtenir l'argent, le cuivre ou le fer, on ajoutait aux minerais du 7rupoEi.o 'oç et du esX(nç ),(6oç°, c'est-à-dire, apparem ment, du silex et de la lave. A Populonia, M. Simonin a constaté que les Étrusques mélangeaient, aux minerais trop argileux de l'île d'Elbe, les minerais siliceux du Monte Valerio 5. Enfin, la réduction proprement dite s'est opérée, par perfectionnements successifs, dans des appareils de trois types distincts: simples trous creusés dans le sol, fours à cuve à flanc de coteau, bas-foyers catalans. Mais, avant de passer à la description de ces appareils, nous voulons ajouter quelques renseignements généraux sur le combustible et les soufflets employés. Le combustible était, d'une façon générale, du charbon de bois fait, soit avec du bois de pin, soit avec des racines d'arbrisseaux, comme le papyruse; quelquefois avec du chêne ou du châtaignier, comme à Populonia, où M. Simonin en a trouvé des débris. Par suite de cet emploi prépondérant du bois, les foyers étaient placés de préférence au voisinage des forêts 7 (d'où le nom, persistant au moyen âge, de forges de forêt) ou, dans les régions montagneuses, pour avoir un tirage plus actif. C'est seulement, semble-t-il, au moyen âge, qu'on songe à utiliser les forces hydrauliques en se plaçant près des cours d'eau. En Ligurie et à Élis, près d'Olympie, on employait également des lignites$. Quant à l'emploi des soufflets, il doit dater des origines mêmes dé la métallurgie, dont il constitue un élément essentiel. C'est, en effet, en grande partie, par les perfectionnements apportés dans l'introduction mécanique de l'air, qu'on est arrivé à obtenir les hautes températures nécessaires aux opérations métallurgiques. Nous nous contenterons ici de quelques mots sur l'application du soufflet à la métallurgie 9. Par exemple, la pratique des peuples primitifs peut nous aider à comprendre les textes des auteurs anciens à ce sujet. Dans l'Indeie, les soufflets, employés par les indigènes au travail du fer, consistent, d'ordinaire, en une peau de daim ou de chèvre, enlevée à l'animal en ouvrant la partie postérieure et munie d'une buse en bambou. .En Chine, un autre procédé de soufflage des bas-foyers, où l'on façonne le fer, consiste dans l'emploi d'un cylindre au piston garni de plumes. A Madagascar, on se sert également de cylindres de bois formés de troncs d'arbre évidés, au bout desquels un tube de bambou sert de tuyère et dans lesquels on manoeuvre un piston. Au Japon enfin, M. Sévoz nous a décrite' une soufflerie, où l'air est chassé dans des conduites au moyen de portes en bois articulées sur lesquelles un homme agit par son poids. Chez les anciens, on trouve de fréquentes allusions à l'emploi de soufflets en peaux de bêtes ou en forme d'éventails, notamment dans Homère'= et on les voit aussi figurer sur les monuments [Fouis]. On distingue le soufflet à côté des fourneaux dans plusieurs peintures de vases grecs citées plus loin (fig. 2964). La figure 2956 reproduit l'estampage d'une pierre sépulcrale du musée de Latran à Rome". Passons maintenant à la description des fours en euxmêmes, en commençant par les simples trous creusés dans le sol, dont divers types ont été retrouvés. En 1870, au moment de la construction du chemin de fer d'Ilüttenberg (Carinthie)", on mit à découvert, sous 2 mètres de déblais stratifiés et compacts, deux trous damés en argile, de dimensions différentes, espacés l'un de l'autre de 5 mètres d'axe en axe. Le premier (A) (fig. 2957) avait 1m,50 de diamètre, Om,60 de profondeur; le second (B) 1m,30 de diamètre, 1. mètre de profondeur. FER 1088 FER Le foyer A, qui paraît avoir servi pour un premier grillage de minerai, était rempli de fragments frittés et à demi agglomérés de quartz et de minerai grillé; il ne contenait pas de scorie adhérente. Le foyer B, au contraire, où s'opérait la réduction, était rempli d'une masse de ferà moitié réduit et de scories retenant 50 à 60 p. 100 de fer. Au fond, était une épaisseur d'environ 60 centimètres en argile damée et cuite. Sa paroi, calcinée sur la face représentée à gauche de la coupe, avait dû subir une température élevée, probablement obtenue au moyen d'un soufflet à bras. En a était une aire en ciment. Ce type de foyer est le plus primitif de tous. On devait y charger le minerai de fer avec du charbon et souffler, au moyen de peaux de bêtes adaptées à des tuyères de terre cuite, dont on a retrouvé au voisinage quelques spécimens ayant l'extrémité fondue. Ces tuyères avaient Om,11 de long, Om,025 de diamètre et 011,01 d'épaisseur. Au bout de quelque temps, on obtenait une loupe de fer, mélangée de scories, qu'on soumettait alors à une série de martelages et de réchauffements jusqu'à ce qu'on en eût extrait une petite masse de fer susceptible d'être travaillée'. Des types de fours, également très primitifs (considérés même par certains archéologues comme antérieurs) ont été retrouvés par M. Quiquerez dans le Jura Bernois, et rattachés par lui à l'époque celtique, d'après la nature des objets. Dans cette région, les minerais utilisés étaient surtout des fers en grains sidérolithiques remplissant des poches du calcaire jurassique : on les exploitait notamment entre Boécourt et Montavon, près Vicques, à Chaumont, à l'est de la vallée de Délémont, etc. Les fours, tous placés dans les parties montagneuses, étaient, d'une façon générale, construits en argiles réfractaires provenant du même terrain sidérolithique, qui fournissait le minerai. Le type le plus rudimentaire, comparable aux fours précédents de Carinthie, se composait d'une simple excavation à flanc de coteau, dont le devant était fermé par des argiles réfractaires, consolidées au moyen de quelques pierres; cette cavité était garnie de 10 à 15 centimètres d'argile, le plus souvent blanche, mais passant au rouge par le feu, de façon à constituer un creuset de 011,40 à Om,50 de profondeur; sur la face antérieure, il y avait une ouverture pour l'air : ouverture qui semble avoir été trop petite pour sortir le lopin de fer, car cette face apparaît toujours fortement ébréchée. Le second type, beaucoup plus répandu et un peu plus perfectionné, comprenait un four de 211,50 de haut, de diamètre intérieur très irrégulier variant entre 011,45 et 0111,50 et d'une contenance d'environ 100 litres. D'après M. Quiquerez, pour le construire, on commençait par creuser, dans le flanc du coteau, une fosse d'un diamètre triple de celui du creuset futur; on préparait ensuite ce creuset en damant, au fond, des argiles, plastiques à la base, réfractaires à leur partie supérieure; puis on bâtissait, tout autour, une muraille en argiles sableuses ou siliceuses, peut-être consolidées par quelques bois et contre-butées au dehors par des terres ou des pierres grossières; au sommet, on mettait parfois une couronne en pierres brutes; l'ensemble constituait, en somme, un cône tronqué, soit vertical, soit incliné, comme celui que représente la figure 29582. Dans les' premiers fours, la forme intérieure est très irrégulière souvent évasée en haut, parfois rétrécie à Om,30 audessous du creuset comme aux étalages de nos hautsfourneaux modernes, sans qu'il paraisse permis d'en tirer aucune conclusion théorique. Dans le dernier four, trouvé à Cernetat, près Do mont-sur-Soulte (fig. 2958), A figure la cuve enveloppée d'argiles blanches avec quelques débris de vieux fourneaux ; breprésente des pierres brutes et sans mortier; C, l'entrée de l'air servant en même temps pour le travail et l'écoulement des scories; B, le creuset. La hauteur du four est de 2m,50; le garnissage de la cuve a 011,30 à Om,45; celui du foyer B, garni en gravier, On',15 à 011,20. L'inclinaison de la cuve devait amener le tassement des minerais et du charbon sur la face d'avant et, par suite, laisser, par derrière, une place au courant d'air. Un fait curieux, que M. Quiquerez affirme avoir soigneusement constaté partout, c'est l'absence complète de tout appareil de soufflage; la preuve qu'il en donne, c'est qu'aucune ouverture n'était ménagée pour la tuyère et qu'on ne pouvait se servir, à cet effet, du trou d'entrée d'air où l'on aurait été constamment gêné par le travail. Cependant, le tirage naturel était assez énergique pour que la face opposée à cette entrée de l'air se soit trouvée partout scorifiée. De tels fours étaient alimentés au charbon de bois, et M. Quiquerez a rencontré, près de l'un d'eux, une place de charbon, enfouie sous une couche de tourbe de 8 mètres d'épaisseur, dans laquelle, à 011,60 de profondeur, donc 7m,40 au-dessus du sol primitif, on trouvait des monnaies du xve siècle. La sortie des scories s'opérait avec des ringards en bois, qui ont laissé leur empreinte carbonisée sur quelques-unes d'entre elles. Enfin, l'on peut vérifier que ces fours étaient l'objet de réparations fréquentes, dont les traces sont encore visibles. Des fours du même genre, où l'on a dû, de bonne heure, adapter des soufflets, ont été étudiés en Carinthie, à Populonia (Toscane), etc. En Carinthie, l'un d'eux contenait une urne romaine et, dans les scories aux alentours, a été découverte une médaille de Néron. Ces petits fourneaux avaient également de 111,50 à 2 mètres de haut et environ 1 mètre de diamètre au gueulard. On devait y brûler une masse énorme de charbon de bois (450 à 480 p. 100 en poids du fer obtenu) et ne retirer environ que 50 p. 100 du fer contenu dans le minerai. La figure 2959 8 représente un autre four, trouvé dans l'Erzberg carinthien. La cuve en était cylindrique, la section carrée ou rectangulaire; les parois sont intérieurement en pierre réfractaire et, plus souvent encore, en pisé. Au bas était une sorte de cuve et, au-dessus, un grand trou, qui servait, à la fois, pendant l'opéra FER 1089 FER lion, à produire un courant d'air activé au moyen de tuyère, et à sortir la scorie; it la fin, à extraire la loupe. La hauteur du four, du sol jusqu'au gueulard, était de jm,70 à 2 mètres, le plus grand diamètre de 1 mètre. La marche de l'opération devait être la suivante : dans le fourneau, chauffé par la combustion préalable de charbon de bois, on jetait un mélange de minerai et de combustible ; il se produisait des quantités considérables de scories qu'on faisait couler au dehors; à mesure que le minerai descendait dans le four, on en reversait de nouveau et, peu à peu, il se formait, au bas, une loupe, demi-réduite, demi-affinée, qui pouvait, peut-être, au bout de dix à douze heures, peser de 100 à 150 kilos. On démolissait alors la poitrine et l'on sortait cette masse, qu'il fallait ensuite marteler et purifier par de nombreux récllauffages. Enfin les figures 2960, 2961, 2962 représentent un four trouvé à Dreimühlenborn, sous le château romain de la Saalburg, à Hombourg dans le Taunus 2. Ce four, très analogue à ceux du Jura, mais où l'introduction de l'air soufflé se fait d'une façon un peuplas savante, est également adossé à une colline, avec un trou en avant (fig. 2960 et 2962), pour la sortie de la loupe et de la scorie. La cuve, qu'on a supposée plus large en haut qu'en bas, avait environ 1 mètre de hauteur, 0m,50 de diamètre; elle avait un garnissage d'argile réfractaire de 10 centimètres. Au fond, deux trous (fig. 2961 et 2962) étaient destinés à placer des buses en-terre cuite adaptées à des soufflets en peau : buses dont on a retrouvé, au voisinage, de nombreux spécimens. Le travail se faisait comme dans le four précédemment décrit et nécessitait, de même, plusieurs réchauffements et martelages pour obtenir un fer forgeable de bonne qualité. Des foyers de ce genre ont été décrits par Perey3 comme fonctionnant encore dans l'Inde (Dekkan, Bengale, Carnatic). Ce système est devenu, avec quelques modifications, le procédé catalan qui fonctionnait encore, il y a peu d'années, dans les Pyrénées, dans le nord de l'Espagne, aux environs de Tolède, ainsi qu'en Ligurie, au voisinage de l'île d'Elbe et dont la première idée remonte, très vraisemblablement, à l'antiquité. 11 peut donc y avoir intérêt à en dire quelques mots'. Une forge catalane se compose essentiellement d'un foyer ouvert, d'une soufflerie et d'un lourd marteau. Le minerai est, de préférence, de l'hématite brune pas trop compacte, parfois du fer spathique ; le combustible, du charbon de bois. A l'origine, on se servait de soufflets en peau manoeuvrés à bras; plus tard, à une époque qu'il est impossible de préciser, on a introduit des trompes mues par la force hydraulique. Il serait assez singulier que les anciens n'eussent pas utilisé déjà les chutes d'eau; cependant on n'a de preuves posi tives de leur emploi qu'au moyen âge. Ce foyer catalan(fig.2963), c'est,en somme,le creuset C d'un des fours précédents (fig. 2958) adossé dans l'encoignure d'une halle à deux murailles, l'air étant insufflé au fond par des tuyères bt et les ouvriers soulevant, du bord, la loupe de fer au moyen de leviers, au lieu de la faire sortir par la paroi éventrée. Avec 312 kilos de minerai et 340 kilos de charbon de bois, on obtient, au maximum en six heures, 100 kilos de fer marchand ; on perd, en moyenne, 50 p. 100 de fer. Pour l'opération, on charge du charbon du côté de la tuyère, de manière à obtenir de l'oxyde de carbone et du minerai de l'autre côté. La loupe de fer produite est portée ensuite sous le marteau, où on la débarrasse de sa scorie. Les fours employés dans le travail du fer se nommaient xâttvot, xdavot, camini, fornaces 6. La loupe de fer obtenue s'appelle N.àko, massa'; la scorie excepta, scoria 3. Le travail donne, après plusieurs fusions, une gueuse de fer, ou strictura9, qui constitue le fer forgeable, Daatiestk, rIt rlpoç, nucleus terrif0. Le fer une fois obtenu, il restait à le façonner. Ce travail du fer peut s'opérer par trois méthodes principales : 1° à froid, par martelage, découpage, ciselure, etc.; 2° à. chaud, mais encore à l'état solide, par le procédé de la forge ; 3° par fusion. Nous dirons quelques mots des deux premières méthodes, dont la seconde est de beaucoup la plus importante. La dernière, qui ne s'applique qu'à la fonte" (à peu près, sinon complètement inconnue des anciens), ne nous intéresse pas ici. FER 1090 FER 1° Le travail à froid, adopté pour des métaux tendres ou facilement malléables, est, si l'on n'emploie des machines-outils, assez difficile et pénible pour le fer, que l'on a souvent intérêt à commencer par réchauffer. Cependant, dans bien des circonstances, ainsi quand les pièces présentent des dimensions trop grandes, que leur manoeuvre est difficile, que l'opération à effectuer est simple, ou encore si l'on veut être sûr que l'objet à travailler ne se déformera pas par la chaleur, etc., on opère aujourd'hui à froid, ce que permettent les forces considérables dont on dispose, grâce à la vapeur; c'est ainsi que nos ateliers de travail du fer comprennent des machines à raboter, à cisailler, à percer, à fraiser, etc. Avec la seule force humaine, aidée au besoin de leviers, on travaille, d'ailleurs, souvent au marteau et au ciseau. Chez les anciens, qui s'attaquaient généralement à des pièces assez petites, faciles à placer dans un four, le travail à chaud a dû être particulièrement usité, sauf pour certaines opérations de ciselure et de finissage, et cela d'autant plus que l'on avait peine alors à obtenir des burins en acier bien dur et bien résistant. Au reste, même pour le bronze, nous savons qu'on se servait de la chaleur. Les exemples de ciselure [CAELATIJRA] que nous pourrons citer polir le fer, seront donc peu nombreux. C'est, par exemple, ainsi que l'on gravait au burin les anneaux dits de Samothrace, dont le chaton était en fer enchâssé dans l'or', ou encore les coins sur lesquels on frappait les pièces de bronze [MONETA]. Les incrustations de métaux précieux dans le fer étaient également préparées à froid. Il est probable enfin qu'on a fait, en partie, à froid, avec le ciseau et le marteau, certains objets d'art en fer, comme les statues dont nous avons précédemment parlé. On considère comme ayant été obtenu de même le beau masque du musée de Vienne, également signalé plus haut'. 2° Le travail à chaud par martelage, sur le fer préalablement amené au rouge, est, au contraire, la vraie méthode antique, sur laquelle il convient d'insister. C'est l'oeuvre du forgeron (zaaxeuç ou, plus rarement, ai alpEuç chez les Grecs ; faber ferrarius ou, simplement, ferrarius chez les Romains 3) et l'opération se nommait ntôripEéc:v ou iXe uvety ducere 5. La forge a, du reste, pour but, non seulement de donner au fer une forme déterminée, mais aussi de modifier sa constitution physique, de manière à augmenter sa résistance et son homogénéité. En ce sens, c'était chez les anciens, qui par la réduction métallurgique proprement dite, n'obtenaient qu'un produit très défectueux, une opération absolument capitale ; des réchauffements et martelages réitérés devaient leur être nécessaires pour chasser les restes de scories ou d'oxyde, assembler les molécules du fer et modifier son grain. Dans le travail du forgeron, il y a deux parties, l'une qui consiste à chauffer le fer au degré voulu, ce qu'on reconnaît à la couleur variant du rouge sombre au blanc que prend le métal, l'autre dans laquelle on le maintient avec des pinces sur l'enclume et on lui donne, avec le marteau, le ciseau, etc., la forme voulue. Ces deux opé rations ont été, maintes fois, décrites par les anciens et la seconde, au moins, très fréquemment figurée. Nous allons les examiner tour à tour. Les foyers des forges de maréchaux ont, depuis un temps immémorial, une forme, partout la même, d'ailleurs très simple, qui doit, sans doute, remonter à l'antiquité. Ils consistent en une cavité circulaire creusée dans une plate-forme de brique ou de fonte, elle-même supportée par un dé de pierre ou de brique, cavité destinée à recevoir le combustible avec la pièce à chauffer. Sur un des côtés du carré que représente cette plate-forme, s'élève un mur vertical percé, à la partie inférieure, d'un trou par lequel passe une petite tuyère destinée à lancer, au moyen d'un soufflet, de l'air dans le foyer. En outre, ce mur supporte une hotte formant l'origine de la cheminée par laquelle s'écoule le gaz provenant de la combustion. Cette forme, très analogue à celle des premiers fours de réduction antiques, décrits précédemment, est d'une conception tout à fait élémentaire et se retrouve, avec quelques variantes, chez tous les pe sples primitifs; il serait donc bien extraordinaire qu'elle n'eût pas été adoptée également chez les anciens. Cependant les monuments grecs où l'on croît reconnaître une forge nous présentent un type de four très différent, composé d'une cuve cylindrique, avec une ouverture au pied par devant, un soufflet en peau de bête par derrière et, au sommet, une sorte de vase, sans doute en terre cuite, sur la signification duquel nous aurons à revenir °. C'est là, d'après les savants les plus autorisés, le four du forgeron antique (ymxvoç7, caminus.) Il y a là, à notre avis, un point discutable et qui demande quelque éclaircissement. Deux figures ci-jointes représentent ce même type de four; on peut encore en rapprocher8 la figure 937 de l'article CAELATUTA, d'après un vase, où l'on voit des ouvriers ajustant, puis dressant et finissant au ciseau une statue, qui est incontestablement en bronze. Le four luimême a donc là, et c'est un point à retenir, servi à la fusion du bronze. Le four qui, extérieurement, a, du haut en bas le même diamètre, se recourbe à sa partie supérieure et, sur son orifice, repose le vase dont nous avons parlé, muni d'un couvercle qu'on devait soulever au moyen de l'anneau qui le surmonte. On ne voit aucun appareil de tirage; donc, à moins de supposer (hypothèse que nous aurons à examiner) dans la partie cachée de la figure une sorte d'allonge partant de ce qui nous semble un vase et coudée à angle droit, il faut admettre que les gaz combustibles et les flammes s'échappaient simplement par le pourtour de ce vase mal ajusté sur le four, comme dans certains appareils modernes dont nous parlerons bientôt. La figure 2964 reproduit 3 une peinture de vase à figures noires où l'on a cru voir 10 une forge de fer, mais le sens de cette peinture de vase est, en fait, beaucoup plus douteux. Nous remarquerons d'abord que le four qui, du haut en bas, a extérieurement le même diamètre, et dont la hauteur, s'il faut s'en rapporter à la II~ Rehnue. FER -1091 FER proportion des personnages placés à côté, est d'environ deux mètres' est identique à celui du fondeur de bronze que nous venons de mentionner ; sur son orifice supérieur, on voit, de même, posé un vase, également muni d'un couvercle avec un anneau qui devait aider à le soulever. Ici le vase occupe toute la largeur du four et l'on distingue, au milieu de la hauteur de la cuve en brique, un cerclage. Un soufflet en peau de bête apparaît aussi par derrière. Mais ici il s'agit incontestablement d'une forge; car, à droite, se tient debout le forgeron nu, tenant son marteau, et, devant le four, un peu à gauche, on aperçoit l'enclume. Au mur sont suspendus deux pinces, un marteau, une sorte de cognée pour couper le métal et un autre instrument tranchant terminé en biseau. Assis, comme dans la figure précédemment citée, (ce qui est peu conforme aux habitudes de travail actuelles), un second forgeron tient, de la main droite, une pince, avec laquelle il supporte une loupe de métal et, de sa main gauche levée, s'abrite contre la chaleur. On remarquera, comme détails, autour de l'ouverture du foyer, un demi-cercle, probablement en métal, et, à la base de cette ouverture, à gauche, une barre sur laquelle l'ouvrier peut prendre un point d'appui pour soulever la loupe. Dans l'ouverture même, on aperçoit les charbons et, sur la droite, une échancrure avec un trait incliné, indiquant une rigole pour l'écoulement des scories, ou peut-être du métal. Enfin, sur la figure 2965 tirée également d'un vase à figures noires2, aujourd'hui détruit, nous retrouvons, encore une fois, le même appareil, avec le même vase, ici débordant sur le four; à gauche on voit un forgeron nu tenant un marteau à tranchant. Le reste de la peinture représente, sans doute, une scène mythique, sur le sujet de laquelle on n'est pas d'accord3. Le rapprochement de ces diverses figures montre que l'objet, quel qu'il soit, surmontant le four, jouait, dans l'opération, un rôle essentiel et rend bien peu vraisemblable qu'il s'agisse là d'une allonge coudée, dont on n'aurait jamais montré que le devant. C'est bien un vase avec son couvercle et nous ne voyons dès lors, si l'on tient à ce que ces figures représentent réellement le travail du fer, aucun moyen bien satisfaisant d'en expliquer l'usage, à moins peut-être qu'il ne s'agisse d'un creuset de chargement ayant joué un rôle analogue à celui du creu IV. set décrit plus hauts comme utilisé par certaines peuplades africaines. Mais, chez celles-ci, le creuset n'est pas placé sur un four à cuve et réciproquement, lorsqu'on adopte le four à cuve, on a peu d'avantage à le surmonter d'un creuset : il y a là une sorte de double emploi. Au contraire, si l'on suppose qu'il s'agit d'un métal fusible comme le cuivre, on peut admettre qu'on y chargeait des fragments de métal à refondre, pour les recueillir à la base, par un moyen quelconque. L'appareil aurait été alors très analogue à celui qu'a récemment introduit dans l'industrie M. Piat pour la refonte du cuivre et dont nous reproduisons une coupe théorique (fig. 2966). Dans cet appareil, une rehausse en terre réfractaire, percée au fond d'un trou circulaire et munie de plusieurs ouvertures à hauteur convenable sur le pourtour, repose sur l'orifice supérieur d'un four cylindrique en laissant un vide a pour l'échappement des flammes. On place, dans ce creuset, les débris de cuivre ou de bronze, qui, après fusion, viennent s'assembler dans le creuset situé à la base entouré de combustible. Audessous est un cendrier. L'air, arrivant sous pression et forcé de s'échapper par un orifice étroit autour de la rehausse, y forme chalumeau et donne, par suite, une fusion très rapide. La principale objection que l'on puisse faire à cette hypothèse, c'est que le travail du cuivre et du bronze devait se faire rarement par forgeage à chaud; cependant, nous savons que, pour la frappe des monnaies notamment, on se servait parfois de la chaleur. En outre, rien n'indique l'existence d'un creuset intérieur analogue à celui du four Piat. Suivant nous, on devait, dans l'appareil en question, commencer par refondre des débris de cuivre, que l'on faisait probablement couler par la rigole située au pied du four, de façon à obtenir un premier 138 FER 1092 FER lingot brut; puis ce lingot était réchauffé (subissait peutêtre, en même temps, un certain affinage) et passait de là sous le marteau pour recevoir sa première forme. L'attitude du forgeron assis nous paraît être beaucoup plutôt celle d'un homme qui expose le lopin métallique, pendant quelque temps, à la chaleur, en appuyant le bout de sa pince sur la bordure de fer de l'ouverture que celle d'un ouvrier qui retire ce lopin avec effort ; dans ce dernier cas, il semble qu'il devrait être debout et se servir de ses deux mains. Cependant (et c'est pourquoi nous avons insisté sur ce point) il ne serait pas impossible, à la rigueur, si le four avait réellement servi pour le fer, que le vase supérieur fût, comme nous l'avons dit, une sorte de caisse de chargement, où l'on aurait mis les minerais cassés avec des fondants, pour recueillir au bas la loupe de fer, la rigole latérale servant donc uniquement à l'écoulement des scories; ce serait alors un four analogue à celui dont on avait l'habitude pour le bronze qu'on aurait également appliqué au travail du fer. Quant au véritable foyer du forgeur de fer, nous l'avons vu déjà dans la figure 2956 tirée d'un tombeau de l'époque chrétienne, nous le retrouvons dans les représentations de la forge de Vulcain, notamment sur un célèbre sarcophage du musée du Capitole' (fig. 2967); nous l'apercevons encore (malheureusement d'une façon bien confuse), dans une peinture de Pompéi «fig. 2968) où l'on distingue derrière l'enclume posée sur un rocher, les flammes s'échappant d'un foyer ouvert, sans doute analogue à celui qu'on emploie aujourd'hui. A droite, sont deux cyclopes nus forgeant; à gauche, est assis un jeune homme, que l'on a supposé être Vulcain, tenant, avec une pince, la pièce à forger et, de la main droite, levant un marteau. Au fond, sont des objets très effacés dans la peinture. Pour le travail de la forge, nous possédons une représentation beaucoup plus ancienne sur un vase grec à figures noires (fig. 2969)3. Ici, on n'aperçoit du four qu'une portion sur la gauche. Ce four, dont d'autres peintures' permettent de s'expliquer la disposition, est bas et recouvert d'une calotte conique. Derrière lui, un premier forgeron qui, ici encore, comme dans toutes les figures précédentes, est assis, mais qui fait, en pliant le genou droit, un mouvement en avant, tient, avec une pince, la pièce de fer sur l'enclume. En face de lui, ml autre ouvrier brandit, au-dessus de sa tête, un marteau. Entre eux, on aperçoit, par terre, un marteau et une pince. Derrière eux, à droite, sont assis deux hommes, tenant des bâtons, qu'on a supposés être des visiteurs de la forge 6. Enfin, au mur, sont accrochés divers objets, la tunique d'un des forgerons, des marteaux de diverses formes, une scie, un glaive dans son fourreau, un couteau, peut-être un foret, et une eenochoé, destinée sans doute à rafraîchir les ouvriers. Nous avons là tous les outils caractéristiques du forgeron, que nous retrouvons sur un grand nombre de monuments grecs ou romains 6. Celui que reproduit la figure 2970 appartient à la Gaule; il représente un cippe funéraire du musée de Sens 7. Nous renvoyons, pour chaque espèce d'outil, à l'article qui le concerne [MALLEUS, INCUS, FORCEPS, etc.]. Dans le travail de la forge, le frappeur commence par frapper, à coups réguliers, avec un marteau à deux mains FER 1 093 FER (voy. fig. 2967-2969) sur la barre de fer, que le forgeron retourne alternativement sur ses deux faces. Quand le métal a été régularisé et aplati, il est façonné avec des marteaux plus petits en profitant, au besoin, des pointes et des courbures de l'enclume pour obtenir la forme voulue; ou encore, en forgeant à plat sur la surface unie de l'enclume (serpes, faucilles, etc.) Lorsque la pièce commence à se.refroidir, on la réchauffe à nouveau. La soudure s'obtient, soit en raccordant deux bouts taillés en biseau, soit en appliquant deux lames l'une sur l'autre, après avoir porté au degré de chaleur qu'on appelle la chaleur suante. Sans insister davantage, nous donnerons seulement quelques dénominations usitées, dans l'antiquité, pour les divers ouvriers travaillant le fer'. En premier lieu, il faut citer ceux qui forgeaient les armes, non seulement en fer, mais en tout autre métal'. Le nom général de cette fabrication était bsrxo7roiia ou qui s'y livraient, Ô77),o7roto(5 ou FABRI et fabricenses6. Parmi ces ouvriers, il faut distinguer les fabricants de (Owpaxo7.otol, loricarii , clibanarii9) ; de boucliers (âa7rispatharii11); de lances (),oyxo7rotoi, hastariil2); d'armes de jet (e),o7roto(, sagittarii, ballistarii 13). Comme ouvriers travaillant le fer, nous avons encore ceux qui font des outils de toute espèce ( ferramentarii"), les fabricants de faux (ôpEravo7roto(, falcarii15), de haches et de cognées (dolabrarii 16), de couteaux (Izz atpo7;oto(, cultrarii17), de clefs et de serrures (xEtôoaoto( ou xxEtepoaoto(, claustrarii, clavicarii18), de clous (l),oxd7rot, clavariif9), d'aiguilles (acuarii20), etc. Dans tout ce qui a été dit jusqu'ici de l'élaboration du métal, il a été question, en général, du fer proprement dit; il nous reste à parler de l'acier, qui a été certainement connu dès les temps les plus reculés, et que les Grecs nommaient )w (chalybs) ou, à cause de sa dureté, âôâN..ag (l'indomptable 21), ou encore aTdEl.w[àta; les Latins acies et, poétiquement, chalybs 22 Quand même on n'aurait pas, pour s'en assurer, les textes des auteurs anciens, il suffirait, pour soupçonner la connaissance de l'acier dans l'antiquité, de songer que les méthodes de fabrication du fer précédemment décrites devaient nécessairement donner du fer plus ou moins chargé de carbone, plus ou moins aciéreux. Une observation élémentaire a dû faire reconnaître bientôt la dureté plus grande de certaines parties du fer, dureté encore exagérée par la trempe à l'eau ou à l'huile : d'où l'idée de trier ces morceaux durs des loupes de fer brutes, comme le font encore les Japonais, de les rassembler sous le marteau par ces forges indéfiniment répétées (qui étaient jadis le principal procédé métallurgique) et d'obtenir ainsi directement de l'acier. Il semble résulter d'un passage de Plutarque23 que les Celtibères s'aidaient, dans ce triage, de l'action de la rouille, plus forte sur les parties ferreuses que sur les parties aciérés et, à cet effet, enfouissaient des morceaux de fer en terre, pendant plusieurs années, pour façonner ensuite en armes les fragments non attaqués. Le fait même de l'enfouissement a été affirmé par Diodore et Plutarque ; quant à l'explication que nous en donnons avec Blümner, elle tire quelque vraisemblance d'une observation de Swedenborg'', d'après laquelle les Japonais, chez lesquels il faut toujours chercher des points de comparaison pour les procédés techniques anciens, auraient encore des pratiques semblables. Il est certain qu'avec de vieilles armes rouillées, nos armuriers façonnent parfois des objets d'un acier excellent. Peut-être aussi, a-t-on, de bonne heure, trouvé la méthode de la cémentation, qui consiste, en principe, à incorporer dans le fer le carbone nécessaire pour le transformer en acier, en le chauffant longtemps avec des substances carburées, soit du charbon en poudre, soit de vieux cuirs, des écorces de bois, etc. Cet acier, toujours d'assez mauvaise qualité, est rendu plus homogène par le corroyage, c'est-à-dire en soudant et martelant ensemble un certain nombre de fragments d'acier cémentée'. Une méthode de ce genre était adoptée par les Indous 26 pour la fabrication de l'acier, célèbre sous le nous de wootz, qui correspond peut-être à l'acier des Indes déjà recherché par les Romains; elle consiste à chauffer, dans un creuset d'argile, une petite loupe de fer avec des tiges de cassia auriculata pendant quatre heures. L'acier une fois obtenu, on a eu, de très bonne heure, l'idée de le tremper 27. C'est l'opération désignée par les mots (3z75TEty, (3atp-il, tinguere, restinguere, temperare. Elle est décrite, à diverses reprises, dans Homère28, en parti culier dans le passage suivant: «... de même que, lorsqu'un homme, adonné au travail des métaux, plonge, dans l'eau froide, une grande hache ou une cognée qui siffle avec violence, lui communiquant une vertu particulière (car c'est encore une nouvelle force pour le fer lui-même). » On retrouve la même comparaison dans Virgile, dans Ovide, dans Lucrèce, etc.'. Pline, également, décrit la trempe et attribue à certaines vertus de l'eau les qualités spéciales de quelques aciers réputés, comme ceux de Bilbilis et Turiasson en Espagne, de Côme en Italie. « Pour aiguiser, dit-il, il vaut mieux tremper dans l'huile que dans l'eau; l'huile rend le tranchant plus fin. » Et cette habitude de tremper dans l'huile de petits objets, aiguilles, etc., nous est également confirmée par d'autres auteurs 2. On sait, d'ailleurs, aujourd'hui que, suivant la nature du bain liquide où s'opère la trempe, on obtient des résultats différents et c'est par des artifices déduits de cette observation qu'on arrive à donner aux plus grosses pièces pour blindage des qualités toutes spéciales.