Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article AGORA

AGORA ('Ayop«). Ce mot désignait chez les Grecs le lieu affecté aux achats et aux ventes qui avaient pour objet les produits du sol, de la chasse, de la pêche et même de l'industrie. L'agora servit aussi, au moins dans beaucoup de villes, de lieu de réunion pour les délibérations politiques. C'est ce qui explique comment le même mot a pu être employé pour exprimer deux idées très-différentes : l'idée d'un marché et celle d'une assemblée. Il est vrai que, dans quelques pays, en Thessalie notamment, il y avait une place spéciale pour les réunions des citoyens et une autre pour les marchés et les ventes ; la première était la place de la Liberté (iXauOipa (iyopd) ; la seconde, le marché proprement dit '. La séparation exista aussi à Sparte dès l'origine, en vertu desinstitutions de Lycurgue, qui tenait à ce que rien ne vînt distraire les citoyens des questions qui leur étaient soumises ' ; or, le voisinage des AGO 154 AGO marchands eût été une cause de trouble pour les délibérations. A Athènes, lorsque le commerce eut pris de grands développements et absorba l'agora presque tout entière, en môme temps que le nombre des citoyens mêlés à la politique devenait de plus en plus considérable, l'assemblée du peuple abandonna l'agora pour le Pnyx ou le théâtre de Bacchus. Mais l'agora servit encore quelquefois de lieu de réunion, notamment lorsque les Athéniens étaient convoqués pour voter sur l'ostracisme 3. En dehors des cas principaux que nous venons de citer, la distinction du marché et du lieu d'assemblée était un fait très-exceptionnel. I. On n'aurait pas une idée exacte de l'agora des grandes villes grecques, si on se la représentait sous la forme d'une place plus ou moins régulière occupée par des marchands qui y vendent les objets de leur commerce. A Athènes, par exemple, on trouvait dans l'agora des édifices d'une grande importance, le palais du sénat ((301.)aruTo ptov), un cer tain nombre de tribunaux et de temples ; on y voyait ces belles allées de platanes et de peupliers que Cimon avait fait planter ; là étaient aussi les statues des héros éponymes, dont le piédestal recevait certaines affiches prescrites par la loi, et la tribune où montait le héraut pour les proclamations et les adjudications. C'était au milieu de tous ces édifices et autour d'eux que se groupaient les différentes espèces de marchands. Pour que les acheteurs pussent se diriger facilement dans un pareil dédale, il y avait des quartiers spécialement affectés à chaque genre de produits, quartiers que la nouvelle comédie désignait sous le nom de xuxaot''. Chaque quartier portait, comme nom spécial, le nom de la marchandise qu'on était certain d'y rencontrer. On allait au poisson (si: Toè4nv) 5, au fromage blanc (ais 'n i ;(,)tmpv Les marchands étaient installés, les uns en plein air, d'autres sous de modestes tentes d'étoffe, d'autres dans de petites boutiques mobiles, faites de clayonnages ou de roseaux 3. Quelques-uns avaient de véritables magasins. Des ateliers de toutes sortes étaient établis dans le voisinage et finissaient par se confondre avec l'agora. Sur la place même, assis devant leurs comptoirs (Tpa7csaf), se tenaient les banquiers on trapézites. A peu de distance stationnaient les hommes libres ou esclaves qui voulaient louer leurs services. On trouvait des cuisiniers aux ;anus psitt, et des journaliers sur le monticule de Ko),o,vs ciyopaioç, d'où leur était venu le nom dexotmvèTat 3. Cette description suffira pour donner une idée de l'importance de l'agora. C'était en quelque sorte une petite ville dans la grande, la ville commerciale juxtaposée à la ville politique. Quelquefois les cités firent construire des bâtiments spéciaux pour les marchés. A. Athènes, par exemple, Périclès fit élever une halle pour la vente des farines (OefaTOrôi),tç croc') 10. A Mégalopolis, Pausanias vit une halle établie pour la vente des parfums 11. Dans quelques régions enfin, surtout en Asie Mineure, on trouvait déjà de véritables bazars que les périégètes opposent aux magasins, distincts les uns des autres et séparés par de petites rues, caractéristiques de la primitive ordonnance des marchés'. C'était surtout pendant la matinée que l'agora présentait un aspect animé (7•:)ni0ovaa âyopx, 7a'06Spil yopaç). Nonseulement on y trouvait une foule de vendeurs et d'acheteurs venus de tous les pays, mais encore les citoyens y affluaient, les uns pour aller au Pnyx, d'autres pour siéger dans les tribunaux, quelques-uns pour plaider, beaucoup attirés par le désir d'apprendre les nouvelles, dont les Athéniens étaient si avides. Il ne faut pas croire cependant que le marché fût désert dans l'après-midi r3. Ou était assuré d'y trouver à toute heure les désoeuvrés d'Athènes, et ils étaient fort nombreux ; ils allaient de boutique en boutique, surtout chez les barbiers, les parfumeurs et les armuriers, et y conversaient avec leurs amis. La moralité des jeunes gens qui fréquentaient l'agora était suspecte 1b; mais, pour un homme fait, c'était presque une mauvaise note que de s'abstenir de paraître dans tous ces lieux de réunion 1'. Les femmes libres qui se respectaient n'allaient jamais au marché ; elles n'y envoyaient pas môme habituellement les femmes attachées à leur service 16. C'était le mari luimême qui, s'il ne jugeait pas à propos de se décharger de ce soin sur un de ses esclaves que l'on appelait alors l'ayopaeTiti;17, achetait les provisions nécessaires à la famille, et les faisait ensuite transporter dans sa maison par un commissionnaire (7SpoôvEtxoç) I8 Il n'était pas rare de voir un soldat en grande tenue marchandant des sardines ou des figues, et l'on pouvait, à la rigueur, rencontrer, comme Lysistrata, des officiers de cavalerie qui portaient gravement une purée de légumes dans leur casque 19. Théophraste 2p et Pollux 21 mentionnent, il est vrai, l'yopâ yuvutxuia, le marché des femmes ; mais ces mots doivent être entendus, ou bien d'une partie spéciale du marché où l'on vendait des objets exclusivement destinés aux femmes, ou bien de quartiers où le commerce était fait surtout par les femmes, marchandes de pain, de légumes ou de fruits. Pour la vente de certains objets, il y avait des règlements de police analogues à ceux que nous voyons encore en vigueur et les AGORANOMOI étaient chargés de les faire respecter. Ainsi, le marché aux poissons ne pouvait commencer que lorsqu'une cloche en avait donné le signa'. Mais nous croyons qu'il faut se défier de certaines lois que l'on trouve dans les poëtes comiques et qui offrent peu de ga l ranties d'authenticité : défense aux poissonniers d'arroser les poissons exposés en vente et de leur donner ainsi une fraîcheur apparente 23; défense aux vendeurs de rien diminuer du prix qu'ils ont d'abord demandé aux acheteurs', etc... Il ne serait pas impossible que ces prétendues lois fussent seulement une critique d'innovations plus ou moins contestables proposées par les philosophes, notamment par Platon"° Afin de faciliter les relations internationales, quelques peuples établirent, de très-bonne heure, des marchés sur leurs frontières. Leurs voisins pouvaient, sans trop se déplacer, y échanger leurs produits. On donna à ces marchés le nom d'ipoplx «yop28. Mais les progrès de la civilisation les firent peu à peu abandonner". II. Nous avons dit que l'agora servait, dans la plupart des villes, de lieu de réunion pour l'assemblée du peuple. AGO A l'époque classique, cette assemblée portait le nom d'ExxÀI,sia ; mais, à l'origine, non-seulement à Athènes28 et en Crète29, mais encore dans presque toute la Grèce, le mot agora flet employé pour désigner l'assemblée elle-même. Nous renvoyons au mot ECCLESIA ce qui concerne l'époque classique; nous devons nous borner à décrire ici, d'après Homère, les anciennes «ripai. Pour le poète, et probablement pour ses contemporains, il n'y avait pas d'État possible sans «yopci. Même chez des anthropophages, tels que les Lestrygons, on voit le roiprésider l'assemblée30. Il faut aller jusque chez les Cyclopes pour trouver un peuple sans agora, sans sénat et sans lois31. Nous allons pourtant reconnaître que cette institution était loin de donner toutes les garanties qui, dans nos idées modernes, s'attachent à l'intervention du peuple dans le pouvoir de l'État. L'agora se différenciait du sénat (;30),x) en ce que le sénat, réunion aristocratique, était composé exclusivement du roi et des citoyens les plus illustres, tandis que tous les citoyens faisaient partie de l'assemblée. Mais, d'après l'opinion générale, le rôle de cette dernière était assez ef facé. Le prince et les sénateurs (yÉpovTEÇ, (ioa),EuTal, (iovÀr,yépot) prenaient seuls une part active aux délibérations. Le peuple était appelé plutôt comme témoin qu'à un autre titre. On le réunissait pour qu'il eût connaissance des résolutions adoptées par les grands 32. M. Friedreich" a soutenu, il est vrai, que les simples citoyens occupaient dans l'agora une place moins modeste, qu'ils pouvaient parler, délibérer et voter. On pourrait invoquer en faveur de cette opinion le discours que Thersite prononce dans l'assemblée relative à la levée du siége de Troie34, et les manifestations bruyantes par lesquelles l'armée et le peuple témoignent leurs préférences ou leurs antipathies. Mais ce qui prouve, à notre avis, que Thersite prit illégalement. la parole, c'est non-seulement la colère d'Ulysse et la violente correction que reçoit l'orateur; c'est surtout l'approbation unanime de la foule qui se déclare tout entière pour le roi d'Ithaque et qui ne voit dans Thersite qu'un personnage insolent et grossier (?,tnggT7jpa i7IEG-eaov Quant aux démonstrations plus ou moins sympathiques de la foule, démonstrations toujours comprimées par les hérauts, il ne faut pas y attacher un grand poids, et elles ne contredisent pas l'opinion générale; des témoins, des spectateurs, peuvent manifester leurs sentiments sans qu'on soit en droit d'en conclure qu'ils sont admis à délibérer. Ce qui serait important, ce serait de montrer que le peuple était appelé à voter et à rendre des décrets. Mais l'Iliade et l'Odyssée n'en offrent pas un seul exemple. Lorsque Agamemnon annonce à l'agora qu'il n'espère plus s'emparer de Troie et qu'il faut retourner en Grèce, aucun membre de l'assemblée ne réclame la parole, tous se dispersent sans qu'un seul ose montrer la gravité d'une telle détermination, et ils vont aussitôt faire les préparatifs du départ. Bien plus, lors même que la foule indique, par ses murmures, des sympathies contraires à celles du chef, celui-ci ne se croit pas obligé d'en tenir compte 36. Un passage, que M. Friedreich a invoqué, n'est rien moins que décisif en sa 52 faveur et se retourne même contre lui : à l'agora, une grande foule est rassemblée ; on y juge un litige ; le peuple prend parti pour l'un ou pour l'autre des plaideurs et manifeste ses préférences; les hérauts lui imposent silence, et les ' povTEÇ seuls rendent le jugement37. Ce qui nous frappe toutefois dans l'Odyssée, c'est l'apparition, bien faible encore, de l'idée que la démocratie pourrait servir de frein aux excès de pouvoir des grands. Télémaque cherche à expulser les pré tendants du palais de son père ; il se décide à convoquer l'agora ; ses ennemis interviennent et ordonnent aux citoyens de se disperser et de retourner à leurs travaux; tous obéissent sans faire la moindre observation. Seul, le sage Mentor a s'indigne contre cette foule qui siége sans rien dire, et qui, nombreuse comme elle l'est, ne réprime pas, au moins par des paroles, le petit nombre des prétendants38. U Mais les assistants trouvent ce langage révolutionnaire et insensé. L'agora se réunissait sur l'ordre du prince. Lui seul pouvait régulièrement la convoquer. Voilà pourquoi vingt ans s'écoulèrent après le départ d'Ulysse, sans qu'il y eût d'assemblée à Ithaque39. Lorsque enfin, pour se débarrasser de ses mortels adversaires, Télémaque se décide à réunir ses concitoyens, les vieillards s'en étonnent et se demandent ce qui peut motiver un acte aussi insolite. Une réunion spontanée du peuple à la suite d'un grave événement, tel que le massacre des prétendants", une convocation par un chef subalterne, tel qu'Achille, soumis aux ordres d'Agamemnon", sont des laits très-exceptionnels. Le peuple était rassemblé par un héraut qui parcourait la ville, abordait les citoyens, et les invitait à se rendre à l'agora'. Le roi et les nobles occupaient des places d'honneur sur des bancs de pierre ; la foule était disséminée par terre autour d'eux. C'était le roi qui présidait l'assemblée. L'orateur qui voulait prononcer un discours recevait des mains du héraut un bâton ou sceptre, signe de la magistrature momentanée dont il était investi en obtenant l'honneur de prendre la parole et de donner des conseils à ceux qui l'entouraient. Nous avons vu que les nobles seuls pouvaient obtenir ce sceptre. Souvent, avant de paraître dans l'assemblée, ils avaient une réunion préparatoire, dans laquelle ils arrêtaient les discours qu'ils prononceraient en public 43. Lorsque le peuple avait reçu les communications pour lesquelles il avait été rassemblé, le président levait la séance en ordonnant aux citoyens d'aller vaquer à leurs affaires. III. Nous ferons remarquer, en terminant, que les Athéniens, à l'époque classique, donnaient encore le nom d'agora aux réunions des tribus44 et des dèmes : 'Ayop«• cuvoptov puaETwv ûpnoTif1v'". La réunion ordinaire s'appelait mosthène nomme aussi agora l'assemblée des archontes : IV. Ce qui a été dit précédemment de l'agora servant soit de lieu d'assemblée pour le peuple, soit de marché pour la cité, nous aidera à comprendre les indications que l'on peut tirer des auteurs anciens ou des découvertes des voyageurs modernes sur ses dispositions architecturales. -AGO 1 AGO -1.53 AGO Homère, décrivant le bouclier d'Achille, nous montre le peuple assemblé à l'agora et les vieillards assis sur des bancs circulaires en pierre bien polie'. Il y a aussi dans la ville des Phéaciens, près d'un beau temple de Neptune, une agora voisine du port, pavée de pierres énormes habilement ajustées; Alcinoüs y conduit Ulysse; ils entrent et se placent l'un près de I'autre sur des pierres polies, qui paraissent être des places distinctes, réservées aux chefs (âyopa( L'agora de ces temps primitifs dut être simplement un espace découvert, entouré et rempli de boutiques et d'échoppes de marchands. Plus tard, avec le développement de la civilisation, du commerce et des arts, des portiques (atoai) plus ou moins décorés offrirent un abri aux commerçants et aux citoyens réunis pour s'entretenir des affaires du jour et de celles de la cité. Le mot qui les désigne est quelquefois employé comme l'équivalent de place ou de marché' ; des siéges, des monuments honorifiques, des fontaines et des plantations , les temples surtout et les autels des dieux qui en étaient les protecteurs (âvopxtot OE01), les tribunaux et d'autres édifices publics, groupés à l'entour, donnèrent au point central du commerce et des affaires un caractère monumental et grandiose. Et il en fut ainsi dans les plus petites villes. Pausanias le démontre en décrivant les agoras de Méthana en Troezénie de Gythium en Laconie', de Coronée en Messénie', de Tégée en Arcadie7, et quand il énumère les temples, les statues des dieux, les autels, les cippes et les monuments qui les décoraient. « A Athènes, nous dit M. Perrot', les assemblées paraissent s'être tenues d'abord dans la vallée qui se creuse à l'ouest de la citadelle, dans l'espace que laissent entre elles les collines du Musée, de l'Acropole, de l'Aréopage et celle où l'on cherche ordinairement le Pnyx. Centre primitif de la cité naissante, cette vaste place fut ornée d'arbres par Cimon, le vainqueur des Perses. Peu à peu, cette place s'entoura de nombreux édifices; c'était là que s'ouvraient au public le palais du Sénat (oU)tEUT7jptcv) et la plupart des tribunaux ; c'était là aussi que se trouvaient réunies, comme aujourd'hui dans toutes les villes de l'Orient, les boutiques où s'achetaient les objets de toute sorte nécessaires à la vie; c'était là que la foule se pressait devant les comptoirs des changeurs et les échoppes des barbiers. L'agora resta pour Athènes ce qu'était le Forum pour la ville aux sept collines, l'endroit où l'on se trouvait sans cesse ramené par la curiosité, par la politique, par les affaires, le point vers lequel affluait toute la vie; pour tout dire en un mot, ce fut toujours le coeur même de cité. Mais à mesure que se développaient le commerce et l'activité d'Athènes, cette place s'encombrait de plus en plus. Il fallait pourtant avoir un espace libre et commode pour les assemblées. C'est à cette fin que fut préparée une enceinte qu'on appelait le Pnyx, où se tenaient les assemblées ordinaires. n Ceci est l'agora ancienne, que Pausanias indique, mais ne décrit pas d'une manière précise dans les nombreux chapitres qu'il a consacrés au quartier qu'on appelait le Céramique'. On comprend cependant que des portiques décorés de peintures, de monuments nombreux, des 1. temples, des statues, entre autres celle en bronze de N1ercure agoréen, ornaient cette place et la rendaient digne de la première cité grecque10. L'autre agora aurait existé au nord de l'Acropole, dans le quartier appelé Eretria. Le portique dorique, construit à l'époque d'Auguste et qui existe encore, aurait été une de ses entrées-'. Sur un des pieds-droits de la porte on lit une longue inscription contenant un édit d'Hadrien relatif aux droits à percevoir sur les olives et les huiles. H faut lire dans Pausanias la description de l'agora de Mégalopolis", de celles de Corinthe13, de Messène", d'Élatée", pour mesurer l'importance que les Grecs attachaient à la décoration de leurs places publiques, et pour bien comprendre la fierté avec laquelle Eschine s'écriait dans sa harangue contre Ctésiphon : « Les monuments de toutes nos belles actions sont dans l'agora. » L'agora de Sparte, d'après le môme auteur, était considérable. Les Lacédémoniens, dit-il, ont à Sparte une place publique « qui mérite d'être vue". » Et il énumère tous les monuments qui la décorent. Ce sont d'abord les édifices consacrés aux services publics, celui où s'assemblait le sénat , ceux où se réunissaient les magistrats appelés était le portique des Perses, ainsi nommé parce qu'il avait été construit avec le butin remporté sur eux. Puis deux temples consacrés l'un à César, l'autre à Auguste, diverses statues, les temples de la Terre, de Jupiter Agoréen, de Minerve Agoréenne, de Neptune, d'Apollon et de Junon, et enfin une très-grande statue représentant le peuple spartiate, une autre de Mercure Agoréen, etc. La description de l'agora d'Élis offre un intérêt particulier. La place publique des Éléens, dit Pausanias, ", ne ressemble point à celles des Ioniens ou des autres villes grecques qui les ont imitées, maïs elle est faite à la manière ancienne : les portiques sont séparés les uns des autres par des rues. Cette place porte maintenant le nom d'hippodrome, et c'est là que l'on dresse les chevaux. Le portique qui est au midi est d'ordre dorique, les colonnes le divisent en trois parties. Les hellanodices ou juges des jeux y passent presque toute la journée. Sur l'area ne se trouvent que des autels mobiles, qu'on enlève sans doute pour les exercices des chevaux. Un autre portique, séparé du premier par une rue, s'appelle Corcyraïque, parce qu'iI a été construit avec le butin fait sur les Corcyréens. Il est d'ordre dorique, double, et a des colonnes sur la place publique et sur le côté opposé ; il n'y en a point au milieu, mais seulement un mur qui soutient le toit ; des statues sont placées de chaque côté de ce mur. Ce qu'il y a de plus remarquable dans la partie de la place publique qui est à découvert, c'est le temple et la statue d'Apollon Acésius. Dans un autre endroit sont les statues en marbre du Soleil et de la Lune. Les Grâces ont aussi un temple ; Silène a le sien. Pour finir, Pausanias cite encore un temple sans murs, sorte de monoptère, dont les colonnes étaient en bois de chêne, et un édifice pour les femmes, appelées Ies Seize, qui tissaient le voile de Junon. W. Smith, dans son Dictionnaire, reproduit, d'après Hirt, la restauration de l'agora d'Élis, qui ne paraît pas acceptable. Pausanias dit qu'il y avait une place servant aussi d'hippodrome, et cette place, en réalité, n'existe pas dans la disposition des portiques indiquée par flirt. Les portiques séparés les uns des autres par des rues, cela veut dire simplement, croyons-nous, que ces portiques ne se reliaient pas d'une manière continue ; des rues par lesquelles on arrivait à l'agora venaient les séparer, mais cela n'empêchait pas ces portiques de former, très-probablement, les quatre côtés d'une place rectangulaire, en forme de brique (7v).fvOoç), suivant l'expression qu'emploie Pausanias à propos de l'agora de Tégée 18. Pharae, en Achaïe, est la seule ville que cite Pausanias 19, avec Élis, comme ayant conservé l'ancienne disposition. Celle qui fut adoptée par les Ioniens, imitée ensuite dans les villes de construction nouvelle, avait sans doute pour caractère propre la continuité des portiques entourant la place et la fermant complétement aux chars et aux chevaux. C'est de cette disposition probablement que parle Vitruve quand il dit 20 : « Chez les Grecs, la place publique est carrée. Tout autour règnent de doubles et amples por« tiques, dont les colonnes serrées soutiennent des archi« traves de pierre ou de marbre avec des galeries au-dessus.» Malheureusement un bien petit nombre d'édifices antiques peuvent nous éclairer sur ce qu'élait l'agora des Grecs, et pour en compléter l'idée, nous sommes obligés de chercher la trace des mêmes traditions et d'usages analogues dans ce qui nous reste de constructions semblables chez les Romains [Foaum]. M. Texier nous indique pourtant trois agoras, qu'il aurait retrouvées en Asie Mineure, à Pessinunte, à Cnide et à Antiphellus. La première " est une restauration imaginaire : nous avons pu vérifier nous-même qu'il ne reste pas trace d'agora à P -sinunte; le plan de la seconde s'accorde avec ceux qu'ont donnés les auteurs du recueil anglais des Antiquités dé l'Ionie, et, plus récemment, un autre explorateur, M. Newton. Elle formait" (fig. 186) un carré à peu près régulier entouré de portiques d'ordre dorique, et ouvrant d'un côté sur le port avec lequel elle communique par une rangée de portes. Les traces de deux autels ont été reconnues près de la colonnade, du côté opposé. Il y avait une fontaine au milieu de la place. Nous reproduisons aussi (fig. 187) le plan de l'agora d'Antipltellus, dont les données, très-modes tes, nous paraissent du moins certaines. « L'agora s'étend, dit M. Texier29, sur une terrasse au pied de la colline de l'acropole ; les murs sont en appareil polygonal ; les colonnes des portiques sont çà et là couchées par terre. Au centre s'élève un piédestal rectangulaire supporté sur trois marches en pierre de taille, la face supérieure est percée de quatre trous qui retenaient une statue de bronze. On observe au nord de l'agora plusieurs salles taillées dans le roc, qui dépendaient des magasins souterrains; en avant de ces chambres sont six silos creusés dans le sol : ce sont des greniers de forme ovoïde, de sept mètres de haut sur cinq de large ; c'est une preuve qu'Antiphellus faisait un grand commerce de grains. n On peut encore voir ce qu'ont écrit divers voyageurs au sujet des ruines des agoras d'Aphrodisias24, de Side'', d'Assos 28, de Termessos 27, de Cyrène 28, etc. Palladio, qui ne connaissait de l'agora des Grecs que ce qu'en a dit Vitruve, a composé sur cette donnée un plan très-beau, sinon très-conforme aux descriptions de Pausanias'9. En. GUILLAUME.