Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article GEOGRAPHIA

GEOGRAPIIIA (PEw'patpfa). Définition. Comme l'indique l'étymologie, la géographie (ytl, ip«poty) est la description, scientifique et raisonnée, des phénomènes terrestres. Son objet propre est l'étude des faits qui se passent à la surface de la terre dans leurs rapports avec les diverses manifestations de l'aétivité humaine. En prenant pour point de départ cette définition, il est facile de distinguer le domaine de la géographie du domaine de la géologie. Tandis que la géologie étudie la structure interne du sphéroïde terrestre, ses éléments constitutifs (géognosie), son histoire intérieure (géogénie) et ses modifications profondes, la géographie en étudie l'aspect extérieur, l'état actuel, les modifications superficielles. De plus, les deux sciences sont encore distinctes par leur méthode. Le géologue rapporte tout à la terre; le géographe tout, ou presque tout, à l'homme, car les phénomènes terrestres l'intéressent principalement parce qu'ils forment le milieu dans lequel s'exerce l'action de l'homme. Cette double influence de la nature sur l'homme et de l'homme sur la nature est en réalité le véritable sujet d'étude du géographe. question de méthode les idées des anciens différaient notablement des idées des modernes. Chez beaucoup d'écrivains la conception de la géographie est singulièrement étroite. Ainsi Ptolémée', que l'école de la Renaissance plaça si haut, ne voit dans la géographie que l'art de dresser des cartes. La géographie, dit-il, a pour objet d'imiterle tracé de toute la partie de la terre connue avec les choses principales qui s'y trouvent. Le géographe dresse des cartes générales de la terre ; le carrographe 2 ne dresse que des cartes partielles, des cartes de détail, des cartes régionales ou chorographiques, comme nous dirions aujourd'hui. C'est donc jusqu'à Ptolémée qu'il faut faire remon ter une erreur grave, encore assez répandue de nos jours, la confusion, involontaire ou systématique, de la géographie et de la cartographie. D'accord avec ses principes, Ptolémée déclare nettement qu'il se bornera à donner des listes de positions géographiques et qu'il négligera de parti pris ce qu'il appelle dédaigneusement « ce fatras de détails relatifs aux peuples », à moins qu'il ne s'y trouve par hasard une particularité à son sens digne d'attention 3. Strabon, qui de tous les écrivains de l'antiquité réalise le mieux l'idéal du géographe, fait preuve sur ce point d'une plus grande largeur d'esprit. Il considère la géographie comme une science philosophique t, au sens antique du mot, et fait remarquer à l'appui de cette affirmation que les plus anciens géographes, Homère, Anaximandre, Hécatée, étaient aussi des philosophes. Démocrite, Eudoxe, Dicéarque, Éphore, Ératosthène, Posidonius sont également des adeptes de la philosophie. En outre, la multiplicité des connaissances nécessaires au géographe suppose chez celui-ci une culture philosophique développée. Enfin la variété des applications de la géographie implique également chez le géographe un esprit philosophique habitué de longue date à la réflexion 6. Ce n'est pas qu'en signalant ce rapprochement entre philosophes et géographes Strabon veuille éloigner le géographe de l'étude de la nature, il déclare expressément au contraire que le géographe doit posséder, entre autres sciences, celle des choses célestes (astronomie, météorologie) et celle de la géométrie et de l'histoire naturelle 6. Mais il place au premier rang les connaissances qui ont l'homme pour objet, car la géographie, dit-il, a surtout rapport à la vie civile. Si l'utilité de cette science est grande en toutes les circonstances de la vie, elle l'est surtout pour la vie poli tique (irp ; tizç pe(aç 2xg r o).ttitxxç), pour la poli tique, pour l'administration, pour la guerre'. C'est à ce point de vue de l'homme d'État que Strabon se place d'ordinaire. Ce qui l'intéresse dans un pays, c'est son importance actuelle, politique et économique, ou bien le parti qu'on en peut tirer 8. En conséquence il décrit très brièvement la Libye et s'étend longuement sur d'autres pays, Italie, Grèce, Asie Mineure, qu'il: juge plus dignes d'intérêt par le chiffre de leur population, l'éclat de leur civilisation, l'importance de leur rôle historique °. D'autre part, le géographe, qui, comme Strabon, écrit pour la partie intelligente et cultivée du grand public, doit estimer suffisamment connus beaucoup de faits d'ordre mathématique et physique. Ici on voit nettement que Strabon préfère à la méthode scientifique la méthode littéraire. Voilà donc deux tendances diverses, deux méthodes géographiques nettement opposées. Ptolémée peut être considéré comme le chef de l'école astronomique, Strabon comme le représentant le plus éminent de l'école littéraire et philosophique. Mais, tandis que Ptolémée n'a voulu être et n'a été qu'un cartographe 10, Strabon n'a pas été exclusivement un géographe littéraire, car il a su mêler à ses récits des indications scientifiques qui ne sont pas à dédaigner. Seulement il ne voit guère dans les faits d'ordre scientifique qu'un appoint à la description; s'il les cite, c'est pour mentionner des particularités curieuses qui complètent ses descriptions, et non, du moins le plus souvent, pour expliquer ces faits et en formuler les lois ". Sa timidité sur ce point contraste singulièrement avec l'audace des partisans d'une troisième méthode, la méthode physique ; représentée par les philosophes de l'école d'Ionie. Pour les Ioniens la géographie n'est qu'une des formes de la physique, elle ne paraît même pas avoir de raison d'être en dehors de la science qui étudie les combinaisons générales des éléments. Telles sont en résumé les trois méthodes, ou, si l'on veut, les trois tendances maîtresses des écrivains de l'antiquité dont les ouvrages intéressent la géographie. Hérodote, Polybe, Strabon, Méla se rattachent à l'école littéraire et philosophique ; Ératosthène, Hipparque, Marin de Tyr, Ptolémée à l'école astronomique ; les Ioniens à l'école physique. S'il s'était trouvé à l'époque romaine, sous l'empire, un homme de génie capable d'appliquer à propos chacune de ces trois méthodes, la synthèse géographique eût été créée bien longtemps avant Al. de Humboldt. Il n'en fut rien ; l'esprit pratique des Romains ne sut tirer de la géographie que des routiers, des livrets de poste, des listes de provinces et de villes, toute une série de très médiocres compilations où GEO 1521 GEO rien ne rappelle l'esprit scientifique des écoles de la Grèce. Le seul écrivain qui ait parfois compris la nécessité de cette synthèse et quiitessayé, non sans quelque succès, d'appliquer cette méthode, c'est Strabon. Aussi bien Strabon reste-t-il pour nous le seul géographe que nous connaissions des temps anciens, le géographe par excellence (ô yE(sypâpo;), comme l'appelaient déjà certains commentateurs. C'est dans Strabon, bien plus que dans Ptolémée, qu'il faut étudier la géographie ancienne. L'oeuvre de Strabon est en effet celle qui répond le mieux à la conception moderne de la géographie. PHYSIQUES. La géographie, qui par définition a pour objet l'étude des phénomènes terrestres, a nécessairement de nombreux points de contact avec les autres sciences physiques ; elle leur emprunte tout à la fois des faits et des explications. Aussi le géographe doit-il posséder des connaissances variées (7ro)mt.âOEtce) Il doit être initié aux méthodes astronomiques pour comprendre le calcul des longitudes et des latitudes, les discussions sur la forme et le mouvement de la terre, le problème des zones; il doit aussi être instruit dans la pratique de la géométrie pour déterminer la configuration et l'étendue des pays qu'il décrit; il doit enfin avoir quelque notion de la science des animaux et des plantes pour apprécier exactement la valeur économique d'une région. Mais le géographe ne doit emprunter à toutes ces sciences qu'un petit nombre de notions et de notions élémentaires; il n'a pas à se livrer à des études approfondies comme les spécialistes2. Il n'a pas non plus à se soucier d'atteindre dans ses descriptions le degré de précision qu'on exige à bon droit des travaux de l'arpenteur-géomètre (agrimensor) . Faisant une œuvre d'ensemble, il peut aussi négliger quelques détails; il ne doit même pas embarrasser son récit de détails trop scientifiques, trop techniques Strabon réserve naturellement une part beaucoup plus large aux connaissances littéraires, historiques et philosophiques. Le document humain lui semble plus digne d'intérêt, parfois même de créance', que le document d'ordre purement scientifique. Ptolémée au contraire place au premier rang les connaissances scientifiques. La géographie, et il faut entendre par là la cartographie, doit se lire dans le ciel et s'appuyer sur les observations astronomiques ; car les indications de distance par terre et par mer fournies par les voyageurs sont beaucoup moins précises à cause des détours des routes Quant aux relations de voyages (kropia 7rEptoltxj), Ptolémée déclare qu'il faut s'attacher de préférence aux relations les plus récentes à cause des changements physiques qui se produisent à la surface de la terre et à cause aussi des nouvelles découvertes'. Ainsi, malgré la diversité de leurs tendances et de leurs méthodes, les écrivains anciens faisaient une place assez large à l'élément scientifique dans la description de la terre. Bien qu'ils n'aient jamais formulé expressément les rapports de la géographie avec les autres sciences, on voit néanmoins par leurs écrits que l'horizon scien tifique des géographes ne manquait pas d'étendue. Astronomie et cosmographie. Les problèmes qui sollicitent tout d'abord l'attention du géographe et par l'examen desquels commençait sans doute l'enseignement de la géographie dans les écoles étaient les problèmes élémentaires de l'astronomie et de la cosmographie : forme du. monde, mouvement, harmonie des diverses parties de l'univers (xdcizoç), révolutions des astres, etc. Dans cet ordre de recherches scientifiques l'influence des écoles orientales dut se faire sentir dans une mesure qu'il nous est impossible de déterminer. En plus d'un passage Strabon fait allusion aux doctrines astronomiques des prêtres d'Héliopolis (Égypte) et déclare nettement que les astronomes grecs et romains ont puisé largement à cette source, comme ils ont puisé d'autre part dans les écrits des Chaldéens'. Les problèmes cosmographiques étaient également abordés dans les traités généraux de géographie. Longtemps les philosophes se plurent à disserter sur les premiers principes, sur les éléments primordiaux et même sur l'élément unique, principe constitutif de l'univers. Ce n'est pas ici le lieu de mentionner avec quelque détail ces imaginations dont l'étude n'est pas de notre domaine'. La géographie scientifique et positive ne pouvait se développer que plus tard, quand les pythagoriciens lui eurent donné pour base la doctrine de la sphéricité de la terre, doctrine qu'ils fondaient uniquement sur des considérations théoriques relatives à la perfection intrinsèque de la forme sphérique. Aristote, le premier, donne une démonstration scientifique et raisonnée de cette grande vérité 10. En même temps, les géographes furent mis en possession d'un autre principe cosmographique non moins important, le principe de l'attraction 11. Dès lors il n'était plus nécessaire de recourir au mythe d'Atlas supportant le globe sur ses puissantes épaules ; la force qui maintient l'équilibre de l'univers était connue. Or les constatations de cet ordre exercèrent une influence considérable sur l'évolution des théories géographiques. La doctrine traditionnelle des antipodes que l'imagination populaire plaçai t à l'ouest et au sud de la terre connue, de l'oixoull iv7;, ne se serait pas développée si rapidement si la loi de l'attraction n'eût été formulée de bonne heure dans les écolesl2. Météorologie. Les problèmes généraux de la météorologie fixaient aussi l'attention des géographes anciens. Si l'on en juge par le résumé très complet d'Aristote, on voit que la science météorologique était étroitement unie à la science géographique. Aristote en effet aborde dans ses Météorologiques plusieurs études qui ne sont plus du domaine propre de la météorologie et qui appartiennent évidemment à la géographie, telles que l'étude des phénomènes océanographiques (liv. Il), l'étude des phénomènes séismiques (liv. II, ch. vil et viii), l'examen des diverses combinaisons des quatre éléments (froid, chaud, sec, humide) qui constituent tous les corps. Ce n'est pas tout. Aristote, qui définit" la météorologie l'étude de tous les phénomènes qui se produisent au-dessous des astres et au-dessus de la terre, arrive ainsi naturellement GEO 1522 GEO à traiter dans son ouvrage des questions de cosmographie, d'astronomie, de chimie, de géologie, de géographie physique. On voit par cet exemple combien les physiciens de l'antiquité, et Aristote surtout qui les résume tous, avaient étendu le domaine de la météorologie. Examinons maintenant très brièvement chez les auteurs anciens les rapports de la géographie avec la météorologie. Température. -Sur les lois de la température les physiciens de l'antiquité nous ont laissé de bonnes observations. Un des faits les plus importants de la climatologie, le contraste si marqué entre les climats continentaux et les climats maritimes, fut noté de bonne heure par Théophraste'. Répandus sur les rives de la mer Égée, les Grecs étaient bien placés pour connaître les conditions normales d'un climat maritime. Quant aux climats continentaux, ils en avaient quelque notion par ce qu'ils avaient observé dans l'intérieur de la péninsule des Balkhans et ce qu'ils avaient appris des plaines de la Scythie. Strabon observe justement que les hivers sont très rigoureux dans la Scythie et que les étés y sont très chauds 2. D'autres causes, l'exposition ', la latitude, l'altitude, exercent encore une influence directe sur la température. Ainsi, si le climat de la Susiane est un climat de feu, c'est que la région est entièrement ouverte au midi et abritée du nord par le puissant rempart de l'Éran 4. Quant au rapport de la latitude et du climat, les Grecs, qui de bonne heure sillonnèrent la mer Égée, purent en allant du nord au sud constater l'élévation croissante de la température. En outre, les habitants de l'Égyp te, de la Cyrénaïque leur firent connaître l'existence des vastes déserts de la Libye intérieure. D'ailleurs, le climat saharien se fait déjà sentir directement sur les bords de la Méditerranée, sur cette côte de la Syrte à juste titre si redoutée des anciens. De plus, les Grecs avaient remarqué que les vents qui soufflent du midi sont secs et brûlants 5. Tous ces faits, tous ces indices semblaient justifier complètement le préjugé classique de la zone torride. D'autre part, par un effet inverse de la même loi, les régions du Nord étaient déclarées inhabitables à cause du froids. Cette doctrine des zones inhabitables au nord et au sud fut modifiée notablement par le progrès des découvertes. Habitant un pays très montagneux, de relief très varié, les Grecs devaient également observer la décroissance de la température avec les progrès de l'altitude. La connaissance de cette grande loi, encore très incertaine chez Hérodote 7, est nettement marquée chez Strabon s. Le géographe d'Amasée connaissait trop bien les plateaux de l'Asie Mineure, sa patrie, pour ne pas être familier avec cette loi fondamentale de la climatologie. D'ailleurs, depuis l'expédition d'Alexandre, on ne pouvait plus avoir de doute à ce sujet. Les Macédoniens avaient en effet contemplé de leurs yeux des cimes blanches aux abords de l'Inde; ils avaient même vu tomber de la neige sur les routes de l'Indus'. Dès lors l'existence de montagnes neigeuses dans la zone intertropicale était un fait indiscutable. Que si quelque écrivain comme Diodore de Sicilei0 refusait encore de se rendre à l'évidence, c'était là une protestation isolée et sans effet, car les anciens connaissaient de source certaine les neiges persistantes des hautes montagnes de l'Éthiopie 11. Vents. Les lois de la circulation atmosphérique, lois beaucoup plus difficiles à saisir que celles de la température, ne paraissent pas avoir été nettement formulées par les géographes anciens. La théorie des vents est toujours restée chez eux très imparfaite. Ce n'est pas qu'on ne trouve dans les écrits de l'antiquité de nombreuses observations de détail sur ce sujet, mais ces observations n'ont pas amené les physiciens à une théorie générale satisfaisanteS2. Le système d'orientation par la direction des vents est encore bien simple chez les géo graphes anciens, car il n'a jamais dépassé la rose de douze vents. A l'origine, les Grecs ne distinguaient que les deux directions générales du nord et du midi", Borée et No Los (fig. 3555) . Puis le nombre des vents s'éleva à quatre 14 (fig. 3556), à huit 15 (fig. 355'7) et enfin à douze 16 Fig. 3557. (fig. 3558). La distinction essentielle entre les vents généraux et les vents locaux avait été faite par les anciens 17. Dans la classe des vents généraux, ceux qui avaient le plus attiré l'attention des géographes étaient naturellement les vents périodiques et réguliers. Les Grecs, riverains de la mer Égée, avaient de bonne heure remarqué la régularité des vents étésiens '6 (Eir,a(zt) qui facilitent le cabotage dans les eaux de l'Archipel. Ces vents qui soufflent chaque année (de là leur nom) pendant l'été, du nord, rarement de l'ouest, étaient annoncés par les prodromi (apî 0 t.Qt, précurseurs) qui se font sentir huit GEO 1523 GEO jours avant la canicule et viennent également du nord. D'autres vents aussi réguliers, les moussons, étrangers à la Méditerranée, ne furent connus des Grecs que beaucoup plus tard, à l'époque des Lagides, quand les navigateurs gréco-romains fréquentèrent l'océan Indien. s Pline le premier mentionne expressément sous le nom d'Hippalos la mousson qui poussait les navires de la côte d'Arabie à la côte de l'Inde'. Mais il y a lieu de penser que Strabon connaissait déjà ce phénomène. C'est à l'action des vents étésiens, c'est-à-dire des moussons de la mer Érythrée, qu'il attribuait l'abondance des précipitations pluvieuses dans les plaines de l'Inde 2. Hippalos n'aurait donc pas le premier signalé aux Grecs le phénomène des moussons révélé par le hasard ; il aurait seulement indiqué le parti qu'on en. pouvait tirer pour abréger la route maritime de l'Inde. Il serait bien étonnant, en effet, que les Grecs eussent ignoré pendant quatre siècles depuis leur arrivée aux ports de l'Inde un fait aussi facile à constater. C'est dans les diverses relations sur l'Inde, les Indice, que Strabon a dt1 vraisemblablement puiser cette information. Quant aux vents locaux, Sénèque 3 nous fournit une abondante nomenclature qu'il serait inutile de reproduire ici, car, suivant la remarque de l'auteur, il n'est presque aucun pays qui ne voie quelque vent naître et mourir dans son territoire ou dans ses environs. En général les anciens sont très sobres de détails sur ce sujet. Strabon fait exception à la règle quand il décrit avec quelque développement'. le mélamborée (mistral) qui souffle si violemment dans le champ de pierres, la Crau provençale 5. Pluies. La loi de l'inégale répartition des pluies sur les différentes parties de la surface terrestre et dans le même lieu suivant les saisons avait également attiré l'attention des géographes anciens. Les Grecs, qui habitent une région de pluies d'hiver, durent être fort surpris d'apprendre que d'autres pays, les plaines de IV. l'Inde par exemple, reçoivent pendant l'été des pluies abondantes 6. L'armée d'Alexandre apprit à ses dépens à connaître un régime de pluies tout différent de celui des contrées méditerranéennes. D'autres régions passaient pour être totalement privées du bienfait de la pluie. Ainsi Strabon remarque qu'il ne pleut ni dans la Susiane, ni dans la Babylonie, ni dans la Sitacène 7. Dans la Haute-Égypte on regardait la pluie comme un fait très extraordinaire 8. L'Inde fut aussi considérée pendant quelque temps comme une région entièrement sèche. Au temps d'Alexandre seulement la conquête macédonienne dissipa ce préjugé accrédité comme tant d'autres par le témoignage de Ctésias 9. Une erreur analogue sur le climat de l'Éthiopie fut également réfutée par l'expérience quand les Grecs eurent dépassé au sud les limites de l'Égypte fo Autres phénomènes météorologiques. Les anciens nous ont laissé aussi de nombreuses observations, souvent confuses et contradictoires, sur la formation des nuages, de la grêle, de la neige, du givre et sur d'autres phénomènes du même genre 1f. Ainsi les Grecs qui parcoururent plusieurs fois l'Asie Mineure et pénétrèrent jusque dans l'Inde par les passages élevés de l'Hindou-Kousch, les Romains qui franchirent si souvent les Alpes, eurent naturellement quelque connaissance des phénomènes météorologiques de la haute montagne, des neiges, des névés et des glaciers. Si au temps d'Aristotef2 les faits de cet ordre n'avaient pas encore été observés, au temps de Strabon ils paraissent déjà suffisamment connus. Strabon nous parle en effet d'avalanches de neige qui ensevelissent parfois les caravanes surprises dans les hautes montagnes de l'Arménie 13 ; il décrit également les glaciers et les avalanches des Alpes'`, les glaciers du Caucase' et les vastes champs de neige de ces montagnes que les indigènes traversent sur des raquettes. Hydrographie. 1o Hydrographie terrestre. Les phénomènes hydrographiques sont étroitement liés aux phénomènes météorologiques. Les cours d'eau de toute nature ont en effet pour origine les eaux pluviales16. Les vapeurs humides exhalées par la surface terrestre sont condensées par les montagnes; il y a donc un rapport entre l'abondance des fleuves et la hauteur des montagnes qui leur donnent naissance. Selon la remarque d'Aristote i7, que les géographes modernes ne sauraient accepter sans réserve, les fleuves les plus considérables prennent leur source au pied des montagnes les plus élevées. Plusieurs, disait-on, présentent des particularités curieuses; certains se partagent en deux bras loin de lamer. Ainsi l'Ister (Danube) se diviserait en deux fleuves tributaires, l'un du Pont-Euxin, l'autre de l'Adriatique 18. De telles hypothèses ne pouvaient évidemment plus subsister quand les Romains eurent pénétré dans le région du haut Danube. Aussi Strabon n'hésite-t-il pas à déclarer invraisemblable et absurde une pareille imagination"; Pister, dit-il, ne se bifurque qu'au voisinage de la mer 20. D'autres fleuves, par un phénomène peut-être encore plus étrange, se perdent pendant une partie de leur cours dans le sein de la terre. Les disparitions de ce genre ne sont 192 GEO 424 GEO pas rares, on le sait, dans les contrées de la Méditerranée orientale ; elles sont même un des faits caractéristiques des formations calcaires de Karst si largement développées dans le littoral illyrien et dans la Grèce. Il était donc facile aux géographes grecs d'en citer des exernpies'. Strabon, entre autres, mentionne plusieurs phénomènes de ce genre observés dans l'Istrie, l'Illyrie, la Grèce et dans d'autres pays de même formation 2. Les zérèthres 3 ou gouffres d'Arcadie sont évidemment les katavothres des géographes modernes. Les mythographes et les poètes allaient encore plus loin que la nature, ils n'hésitaient pas à supposer que certains fleuves pouvaient ainsi franchir les mers par des canaux souterrains. Pour Pindare, comme pour Timée, l'Alphée, fleuve de l'Élide, communique avec la fontaine Aréthuse en Sicile par des conduits de ce genre. De même Sophocle fait passer l'Inachos de la Grèce continentale dans le Péloponnèse 4. Les anciens avaient encore noté avec soin le travail des alluvions. Ils avaient d'ailleurs sous les yeux les formations si caractéristiques de l'Égypte et de l'Asie Mineure. Le delta du Nil connu de bonne heure des navigateurs grecs leur servit 'd'exemple typique pour leurs études des phénomènes de cet ordre Ces grandes masses d'alluvions qui forment à l'intérieur des terres des plaines fertiles et riches prolongent aux dépens de la mer le domaine de la terre ferme 6. Il y a comme une lutte engagée entre les vagues de la mer et le courant des fleuves, lutte qui se termine toujours à l'avantage des fleuves'. Ainsi des îles se trouvent peu à peu rapprochées du rivage et parfois même reliées à la côte : telles l'île de Pharos près d'Alexandrie et les îles voisines de l'embouchure de l'Achéloüs 8. Ailleurs des golfes et des mers sont comblés progressivement. Le Pont-Euxin est ainsi colmaté peu à peu par les alluvions des grands fleuves de Scythie 9. Il en est de même de l'Adriatique où le Pô s'avance rapidement dans la direction de l'est. La ville de Spina, jadis située au bord de la mer, était déjà au temps de Strabon à 00 stades du rivage 'o. Sur les côtes d'Asie ces phénomènes sont tout aussi marqués. Ainsi le golfe d'Issus est destiné à disparaître, comblé par les alluvions dti Pyrame de Cilicie ". Les alluvions du Méandre modifient également le contour de la côte et éloignent progressivement de la mer la ville de Priène 12. Les dépôts du Caystre envasent le port d'Éphèse 13. Ailleurs, sur la côte d'Hyrcanie, la marche des alluvions est bien plus rapide. Le Cyrus (Four) a déjà, au témoignage de Strabon, gagné 500 stades sur la mer, envasant les plages, reliant les îles au rivagef5. De même l'Indus signale ses progrès par une ligne de bas-fonds". Biais tous les fleuves n'arrivent pas jusqu'à la mer. Ainsi en Arabie plusieurs se perdent dans des plaines, dans des lacs 16 ; d'autres, dans la Gétulie, dans l'Asie Centrale sont bus par les sables17. D'autres arrivent bien jusqu'à l'Océan, mais, au lieu de former un delta triangulaire d'alluvions, débouchent dans des estuaires. Ces estuaires offrent d'ailleurs de grands avantages à la navigation ; ce sont d'excellents ports naturels, et ils permettent parfois, grâce aux marées, de remonter fort loin dans l'intérieur des terres18. Mais nulle part, à ce qu'il semble, les géographes anciens n'ont nettement marqué les lois de ces deux formations si distinctes : fleuves à delta et fleuves à estuaire. Ce n'est pas seulement par son delta, c'est encore par ses crues que le Nil attira tout particulièrement l'attention des physiciens de l'antiquité. Il n'est sorte de conjectures que les anciens n'aient inventées pour expliquer ce phénomène si étrange des crues énormes d'un fleuve qui coule dans les régions desséchées de la zone torride 13. Suivant les uns c'était les vents étésiens qui soufflant du nord, faisaient refluer les eaux du fleuve dans la direction du sud; d'autres avaient imaginé que le Nil sortait de l'Océan; d'autres, mieux renseignés, attribuaient les crues à la fonte des neiges sur les hautes montagnes de l'Éthiopie ; d'autres y voyaient le résultat de pluies d'été; d'autres enfin, faisant appel à la théorie de l'Antichthone, expliquaient le phénomène par les pluies de la terre australe où les saisons sont inverses des nôtres 2°. Ailleurs les crues de l'Ébre étaient produites, disait-on, par le vent du nord qui pousse les eaux du fleuve avec une très grande rapidité21. Dans l'Inde ce sont les pluies diluviennes de l'été qui font déborder périodiquement le Gange et l'Indus". D'autres observations hydrographiques intéressantes peuvent être recueillies dans les écrits des anciens. Ainsi les physiciens de l'antiquité avaient observé le rapport qui existe entre les surfaces boisées et les sources 23, entre la culture et les eaux des fontaines 2L. Ils savaient aussi que le déboisement développe le régime torrentiel des fleuves 25. Cette distinction capitale des fleuves et des torrents est rarement marquée dans leurs descriptions 26. Les Grecs, qui habitaient un pays de régime torrentiel, n'avaient pas sur ce point des idées très nettes ; il leur arrivait le plus souvent de confondre sous la même appellation de fleuve, toiai.6ç, de vrais fleuves et de maigres torrents 27. Les lacs salés 26, si répandus sur les hauts plateaux de l'Asie Mineure, les eaux thermales et minérales 29, si recherchées des Romains, attirèrent également l'attention des géographes. 2° Hydrographie maritime. Les eaux fluviales alimentent la mer qui occupe une étendue immense, la plus grande partie de la surface terrestre30. Sur ce point les GEO 1525 GEO géographes anciens étaient d'accord, mais ils n'essayèrent jamais de préciser le rapport d'étendue des terres et-des mers. D'autre part, ils n'admettaient pas tous la théorie classique de la continuité des mers que professaient Homère, Hérodote, Ératosthène, Cratès de Mallos, Posidonius, Strabon et les stoïciens. Par réaction contre Ératosthène, Hipparque et son école s'élevèrent avec force contre cette doctrine. A l'appui de sa théorie des bassins maritimes, des mers fermées, Hipparque citait le témoignage de Séleucus de Babylone, d'après lequel l'Océan ne présente pas partout les mêmes phénomènes'. Cette nouvelle doctrine reposait peut-être sur des notions positives mal interprétées. Quelque navigateur avait pu remarquer que les côtes de l'Asie, au lieu de s'étendre au nord, comme le croyait Ératosthène, se dirigent au contraire du côté du midi (Indo-Chine, Malacca) et peuvent ainsi rejoindre le littoral de l'Afrique qui d'abord (pays des Sômalis) s'infléchit nettement àl'est. De même, en prolongeant à l'ouest la côte occidentale de l'Afrique comme semble l'indiquer la direction du rivage jusqu'au cap Bojador, on arrivait facilement à fermer au sud l'océan Atlantique: Cette singulière théorie, peut-être antérieure à Hipparque, fut admise par l'école d'Alexandrie. Après Marin de Tyr, Ptolémée la formula expressément dans sa Géographie. Ce fut, on le comprend, une révolution complète dans le tracé de l'Océan sur les cartes et sur les globes; on ne vit plus le grand fleuve marin entourant la surface terrestre, mais de grands bassins maritimes séparés par des terres inconnues qui gisent au sud et rendent impossible toute communication par mer entre la mer Érythrée et la mer Extérieure. Les observations des anciens sur les phénomènes océanographiques étaient consignées particulièrement dans les traités relatifs à la géographie maritime: périples, portulans, etc. L'eeuvre la plus importante de cette littérature était sans doute le traité de Posidonius, Sur l'Océan, llc) 'Oxeavoû, malheureusement perdu. C'est dans ce livre que Strabon a puisé la plupart des indications qu'il nous donne sur les mers connues des anciens. Les géographes de l'antiquité avaient déjà quelque notion du relief sous-marin. Ainsi ils divisaient la Méditerranée, la mer Intérieure, en deux bassins Par où passait la ligne de,partage? Strabon néglige de nous le dire. Strabon du reste, dont les préférences ne vont pas aux recherches purement scientifiques, nous laisse voir clairement que de son temps on ne savait encore rien de précis sur ce sujet'. Ailleurs, on avait cru remarquer une différence de niveau sensible entre la Méditerranée et la mer Rouge, et cette considération empêcha les anciens de creuser un canal direct entre les deux mers'. Straton signalait aussi une différence de même genre entre le fond de la Méditerranée et le fond de l'Océan 3. Quant aux évaluations de profondeur, elles étaient natu rellement très incertaines. D'après Fabianus, la profondeur maxima de la mer serait de 15 stades 6. Il y aurait cependant dans le Pont-Euxin un abîme sans fonçI 7. La mer de Sardaigne passait pour être la plus profonde qui eût été sondée 8. Or Posidonius lui attribuait une profondeur de 1000 brasses9. D'autre part, les anciens avaient entrevu le phénomène des oscillations lentes du sol, phénomène assez sensible dans la Méditerranée orientale'''. Les courants furent l'objet d'observations plus nom breuses et plus précises à cause de leur importance pour la navigation. Dès l'époque homérique l'imagination populaire assimile l'Océan à un grand fleuve dont le courant puissant enveloppe la terre ". En outre, les populations helléniques répandues sur les rivages d'une mer très découpée, semée d'îles et de presqu'îles, avaient aussi remarqué de bonne heure l'irrégularité des courants dans les euripes et les détroits formés par rupture ou érosion" Mais les anciens ne semblent pas, en dehors d'observations purement locales, s'être élevés à la conception des courants généraux. Les courants de ce genre sont d'ailleurs trop faiblement marqués dans la Méditerranée pour que les savants de l'antiquité aient pu les étudier. Les observations relatives aux marées sont beaucoup plus fréquentes. Quand ils furent arrivés au détroit de Gadès, les Grecs purent contempler ce phénomène nouveau pour eux 13. Dans la suite ils arrivèrent à connaître la véritable cause des marées qu'ils surent expliquer par l'influence du soleil et de la lune f6. D'autre part les Grecs furent naturellement amenés par la configuration de leur propre pays à comprendre la supériorité des rivages découpés qui présentent des ports sur les rivages rectilignes qui n'offrent pas d'abris''. Cet avantage contribue dans une large mesure à assurer la prééminence de l'Europe sur les autres continents et de la Grèce sur les autres parties de l'Europe1e. On trouve également chez les anciens la classifcatinn des îles" en îles d'origine océanique, sorties de l'Océan et situées au large, et îles d'origine continentale, situées près des côtes et détachées de la terre ferme par quelque accident physique. Géologie. Cette classification des îles nous amène naturellement à l'examen de la géologie géographique des anciens. Il ne saurait être question ici de ces spéculations dans lesquelles l'imagination des philosophes aimait à se donner libre carrière. Toutes ces discussions sur l'origine des éléments, sur leurs diverses combinaisons, sur la série des révolutions qui ont modifié la constitution interne de la sphère terrestre ne sont pas du domaine de la géographie. Qu'il nous suffise de remarquer qu'on trouve dans les doctrines de ces anciennes écoles philosophiques les principales tendances des écoles modernes. Neptuniens et plutoniens, partisans des causes anciennes et partisans des causes actuelles opposaient déjà leurs observations et leurs systèmes. Derniers témoins de ces GEO 4526 GEO révolutions géologiques, les fossiles ', si répandus dans les régions calcaires de la Méditerranée orientale, avaient attiré l'attention des physiciens de l'antiquité. Les coquillages marins ainsi que d'autres traces laissées par la mer dans les lacs aux eaux saumâtres montrent suffisamment que telle partie de la terre ferme a été jadis occupée par la mer. Aristote, Ératosthène avaient longuement étudié ces phénomènes. Pour Aristote,ces empiétements réciproques de la terre et de la mer causés par le froid et la chaleur doivent se succéder selon un certain ordre et une certaine périodicité, mais leur succession nous échappe parce que ces faits se produisent très lentement. L'intérieur de la terre peut être assimilé à un organisme humain, il a ses périodes de vigueur et de dépérissement'. Ératosthène Posidonius', d'autres encore avaient fait des remarques analogues et entrevu sans aucun doute ces grands phénomènes d'oscillation lente du sol, les bradisismes 6. Quant aux oscillations brusques du sol, les anciens les rattachaient aux phénomènes volcaniques qu'ils pouvaient observer directement dans les îles de l'Archipel (Théra, etc.), sur le littoral d'Asie Mineure (Lycie, etc.) et en Italie (Campanie, Sicile, îles Lipari, etc.)'. Les géographes de l'antiquité signalent même des volcans sous-marins dont l'action intermittente se manifeste parfois par l'apparition d'îles temporaires dans la mer Égée a et dans la mer de Sicile °. L'activité volcanique n'a pas seulement pour effet de faire surgir des îles au sein de lamer; elle peut, dans certains cas, rattacher des îles au continent ou bien s'exercer en sens contraire et, par une dislocation brusque, creuser un détroit Comme les phénomènes volcaniques, les phénomènes séismiques se produisent fréquemment dans les régions orientales de la Méditerranée. Pour ce motif, et en raison des désastres qu'ils causent, ils ont vivement préoccupé l'imagination des anciens. Sénèque consacre tout un livre de ses Questions naturelles, le sixième, à l'étude de ces faits, de leurs causes et de leurs conséquences, ainsi qu'à l'examen des théories diverses dont ils ont été l'objet. Strabon d'autre part nous apprend qu'il existait dans l'antiquité plusieurs recueils d'observations de ce genre et cite celui de Démétrius de Scepsis comme un des plus complets sur la matière". Un autre écrivain, Démétrius de Callatis, avait dressé le catalogue de tous les tremblements de terre survenus en Grèce 12. Aristote, Strabon, Pline mentionnent aussi avec quelque détail ces grandes catastrophes. Les uns, comme Démocrite, les attribuaient aux eaux souterraines; d'autres, comme Anaximène, au tassement de la terre qui se contracte peu à peu par suite du refroidissement progressif de la masse; d'autres enfin, comme Aristote i3, y voyaient l'action de gaz intérieurs. La plupart étaient d'accord pour faire une large part à l'influence de la mer. Dans les croyances populaires c'était Poseidôn qui agitait la terre et qui arrêtait ces secousses';. L'hypothèse de l'origine aqueuse des tremblements de terre 15 est donc un héritage de l'antiquité. Orographie. La science du relief terrestre, l'orographie, est étroitement liée à la connaissance du sous-sol. Cette science, dont les lois essentielles n'ont été formulées qu'au siècle dernier par Buache et de. Saussure, paraît avoir tenu peu de place dans les préoccupations des géographes anciens. Cependant Strabon a le mérite d'avoir nettement marqué une distinction importante, la distinction entre les plateaux (oporiôta) et les plaines (Teôta). Originaire de l'Asie Mineure, le grand géographe avait bien saisi le trait dominant du relief de cette région. Les plaines, surtout celles qui présentent le moins d'ondulations, sont en général d'anciens fonds de mer ou de lac. Ainsi la plaine thessalienne formait jadis un vaste lac avant qu'un tremblement de terre eût séparé l'Ossa et le Pélion, laissant une fissure par laquelle le lac s'est vidé. Mais deux lacs sont restés, témoins du passé is De même la plaine d'Arménie était un bassin lacustre avant que Jason eût pratiqué la coupure qui livre passage à l'Araxe ". Quant à la notion de plateau, on ne la trouve bien définie que dans Strabon. Strabon en effet oppose assez souvent les plateaux (éporc€a) aux plaines (7cea) 93. Il emploie cette appellation de plateau pour désigner certaines régions de la Sicile, de la Germanie, de l'Illyrie, de l'Arménie, de la Lycaonie, de l'Inde, de la Cyrénaïque 19 Sur les montagnes, les connaissances des anciens étaient encore bien imparfaites. Les géographes de l'antiquité paraissent s'être bornés de parti pris à' observer la direction des axes montagneux '° et à évaluer grossièrement l'altitude et l'étendue des principaux massifs. Les campagnes des Grecs dans l'Asie Mineure et l'Arménie, les fréquentes traversées des Alpes par les armées romaines auraient dû, semble-t-il, développer bien davantage la science de l'orographie. Quelques rares touristes se mettaient en route, plus par amour du paysage que par goût pour la science, limitant d'ailleurs leurs exploits à des ascensions modestes comme celles de l'Etna, du Vésuve, du mont Casius près d'Antioche. Seuls les plus intrépides se risquaient à affronter l'Argée de Cappadoce, ce qui arrivait rarement2'. Plus adonnés en général à l'étude de l'homme qu'à celle de la nature, les anciens ne comprenaient pas la montagne comme les modernes". Ils éprouvaient d'ailleurs une crainte religieuse à l'endroit de ces hauts sommets où se forment les orages et où gronde la foudre. Ainsi s'explique l'imperfection des connaissances orographiques chez les anciens. On sait par exemple que les écrivains de l'antiquité avaient singulièrement exagéré la hauteur des Alpes. Au témoignage de Polybe, il faut cinq jours pour faire l'ascension des hauts sommets des Alpes, tandis qu'un seul jour suffit pour atteindre la cime du GEO 1527 GEO Taygète'; c'était attribuer aux Alpes une hauteur d'au moins 10000 mètres. Les seules mesures hypsométriques à peu près exactes sont dues au Messénien Dicéarque, élève d'Aristote, qui les avait consignées dans un ouvrage spécial sur les Mesures des Montagnes du Péloponnèse 2. Dicéarque évaluait à un peu moins de 15 stades la hauteur du Cyllène d'Arcadie 3, et à moins de IA stades celle de l'Atabyrios dans l'île de Rhodes. Il attribuait au Pélion de Thessalie 1250 pas d'élévation perpendiculaire'. Nous ignorons par quel procédé Dicéarque avait obtenu ces estimations. Le même auteur a répandu chez les géographes anciens l'idée d'un axe montagneux ou diaphragme situé à peu près sous la parallèle de l'île de Rhodes et divisant l'Asie en deux parties Marqué à l'ouest par le Taurus, le diaphragme est continué à l'est par les monts de la Bactriane, le Paropamisus, l'Emodus, l'Imaüs, formant pour ainsi dire le faîte oro-hydrographique de l'Asie. Un autre axe montagneux, également dirigé de l'ouest à l'est, forme comme le rebord des régions septentrionales : c'est la chaîne des monts Rhyphées d'où proviennent les grands fleuves de la Scythie'. Un examen plus prolongé des notions des géographes anciens sur l'orographie montrerait, encore plus clairement que cet aperçu rapide, l'insuffisance de leurs connaissances même sur les montagnes que les anciens avaient le plus pratiquées. Étude de l'homme : Anthropologie. Ethnographie. Par leur éducation avant tout philosophique et littéraire les anciens étaient amenés à faire une place assez large à la description de l'homme, de ses moeurs, de ses usages, c'est-à-dire à l'ethnographie. Quant à l'étude de l'homme considéré comme être physique, c'est-à-dire à l'anthropologie 6, il n'en est guère question dans leurs écrits. On peut noter cependant çà et là quelques indications relatives à ce sujet. Si la tradition mythologique des Géants 9 ne relève guère que de la fantaisie, d'autres notions comme celle des Pygmées de l'Afrique intérieuref0 reposent sur des informations en somme assez exactes. Ilippocrate, Strabon 11 mentionnent les déformations artificielles du crâne si fréquentes encore dans l'Asie occidentale. Ailleurs Strabon note les différences de teint produites par l'ardeur du soleil et la sécheresse de l'air 12. Ilippocrate, Pline abordent plusieurs importants problèmes de géographie médicale 13. D'autres écrivains, Ctésias, Mégasthène, Solin, etc., décrivent avec complaisance une grande variété de monstres que l'imagination populaire plaçait aux limites du monde connu, dans les froides régions de la Scythie et dans les solitudes brûlantes de l'Inde et de l'Éthiopie. Cet ample répertoire a été, comme on sait, largement mis à contribution par les écrivains du moyen âge, qui l'ont enrichi à leur tour de nouvelles fantaisies. Les anciens étaient mieux inspirés quand ils formulaient avec une certaine précision les lois de l'influence du climat sur le caractère physique et moral des différents peuples. Hippocrate, Hérodote, Polybe, Vitruve" sont les vrais précurseurs de cette théorie si favorablement accueillie par les modernes. Plusieurs, en exagérant la vérité de cette doctrine, glissaient déjà sur la pente du fatalisme. Strabon, en sa qualité de philosophe sympathique au stoïcisme, proteste avec raison contre ces excès. Pour les hommes comme pour les animaux, dit-il, les qualités ne tiennent pas uniquement à la nature des lieux. En dehors de ces influences, il faut tenir compte de l'exercice, de l'habitude. Strabon d'ailleurs n'entend nullement rejeter la théorie de l'influence du climat, car à plusieurs reprises il la formule nettement, mais, à côté des influences physiques, il admet les causes morales 15. Comme complément nécessaire de l'histoire, l'ethnographie descriptive était traitée avec soin par les écrivains de l'antiquité. C'était pour eux l'effet d'une préoccupation littéraire. Soucieux d'observer en tous les genres les règles de l'art, ils n'introduisaient pas dans leurs récits une population étrangère sans la faire connaître; avant d'exposer le drame, ils présentaient les acteurs. Fidèles à cette excellente méthode, Hérodote, Éphore, Diodore, César, Tacite, pour ne citer ici que quelques exemples, nous ont transmis d'amples informations sur les peuples mêlés de près ou de loin à l'histoire de la Grèce et de Rome 16. C'est peut-être par les renseignements de cet ordre que les écrits des anciens intéressent le plus les géographes, car ils marquent une date dans l'histoire de l'évolution des peuples. De plus, ces faits, plus faciles à observer en général que les faits physiques, s'y trouvent souvent notés avec une grande exactitude. Les anciens ont également entrevu quelques-unes des lois les plus importantes de la démographie. Ils savent que les hommes ont d'abord habité les montagnes avant de coloniser les plaines et les villages17. Ils savent aussi qu'une bonne position sur les bords d'un fleuve, sur un isthme, etc., explique la prospérité d'une ville de commerce, comme d'autres conditions topographiques celle d'une forteresse. Les Grecs n'avaient qu'à observer leur pays de relief et de contour si variés pour comprendre l'importance stratégique et commerciale de ces avantages naturels 16. Géographie botanique et zoologique. Après l'étude de l'homme l'étude des plantes et des animaux doit solliciter l'attention du géographe. Nous n'avons pas ici à signaler les progrès de la science antique dans ce double GEO GEO 11'128 domaine. Le géographe, qui d'ailleurs n'examine que les lois de la répartition des êtres vivants sur la surface du globe,. ne trouve pas beaucoup d'observations importantes à ce point de. vue dans les écrits des anciens, même dans ceux d'Aristote et de Théophraste. On peut signaler cependant quelques remarques de Strabon sur les zones agricoles de la Gaule' et sur les dangers du déboisement2. Pline, qui résume les connaissances acquises de son temps, nous a laissé aussi de bonnes observations sur les migrations des oiseaux et des poissons 3, sur le rôle des couleurs protectrices sur la localisation extraordinaire de certaines espèces animales, sur le rapport qui existe entre la taille des animaux et le milieu dans lequel ils vivent, entre leur fécondité et leur taille 5, sur les ravages causés par de petits animaux ennemis de l'homme : serpents, rats, lapins, etc., qui ont dévasté des îles entières et en ont chassé les habitants, etc., etc.'. D'après cet exposé très sommaire de leur géographie scientifique, on voit que certains faits généraux de la science de la terre n'ont pas échappé à l'attention des anciens. Mais les observations de ce genre restèrent isolées; elles étaient d'ailleurs encore trop rares, parfois même trop contradictoires, pour permettre une oeuvre de synthèse. étudié, principalement dans Strabon, l'horizon scientifique des anciens, nous allons examiher rapidement le développement de leur mappemonde. La carte du monde connu au temps des poèmes homériques servira de point de départ à cette étude 7. La carte homérique. A cette époque (x-Ixe s. av. J.-C.) les connaissances positives des Grecs ne dépassent guère les limites de leur propre pays. La Phénicie (Sidon) et l'Asie Mineure à l'est, les îles Ioniennes à l'ouest (Ithaque), la Libye maritime et l'Égypte (Thèbes) au sud, l'Épire, la Thrace, la Paphlagonie et le pays des Halizones (région de l'Halys?) au nord marquent les limites du domaine sur lequel les Hellènes ont des notions géographiques assez exactes La Crète représente assez bien le centre de ce domaine. Au delà les indications contenues dans l'Odyssée sont très incertaines ; elles proviennent sans doute d'informations transmises par les navigateurs phéniciens et plus ou moins dénaturées par l'imagination du peuple et celle des aèdes. Les Phéniciens sont encore seuls à fréquenter la Méditerranée occidentale et pour sauvegarder leur monopole propagent habilement des légendes comme celle des Cyclopes. Il est possible cependant de discerner dans ces légendes quelques notions exactes sur l'existence des Tyrrhéniens 9, des îles Lipari (îles d'Éole), des peuples de Sicile (Sicules), du détroit de Messine (Charybde et Scylla). Quant à Schérie, l'île des Phéaciens, il est impossible de la fixer sur la carte, tant les indications de l'Odyssée sont incohérentes et contradictoires. C'est là sans doute, comme le pays des Lestrygons et celui des Cimmériens, une de ces îles .légendaires que l'imagination des peuples a semées d'abord dans la Méditerranée, ensuite dans l'Océan. Au sud de la Méditerranée les Lotophages occupent la côte de la Syrte, les Éthiopiens sont répandus à l'est et à l'ouest10 et plus loin, sans doute dans l'intérieur, habitent les Pygmées ". A l'est, du côté du jour, en arrière de la Phénicie, se trouvent les Érembes32, les Arimes i3, les Solymes'', les Amazones. C'est aussi à l'est, non à l'ouest comme le font la plupart des commentateurs, qu'il faut placer Aea, l'île de Circé15. Au nord ou au nord-ouest les poèmes homériques mentionnent les Cimmériens. Tous ces peuples sont répandus sur la surface du disque terrestre, de toute part entouré par le fleuve Océan : conception primitive toujours populaire dans l'antiquité. Telle est, esquissée dans ses grandes lignes, la mappemonde homérique. La valeur géographique de ces données était déjà l'objet de vives discussions chez les anciens ; l'insistance même que met Strabon à défendre Homère comme géographe le prouve suffisamment. Ainsi Ératosthène ne voulait voir dans Homère que le poète, qui cherche toujours à, amuser, jamais à instruire. Hipparque, au contraire, considérait le grand poète comme le fondateur de la science géographique. Strabon partage cet avis. Homère est pour lui un philosophe. Si comme poète il n'a pas dédaigné la fable, il a su malgré tout faire dans ses narrations une part très grande à la vérité. La vérité est le fond sur lequel il bâtit; la fable n'est qu'un ornement accessoire. En conséquence Strabon examine avec le plus grand soin les notions géographiques contenues dans l'Iliade et l'Odyssée et les interprète naturellement dans le sens le plus favorable à l'érudition et à la science du poète 1°. Plus sévère dans sa méthode, la critique moderne a relevé dans la topographie de l'Odyssée un certain nombre d'incohérences et de contradictions manifestes" qui s'expliquent suffisamment par le mode de composition de l'ouvrage. Ainsi aux x-Ixe siècles av. J.-C. l'horizon géographique des Grecs ne dépasse guère les limites de la Méditerranée orientale. Dans la suite d'aventureuses navigations favorisées par les vents ou les courants, quelques grands voyages d'exploration commerciale, le développement de la colonisation hellénique, et surtout les guerres et les conquêtes des Grecs dans l'Asie, des Romains en Europe, en Asie et en Afrique, ont singulièrement agrandi, comme nous allons le voir, à l'ouest, au nord, à l'est, au sud, le domaine du monde connu des anciens. Développement de la mappemonde. 1° A l'ouest. A l'ouest, -car suivant la méthode de Strabon, de Pline et de Ptolémée, nous commençons par l'ouest cette revue de l'horizon géographique des anciens, lee Grecs ne semblent pas avoir acquis beaucoup de notions nouvelles avant le ve siècle. Les Phéniciens et les Cartha GEO '1529 GEO ginois connaissent seuls les régions extrêmesde la Méditerranée occidentale et les abords de l'Atlantique qu'ils exploitent avec un soin jaloux. Leurs emporia ou comptoirs sont naturellement fermés aux marchands des autres nations. On trouve bien çà et là dans les poèmes d'Hésiode quelques mentions des peuples riverains de la Méditerranée occidentale, mais ces indications sont des plus incertaines. Hécatée de Milet (vers 500 av. J.-C.) est le premier parmi les Grecs qui ait quelque notion exacte des pays situés au delà des Colonnes d'Hercule. Les fragments conservés par Étienne de Byzance nous montrent qu'Hécatée avait donné une description assez détaillée de la Libye 1. Hécatée cite aussi des villes dans l'Ibérie, la Celtique et le pays des Ligyens 2. A cette époque les Grecs avaient déjà pratiqué le détroit des Colonnes d'Hercule. Le premier d'entre eux qui ait franchi ce passage, alors plus étroit et moins profond qu'il ne l'est aujourd'hui est Colaeus de Samos4. Vers l'an 640 av. J.-C., Colaeus, pilote d'un navire samien qui faisait voile vers l'Égypte, fut poussé par les vents d'est jusque dans le redoutable détroit et parvint ainsi au riche comptoir de Tartessos, le grand entrepôt du commerce phénicien et carthaginois dans l'Occident. Les Grecs furent par ce fait mis en contact avec des peuples qu'ils ignoraient jusque-là. Bientôt même ils eurent quelque notion des côtes atlantiques de la Maurétanie. Hérodote connaît déjà le promontoire Soloeis «cap Cantin ?) : information qu'il doit sans doute au Périple d'Hannon. Ce périple décrit encore une partie notâble de la côte occupée par des colonies liby-phéniciennes depuis le détroit jusqu'au cap Noun. Quant à l'intérieur de la Maurétanie, il ne fut connu que beaucoup plus tard, lors de la création des voies romaines °, après l'expédition célèbre de Suetonius Paulinus dans les hautes régions de l'Atlas 7. Bien que les Phéniciens et les Carthaginois fissent tous leurs efforts pour cacher le secret dé leurs navigations 8, il était impossible cependant que les Grecs n'en eussent quelque connaissance. Ces vagues indices de terres et de mers inconnues furent exploités par l'imagination populaire et donnèrent lieu de croire à l'existence de vastes terres situées à l'ouest des Colonnes d'Hercule; dans la mer Atlantique 9. Une de ces terres, l'Atlantide de Platon 10, était une île plus grande que la Libye et l'Asie réunies, voisine d'autres îles, prospère et puissante jusqu'à la catastrophe terrible qui l'anéantit en une seule nuit. Elle était située à l'ouest du détroit de Gadès; c'est la seule indication positive que nous ait laissée Platon au sujet de l'Atlantide ; le reste ne relève plus de la géographie, mais de l'imagination et de la fantaisie 1!. Quoi qu'il en soit, cette légende prouve au moins l'existence chez les anciens d'une tradition relative à de vastes terres dans la direction de l'ouest, au delà des limites du monde connu. C'est de cette manière qu'on peut interpréter d'autres mythes analogues, le mythe de la 111éropide conservé par Théopompe 12 et le mythe du Continent Cronien rapporté par Plutarque 13. C'est également à l'ouest, dans ces parages encore inexplorés, quille mère plaçait les Champs Élysées, Eschyle le pays des Gorgones, Hésiode et Pindare le séjour des « Héros ». Les géographes et les savants eux-mêmes déclaraient qu'il peut exister des terres dans l'Océan occidental ". Sénèque enfin exprimait dans des vers souvent cités le même pressentiment 15. Quant aux notions positives sur l'Atlantique, elles étaient encore bien impàrfaites. En dehors des côtes de la Lusitanie et de la Maurétanie les anciens ne connaissaient guère que les îles Fortunées (Canaries). Ces îles sont mentionnées pour la première fois d'une manière précise par les écrivains de l'époque romaine, Strabon, Méla, Pline 16. Juba le jeune fit à ce sujet une enquête dont Pline a consigné les résultats. Ptolémée enfin résume tout ce que savaient les anciens de cet archipel situé à l'extrémité occidentale du monde 17. Au delà, les géographes ne connaissaient plus de terres, mais ils avaient quelque notion de l'aspect de l'Océan dans ces lointains parages. Ils connaissaient les brumes si épaisses de la côte occidentale de l'Afrique '$ et les bancs de sargasses f9. Qu'on ajoute à ces dangers réels d'autres circonstances défavorables exagérées par l'imagination des marins: calme des, vents, faible profondeur de la mer, violence des marées, rapidité des courants, etc.20, et l'on comprendra que les anciens aient jugé l'Océan innavigable au delà des Colonnes d'Hercule". Les marchands phéniciens, carthaginois, gaditains qui seuls auraient pu dissiper ces préjugés, les entretenaient avec soin pour sauvegarder autant que possible leur monopole. Au xve siècle seulement, après de longues et périlleuses tentatives, les Portugais parvinrent à s'affranchir de ces imaginations et de ces terreurs. Les anciens ne pouvaient donc connaître l'extension véritable de l'Atlantique dans la direction de l'ouest. Les uns, le plus grand nombre sans doute, attribuaient à cet Océan une très grande largeur, car ils ne refusaient pas d'admettre qu'il pouvait exister de vastes terres au milieu des flots de l'Atlantique ; d'autres au contraire réduisaient de beaucoup l'étendue assignée à l'Océan occidental. Ainsi Aristote avait répandu l'idée qu'une navigation de quelques jours suffirait pour atteindre des ports de l'Ibérie les extrémités orientales de l'Asie 22. L'existence d'éléphants dans l'Inde et dans l'Afrique occidentale lui paraissait être un fait suffisant pour justifier cette audacieuse conjecture. L'hypothèse d'Aristote fut propagée par ses nombreux commentateurs qui la firent pénétrer dans les encyclopédies du moyen âge et stimulèrent ainsi le zèle et les espérances de Christophe Colomb". `3° Au nord. Du côté du nord le développement des connaissances géographiques fut d'abord très lent. GEO 1330 GEO Entre l'époque d'Homère et celle d'Hécatée et d'IIérodote on ne constate presque aucun progrès. Durant ces cinq siècles la colonisation grecque s'étend rapidement sur tous les rivages de la Méditerranée, ruais sans dépasser au nord le Pont-Euxin. Il devait cependant de ce fait résulter quelque accroissement des connaissances géographiques sur les pays du Nord. Grâce à leurs colonies de l'Euxin, les Grecs obtinrent en effet quelques notions précises sur la région Maeotide, sur le pays des Cimmériens et des Scythes, sur le cours de l'Ister (Danube). Ces informations nouvelles ont été recueillies par Hécatée de Milet et surtout par Ilérodote. Ainsi Hérodote connaît le Danube et plusieurs de ses affluents de droite; il connaît aussi les principaux fleuves de la Scythie. II sait déjà, ou il suppose théoriquement, que la Caspienne est une mer fermée 1. Au delà, dans la direction du nord, il ne trouve à mentionner que des monstres ou des peuples légendaires comme les Hyperboréens L'Europe du nord-ouest, encore ignorée d'Hérodote, fut révélée aux Grecs par les voyages de Pythéas. Cet audacieux voyageur, si mal traité par Strabon qui ne manque aucune occasion de le déclarer charlatan et menteur3, n'en a pas moins rendu de réels services à la géographie Envoyé dans les régions du Nord par les négociants massaliotes pour y aller chercher l'étain et l'ambre jusque-là exploités seulement par les Phéniciens et les Carthaginois, Pythéas fut assez heureux pour suivre dans l'Océan les traces d'Himilcon. Il découvrit ainsi la Grande-Bretagne, la mer du Nord et s'avança jusqu'aux Orcades par 61° de latitude nord environ. S'il parle de Thulé, c'est d'après des informations fournies par les Bretons. Au delà de cette île mystérieuse (Islande ?) s'étend une mer glacée, la mer hyperboréenne, Scythique, Gelée, Glaciale des écrivains anciens 5, cette mer engourdie par le froid, aux eaux épaisses et dormantes, alourdies par les glaces polaires et enveloppées de bruines redoutables. Si à part quelques exagérations cette description est en général assez exacte, le mérite en revient en grande partie à Pythéas qui a fourni à la plupart des géographes anciens leurs informations sur ces lointains parages. Sans doute Himilcon 6 avait frayé la voie au navigateur marseillais et l'avait précédé sur la route d'Albion. Mais le capitaine carthaginois ne paraît pas s'être avancé aussi loin dans le nord que son successeur. De plus, tandis que les découvertes d'Himilcon, tenues secrètes par les Carthaginois, n'exercèrent aucune influence sur le progrès de la science, celles de Pythéas modifièrent notablement plusieurs théories, en particulier la théorie des zones. C'est sur la foi de Pythéas qu'Ératosthène étendit jusqu'au cercle polaire les limites de la terre habitable Les Carthaginois et les Grecs avaient été amenés par le commerce sur les côtes de la Grande-Bretagne, les Romains furent amenés par la guerre sur les rivages de la Germanie. Ceux-là n'avaient fait qu'indiquer d'une manière très vague les contours de quelques terres de l'Europe septentrionale, ceux-ci précisèrent ces indications et en augmentèrent le nombre. Pour apprécier l'importance de ces nouvelles acquisitions, il suffit de comparer la carte d'Ératosthène et celle de Ptolémée. La première ne présente que le tracé encore informe des côtes septentrionales de la Gaule, d'Albion de l'Hibernie, de Thulé ; la seconde, beaucoup plus complète et beaucoup moins inexacte, indique assez bien laposition des îles Britanniques et des mers voisines jusqu'à la Scandinavie. En outre, tandis que la carte d'Ératosthène est à peu près vide de noms de peuples et de lieux, la carte de Ptolémée nous présente une abondante nomenclature. Cet accroissement si sensible de la mappemonde est un résultat direct des conquêtes de Rome Pendant plusieurs années César a sillonné la Gaule et s'est trouvé en contact prolongé avec plusieurs peuples riverains de la Manche et de la mer du Nord. A deux reprises il a pénétré dans la Bretagne, région peu connue des Gaulois eux-mêmes. La conquête géographique de cette terre, commencée par César, continuée par Claude, fut achevée par Agricola 10, qui soumit l'Hibernie (Irlande) et exécuta le premier périple de la grande île. La Germanie était en même temps ouverte aux armées romaines. Depuis César, Romains et Germains se trouvaient en présence entre le Rhin et l'Elbe. Drusus; Tibère, Germanicus s'enfoncèrent dans les épaisses forêts de la Germanie occidentale. Domitius Ahenobarbus franchit même la barrière de l'Elbe. Strabon, Pline li, Tacite nous ont transmis les informations géographiques qui résultèrent de ces longues guerres. Plus loin, à l'est, les marchands venaient encore par la route de la Vistule chercher l'ambre précieux sur les côtes de la Baltique. Cet antique commerce, pratiqué par les Phéniciens et les Grecs, fut également exploité à l'époque romaine, comme le prouvent suffisamment les monnaies impériales trouvées dans le sol des provinces Baltiques. Restait à explorer la péninsule Scandinave. Ni les Phéniciens 1' ni les Grecs ne paraissent avoir eu connaissance de cette région. La Basilia de Pythéas, la ,Baltia de Xénophon de Lampsaque 13, cette île immense située à trois jours de navigation de la côte de Scythie, est encore une terre à moitié légendaire. Pline 14 et Ptolémée S5 ont à ce sujet quelques notions plus exactes, grâce à la conquête de la Germanie par les armées romaines. Au delà du pays des Suiones, habitants de la Scandinavie, s'étend une mer 46, une de ces mers boréales qui inspiraient aux anciens une vive terreur, peutêtre parsemée d'îles remplies de monstres 17. Il s'y trouve aussi peut-être une vaste terre inconnue, symétrique de cette terre australe qui ferme au sud la mer Érythrée SS. GEO 1531 GEO 30 A l'est. Comme du côté du nord, le progrès des connaissances géographiques à l'est fut principalement le résultat d'expéditions militaires. Les armées des Perses, des Grecs, des Romains ouvrirent aux explorateurs les routes de l'Asie. Chez les Perses l'organisation des satrapies, la création des routes postales permettent de supposer l'existence d'une statistique générale de l'empire. D'autre part les souverains se montrèrent soucieux de connaître les diverses ressources de leur vaste domaine. C'est ainsi que Darius fit exécuter, vers l'an 500 av. J.-C., sur les limites orientales de son empire plusieurs voyages de reconnaissance par des Grecs de l'Ionie. L'un de ces Grecs, Scylax de Caryanda, écrivit une relation de son voyage par mer du golfe Arabique à l'Indus, relation que ses compatriotes Hécatée de Milet, Hérodote d'Halicarnasse, durent mettre largement à profit'. C'est aussi à des documents officiels 3 qu'Hérodote a dû emprunter ses détails si intéressants sur la division en satrapies et sa revue si complète des peuples asiatiques enrôlés dans l'armée de Xerxès''. Plus tard l'expédition aventureuse des Dix Mille 5 à travers l'Asie Mineure permit aux Grecs de préciser leurs connaissances géographiques sur ce vaste territoire. Partis de Sardes, les Grecs à la solde de Cyrus se dirigèrent sur l'Euphrate par la Phrygie, le Taurus, franchirent l'Euphrate à Thapsaque et s'avancèrent au sudest jusqu'à Cunaxa près de Babylone. Le retour s'opéra par la vallée du Tigre, les hauts plateaux de l'Arménie et les montagnes du Pont. Dans ce long voyage de plus de six mille kilomètres les Grecs avaient pu se familiariser avec tous les phénomènes des formations de plateaux et de montagnes. Au point de vue scientifique et au point de vue politique la campagne des Dix Mille prépara la campagne d'Alexandre. L'expédition d'Alexandre fut encore plus fructueuse pôur la science géographique. Le héros macédonien parcourut en effet l'empire perse dans toute son étendue, depuis l'oasis d'Ammon jusqu'aux limites de l'Inde; il en franchit même les frontières et s'avança au nord jusque dans le voisinage de l'Iaxarte (Syr-Daria), à l'est jusqu'à l'Ilyphase, affluent de gauche de l'Indus. Cette merveilleuse conquête ouvrait aux sciences naturelles et à la géographie un monde presque entièrement nouveau : l'Asie Centrale et l'Inde. Les pluies d'été des plaines de l'Hindoustan, les grands fleuves de cette portion de la zone torride, les neiges de l'Hindou-Kousch, les déserts de la Gédrosie, etc., offraient aux savants de nouveaux horizons. Dès lors un premier essai de synthèse devenait possible à l'aide de ces observations nouvelles. Quant à la méthode, Aristote l'avait fixée. L'Iaxarte (Syr-Daria), l'Indus (Sindh) et l'Hyphase (Vyâsa,Vipâçâ, Beyas)marquentalors les frontières orien IV. tales du monde connu des anciens. Au delà de ces limites les notions recueillies par les Grecs sont encore bien incertaines et souvent bien inexactes. Ainsi Ératosthène place très mal le Gange qu'il relève au nord jusqu'à la latitude d'Alexandrie. Il attribue à l'Inde une fausse direction, la relevant également au nord 7, sans doute pour l'éloigner le plus possible de la zone torride réputée inhabitable. La persistance de cette erreur chez les anciens 8 montre suffisamment que le tracé de l'Inde fut en quelque sorte fixé dans ses principales lignes par l'expédition d'Alexandre. Au ne siècle ap. J.-C. Arrien s'en tient encore au témoignage de Néarque et de ses contemporains. Au nord de l'Inde un puissant rempart de montagnes, le diaphragme de Dicéarque9, s'étendait de l'ouest à l'est, depuis les rivages de la Méditerranée jusqu'aux bords de l'océan Oriental. Cette longue chaîne, désignée sous diverses appellations, Taurus d'Asie Mineure, Paropamisus (au nord de l'Afghanistan), Emodus (au nord de l'Indus), Imaüs (au nord du Gange), n'a jamais été explorée par les anciens dans sa partie orientale. Mais les Macédoniens avaient aperçu l'Himalaya, et l'abondance des grands fleuves de l'Inde leur fit supposer l'existence à l'est d'autres renflements montagneux de grande importance. En outre, les indigènes de la haute vallée de l'Indus, que suivant son habitude Alexandre dut interroger, fournirent sans doute aux Grecs quelques informations à ce sujet. Au nord du diaphragme montagneux de l'Asie les anciens connaissaient l'Hyrcanie, la Bactriane et la Sogdiane entre le Paropamise et l'Iaxarte. Plus loin, à travers les vastes plaines de l'Asie Septentrionale, errent des tribus nomades de Scythes encore barbares10, qui s'étendent jusqu'à lamer Glaciale. Ératosthène, Strabon, Méla, Pline, la plupart des géographes anciens terminent en effet l'Europe et l'Asie à la mer Boréale. Ptolémée au contraire, qui limite partout les continents par des terres inconnues, place au nord et à l'est de la région des Scythes une terre inexplorée 11 A l'Extrême Orient les écrivains anciens de l'époque d'Auguste 12 mentionnent le peuple industrieux et pacifique des SèresS3 entre l'Oxus et la mer Orientale){. Un texte de Strabon 1a nous autorise à penser que cette notion est un résultat des conquêtes des rois de Bactriane. Plus tard, le développement continu du commerce gréco-romain, l'envoi d'ambassades chinoises à Rome et d'ambassades romaines en Chine 16, furent des circonstances très favorables au progrès de la géographie. Ptolémée, qui écrit sous les Antonins, connaît beaucoup mieux les Sères que les écrivains du siècle précédent. Ainsi il indique avec des détails suffisants l'itinéraire des marchands romains qui se rendaient par terre au pays de Sères 17. Les caravanes se formaient à Hiérapolis et de là gagnaient la Bac 193 GEO 1132 GEO triane en faisant route au sud de la mer Caspienne. A Bactres les caravanes venues de l'Occident s'arrêtaient quelque temps jusqu'à l'arrivée des caravanes parties de l'Inde. Puis les marchands se dirigeaient sur l'Iaxarte et gagnaient le poste de la Tour de Pierre (AiOtvos IIûpycs). A partir de ce point (Taschkent?) les indications de Ptolémée cessent d'être précises et par malheur les documents chinois ne semblent pas combler cette lacune'. Quant à la longueur totale de la route, Marin l'évaluait à 62 480 stades, dont 26 280 de l'Euphrate à la Tour de Pierre et 36 200 de ce point à Séra, capitale des Sères 2. Ptolémée croit devoir réduire ces chiffres à cause des détours et des sinuosités des routes, et aussi à cause des exagérations habituelles aux marchands; il les réduit d'un tiers environ et évalue la distance à 42 100 stades Il arrive à un résultat semblable en additionnant les distances par mer de l'Inde à Cattigara '. Une autre route conduisait par terre de l'Inde à Séra par Palimbothra, mais Ptolémée ' ne nous donne sur cette route aucun renseignement. Au sud du pays des Sères ou des Sines, car les deux mots nous paraissent synonymes les Romains du II' siècle ont quelque notion de l'Inde transgangétique (Indo-Chine), de la presqu'île Chryse (Malacca) et des grands fleuves indo-chinois. Ils savent qu'à l'est de cette péninsule s'étend un vaste golfe (mer de Chine) limité au sud par des îles 7, l'île du Bon Génie ou d'Agathodaenion (Sumatra ?), les cinq îles Barussae (petites îles voisines de la côte occidentale de Sumatra ?), Jabadiu 8 (Java?) et les trois îles des Satyres (Bali, Madura, Lombok?). Ces régions lointaines de l'Insulinde ont été révélées par le commerce maritime. Cattigara0, le grand port des Chinois, est fréquenté à cette époque par les navires venus de l'Occident, et il y a un courant d'échanges continu entre l'Occident et l'Extrême Orient. Rome reçoit la soie 10, marchandise précieuse qu'elle paye parfois au poids de l'or ; la Chine s'enrichit du numéraire qu'elle tire de l'Occident, car elle exporte sans rien importer. Les principales routes du commerce de la soie sont alors les deux routes de terre par le Turkestan et l'Inde et la route de mer par l'océan Indien. Les conquérants n'avaient guère dépassé l'Indus, les marchands s'avancèrent plus loin, jusque dans les mers de Chine. 4° Au sud. Au sud, l'horizon géographique des Grecs fut longtemps bien limité. Longtemps les Phéniciens et les Arabes exploitèrent seuls les côtes de l'Afrique. Avant Hérodote les Grecs ne connaissent encore que le littoral africain de la Méditerranée et n'ont aucune notion précise sur l'intérieur du continent noir. 1llais au ve siècle av. J.-C. l'oeuvre d'Hérodote marque un progrès réel dans les connaissances géographiques des anciens. Le littoral de l'Afrique du Nord depuis le Nil jusqu'au détroit de Gadès, l'Égypte avec sa riche vallée fluviale et ses oasis y sont décrits avec une assez grande exactitude. De plus, Hérodote a déjà quelques notions sur l'intérieur de la Libye, l'Éthiopie, la région de Méroé, le pays des Garamantes. Cyrène, qui faisait un grand commerce par caravanes avec le Soudan, lui fournit sans doute sur cos pays de précieuses informations. C'est par les Cyrénéens ou par les Égyptiens qu'Ilérodote dut apprendre l'existence de cette route des oasis qui longe la limite septentrionale du Sahara depuis la vallée du Nil jusqu'à l'Atlantique ". C'est par les Cyrénéens qu'il connut le voyage des cinq Nasamons. Partis du littoral de la Syrte, les cinq aventuriers traversèrent le désert en faisant route à l'ouest et après avoir franchi de grands marais arrivèrent dans une ville peuplée de noirs, arrosée par un fleuve qui coule. de l'ouest à l'est1°. Ce fleuve est-il un oued saharien ou le Niger? Plusieurs oasis du Sahara ont une population noire 13 Un autre témoignage d'Hérodote 14, relatif au périple de l'Afrique par les Phéniciens, a depuis longtemps exercé la critique des érudits'. C'était chez les Grecs une tradition ancienne que la tradition de périples autour de la Libye 1G. Préoccupés avant tout du préjugé de la zone torride, les anciens n'avaient pas une idée juste de l'extension de l'Afrique au sud de l'équateur et la terminaient pour la plupart aux environs du tropique du Cancer. L'Afrique ainsi singulièrement réduite en largeur du nord au sud, un périple par la mer du Sud" devenait relativement facile. Ménélas, Ulysse auraient précédé dans cette voie les Phéniciens de Néchao 19. Le témoignage d'Hérodote, le seul qui mentionne l'expédition des Phéniciens i0, ne renferme en lui-même aucune indication qui nous autorise à le rejeter20. 11 soulève sans doute de grandes difficultés d'interprétation, surtout en ce qui concerne les semailles de céréales sur la côte de l'Afrique intertropicale, mais les objections faites contre la vraisemblance du récit ne sont nullement probantes. Quoi qu'il en soit, la science géographique ne retira aucun profit de ces anciennes tentatives. Au temps d'Hérodote, les prêtres de Memphis regardaient encore la mer Érythrée comme inaccessible aux marins 21. D'Hérodote aux Ptolémées la carte de la Libye ne subit pas chez les anciens d'importante modification, mais l'établissement d'une dynastie grecque sur les bords du Nil fut très favorable aux progrès de la géographie. Ératosthène possède sur la partie orientale de l'Afrique, depuis l'Égypte jusqu'au cap des Aromates (Guardafui), des notions beaucoup plus complètes et plus exactes que ses devanciers. 11 connaît la vraie forme du golfe Arabique'; il connaît aussi l'Éthiopie ouverte aux Grecs depuis le règne de Ptolémée Philadelphe 22. Par les Éthiopiens il reçut quelques informations sur les régions du haut Nil 23, par les Égyptiens ou par des marchands étrangers il obtint quelques renseignements sur les grands lacs du Nil et les hautes montagnes dont les eaux alimentent le fleuve naissant °'.Mais ses connais GEO 1533 GEO sances positives s'arrêtent à la région Cinnamomifère (pays des Somàlis) dont le parallèle limite au sud la terre habitablel'oixoup._vE,.. A l'ouest au contraire, on ne constate aucun progrès nouveau. Ératosthène en est encore au tracé d'Hérodote et ne connaît la côte occidentale d'Afrique que par le périple d'Hannon'. Ptolémée d'ailleurs n'est pas mieux renseigné. Les anciens n'ont jamais franchi, à notre connaissance, les points extrêmes de l'exploration du capitaine carthaginois, le Char des Dieux et la Corne du Midi. Or les commentateurs les plus disposés à étendre au sud ces découvertes ne cherchent pas à placer le Char des Dieux au delà du massif des Camaroun, par 40 de lat. nord 3. Par contre, dans la mer Érythrée (océan Indien) les connaissances positives des anciens dépassaient les limites de l'équateur et s'étendaient jusqu'à la côte du Zanguebar. Si, comme Ératosthène et Strabon, Méla et Pline ignorent encore les pays situés au delà du cap des Aromates, l'auteur anonyme du Périple de la mer L'rythrée, Marin de Tyr et Ptolémée tracent la côte orientale de l'Afrique jusqu'au 150 de latitude sud environ. II y eut donc dans un court intervalle de temps, entre la mort de Pline (71 ap. J.-C.) et la date de composition du Périple (environ 90 ap. J.-C. ?), un ou plusieurs voyages de découverte le long de ces rivages. Marin de Tyr eut à sa disposition les journaux de trois navigateurs grecs : Diogène, Théophile et Dioscore, qui poussés par les moussons avaient été détournés des routes de l'Inde et jetés sur les côtes de l'Afrique Orientale. Les Grecs connurent ainsi le littoral de l'Afrique depuis le cap des Aromates jusqu'à Zanzibar, peut-être même jusqu'à la pointe nord de Madagascar (Menuthias?)w. Le succès du système de Ptolémée montre d'autre part que ces connaissances étaient encore bien vagues et bien incertaines ; sinon, Ptolémée et son école n'auraient jamais fait de l'océan Indien une mer fermée. Ainsi, le golfe de Guinée à l'ouest, les parages de Zanzibar à l'est marquent la limite des connaissances des anciens sur te littoral de l'Afrique'. A l'intérieur du continent ces connaissances étaient bien moins étendues, car le désert du Sahara offrait aux explorateurs des obstacles difficiles à surmonter. Cependant les Romains, fortement établis sur le littoral et sur les plateaux de la Berbérie, occupèrent quelques positions dans le Sahara du Nord. Des lignes de postes fortifiés protégeaient contre les incursions des nomades les cités si nombreuses de l'Afrique romaine. Cydamus (Ghadamès), par 30° environ, était un de ces postes avancés. En Tripolitaine Barth a signalé plusieurs ruines romaines, dont la plus méridionale se trouve près de Djerma 6, par 26°30' environ, dans le Fezzan, la P/tazanie des anciens, que l'armée de Cornélius Balbus7 parcourut l'an 19 après Jésus-Christ. Mais rien ne prouve que les Romains aient pénétré dans le Soudan proprement dit. L'expédition d'Agisymba n'est probablement qu'une marche de colonne romaine jusqu'à l'oasis montagneuse d'Aïr ou Ashen 8. Le seul point par lequel les anciens aient entrevu les régions soudanaises, c'est la vallée moyenne du Nil. Après les Grecs les Romains avaient pénétré en Éthiopie'. Des centurions remontèrent le fleuve sur l'ordre de Néron et s'avancèrent jusqu'aux vastes marécages de Nô par 9° de lat. nord f0. Ce point fut l'extrême limite des explorations des anciens dansl'Afrique intérieure. Au delà, les géographes ne possèdent plus que des informations " recueillies auprès des indigènes et surtout auprès des marchands de la mer des Indes. Les Grecs et les Romains fréquentaient, en effet, depuis quelque temps la mer Érythrée qui, par son annexe, la mer Rouge, limitait à l'est l'empire des Lagides. L'ancien cabotage, tel que l'avaient pratiqué Scylax, Néarque, était délaissé depuis qu'Hippalos avait indiqué le parti qu'on pouvait tirer du phénomène des moussons pour abréger la route de l'Inde. liippalos inaugura ainsi la navigation hauturière dans l'océan Indien 1a et laissa même son nom 13 à cet océan. Dès lors les voyages à l'Inde deviennent plus faciles ; au temps de Pline, ils sont réguliers et se font de la manière suivante is D'Alexandrie à Coptos les marchands remontent le Nil; c'est un trajet de douze jours par les vents étésiens. De Coptos ils se rendent à Bérénice sur les bords de la mer Rouge par une route de caravanes'' que Ptolémée Philadelphe ouvrit dans le désert, route dont les stations étaient pourvues de citernes (GSpEÛN. t'ra, lacci). Cette distance de deux cent cinquante-huit milles romains (380 kilom.) est également parcourue en douze jours. Puis, on êompte environ trente jours de navigation de Bérénice aux ports de l'Arabie Heureuse, Ocelis ou Carne, et quarante jours, par la mousson favorable, de l'un ou l'autre de ces ports à Muziris, sur la côte occidentale de l'Inde. Le voyage d'aller se fait pendant l'été, le voyage de retour pendant l'hiver 16. Au sud de l'Inde que les moussons rapprochent ainsi de l'Occident se trouve une terre, Taprobane, l'île de Ceylan, sur laquelle les anciens n'eurent longtemps que des notions assez vagues. Certains se plurent à la considérer comme le commencement d'un autre monde, celui des Antichthones''. Sur l'ordre d'Alexandre, Onésicrite alla reconnaître cette terre mystérieuse et en signala le véritable caractère. Néanmoins l'erreur ancienne persistait encore. Ainsi Ératosthène lui-même ne semble pas convaincu que Taprobane soit une île te. Les écrivains postérieurs 19 : Strabon, Pline, Solin, mieux informés, affirment que Taprobane est séparée de la terre ferme. L'histoire géographique de Taprobane est intimement GEO -1534 GEO liée à l'histoire d'une hypothèse ancienne, l'hypothèse de la terre australe l' ocaoup.iv' comme l'appelle Ptolémée Cette conception est bien antérieure au géographe alexandrin, car elle est nettement marquée dans Cratès de Mallos 3, grammairien du ii° siècle av. J.-C. Elle apparaît peut-être déjà dans la doctrine de Pythagore 4. Dans la suite les astronomes et les cosmographes professèrent ouvertement la théorie de l'Antichthone; les poètes eux-mêmes, Virgile, Manilias, Lucain, y firent directement allusion Enfin un philosophe poète, Cicéron, se laissa séduire par cette poétique imagination et accorda dans sa République 6 droit de cité à cette étrange doctrine. Plus tard, un de ses commentateurs, Macrobe, en donna la formule classique 7 reproduite avec de légères variantes par beaucoup d'écrivains du Moyen Age. Ainsi formulée, incorporée en quelque sorte dans le système de la division de la terre en quatre continents opposés les uns aux autres, l'hypothèse traditionnelle de la terre australe, modifiée plus ou moins par le progrès des découvertes géographiques et des sciences,' s'est perpétuée jusqu'à la fin du xvme siècle. Comme la plupart des hypothèses, cette théorie n'était pas sans avoir quelque rapport avec la réalité. L'imperfection des connaissances des anciens sur la véritable direction des côtes de l'Asie et de l'Afrique rendait cette conjecture très vraisem-. blable. L'Asie de Ptolémée infléchie au sud-est, l'Afrique d'Ératosthène dirigée d'un côté au sud-ouest, de l'autre au sud-est, semblaient se rapprocher l'une de l'autre, reliées par cette terre inconnue, qui dans le système de Ptolémée 8 limite au sud la mer Érythrée et la transforme en bassin maritime complètement fermé. Tel est, résumé à grands traits, le développement de la mappemonde chez les anciens. Examinons maintenant les théories de l'antiquité sur les dimensions de la terre et principalement de la partie habitée de la terre. La terre habitable. Ses dimensions. Les évaluations de ce genre supposent la mesure d'un arc de cercle. Or cette mesure a dû être exécutée de bonne heure, car elle a peut-être servi de base aux principaux systèmes métriques de l'antiquité. Quant à l'opération attribuée à Ératosthène, il est probable qu'elle fut incomplète. Toute mesure d'un arc de cercle suppose une double opération : 1° une opération astronomique, le calcul des positions géographiques des deux points extrêmes de l'arc; 2° une opération géodésique, ,la mesure directe de la distance qui sépare ces deux points. L'opération astronomique seule fut faite, et d'une manière très satisfaisante ; l'opération géodésique futnégligée f0, L'évaluation d'Ératosthène (250000 stades) diffère très sensiblement d'autres évaluations mentionnées par les anciens. Ainsi les uns attribuaient au grand cercle une circonférence de 400000 stades ", d'autres de 300000'12, d'autres de 240000, d'autres enfin de 18000012, Voilà donc cinq estimations différentes de la grandeur de la terre qui, réduites en stades de même longueur, ne présenteraient peut-être que des variations de faible importance. D'autre part, il se peut que ces chiffres reposent non pas sur des mesures directes, mais sur des calculs systématiques a priori'{. Mais dans l'opinion des anciens la sphère terrestre n'est pas habitée dans toute l'étendue de sa surface. La terre habitée, l'cecumène, civouu.€vn, n'est qu'une partie, le quart environ, de la sphère. Sa largeur du parallèle de Thulé à l'équateur est d'après Ératosthène de 46300 stades, de 38000 stades seulement, si on limite la terre habitable au parallèle de la région Cinnamomifère. Strabon, qui se méfie beaucoup trop des affirmations de Pythéas, rejette naturellement les récits du navigateur massaliote sur Thulé et réduit à 38100 stades la largeur de l'cecumène de l'équateur à la limite septentrionale de la terre habitable" Ptolémée 16 admet le chiffre de 40000 stades, soit en nombre rond 80°. Converties en degrés les évaluations d'Ératosthène et de Strabon correspondent la première à 66°, la seconde à 540. Quant à la longitude, calculée de l'ouest à l'est, elle est notablement supérieure à la latitude. Ératosthène compte 77800 stades, Strabon 72500 et 70000 seulement de l'Ibérie à l'Inde. Ces estimations varièrent naturellement avec le progrès des connaissances géographiques. Marin de Tyr évaluait à 225° la longueur de l'cecumène. Ptolémée, après avoir fait subir aux distances de Marin des réductions importantes à cause des détours et des sinuosités des routes, ramène cette évaluation totale à 1.80° en chiffres ronds 17. Des îles Fortunées au pays des Sères on compte 177°15'18, distance qui se décompose ainsi: du pays des Sères à l'Euphrate, l05°15', de l'Euphrate aux îles Fortunées 72° dont 62° pour la Méditerranée! On peut juger par cette erreur de 20° sur l'étendue d'une mer très fréquentée par les navigateurs anciens de la valeur de la plupart des estimations de ce genre. Dans le calcul des distances par terre et par mer, les géographes ne tenaient sans doute pas suffisamment compte des détours des routes1°, des déviations produites par les vents et les courants de la mer. En outre, la pratique du cabotage contribuait encore à fausser les distances par exagération. Hipparque, Ptolémée, tous les partisans de l'école astronomique avaient parfaitement senti le vice de ces méthodes pour l'évaluation des longitudes. Seul le calcul par les éclipses de lune pouvait donner des résultats satisfaisants, mais cette méthode astronomique n'était guère employée par les anciens20. En comparant ces évaluations on voit que le rapport GEO 1535 GEO des deux dimensions varie suivant les auteurs. Pour Eudoxe de Cnide, le rapport de la longueur à la largeur est de 2/1; pour Ératosthène, Artémidore, Strabon, il est supérieur à ce chiffre ; pour Démocrite, Dicéarque, il est de 3/2 ; pour Aristote, il est supérieur à 5/3 1. Quoi qu'il en soit de la mesure exacte de ce rapport, l'cecumène a incontestablement une forme oblongue, allongée de l'ouest à l'est. Iipparque la compare à un rectangle et à une table, Posidonius à une fronde, Strabon à une chlamyde déployée 2. Elle est tout entière contenue dans un quart de la surface terrestre, le quart habitable 3. Graduation. -L'oixous.Évr1 ou terre habitée ne fut pas tout d'abord divisée en degrés de longitude et de latitude. Le premier essai de graduation chez les Grecs est beaucoup plus simple que la division du grand cercle en 360 parties. Dicéarque se contentait de tracer deux lignes perpendiculaires entre elles, la ligne du diaphragme d'ouest en est et la ligne nord-sud. Ératosthène adopta pour la construction de sa carte un système moins primitif. Pour la latitude il distingua expressément huit parallèles et douze pour la longitude 5. Ces parallèles qui se coupent à angles droits divisent la surface de l'cecumène en un certain nombre de compartiments rectangulaires que Strabon ' appelle sphragides (app«yïôeq) et carreaux (7)tvt«). Hipparque enfin adopta pour la construction de sa carte la division en 360 degrés qu'il avait empruntée peut-être aux Chaldéens8. Ce mode de graduation devint classique et fut adopté dès lors par les cartographes. Marin de Tyr et Ptolémée contribuèrent beaucoup à le vulgariser. Division en climats. La division en climats (xX(p.«'r«, inclinationes cocli0) est également une division astronomique. Par climats les anciens désignaient des zones terrestres déterminées par la longueur des jours. Ils comptaient d'ordinaire sept climats délimités par les parallèles suivants i 1 : Ptolémée porta à vingt et un le nombre des parallèles. Dans son système" la différence de longueur des jours varie d'un quart d'heure à une heure. Division en continents et en régions. La terre habi table était aussi divisée par les anciens en plusieurs masses continentales. Encore inconnue à l'époque des poèmes homériques S2, la distinction des continents apparaît déjà chez Hippocrate et chez Hérodote S3. Dès lors la plupart des écrivains prennent l'habitude de considérer l'Europe, l'Asie et la Libye comme trois masses indépendantes. Quelques-uns cependant n'admettent que deux continents et font de la Libye une annexe de l'Europe ou de l'Asie i4. Mais, s'ils sont d'accord en général pour accepter la division en trois continents', les géographes anciens diffèrent notablement d'avis sur les limites et l'étendue relative de chacune des trois parties. Les uns en effet admettent comme limites les fleuves : Nil, Tanaïs; d'autres considérent les isthmes comme des bornes plus naturelles; d'autres enfin préfèrent la division par les mers, là du moins où il est possible de l'appliquer 10. D'ordinaire le Tanaïs (Don) et le Palus Maeotide (mer d'Azow), parfois aussi l'isthme Ponto-Caspien, le Tanaïs et le Bosphore Cimmérien et même le Phase (Itioni) marquent la séparation entre l'Europe et l'Asie. L'Europe est séparée de l'Afrique par le détroit des Colonnes d'Hercule et la Méditerranée. Enfin la mer Rouge, l'isthme de Suez, le Nil (c'est l'opinion classique), ou bien encore le grand Catabathme entre la Marmarique et la Cyrénaïque forment, suivant les géographes, la limite de l'Afrique et de l'Asie ". L'Europe, qu'Ilérodote le premier 18 mentionne avec quelque détail, passait chez les anciens pour être le continent le plus vaste. Au jugement de Pline 19, elle égale un peu plus des 11/24 de la terre habitée, tandis que l'Asie n'en forme que les 9/28 et l'Afrique les 13/601 L'Europe est encore supérieure aux autres continents par les avantages naturels dont elle est amplement pourvue. Son sol, de relief si varié, est très fertile; son climat tempéré la rend habitable presque dans toutes ses parties. Riche en bétail, en produits agricoles, en mines, l'Europe présente aussi une grande variété de populations, les unes pacifiques et civilisées, les autres guerrières et sauvages. Grâce à ces avantages naturels elle se suffit à ellemême20. La Libye 21 au contraire est bien moins riche et bien moins fertile. En grande partie située sous la zone torride, mal arrosée, semée de vastes déserts, peuplée de bêtes féroces23, elle n'offre pas à l'activité de l'homme un domaine facile à exploiter. Les trois continents se subdivisent à leur tour en un certain nombre de parties que les géographes anciens décrivent séparément. Adonné exclusivement à la nomenclature, PtoléméeY3 ne s'occupe que des cadres admi GEO 1536 GEO nistratifs, provinces et préfectures. Strabon fait preuve d'un sens géographique plus large. Bien qu'en sa qualité d'historien et de politique il s'en tienne le plus souvent aux divisions historiques et administratives, il n'en montre pas moins à plusieurs reprises qu'il a le sens des régions physiques et des limites naturelles'. En outre, pour rendre plus facile à ses lecteurs l'intelligence de la configuration d'un pays, Strabon emploie fréquemment des comparaisons tirées d'objets bien connus. Ainsi il compare l'Ibérie à une peau de boeuf déployée, la Sicile à un triangle, le Péloponnèse à une feuille de platane, la Libye à un triangle rectangle. à un trapèze, à une peau de panthère tachetée d'oasis, la Corne d'Or du Bosphore à un bois de cerf, etc. 2. Puis, la configuration générale d'un pays ainsi définie, sa surface .évaluée en mesures itinéraires, les géographes anciens, qui puisaient surtout dans des descriptions régionales, se bornent le plus souvent à juxtaposer ' les renseignements qu'ils y trouvent sans se préoccuper beaucoup de donner à leurs observations une portée générale. Mesures itinéraires. Quant aux évaluations de distances4 fournies par les géographes anciens, il est souvent bien difficile de distinguer si elles reposent sur une véritable mensuration ou si elles sont calculées approximativement d'après le temps employé au parcours. L'usage d'indiquer les distances sur les routes principales est fort ancien. La route royale de Suse à Sardes était ainsi divisée en étapes' comme une route de poste, mais Hérodote ne nous dit pas que ces évaluations de distance aient été précédées de mesures faites sur le terrain. Dans l'Inde les fonctionnaires chargés de la construction des routes' y faisaient placer de dix en dix stades des stèles pour indiquer les distances et les changements de direction. Nous savons d'autre part 7 qu'une route royale conduisant de Palibothra aux limites occidentales de l'Inde avait été mesurée en schoènes. Les Grecs inscrivaient aussi, semble-t-il, des indications de distance sur des monuments publics 8. A Rome c'était l'usage, au moins depuis Caius Gracchus °, de placer des milliaires sur les grandes voies militaires. Une inscription datée de l'an 622 de Rome (132 av. J.-C.) mentionne expressément les milliaires de la voie de Rhégium à Capoue70. Sous l'Empire, après les grands travaux du règne d'Auguste, toutes les grandes routes sont pourvues de colonnes itinéraires espacées de mille en mille. Le point de départ pour l'évaluation des distances était, non pas le milliaire d'or élevé par Auguste sur le Forum, près du temple de Saturne, mais les portes de la capitale ". En Égypte l'unité de mesura itinéraire était le schoène (s7oïvoç). Cette mesure n'a jamais eu rien de fixe, au moins à l'époque classique. Hérodote l'évalue à 60 stades, Artémidore à 30, Strabon à 40 et même plus". Le czotvo; devait sans doute aussi varier suivant les localités. Il en est de même de la parasange (aapaaiyym), mesure itinéraire usitée chez les Perses-et qui est suivant les auteurs tantôt de 60 stades, tantôt de 40, tantôt de 3013. Ce dernier chiffre est celui qui semble préférable, puisqu'en principe la parasange était la distance qu'on peut parcourir en une heure, soit une distance de 5 à 6 kilomètres. Le stade des Grecs" est également une mesure d'origine orientale ; il correspond à la distance parcourue en 1/30 d'heure ou deux minutes. Comme les mesures précédéntes, schoènes et parasanges, le stade a varié de longueur; ce qui semblerait prouver, contrairement à l'opinion de certains critiques, que ces diverses unités itinéraires sont calculées, non pas d'après une mesure partielle de la surface terrestre, mais d'après des évaluations approximatives. Il y avait sans doute à côté des mesures légales, normales'', des mesures différentes acceptées dans l'usage public. En outre, le pied, subdivision du stade, a varié suivant les pays et dans le même pays suivant les temps 1e. Voici, d'après M. Nissen qui résume les travaux de ses devanciers, les divers stades qui intéressent particulièrement les géographes: stade pythique, 165 mètres ; stade attique ou stade itinéraire, 177n',6'7 ; stade ptolémaïque, 185 m. ; stade olympique, 192m,27 ; stade commun, 198 m. ; stade ionien, 210 m. Le stade attique ou stade itinéraire (177m,6) est de 600 pieds ; le mille1" romain de 5000 pieds égale donc exactement 8 stades 1/319. Le pied romain (16 doigts) a une longueur de 0m,296 ; le pas (5 pieds) a une longueur de 1m,48 et le mille (1000 pas) égale 1480 mètres, soit en chiffres ronds un kilomètre et demi. Bien que répandu dans toute l'étendue de l'empire romain, le mille ne parvint pas à faire oublier toutes les mesures locales. Ainsi les Gaulois conservèrent l'usage de la lieue (leuca, leuva, leuva). Au delà de Lugdunum (Lyon), dans les directions opposées à l'Italie, les distances étaient évaluées non plus en milles, mais en lieues gauloises20. Plusieurs documents épigraphiques trouvés sur le sol de la Gaule et de la Germanie Occidentale 21 mentionnent expressément cette mesure itinéraire. L'Itinéraire de Bordeaux à Jérusalem, daté de 333 ap. J.-C., indique en lieues les distances de Bordeaux à Toulouse, en milles les distances de Toulouse à Jérusalem. La lieue gauloise, de moitié plus longue que le mille romain" (environ GEO 4537 GEO ktm,220), ne correspond donc pas à la lieue de France (environ 4 ktm,450). Cette dernière mesure doit être comparée plutôt à la rasta germanique, dont l'usage' se répandit en Germanie après l'époque de César t et avant celle de saint Jérôme'. La rasta était de 3 milles romains ou de 2 lieues gauloises, soit d'environ 4k'm,440. Pour résumer en quelques mots ces diverses indications, nous ramènerons toutes les mesures itinéraires des anciens à deux systèmes différents. Dans le système ancien, le système primitif, les distances sont évaluées en heures ou fractions considérables d'heure. Le schoène égyptien, la parasange persique, le mille romain, la lieue gauloise, la rasta germanique reposent sur des calculs de ce genre. Au contraire, dans le système récent, plus perfectionné que le premier, la minute sert de base à l'évaluation des mesures itinéraires. Telle serait l'origine du stade des Grecs. Traités généraux. Les noms les plus usités sont les suivants : IIt (oloç yriç, Hsptrjyrlatç, FEwypamtxx ou FewyFap éaeva, Cosmographia. IIEF(oloç yiiç, tour de la terre, voyage autour de la terre, est le titre habituel des plus anciens traités. Cette appellation signifie parfois représentation graphique, carte', le plus souvent description générale. Les traités de ce genre, probablement accompagnés de quelques cartes-esquisses, étaient déjà nombreux au temps d'Hérodote k. Hécatée de Milet5, Eudoxe de Cnide 6, Apollodore d'Athènes sont les auteurs les plus connus d'ouvrages de cette nature. Dans la suite, le titre de IIEFtryrictç se présente beaucoup plus fréquemment que celui de IIep(oioç ytiç. Ce mot désigne tantôt une description générale de la terre tantôt, comme nous le verrons plus loin, une description régionale et particulière. Parfois ces résumés, ces manuels de géographie étaient rédigés en vers. Nous possédons encore sous le nom de Scymnus de Chio, auteur de date inconnue fier s. av. J.-C.), des fragments considérables 6 d'une Périégèse en vers. Plus tard, au temps d'Auguste ou des Flaviens°, un certain Dionysies compila pour les écoles un manuel fort apprécié, paraîtil, à cause de sa brièveté et de sa forme métrique to Dans ce poème didactique de 1187 vers, Denys le Périégète prend pour guide Ératosthène qu'il rectifie et qu'il complète parfois d'après d'autres témoignages". Ctésias, Asclépiade de Myrlée avaient rédigé des Périégèses aujourd'hui perdues. Artémidore d'Éphèse composa des Feteypapet'mvaStrabon des FEieypamtxx. 13. A la fin de l'époque impériale plusieurs traités, parmi lesquels celui d'Ethicus'', portent le titre de Cosmographia'°. Quant aux encyclopédistes, comme Varron et Pline f6, ils font naturellement une large part à la géographie. Physique du globe. La physique du globe fut de la part des Ioniens l'objet de nombreuses recherches. Ces recherches, oit la spéculation tenait sans doute trop de place mais qui auraient pu néanmoins produire des résultats vraiment scientifiques, furent arrêtées par l'opposition des écrivains purement littéraires, comme Hérodote, et des moralistes comme Socrate 17. Anaxagore, Anaximandre, Anaximène s'étaient adonnés avec succès à ces études de physique terrestre 26. Plus tard l'école d ',Aristote revint à ces recherches si importantes pour la géographie. Un péripatéticien, disciple de Théophraste, Straton de Lampsaque, composa sur la physique de nombreux écrits énumérés par Diogène de Laërte 1°. Asclépiodote, disciple de Posidonius, composa des Questions naturelles, ouvrage cité par Sénèque 20. Sénèque aussi a laissé sous ce titre un traité remarquable de physique terrestre 21, la seule oeuvre de géographie scientifique qu'ait produite le génie romain. Météorologie. Une des parties importantes de la physique du globe, la météorologie, fut l'objet de plusieurs traités. Aristote, dont la Météorologie résume l'état de la science chez les anciens, semble avoir exercé une influence très heureuse sur le développement des études de cette nature. Théophraste écrivit un traité sur les vents, Htpl 'Avî awv, dont nous n'avons conservé que des fragments". Ératosthène composa également sur ce sujet un ouvrage cité par Achille Tatius. Antyllus, écrivain inconnu d'autre part, rédigea plusieurs ouvrages sur des questions de météorologie 23. Géologie et orographie. La géologie ne paraît pas avoir été chez les anciens l'objet de livres spéciaux. Par exception la minéralogie, à cause de ses applications industrielles, fut traitée d'une manière plus ou moins scientifique dans les ouvrages Sur les Pierres, flapi A(Owv, AtOtax, AmOtxx. Théophraste, Nicias, Archélaüs de Cappadoce, Denys le Périégète avaient composé des traités de ce genre2', tous aujourd'hui perdus, mais mis à profit par Pline. PIus négligée encore, l'orographie ne tient qu'une très petite place dans la littérature géographique des anciens. En dehors du recueil des observations de Dicéarque cité plus haut, nous ne trouvons à mentionner qu'un traité de Ctésias Sur les Montagnes, Hydrographie terrestre. Ctésias écrivit aussi un traité Sur les Fleuves, IIEpi Hoeau.ïov, cité par le Pseudo-Plutarque 26. Un Cyrénéen Philostéphanos 27, Lycos de Rhégium23, Agathon le Samien, Archelaüs, Chrysermus de Corinthe 2°, Callimaque de Cyrène 3° composèrent des recueils d'observations sur les fleuves, recueils dans GEO 1538 GEO lesquels la mythologie occupait sans doute la plus grande place. Tout autre devait être le caractère du traité de Théophraste, IIspi `Y'a'ro v, cité par Athénée 1. De toute cette littérature relative à l'hydrographie terrestre il ne nous est resté qu'un Traité des noms des fleuves et des montagnes 2 compilé par un certain Plutarque 3, qui n'y a consigné que des légendes et des anecdotes sans intérêt pour la science. hydrographie maritime. Océanographie. La des cription des mers fut l'objet d'un plus grand nombre d'ouvrages. Adonnés de bonne heure à la navigation, les Grecs rédigèrent beaucoup de traités pratiques sur l'hydrographie maritime. Un de ces livres, le traité de Posidonius Sur l'Océan, IIEpt 'L'IxEavoL, était, autant que nous en pouvons juger, un véritable traité d'océanographie. Il fut largement utilisé par Strabon qui le prit pour guide dans l'étude des questions scientifiques D'autre part les ouvrages pratiques, portulans (AtiliVE,), périples (IIepi,r),ot) s, les instructions nautiques de cette époque, s'adressaient tout spécialement aux marins. Une des compositions les plus remarquables en ce genre était le Traité sur les ports" de Timosthène, amiral de Ptolémée Philadelphe. Plusieurs de ces périples renfermaient la description de toutes les mers connues ; d'autres étaient limités à la description d'un seul bassin maritime. Le périple dit de Scylax semble appartenir à la première catégorie', les périples du Pont-Euxin, de la grande mer (Méditerranée), de la mer Érythrée sont au contraire des périples de la seconde catégorie. L'océan Extérieur, Occidental (Atlantique), si mal connu des anciens, ne fut jamais longuement décrit dans les portulans de l'antiquité. Les relations de voyage de Himilcon, de Hannon et de Pythéas, les périples de Charon de Lampsaque, d'Ophélas, de Marcien d'Héraclée sont les principaux documents que les géographes anciens avaient à leur disposition pour l'étude de l'Atlantique. La plupart de ces écrits sont perdus 8 ; nous ne possédons que la relation très courte du voyage de Hannon (traduction grecque) et le périple que Marcien d'Héraclée compila au ve siècle ap. J.-C. d'après Ptolémée et les distances itinéraires d'un certain Protagoras'. La Méditerranée, beaucoup mieux connue des anciens, fut naturellement décrite en grand détail. Le périple de Scylax de Caryanda est presque entièrement consacré à la mer Intérieure. Plus tard, à l'époque d'Auguste, Ménippe de Pergame composa en trois livres un Périple de la mer Intérieure qui fut abrégéf0 au ve siècle ap. J.-C. par le compilateur Marcien d'Héraclée. Le Stadiasme de la grande mer" (ive s. ap. J.-C.?) est de tous les documents anciens relatifs à la Méditerranée le plus riche et le plus précis., L'auteur anonyme énumère avec grand soin les ports et leurs avantages naturels, les promontoires, les aiguades, les distances, les points saillants des côtes; son oeuvre annonce déjà par certains côtés les portulans méditerranéens 12 du Moyen Age et les instructions nautiques de notre temps. Comme au Moyen Age le Pont-Euxin (mer Noire) fut souvent chez les anciens l'objet de descriptions spéciales. A l'époque d'Hadrien, Arrien de Nicomédie, préfet de Cappadoce, écrivit sous forme de lettre adressée à l'empereur13 une description détaillée des côtes de cette mer. Plus tard un compilateur byzantin d'époque inconnue, mais certainement postérieur au ve siècle ap. J.-C., rédigea aussi un ouvrage de même naturel' parvenu jusqu'à nous. La mer des Indes (mer Érythrée), explorée par les Grecs et les Romains à une époque relativement récente", eut aussi sa littérature de périples. Un polygraphe Agatharchide de Cnide (vers 130 av. J.-C.), consigna dans un livre de ce genre ses propres observations et le résultat de ses recherches dans les archives d'Alexandrie'". De plus, il recueillit beaucoup d'informations de fonctionnaires égyptiens préposés aux stations de chasse à l'éléphant. Son oeuvre cependant, littéraire avant tout, est de peu d'importance pour la géographie; la recherche de l'élégance y nuit beaucoup à l'exactitude. Néanmoins c'est un document utile pour l'étude de la topographie des rives de la mer Rouge i7. Comme son prédécesseur Agatharchide, Artémidore d'Éphèse (vers 200 av. J.-C.) puisa pour son Périple aux archives d'Alexandrie. Ce périple en onze livres 18 devait donc sans doute renfermer beaucoup de détails sur la mer Érythrée. Strabon et Pline le citent. Marcien d'Héraclée, un de ces abréviateurs qui ont tant contribué à la perte des oeuvres originales, en fit un abrégé 1'. Le Périple anonyme 20 de la mer Erythrée est un document bien GEO 1539 GEO plus précieux pour l'histoire de la mer des Indes. L'auteur, un marchand grec d'Égypte, armateur ou capitaine au long cours, a fait le voyage d'Arabie aux ports de l'Inde et noté avec soin ce qui pouvait intéresser le commerce et la navigation. En général les descriptions sont exactes. Pour l'Afrique Orientale la nomenclature s'étend jusqu'à Rhapta et à l'île Menuthias et dépasse donc de beaucoup la limite de l'équateur. Nous nous bornerons à citer, faute de plus amples renseignements, quelques autres écrits de même genre : le Traité sur la mer Erythrée de Pythagoras le Périple de l'Inde d'Androsthène 2, le Périple de Mnaséas de Patras les Périples de Nymphodore de Syracuse', le Périple en cinq livres de Timagène d'Alexandrie 5, le Périple d'un certain Xénophon 6, le Périple de Zénothémis 7, etc. Chez les Latins, Statius Sebosus 8, contemporain de Cicéron, semble être le premier qui ait écrit un Périple général à l'imitation des Grecs. Beaucoup plus tard, à la fin du ive siècle ap. J.-C., Avienus rappelait encore par son poème Ora Illaritima la tradition des anciens Périples. Ethnographie, histoire, etc. Quelques traités d'ethnographie 9 méritaient sans doute d'attirer l'attention des géographes. Au témoignage d'Athénée 10, Ilellanicus aurait composé un ouvrage sur les Noms des Peuples. Un autre logographe, Damastès de Sigée, serait également l'auteur d'un traité sur les Peuples". Nicolas de Damas devrait être aussi, à ce qu'il semble, rangé parmi les auteurs qui avaient fait de l'ethnographie l'objet d'études spéciales ". Les traités spéciaux sur les oekèses ou positions géographiques intéressaient plus particulièrement les cartographes. Strabon 13 nous apprend que les ouvrages de ce genre renfermaient l'exposé détaillé de la théorie des climats (au sens grec du mot). Enfin, la plupart des compositions historiques, les recueils de légendes et de souvenirs relatifs à la fondation des villes et des colonies (les IiT(eEtç), les commentaires Sur le Catalogue des vaisseaux (IIEpi vEwv xarzÀdyoo), les recueils de légendes relatives au retour dans leur patrie des héros grecs qui prirent part à la guerre de Troie (Nda'rot, IIEpi NdrTwv), les compilations des logographes, etc., devaient aussi présenter çà et là des indications utiles aux géographes ". Géographie régionale. Quant aux traités de géographie régionale, ils ne paraissent pas avoir été très nombreux. Pour l'Europe nous connaissons le titre de plusieurs ouvrages de ce genre : Périple de l'Europe d'Apollonide f5, Tour de l'Europe (EûpcSxtiç Ep(oôos) de Paeonasf6, Eipwîstaxâ d'Agatharchide de Cnide t7, de Mnaséas de Patras 78. Le quatrième livre d'Éphore était IV. intitulé : b -Epl Ebiatli ris adyos'°. La Germanie de Tacite, la Description du Bosphore de Constantinople de Denys de Byzance 20, les fragments d'une Périégèse de la Grèce attribuée à tort à Dicéarque 2t, la Description de la Grèce par Denys fils de Calliphonte 22 nous donnent une idée suffisante de ces descriptions régionales. Les légendes, Ies traditions, les faits mythologiques, les descriptions archéologiques y tiennent beaucoup plus de place que la géographie. Comme l'Europe, l'Asie fut aussi l'objet de descriptions générales. Athénée mentionne les 'ActxTtx« d'Agatharchide de Cnide 23, la Périégèse de l'Asie d'Hécatée 24, les Périples de l'Asie de Nymphis d'Héraclée et de Nymphodore de Syracuse 25, le Traité sur l'Asie de Mnaséas de Patras 2fi. Dans la catégorie des descriptions régionales plus restreintes on peut citer la Description de l'Ilellespont de Ménécrate 27, la Topographie de la Troade (Tpwïxôç ôtâxocg.oç) de Démétrius de Scepsis 28, l'Anabase de Xénophon qui renferme de bonnes indications, exactes et précises, les nombreux traités sur les guerres de Mithridate (MtOptôxt;xcz) 29 et les expéditions contre les Parthes30 (IlxpOtx«). Cette littérature assez riche de 1llithridatica et de Parthica fut largement mise à contribution par Strabon, surtout pour le onzième livre de la Géographie 31. Non moins importante la série des descriptions de l'Inde ('IvFicxsj, 'Ivôtxn') renfermait de précieux renseignements pour la géographie. Les campagnes d'Alexandre avaient été racontées par un grand nombre d'historiens 32. Néarque et Onésicrite écrivirent des relations de leur navigation. Plus tard, les envoyés des Séleucides à la cour des rajahs de l'Inde, Deïmachos et Mégasthène, firent la narration de ce qu'ils avaient vu dans leur ambassade et ajoutèrent encore aux récits merveilleux de Ctésias. Nommons aussi, parmi les principaux auteurs d'Indica33, Aristobule, Patrocle, Clitophon de Rhodes, Basilis, Arrien de Nicomédie 3S. Le géographe pouvait aussi consulter avec profit les ouvrages relatifs à la Libye en général et à ses diverses de ces écrits étaient d'origine punique : ainsi le Périple de Hannon. D'autres, comme les At6uxd du roi Juba35, reproduisaient des informations puisées dans les documents puniques et berbèrs, tels que les livres do Hiempsal 36. En ce qui concerne les régions du Nil, les Grecs eurent connaissance des documents égyptiens et recueillirent aussi des informations auprès des riverains de la mer Érythrée. Alexandrie, Memphis, Leptis, Cyrène, Carthage furent à des époques différentes les centres du mouvement géographique dans cette partie du monde. Guides de voyageurs. Itinéraires. Sans offrir beaucoup d'intérêt au point de vue de la science, ces textes 194 GEO 1540 GEO ne peuvent cependant pas être négligés dans cette revue rapide de la littérature géographique des anciens. Les Grecs et les Romains possédèrent naturellement des guides du voyageur destinés aux touristes 1. Ces guides ou périégèses paraissent avoir eu le caractère d'oeuvres littéraires plutôt que celui de recueils de renseignements pratiques. La Description de la Grèce de Pausanias nous donne une idée des productions de ce genre les plus élevées. Tous les périégètes 2 sans doute n'étaient pas aussi instruits que Pausanias ou Polémon 3 ; beaucoup devaient s'en tenir uniquement à quelques connaissances superficielles sur les curiosités locales. Leurs oeuvres, utilisées par Pausanias, ne sont pas venues jusqu'à nous. L'archéologie descriptive y tenait sans doute beaucoup plus de place que la géographie proprement dite. Quelques-uns de ces ouvrages portaient même des titres analogues à ceux de nos anciens guides de voyageurs, les Délices, les Merveilles. Ainsi Nymphodore de Syracuse avait écrit un livre sur les Merveilles de la Sicile ". Les itinéraires proprement dits étaient beaucoup plus importants pour la topo-géographie. Plusieurs de ces itinéraires étaient désignés chez les Grecs sous le nom de Stadiasmes c'est-à-dire itinéraires évalués en stades; d'autres portaient le titre d'Étapes, Stations (Et«AN.oi), titre qui indique très nettement leur destination. Il nous reste un curieux spécimen des productions de ce genre, les ETaO toi IIaPBtxo( d'Isidore de Charax. Cet ouvrage, où sont indiquées les étapes d'une route d'Apamée sur l'Euphrate à Alexandropolis en Arachosie (Kandahar) par l'empire des Parthes, est extrait lui-même d'un autre recueil cité par Athénée sous un titre analogue '. L'auteur, qui vivait au ter siècle av. J.-C., entre l'époque de Pompée et celle d'Auguste, était considéré comme un spécialiste distingué en ce genre. Mais c'est à l'époque romaine que cette littérature d'itinéraires se développa largement. Sous l'empire, le vaste réseau des voies romaines s'étendait jusqu'aux limites mêmes du monde connu des anciens. Il semble d'autre part que les fondateurs de l'empire, César et Auguste, firent entreprendre une statistique générale des provinces, le Breviarium Imperii', que Pline dut mettre à profit, et firent aussi procéder à un grand travail de mensuration du monde romain. Dans l'introduction de sa Cosmographie, Éthicus nomme les quatre géodètes qui exécutèrent cette oeuvre 8. Ce travail entrepris dans un but fiscal fut très utile, sinon à la science géographique, du moins à la topographie, car il servit de base aux itinéraires. Les résultats scientifiques de l'opération furent consignés sur une carte et dans un livre. La carte achevée sous Auguste, l'an '7 ap. J.-C., fut exposée sous le portique de Polla, soeur d'Agrippa 9. L'absence de textes ne nous permet pas de déterminer sa forme 10. Le livre est connu sous le nom de Commentaires d'Agrippa; c'était probablement une notice explicative de la carte du portique. A en juger par les citations des auteurs anciens qui paraissent s'y rapporter", ces Commentaires ne donnaient guère que des indications de distances et d'étendue de surfaces; ils ne constituaient peut-être pas un recueil d'itinéraires détaillés pour toutes les provinces de l'empire. Quoi qu'il en soit, la carte et la notice en raison de leur caractère de documents officiels furent largement mis à contribution par les compilateurs d'itinéraires t2. Le plus ancien des itinéraires romains que nous possédions est l'Itinéraire de Gadès à home 18, gravé sur des gobelets d'argent (voy. t. I, p. 33G, fig. 39G). Ces gobelets ont dû appartenir à des Espagnols qui, en quittant la station balnéaire de Vicarello, près du lac de Bracciano, les ont, suivant l'usage, offerts à des divinités 1i. Les distances y sont exprimées en milles romains. L'Itinéraire connu sous le nom d'Antonin est de date plus récente, car il porte des traces évidentes de remaniement au ive siècle. Il est d'ailleurs fort mal rédigé; on y remarque de graves lacunes, de nombreuses négligences. Certaines routes sont répétées deux, trois et même quatre fois". Quand les indications de noms et de distances ne concordent pas dans les divers itinéraires qu'il a consultés, le compilateur les juxtapose dans son texte, laissant à ses lecteurs le soin de choisir la variante la plus correcte. En outre, à côté des routes principales, le compilateur mentionne les routes secondaires plus directes e t plus courtes. Tel qu'il est cependant, l'Itinéraire d'Antonin", terrestre et maritime, est un des documents les plus précieux pour l'étude topographique du monde romain. L'Itinéraire de Bordeaux à Jérusalem a un caractère tout particulier ; c'est un itinéraire rédigé par un auteur chrétien pour les pèlerins de Terre Sainte ". En raison de sa destination, il ne renferme guère que des mentions pieuses de nature à intéresser et à édifier les pèlerinsi8. L'ouvrage, daté par une date consulaire, est GEO 45t~1 GEO de l'an 333 ap. J.-C. De Bordeaux à Toulouse, les distances sont exprimées en lieues gauloises (leugae), de Toulouse à Jérusalem en milles romains'. Les itinéraires que nous venons d'énumérer sont des itinéraires écrits, la Table de Peutinger est au contraire un itinéraire peint'. La date de ce document' n'a pas encore été déterminée d'une manière précise. La copie, qui date du x1-x1il° siècle, reproduit un original beaucoup plus ancien. Certains critiques supposent que cet original est l'oeuvre de Castorius, écrivain du ive siècle; d'autres' prétendent que le dessin général et les grandes lignes du tracé proviennent de la carte d'Agrippa et que le document, oeuvre lente et collective, a subi quelques additions du fi° au iv° siècle ap. J.-C. C'est l'itinéraire le plus complets que nous ait légué l'antiquité. Cartes et globes. La carte de Peutinger est aussi la seule carte authentique des temps anciens' qui soit parvenue jusqu'à nous. Anaximandre de Milet, disciple de Thalès, est généralement considéré comme l'auteur de la première carte géographique chez les Grecs 3. Aristagoras, tyran de Milet, montra aux Spartiates une table d'airain sur laquelle était figuré le pourtour de la terre entières. Cette carte gravée sur airain était peut-être la carte d'Anaximandre corrigée par IIécatée de Miletf0. Démocrite d'Abdère, Eudoxe de Cnide" donnèrent également de nouvelles éditions revues et corrigées de la carte d'Anaximandre qui paraît être restée longtemps classique chez les Grecs. Des cartes devaient aussi sans doute accompagner ces anciennes descriptions de la terre, llep(oloç antérieures au ive siècle. Les termes de llep(oôoç yilç semblent en effet avoir dans certains cas 12 le sens de représentation graphique. C'est peut-être à d'anciennes cartes de ce genre qu'Hérodote fait allusion quand il tourne en ridicule les opinions géographiques de plusieurs de ses devanciers, auteurs de descriptions générales de la terre 13. La cartographie était alors considérée comme une application de la géométrie 14. Cependant l'usage des cartes se répandait de plus en plus; il y en avait sous des portiques", exposées en public. C'étaient de véritables cartes murales, de très grandes dimensions, puisque sur une mappemonde on pouvait reconnaître l'emplacement de l'Attique et celui de la Béotie 16. Les Grecs avaient aussi à leur disposition des globes terrestres. Le globe de Cratès de Mallos est cité par Strabon et par Geminus qui le mentionnent sans le décrire longuement. Cratès de Mallos (Ife s. av. J.-C.) traçait au milieu de la sphère terrestre un large bras de mer inondant toute la zone équatoriale ". Ces cartes anciennes, icpfadot -zivaxsç13, furent mises à contribution par les grands cartographes de l'école d'Alexandrie. A côté de grossières erreurs résultant de l'imperfection des procédés de projection, elles renfermaient sans doute de bonnes indications. Ilipparque invoque parfois leur témoignage et les oppose à Ératosthène". Ces anciennes cartes n'étaient que des plans agrandis, sans graduation, sans projection proprement dite. La position des lieux y était indiquée d'après l'orientation et les distances à l'estime. Ératosthène le premier fit un essai de projection scientifique ; il voulut représenter la terre tel que l'oeil pourrait l'apercevoir d'une distance déterminée sur le prolongement de la ligne d'intersection des plans du parallèle et du méridien moyens 20. La projection plate d'Ératosthène 2f demeura classique. Strabon s'y conforma" ; Marin de Tyr l'employa pour la construction de sa carte23. Ilipparque, qui fit de nombreuses corrections à la carte d'Eratosthène, inventa la projection orthographique et la projection stéréographique. Comme astronome il voulut remédier au vice radical des cartes de son temps. Ses prédécesseurs, et Ératosthène en particulier, avaient combiné avec des observations astronomiques de longitude et de latitude des indications de distance de provenance et de valeur très diverses. Pour supprimer cette cause d'erreur et de confusion, Hipparque résolut de s'appuyer uniquement sur des observations astronomiques : observations d'éclipses de lune pour les longitudes, observations de longueurs d'ombre du gnomon pour les latitudes. C'était, on le comprend sans peine, une entreprise immense; Hipparque ne pouvait à lui seul l'exécuter entièrement. Il réussit du moins à déterminer les éclipses de soleil et de lune sur une période de six siècles. Ses Tables de climats ou Tables astronomiques donnaient pour tous les lieux de la terre habitable, les différentes apparences de l'horizon céleste sous le méridien de Rhodes 2'. La carte qui accompagnait les Commentaires de Marin de Tyr 25 ne marquait, semble-t-il, aucun progrès sur la carte d'llipparque. Marin, prenant pour type la largeur du méridien sous le parallèle de Rhodes, faisait tous les méridiens égaux entre eux26. Cette erreur extraordinaire faussait naturellement toutes les positions de sa carte ; pour les points situés au sud du parallèle de Rhodes les distances étaient trop courtes, pour les points situés au nord,' elles étaient trop longues. Ptolémée, qui corrigea plusieurs erreurs de son devancier Marin de Tyr, appliqua GEO 2542 GEO le premier deux méthodes nouvelles de projection', l'une plus expéditive, « la projection par développement du cône osculateur sur le parallèle moyen de Rhodes » ; l'autre homéotère ou plus ressemblante, simple modification du premier système, qu'on obtient «en substituant le parallèle moyen de Syène à celui de Rhodes et en donnant à l'emplacement des méridiens sur chaque parallèle, à compter du méridien central représenté seul par une ligne droite, la grandeur relative qui appartient aux intervalles correspondants sur le globe » Pour les cartes régionales, Ptolémée se borne à appliquer la projection plate en ayant soin d'observer dans le tracé de la graduation le rapport du parallèle moyen au parallèle central En résumé, les cartographes anciens ont appliqué ou inventé successivement: la projection coeloscopique centrale (Thalès), la projection cylindrique plate parallélogrammatique (Anaximandre), la projection sténographique (Ératosthène), les projections orthographique et stéréographique (Hipparque), les projections conique simple et homéotère (Ptolémée) 4.' L'usage des cartes géographiques chez les Romains est attesté par un certain nombre de textes du Tee siècle av. J.-C. au Ive siècle de l'ère chrétienne. La plupart de ces textes mentionnent évidemment des cartes générales de la terre et non des cartes régionales. C'est ainsi qu'il faut expliquer les textes de Properce et de Vitruve La carte peinte sur parchemin que Metius Pompusianus portait sur lui était également une carte du monde, une mappemonde'. D'autre part, les Romains continuaient à exposer sous les portiques publics de grandes cartes murales comme la carte d'Agrippa citée plus haut. Un rhéteur du Ive siècle ap. J.-C., Eumène, mentionne expressément les cartes des portiques du collège d'Autun destinées à l'enseignement de la j eunesse6. Quant aux cartes régionales, elles ne sont que très rarement mentionnées par les anciens. Nous ne trouvons à rappeler à ce sujet que deux textes : un de Varron 9 sur une carte d'Italie peinte dans le temple de Tellus à Rome, un autre de Plinef0 sur une carte particulière de l'Éthiopie. De toutes ces cartes antérieures au ve siècle de notre ère, il ne nous reste malheureusement rien autre chose que la Table de Peutinger, carte sans aucun intérêt pour la géographie scientifique. La mappemonde de Cosmas Indicopleustès (vIe s.) n'appartient déjà plus à la science antique mais à la cartographie du haut moyen âge déformée systématiquement par les écrivains ecclésiastiques. Une nouvelle influence, celle de la Bible, se fait sentir et subordonne tout à son action. Quant aux cartes dites de Ptolémée, elles ne sont pas l'oeuvre du célèbre astronome. Bien que sa Géographie ne soit en réalité que la légende explicative d'un atlas en 26 cartes 12, Ptolémée lui-même n'a pas dressé de cartes, ou bien ces cartes ne sont pas parvenues jusqu'à nous. Au ve siècle seulement Agathodémon d'Alexandrie compila des cartes pour le texte de Ptolémée, les 27 cartes classiques que l'on trouve dans la plupart des manuscrits et des éditions de la Géographie de Ptolémée. Ces cartes, annexées aux plus anciennes éditions (xv-xvie s.), sont pour ainsi dire le prototype de la plupart des atlas géographiques publiés à l'époque de la Renaissance 13 La géographie dans l'enseignement. -H nous resterait à essayer de déterminer la place de la géographie dans l'éducation antique, mais l'insuffisance des textes ne nous permet pas d'arriver sur ce point à des résultats certains. A Athènes, le programme éphébique, qui comprenait toutes les connaissances dont l'ensemble compose l'éducation libérale, renfermait sans doute l'enseignement de la géographie alors confondu avec celui de la géométrie 't. Mais nous ne possédons sur ce sujet aucun renseignement précis; nous ne connaissons pas un seul nom de professeur, pas un seul titre d'ouvrage qui ait été réellement un manuel classique. Cependant, on peut supposer avec quelque vraisemblance que les Périégèses en vers', les abrégés compilés aux derniers temps de l'empire romain, les cartes murales exposées sous les portiques 16, étaient tout particulièrement destinés à l'enseignement des écoles. A Rome, les grammatici, qui commentaient les auteurs classiques, devaient parfois traiter dans leurs leçons des questions de géographie. Nous savons d'ailleurs que quelques-uns d'entre eux étaient renommés pour leurs connaissances en géographie. Asclépiade de Myrlée, grammairien célèbre qui enseignait au temps de Pompée, écrivit une Périégèse des peuples de l'Ibérie citée par Strabon97; Tyrannion était également versé dans la connaissance de la géographie". A défaut de textes précis, nous pouvons donc supposer que l'enseignement de la géographie, englobé dans celui de la géométrie, devait, à ce titre, être compris dans le programme des études libérales10, chez les Grecs et chez les Romains. A. RAINAUn. GEO 1543 GEO