Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article GEOMOROI

GEOMOROI (Fecep.dpot). Au point de vue étymologique, les yswp.dpot sont ceux qui se partagent ou se sont partagé les terres, par conséquent des propriétaires fonciers ou des possesseurs d'immeubles. Il ne faut donc pas, en principe, attacher une idée d'infériorité légale à la classe des yewp.dpot. Cela est si vrai que, dans certaines républiques grecques, c'est la classe des yswp.dpot qui a immédiatement succédé à la royauté. A Samos, par exemple, le gouvernement des yswp.dpot est un gouvernement aristocratique, oligarchique même, 7l ysmp.dpwv ôaty«pz(« 1; c'est contre les yetop.dpot que le peuple s'insurge et les insurrections populaires ont précisément pour but de dépouiller ces aristocrates des privilèges dont ils jouissent De même, à Syracuse, les yewp.dpot ou yxIi.dpot sont de grands propriétaires fonciers, héritiers des envahisseurs corinthiens. Ils ont en mains le pouvoir dans l'État, parce qu'ils ont réduit à une espèce de servage les anciens possesseurs du sol. Le peuple, formé sans doute de nouveaux venus qui n'ont plus trouvé de terres à partager, leur est nettement hostile; il se soulève contre eux, et, avec l'aide des serfs ou vassaux, il les expulse A Athènes, la classe des yewu.epot paraît avoir occupé un rang moins élevé. D'après la constitution que les Athéniens attribuaient à Thésée, la population de l'Attique aurait été divisée en trois classes ou 'Mvr : les EUPATRIDES ou gens de bonne naissance, qui étaient les vrais représentants de l'État; les yewpdpot que l'on appelle aussi yewpyoi ou ayotxot, et les rip.toupyo( [DEMIOURGol]. De même que les 8rp.toupyo( n'étaient pas toujours de simples artisans, les yswu.epot n'étaient pas non plus, comme on l'a dit quelquefois, de simples cultivateurs. C'étaient, le plus souvent, de petits propriétaires fonciers, vivant à la campagne, loin des affaires publiques, et exploitant eux-mêmes leurs terres. Il y avait donc entre eux et les 7te) i'at, simples cultivateurs, une grande différence. Ces derniers, quoique de condition libre, travaillaient pour autrui. Ce sont les uteat' et que plusieurs textes nous montrent réduits à une extrême misère, ne gardant pour eux qu'un sixième des produits du fonds qu'ils exploitaient, tandis que le propriétaire percevait les cinq autres sixièmes. Ce sont ces malheureux, qui, par allusion au mode de partage des fruits, avaient reçu le nom d'Éxrrudptot. Les vrais yewp.6pot, au contraire, travaillaient pour leur propre compte. Mais il est bien possible que le nombre de ces vrais yswp.dpot soit allé progressivement diminuant, parce que beaucoup d'entre eux, à court d'argent, empruntèrent aux Eupatrides, puis, faute de payement à l'échéance du capital et d'énormes intérêts, durent abandonner leurs terres à leurs créanciers pour les reprendre seulement en qualité de fermiers ou de colons partiaires. Ce fut précisément en faveur des vrais yewp.dpot, pour arrêter la diminution toujours croissante de leur classe, que Solon dégreva les fonds de terre des hypothèques qui pesaient sur eux. Une telle mesure n'était certainement faite, ni pour les Eupatrides, qui ne songeaient qu'à accroître leur puissance en étendant les limites de leurs domaines, ni pour les -eazTat, qui n'avaient pas d'immeubles à hypothéquer. IV. Si l'on cherchait à établir un parallèle entre la classification attribuée à Thésée et celle que l'on rencontre dans la constitution de Solon, on pourrait dire que les Eupatrides correspondent aux pentacosiomédimnes et aux chevaliers du vie siècle, les yswp.dpot aux zeugites et les irea«T«t aux thètes. Pendant longtemps, les Eupatrides eurent la direction et la gestion de toutes les affaires publiques; les petits propriétaires étaient exclus de toute participation au gouvernement. Solon lui-même, qui se montra si favorable à la petite propriété, n'accorda pas aux zeugites l'accès des magistratures les plus élevées. Ce fut seulement en 457 av. J.-C. que les zeugites purent arriver régulièrement à l'archontat. Nous disons « régulièrement »; car Aristote nous apprend que, lorsque, en 580, un archonte, nommé Damasias, voulut prolonger à l'excès son pouvoir, un accord intervint, pour la répression de cet abus, entre les Eupatrides, les géomores ou il ' otrot et les démiurges. Il fut convenu que Damasias serait expulsé de l'archontat et remplacé par un collège composé de cinq Eupatrides, de troisypotxot et de deux démiurges 5. Lorsque le fragment d'Aristote relatif à l'archontat de Damasias fut découvert, à Berlin, en 1879, il y eut quelque désarroi parmi les historiens s. Le partage de l'archontat entre les trois classes de citoyens parut notamment si extraordinaire qu'on essaya de l'éluder par une explication ingénieuse. M. Duncker proposa d'interpréter ainsi le texte d'Aristote 7 : trois archontes auraient été élus par les aypotxot ou géomores, deux par les démiurges, les autres par les Eupatrides; mais tous auraient été choisis parmi les Eupatrides. En d'autres termes, les ypotxot et les démiurges auraient été simplement électeurs, tandis que les Eupatrides auraient été tout à la fois électeurs et éligibles. Le texte incomplet et mutilé de 1879 n'était déjà pas favorable à cette explication; M. Albert Martin en fit la remarque dès 1886 9. Aujourd'hui aucune hésitation n'est possible, depuis que la découverte, en 1891, d'un meilleur texte d'Aristote nous a fait connaître, non seulement la date, jusqu'alors indécise, de l'archontat de Damasias, mais encore le motif qui porta les Eupatrides à renoncer à un de leurs privilèges. Il paraît d'ailleurs certain que le collège mixte d'archontes établi en 580 ne fut pas de longue durée, et que l'on revint presque immédiatement à la règle d'après laquelle il ne devait y avoir que neuf archontes, tous pris parmi les Eupatrides 9. Ce que l'on sait aujourd'hui des yzp.6pt ou géomores de Syracuse peut être résumé en quelques mots. Pendant le cours du vie siècle av. .I.-C., le gouvernement de Syracuse fut entre les mains d'une oligarchie, composée des grands propriétaires fonciers, héritiers ou représentants des premiers colons grecs, qui, venus de Corinthe en 734, s'étaient partagé le territoire voisin du lieu de leur débarquement et avaient fondé Syracuse. Ces oligarques, détenteurs du pouvoir, étaient appelés yap.dpot. Leurs terres étaient cultivées par des hommes d'humble condition, que Suidas compare aux hilotes de Sparte, aux pénestes de Thessalie et aux klarotes de 195 GEO -1515GEP Crète 1. Le nom sous lequel étaient connus les membres de cette classe inférieure ne nous a pas été transmis d'une manière uniforme. On trouve dans Hérodote Ku),auptot 2, dans Suidas et Zénobios Ka))txuptot, dans Hésychius et Photius K;),atxuptot 3. C'était probablement le nom de l'ancienne tribu sicilienne qui occupait le pays avant l'invasion et qu'avaient dépossédée les envahisseurs corinthiens. Les enfants, réduits à la condition de vassaux, avaient gardé le nom de leurs pères. L'oligarchie des yau.dpo; fut renversée par une insurrection populaire, à laquelle prirent part, d'abord le 41.04, c'est-à-dire l'ensemble des colons grecs, qui, arrivés en Sicile après '734, n'avaient plus trouvé de terres à prendre et avaient dû se borner à l'exercice de quelque profession, puis la classe très nombreuse des vassaux des géomores. D'oligarchique, le gouvernement devint démocratique et une place y fut même assurée aux représentants de l'ancienne population 4. Cette démocratie subsista jusqu'en 483, date du commencement de la tyrannie de Gélon, qui ramena les géomores à Syracuse et rétablit l'ancienne forme de gouvernement, dans la mesure où elle pouvait se concilier avec son autorité 5. A Samos, colonie fondée par les Ioniens venus d'Épidaure sous la conduite de Proklès, on rencontre successivement, comme dans les autres Mats grecs, la monarchie, l'oligarchie et la démocratie. Le fondateur Proklès et ses héritiers, jusqu'à. Démotélès, furent les représentants de la forme monarchique. A la suite de la mort violente de Démotélès, les grands propriétaires fonciers ou yec»u.dpot exercèrent le pouvoir. Puis, vers l'an 600 av. J.-C., le peuple, auquel s'associèrent des prisonniers mégariens internés dans Samos à la suite d'une expédition maritime, se souleva contre les yssip.dpot et prit la direction des affaires A partir de cette époque, sous l'influence des guerres intestines et des invasions étrangères, il y eut de nombreuses alternatives de démocratie et d'oligarchie. Les deux grands tyrans de Samos, Syloson, et quelque temps plus tard Polycrate, furent des adversaires déclarés des yesi.Opot 7. Quand les Samiens entrèrent dans la confédération athénienne, c'étaient les yscoi.dpot qui étaient investis du gouvernement de l'île. Les Athéniens firent prévaloir la démocratie. Les géomores essayèrent de reconquérir leur ancienne situation. Mais leurs excès provoquèrent, en 419., un grand soulèvement du peuple. Deux cents yewp.dpot furent mis à mort; quatre cents furent exilés et dépouillés de leurs biens ; les autres furent privés de tous leurs droits civiques. Il y eut même une prohibition particulière, dont l'histoire des républiques italiennes au moyen àge offre un autre exemple : le mariage fut interdit entre les filles des géomores et les membres du ô-u.s0ç, entre les filles du a-a o; et les géomores 9. A la fin de la guerre du Péloponèse, en 404, Lysandre rétablit l'oligarchie samienne. Ce sont certainement les yewAct que Xénophon 9 a en vue quand il dit que Lysandre rendit aux anciens citoyens, Toc; «pzaEot; 7to)ér ;ç, la ville et tout ce qu'elle renfermait 3e Les textes d'une date postérieure ne parlent plus des géomores; ils mettent en scène un conseil (?a,u1,-s), une assemblée populaire (a'v.0;), des prytanes au nombre de cinq, un secrétaire du Sénat. E. CAILLXMEa. GEPIIYRISMOI (I'spupt6[I.0i). Au retour des mystes d'Éleusis à Athènes, après la fin des initiations, la populace les attendait sur la Voie Sacrée, au passage du pont du Céphise athénien et les accueillait par des injures et des plaisanteries qui venaient attaquer nommément jusqu'aux personnages les plus considérables de la République'. Les mystes répondaient vigoureusement, et Aristophane met dans la bouche du choeur de la procession d'Iacchos [ELEUSINIA] cette invocation burlesque, dont on ne saurait méconnaître le rapport direct avec l'usage dont nous parlons : « Déméter, reine des saintes orgies, viens à notre secours et protège le choeur de tes initiés; donne-moi de jouer et de danser toujours en sûreté, de dire beaucoup de plaisanteries et beaucoup de choses sérieuses, de manière à mériter la bandelette du vainqueur dans les jeux et dans les railleries de la fête 2. » C'est là ce qu'on appelait les géphyrismes, du pont, yé?upa, où se' passaient ces scènes burlesques Semblables scènes, dans une solennité religieuse aussi auguste que les lileusinies, paraissent bien étranges à nos moeurs. Il s'en passait cependant d'absolument analogues dans les Dionysies, où on les appelait e; i.cc é v 4, et dans les Thesmophories, où on les appelait rT7lvtx 5. Dans toutes ces fêtes elles représentaient la part d'élément comique qui se retrouvait au sein de tous les cultes du paganisme grec, G. Ainsi que l'a dit Platon', les dieux étaient considérés comme aimant la plaisanterie, Aristophane nous a conservé, dans sa comédie des Grenouilles 8, quelques échantillons de géphyrismes, en les transportant dans les enfers. L'obscénité qu'on y remarque devait tenir une grande place dans l'épisode réel. Elle y avait même un caractère religieux, car elle rappelait cette vieille femme, nommée par les uns Iambé et par les autres BAUBO10, dont les plaisanteries et les gestes indécents avaient déridé Déméter au milieu de sa douleur et l'avaient décidée à boire le CYCEON. M. Heuzey a montré le rapport qui unit cette légende aux nombreuses caricatures de vieilles femmes et de nourrices, trouvées parmi les terres cuites que l'on déposait auprès des morts ". Creuzer'2 a ingénieusement conjecturé que sur le pont du Céphise, au milieu de tous les individus qui attendaient les initiés pour leur adresser les géphy GEP 15'i,9 GER rismes, était un personnage de femme qui jouait le rôle de cette Iambé ou Baubo. Hésychius signale, en effet, sous le nom de yepupfs, une prostituée qui se tenait sur le pont au retour de la procession sacrée ; le même rôle était, suivant d'autres, tenu par un homme'. Dans son choeur des géphyrismes, Aristophane" mentionne aussi cette femme dans des termes qui indiquent clairement son attitude. II est hors de doute, du reste, que dans les géphyrismes, aux railleries mordantes et grossières adressées à ceux qui passaient, il se joignait des scènes d'un comique grotesque, des espèces de mascarades. Il paraît même qu'un prix consistant en une bandelette était adjugé à celui des acteurs qui avait eu l'avantage dans ces luttes bouffonnes 3, dont l'influence sur les premières et rudes ébauches de l'art dramatique des Grecs est manifeste 4. Le Grand Étymologique 5 fait mention des fêtes de Déméter aussi bien que de celles de Dionysos comme ayant donné naissance à la comédie. Iambé qui, nous venons de le dire, représentait l'élément comique dans le mythe de Déméter, était dite fille de Pan et d'Écho et son nom rappelle celui d'ïambe donné au vers de la comédie et de la satire 7. Preller 8, qui s'efforce bien à tort de représenter comme récente l'Iambé de l'hymne homérique à Cérès, est obligé de la mettre en rapport avec le culte de cette déesse à Paros, où les ïambes, développés plus tard en un genre de poésie par Archiloque, étaient censés avoir pris naissance. Et, en effet, plusieurs traditions racontaient formellement que c'était à l'exemple des injures et des railleries d'une vieille femme nommée Iambé que soit Hipponax9, soit Archiloque" avaient combiné leur vers ïambique. Du reste, et ceci ramène encore plus directement à la comédie en tant qu'institution du culte de Bacchus [c0MOEDIA], les géphyrismes constituaient une des parties les plus éminemment dionysiaques des cérémonies éleusiniennes. Ils avaient lieu au passage de la procession qui ramenait d'Éleusis à Athènes la statue d'Iacchos, le Dionysos mystique [ELEUSINIA]. Dans une des versions de la légende d'lambé, ce même Iacchos, enfant, jouait un rôle très important, et c'était lui qui par ses gestes ramenait le rire sur le front de Déméter affligée 1l. Aussi dans les Grenouilles d'Aristophane 12, quand Dionysos rencontre le choeur des mystes au moment où ils se livrent aux géphyrismes, le poète met dans sa bouche des paroles qui montrent combien cette cérémonie lui plaît et lui est consacrée; son compagnon Xanthias veut se mêler aux choeurs et prendre sa part des plaisanteries, et le dieu ajoute qu'il va faire comme lui. Lorsque la licence aristophanesque de la comédie ancienne eut été réfrénée, les géphyrismes durent avoir le même sort et subir aussi les entraves d'une police plus om brageuse. Alors, comme les attaques satiriques contre les puissants du jour n'avaient plus la liberté de la scène pour se produire, le pont du Céphise, en mémoire des jeux dont il était témoin dans le bon vieux temps, remplit pour la cité d'Athènes le même rôle que la statue de Pasquino pour la Rome papale. On y affichait les placards mordants en vers ou en prose, qui remplaçaient la liberté de la presse et par où s'exhalait le mécontentement ou le mépris public contre les gouvernants i3. F. ',ENGAMANT.