Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article AGRIMENSOR

AGRUMENSOR. Ce mot, qui répond à peu près au français arpenteur, a remplacé dans la basse latinité les noms plus anciens de /initor et de ntensw''. On appelait aussi ceux qui remplissaient les fonctions d'arpenteurs eumpedatores ou gromatiei, noms tirés des instruments dont ils faisaient usage [cas, GROMA]. Leur rôle fut important dans la société romaine, soit au point de vue du droit public, soit au point de vue du droit privé, et ils ont laissé des ouvrages utiles pour la connaissance de l'histoire de la propriété. 1. Des agrimensores avant l'empire. Le caractère religieux que les Romains attachaient aux limites [TERMINUS MOTUS, TERAIINALIA] et les rites observés soit dans la fondation d'une ville ou d'une colonie', soit dans le tracé d'un AGB 166-.-. Gft camp, soit dans le partage des terres assignées [AGIR DUSBI mettre généralement que les xuGUats ° furent les premiers arpenteurs, dans le temps où le collége des pontifes avait la juridiction même en matière civile [rONTlrtx, JUS roNTtrlcltst]; d'ailleurs, les prêtres étaient seuls en possession à la fois des secrets des sciences et de l'art augural empruntés aux Étrusques 6. On ignore à quelle époque l'art de l'arpentage se sécularisa; ce ne fut sans doute que postérieurement à la loi des Douze Tables, qui promulgua les principes du droit romain et favorisa ainsi l'établissement d'une juridiction purement civile. En effet, cette loi déclarait que les champs seraient séparés par un espace intermédiaire (finis)" de cinq pieds, dont la moitié était prise siii chacune des terres contiguës. Cet espace n'était pas susceptible d':suCAriO; les contestations sur la limite, qui devait toujours être retrouvée par des procédés techniques, étaient confiées à trois arbitres. Et sans doute ïes agri.rnensores étaient alors, à l'égard du finis, des juges arbitres dans la forme du sacs rnnenttcm ou de la jndieis postldatio [ACTIOj, et non de simples experts, puisqu'il n'y avait paslieu d'appliquer les principes du droit', mais seulement les règles de leur art. 'Une loi llarnilia, de date incertaine, remplaça ces trois arbitres par un seul d. Cet intervalle imprescriptible servait souvent de sentier, ruais on n'était pas astreint à le laisser sans culture ou sans plantation, sauf' le cas où, dans un ager limitatus [nota PUBLICUS], une ligne appelée limes lineariu.s servait en même temps de limite aux deux voisins. Ce système des fines s'appliquait à tous terrains privés, même arcifinii; il fut étendu aux provinces. Si, dans les controverses sur le finis (controversiae de finie), 1'agrimensor jouait le rôle de juge, il en était autrement dans le cas de controverse de loto, c'est-à-dire quand le litige s'étendait au delà des cinq pieds. Dans ce cas, le juge ordinaire (peut-être d'abord les centumvirs, plus tard l'arbiter de l'action FiM1uM neGuNLOBUM) était compétent sur la question de propriété, et n'appelait l'a,grirnen'or qu'en qualité d'expert, pour aider à retrouver les anciennes limites, etc. Mais alors la controverse était vidée par un juge ordinaire, d'après les principes du droit 10. 1I en étai(, de mente quand il s'agissait de l'obligation du bornage ou de déplacement de bornes. Dans la délimitation cl'une colonie [cotoNIA], les augures furent toujours employés; mais toutes les opérations techniques étaient let tes par les agi' ion' soresqui prenaient aussi à bail l'entreprise de la pose des bornes. La convention faite avec un agri,nexsor n'était pas un contrat productif d'action, à moins d'une stipulation formelle ; ce n'était point un louage (Amati() operarurn), puisqu'il recevait à raison du caractère élevé de ses services un honoraire (honorarium) plutôt qu'un salaire (menties), c'était un pacte donnant lieu en sa laveur à une capnitio e.ctraordiacrria 12. Quand celui-ci avait commis un dol (si ineisor falsuin modem dixerit ou renuncioverit), le préteur donnait contre lui une action in factum". Dans les camps, les opérations géométriques étaient faites par les officiers, sans doute à l'aide d'experts"; mais plus tard le soin en fut eonlié à un officier spécial [CASTRORUM METAToe]. II. Des agrimen.sores sons l"eanpire. Cette époque s'ouvrit par de grandes opérations de géodésie et par la fondation de nombreuses colonies. Octave mena à fin le mesurage général de l'empire romain, entrepris par Jules César'. Ensuite, il fit l'aire le recueil de toutes les mesures de longueur usitées dans les villes et les provinces, des formes de délimitation, et des règlements relatifs aux limites, accompagné d'un commentaire'', mais sans faire procéder à un arpentage de chaque propriété., comme on l'a soutenu. Les colonies seules possédaient un cadastre complet ". On se bornait à délimiter l'ensemble du territoire des autres villes, pour l'assiette de l'impôt. Chaque champ n'avait que ses bornes privées et s'y trouvait imposé (l'après la déclaralion du possesseur. Mais plus tard °, on réclama de part, et d'autre un cadastre et une délimitation qui se firent successivement d'après le mode suivi dans les colonies pour rager assignatus. Octave ordonna, en outre, un recensement des personnes et des fortunes dans tout l'empire19, en imitation Les registres furent rédigés par territoire de cité, sons les noms d'encauta, encastaria, polyptycha, amatie pub/Ma, etc. ; ils renfermaient notamment l'indication des possessions de chaque contribuable, avec estimation renouvelée tous les dix ou tous les quinze ans. En cas de réclamation, des péréquateurs 20 ou même des inspecteurs extraordinaires" pouvaient reviser les opérations du censilor ou de l'adjutor ad census, ou du curator ad census aecipiendurn 22 et des centtcales de la cité. On comprend que ces estimations exigeaient souvent un arpentage et l'intervention des ageirnensores. Organisés sans doute déjà auparavant en corporation [cuLLectrMl, ils furent facilenient convertis en fonctionnaires'-L On établit des écoles publiques pour former les mensores ou ogrimensores Aussi leur donna-t-on les titres honorables de togati Augustorant et de auctores, avec des appointements considérables. Mais quelques-uns seulement reçurent, pour des services exceptionnels, le titre de elarissirni 23. En leur qualité de fonctionnaires, ils étaient employés à la délimitation des provinces conquises ou des colonies nouvellement créées ou rétablies. Comme juges (art) /tri)" clans les t'ont(' oversiae de fine, ils conservaient encore leur compétence sous Constantin et sous Valentinien 1I27. Même au cas de controversia de loco, Valentinien Il de AGIt if,i AGit sida, il est vrai, en 385, que l'opi'unensor jugerait lui-même, sans égard à la prescription, pour fixer le finis originaire28; mais l'ancien droit fut remis en vigueur par Théodose Er, en 392 20. Enfin, Justinien réglementa la matière à nouveau, en 530, en introduisant la prescription de trente ans pour toutes contestations sur les limites "0. Aussi, en insérant dans son code la constitution de Théodose, il 1 interpola de manière à exclure l'usucapio et la praescriptio longi tentporis de dix à vingt ans31. En même temps, par une autre mutilation de la constitution de Valentinien 3L, il supprima l'imprescriptibilité et l'ensemble des règles relatives au finis de cinq pieds. Les agrimensore.s furent ainsi réduits au rôle d'experts, puisque le juge devait décider en appliquant même de fine les règles du droit et la prescription. En cette qualité, ils aidaient à retrouver les anciennes limites par l'inspection des bornes ou des documents, tels qu'écrits, cartes, plans (forma, pertira, centueia ces, typon, metatin, cancellatio, limitatio) ou des livres terriers (liber subsecivorum, commentarii, divisionesa3) Dans le déclin de leur profession, les principaux écrits des gromatici veteres ou rai agrariae scriptores, réunis pour l'enseignement des écoles, furent conservés en partie intacts, en partie altérés ou résumés par les praticiens leurs successeurs. Cette collection se compose d'ouvrages écrits entre le premier et le sixième siècle de notre ère, et qui ont été édités seulement depuis peu d'années avec une critique suffisante. G. HUMBERT.