Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article HEROIS

IIEROIS. Ce nom, qui s'emploie communément pour désigner les femmes que la piété a héroïsées [nEROS], sert ausssi à désigner une des fêtes que l'on célébrait à Delphes tous les huit ans, sans doute au cours de la même année (xatiâ ,r'o i ç), fêtes dans lesquelles la religion d'Apollon revêtait un caractère mystique 1. Le groupe en comportait trois : l'une nommée SEPTERIA, qui était destinée à rappeler la victoire du dieu sur le serpent Python et sa retraite vers la vallée de Tempé, est à placer au temps des Pythies, c'est-à-dire en automne ; la troisième s'appelait cIJARILA et tombait à l'époque des moissons 2. L'Heroïs est à mettre entre les deux, dans les mois réservés aux célébrations bachiques, c'est-à-dire en hiver' ; elle mettait Apollon en relations avec les personnalités du culte mystique de Dionysos, avec Zagreus et Sémélé''. Elle avait spécialement pour but de célébrer la résurrection de l'héroïne et son retour des enfers. Plutarque nous apprend qu'elle se composait d'enseignements réservés aux seules initiées, aux TIYIADES, et de représentations mimées (BpoSu.evz) accessibles aux profanes. J.-A. HILD. dans son sens le plus général, le mot heros désigne toute espèce de personnalité, supérieure par ses qualités de force, de courage, de vertu, d'intelligence et de beauté physique au commun de l'humanité, c'est-à-dire un être qui, sans être dieu par ses origines, se rapproche des dieux par sa nature extraordinaire. La poésie des Grecs, l'épopée surtout et le drame, n'ayant guère mis en scène que des figures de ce genre, une histoire complète des héros serait surtout une oeuvre d'interprétation littéraire et morale; nous n'avons pas à l'envisager ici à ce point de vue 1. Mais les personnifications héroïques ont passé de la poésie dans le culte ; par là elles appartiennent au domaine des études religieuses. La mythologie pure recherche si les héros ne sont au point de départ que des personnalités historiques idéalisées par le sentiment religieux des foules, puis par la poésie qui en est l'interprète, ou s'il faut y voir, comme dans les dieux euxmêmes, des représentations symboliques des forces de la nature physique ou morale 2 ; nous n'avons pas davantage à examiner les questions aussi nombreuses que difficiles soulevées par ces deux systèmes et par leurs variétés intermédiaires. Nous nous bornerons à prendre les héros, tels que nous les offrent la littérature et l'art hellénique, pour expliquer l'origine du culte dont ils ont été l'objet, son évolution à travers les âges et les rapports de ce culte avec la vie publique et privée des Grecs. vocable de rpwç s'applique à tous les personnages mortels qui dépassent par leurs exploits et leur caractère la mesure commune de l'humanité. Il ne possède encore que la valeur d'un adjectif, analogue à Buvicer ;, icZupdç, yevvzïoç, o'El1.vÇ ; la notion qui y surabonde, et que semble d'ailleurs confirmer l'interprétation étymologique, est celle d'une noblesse supérieure, qui se confond avec l'idée d'un homme antique, fort, de race autochthone `. Dans l'Iliade ce vocable est exclusivement réservé à des guerriers, soit aux chefs les plus éminents, soit, par une extension assez rare, à un ensemble de combattants dont il s'agit d'exalter ou de stimuler le courage 5. Dans l'Odyssée, la signification guerrière est exceptionnelle et le titre de héros est appliqué, tantôt à de nobles vieillards tels que Laerte, Aegyptios, Halithersès, Echénéos, Démodocos, tantôt à des rois ou à des fils de rois comme Ulysse, Ménélas, Alcinoüs, Télémaque. Pour l'auteur de l'Iliade, héros et serviteur d'Arès sont des termes identiques; pour celui de l'Odyssée, héros s'étend à toutes les illustrations pacifiques de la société qu'il dépeint. D'une façon générale, on peut dire qu'il sert à distinguer les chefs de l'homme du peuple et du simple soldat, en rattachant les premiers par quelque lien idéal à Zeus (Btoysvsïç opposé à vépeç ôrlµou 6). Le poète ne s'occupant guère du commun des mortels, l'âge suivant a pu appeler les générations dont il raconte les exploits, l'âge des héros'. Rien encore dans ces divers emplois du mot héros chez Homère ne permet d'affirmer que son temps ait pratiqué d'autres cultes que ceux des dieux proprement lER 10 HER dits. Contrairement à la théorie philosophique qui met l'adoration des ancêtres et le culte du foyer au point de départ du mouvement religieux, la civilisation ionienne n'y décerne les hommages divins aux hommes extraordinaires que bien des siècles après avoir commencé d'adorer des dieux. Il n'y a dans les poèmes homériques que les germes d'un culte héroïque ; et même la plupart, sinon tous les passages où l'on surprend ces germes, sont suspects d'interpolation postérieure'. De ce genre est l'épithète de ŸiIj.COEot, un c%az; aEyGli.svoV appliqué à un ensemble de guerriers illustres dans l'Iliade 2 ; de ce genre encore l'apothéose de Ménélas, dont il est dit dans l'Odyssée qu'il ne mourra point à Argos, mais qu'il jouira dans les plaines de l'Élysée, sur les confins de la terre, d'une existence privilégiée, parce qu'il a été le gendre de Zeus 3. Les prières et les sacrifices par lesquels Ulysse, dans l'Odyssée, prélude à l'évocation des ombres et l'épisode qui nous montre les âmes des prétendants traînées aux enfers sous la conduite d'Hermès Psychopompe, sont également issus d'un courant d'idées qui ne furent point celles d'Homère Cependant l'auteur de l'Iliade y prépare les voies, surtout parce que sa poésie donne une sorte de réalité à la conception idéale des héros. Comme il a fait les dieux semblables aux hommes, il a dû faire les hommes, sur lesquels repose l'action épique, semblables aux dieux. Quoique aucun dieu ne fréquente au temps de la guerre de Troie avec une femme mortelle et qu'Ulysse même, dans l'Odyssée, n'ait des rapports qu'avec une divinité inférieure, Homère connaît des généalogies qui ont, dans le passé, uni les mortels aux dieux`. Achille, Énée, Sarpédon, d'autres encore, ne sont illustres parmi les hommes que parce qu'ils sont les fils de quelque divinité. Le cas d'Cnée, issu des amours d'Aphrodite avec un mortel, est doublement intéressantetparce qu'il est seul de son espèce et parce que l'origine ionienne de la fable n'est pas douteuse 6. Cependant, ce sont des personnalités d'origine dorienne qui, seules chez Homère, prennent les allures des héros au sens plus récent du mot; c'est-à-dire qu'elles deviennent l'objet, après leur existence mortelle, d'hommages qui ne sont pas loin de ressembler à un culte. Tels Mélénas et Hélène, puis, à un degré au-dessus d'eux, Héraclès, Tirésias, Leucothéa, auxquels il faut joindre Érechthée, qui, dans un passage d'ailleurs suspect de l'Iliade, est associé aux honneurs divins rendus à Athéna dans la cité de Cécrops 7. Une légende, qui doit être à peine postérieure à Homère et qui a été consacrée par Arctinos, place Achille après sa mort dans l'île de Leucé, que les dieux avaient fait émerger du Pont-Euxin, et lui donne pour épouse Hélène [HELENA, fig. 3748] : la plus belle au plus vaillant, conception populaire qui se retrouve dans l'apothéose d'Héraclès et dans son union avec Hébé'. Ce qui n'est encore chez Homère qu'une conception flottante et accidentelle va prendre, chez Hésiode, une expression systématique et précise; les héros, distingués des hommes par leurs origines et par leurs qualités pour se rapprocher des dieux, vont participer aux prérogatives de la nature divine par leur destinée. Le texte classique auquel se rattache le culte des héros chez les Grecs, est le mythe des âges dans les Ouvres et les Jours 3. La quatrième génération d'êtres mythiques, ayant passé sur la terre depuis les temps où mortels et dieux vivaient dans une société intime, est celle des héros que le poète appelle divine et que les poètes d'autrefois nommaient des demi-dieux10. Justes et vaillants durant la vie, ayant combattu devant Thèbes et sous les murs de Troie, ils sent, après la mort, relégués par Zeus dans les îles Fortunées, sur les confins du monde; et là, sous le gouvernement de Cronos, ils mènent une existence exempte de soucis. Ils ressemblent aux êtres de la première génération, aux daenlones vénérables, devenus les gardiens des mortels et les dispensateurs de la richesse. Daemons et héros ne diffèrent que par leurs origines; ceux-là sont de l'ordre du mythe pur; ceux-ci tiennent à l'histoire et ont fait partie de l'humanité actuelle". Leur légende a un fondement réel et leur souvenir parle aux yeux par les traces matérielles qu'ils ont laissées de leur passage parmi les hommes. C'est par ce fait surtout qu'il faut chercher à expliquer cornrhent les honneurs d'ordre idéal que la poésie a décernés aux hommes extraordinaires des premiers âges se sont changés peu à peu en honneurs formels constituant un culte. Par là aussi on se rend compte que la vénération de ces héros, issus de l'humanité, se soit manifestée avec une force qui n'appartint jamais à la religion des daemons, ces esprits de nature subtile et métaphysique que la philosophie naissante plus que la piété populaire mit, avec les héros eux-mêmes, dans la sphère intermédiaire entre les dieux et les hommes [DAEMON]. Le culte des héros, que l'on commence à soupçonner à peine dans les témoignages les plus récents de la poésie épique et lyrique, est arrivé au vie siècle à son plein épanouissernent, sans que l'on puisse suivre à la trace, faute de témoignages écrits ou figurés, les causes qui l'ont fait aboutir. Mais on les conjecture sans trop de peine; outre l'action de la poésie qui a été prédominante, puisque c'est elle qui a créé les héros dans la sphère idéale tels qu'ils sont descendus dans la réalité, il faut en faire honneur à l'exaltation du sentiment national, aux rivalités d'influence des cités et des familles, au progrès de la civilisation qui ouvre les yeux sur le caractère divin de l'activité intelligente et courageuse dans l'homme, à la nature même du polythéisme anthropomorphique qui, ayant formé les dieux semblables à l'homme, devait forcément rencontrer l'idée de l'homme semblable aux dieux 12. Ajoutons le discrédit graduel FIER 441 HER qui frappe les anciens cultes et qui tend à leur substituer des pratiques nouvelles ; le besoin irrésistible qui porte les âmes pieuses à chercher des protecteurs immédiats, familiers, une fois que les dieux qui ont longtemps servi finissent par apparaître comme des puissances lointaines et indifférentes. Le respect des morts, fondé sur la vague croyance à la survivance de la personnalité humaine par delà la tombe, fit le reste; dès la fin du vile siècle Dracon mit le culte des héros parmi les obligations publiques consacrées par ses lois. Les oracles, particulièrement celui de Delphes, en propagent les manifestations'. Un siècle plus tard, au temps des guerres Médiques, tout un peuple de mortels divinisés, varié à l'infini et accommodé aux multiples exigences d'une piété surexcitée par les plus graves événements, se groupe autour des temples où l'on continue d'honorer les dieux suivant la tradition, en associant ces nouveaux venus à leur histoire légendaire; celle-ci y gagne d'autant plus en pittoresque et en éclat que ce mouvement coïncide avec le progrès des arts et avec celui de la littérature ; les doctrines enseignées dans les écoles de philosophie sur la nature et la destinée de l'âme, eurent aussi leur part d'influence 2. H. Variétés diverses de héros. Ce monde des héros peut être distribué en trois catégories distinctes : les héros d'origine purement poétique, les héros de nature politique et les héros de caractère domestique et familier. Comme il est aisé de le prévoir, les limites de ces catégories ne sont point tranchées, mais il arrive souvent que tel héros appartient à deux et même à trois catégories ensemble, suivant que, pour l'apprécier, on se place au point de vue de ses adorateurs. Le trait qui leur est commun à tous, c'est que, sortis de l'humanité par la mort, ils continuent dans une existence idéale, semblable à celle que l'imagination religieuse prête aux dieux proprement dits 3, à exercer une action sur les destinées des hommes qui leur succèdent sur la terre. C'est à raison de cette action qu'ils sont l'objet d'honneurs, de prières, de sacrifices et de conjurations dont le but est de se concilier leur faveur et de détourner, le cas éçhéant, leur malveillance. Les héros d'essence poétique, les premiers en date, restent longtemps les plus importants devant la piété, non pas seulement parce qu'ils vivent dans l'épopée avec une physionomie capable d'inspirer le respect, mais parce que les chants des poètes les associent à tous les grands faits de l'histoire primitive des peuplades helléniques'. Il en est très peu parmi les héros poétiques qui n'aient en même temps le caractère politique et national, et ceux qui nous sont aujourd'hui connus seulement parles historiens ou les mythographes, à titre de fondateurs ou de protecteurs d'une cité déterminée, ont été sans doute, comme les combattants de Troie et de Thèbes, comme les Argonautes et les premiers rois de l'Attique, célébrés par les aèdes et imposés à la vénération de leur milieu, moins par le souvenir de leurs exploits réels que par la glorification littéraire d'exploits souvent imaginaires. Le propre de la nature des héros faisant d'eux, suivant la définition de Platon, les intermédiaires entre le mortel et l'immortel ((i.cro i Oviyrou âOxvztiou 6), on peut les concevoir aussi bien comme des dieux déchus que comme des hommes glorifiés. Les plus éminents et peut-être les plus anciens d'entre eux, je veux dire Dionysos et Iléraclès représentent l'un et l'autre de ces types ; le premier, chez Homère, est une divinité descendue de son rang, un Zeus de Nysa qui s'est rapproché de l'humanité, et qui, plus tard, est relevé par l'essor d'une piété nouvelle'. Héraclès, comme lui fils d'une femme mortelle unie avec Zeus, est redevable à ses origines d'accomplir les plus merveilleux exploits et par eux d'être vénéré d'abord comme un mortel divinisé, finalement comme une divinité parmi les Olympiens. Cependant les dieux déchus sont, dans la sphère des héros, d'assez rares exceptions ; du moins dans la tradition, les traces de la déchéance ont disparu et comme la notion de héros, en général, fait surabonder l'idée de l'homme élevé au-dessus de sa condition, les héros qui le sont par déchéance nous apparaissent eux-mêmes comme des mortels déifiés. Un cas spécial est celui des héros qui représentaient primitivement la qualité, le vocable ou la fonction d'un dieu, qui ont incarné ensuite cette fonction ou ce vocable à titre de personnalités distinctes et qui sont restés héros comme d'autres sont devenus daemons serviteurs (7rpé;to),ot), intimement associés au culte du dieu qui leur a donné naissance. Agamemnon était vénéré à Sparte sous le vocable de Zeus Agamemnon 8, ce qui peut signifier ou que le roi des rois obtenait dans le Péloponnèse, en qualité de héros, les honneurs souverains, ou que le nom d'Agamemnon s'est détaché de Zeus pour représenter une personnalité spéciale devenue, pour cette raison, héroïque ; il existe de même un Zeus Héraclès, un Zeus Trophonios, etc. Il y a d'ailleurs, dans le même ordre d'idées, des personnifications qui sont honorées comme héros en certains lieux et comme divinités en d'autres 10 Iléraclès est le représentant le plus complet, le plus expressif, le premier peut-être par ordre d'ancienneté, sûrement le plus important par son rôle légendaire et par l'influence que sa fable a exercée, des héros sortis de l'humanité et qui, finalement, sont placés au rang même des dieux [HERCULES]. L'Iliade nous le présente comme un fils mortel de Zeus, poursuivi par la haine jalouse de Héra, qui lui fait en effet rencontrer la mort. Dans l'Odyssée, son être se dédouble; l'ombre seule est aux enfers, tandis que la personnalité réelle trône, dans tout l'éclat de la divinité, parmi les Olympiens qui lui ont donné Hébé pour épouse". Le souvenir de cette origine am IIER biguë persiste dans le culte à travers les siècles; Ilérodote remarque encore que les Grecs ont élevé à Héraclès deux espèces de sanctuaires, les uns où ils lui sacrifient comme à un dieu, les autres où ils lui offrent les hommages spécialement réservés aux héros Le caractère humain de sa personnalité se manifeste dans les épithètes que lui décernent ses adorateurs et dans l'idée qu'ils se font de son action sur les destinées des mortels. Il nous apparaît, en effet, comme associé plus intimement qu'aucune divinité aux épreuves de l'humanité, comme détournant les fléaux, sauvant du danger, guidant à travers les routes difficiles, délivrant la terre des monstres qui l'infestent et sa patrie propre du joug'd'Orchomène, dispensant d'une façon immédiate, ce qui résume tous les biens, la vertu et la richesse2. Ce sont là précisément les fonctions et les prérogatives que la piété réserve aux héros; et la popularité d'Héraclès, durant la période obscure qui sépare IIésiode des guerres Médiques, explique mieux encore que toute autre considération, le développement à cette époque de l'idée de héros. Cette popularité nous fait comprendre comment, en Attique surtout, où la légende d'Héraclès s'amalgame avec celle de Thésée, qui est aux confins de l'histoire, des personnalités d'essence purement poétique ont pu arriver à une réalité nationale, comment la glorification par les lettres a pu aboutir aux pratiques d'une religion nouvelle, sortant ainsi qu'un rameau du culte des dieux olympiques'. Il serait trop long de passer ici en revue toutes les figures héroïques qui, célébrées par les épopées locales, se sont élevées peu à peu du domaine de la vénération poétique pour entrer dans celui du culte. Il nous suffira de constater que la destinée idéale d'Héraclès à Thèbes, à Argos, en Attique, en Étolie, en Asie Mineure, fut celle d'Achille sur les rives du Pont-Euxin, en Thessalie, à Sparte ' ; celle des Atrides à Mycènes, à Sparte, à Thérapna, à Amyclées ; celles d'Ajax Télamonien à Salamine, celle de Philoctète dans l'île de Lemnos, celle de Diomède dans nombre de localités de la Grande Grèce et même de l'Italie septentrionale, celle d'Ulysse en Arcadie, celle d'l née dans la Troade d'abord, puis par une migration graduelle de son nom et de sa légende à travers les îles, jusque sur les côtes du Latium, où sa légende se fond avec celle des origines de home 6. Il n'en est pas un seul des héros célébrés par les poèmes homériques, puis par les cycliques, qui n'ait ainsi fondé une ou plusieurs légendes locales ; et la diffusion même de leur renommée n'est pas la moindre preuve que l'on puisse apporter de la popularité de ces poètes dans toutes les parties du monde soumises à l'influence de la civilisation grecque. Non seulement les héros anciens se fixent çà et là avec tout le prestige qu'ils doivent à la littérature nationale; mais les héros de création plus récente, ceux qui, inconnus des poètes primitifs, vivaient un peu partout dans l'imagination des foules, sont rattachés aux traditions les plus célèbres, mêlés après coup aux exploits chantés par Homère et introduits dans les généalogies chantées par IIésiode 7. A la distance où nous sommes et faute de documents qui nous permettent de préciser la filiation de ces légendes, il est sans doute difficile de marquer ce qui est le produit de l'érudition récente et ce qui appartient au fonds des cultes populaires; mais il n'en demeure pas moins constant que la plupart de ces personnalités héroïques ont eu mieux qu'une existence factice ; que si la poésie a contribué à faire naître leur culte, elle n'y a réussi que parce qu'elle les a trouvées vivantes dans la vénération nationale 8. A l'époque même où la poésie primitive qui a créé les héros revêt, grâce à la philosophie naissante et au sentiment artistique, une expression idéale, les poètes savent encore, le cas échéant, transformer un personnage historique, à qui son exotisme donne la couleur légendaire, en héros à la façon des anciens temps. En évoquant Darius dans les Perses °, avec tout l'appareil du culte héroïque tel qu'il est pratiqué alors, Eschyle évite, il est vrai, de prononcer le nom de héros ; le grand roi est à plusieurs reprises appelé lae i.uo, i6oôaft,.wv et dieu national des Perses. Il y a là ou un scrupule de piété hellénique qui évite de confondre un roi d'Asie avec les protecteurs vénérés auxquels la Grèce est redevable de son salut, ou un souci de la couleur locale, les Perses n'ayant jamais pratiqué pour leur compte le culte des héros. Mais les formes mêmes de l'évocation, le rôle prêté par le poète à Darius, l'intervention moitié prophétique, moitié secourable du roi dans le désastre de sa race et de son peuple, ne laissent point de doute sur les intentions du poète; il a voulu adapter à l'action de son drame, pour en marquer la signification morale, les idées de son milieu sur la participation des morts illustres aux destinées des vivants, c'est-à-dire mettre en scène un héros. La plupart de ces héros illustrés par la poésie ont un caractère politique et national : Ies uns appartiennent à la Grèce tout entière 10, les autres ont pour fonction d'être des fondateurs ou des colonisateurs, spécialement vénérés par leurs descendants (x17571t, otxtara!) ii, parfois des protecteurs éponymes, c'est-à-dire que le. nom de la ville fondée, de la colonie organisée, du pays placé sous une protection divine, est mis en rapport avec le nom du fondateur ou du gardien 12. Tantôt il est visible (l'introduction relativement récente du culte des héros dans HER 14,3 HER la religion grecque le veut ainsi) que le nom du héros a été, par abstraction tiré de celui d'un pays, d'une nation, d'une ville ; plus rarement, c'est le héros qui a réellement donné son nom aux lieux où il a été vénéré : ainsi Pélops, objet d'un culte sur les bords de l'Alphée, possédait un sanctuaire à Olympie auprès du temple de Zeus'. Ces éponymes sont en très grand nombre, comme on peut voir par le seul Pausanias, qui a recueilli leurs légendes et mentionné leurs temples à travers la Grèce. La numismatique est une ressource précieuse pour en compléter la liste : un chapitre entier d'Eckhel est consacré à passer en revue ces personnalités héroïques 2 figurant sur des monnaies de provenance variée, et le catalogue s'en est allongé depuis lors tant par la découverte de types nouveaux, quo d'inscriptions mentionnant des jeux et des sacrifices en l'honneur d'ancêtres et de fondateurs héroïsés. Si la fondation des cités, illustres à la fois par leur haute antiquité et par leur importance, est réservée le plus souvent aux dieux olympiques on peut dire que celle des villes plus récentes et d'importance moyenne est de préférence rapportée à des héros. Et, dans ce dernier cas, il arrive parfois que le héros éponyme, sous l'influence de la vanité nationale, monte en grade et obtient peu à peu des honneurs divins. L'usage introduit aux temps anciens par une piété naïve fut plus tard exploité par l'adulation, en Asie d'abord, où un grand nombre de villes tirèrent leur nom d'Alexandre, de Séleucus, etc., puis dans le monde romain, qui imita ces procédés d'apothéoses [APoTHi osas '1, en dénommant des cités d'après les empereurs divinisés. Il arrivait alors que l'on vénérât tel personnage historique comme un fondateur, quoique, en réalité, la fondation de la ville qui lui décernait ces hommages fût bien antérieure. C'est ce qui eut lieu à Sicyone, où, en souvenir de Démétrius° Antigone, on changea en Démétriade le nom de la ville, où l'on institua des sacrifices et des jeux annuels en l'honneur de ce roi, en lui décrétant le culte qui convenait à un fondateur. Quant aux colonies, elles prennent le plus souvent pour protecteur le héros éponyme de la mère patrie, et la communauté du même culte héroïque consacre la filiation d'origine 6. Ces expressions de XT(6.r,g ou d'oixtc.r,g n'ont même souvent, dans la littérature et dans les inscriptions, que la valeur d'un titre honorifique. Les Romains imitent sur ce point les Grecs, même sous la République ; c'est par cet abus du langage que Cicéron put être appelé, après la conjuration de Catilina, pater patriae et qu'il se chanta lui-même comme un autre Romulus, sous le consulat duquel Rome eut le bonheur de naître au jour: 0 fortunatam natam me console Romam7. Au lieu du titre d'oixt6Tr',ç ou de XT(at7lç, on trouve parfois celui d'Ap7riyfrr,g8, les uns et les autres se rencontrant sur les monnaies et les inscriptions latines, sous la forme de conditor, fundator ou avec la mention plus simple : dedux(it) 9, qui n'implique pas nécessairement la notion héroïque, alors qu'il s'agit d'une colonie. C'est en Attique, ainsi que Nelcker et d'autres l'ont remarqué, que le culte des héros éponymes a pris la plus grande extension et qu'il a revêtu en quelque sorte une forme sysù matique, dès la lin du vile siècle 10 Car c'est en ce moment que Dracon prescrit d'associer dans un même culte les dieux et les héros indigènes (iy7th, tot), de les honorer tous les ans, à chacun suivant ses moyens, en leur offrant les prémices des fruits et les gâteaux sacrés ". Solon ordonne, sous les peines les plus sévères, de respecter les tombes; et lui-même, avant de livrer bataille dans Salamine, se conforme à l'oracle de Delphes, en offrant des sacrifices aux héros protecteurs de l'île tz. Dès lors toutes les tribus, toutes les phratries, toutes les familles (yev€at) sont placées sous l'invocation spéciale d'un héros 13 ; les dèmes eux-mêmes, parmi lesquels ces familles avaient été réparties,portaient le nom d'une de ces divinités inférieures choisies parmi celles dont l'organisation nouvelle avait transplanté au dehors le souvenir et le culte. Les statues des héros éponymes des tribus se dressaient devant le local où s'assemblaient les Cinq Cents et devant le Prytanée au Céramique. Strabon compte de son temps 174 héros éponymes à répartir entre les diverses subdivisions politiques de l'Attique et les inscriptions découvertes de nos jours ont encore accru ce nombre". Sophocle nomme le héros Colonos, protecteur du bourg de ce nom; Simonide, un héros Daedalos, au dème de Daedalide; le héros Marathon, fils d'Apollon, devient un des plus célèbres, à raison du rôle qui lui échut dans la guerre contre les Perses''. Le héros Phalareus, dont le xoanon était sculpté à l'avant des navires, était redevable de sa popularité à l'importance toujours croissante de la marine athénienne 1G. Académus est le protecteur divin des jardins et du gymnase qui lui empruntèrent son nom. Bouzygès présidait, en qualité d'ancêtre, à la caste sacerdotale des Boutades ou ltéoboutades, comme Hésychos à celle des Hésychides et Eumolpos à celles des Eumolpides 17. Enfin Thésée, en l'honneur duquel fut élevé par Cimon le sanctuaire connu, dont la religion fit un lieu d'asile, et sous l'invocation duquel furent célébrées des fêtes durant lesquelles les pauvres étaient nourris aux frais du Trésor, devint le héros national par excellence (fig. 3117, p. 1194)16. A ces divers témoignages du culte héroïque dans l'Attique, il faut ajouter celui qui concerne les tyrannicides Harmodius et Aristogiton ; en mémoire de leur exploit, le polémarque leur offre des libations mortuaires, leurs statues en airain s'élèvent sur l'Acropole dès avant l'invasion de Xerxès et l'on célèbre dans les repas, par un chant spécial, le courage divin qui leur fit délivrer la patrie l9. IDE R 144 IIER Les invasions des Perses et l'heureuse issue des combats livrés pour l'indépendance, surexcitant au plus haut point la piété des Grecs, profitèrent surtout au culte des héros Comme ceux-ci étaient avant tout des divinités localisées, mèlées par une action immédiate aux intérêts des pays qui leur rendent hommage (oir, -iiTopc;) 2, c'est à leur influence, plus qu'à celle des dieux, que le sentiment public rapporta les événements extraordinaires. La victoire, en apparence illogique, incroyable, de la Grèce sur toutes les forces de l'Asie, était considérée comme l'oeuvre des puissances surnaturelles où les héros avaient la meilleure part : « Ce n'est pas nous, mais les dieux et les héros, qui ont accompli ces exploits », déclare Thémistocle 3 au lendemain des événements et les ambassadeurs athéniens font la même profession de foi auprès des alliés. N'a-t-on pas vu, à la bataille de Marathon, un guerrier mystérieux qui, armé d'un soc de charrue, massacrait les Perses par centaines ? Ce personnage est l:chetlos, le héros laboureur que l'on vénérait dans ce bourg' ; Aesopos a lutté de même avec Léonidas aux Thermopyles; les Aeacides ont été vus durant la bataille de Salamine, sous la figure d'hommes armés étendant la main, en signe de protection, sur les trirèmes grecques5; la veille de l'action, dans la plaine thriasienne, on entendit passer dans les airs le cortège mystérieux d'Iacchos qui, sortant d'Éleusis, portait à la flotte le gage de sa victoire; puis, au plus fort de la bataille, on vit une figure de femme parcourir les rangs des Grecs et les animer contre les Perses De même, ce furent les héros indigènes de Delphes qui mirent en fuite Xerxès, alors qu'il allait violer le sanctuaire d'Apollon'. Invoqués dans le danger et s'étant montrés secourables à leurs nationaux, quoi d'étonnant que les héros aient provoqué ensuite les témoignages d'une piété enthousiaste? Et l'on ne se borna pas à célébrer les protecteurs héréditaires, ceux dont le nom était associé depuis longtemps aux destinées des pays où le sang coula pour l'indépendance; mais on glorifia, en les élevant eux aussi à la dignité de héros, ceux des combattants qui avaient le mieux mérité de la patrie ; ce fut le cas des guerriers tombés à Platées', en l'honneur desquels fut instituée une cérémonie annuelle, dont tous les détails sont empruntés au rituel du culte héroïque; nous avons là le premier exemple de l'héroïsation publique accordée aux hommes éminents, en raison de leurs services. Le culte des héros dont nous venons de parler a un caractère éminemment national; quoique chacun d'eux, envisagé isolément, ait surtout pris racine dans une partie déterminée de la Grèce, parce qu'il y était né, ou par la tradition légendaire ou par la réalité historique, on peut dire que les uns, sortis des oeuvres poétiques qui furent le patrimoine commun de tous les Grecs, les autres ayant présidé aux grands épisodes de la vie nationale, tous ensemble, étaient ou vénérés dans les lieux les plus distants ou adorés par tous les Grecs, sans distinction, au berceau même où s'était, de préférence, fixé leur cultes. Mais si l'on regarde au nombre, ce fut là le moindre contingent de l'immense phalange des héros: nous en avons déjà cité qui étaient les protecteurs attitrés d'une bourgade, d'autres étaient attachés à tel accident géographique, montagne, fleuve, île, récif ou golfe ; la vénération même des fleuves et des sources [nutum, Fons] devient une variété du culte héroïque; il en est qui ne sortaient pas de l'intimité d'une famille. Les :pceaç 772TEiOOt des Grecs ressemblent aux Lares des Latins ou à certaines catégories de Génies en ce qu'ils sont comme eux des gardiens du foyer10; mais tandis que, dans la religion romaine, les esprits qui incarnent la perpétuité de la famille et de la race sont de nature subtile et vague (ombras incorporales inanimales et nomina de ranis"), ceux du culte grec ont, comme les dieux eux-mêmes, un relief personnel et des contours arrêtés. Le Panthéon héroïque des Grecs est conçu à l'image du Panthéon divin; il est par excellence une riche matière pour l'art comme pour la poésie. Il est êussi, tout au moins au temps de sa faveur idéale, une ressource admirable pour le développement du sentiment moral et patriotique fondé surtl'idée religieuse. Et comme les manifestations de cette piété ne sont asservies à aucun dogme ni limitées par aucune autorité, soit sacerdotale, soit politique 72, elles ont pris à travers toute la Grèce une variété et un pittoresque extraordinaire : le culte des saints dans la religion chrétienne, qui en est d'ailleurs sorti, ne nous en donne même qu'une image affaiblie. J'ai mentionné déjà les héros auxquels les grandes familles sacerdotales faisaient remonter leurs fonctions, les considérant à la fois comme des ancêtres et comme les fondateurs du culte auquel elles présidaient. Il y a de même des héros qui sont au point de départ de certaines institutions de divination : tel Mélampus, prêtre d'Apollon, à Pylos, auquel se rattachaient les Mélampodides ". Les Talthybiades, à Sparte, prétendaient descendre de Talthybios, héraut homérique, et tenir de lui par droit sacré d'héritage, leurs prérogatives à la fois politiques et religieuses 1+. C'est à Sparte d'ailleurs, s'il faut en croire un passage curieux d'Elérodote, que le culte héroïque établissait un lien idéal entre les membres d'une profession, laquelle n'avait pas nécessairement un caractère relevé; la fonction se transmettait de père en fils, non seulement chez les hérauts publics, mais chez les joueurs de flûte et les cuisiniers 15 ; les boulangers y avaient pour patron Matton, les cuisiniers Kéraon ; Athènes connaissait un héros Kéramos, patron des potiers ; Lykos y était celui des tribunaux, Stéphanéphoros présidait à la frappe de la monnaie, Kyamitès au marché aux fèves. Chez les Troyens, on vénérait un héros Daïtas, que nous retrouvons à Sparte sous le nom de Daïton, comme présidant aux repas' 0. Mais c'est surtout dans les professions que nous appelons libérales, celles qui mettent en oeuvre les qualités HER 44a I1ER de l'intelligence, que l'on aimait à se placer sous l'invocation d'un héros fondateur. Les poètes légendaires comme Orphée et Linos, les grands épiques comme Homère et Hésiode, d'autres encore dans la suite comme Archiloque, Pindare, Eschyle et Sophocle furent l'objet d'un culte héroïque'. Le culte rendu à ce dernier est particulièrement digne de remarque, car il fut institué par un décret des Athéniens, à raison de la grande piété du poète, qui avait reçu de la part des dieux, d'Héraclès notamment et d'Asclépios, les plus insignes faveurs L'un lui avait indiqué en songe où était une couronne d'or qui avait été dérobée sur l'Acropole, d'où l'institution par lui d'un culte de Iléraclès :tIrita riç ; l'autre lui était apparu pour lui commander un Péan et avait reçu dans sa maison un culte intime à titre de OsÔç 72-rrwoç 8. Quand Sophocle mourut, les Athéniens lui décernèrent les honneurs héroïques, avec le vocable de â0;'wv, en souvenir de l'hospitalité pieuse qu'il avait accordée au dieu b. De son vivant d'ailleurs il avait lui-même formé un thiase de gens instruits (lx oa su;i.évmv), qu'il avait sans doute placé sous l'invocation d'Asclépios, son dieu familial. Il existait de même à Gela une association d'acteurs qui se réunissaient au tombeau même d'Eschyle pour y célébrer à date fixe un culte héroïque Un bas-relief provenant du Pirée, aujourd'hui au musée du Louvre, est le meilleur commentaire de ces anecdotes relatives à l'héroïsation des deux grands tragiques ; il nous montre l'entrée de Dionysos, patron divin de l'art dramatique, dans la maison d'un de ses fidèles, et l'associant par un culte héroïque à sa propre divinité, comme le dit une inscription trouvée au même lieu (fig. 3824). On ajustement supposé que ce bas-relief a dû orner le local d'une association d'acteurs 6. Quant aux honneurs divins décernés à Sophocle, on peut conjectu rer, par un vers des Grenouilles, qu'ils suivirent de près la mort du poète, ce vers lui décernant avec insistance une épithète qui devient usuelle sur les inscriptions funéraires où des morts sont héroïsés 7. La légende même qui se forma autour de la mémoire de Sophocle confirme cette manière de voir; on racontait, en effet, que Dionysos apparut à Lysandre, tandis qu'il assiégeait Athènes, lui ordonnant de suspendre les opérations militaires pour que l'on pût ensevelir « la nouvelle Sirène ». A côté des poètes héroïsés, il faut citer les législateurs et les sages comme Lycurgue, Chilon, Bias, Zaleucos et Charondas 8. Dioclès, homme d'État énergique et intelligent du vc siècle, reçut à Syracuse les honneurs divins, avec un temple qui fut démoli plus tard par Denys''. De même les médecins transformés en thaumaturges; la guérison des maladies était du reste considérée comme la prérogative des héros en général; des héros épiques tels que Protésilaos, dans la Chersonèse, et Hector, dont les ossements étaient venus d'Ilion à Thèbes, étaient vénérés pour leur influence curative1°. Mais les héros médecins les plus célèbres étaient le Scythe Toxaris, venu à Athènes avec Anacharsis, du temps de Solon, en l'honneur duquel sont mentionnés des jeux et des sacrifices mortuaires" ; Abaris qui avait un temple à Sparte, où il rendait des oracles et guérissait par des procédés miraculeux 12 ; Aristomachos à qui les Athéniens élevèrent un sanctuaire 13 et enfin Hippocrate qui, au témoignage de Pline, recevait dans la Grèce autant d'honneurs que Héraclès lui-même. Vénéré publiquement par les patients qui recouraient à son intervention miraculeuse, il était, comme de juste, le patron de tous ceux qui continuaient d'exercer sa profession. Lucien cite en raillant le médecin Antigonos qui entretenait chez lui, près d'une statue du héros, une lampe allumée et qui lui offrait annuellement des sacrifices 1i. Une mention spéciale, parmi les héros présidant aux diverses manifestations de la vie intellectuelle, est due aux chefs des diverses écoles philosophiques que leurs disciples, et quelquefois même les foules, honorèrent d'un véritable culte 16. Démocrite était regardé comme un dieu par les Abdéritains ; il est question d'autels en l'honneur d'Anaxagore et même d'un temple en l'honneur de Socrate. Aristote éleva un autel à Platon et les Stagyrites vouèrent un sanctuaire à Aristote lui-même, parce qu'il avait fait rebâtir leur ville par Alexandre". Nous connaissons par le testament d'Épicure [EII:ADISTAE] l'usage de célébrer la mémoire du maître par des fêtes, le jour anniversaire de sa naissance. La pratique des ivaytcpi,a.« donne à ces fêtes toute la valeur d'un culte héroïque. Le souvenir de Platon et de Socrate était mis en rapport, dans les jardins d'Acadénlos, avec la religion des Muses et d'Apollon; et dès le temps de Speusippe, le tombeau de Platon, situé en ce lieu, recevait, V. 19 IIER -146IIER à certains jours, les libations dues aux héros'. Ces écoles philosophiques forment d'ailleurs de véritables thiases religieux qui, en plus de leurs maîtres et de la divinité des Muses, étaient chargés dans certains cas, comme nos communautés religieuses, de perpétuer, par la religion, le souvenir de quelque mort. Antigone Gonatas laisse aux écoles d'Athènes des sommes pour célébrer tous les ans les llalcyoneia, en l'honneur de son fils mort, llalcyoneus2 [Tmnsos]. Le culte des héros n'étant que la forme la plus relevée sous laquelle le sentiment religieux pouvait pratiquer le respect des morts, on s'attend à ce que, par une conséquence logique et rapide, il s'étende des personnalités fabuleuses ou semi-historiques aux personnalités réelles, non plus seulement d'un temps reculé, mais de tous les temps et enfin que ses applications, de publiques et nationales qu'elles sont d'abord, se fassent insensiblement privées et purement familiales.Cependant,en Grèce, les aspirations démocratiques et égalitaires sont tellement vives, il y a un tel respect pour les puissances surnaturelles et une telle subordination de l'individu à l'idée de la patrie, qu'il faut une période assez longue pour que les honneurs décernés aux morts illustres de la légende ou de l'histoire lointaine passent à ceux de l'époque contemporaine ou à des morts sans caractère historique ou politique 3. L'exemple le plus ancien est celui de Timésios de Clazomène, fondateur d'Abdère, que les habitants de Téos vénéraient à titre de héros dès le milieu du vue siècle". Vient ensuite Miltiade, fils de Cypsélos, dont Hérodote nous dit que les habitants de la Chersonèse lui font des sacrifices, (_Iiç vd 1.oÿ oixtc'r' 1, célé brant en son honneur des jeux gymniques et des courses de chevaux Artachaïès, l'ingénieur mède qui, au compte de Xerxès, avait percé le mont Athos, était considéré comme un héros par la ville d'Akanthos où il était mort et où l'armée perse lui avait élevé un tombeau. H n'y a plus à citer dans cet ordre d'idées que l'héroïsation de Brasidas, enseveli dans sa victoire d'Amphipolis, en 'i2 et dont le culte est mentionné par Thucydide'. Quoique les guerres Médiques eussent donné une impulsion si vive au culte des héros de la tradition épique et nationale, il convient de remarquer qu'elles introduisirent à peine des héros nouveaux. Les actes religieux célébrant les combattants de Platées s'adressent à une collectivité anonyme et sont surtout une manifestation de patriotisme On mentionne toutefois des Léonideia, jeux et cérémonies en l'honneur de Léonidas et de ses compagnons; mais ils sont d'institution bien postérieure à l'événement, et quand le poète Simonide dit du tombeau qui leur est élevé qu'il est un autel ([lwtt.bç a'b Tlpoç), il faut voir là moins une définition rituelle qu'une métaphore 9. Il est possible cependant que des rois de Sparte aient été après leur mort l'objet d'un véritable culte héroïquef0. A Athènes même nous ne trouvons aucun cas d'héroïsation historiquement garanti qui soit antérieur au Ive siècle, et les honneurs mêmes rendus avant ce temps, soit aux tyrannicides, soit aux combattants de Marathon, n'ont pris que plus tard la forme d'un culte véritable". Tel est aussi le cas d'un certain nombre d'athlètes qui, vainqueurs dans les jeux publics et d'abord honorés d'une statue, furent peu à peu redevables d'un culte à l'existence même de cette statue, qui devint, dans l'imagination des foules, l'objet de quelque pieuse légende. Ainsi Polydamas dont la statue, fondue par Lysippe, était censée guérir de la fièvre ; ainsi Euthymus, pugiliste qui triompha, disait-on, du mauvais démon à Témésa et dont la statue, dressée à Olympie, avait été frappée de la foudre; ainsi Théagène de Thasos, dont la statue, célèbre encore du temps de Lucien, possédait des vertus curatives ; ainsi Dao tas, autre athlète vénéré à Dymè, en Achaïe, et dont le culte avait été motivé par une injustice grave qu'il aurait subie et qui lui donnait droit à une réparation divine 12. Les Ségestains, de même, avaient élevé un héroon à un étranger, le plus bel homme de son temps, assassiné dans leurs murs; et les habitants de Naxos à une femme, Polycritè, qui, en inspirant l'amour au général ennemi, avait sauvé sa patrie, comme Judith avait débarrassé la sienne d'Holopherne13 Il faut mentionner enfin, parmi ces héros de circonstance, ceux dont Welcker dit justement qu'ils le devinrent par méprise, soit qu'ils ne représentent, comme certains démons, que la personnification de quelque accident, d'un événement heureux ou malheureux, soit qu'ils fussent l'incarnation d'une qualité du corps et de l'intelligence t". De cette catégorie est le héros Gardien des remparts (7eichopliylax), nommé par Hésychius ; le héros Phylakos qui, au témoignage de Pausanias, avait un héroon à Delphes, auprès du sanctuaire d'Athéna Pronoïa et à côté duquel Hérodote mentionne le héros Autonoos 177. De même les Romains, au plus fort de la deuxième guerre Punique, vouèrent un temple à Mens en même temps qu'à Vénus llrycine 16. A Psophis, nous rencontrons les héros Promachos et l chephron; à Platées, les héros Androkratès et Démokratès à qui la Pythie aurai t ordonné d'offrir des sacrifices ". Un héros singulier est celui que vénéraient à Chios les esclaves fugitifs sous le vocable d'Euménès, c'est-à-dire le bienveillant, et dont le premier nom avait été Drimakos; Athénée raconte en détail sa légende assez romanesque d'après Théopompete. Le héros Pédiokratès sauva les Siciliens d'une famine ; le héros 111yiagros partageait avec Zeus Apomyios la vertu de chasser les mouches; le héros Sigélos personnifiait le silence religieux qui était de mise lorsqu'on passait auprès des tombes ou des sanctuaires héroïques ". Hérode Atticus préposa à la garde de ses oeuvres d'art un héros Polydeukès et vouait à sa colère ceux qui se seraient permis des dégradations2o Ce futl'influence des écoles philosophiques plus encore HER 147 11E11 que l'évolution des idées religieuses, qui peu à peu conduisit à la conception des héros privés et fit de l'héroïsation une forme nouvelle du culte des morts, quels qu'ils fussent. Ross remarque avec raison que les plus anciens exemples de ce genre se rencontrent dans des îles peuplées par des Doriens, où le gouvernement avait un caractère aristocratique, à Théra, à Anaphè; qu'ils sont plus rares dans les îles de population attique et ionnienne comme Amorgos, plus fréquents chez les Béotiens dont les stèles nous offrent l'image des morts placés auprès d'un cheval, avec l'inscription : pwç %atE`' tout à fait exceptionnels chez les Attiques proprement dits et d'origine relativement récente'. C'est l'île de Théra, où tlorissait l'antique famille des Aegides et où le culte des héros nationaux et épiques remonte à une respectable antiquité, qui nous offre le premier témoignage épigraphique, constatant de la façon la plus explicite un culte de héros privés 2. Ce témoignage est de la fin du rut ou du commencement du ne siècle avant notre ère; l'auteur de l'inscription est une certaine Épictéta, épouse de Phénix et mère de deux fils, Andragoras et Cratésilochos, qui tous trois sont morts, l'un des fils avant le père. Celui-ci avait commencé d'édifier pour lui un sanctuaire, placé sous la divinité des Muses (MovcEiov) ; quand il fut mort lui-même, et son second fils après lui, Épictéta y plaça des statues représentant les trois personnages et, en plus, des bas-reliefs ((tia) pour orner les chapelles (ÿipeôcm). Une fondation de 3000 drachmes était destinée à l'entretien du sanctuaire et à la célébration des anniversaires. Épictéta constitua une association qui avait à perpétuité la charge du culte et remit à sa fille Épiteleia le soin d'exécuter le testament. Le fils de cette dernière est désigné pour être le prêtre des Muses à la fois et des héros ; l'association est tenue de se réunir une fois par an, au mois Delphinios, pour recevoir les sommes convenues et déléguer trois sacrificateurs ; l'un devait sacrifier le 19 du mois, en l'honneur des Muses ; le second, au jour suivant, en l'honneur des deux époux, Phénix et Épictéta; le troisième, un jour après, aux deux fils défunts; suit une longue liste de parents qui font partie de l'association et qui ont droit de participer au culte avec leurs femmes et leurs enfants. Le Mouséion et ses dépendances sont inaliélables; rien ne doit être changé à la construction, sous la réserve qu'on y pourra ajouter un portique. Les descendants d'Épiteleia, seule survivante de la famille, y pourront contracter mariage, mais tout autre acte y est interdit et l'association a pour mission de veiller à l'exécution des clauses testamentaires. Au repas qui fait partie de la fête annuelle, la première libation est pour les Muses, les autres pour les quatre héros de la famille; l'inscription mentionne les offrandes diverses et en règle la distribution parmi les assistants; d'autres détails sont relatifs aux statues et permettent d'en conjecturer les emplacements respectifs, le père occupant la place d'honneur et la mère obtenant une chapelle à part où elle figure entre ses deux fils. De la même île de Théra provient une incription où une mère fait une fondation par testament pour des sacrifices à son intention et à celle de sa fille'. Ces cultes sont généralement confiés ou à des associations spéciales (euvoôoç, xotvôv i~pwaeTÔw, ilpoïetâv) ou à des associations déjà existantes 4 ; sur un sarcophage de Thrace, un père laisse aux thiasotae de Bacchus Tasibastenus une somme pour que tous les ans, aux nOSALIA, fête en l'honneur des morts dans le monde romain, on célébre sa mémoire et celle de son fils. Dans l'île de Cos, un personnage héroïsé est vénéré de concert avec les Moirae, comme la famille d'Épictéta l'est en compagnie des Muses. Enfin des inscriptions originaires de l'Attique et datant du Irr siècle avant notre ère font mention, ici d'un xotvôv -nwï6Tiv, ailleurs d'un culte dont la nature spéciale est exprimée par le verbe : ;~pwt~sis, âcprpw(Ety 6. Sur les tombes grecques, les expressions de :le« 7aipa, l'invocation r)pwç %prrTl zaïpE, sont loin d'être aussi fréquentes que chez les Romains, la formule devenue banale : D. M. (divis Manibus); mais elle a tout à fait le même sens. Sans être toujours la manifestation d'un culte au sensvéritable, elle témoigne d'une certaine fui dans l'immortalité de l'âme humaine et dans une existence privilégiée, tout au moins pour les plus éminents ou les plus chers, après la mort 6. Le vocable de -r,pw; est alors analogue à celui de pxap.Trç, dont Eûôa(N.wv et même Bat,u.dvtoç sont des synonymes. Un passage des Tagenislae d'Aristophane mentionne ce culte nouveau, peut-être avec des intentions satiriques; il existait d'ailleurs du même poète une comédie des Heroes qui, si l'on se rapporte aux tendances religieuses d'Aristophane, ne pouvait avoir pour but que de censurer7. Une fois sorties du domaine national et patriotique, les pratiques de l'héroïsation ne devaient plus être aux yeux du cornique qu'une superstition dangereuse et condamnable. Élien cite comme un exemple des aberrations athéniennes le fait d'avoir puni de mort un homme qui avait coupé un chêne planté près d'un sanctuaire héroïque'. Il est certain que la décadence du sentiment religieux et les progrès de la superstition contribuèrent dans une large mesure à développer le culte des héros privés. III. Les héros dans le culte. Ce culte, ainsi qu'il est naturel, est calqué sur celui des divinités chthoniennes'. A l'origine, il est lié à l'existence d'un tombeau qui se transforme peu à peu en autel, et même la première trace des honneurs rendus à quelque personnage extraordinaire est à chercher dans la célébration des funérailles, dans les immolations accomplies sur le bûcher, dans les dons et offrandes diverses qui y sont déposés, ainsi que nous le voyons par l'exemple de Patrocle dans l'Iliade 1D. Les plus anciens monuments du culte héroïque FIER 48 IIER sont les tombes vraies ou supposées, amas de terre considérables, dans lesquelles la vénération des foules localisait les cendres des personnalités légendaires : telles au promontoire de Rhétée ou de Sigée, les tombes d'Achille, de Patrocle, d'Antiloque, d'Ajax et celle de Tantale à Sipylos 1, etc. La légende parlait de même de grands ossements découverts aux lieux où les héros étaient morts et d'où ils furent transportés plus tard dans quelque patrie d'adoption, qui attachait à leur possession l'idée d'un préservatif, d'une protection surnaturelle. C'est le cas des ossements d'Oreste, que les Spartiates découvrirent à Tégée; de ceux de Pélops, qu'un pêcheur retira de la mer, à Erétria, dans un filet; de ceux de Tisamène, fils d'Oreste, qu'un oracle fit transporter d'Iléliké à Sparte; de ceux d'Arcésilaos, qui vinrent de Troie à Lébadée; de ceux de Thésée qui, grâce à Cimon, furent transportés de Scyros à Athènes; de ceux d'Hector, que l'on mena de la Troade à Thèbes, pour les ensevelir près de la source d'Oedipe ; de ceux d'Oedipe lui-même, qui, de Thèbes, émigrèrent à Athènes 2. On voit, par l'exemple de la légende d'1`snée transportée d'Asie en Italie, comment un héros peut être fixé par un tombeau prétendu en des lieux fort divers3. D'autres exemples très nombreux nous montrent comment on localisait dans des tombeaux quelconques, en vertu d'une 1léroïsation légendaire, jusque bien avant dans la période historique, les restes de quelque homme célèbre. C'est ainsi qu'au Pirée il existait une tombe dans laquelle l'opinion populaire mettait les ossements de Thémistocle, rapportés d'Asie; des légendes analogues couraient sur les tombes de Léonidas, d'Iphicrate, de Pélopidas, sur d'autres encore '; le dernier exemple est celui de la translation des restes d'Aratus, devenus à Sicyone l'objet d'un culte héroïque D'une façon générale, c'était toujours près d'une tombe, ou réelle ou prétendue réelle, que les héros étaient vénérés et non auprès de quelque cénotaphe, car ce n'est pas dans le royaume d'Hadès, mais dans la tombe même que la piété populaire place leur demeure : de là ils sont censés exercer leur action sur les vivants, et la présence réelle d'une partie au moins de leur être mortel y est indispensable'. Les honneurs rendus aux héros diffèrent de ceux dont les dieux étaient l'objet, et par le temps où l'on procédait au culte et par la nature même de ce culte. Tandis que les dieux recevaient les offrandes et les prières dans la première partie du jour, le culte des héros, qui appartiennent au monde des ténèbres, était célébré le soir'. Pour les sacrifices offerts aux dieux, on employait l'expression de Our(«t, OUety ; pour ceux qui étaient à destina tion des héros, les termes de ,vay(cp.a'r«, E'«y(Ety, verbe qui a pour synonyme Larév.vciv, d'où les offrandes spécialement réservées aux héros sont appelées parfois La différence essentielle consiste dans ce fait que pdur immoler la victime aux dieux on renversait en arrière sa tête, tandis que pour sacrifier aux héros, on la courbait vers la terre avant de l'égorger 0. Le sacrifice s'accomplissait, non sur un autel proprement dit (geop.6ç)10, mais sur un appareil de forme spéciale et réduite, sorte de foyer assez bas (iryxp«), entouré d'unefosse ((3dOpov, (3,3Ouvoç) qui recevait le sang et le faisait égoutter, pour ainsi dire, vers les restes mêmes du héros enseveli dessous : telle la fosse dans laquelle Ulysse fait couler le sang des victimes pour évoquer les ombres dans l'Odyssée et leur offrir la nourriture qui leur rendra pour quelques instants la conscience et le souvenir ". Les héros étant inférieurs aux dieux, ces honneurs sont également d'une nature subordonnée, et quoique dans le langage, les termes de et même de Usa, s'appliquent parfois aux actes du culte héroïque, comme le mot ia et z est employé pour l'autel en général, il faut toujours admettre une différence essentielle entre l'appareil du sacrifice qui s'adresse aux dieux et celui qui va aux héros; la différence est nettement tranchée dans les mots Évzy(«l1.z-r«, i'lz' a;v qui ne s'emploient jamais que lorsqu'il s'agit des héros ou des divinités chthoniennes auxquelles ils sont assimilés 12 Un passage d'Athénée nous permet de suivre les diverses phases de l'adoration des héros 13 : « Creuse une fosse vers l'occident autour de la tombe; ensuite regarde vers l'occident, auprès de la fosse, verse de l'eau en prononçant ces paroles, etc. » Il s'agit dans ce passage d'un acte réligieux, accompli suivant la forme rituelle, n'importe où; mais quand le héros était localisé, la fosse était creusée en permanence autour de sa tombe, comme dans le Pélopeion d'Olympie, ou au sanctuaire de Trophonius à Lébadée; des fosses de ce genre, en forme de rigoles maçonnées, existent dans plus d'un temple en l'honneur des divinités chthoniennes, dans ceux des Cabires, à Thèbes et à Samothrace, dans l'Asclépéion d'Athènes ". A Tronis, en Phocide, le tombeau du héros Xanthippos recevait le sang des victimes par une ouverture spécialement pratiquée à cet effet'". Le héros Hyacinthes, que l'on disait enseveli sous le trône d'Amyclées, était mis en rapport avec les sacrificateurs par une porte d'airain, qui livrait passage aux offrandes''. Quant à l'i cxapz, autour de laquelle courait cette fosse, on en a trouvé un spécimen dans l'héroon d'Olympie; c'est un autel sans soubassement, placé au ras du sol, haut seulement de Om,37, couvert en tuiles plates et revêtu sur les côtés d'ornements peints avec les inscriptions plusieurs fois renouvelées, IIPS20P, IIP62,OZ, IlPtltZN, qui ne laissent aucun doute sur sa destination (fig. 3825)11. Nous le retrouvons d'ailleurs sur le bas-relief votif où Sosippos adore Thésée (fig. 3117, p. 1194) et sur divers autres monuments18. L'espace consacré qui entoure immédiatement l'autel du héros s'appelle alixoç et il fait partie le plus souvent LIER 149 HER d'un 't iovo; plus étendu et planté d'arbres 1. Il existait à Athènes, au sud de l'Acropole, non loin du théâtre de Dionysos, une enceinte consacrée à Codrus, à Néleus et à Basile, dont un décret de l'an 418 av. J.-C. ordonne de relever le mur et où il prescrit de planter 200 oliviers 2. Un mur n'est pas absolument indispensable pour que le terrain consacré au héros soit séparé du sol profane ; il suffit d'un Ott,,xôç, simple palissade, grille ou bordure, et même, comme on le remarque encore pour le téménos de Thésée au Pirée, d'une suite de pierres alignées de distance en distance pour marquer le périmètre 3. A Olympie, le Pélopeion de l'Attis, placé entre les temples de Zeus et d'Iléra, forme dans son ensemble un pentagone régulier, délimité par un mur de pierres de taille; dans les propylées d'ordre dorique s'ouvraient trois portes; le tombeau du héros était au sommet de la colline en face et l'on y montait par une voie , bordée d'arbres et ornée de statues. Il ne reste plus traces de l'héroon proprement dit, mais, en dehors de l'Altis, on voit un héroon anonyme, de forme quadrangulaire, partagé en trois compartiments, dont le plus grand est circulaire et entouré d'un mur en maçonnerie; nous avons déjà parlé de l'autel (fig. 382h) qui est appuyé contre la paroi sud et dont l'inscription révèle la destination de l'édifice Tous ces monuments semblent ouverts sur l'ouest ; ce qui concorde avec ce que nous savons, d'autre part, des pratiques usitées dans le culte héroïque 5. Les arbres qui couvraient le téménos étaient généralement des oliviers dont le revenu était employé pour les besoins du culte; il était défendu, sous les peines les plus sévères, d'y causer quelque dommage 6; souvent une fontaine coulait dans le bois (on en voit des traces dans le Théséion du Pirée) 7. Quant aux arbres, il n'est pas rare de les voir indiqués sur les bas-reliefs qui servaient à l'ornementation des tombes et des chapelles mortuaires 8. Ces chapelles portent le titre commun de heroon, lequel . s'applique par le fait à des monuments d'importance très inégale; on trouve ce nom pour de simples tombes et il désigne, le cas échéant, de véritables temples quand ils sont élevés à des héros; et même il peut être donné à une enceinte consacrée, sans qu'il s'y dresse quelque construction architecturale 9. On a vu, par l'inscription de Théra, ce que pouvait être un heroon au sens le plus élevé du mot, c'est-à-dire un groupement de chapelles avec statues, bas-reliefs, autels et inscriptions, le tout couvrant les tombes des morts héroïsés. On a prétendu que l'heroon différait du temple (iEpôv, vals) en ce que celui-ci s'élevait toujours sur un soubassement double; hais l'examen des ruines, aussi bien des temples que des heroa, ne conduit à aucune distinction tranchée 70. Les heroa sont souvent représentés ou sur des vases peints ou sur les bas-reliefs provenant de monuments mortuaires". Tous les ornements dont un temple est susceptible peuvent être de mise dans un heroon. Un cas particulier est celui des chapelles héroïques, placées dans un temple à destination d'un dieu avec le culte duquel le héros est mis en rapport 'Z. C'est le cas du tombeau d'Érechthée placé sur l'Acropole d'Athènes dans le temple d'Athéna et de Poséidon, et celui du tombeau d'Oedipe localisé à Colone dans le bois sacré des Euménides. L'usage de vénérer les saints et surtout les martyrs dans les cryptes des églises chrétiennes se rattache à cette pratique hellénique 13. D'autres fois, les heroa sont mis à proximité des temples, comme celui de Pélops,à Olympie, placé entre les sanctuaires de Zeus et d'Iléra; celui de Phylakos et d'Autonoos, à Delphes, près du temple d'Athéna Pronoia, ceux de Calamités, à Athènes, près du Lénaïon et de Deucalion, près de l'Olympiéion; celui d'Aristomaque, près du temple de Dionysos, à Marathon ; celui de Néoptolème, situé à l'entrée même du temple d'Apollon, à Delphes". Ailleurs les heroa, ceux-là surtout qui sont dédiés aux héros fondateurs et colonisateurs, s'élèvent sur l'agora des villes ; Pausanias en cite pour la ville de Charadra, en Phocide, qu'on ne savait plus à qui rapporter de son temps, ruais qui n'en continuaient pas moins d'être honorés 15. En somme, il n'y a pas de règle pour le choix des emplacements où les héros étaient l'objet d'un culte. A mesure que ceux-ci se multiplient en perdant le caractère public et national, on les voit s'installer jusqu'aux portes et dans l'intérieur des maisons, le foyer lui-même devenant l'autel des ancêtres divinisési" ; mais c'est surtout dans les cimetières et sur les voies qui y mènent que nous trouvons, à partir du 1m siècle avant notre ère, la plupart des monuments du culte héroïque. Les Romains imitent les Grecs dès la fin de la république ; c'est un véritable heroon que Cicéron, dans le premier éclat de sa douleur, songe à élever à sa fille Tullia. Le choix de l'emplacement, celui des matériaux devant entrer dans la construction, le plan de l'édifice qui doit être magnifique, sont l'objet de sa HER 150 HER part de longues discussions avec Atticus, et la nature même de ces discussions, qui d'ailleurs ne durent pas aboutir, démontrent qu'a cette époque les pratiques de l'héroïsation à la façon des Grecs étaient encore à Rome dans toute leur nouveauté' [SEPOLCIIUm]. De même que, dans la construction des monuments destinés aux héros, on se contente d'imiter, chacun suivant sa fantaisie et ses moyens, ce qui se pratiquait pour les dieux, ainsi dans le détail du culte tout ce qui servait à honorer les dieux : prières, libations, sacrifices de tout ordre, processions et jeux, convenait également aux héros; la différence était dans l'intention plutôt que dans le fait, et même l'acte de l'adoration proprement dite, la apoaxlrvriets, d'ailleurs venu assez tard de l'Asie dans la Grèce, ne semble pas avoir été exclu du culte des héros 2. Seulement le héros étant considéré à la fois comme un homme enlevé par la mort et placé dans une condition privilégiée à cause de sa ressemblance avec les dieux, l'idée même de la mort met dans la vénération qui lui est départie un caractère de tristesse ou de gravité qui ne se rencontre que dans la religion des divinités chthoniennes. Les morts, même divinisés, sont toujours honorés dans le silence, comme si on craignait de troubler la paix de leurs tombes, et on les vénère avec des marques de douleur, pour témoigner du regret que les survivants ont de ne plus les posséder parmi eux. Il est des héros que l'on fête avec tout l'appareil des funérailles, en se coupant les cheveux, en prenant des vêtements de deuil, en se frappant la poitrine ; ainsi les femmes d'Élis en célébrant la mémoire d'Achille s Les pratiques d'ordinaire en usage pour le culte des héros nous sont données sous une forme dramatique dans la scène d'évocation de l'ombre de Darius et par le prologue des Choéphores'. La prière qu'Atossa adresse à son époux est pareille à l'invocation qui, d'autre part, sollicite Hermès Chthonien d'envoyer l'ombre du roi au secours de ses enfants. Dans le second cas, c'est sur la tombe même du héros que le chœur répand les libations auxquelles la pièce doit son titre; à cela près, les cérémonies en l'honneur de Darius sont absolument semblables. La reine sort de son palais, sans aucun ornement, accompagnée de servantes qui portent les offrandes destinées à la Terre et aux Morts ('ç Ts r. YOvroïs) 5 ; ces offrandes, empruntées au culte grec, consistent en lait, miel, eau et huile; le chant évocateur (illi.sto; âvxx),-tIT7 pto;) demande à la Terre, à Hermès, au Roi des Enfers qu'ils veuillent bien renvoyer à la lumière le héros protecteur du peuples; et dans une scène précédente les vieillards qui composent le chœur, ont conseillé à la reine, qui a vu Darius en songe, d'implorer son action bienfaisante, afin que du sein de la terre il lui vienne en aide, ainsi qu'à Xerxès. Ces prières et ces offrandes sont accompagnées de coups frappés sur le sol, rappelant ceux par lesquels, dans l'Iliade déjà, la mère de Méléagre invoque les divinités infernales contre son fils'. Des bas-reliefs votifs nous montrent (fig. 3828) que les prières adressées aux morts héroïques le sont dans la même attitude que si elles s'adressaient aux dieux; l'adorant lève ou la main droite ou les deux mains, dans le culte ordinaire, devant la statue ou l'autel qui représente le héros. Lorsqu'il s'agit simplement de le prier, sans intention de l'évoquer, ce qui est exceptionnel, cette prière se fait sous la forme la plus simples : « Salut, ô le plus cher des héros », dit l'homme pieux qui, chez Babrius, pratique assidûment un culte domestique. S'il en faut croire Polybe, aux prières se joignaient parfois des hymnes et des péans, que l'on enseignait aux enfants dès l'âge le plus tendre, pour exalter les exploits des héros indigènes (r;pa,a; i r;7copiou;) aussi bien que des dieux'. Les scolia, en l'honneur des tyrannicides, nous donnent une idée des hymnes de ce genre, que les archéologues latins ont voulu retrouver parmi les vieilles coutumes de la république romaine 10. La nature de ces prières et de ces hymnes était déterminée par l'opinion même que l'on se faisait des différents héros ; les uns étaient invoqués comme des esprits secourables et bienfaisants, les autres conjurés, en raison de leur influence réputée hostile11. Il existe, en effet, une classe de héros mauvais par tempérament et d'autres qui le devenaient par occasion; en cela encore, les héros ressemblent aux daemones, que certaines théories philosophiques et, plus encore, l'altération du sentiment religieux ont fini par partager en deux catégories distinctes, les uns de nature lumineuse et propice, les autres issus des ténèbres, vengeurs des actes coupables au nom de la morale, ou chargés simplement par la superstition naïve d'expliquer les diverses manifestations du mal dans le monde 12. On fait de même épouser aux héros nationaux les rivalités et les haines de ceux dont ils sont constitués les protecteurs. Le personnage déjà cité de Babrius dit que les héros sont les auteurs de tous les maux dont souffrent les hommes 13. On s'approchait en silence des lieux ois ils étaient censés résider et on tremblait de troubler leur repos. Ils châtiaient ceux qui causaient du dommage à leurs sanctaires, qui coupaient des arbres dans les bois consacrés ; Anagyros, héros athénien, allait dans ce cas jusqu'à détruire les maisons des profanateurs, d'où le proverbe qui recommandait de ne pas exciter sa colère : 'Aviyupov xtvmïv' i. On disait dans le peuple qu'on ne pouvait rencontrer la nuit un héros sans être frappé de paralysie ou de quelque autre maladie; de même, on mettait au compte des héros irrités ou d'Hécate, les convulsions, les terreurs nocturnes et, semble-t-il, toutes les maladies nerveuses 15. Une aimable parodie d'Aristo IIER 1g1 HER phane nous parle d'un quartier sombre et mal famé d'Athènes, où il est dangereux de rencontrer la nuit Oreste, le héros des voleurs, parce qu'il vous roue de coups et vous dépouille de vos vêtements'. Les coureurs, à Olympie, conjuraient le héros qui faisait s'emporter les chevaux (Taraxippos); les habitants de Thasos priaient un héros, Théagène, qui répandait la stérilité ; en Thrace, on rendait Orphée responsable de la peste, en expiation du meurtre dont il avait été victime'. Les héros vengent des injustices commises, non seulement sur les auteurs eux-mêmes, mais sur leurs descendants éloignés: Protésilaos avait reçu des dieux la puissance de châtier tous ceux qui violaient l'équité ; les habitants d'Agylla ne trouvent la lin des maux divins qui les accablent qu'en rendant à la mémoire de Phocéens, injustement lapidés par eux, des honneurs héroïques'. Les filles de Skédasos restent les ennemies des Spartiates jusque dans la tombe et ne s'apaisent qu'après des prières et des conjurations spéciales ; de même Talthybios punit sur eux le meurtre des envoyés de Darius, jusqu'à réparation solennelle de cette violation du droit des gens. Les habitants de Témésa sont en proie à un daemon mauvais, à raison du meurtre d'un compagnon d'Ulysse, et ils ne trouvent le repos que par l'intervention du héros huthymos'. Alexandre visitant Ilion croit devoir sacrifier, en l'honneur de Priam, pour conjurer la colère du héros, capable de se venger jusque sur la descendance éloignée de Néoptolème 5. De cette influence mauvaise que l'on prêtait aux héros, est venu le dicton populaire par lequel on affirmait des intentions bienveillantes : « Je ne suis pas de ces héros-là» ; ou bien : « Je ne suis pas un Oreste 6 ». Outre les invocations diverses et les libations en usage, soit pour conjurer la colère des héros soit pour se concilier leur bienveillance, les Grecs leur décernaient, suivant l'occasion et l'idée qu'ils se faisaient de leur importance, tous les honneurs dont pouvaient être l'objet les dieux. Le tableau le plus complet des fêtes organisées à leur intention nous est fourni par Plutarque décrivant la cérémonie annuelle dans laquelle on célébrait les héros nationaux de la bataille de Platées'. Le 16 du mois Maimactérion,on se rendait en procession vers les tombes; un trompette marchait en tête, sonnant un air guerrier, puis venaient des chars garnis de myrte et de guirlandes de fleurs; des jeunes gens de famille libre portaient des amphores contenant des libations, du vin, du lait, de l'huile, des parfums ; un taureau noir était destiné au sacrifice. L'archonte des Platéens, qui d'ordinaire ne portait qu'un vêtement de laine blanche et à qui il était interdit de toucher du fer, officiait ce jour-là en manteau de poupre ; il traversait la ville, portant d'une main l'épée nue, de l'autre une hydrie conservée au trésor de la ville; arrivé près des tombes, il puisait à une source l'eau avec laquelle il purifiait les stèles, qu'il oignait ensuite de parfums; puis il immolait le taureau sur l'autel ; il invoquait Zeus Chthonien et Hermès Psychopompe, les invitait au festin du sang (a(p.xYTourfa) e en compagnie des héros tombés pour la patrie, faisait des libations de vin et buvait aux guerriers qui avaient donné leur vie pour la liberté des Hellènes. Une autre cérémonie, plus pompeuse encore, est celle que les habitants de Sicyone célébrèrent en l'honneur d'Aratus, lorsqu'ils ramenèrent ses cendres, sur la recommandation de l'oracle de Delphes, d'Aegion où les Macédoniens l'avaient empoisonné, pour le vénérer en qualité de héros oirtcTriq et de sauveur de la patrie 9. Les honneurs héroïques (irwïx«(Ttm«O qui lui étaient rendus dans la suite comportaient deux fêtes, l'une appelée EwTr;Nfa, sous le patronage de Zeus Sotêr, au jour anniversaire où il avait délivré Sicyone des tyrans, l'autre au jour anniversaire de sa naissance. Des jeux scéniques et une grande procession, sans compter les sacrifices, en étaient les principaux éléments. La légende s'empara dès lors de sa personnalité, on le considéra comme un fils d'Asclépios avec qui sa mère aurait eu commerce sous la forme d'un serpent". Mégalopolis, en Arcadie, honora d'une façon semblable Philopoemen, après avoir réclamé son corps aux Messéniens ; une délibération publique lui fit ériger des statues et décerner les honneurs divins : (coOmoi Tq.■.xt; c'est-à-dire qu'on lui voua un autel avec un téménos ; et chaque année on donnait, pour fêter son souvenir, des jeux gymniques et hippiques qui portaient également le nom de Sotéria 11. Ceux que les habitants de Cnide célébraient à l'intention d'Antigone Gonatas, vénéré avec sa femme en compagnie du dieu Pan, comportaient, en outre, des concours de poésie'. Nous avons déjà dit qu'à une époque plus reculée les rois de Sparte semblent avoir été l'objet d'honneurs divins ; il est question de statues héroïques érigées à leur intention, de processions et de lectisternes où elles sont exposées à la vénération publique u. En parlant des tyrannicides, Démosthènes dit aux Athéniens qu'ils les ont associés dans tous les temples aux offrandes et aux libations pour les sacrifices et qu'on leur chante des hymnes tout comme aux dieux eux-mêmes'. La cérémonie essentielle, celle que l'on retrouve dans toutes les manifestations du culte public rendu aux héros et dans laquelle se résument les pratiques du culte privé, c'est le repas qui leur est offert en commun avec les vivants parmi lesquels on évoque leur mémoire f5. L'idée qui est au fond, c'est que le mort illustre continue de s'unir à ses descendants, à la faveur de ces agapes. On offrait sous cette forme les prémices des fruits, des gâteaux d'espèces diverses, le plus souvent pétris avec du miel 16 ; on s'abstenait de ramasser ce qui tombait de la table, de même que dans la religion romaine on réservait aux divinités domestiques les gâteaux appelés niensae paniceae, sur lesquels, comme sur des plats, étaient déposés les mets destinés aux vivants ". L'expression consacrée désignant l'invitation IIER -152 IIER pieuse adressée aux héros avant le repas était vtx xxnsiv t; et celle qui désignait l'acte même de l'offrande : aroTtllecxt. C'est là une imitation des é\e x célébrés en l'honneur même des dieux2. Le bas-relief dit d'Argénidas, trouvé à Vérone, nous présente l'image d'un repas de ce genre offert aux Dioscures (cf. DIOSCUBI, fig. 2138): devant les héros debout, se dressent sur une table, à côté de l'autel, deux vases qui leur sont présentés par l'adorant placé de l'autre côté. La forme de ces vases allongés et munis de couvercles coniques, concorde avec ceux que l'on remarque sur les stèles attiques et dont la signification est la même'. Une inscription. de l'île de Cos décrit en détail un ÿévteüoÇ en l'honneur d'IIéraclès et énumère les objets divers qui y sont en usage', le tapis sur lequel est étendue l'image du héros, la x,tvri qui lui sert de support, la table dressée devant, le thymiatérion pour les offrandes de parfums, les guirlandes de fleurs, l'eschara, le luminaire, tout l'appareil d'un teclisternium, cérémonie que les Romains empruntèrent aux Grecs et dont nous décrirons plus loin l'appareil en parlant des banquets funéraires. On a rapproché de cette inscription le fragment où Bacchylide déclare qu'il ne peut offrir aux Dioscures que des libations de vin, et non des tapis de pourpre ni des vases d'or 5. Ces repas deviennent peu à peu dans le culte public des festins populaires, ilreoOotv(z 6 ; de même, chez les Romains, les silicernia qui, le neuvième jour après le décès, servent de conclusion aux funérailles, donnent dans certains cas occasion à des réjouissances publiques où les grandes familles traitent la foule des clients, comme les combats des gladiateurs n'y sont qu'une dégénérescence des jeux funéraires'. IV. Les héros dans l'art. Passer en revue toutes les représentations héroïques, statues, bas-reliefs, vases peints, bronzes, etc., qui ont échappé au temps, reviendrait à faire l'histoire de l'art au service de la religion, dans l'une de ses deux grandes parties. Si les dieux ont pour eux la célébrité plus éminente et par elle la multiplicité des monuments figurés, les héros les rattrapent par leur grand nombre et par la variété de leurs aspects 3. Nous pouvons écarter tout d'abord de notre sujet tout ce qui nous montre les héros dans l'exercice de leur activité terrestre, tout ce qui retrace aux yeux les divers épisodes de leurs légendes respectives. Ils y apparaissent surtout comme des guerriers, armés de toutes pièces', et ils ne sont reconnaissables, en tant que héros, qu'avec le secours des textes où survit leur histoire fabuleuse. Nous n'avons à les envisager ici que dans l'exercice de leurs fonctions surnaturelles, après que par la mort ils sont devenus, en compagnie des dieux et à leur image, un objet de vénération to A ce titre, nous trouvons tout d'abord les héros représentés, dans la légende et sur les monuments figurés, par le symbole du serpent U. Cet animal, pour un grand nombre de races polythéistes, n'est pas seulement le mystérieux gardien de certains sanctuaires, des trésors et des tombeaux [nRACO, II, p. 408] ; il est souvent l'incarnation du mort héroïsé et rappelle à la fois ses origines d'ancêtre autochthone et sa destinée divine. C'est sous les traits d'un serpent que le héros Sosipolis vient au secours de la ville d'Élée, que le héros Cychreus se manifeste à Salamine en faveur des Athéniens, qu'Érichthonios figure dans la légende d'Athéna72. Les fables sont nombreuses qui parlent de héros et aussi de dieux ayant eu commerce avec des femmes mortelles, en prenant la figure du serpent pour engendrer avec elles des personnalités surhumaines 13. De cette façon, le héros Astrabacos est devenu père de Démarate, roi de Lacédémone '. Aristomène, Aratus, Alexandre le Grand luimême, héroïsés par l'admiration reconnaissante de leurs nationaux, ont inspiré des légendes qui leur donnent un serpent divin pour père 1'. Un historien grec du règne d'Auguste fabrique à l'empereur une généalogie analogue et met sa mère Alla en relations avec le génie d'Apollon 1G. Ailleurs, nous voyons le serpent parmi les attributs caractéristiques des héros; Cléomède, que l'oracle de Delphes déclara ]e dernier des héros, fut vénéré comme tel par les habitants d'Alexandrie qui l'avaient injustement mis en croix, parce qu'un serpent était venu s'enrouler autour de sa tête ". Lucien raille Alexandre d'Abonoteichos, qui rentra dans sa patrie déguisé en Perside avec un serpent apprivoisé. Les serpents qui circulaient autour des tombes étaient regardés comme les morts eux-mêmes, rendus à la lumière sous cette forme nouvelle et venant goûter aux offrandes que les survivants y déposaient aux fêtes anniversaires'". Associé par l'art aux représentations des divinités chthoniennes, le serpent, de très bonne heure, servit, surtout chez les Éoliens de Béotie et chez les Doriens du Péloponnèse, à figurer les morts héroïsés ou à indiquer, par sa présence auprès du héros lui-même, le caractère divin de sa nouvelle existence. L'exemple le plus ancien dans ce genre nous est offert par le bas-relief célèbre découvert à Chrysapha, non loin de Lacédémone, en 1877 ; ce bas-relief représente un couple de morts héroïsés, assis sur des trônes, le mari tenant un canthare et la femme une pomme de grenade, tandis que deux adorants, de 'dimensions beaucoup plus petites, leur apportent des offrandes. Le serpent déroule ses anneaux sous le trône même, allongeant le cou par-dessus le dossier, à la hauteur des têtes des deux héros (fig. 3826)". 11ER 1553 IIER Ce morceau de sculpture est en même temps le premier spécimen des représentations connues qui, sous le nom de banquets funéraires, ont largement défrayé les discussions des archéologues. M. Furtwaengler en a tracé un historique complet dans l'introduction écrite pour le Ier volume de la Collection Sabouroff'. M. Pottier, de son côté, à propos des fouilles opérées dans la Nécropole de Myrina, a résumé comme il suit les diverses solutions proposées pour expliquer ces monuments : 1° le banquet est un souvenir de la vie réelle des défunts sur la terre; 2° le banquet est l'image de la vie surnaturelle des défunts dans le séjour des bienheureux ; 3° le banquet est la reproduction d'une cérémonie funèbre, des vsreîctx ou repas offerts aux morts à périodes fixes par les vivants; 4° le banquet représente les repas offerts, non pas à des mortels, mais à des divinités 2. Cette dernière solution n'est plus guère défendable et les trois autres se concilient fort bien entre elles. Il paraît établi d'ailleurs que tout d'abord des monuments de ce genre n'ont pas servi à décorer les tombeaux, mais qu'ils proviennent de temples élevés aux dieux chthoniens et de sanctuaires dédiés aux héros, que ces heroa aient renfermé ou non leurs sépultures 3. Il est difficile d'affirmer qu'ils aient été en usage pour les héros éloignés dont la tradition a consacré les légendes; ils semblent plutôt limités à des morts héroïsés et représenter tout d'abord, par des figures d'un caractère général, les ancêtres d'une famille, non telle individualité déterminée. Le relief de Chrysapha a absolument ce caractère et le couple qu'il nous présente ressemble au couple divin des Enfers 4. Un autre relief, de même date et de même provenance, supprime la femme et n'offre que l'ancêtre seul, assis sur le trône et la coupe à la main. Au lieu d'un serpent, nous y voyons un chien qui saute après 1 Op. cil. Introd. p. 16 et s., étude qui est en même temps une excellente contribution à la question des héros en général. 2 [full. de con'. heu. 1886, p. 315, avec la pl. an'; cf. pour la bibliographie, S. Reinach, Manuel de philologie, II, p. 71. II faut ajouter aujourd'hui F. Ravaisson, Mon. gr. relatifs Il!séennes.3 Furtwaengler, Loc. cit, p. 25 sq. Notice sur la planche I et 2iuittheilungen, VII, p. 162. 4 Milchhoefer y a vu d'abord Hadès et Perséphoné, tlittheilungen, II, p. C59; depuis il s'est rangé à l'interprétation de Furtwaengler, V. son maître et au-dessus de la tête de ce dernier, dansl'espace vide, l'image réduite d'un cheval (fig. 3827) 5. Ces deux animaux vont devenir plus fréquents que le serpent lui-même sur les reliefs des siècles suivants'. Les avis sur leur signification diffèrent; il est probable qu'àl'origine ils étaient surtout en rapport avec le symbolisme spécial du culte des divinités infernales; plus tard ils représentent simplement la qualité aristocratique du mort et rappellent que, de son vivant, il était cavalier et chasseur'. M. lleneken a distingué quatre classes parmi les monuments qui figurent ou des banquets funéraires ou des scènes analogues, ayant pour but comme eux d'héroïser des personnages de distinction 9 : il y a le type du cavalier sur son cheval, celui du guerrier debout auprès de son cheval, celui du héros assis sur un trône, celui du héros couché sur son lit de repos ; les uns et les autres sont diversement groupés et l'acte de l'offrande ou du repas, qui est surtout à sa place dans les scènes des deux derniers types, peut se rencontrer aussi dans les premiers. Ainsi, sur un relief de Tanagra, le personnage héroïsé s'avance à cheval ; il est accueilli par un person nage de taille sensiblement plus petite, dans l'attitude de l'adoration (fig. 3828) 9. Un bas-relief de Cumes nous 165; pour le chien, v. Perey-Gardner, Journal of hellenie studies, V, 135. 7 Pour les héros chasseurs, représentés avec des chiens et le strigile, v. Friederichs-Wolters, 9 Furtwaengler, Collect. Sabouroff, pl. xxxiv, n. 1. Voy. un autre relief de 'ranagre. Friederiehs-Wolters, n° 1076 et Mittheilungen, 111, 380, 143 ; Roselier, O. c. 20 HER -15411ER mon tre le héros à cheval, suivi de son épouse, et allant audevant de six adorants, de tailles décroissantes; les armes du personnage sont figurées au-dessus dans les espaces vides et près de la tête du cheval on aperçoit le serpent symbolique'. Un bas-relief de style archaïque, trouvé à Tégée, nous offre le type de la morte héroïsée, adapté à une scène de banquet funèbre 2. L'héroïne est assise sur un trône, soulevant son voile de la main droite, avec le geste de l'âvar04tç dans la représentation des théogamies; un jeune homme, debout devant elle, offre une couronne à un défunt couché sur la klinè. Une stèle du Louvre, munie d'une inscription où se lisent les noms de Philocharès et de Timagora, représente au centre le héros vêtu du chiton et de la chlamyde qui serre la main à son épouse héroïsée placée en face ; derrière lui on aperçoit la tête et l'avant-corps du cheval'. Une autre, du même musée, comporte quatre personnages, un adorant de taille plus petite, la main droite levée et trois héros dont deux, un homme et une femme debout, d'aspect juvénile, sans doute des époux, tournés vers l'ancêtre qui est assis sur un trône et qui, de la main gauche, tient une patère que la jeune femme vient de remplir. Un bas-relief de Tarente associe dans une seule scène le héros debout à côté de son cheval avec la représentation d'un banquet funèbre; l'homme et la femme sont étendus sur une klinè, devant une table chargée de mets; à la gauche se tient l'échanson avec le canthare et la patère M. Furtwaengler remarque que, dans les transformations successives qu'ont subies les types primitifs des banquets funéraires et des scènes analogues composées à l'intention des morts héroïsés, il y a tendance à obtenir un ensemble vivant et mouvementé ; c'est le cas d'un bas-relief provenant de Thyrea 5, aujourd'hui à Athènes, qui nous offre dans son genre une des représentations les plus complètes et les plus originales de l'héroïsation (fig. 3829) 6 Au centre, le héros nu, drapé dans une chlamyde, tient le cheval par la bride; la main droite est étendue, comme pour le repaître, vers le serpent symbolique, dont les anneaux s'enroulent autour d'un arbre ; à l'arbre même, dans les branches duquel on aperçoit des oiseaux (l'oiseau, d'ailleurs, entre dans la composition d'autres scènes funéraires), sont suspendues les armes; à l'autre extrémité, un jeune écuyer porte l'arc d'une main et présente de l'autre un casque au personnage principal. Sur un support est placée l'amphore à couvercle conique, dont nous avons remarqué la présence sur des monnaies lacédémoniennes et sur le bas-relief d'Argénidas qui représente un sacrifices aux Dioscures'. Il arrive que des bas-reliefs sont installés, à titre votif, dans des temples et qu'ils associent, comme cela a lieu dans la légende, le culte de quelque héros à celui d'une divinité 8 : ainsi les nombreuses plaques de marbre, trouvées dans les fouilles de l'Asclépéion à Athènes ; une des plus remarquables nous offre six adorants, deux hommes, deux femmes et deux enfants, rendant hommage à sept, héros debout, d'âge, de sexe et d'expressions variées (fig. 3830)9. En tête est Asclépios, appuyé sur un bâton autour duquel s'enroule le serpent : par-dessus son épaule on aperçoit la figure d'Epioné. Il est probable que les cinq personnages à la suite sont des héros et des héroïnes Asclépiades, peut-être Alcon, le fameux ilpwç ia'rpdç qui avait un sanctuaire près du Théséion, puis Toxarisle Eivoç ter, ç, vénéré au Dipylon, et les filles d'Asclépios, Iaso, Panakeia et Hygie lo Ailleurs, il est presque impossible de décider si l'on a affaire à une scène d'héroïsation ou à un sacrifice en l'honneur de divinités chthoniennes. Un bas-relief du beau temps de l'art nous offre un personnage barbu,. assis sur un trône auprès duquel se déroule le serpent symbolique; debout, à côté de lui, est une majestueuse figure de femme, amplement drapée ; deux adorants, l'un junévile, amenant un porc et portant des offrandes, l'autre, barbu, dans l'attitude de la prière, leur rendent hommage". N'était la présence des serpents, on pourrait penser, comme pour le relief de Chrysapha, à quel HER -155HER que sacrifice en l'honneur du couple divin des Enfers. Nous avons dit que dans l'appareil du culte offert aux héros figurent la klinè, lit de repos emprunté à l'Orient, sur lequel les Grecs s'habituèrent à s'étendre pour prendre leurs repas, puis la table (TpzrcZc) placée auprès; on les mit en usage dans les cérémonies en l'honneur des dieux chthoniens, de Hadès, des Dioscures, d'Asclépios; et elles furent adaptées à la vénération des héros'; un poème attribué à Musée disait que les bons, aux Enfers, couronnés de fleurs, passaient leur temps dans des festins et dans une ivresse perpétuelle 2. C'est la scène que représentent les reliefs très nombreux en marbre ou en terre cuite àqui convient surtout l'appellation de banquets funèbres. Si le type du héros cavalier et chasseur parait originaire de Thrace celui du héros assis ou couché se rattache à la Laconie par les reliefs de Crysapha et de Tégée que nous avons cités. De là il s'est répandu dans le reste de la Grèce, en Attique surtout et, de très bonne heure, en Étrurie; le groupe exécuté en ronde bosse était placé d'ordinaire sur le sarcophage même, usage ensuite adopté par les Romains'' ; on le retrouve, très anciennement déjà, dans l'Italie méridionale et notamment à Tarente, on l'on a découvert un dépôt de nombreuses terres cuites, représentant soit le héros, soit le dieu, couché avec le canthare ou la coupe, la tête ornée de diadèmes et de fleurs, quelquefois avec la femme à côté de lui, celle-ci coiffée du calathos. Il en est dont le style dénote une respectable antiquité Ici encore on se heurte à la difficulté de distinguer avec certitude des scènes d'héroïsation proprement dite et des représentations de divinités chthoniennes dans l'exercice de leurs prérogatives idéales. 11 est probable cependant que c'est le banquet des morts qui a suggéré l'idée de représenter ainsi les dieux eux-mêmes et « le sens funéraire apparaît sur les monuments les plus anciens 6 ». Les plus remarquables spécimens que nous possédions sont du Ive siècle et, pour la plupart, originaires de l'Attique. Le total de ceux qui sont connus à cette heure dépasse trois cents, soit bas-reliefs, soit terres cuites. Parmi ces dernières, le plus grand nombre paraît avoir un caractère votif et les dimensions en sont restreintes'. Quant aux bas-reliefs, le plus considérable des six que nous présente la collection Sabouroff ne dépasse pas 30 centimètres en hauteur et 10 en largeur'. L'attitude des personnages et leur nombre y offrent une grande variété ; en général, le héros est étendu sur la klinè, le haut du corps nu, la tête le plus souvent barbue, couronnée ou coiffée du polos, dans la main le rhyton ou la patère ; devant lui se dresse la table chargée de mets; en face est assise nne figure féminine qui tantôt lui verse à boire, tantôt tient une cassette ().t(?xvwzpiç) où elle fait mine de prendre l'encens qu'elle dépose sur un thymiatérion voisin. L'échanson fait presque toujours partie de la scène, soit qu'il s'occupe de mélanger le vin dans un cratère, soit qu'il apporte à boire dans un canthare. Les adorants sont plus ou moins nombreux, dans l'attitude qui indique l'hommage religieux. Quelquefois on voit figurés auprès de la table le serpent symbolique et, dans la partie supé rieure, le petit cadre avec la tête du cheval (fig. 3831) 3. Assez rarement la femme héroïsée est étendu sur la Miné à côté de son époux. Nous avons dit plus haut comment la scène du banquet funèbre se combinait en certains cas avec la représentation des héros cavaliers". Il serait évidemment excessif de prétendre que dans tous les cas où se rencontrent ces diverses représentations, soit sous forme de tables votives dans les sanctuaires, soit sur les stèles même des tombeaux, nous avons affaire à un culte précis et formel de morts héroïsés. De même que le mot -1,F)_); placé sur les tombes n'est bientôt plus qu'une formule banale, analogue au Divis Manibus des Latins, ainsi les banquets funèbres dans leurs nombreuses variétés, les scènes de tout ordre que nous offrent les stèles et qui ont avec ces banquets une parenté manifeste,ne sont guère, à partir du m' siècle, sauf pour quelques cas exceptionnels, que l'expression la plus éminente d'un culte général des morts, une satisfaction donnée à la vanité de certaines familles et, au point de vue philosophique, une profession assez vague de foi en l'immortalité". Quant aux représentations, d'ailleurs rares qui, sur les vases peints, donnent aux morts les traits d'êtres ailés et fantastiques, elles s'expliquent surtout par l'identification de l'idée de héros avec celle de daemon 12; nous avons de même noté ailleurs la parenté des Lares et des Mânes latins avec les Génies 13 J.-A. IIILn. IIES 156 HES IIESPERIDES. [HERCULES].