Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article JANUS

JANUS. I. Janus passait pour être l'une des plus anciennes divinités de Rome. Son culte avait été introduit dans la cité par Romulus 1; son nom figurait dans les chants rituels des Saliens, prêtres créés par Numa Pompilius'. Janus fut toujours populaire chez les Romains. Le sanctuaire qui lui était consacré sur le Forum n'avait encore rien perdu de son importance au Ive siècle de l'ère chrétienne 3. C'était un dieu particulier à l'Italie. On ne le retrouve ni en Grèce, ni en Orient, ni dans aucune autre religion de l'antiquité 1. IIérodien l'appelle Otôç ccpxatrzroç Triç 'Ir (a; i7rtzcàpioç5. Deecke, dans ses Etruskische Forschun gen e, lui attribue une origine étrusque. Cette opinion est inexacte. Les textes, les légendes et les monuments sont d'accord pour démontrer que Janus était un dieu bien romain. L'un des surnoms qu'il porte habituellement est celui de Quirinus'1 ; en outre, il était considéré à Rome comme un des dieux Pénates 8. La tradition populaire voyait en lui le plus ancien roi du pays, celui dont le règne avait été l'âge d'or du Latium; Saturne, accueilli par lui, lui avait enseigné l'agriculture et plusieurs industries, entre autres la construction des bateaux et le monnayage 9. Souvent Janus était associé à des divinités purement locales, comme la nymphe Juturna, le dieu Fontus, le dieu Tiberinus 10, Enfin, bien que l'image de Janus ait été employée comme effigie monétaire par plusieurs cités d'Ltrurie, de Campanie et de Sicile, nulle part elle n'est plus fréquente ni plus caractéristique que sur les plus anciennes monnaies romaines, soit sur les as, as libralis (fig. h49), as trientalis (fig. 1156) [As, p. 456 et 463, soit sur les médailles consulaires (fig. 4139)11. Janus mé 77 JAN 610 JAN rite donc bien, en tant que dieu romain, l'épithète indigena, û'ri'Ocov, qui lui fut donnée dès l'antiquité'. Il est vrai que, d'après une légende rapportée en particulier par Solin 2, Janus serait venu de Grèce en Italie, comme Evandre, Enée et Saturne lui-même 3; nais cette légende, d'origine grecque, relativement récente, et mentionnée surtout par des auteurs d'assez basse époque, tels que Plutarque et Servius, ne nous semble pas mériter autant de créance que la tradition populaire romaine. L'étymologie du nom de Janus est incertaine ; les anciens eux-mêmes ne la connaissaient pas. Les uns, comme Nigidius Figulus, cité par Macrobe ', rapprochaient la forme Janus de la forme Jana, parfois employée pourDiana i; d'autres, parmi lesquels Cicéron, pensaient que l'origine du mot devait être cherchée dans le verbe ire 6. Les historiens et les critiques modernes ne sont pas moins hésitants ni moins divisés. Buttman 7, Schwegler 6, enfin Preller se rallient à l'opinion de Nigidius Figulus et voient dans le mot Janus la forme masculine, à peine modifiée, du mot qui a donné au féminin Diana -Jana; à ce double nom Dianus, Diana, ils attribuent comme racine le mot dius ou ilium, qui signifie le ciel lumineux. Corssen " et quelques autres " préfèrent, comme racine, le radical div (dividere, divisio), et croient que la forme primitive du mot Janus ou Dianus était Divanus; pour eux, Janus était le dieu des divisions, des limites de l'espace et du temps. D'autres enfin, comme Roscher, tout en reconnaissant que l'on n'a pas encore trouvé pour le nom du dieu Janus, non plus que pour les noms communs janus et janua, d'étymologie pleinement satisfaisante, adoptent néanmoins celle de Cicéron, et rattachent ces mots au verbe ire". Quoi qu'il en soit de ces étymologies, il est unanimement admis que le nom propre Janus est le même mot que le nom commun janus (voir plus bas, II). Aussi Janus était-il avant tout, à Rome, le dieu des jani. Les jani étaient des portes en forme d'arcs, sous lesquelles passaient les voies les plus fréquentées : c'étaient des portes publiques. Le plus ancien sanctuaire de Janus, celui dont la légende attribuait la construction au roi Numa, et qui se trouvait à l'extrémité supérieure du Forum, au bas de l'Argiletum, avait la forme d'un arc double, dont les deux faces antérieure et postérieure étaient reliées par un double mur latéral. Une image de ce sanctuaire nous a été conservée par une monnaie de Néron (fig. 4140)". Les autres sanctuaires du dieu étaient de même des arcs bifrontes (à deux faces) ou quadri fron tes (à quatre faces ou ouvertures). Ils se trouvaient, en général, aux lieux de passage principaux, soit dans le voisinage des places, par exemple du Forum Transitorium, du Forum Boarium, du Forum Olitorium ; soit aux carrefours formés par deux grandes voies; soit encore près des portes de la ville, comme celui qui avait été construit, à une époque très ancienne, sur les pentes ou au pied du Janicule, près de la grande route par laquelle Rogne communiquait avec l'Étrurie ". Janus n'était pas seulement le dieu des portes publiques ; il présidait aussi aux portes des maisons, aux portes privées [JANUA]. D'après Cicéron, c'est du nom de Janus que les portes des maisons tiraient leur nom de janua15. Roscher montre avec raison que la conception de Janus comme dieu (le la porte est tout à fait analogue, au point de vue religieux comme au point de vue verbal, à celle de Vesta comme déesse du foyer vesta; à celle de Cardea ou Carda, comme divinité des gonds : cardines; de Limentinus, comme dieu du seuil : limes; de Forculus, comme dieu des battants de la porte : foresf6. Cette conception de Janus comme dieu des portes en général doit être précisée. Ce à quoi Janus présidait essentiellement, c'était moins la porte elle-même, formée par les jambages, le linteau, etc., que le passage dans un sens et dans l'autre, c'est-à-dire l'entrée et la sortie ". I1 protégeait les départs et les retours; il était le dieu des routes par lesquelles on partait, de celles par lesquelles on revenait 18 ; il ouvrait ou fermait les portes, les voies, les chemins. Aussi était-il surnommé Patulcius, celui qui ouvre, et Clusivius ou Clusius, celui qui ferme 19. Janus peut donc être d'abord défini : le dieu qui préside à toutes les portes et à tous les mouvements dont elles sont le théàtre. C'est pourquoi ses deux attributs sont : la clé, clavis, avec laquelle on ouvre et on ferme, et la baguette, baculum, virga, avec laquelle les portiers romains, janitores, écartaient tout ce qui ne devait pas pénétrer dans le logis 20. C'est également cette conception qui explique que Janus soit toujours représenté avec un double visage : Janus bifrons ou geminus. Dieu des entrées et des sorties, il devait surveiller en même temps l'extérieur et l'intérieur de la maison; dieu des jani, il devait avoir les yeux également fixés de l'un et de l'autre côté de l'arc. Dans l'antique sanctuaire, élevé par Numa à l'extrémité supérieure du Forum, les deux faces de la statue de Janus regardaient l'une vers l'Orient, l'autre vers l'Occident 21; c'est-à-dire qu'elles JAN 611 JAN étaient tournées chacune vers une des deux faces de l'arc. L'influence attribuée à Janus sur les portes, sur les entrées et les sorties, sur les départs et les retours, explique de même le rôle très important que ce dieu et son sanctuaire du Forum jouèrent de très bonne heure et pendant très longtemps dans l'État romain. Les portes de ce sanctuaire devaient être et rester ouvertes pendant toute la durée des guerres que Rome soutenait ; elles ne pouvaient être fermées qu'après le rétablissement complet de la paix. Varron' fait remonter jusqu'au roi Nurna l'origine de cette coutume et nous savons d'autre part qu'elle subsistait encore au ive siècle ap. J.-C. Pendant cette période de près de onze siècles, les portes du sanctuaire de Janus furent très rarement fermées, et chaque fois, semble-t-il, pour très peu de temps : sous Numa, en 233 av. J.-C., trois fois sous Auguste, en 29, en 2'5 av. J.-C., et l'année même de la naissance du Christ, puis sous Néron, sous Marc-Aurèle, sous Commode, sous Gordien III et au rv° siècle 2. Les anciens eux-mêmes, et après eux les historiens modernes se sont efforcés d'expliquer cette coutume curieuse, propre aux Romains. Plusieurs explications ont été proposées. Les uns ont cru en trouver l'origine dans une très ancienne légende locale, que rapportent Macrobe et Ovide 3. D'après cette légende, au moment où les Sabins, conduits par Tatius, allaient forcer la porte de Rome située au pied du Viminal et plus tard appelée Porta Janualis, Janus aurait soudain fait jaillir contre les assaillants une source d'eau bouillante et aurait ainsi sauvé Rome. Depuis lors, le sanctuaire de Janus serait resté ouvert pendant toutes les guerres des Romains, afin que le dieu pût se porter sans obstacle au secours de son peuple, comme il l'avait fait aux premiers temps de la cité. Pour d'autres, c'était dans ce sanctuaire de Janus que résidait le génie de la guerre ; tant que les hostilités duraient, il fallait le laisser libre (le s'élancer contre les ennemis de Rome ; la paix générale rétablie, on l'enfermait de nouveau dans le sanctuaire. Cette explication parait se fonder sur les expressions : geminae portale du même genre, mais inverse, pour ainsi dire, est celle d'après laquelle le Janus geminus du Forum aurait été la demeure, non pas du génie de la guerre, mais du génie de la paix. Lorsque la guerre était de toutes parts terminée, on fermait les portes du sanctuaire pour conserver la paix le plus longtemps possible ; mais, quand une nouvelle guerre éclatait, on ouvrait ces portes, et le génie de la paix quittait Rome. C'est ainsi qu'Ilorace appelle Janus custos paris', et que, dans Ovide, le dieu s'exprime ainsi : Parmi les modernes, Preller, retenant surtout un passage de Servius pense que dans ce cas Janus était considéré surtout comme rector viarum, comme le dieu qui préside aux départs et aux retours. Tant que les Romains se trouvaient hors de Rome, sur les chemins, il était indispensable que Janus pût quitter librement son sanctuaire, pour aller secourir ceux qui l'imploraient ou qui avaient besoin de sa protection. Lorsque tous les citoyens étaient rentrés dans leurs foyers, le dieu n'avait plus à intervenir hors de Rome ; les portes de son sanctuaire pouvaient donc être fermées i0. Roscher, dans son Lexikon, se place sur un' autre terrain. Il part de ce fait que les divinités, qui étaient révérées, et les cultes qui se célébraient sur le Forum étaient exactement modelés sur les divinités et les cultes domestiques : le temple de Vesta représentait le foyer commun de toute la cité ; le Janus geminus était sur le Forum ce que la janua était dans chaque maison particulière : c'était, en quelque manière, la porte idéale de la cité. Or, dit-il, il eût été de très mauvais augure que cette porte fût fermée après le départ des citoyens qui avaient quitté Rome pour aller combattre les ennemis ; il fallait au contraire que l'accès du Forum leur fùt constamment ouvert. Roscher, poursuivant sa comparaison entre la maison et la cité, rappelle que les portiers des maisons, jonitores, avaient l'habitude de tenir ouverte la porte du logis quand des membres de la famille étaient sortis, afin qu'ils n'eussent pas besoin, pour rentrer, d'appeler ou de frapper, comme des étrangers; quand, au contraire, le père de famille et tous les siens étaient au logis, la porto de la maison était tenue fermée, afin que les intrus n'y pussent pas pénétrer à l'improviste 11. Ces diverses explications ont un point commun : dans les unes comme dans les autres, Janus est le (lieu des portes, qui protège l'entrée et la sortie, le départ et le retour. Mais le rôle qu'il jouait ainsi dans la vie militaire de Rome et la solennité avec laquelle les portes de son sanctuaire furent ouvertes, quand l'occasion s'en présenta, le firent passer aux yeux des Romains pour un dieu de la guerre. Le surnom de Quirinus lui fut parfois donné 12. Le numen de Janus, portarum custos et rector viarum13, s'étendit bientôt. Ce ne fut plus seulementaux portes privées et publiques, aux routes par lesquelles on arrive et on part, que Janus présida ; ce fut à toutes les portes, réelles ou idéales, à toutes les voies, à tous les accès. Il fut adoré comme le dieu des ports, Portunus, et, à ce titre, il possédait un temple sur les bords du Tibre, près dupons Amilita ; on lui attribua l'invention de la batellerie : beaucoup de très anciennes monnaies romaines portent au droit le Janus bifrons, et, au revers, une proue de bateau'". Il fut invoqué comme maître des routes par lesquelles les prières humaines montent jusqu'aux dieux, comme intermédiaire entre les hommes et la divinité; Arnobe dit aux païens, à propos de Janus : Quem viam vobis pandere deorum ad audientiam creditis 16. Janus était aussi à Rome le dieu des commencements, et cette conception n'était ni moins populaire, ni moins importante que la précédente. Au début de chaque jour, il était invoqué comme le dieu du matin : Matutinus paterl6; le premier jour de chaque mois, les Kalendes lui étaient spécialement consacrées 17; et, comme elles l'étaient aussi à Junon, Janus était, dans ce cas spécial, surnommé Junonius i" ; enfin le premier mois de l'année solaire, le mois pendant lequel les jours recommencent à grandir, portait le nom de Janus, Januarius. Les Kalendes de janvier étaient parmi les fêtes les plus populaires de JAN 612 JAN Rome; il n'était personne qui ne les célébraa.t'. Plusieurs documents prouvent que Janus passait, aux yeux des Romains, pour présider au retour de l'année, au nouvel an. Sur une monnaie de Commode, cet empereur est représenté en Janus; il est bifrons et tient la virga de la main gauche; sa main droite est posée sur une sorte d'arc, sous lequel passent les quatre Saisons ; à droite, dans le champ, s'avance un enfant nu, qui porte une corne d'abondance : c'est le Novus Annus (fig. 4141) 2 D'après Pline, dans la statue de Ja nus, qui ornait le sanctuaire du dieu sur le Forum, les 'doigts étaient figurés de telle façon qu'on y lisait le chiffre CCCLXV, nombre des jours de l'année De même que le dieu des jani était devenu le dieu de toutes les portes et de tous les accès, de même le dieu, que l'on invoquait au début du jour, du mois et de l'anbée, fut considéré de bonne heure comme le dieu de tous les commencements, de tous les débuts'. Il fut appelé, d'une façon générale, le dieu ou plutôt le père du temps, teniporis et aevi deus', lemporis auctors, annorum sator7, fastorum genitor 8, âp;r'r, 'rou xpdvou 9. Il passa pour pré sider au début de tout travail, de toute entreprise, de toute action ; il fut l' y,opo; axer,ç 7 umç". Ovide raconte que, le jour des Ifalendes de janvier, par conséquent lors de la principale fête du dieu, chaque Romain mettait en train, pour ainsi dire, son travail habituel de l'année, afin de le placer plus spécialement sous la protection de Janus, mais qu'il se contentait de le commencer ". Par ce seul début, on se flattait d'assurer un résultat heureux au travail de toute l'année. Ce fut sans doute en raison de cette coutume très ancienne que l'on attribua à Janus l'invention du langage, de l'agriculture, de l'organisation sociale et politique, de l'architecture (au moins en ce qui concernait les maisons, les portes et les temples), de la bàtel]erie, du monnayage et même de tout culte religieux. L'origine de la plupart des formes pratiques de l'activité humaine lui fut ainsi rapportée 12 Il n'était pas jusqu'au plus lointain début de la vie humaine qui ne lui fût consacré. Janus présidait aux consationes concubitales 13 et à la conception : (le là son surnom de Consivius 1°. Dans certaines familles patriciennes, il était adoré comme le père et le genius de la gens. Peutêtre même les patriciens lui rendaient-ils un culte particulier, sous le nom de Janus Patricius. Preller" suppose que ce Janus Patricius était pour les gentes patriciennes de Rome un dieu national, comme Apollon 7ra'rpc oç l'était à Athènes pour les Ioniens d'origine. Ce qui corrobore cette hypothèse, c'est que l'épithète «ût6,9mv accompagne ce surnom de Patricius" Puisque Janus était le dieu des commencements, c'était lui qu'on nommait toujours le premier dans les prières et dans les cérémonies religieuses ". Dans les listes de dieux, il occupait la première place : Janus, Jupiter, Mars, Quirinus, Vesta". De même le Rex Sacrorum, spécialelement chargé de célébrer les cérémonies du culte de Janus, était cité le premier parmi les grands prêtres de la religion romaine" Janus était donc à Rome à la fois le dieu des portes et des entrées, et le dieu des commencements. Ces deux conceptions se mêlèrent, non sans que la langue et la littérature eussent contribué à leur rapprochement. Janus, dieu des portes et dieu du début de la ,journée, devint le portier du ciel, qui ouvre au soleil levant les voies célestes, qui les ferme après le coucher de l'astre : utriusque januae caelestis potens, qui exoriens aperiat diem, occidens claudat 2° ; et qui ouvre la porte de l'année : anni januam pandit" . Certaines expressions montrent qu'une confusion analogue s'était produite à propos de Janus Consivius 22 Roscher remarque d'ailleurs avec justesse que le mot initiun, signifie étymologiquement entrée (in, ire). Il n'est donc pas étonnant que les deux conceptions les plus anciennes du numen de Janus se soient peu à peu rapprochées et confondues. C'est également, d'après Roscher, à une cause purement verbale que seraient peut-être dues les légendes qui nous montrent Janus en relation avec des sources, avec la nymphe Juturna, avec les dieux Fontus et Tiberinus. Le dieu qui ouvre et qui ferme, Patulcius et Clusius, pouvait ouvrir ou fermer les sources et les ruisseaux, suivant les expressions courantes : aperire fontes, claudere fontes, aquas, rivas 2s. Mais il n'est pas certain que Janus ait été vraiment un dieu des sources ; les légendes précitées ne suffisent pas à le démontrer. La conception de Janus comme dieu de tous les commencements engendra logiquement une conception beaucoup plus large et plus abstraite. On vit dans Janus le dieu qui avait présidé au début, à la naissance même du monde, une sorte de créateur, de démiurge, dominant l'univers, présidant à la vie et au mouvement universels. Ovide le fait parler en ces termes : Un contemporain de Cicéron, M. Messala, dans un fragment qui nous a été conservé par Macrobe2', définit Janus en ces termes : « Qui cuncta fingit eademque regit, aquae lerraeque vint ac naturam graveur atque pronam in profundum dilabentem, ignis atque anime levem in immensum sublime fugientem copulavit circumdato caelo; quae vis caeli maxima ducs vis maximas colligavit. n Martial l'appelle mundi salor 26. Créateur du inonde, démiurge, semeur de toutes choses, rerum sator2i, Janus passait aussi pour être le père de tous ]es dieux, le dieu des dieux, principium deorumRB, deorum deus 29, comme l'appelaient dans leurs prières les prêtres Saliens. Delàle surnom si fréquent deJanus pater3a. Pour les anciens, d'après les seuls documents et en JAN 69 3 JAN dehors de toute interprétation subjective, Janus était donc à la fois un dieu aux attributions tout à fait précises, malgré leur variété, et une divinité en quelque manière cosmique. On voyait en lui : d'une part, suivant la définition de Macrobe, omnium et portarum custos et rector viarunl, et d'après saint Augustin, l'initialor par excellence t ; d'autre part, le dieu qui cuncta fingit eademque regit. Mais, dès l'antiquité et plus encore dans les temps modernes, philosophes, historiens et critiques ont voulu aller plus loin. Ils se sont efforcés de dégager des données fournies par les documents le sens, pour ainsi dire, philosophique de la divinité de Janus. Cicéron, admettant que les mots janus et jenua viennent du même radical que le verbe ire 2, voyait dans Janus une personnification mythique du double mouvement d'entrée et de sortie. Macrobe, se fondant sur la même étymologie, pensait que Janus symbolisait le mouvement éternel de l'univers'. Pour d'autres, Janus était soit le Chaos, soit le Monde ; pour d'autres encore, il était le ciel lumineux, pour d'autres l'air4. De toutes ces exégèses antiques, la plus rationnelle fut certainement l'interprétation de Nigidius Figulus, cité par Macrobe. Nigidius, rapprochant le mot Janus (le la forme Jana= Piana, identifiait Janus avec l'Apollon de la mythologie grecque et le considérait comme le dieu du soleil'. Les conclusions de Nigidius ont été adoptées de nos jours par plusieurs savants, entre autres par Buttman 2, Schwegler 7, Preller 2, Otto Gilbert. Pour eux, Janus fut avant tout un dieu solaire, un très ancien dieu italique de la lumière céleste; plus tard seulement, par une série de déductions et d'images, que Preller cherche à rétablir avec beaucoup d'ingéniosité, Janus devint le dieu des portes, puis le dieu de tout commencement et de toute origine, D'autres théories se sont encore produites. Deecke10 prétend que Janus était, d'après son nom même, le dieu de la voûte céleste, et qu'il était d'origine étrusque, puisque ce sont très probablement les Étrusques qui ont inventé la voûte et en ont propagé l'usage. Pour Corssen", qui rattache le mot Janus Dianus = Divanus à la racine div (dividere, divisio), Janus était le (lieu des divisions de l'espace et du temps, mais surtout du temps ; de cette conception serait né le numen de Janus comme dieu de la lumière et du ciel et aussi comme dieu des portes. Roscher, dans son livre intitulé Ilermes der Windgott, paru en 1878, avait proposé une interprétation nouvelle. Il prenait comme point de départ le nom de « Portier du Ciel » attribué à Janus par plusieurs auteurs anciens; il rapprochait de ce nom les expressions : coelum apertum, coelum clausum, employées pour désigner un ciel sans nuages et un ciel nuageux; il remarquait que les nuages sont rassemblés et chassés par le vent, et il en concluait que ce dieu, qui ouvrait et fermait le ciel, devait être le vent. Cette théorie lui fournissait d'ailleurs l'occasion de très ingénieux rapprochements entre Janus et l'Hermès grec, tous deux rectores viarum, tous deux intermédiaires entre les hommes et la divinité, tous deux en rapports étroits avec les places et les marchés. Plus récemment, dans son Lexikon, Roscher a abandonné cette inter prétation; il déclare qu'elle lui paraît inutile, depuis qu'il connaît mieux la religion romaine, parce que cette religion aimait à personnifier et à diviniser les parties principales de la maison et les actes importants de la vie domestique, et parce que Janus était surtout le dieu des portes, des entrées et des sorties, des départs et des retours 12. Ces diverses théories sont des spéculations subjectives. Il nous a paru préférable de n'en point tenir compte dans notre étude sur le numen et les attributions du dieu ; toutefois il n'était pas inutile de les exposer ensuite brièvement, en les distinguant avec soin des renseignements précis fournis soit par les auteurs, soit par les documents archéologiques et épigraphiques. C'est surtout, c'est même presque exclusivement à Rome que nous pouvons saisir des traces importantes du culte de Janus. Il ne faudrait pas croire que tous les arcs, appelés jani, fussent consacrés au dieu". Quelques-uns seulement de ces arcs étaient des sanctuaires. Le plus ancien et le plus révéré des sanctuaires de Janus à Rome était le Janus geminus, situé à l'extrémité supérieure du Forum, et dont la fondation était attribuée au roi Numa. 11 n'en reste rien aujourd'hui. Il a été néanmoins possible, grâce aux indications nombreuses et détaillées contenues dans les textes, d'en fixer l'emplacement avec précision [FORUM, p. 19.87 ; on a vu (fig. 4140) une monnaie de Néron qui donne une idée de sa forme générale. Un autre sanctuaire de Janus, également très ancien et très vénéré, était situé sur le Janicule ou près de cette colline; on n'en connaît que l'existence 14. Plus récents, mais mieux connus, sont les sanctuaires du dieu, construits près du théâtre de Marcellus, près du Forum de Nerva ou Forum Transitorium, et au Vélabre. Le sanctuaire voisin du théâtre de Marcellus" avait été, d'après Tacite", élevé par C. Duilius, le vainqueur des Carthaginois, pendant la première guerre punique; mais il semble, si l'on accorde créance à une superstition curieuse rapportée par Festus, qu'il ait eu une origine plus ancienne, et qu'il ait été antérieur au combat de la Crémère, où périrent les trois cent six Fabii 17, Tacite et Festus emploient, pour désigner ce sanctuaire, le ternie aedes; d'après la légende que Festus nous a conservée, le sénat y aurait tenu ses séances; c'était, en ce cas, autre chose qu'un Janus, même quadrifrons 18. Il fut restauré par Auguste et Tibère. Il se trouvait en l'un des endroits les plus fréquentés de Rome, un peu en dehors de l'antique Porta Carmentalis de l'enceinte de Servius ", près du Forum Olitoriunt20, non loin du Forum Iloarium, près de la voie par où passait toute l'animation entre le Circus Flaminius et le Vélabre 21. Le Janus quadrifrons du Forum de Nerva ou Forum ï'ransilorium, était, au n' et au me siècle de l'Empire, le plus riche et le plus considérable des sanctuaires de Janus". Suivant toute vraisemblance, il avait été construit pour remplacer un sanctuaire plus ancien et plus modeste 23, peut-être celui qui, d'après M. Lanciani 24, s'élevait entre la Curie et la Basilica Aemilia. Il était placé à portée de plusieurs Fora : outre le Forum Tran JAN -61 JAN sitorium, le grand Forum, le Forum Julium, plus tard le Forum de Trajan 1. Dans le Vélabre, deux Jani sont encore debout, l'un bifrons, l'autre quadrifrons. Le Janus bifrons, qui fait corps aujourd'hui avec l'église Saint-Georges du Vélabre, est en marbre et couronné d'un entablement rectiligne. 11 fut élevé en l'année 204 ap. J.-C., tout près du Forum Boarium, en l'honneur de Septime Sévère et de Julia Domna, par les changeurs et les marchands de boeufs, boarii, qui se réunissaient aux alentours2. Le Janusquadrifrons, voisin du précédent, est l'un des monuments les mieux conservés de la Rome antique (fig. 4142, 4143 ; sa décoration architecturale et sculptu rate est encore en partie intacte 3. A propos (le ce Janus, une discussion intéressante s'est élevée entre les historiens. Plusieurs auteurs 4 racontent que les Romains, après s'être emparés de Faléries, rapportèrent de cette ville à (tome une statue de Janus à quatre faces, Jani simulacrum cum frontibus qualtuor, et que cette statue fut placée dans un sanctuaire à quatre portes, (empilant qu'lttuor portarum. Preller ° croit que ce sanctuaire est le Janus quadrifrons du Vélabre, et que la statue conquise à Faléries y fut placée vers l'an 293 av. J.-C. Roscher, au contraire, affirme que cette statue fut placée dans le Janus quadrifrons du Forum Transitorium, après être restée pendant plusieurs siècles dans le sanctuaire plus petit que remplaça ce Janus quadrifrons °. D'autre part, Jordan 7 déclare que ce monument, tpl qu'il existe aujourd'hui, fut certainement élevé en l'honneur de Constantin, tandis que, d'après Lanciani 8, il serait antérieur au règne de ce prince. Ces deux opinions s'appuient sur le même document : un graffite, découvert sur l'une des parois de l'arc, et où se lit sans aucun doute possible le nom de Constantin. Lanciani ne veut voir dans ce graffite que le souvenir d'une visite faite par Constantin à ce monument, comme aux autres édifices païens de Rome, après sa victoire du pont Milvius. Il convient de signaler encore deux autres sanctuaires de Janus. Festus et Denys d'llalicarnasse10 mentionnent un autel de Janus Curiatius, consacré en même temps qu'un autel de Juno Sororia, à l'endroit même où, d'après la tradition, le jeune Horace passa sous le joug. Ce sanctuaire se trouvait dans le voisinage du Colisée, près de la statue colossale de Néron. L'origine que lui attribuent les auteurs en démontre l'ancienneté. D'autre part, il était encore révéré au v° siècle de l'ère chrétienne" Pline parle d'une statue dorée de Janus pater, rapportée d'Égypte par Auguste, et consacrée par lui dans un sanctuaire de Janus12. De quel sanctuaire est-il ici question? Roscher 13 pense qu'il est fait allusion à un nouveau sanctuaire du dieu, construit spécialement par Auguste sur le Forum qu'il avait ouvert, le Forum Augusti, sanctuaire dont on retrouve la mention dans d'autres écrivains ; mais d'autres critiques, en particulier Peter, prétendent qu'il s'agit de l'aedes Jani, voisin du théâtre de Marcellus, dont on sait que la restauration fut entreprise par Auguste' Les cérémonies du culte de Janus se célébraient régulièrement au début de chaque mois, le jour des kalendes ; elles étaient surtout importantes et populaires le jour des kalendes de janvier. Le premier jour de l'année, les Romains échangeaient non seulement des voeux, mais aussi des cadeaux, STRENAF 13. En outre, des fêtes particulières se donnaient, en l'honneur du dieu, à d'autres dates de l'année. Le 7 janvier, c'étaient peut-être des jeux dans le cirque lb. Deux jours plus tard, le 9 janvier, pendant la fête des AGONALIA, un bélier, princeps grcgis, était sacrifié à Janus dans la Regia, par le Itex sacrorum; le 17août etle 18 octobre, des cérémonies particulières avaient lieu dans le sanctuaire de Janus, voisin du théâtre de Marcellus". L'offrande habituelle, que l'on déposait au début de chaque mois sur les autels du dieu, était une sorte de gâteau spécial au culte de Janus, et appelé 7uf7tavov, strues ou encore janual'°. On lui consacrait aussi, quand on l'invoquait en même temps que Vesta, du blé, du vin et une brebis ; en même temps que Jupiter et Junon, de l'encens et du vin ; le jour de la fête des Agonalia, on faisait en son honneur une libation de vin '9. Il n'y avait point à Rome de collège de prêtres, ni de sacerdoce propres à Janus. Les Saliens le nommaient dans leurs chants rituels, et le REx SACRORUM célébrait, dans quelques cas particuliers, les cérémonies de son culte. Le Rex était d'ailleurs nommé le premier parmi les grands prêtres de Rome, de même que le nom de Janus était placé en tète de la liste des dieux. 11 ne peut y avoir là un simple effet du hasard, et il faut en conclure que le Rex était considéré, au moins dans une certaine mesure, comme le prêtre de Janus 2° Hors de Rome, les traces du culte de Janus sont peu nombreuses en Italie et dans les provinces. En Italie, Janus avait un sanctuaire et une statue quadrifrons à Faléries (voir plus haut) ; il était adoré en Étrurie 2' ; une inscription votive en son honneura été découverte à JAN 615 --JAN Albano'. Les monnaies, souvent citées, de plusieurs villes d'Italie, de Sicile et de Grèce, par exemple de Volaterrae et de Télarnon en Etrurie, de Syracuse et de Palerme en Sicile, nous paraissent des documents peu probants ; il n'est point démontré que la double tête qu'elles présentent soit une effigie de Janus ; ce peut être tout aussi bien une image d'Hermès, surtout lorsque le dieu est représenté, comme à Volaterrae [As, fig 5M], jeune, imberbe et coiffé du pétase pointu 2. Dans les provinces de l'empire romain, des dédicaces à Janus pater, Janus Augustus, Janus Geminus, ont été trouvées en Dalmatie dans le Norique dans l'Afrique proconsulaire 5, en Numidie 6 et clans la Gaule méridionale'. Il n'est pas sans intérêt de remarquer que plusieurs de ces dédicaces ont été découvertes dans des villes qui reçurent certainement des garnisons ou des colonies militaires, Corinium en Liburnie 8, Lambaesis et Diana Veteranorum en Afrique. Il est vraisemblable que le culte de Janus fut apporté en ces divers points par les soldats ou les colons; rien n'indique qu'il se soit répandu parmi les populations provinciales, qu'il ait été accepté et adopté par elles. Aucune statue, aucun buste de Janus ne s'est conservé. Nous ne connaissons l'image du dieu que par les descriptions des auteurs et de nombreuses effigies monétaires. Il avait comme attributs la clef et la baguette Ce qui le caractérisait surtout, c'était le double visage. Le type de beaucoup le plus fréquent, le seul même, à notre avis, que l'on puisse en toute certitude et sans aucune réserve considérer comme le type de Janus, c'est le visage d'un homme âgé, barbu, couronné ou non de laurier '0. Ce type est quelquefois accompagné, sur des monnaies consulaires romaines, d'un croissant" ; une fois, d'un trident". Le Janus, au visage jeune et imberbe, que l'on voit (fig. 4iVt) sur des médailles de fabrique campanienne et sur quelques monnaies consulaires en bronze", a certainement subi l'influence d'un type grec analogue, le double Hermès. Sur quelques monnaies de l'époque impériale, par exemple sur un médaillon de Commode reproduit plus haut {fig. 4141) et sur une monnaie coloniale de Thessalonique en Macédoine 15, Janus est figuré non plus seulement en buste, mais en pied. Il a le buste nu, la partie inférieure du corps drapée. Sur le médaillon de Commode, l'un des visages Qst barbu, l'autre imberbe ; sur la monnaie de Thessalonique, les deux visages sont imberbes16 Du Janus quadri. fions, nous ne possédons aucune représentation figurée. Bien qu'Ovide considère le type de Janus bifrons comme un type exclusivement italique, il est i certain que des types analogues ont existé, non seulement dans l'art grec, par exemple, sur des vases et des monnaies", mais même dans l'art égyptien et l'art phénicien 18. Il est probable que le type du Janus italique a été conçu à l'imitation et sous l'influence du type du double Hermès fréquent dans l'art grec. II. JANUS. On appelait àRome janus toute porte voûtée ou construite en forme d'arc, qui servait de passage. Les jani, que Cicéron définit des transitiones perviae, se trouvaient primitivement sur le Forum ou près du Forum. On en connaît surtout trois ; l'un d'entre eux est parfois appelé le janus medius. C'était ad janum medium que se traitaient les affaires de bourse. Suivant toute apparence, ce janus medius s'élevait dans le voisinage du temple de Castor, par conséquent vers l'extrémité inférieure du Forum. On ne sait pas où se trouvaient les deux autres jani. Jordan12 refuse d'attribuer un sens topographique précis aux expressions de janus summus et de janus imus, employées par quelques auteurs; il discute et combat l'opinion de ceux qui veulent conclure des trois termes, summus, medius et imus, que de ces trois jani l'un était situé à l'extrémité supérieure, le second vers le milieu, le troisième à l'extrémité inférieure du Forum. On n'a encore retrouvé aucun vestige de ces trois jani. A l'époque d'Auguste, on ne parlait déjà plus que du janus medius". Il y avait à Rome d'autres jani que ceux du Forum"; Domitien en multiplia le nombre 22 ; il en fit construire dans toutes les régions de la ville, sans doute aux points de passage les plus fréquentés. Mais les jani du Forum semblent avoir eu, au moins primitivement, une importance toute particulière; ils faisaient en quelque sorte partie intégrante de la place publique considérée comme le lieu de réunion du peuple romain. Aussi voyonsnous, en l'année 174 av. J.-C., un censeur prescrire d'en élever trois sur le forum d'une nouvelle colonie : forum porticibus tabernisque claudendum et fanes tres faciendos locavit 2a. Or on sait que les colonies ainsi fondées passaient pour être des images de Rome 2'. hors de Rome et en général hors des villes, des joui avaient été construits sur les grandes voies romaines, soit en un point très important de leur parcours, par exemple en un point à partir duquel les milles étaient comptés, soit au croisement de deux ou plusieurs voies principales. Le plus connu de ces jani provinciaux est le Janus élevé par Auguste à la frontière même de la Bétique, et sans doute à l'une des extrémités d'un pont jeté sur le fleuve Baetis : Janus Augustus qui est ad Baetem 25, ou encore arcus unde incipit b'aetica 26. De là partait une voie qui se prolongeait jusqu'à l'Océan 27, et sur laquelle les milles étaient comptés à partir de ce Janus. On peut encore citer comme janus provincial l'arc qui s'élevait, dans l'Afrique proconsulaire, sur la grande route de Carthage à Theveste, non loin de Thugga, en dehors de toute cité, mais en un point où se croisaient plusieurs voies importantes 28. J. TOUTAIN. JAS 61 6 JAS