Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article JASON

JASON ('Ixsouv). Par son père A:son' et son grandpère Crétheus, le fondateur et le premier roi d'Iolcos, Jason descend d'iEolos, l'ancêtre de la famille mythique des 1Eolides. On lui donne pour mère soit Alkimédé 2, soit Polymédé ou Polymélé 3, d'autres encore 4. 11 semble que, pour Homère, Pélias, frère d'pEson, soit le roi légitime d'Iolcos, où il a succédé à son père Crétheus Mais, dans la tradition commune, il a chassé du trône son frère 6. L'oracle l'a averti qu'il eût à se défier des .iEolides et de l'homme qui viendrait chaussé d'une seule sandale'. Celui que le dieu désignait ainsi, c'était Jason. Pour le soustraire aux dangers qu'il pourrait courir auprès de Pélias, ses parents l'avaient confié dès sa naissance au Centaure Chiron, qui l'éleva comme il avait élevé Achille, dans les retraites du Pélion 3. Parvenu à l'âge viril, le héros vient revendiquer ses titres à la royauté. On sait en quels termes magnifiques Pindare, dans sa IV' Pythique, décrit son apparition au milieu des Magnétos et devant Pélias : il se présente, dans l'assemblée, tenant deux lances à la main, une peau de léopard jetée sur sa tunique; sur ses épaules flottent de longues boucles brillantes'. A la sandale qui chausse un seul de ses pieds, Pélias reconnaît aussitôt le héros désigné par l'oracle '0. Jason cependant passe cinq jours en réjouissances avec son père et ses parents; le sixième, il va réclamer à Pélias le sceptre qu'il détient". Pélias alors lui promet de lui céder son royaume s'il consent à se rendre au pays d'lEétès pour en rappeler « l'âme de Phrixos » 12 et y conquérir la toison d'or du bélier qui a transporté Phrixos au delà des mers. Dans Apollodore, le récit du même épisode est quelque peu différent13. Sur les bords du fleuve Anauros, Pélias offre à Poseidon un sacrifice solennel où il convie les habitants de la région. Jason, qui se trouvait sur la rive opposée labourant un champ, traverse le fleuve pour prendre sa part du festin ; au passage, il perd une sandale, et c'est encore à ce signe que Pélias, se rappelant l'oracle, le reconnaît : « Que ferais-tu, dit-il à Jason, si l'on t'avait prédit qu'un des tiens dût te donner la mort ! Je l'enverrais, répond celui-ci, . à la conquête de la toison d'or ». Cette répartie lui est suggérée par Héra, irritée de n'avoir pas été invitée au sacrifice de Pélias, et songeant dès lors à introduire Médée à la cour d'Iolcos. Pélias le prend au mot et lui donne l'ordre de partir pour la Colchide. Nous n'avons à revenir ici ni sur l'itinéraire ni sur les péripéties de l'expédition des Argonautes [ARGONAUTAE]. Rappelons seulement en quelques mots le rôle de Jason. C'est lui que la tradition à peu près unanime désigne comme le promoteur et le chef de l'entreprise ; cependant on revendiquait quelquefois cet honneur pour Héraclès". Jason convoque et assemble les héros 15. Au départ, il fonde en l'honneur de Zeus I-Iétaireios la fête des IIETAIRIDEIA. La mort du roi des Dolions Cyzikos passe pour un de ses exploits personnels 16 ; mais elle est aussi attribuée aux Dioscures ou à Héraclès 17. Une tradition fait de Jason le vainqueur d'Amycos, roi des Bébryces'3 Apollonius de Rhodes le met aussi en scène dans les épisodes de Phineusn et de Lycos20. Mentionnons aussi sa lutte, au retour, contre Triton en Libye21; d'après Hérodote, avant de partir pour la Colchide, et en allant consulter l'oracle de Delphes, il aurait abordé en Libye, où, embourbé dans les bas-fonds du lac Tritonis, il donna à Triton, qui le tira d'affaire, le trépied d'or destiné à Apollon 22. Quant au séjour des Argonautes à Lemnos, qui, d'après Pindare, eut lieu au retour de l'expédition, la plupart des auteurs semblent le considérer comme antérieur à l'arrivée en Colchide 23 Jason s'unit à la reine Hypsipyle, dont il a un fils, Eunéos, que connaît déjà Homère". On citait encore d'autres fils nés de cette union 23. En Colchide, la conquête de la toison ne peut s'effectuer qu'après de redoutables épreuves, dont les Naupactia donnaient le récit L6, où ont puisé les auteurs postérieurs27. C'est ici qu'intervient la hile d'iEétès, la magicienne Médée [IIEDEA], qui est prise d'un violent amour pour Jason et l'aide de ses conseils et de ses enchantements. Tout d'abord, Jason reçoit d'AEétès la mission de soumettre au joug les deux taureaux aux pieds d'airain, présent d'Héphaistos, qui exhalent le feu par les naseaux, et de leur faire labourer un champ consacré à Arès : il y réussit grâce à un philtre que lui donne Médée et dont il s'enduit (fig. 4115)". Puis il doit semer dans le même champ les dents du dragon dont Arès et Athéna avaient remis la moitié à 1Eétès, l'autre moitié ayant été JAS 617 JAS donnée à Cadmus. De ces dents naissent des géants bardés de fer ; Jason, comme Cadmus, jette au milieu d'eux des pierres, ce qui provoque entre eux une lutte à la faveur de laquelle il les massacre'. Sorti victorieux de cette double épreuve, il demande au roide Colchide l'exécution de sa promesse. Suivant Pindare, iEtès lui désigne l'endroit oit se trouve la toison, dans l'epoir que le dragon préposé à sa garde le débarrassera de lui 2. Dans la tradition générale, le roi lui refuse cette indication, et c'est encore Médée qui vient à son secours. Jason tue le dragon 3; ou bien il l'endort avec les herbes magiques que lui fournit Médée, et s'empare de la toison suspendue à un chêne (fig. 11ü6) Puis il quitte la Colchide, emmenant sur son vaisseau, avec la toison, Médée qui l'accompagne à l'insu de ses parents. Pour retarder la poursuite d'lLétès, Médée égorge son frère Absyrtos et sème ses membres sur son chemin 6. Sur le nombre et le nom des enfants nés de Jason et de Médée, les versions ne s'accordent pas : on leur donne tantôt un fils, nommé Médeios 6 ou encore Polyxénos ', tantôt un fils et une fille, Médeios et Eriopis 8; d'après une tradition, probablement corinthienne, ils ont deux fils, Merméros et Phérès°; Diodore leur attribue trois fils, Thessalos, Alkiménès et Tisandros 10. Le passage de Jason, de Médée et de ses fils, avait laissé des traces dans les noms géographiques, le.culte ou la généalogie légendaire d'un grand nombre de contrées. Jason aurait fondé un temple d'Apollon âx'rtoç à Pagases 11; près de Cyzique, une route porte son nom 12 ; entre Trapézonte et Cotyora, Strabon et Xénophon signa V. lent un promontoire Iasonium' ; sur les bords du Pont. on montrait aussi des xifi7rot 'Iârovo; 14 ; il y avait égale ment, près des portes Caspiennes, une montagne dénommée d'après lui 13. Strabon nous dit encore que Parménion, entre autres souverains, avait fondé en son honneur un temple à Abdère 16, et il mentionne un oracle présumé de Jason à Sinope17. En Arménie, en Médie et en des pays voisins, on célébrait des 'Iacdvta, oit l'on rendait les honneurs divins au premier navigateur 13. Enfin, un certain nombre de peuples, les Ibères (le Colchide, les Albanais de la Caspienne, les Arméniens et les Mèdes. faisaient remonter leur origine à une seconde expédition qu'aurait entreprise Jason avec Thessalos en Orient ou encore Médée avec son fils Médos ". La suite des aventures de Jason et de Médée après leur départ de Colchide témoigne d'une certaine diversité dans les traditions. Après le succès de l'entreprise et des différents épisodes qui marquent le retour, on les fait 78 JAS 618 JAS revenir à Iolcos, Qù ils vivent paisiblement, et réconciliés, à ce qu'il semble, avec Pélias C'est de là que, d'après les 1\raupactia, ils vont s'établir à Corcyre', et quelques auteurs parlent également de leur séjour en Thesprotie, où ils exercent la royauté et où Médée est ensevelie par Jason 3. D'après une autre version, Jason, après avoir remis à Pélias la toison, va consacrer à l'isthme de Corinthe le vaisseau Argo à Poseidon4. Enfin la tradition qui a généralement prévalu, c'est qu'un nouveau crime, le meurtre de Pélias par Médée, oblige les amants à quitter Iolcos et à se réfugier à Corinthe, où s'accomplit le drame qui les sépare Quelques auteurs anciens admettent qu'ils ont régné à Corinthe' ; mais d'ordinaire la légende suppose qu'ils y ont seulement reçu l'hospitalité'. Après un séjour d'une dizaine d'années, Jason, conquis par un nouvel amour pour la fille du roi Créon, Glauké ou Créuse', abandonne Médée, qui se venge en tuant sa rivale et les enfants qu'elle a eus de Jason ; puis elle part pour Athènes où elle est accueillie par le roi Egée [MEDEa]. Justin se fait l'écho d'une version d'après laquelle Jason se réconcilie avec Médée, retourne avec elle et Médos en Colchide, et rétablit 1Eétès sur le trône d'où il avait été chassé D'autres auteurs parlent de sa fin tragique : il est brûlé avec Créon et Créuse dans le palais auquel Médée a mis le feu10; ou bien il s'échappe du palais en flamme, puis se tue de chagrin 11. D'après Staphylos de Naucratis, Jason aurait revu de Médée le conseil perfide de s'endormir àt la poupe du vaisseau Argo, qui s'écroula de vétusté et accabla le héros dans sa chute 12. Certains auteurs nomment aussi Jason parmi les héros qui auraient pris part à la chasse de Calydon l3. Les anciens ont toujours vu dans Jason le plus ancien lies navigateurs 14, et c'est comme patron de la navigation qu'un culte lui était rendu en diverses contrées ; quant à son nom, ils le dérivent du verbe ixop.x~, et l'expliquent par les leçons du Centaure Chiron". Les modernes ne s'en sont pas tenus à cet evhémérisme trop simple, mais les essais d'interprétation qu'ils ont proposés restent très hypothétiques. Tout d'abord c'est une question de savoir quelle est la vraie patrie du mythe et quelles en sont les parties essentielles et primitives. Le séjour de Jason et de Médée à Corinthe suppose une tradition d'origine argivo-corinthienne ; on s'est demandé si le fond de la légende ne serait pas l'(spôç 74.aq des deux héros et la recherche de Médée par son fiancé Jason 16, Cependant, comme dans toutes les traditions l'expédition des Argonautes a pour point de départ lolcos, il semble bien que le berceau du mythe soit la Thessalie, mais il resterait encore à savoir à laquelle des races grecques il faut l'attribuer en propre, car on a hésité entre les Minyens i7, les Ioniens 18, une tribu argienne primitive 10, et mème les Pélasges 2p. Quant à l'élément fondamental du mythe, on le reconnait d'ordinaire dans la conquête de la toison, légende à laquelle se serait surajouté l'épisode de Médée. Jusqu'à ces derniers temps, les systèmes naturalistes ont prévalu dans l'explication qu'on donne de la toison d'or, et l'on a reconnu tour à tour dans Jason un dieu du soleil, de l'été, de l'orage, de la pluie, etc.2i. Pour d'autres mythologues, La légende de Jason, qui ressemble par certains traits à celle de Cadmus, reproduirait dans ses différents épisodes le souvenir d'anciennes fêtes agraires 27. On y a vu encore un mythe chthonien 23 ; ou enfin, Jason serai [le prototype mythique d'un collège de prêtres qui cherchait à délivrer les âmes captives dans le monde infernal, et Médée serait la première âme ainsi rappelée 21.. On ne connaît pas de représentation de Jason isolé, sauf peut-être sur une gemme du British Museum2'. Une statue du Louvre, où on a quelquefois voulu le reconnaitre06, el, dont il existe des répliques dans un certain nombre de Musées 27, n'est sans doute qu'une statue d'athlète 28. Il n'est pas sür non plus qu'il faille voir la tête de Jason, comme on l'a cru, sur une monnaie de Larissa 2°. Des monnaies d'argent de la même ville portent au revers la sandale qui joue un rôle dans sa légende 30 Une peinture murale de Pompéi représente peut-être le sacrifice offert par Pélias, car Jason est reconnaissable, entre les assistants, à la sandale unique qui chausse son pied droit 31. Ce monument est le seul où se retrouve cette particularité significative du héros, et sur laquelle les auteurs ont souvent insisté ;2. Dans les autres monuments figurés, il n'apparaît jamais avec une physionomie et un costume bien caractéristiques. D'ordinaire, il est jeune, imberbe, nu ou avec une simple chlamyde qui flotte librement sur l'épaule, les deux pieds chaussés, et JAS -G1tJJUD avec le pétasos du voyageur I1 est par suite assez aventureux de le distinguer parmi les autres Argonautes qui travaillent à construire le vaisseau Argot ou dans les autres groupes que présentent certains vases peints et oit il doit nécessairement figurer On se croit autorisé à reconnaître sur plusieurs vases la première rencontre de Jason et de Médée en Colchide'. Sur un miroir étrusque 6, Médée (Metvia) présente au héros (iEasun) une coupe qui contient sans doee le breuvage magique destiné à le préserver des dangers qu'il va courir. Quant à ses exploits mêmes, la lutte contre les deux taureaux qu'il saisit par les cornes, et la conquête de la toison sur l'arbre autour duquel s'enroule le serpent endormi par Médée, on les trouve reproduits sur plusieurs sarcophages d'époque romaine 6. La lutte du héros contre un taureau fait aussi sans doute le sujet de quelques vases peints, mais il est d'ordinaire impossible de savoir si l'artiste a eu en vue l'exploit de Ja son, celui d'lléraclès ou de Thésée; cependant un vase de Naples cité plus haut (fig. Jttlhdi), où une femme, probablement Médée, assiste à la scène, semble bien se rapporter à la légende de Jason'. En revanche, l'interprétation n'est pas douteuse pour un certain nombre de vases qui représentent la conquête de la toison plus haut, fig. Iii/G) 8 ; et c'est aussi le sujet d'une terre cuite du British Museum', d'un miroir étrusque 10 et de quelques pierres gravées'. Une coupe de Caeré donne (fig. 4147) une variante, inconnue d'ailleurs, de la légende : on y voit Jason rejeté presque inanimé de la gueule béante du dragon12. Enfin on a voulu reconnaître sur une amphore de Ituvo 13 et sur un stamnos de l'Italie méridionale", la scène où Jason vient apporter la toison reconquise à Pélias. Le mariage de Jason avec Créuse à Corinthe est représenté sur un sarcophage'. Pour les autres monuments relatifs à la vengeance de Médée, nous renvoyons à .IUUAEI. Il ne saurait être question ici ni de raconter l'histoire des juifs du Sle siècle av. J.-C. au ve siècle ap. J.-C., ni de décrire leur droit, leurs croyances, leur littérature et leur philosophie. D'une manière générale, le judaïsme considéré en lui-même échappe à notre programme. Nous ne considérerons les juifs qu'au sein de la société hellénique et romaine et dans leurs rapports avec celle-ci. La distribution géographique de leur race, le régime civil auquel ils étaient soumis, l'organisation juridique, la condition économique et sociale de leurs communautés, les succès de leur propagande qui a préparé l'avènement du christianisme, enfin le premier contrecoup du triomphe de la religion nouvelle sur leur situation légale, tels sont les sujets que nous nous proposons d'esquisser dans cet article. 1. Le premier et le plus remarquable phénomène que présente le judaïsme à l'époque gréco-romaine est sa dispersion à travers le monde méditerranéen. Cette dispersion est due à des causes nombreuses et en partie obscures; mais l'une des plus notables doit être cherchée dans les destinées si agitées et finalement si désastreuses du judaïsme dans son pays d'origine. Depuis la destruction du royaume de Juda par les Chaldéens, en 5S8 av. J.-C., et la déportation dans la vallée de l'Euphrate d'une notable partie de ses habitants, la nation juive a eu deux foyers principaux : la Babylonie et la Palestine. Cependant, si la Babylonie conserva peutêtre la majorité des hommes de race juive et principalement les familles riches, le judaïsme y mena une existence obscure et sans intérêt politique sous le gouvernement successif des Achéménides, des Séleucides, des Parthes et des Néo-Perses (Sassanides). L'élément le plus pauvre suais le plus fervent parmi les exilés retourna en Palestine dès le règne des premiers Achéménides ; là s'organisa autour du temple rebâti de Jérusalem une communauté JUD -620JUD animée d'une merveilleuse ardeur religieuse, serrée autour du Livre qui était désormais le palladium de sa nationalité, et jouissant, sous la direction de ses grands prêtres, d'une assez large autonomie. Dès que ce petit noyau, grossi par des recrues de provenance diverse, eut pris conscience de lui-même, il chercha à s'affranchir politiquement : une obscure tentative de ce genre amena, sous Artaxerxès Ochus, de nouvelles déportations. Aux Perses succédèrent dans la Syrie méridionale les Macédoniens, (l'abord Alexandre (332), puis les Ptolémées au ne siècle, époque où la Syrie fut le théâtre de guerres incessantes, enfin les Séleucides au ne siècle. Les Ptolémées avaient su ménager les sentiments et les coutumes des juifs, comme de leurs autres sujets ; grâce à leur tolérance, la civilisation hellénique s'implanta en Judée et y fit des progrès sensibles. Les Séleucides voulurent, sous Antiochus Épiphane, brusquer une transformation qui ne pouvait être que l'oeuvre des siècles; leur politique maladroite provoqua une violente réaction, à la fois religieuse et nationale, qui s'incarna dans le soulèvement des Macchabées (167 av. J.-C.). Après de nombreuses vicissitudes, et grâce surtout aux déchirements intérieurs de la dynastie séleucide d'une part, et, de l'autre, à l'appui intéressé des Romains, la cause de l'indépendance juive triompha : sous les princes Hasmonéens, d'abord grands prêtres, puis rois, l'État juif jeta même un certain éclat et s'annexa plusieurs territoires. Mais bientôt la discorde de la famille royale et la désaffection croissante des dévots, âme de la nation, à l'égard de chefs qui ne comprenaient plus les véritables aspirations de leurs sujets, jetèrent l'État juif en proie à l'ambition de Rome, héritière des Séleucides. Pompée entra de force à Jérusalem (63 av. J.-C.), Gabinius soumit les juifs au tribut. Pourtant de longues années se passèrent encore avant l'incorporation définitive de la Judée à l'empire romain ; ici comme dans tout l'Orient la politique romaine se montra fort hésitante et changea plusieurs fois de système. Les Romains rendirent d'abord aux juifs un ethnarque, puis un roi étranger, il est vrai, l'lduméen Mérode, sous lequel l'état juif atteignit sa plus grande prospérité matérielle. Après la mort d'Ilérode (4 av. J.-C.), la dislocation de son royaume et la déposition de son fils Archélaits (6 ap. J.-C.), la Judée proprement dite redevint un simple département de la province de Syrie, gouverné par un procurateur spécial qui résidait à Césarée ; les juifs gardèrent, au point de vue religieux et juridique, des franchises particulières : c'était en somme, comme sous les Achéménides et les Lagides, une hiérocratie sous la tutelle d'un maître étranger. Ce régime, interrompu pendant quelques années (41-44) par la restauration du royaume d'Hérode au profit de son petit-fils, Hérode Agrippa, ne pouvait subsister qu'à force de tact et' de ménagement; les agents de Rome ne surent pas plus que les Séleucides contenter des sujets aussi susceptibles que turbulents. Une série de fautes amenèrent la formidable insurrection de 66-70 ap. J.-C., qui se termina par la prise de Jérusalem et la ruine du temple, centre de la vie nationale et religieuse des juifs du monde entier. Après la catastrophe, la Judée forma une province distincte, gouvernée par un légat propréteur (plus tard consulaire), qui commandait en même temps les troupes d'occupation, La destruction complète de la ville sainte, la fondation de. plusieurs colonies grecques et romaines en Judée, annoncèrent l'intention formelle du gouvernement romain de ne pas permettre la renaissance politique de la nation juive. Cependant, quarante ans plus tard, celleci essaya de se ressaisir. A défaut de la Palestine encore épuisée, les juifs tentèrent d'abord de fonder, sur les ruines de ],;hellénisme, de véritables états à Cyrène, à Chypre, en Égypte, en Mésopotamie. Ce soulèvement formidable, mais insensé, fut écrasé par Trajan (115-117), et il en fut de même, sous Hadrien, du dernier et glorieux effort des juifs de Palestine pour reconquérir leur indépendance (132-135). Depuis cette époque, et malgré quelques mouvements sans importance sous Antonin, MarcAurèle et Sévère, le judaïsme de Palestine, très diminué en nombre, appauvri, comprimé, a perdu sa prépondérance dans l'ensemble de la race; les juifs n'avaient plus aucune raison de s'attacher à un sol oit le souvenir de leur grandeur passée ne faisait que rendre plus amer le spectacle de l'humiliation présente, où leur métropole était devenue, sous le nom d'Aelia Capitolina, une colonie romaine, une ville entièrement païenne dont l'entrée même était interdite aux israélites sous peine de mort. II. Les vicissitudes que nous venons d'esquisser ont exercé une influence décisive sur la dispersion des israélites à travers le monde. Les révolutions qui se succédèrent dans la Cceelé-Syrie amenèrent à chaque siècle l'émigration de nombreux juifs qui, ayant lié partie avec l'un des compétiteurs, aimaient mieux le suivre dans sa retraite que de s'exposer aux vengeances du vainqueur. C'est ainsi que, dès l'époque de Jérémie, il se forma une petite diaspora en Égypte' ; que, lorsque Ptolémée IeL dut évacuer la Syrie, beaucoup de juifs l'accompagnèrent volontairement dans son royaume' ; que sous Ptolémée Philométor, le fils du grand prêtre Onias, déçu dans ses espérances, se transporta en Égypte avec bon nombre de ses partisans et y fonda même un temple rival de celui de Jérusalem'. D'autre part, pendant les guerres du me et du ne siècle av. J.-C., des milliers de juifs furent faits prisonniers, réduits en esclavage et passèrent de main en main et de pays en pays jusqu'à ce que l'affranchissement les délivrât. Ce résultat survenait assez tôt pour eux ; leur attachement obstiné à leurs coutumes faisait d'eux de médiocres serviteurs, et grâce à l'étroite solidarité qui est un des traits durables de la nation juive, ils trouvaient facilement des coreligionnaires disposés à payer leur rançon. Les inscriptions de Delphes nous ont conservé le souvenir d'un de ces affranchissements d'esclaves juifs à prix d'argent4. Le célèbre rhéteur Cécilius de Calacté était aussi d'origine un esclave juif'. Le juif affranchi, au lieu de retourner en Palestine, se fixait ordinairement dans son dernier pays de séjour et s'y groupait avec ses frères pour former une communauté. D'après le témoignage formel de Philon 6, la communauté juive de Rome devait ainsi son origine à des prisonniers de guerre libérés ; l'importance politique qu'elle avait acquise dès le procès de Flaccus (en 59 av. J.-C.) ne permet pas de croire qu'il s'agisse des quelques captifs amenés par Pompée (63 av. J.-C.), mais bien de pri JUD -621JUD sonniers faits dans des guerres antérieures, en Asie Mineure, par exemple. Les grandes insurrections juives sous-Vespasien, Trajan et Hadrien, avec leur issue désastreuse, jetèrent sur le marché des myriades de captifs juifs ; transportés en Occident, ils devinrent le noyau des communautés d'Italie, d'Espagne, de Gaule, etc. Parmi ces captifs était l'historien du peuple juif, Flavius Josèphe. Sous Domitien, l'esclave juif à Rome devait se vendre à vil prix; le poète Martial, dont la bourse n'était jamais bien garnie, en axait un'. A l'émigration politique, à la vente des prisonniers de guerre s'ajoutent, conne sources de la diaspora, les déportations plus ou moins volontaires exécutées par divers gouvernements, soit pour châtier la nation au col rebelle, soit pour peupler des cantons déserts de leurs États ; sans parler du grand exil de Babylone et des juifs transportés en IIyrea.nie par Ochus2, rappelons que, d'après la tradition, Ptolémée I°r aurait emmené 30000 (?) juifs en Égypte, pour tenir garnison dans les places frontières 3. Le même roi établit de force des juifs en Cyrénaïque 4. A ntiochus le Grand installa, dit-on, dans des districts peu peuplés de Phrygie et de Lydie, 2000 familles juives tirées de Mésopotamie 5. Tibère envoya 4000 juifs de Rome guerroyer en Sardaigne 6; beaucoup y périrent, mais les survivants ont dû former la tige de la communauté juive de ce pays. Plusieurs princes, sans recourir à des moyens aussi violents, s'efforcèrent avec succès d'attirer des colons juifs clans des villes nouvellement fondées en leur concédant d'importants privilèges ainsi firent, sinon Alexandre, du moins Séleucus Nicator, Ptolémée Philadelphe, les successeurs d'Antiochus Épiphane (à Antioche), etc. En dernier lieu, il ne faut pas oublier que les juifs étaient une race féconde. Leur loi leur faisait un devoir d'élever tous leurs enfants. La Judée, pays assez peu fertile, dut être promptement surpeuplée ; il fallut essaimer dans les districts voisins qui se judaïsèrent promptement (Galilée, Pérée), puis dans les pays limitrophes (Égypte, Syrie), enfin au delà des mers, dès qu'on espérait pouvoir y retrouver des coreligionnaires. Ce phénomène n'est pas particulier au peuple juif : on rencontre aussi des colonies d'Égyptiens, de Syriens, de Phéniciens en pays grec, à Rome, dans les grandes places de commerce d'Italie, et ils y propagent, comme les Juifs, leurs cultes nationaux ; mais le juif émigrait plus facilement, parce que sa religion était attachée à un livre, non à un lieu ; puis, grâce à la haie que des pratiques profondément enracinées faisaient autour de ses croyances, il ne s'absorbait pas dans les populations avoisinantes. Une propagande religieuse des plus actives, dont nous parlerons plus loin, faisait, au contraire, de chaque petit groupe de familles juives un centre de cristallisation autour duquel venaient s'agglomérer de nombreux prosélytes de race étrangère dont beaucoup devenaient à la longue des juifs véritables. On peut dire que si le prosélytisme n'a pas été le but de la diaspora, il a puissamment contribué à la consolider et à l'accroître. Aussi, dès le milieu,du lie siècle av. J.-C., l'auteur juif du 3° livre des Oracles Sibyllins s'écrie-t-il en s'adressant an a peuple élu »: azcx Sl ya:x csO6v ;r)ip'lç xxi 7râeà 01),xccx ; et s'il y a peut-être encore quelque exagération dans ces paroles, la prophétie devient vérité au siècle suivant. Les témoins les plus divers, Strabon, Philon, Sénèque, l'auteur des Actes des Apôtres, Josèphe, nous montrent alors le judaïsme répandu dans toutes les parties du monde civilisé 8. Le roi Agrippa, dans une lettre à Caligula, énumère, parmi les provinces de la diaspora juive, presque tous les pays de l'Orient hellénisé et non hellénisés, et cette énumération est loin d'être limitative (ni l'Italie, ni Cyrène n'y figurent . Les découvertes épigraphiques augmentent d'année en année le nombre des communautés juives à nous connues. Le tableau suivant, qui n'est sans doute pas complet, essaie de résumer l'état actuel de nos connaissances sur la géographie de la diaspora d'après les textes littéraires et les inscriptions. Palestine : Ascalon, etc. Arabie: Yémen, 11e Iotaba 1°. Phénicie : Aradus, Béryte ", Tyr, Sidon, etc.CoeléSyrie : Damas 12 _ Syrie : Antioche ", Palmyre "4, Tafias '3, Mésopotamie : Nisibis 76, Callinicum ". Babylonie : Sofia, Poumbadita, Nehardea 18, Séleucie" Ctésiphon 20. Elamitide (Susiane) 2'. Par/hyène. Hyrcanie 22. Médie. Arménie 23. Pont 21. Bithynie 24. Mysie : Adrarnyttium 26, Pergame", Parium? 28 Ionie : Smyrne 29, Éphèse 30, Phocée 31, Milet 32, Samos 33 Lydie : Sardes '4, Thyatire'n, Tralles f6, Ilypaepa ", Magnésie du Sipyle 38, Nysa 1'. Carie: Iasos "0, Ilalicarnasse", Cos42, Myndos43, Cnide", Rhodes". Phrygie : Apamée 46, Laodicée 47, Acmonia48, Iliérapolis40,Eumeneia50.-Lycie : Ldmyra Tlos62, Phasélis n, Corycos 54. Pisidie : Antioche n. Pamphylie: ridé ,0. Galatie: Germa'7. Lycaonie : lconium'8, Lystra"9. Cappadoce : Mazaca (Césarée).Cilicie : Tarse, Elaioussa?6D. Chypre: Salamine 61, Paphos 62 Bosphore cimmérien : Panticapée 63, Gorgippia 64, Tanaïs f 5. Scythie : Olbia 66. Thrace : Constantinople 67, JUD 622 JUD Philippes'. Macédoine : Thessalonique 2, Béroé 3. Grèce continentale : Thessalie 4, Étolie Béotie 6, Athènes', Corinthe 8, Argos 9, Laconie 70, Mantinée ", Patras 19. -Archipel: Eubée i3, Egine j4, Syros Mélos 18, Délos ". Crète" : Gortyne 19. Sicile : Syracuse 20, Messine 2i, Agrigente 22, Panorme 23. Italie : a) Méridionale : Apulie et Calabre 24, Venusia 2J, Tarente 26 Fundi 27, Capoue 28, Naples 29. b) Centrale : Rome, Terracine 30, Faléries 31.-c) Septentrionale et Istrie : Ravenne U2, Bologne", Milan 34, Brescia 3°, Cènes", Aquilée 37, Pola38. Pannonie 39. Gaule 40. Germanie : Golonia Agrippina h1. Espagne42 : Adra 41, Minorque ", Tortose 45. Égypte : Alexandrie, Léontopolis, Athribis 4°, Thébaïde. Éthiopie. Cyrénaïque: Cyrène, Bérénice41, Boréum ? 4S. Afrique propre, Numidie " : Carthage Sititis 51, Cirta 52 Naron J3? (Ilammam Lif). Nous ne possédons que très peu de renseignements précis sur l'importance numérique de ces diverses agglomérations juives et ces renseignements, comme tous ceux du même genre, sont sujets à caution. Après la Palestine et la Babylonie, c'est en Syrie, d'après Josèphe, que la population juive était la plus dense, en particulier à Antioche, puis à Damas, où, au moment de la grande insurrection, on massacra 10 000 juifs suivant une version, 18000 suivant une autre5'. En Égypte, Philon compte un million de juifs, soit le huitième de la population totale °U ; Alexandrie était de beaucoup la communauté la plus importante: les juifs, au temps de Philon, y habitaient deux quartiers sur cinq 36. Il faut aussi que leur nombre ait été très considérable en Cyrénaïque, à Chypre, en Mésopotamie, à en juger par les prodigieux massacres qu'ils y firent en 111 ap. J.-C. A Rome, dès le temps d'Auguste, il y avait plus de 8 000 juifs : c'est ce nombre qui escorta les ambassadeurs venus pour demander la déposition d'Archélaüs G7. Enfin, en Asie Mineure, si les sommes confisquées en 62 par le propréteur Flaccus représentaient réellement l'impôt du didrachme pour une seule année, il faudrait en conclure à l'existence d'une population juive de ib 000 mâles adultes ou d'au moins 180000 âmes t8. III. Cette expansion du judaïsme à travers le monde gréco-romain ne laissa pas de rencontrer de vives résistances, en particulier dans les pays de langue et de civilisation helléniques. D'une manière générale, la bourgeoisie des villes grecques était mal disposée envers les juifs ; leur particularisme religieux et national, leur mépris hautement affiché des cultes grecs, des spectacles, des gymnases, bref de tout ce qui constituait la vie commune d'une cité hellénique, peut-être aussi la crainte secrète de trouver en eux des concurrents commerciaux, enfin l'efficacité de leur propagande religieuse, contribuaient à l'impopularité de ces nouveaux venus. Dans certaines villes, comme à Parium, à Tralles, des décrets formels interdirent l'exercice du culte et la pratique des rites juifs 59. Les villes d'Ionie voulurent à diverses reprises expulser les juifs. A Séleucie de Babylonie, les Grecs unis aux Syriens en massacrèrent une fois plus de 50000. Dans toute la Syrie, les Grecs se jetèrent sur eux dès le débu I, de la guerre de 66, et, la guerre terminée, Antioche réclama leur proscription. Les boucheries qui éclatèrent presque au même moment sous Trajan en _Mésopotamie, à Chypre, à Cyrène, prouvent à quel point l'antagonisme des deux races était exaspéré. A Chypre surtout, ce fut une guerre d'extermination : les juifs massacrèrent tous les habitants grecs de Salamine, et, la révolte étouffée, le séjour de l'île fut interdit aux juifs sous peine de mort 61. A Alexandrie, les relations n'étaient guère meilleures, bien que Josèphe prétende qu'elles ne se soient gâtées que lorsque l'élément grec et macédonien dans la bourgeoisie eut été supplanté par l'élément indigène. Tantôt c'était une sourde rivalité et une guerre de plume acharnée, tantôt de redoutables explosions populaires où le sang coulait à flots, comme au temps de Caligula, de Néron, de Trajan. A la suite de l'un de ces conflits, le préfet romain d'Égypte, d'accord avec les principaux Alexandrins, décida d'enfermer les juifs dans un ghetto facile à surveiller « d'où ils ne pourraient plus à l'improviste se jeter sur l'illustre cité et lui faire la guerre 62 » Contre cette intolérance jalouse de la bourgeoisie grecque, les juifs trouvèrent des protecteurs efficaces dans les monarques hellénistiques d'abord, puis dans les Romains. On peut dire que sans les vues larges et cosmopolites des diadoques, qui favorisaient, dans l'intérêt même de leur pouvoir, le mélange et la pénétration des races, la diaspora juive n'aurait pu ni se fonder, ni se maintenir. A peu d'exceptions près (Antiochus Épiphane, Ptolémée Physeon), les Séleucides et les Lagides suivirent tous une politique judéophile et trouvèrent, en retour, chez les juifs un attachement reconnaissant : Séleucus Nicator leur donna le droit de séjour, et peut-être de cité, dans toutes ses fondations nouvelles; Ptolémée Soter leur confia la garde des postes douaniers du Nil; Antiochus le Grand les installa à la fois comme colons et comme garnisaires en Lydie et en Phrygie, en leur assurant la libre pratique de leurs coutumes Il y a lieu de croire que les rois de Pergame s'inspirèrent de principes analogues : on ne comprendrait pas autrement le rapide accroissement des communautés juives dans les villes d'Ionie. Les Romains avaient au début montré peu de disposition à recevoir les juifs parmi eux. Le préteur Rispalus les expulsa à leur première apparition en 139, pour JUD 623 JUD arrêter leur prosélytisme', mais quatre-vingts ans plus tard, comme nous l'avons vu, Rome avait une colonie juive considérable. Jules César, qui interdit tous les collegia étrangers à Rome, fit une exception formelle en faveur des juifs, dont il était l'obligé et qui se lamentèrent sincèrement sur sa tombe. Auguste leur témoigna la même bienveillance. Sous Tibère, à la suite de divers scandales qui attirèrent l'attention de Séjan, ils furent expulsés de Rome, l'an 19 et un sénatus-consulte leur ordonna de vider l'Italie si, avant un délai déterminé, ils n'avaient pas abjuré leurs rites`; quatre mille juifs romains furent, sous prétexte de service militaire, déportés sous le ciel meurtrier de la Sardaigne. Mais l'édit d'expulsion ne fut pas maintenu et, après la mort de Séjan, les juifs reparurent dans Rome ; sous Caligula, la communauté s'était certainement reformée. Claude prit prétexte de désordres provoqués par un certain Chrestos pour interdire les assemblées des juifs à Rome ; mais ce sont, semble-t-il, des récits inexacts qui ont transformé cette mesure de police en un édit formel d'expulsion 6. Depuis lors, la situation légale des juifs de Rome ne parait plus avoir jamais été inquiétée, même au plus fort des terribles insurrections sous Vespasien, Trajan et Hadrien. A aucune époque, d'ailleurs, l'antijudaïsme ne fut pour le gouvernement romain un « article d'exportation ». De très bonne heure (161 av. J.-C.?) Rome avait fait alliance avec les juifs de Palestine les premiers de tous les Orientaux et par cette alliance plusieurs fois renouvelée, entretenue à prix d'or, elle avait contracté l'engagement moral de défendre la liberté religieuse des juifs émigrés partout oit s'exerçait son influence. Dès l'année 139, il est question d'une circulaire du gouvernement romain aux rois et républiques amis pour leur recoinmander ses nouveaux alliés 7. En recueillant la succession de la Macédoine, de Pergame, des Séleucides et enfin des Lagides, Rome hérita de leur devoir de protection envers les juifs dispersés contre la malveillance et les tracasseries des villes grecques passées sous sa tutelle. C'est surtout depuis Jules César qu'elle prit à coeur ce devoir : les services rendus au dictateur par IIyrcan et Antipater pendant sa campagne d'Égypte ne furent certainement pas étrangers à l'attitude bienveillante du dictateur envers les juifs, mais elle rentrait aussi dans ses vues générales de politique large et humanitaire qui s'élevait au-dessus des différences de race et de religion. Ses successeurs s'inspirèrent des mêmes idées; et, tant qu'il y eut un État juif, ses chefs, les Hyrcan, les Hérode, les Agrippa, amis personnels des triumvirs et des empereurs successifs, intercédèrent plus d'une fois avec succès en faveur de leurs coreligionnaires persécutés. C'est ainsi que, sur 1«i invitation » des gouverneurs ou empereurs romains, plusieurs villes d'Asie Mineure (Laodicée, Milet, Halicarnasse, Sardes, Éphèse) rendirent en faveur des juifs des décrets que nous a conservés Josèphe8; c'est ainsi qu'Alexandrie fut obligée de consacrer leurs droits par une stèle de bronze'. Sous Auguste, quand les villes d'Ionie voulurent expulser les juifs s'ils n'abdiquaient pas leurs rites, Agrippa, pris pour arbitre, donna gain de cause à ceux-ci '°. Tibère lui-mime adressa en leur faveur une circulaire aux autorités locales" et, après la crise passagère provoquée par la monomanie de Caligula, Claude, dès son avènement, leur accorda un édit général de tolérance dans tout l'empire qui resta désormais la charte inébranlable de leurs privilèges : l'empereur y mettait pour condition, il est vrai, que les juifs se contentassent de pratiquer leurs rites sans mépriser ceux d'autrui ". Même après la grande insurrection de 66-70, le gouvernement impérial persévéra dans sa politique tolérante et resta sourd aux suppliques des Grecs d'Alexandrie et d'Antioche qui réclamaient l'expulsion des juifs ou tout au moins l'abolition de leurs privilèges. Ceux-ci furent encore formellement confirmés par Alexandre Sévère ". Le judaïsme, pendant tout l'Empire romain, resta une religion autorisée (religio licita) et même, comme nous allons le voir, singulièrement privilégiée. IV. Voici en quoi consistaient ces privilèges : le Les juifs, là oit ils étaient légalement établis, ne pouvaient être expulsés sans une décision expresse de l'autorité suprême (roi ou empereur), con-une celle qui intervint pour Rome sous Tibère, pour Chypre sous Trajan, pour 1Elia sous Hadrien. Quelquefois, au moment même de leur établissement, on leur avait assigné pour habitation un quartier spécial : ainsi à Alexandrie le quartier dit Delta, proche du palais royal", a Rome le Transtévère ; mais il ne parait pas qu'il leur fût strictement interdit de se loger ailleurs, et nous avons la preuve qu'a Alexandrie ils usèrent de cette faculté, au moins jusqu'au temps d'lladrien. 2° Dans ce quartier, ils avaient le droit d'élever une maison commune qui servait de lieu de réunion pour les prières et la lecture de la Loi" : c'étaient les synagogues, encore appelées 7rpoerufŒ et (UGGY.TEix" (parce que la principale réunion avait lieu le jour du sabbat). Chaque communauté juive un peu importante avait sa synagogue ; quelques-unes, comme Damas, Salamine de Chypre, Alexandrie, en avaient plusieurs. Celle d'Antioche éclipsait toutes les autres par sa magnificence 17. Rome en avait probablement autant que de communautés (huit), qui toutes-au moins jusqu'au me siècle étaient érigées hors de l'enceinte du pomoerium. Quelquefois, les autorités elles-mêmes désignaient, et sans doute concédaient gratuitement, le terraie où devait s'élever la synagogue 18 ; il semble que dans les villes maritimes l'usage ait été de les bâtir au bord de la mer '°. Quelques synagogues paraissent avoir possédé le droit d'asile, comme celle qu'on a découverte dans une localité de la Basse-Égypte, et où ce droit, accordé par un Ptolémée (Evergète Ier ou II), avait été confirmé par Zénobie 20. Les synagogues étaient des lieux de réunion et de prière 21, non de sacrifice, comme le dit par erreur le décret des Sardiens. Le culte des sacrifices n'existait, chez les juifs, en dehors du temps de Jérusalem, que dans le temple de Léontopolis, dans la Basse-Égypte, fondé sous Ptolémée Philométor (vers 160 av. J.-C.) et détruit en 73 ap. J.-C. Le culte y JUD 62 1 JUD était dirigé par des prêtres émigrés de Palestine et resta toujours suspect aux orthodoxes. En dehors de leurs synagogues, dont quelques ruines ont subsisté 1, les juifs avaient des cimetières spéciaux, disposés comme les catacombes chrétiennes. On connaît surtout celui de Venouse en Apulie et les cinq cimetières de Rome : trois aux environs de la Via Appia9, un dans la Via Labicana pour le quartier de Suburra 3, et un, le plus anciennement découvert, mais reperdu depuis un siècle, hors de la Porta Portuensis, pour lès juifs du Transtévère ; il faut y ajouter le cimetière de Portus. Les tombes juives sont d'une extrême simplicité et le mobilier funéraire ne comprend guère que quelques vases en verre doré. Quelques sépulcres de luxe (cubicula) sont décorés de peintures d'oit les figures animales ne sont pas toujours exclues 5. On possède aussi quelques sarcophages sculptés. Les épitaphes, ordinairement en grec très incorrect, sont accompagnées de symboles caractéristiques : chandelier à sept branches, palme et cédrat, vase d'huile, trompette (schofar), etc. Synagogues et cimetières des juifs étaient placés sous la protection des lois. Les premières furent souvent menacées d'incendie après le triomphe du christianisme et il fallut des sanctions pénales énergiques pour les préserver. Un édit d'Auguste punissait des peines du sacrilège le vol des livres sacrés des juifs 6. Quant aux tombes, les juifs, dans certains pays, empruntèrent aux païens un moyen très efficace de les protéger : une inscription avertit le violateur qu'il payera une forte amende dont une partie ou le tout est attribué soit à la commune, soit au fisc impérial. 3° Le culte juif comportait, outre les réunions quotidiennes de la synagogue, la célébration du sabbat et des autres fêtes, dont quelques-unes étaient accompagnées de repas en commun, l'observation deslois alimentaires et de pureté, la circoncision, bref l'ensemble des «coutumes des ancêtres ». Le libre exercice de ces coutumes était garanti aux juifs par la loi A IIalicarnasse, le décret qui reconnaît leur communauté prononce une amende contre quiconque, particulier ou magistrat, tentera d'y porter obstacle 7. A Rome, le futur pape Calliste fut, pour un l'ait de ce genre, condamné par le préfet de la ville à la peine des mines en Sardaigne 8. Une seule coutume, la circoncision, fut momentanément défendue par Iladrien, et cette interdiction fut une des causes de la révolte de 132 9. Plus tard, on se contenta d'interdire la circoncision des°non-juifs, défense qui rentre dans un autre ordre d'idées. Aux garanties de la liberté religieuse des juifs, on peut ajouter la dispense du culte des empereurs, qui ne fut menacée sérieusement que sous Caligula, et certaines décisions spéciales destinées à concilier leur intérêt avec leur « superstition » ; ainsi Auguste décida que lorsque les distributions de blé et d'argent auxquelles les juifs participaient tombaient un sabbat, la part des juifs leur serait livrée le lendemain 10; de même, là où tous les habitants d'une ville avaient droit à une ration d'huile, comme l'usage de l'huile païenne répugnait aux juifs, ils recevaient leur part en argent". 4° Chaque communauté juive est autorisée, au moins tacitement, à se donner une organisation autonome, à la fois administrative, financière et judiciaire. Il ne faudrait pas se haler d'en conclure, comme on l'a fait quelquefois, que les agglomérations juives fussent, en pays grec, assimilées de plein droit aux associations religieuses païennes (e(aeol, €pavot) qui jouissaient d'importants pri vilèges juridiques. Cette forme légale était bien celle que prenaient dans certains centres commerciaux les corporations de négociants orientaux, égyptiens, sidoniens, tyriens, syriens, groupés autour d'un culte national; mais il y avait une grande différence entre ces cultes, prochement apparentés à ceux de la Grèce et de Rome, et le culte jaloux du Dieu d'Israël. Aucun texte officiel ne nous montre jamais, en pays grec, les communautés juives proprement dites officiellement qualifiées de thiases; tout au plus peut-on revendiquer cette dénomination pour les confréries vouées au culte du OEbç üqJtrToç'2, dans le Bos phore cimmérien (notamment à Tanaïs) et ailleurs, associations qui paraissent être, les unes des synagogues déguisées, les autres des sodalicia païens plus ou moins imprégnés d'éléments juifs 13. La situation des colonies juives déclarées en pays grec était plutôt comparable à celle des groupes de citoyensromains dans les cités helléniques : elles formaient, comme ceux-ci, un petit État dans l'État, ayant sa constitution, ses lois, ses assemblées, ses magistrats particuliers, tout en jouissant de la protection générale des luis de la cité : ainsi la communauté d'Alexandrie est qualifiée de ; o)ATE(a xirOTE)Àç; les juifs de Bérénice(Cyrénaïque) s'intitulent eux-mêmes rroItiirsspai. Un seul texte, de provenance romaine, semble considérer les communautés juives comme des thiases, mais ce mot traduit ici le latin collegia 14 ; c'étaient, en tout cas, des collegia imparfaits, qui ne jouissaient pas de la personnalité civile, ni, par conséquent, du droit de posséder des capitaux ou des immeubles : un rescrit du Caracalla déclare nul un legs fait à l'universitas des juifs d'Antioche 15. L'organisation intérieure de ces petites « cités » juives était calquée sur celle des communes grecques et elle resta fidèle, au moins d'apparence, à ce type, même après que la catastrophe de 70 ap. j.-C. eut mis fin à la nationalité juive 16. Presque partout nous rencontrons, à côté de l'assemblée générale, souvent périodique, des fidèles 7r..),atuv 16. Le nombre des Anciens était proportionné à l'importance de la communauté ; à Alexandrie, ils étaient au moins 3819. A la tète de l'administration est un âpzmv JUD 625 JUD unique', ou un collège d'ïzplov.rEç : à Bérénice, ils sont au nombre de neuf 2. La communauté d'Alexandrie eut Iongtemps un chef unique nommé EOvâpfr,ç ou yEVxpr,ç, qui cumulait les fonctions de juge suprême et d'administrateur 3 ; à partir d'Auguste, ses fonctions furent réparties entre une yipoucla et un comité d'archontes 4. A Rome, fait unique et qui s'explique par la jalouse surveillance de la police, la population juive était divisée en un certain nombre de petites communautés ou synagogues dénommées d'après leurs patrons, leurs quartiers, la provenance ethnique de leurs membres, etc. On en tonnait actuellement huit AûyoucT ~ctot, 'Ayptrar,atot, Boî,ép.v ot (d'après Volumnius, préfet de Syrie sous Auguste?), hap.^vieux (du Champ de Mars), Etrioupicioi (Suhura , `Kparot (Samaritains? Palestiniens ?), 'E))a(aç (Vélin? Eléa ?), Kcipxapàlatat, auxquels il faut peut-être ajouter la synagogue des litlodiens Chacune de ces petites communautés avait sa yepoueta, son yEpouet4triç, son ou ses archontes °. L'archonte n'était pas, en général, élu à vie, comme le prouve la mention âiç âpzmv dans les inscriptions funéraires ; ce titre était aussi quelquefois honorifique et attribué à des enfants (v iltttoç âpzffl, p.EX)i pww). Cependant le Stÿ itou parait être un archonte viager. A côté de l'archonte, chef de l'administration, on trouve dans beaucoup de communautés un ou peut-être plusieurs âpztuv7ywyct, chefs de la synagogue (rabbins?) ; quelquefois la même personne cumule les fonctions d'archonte et d'archisynagogue 7. Mais ce titre ne représente pas toujours une fonction effective: à Smyrne, il est porté par une femme. L'ôtrEptrç (chasan) est l'employé de la synagogue. On trouve aussi le titre ypap,p.atmÛç pour désigner un greffier effectif, mais d'autres fois ce titre, qui équivaut à l'hébreu so fer, paraît être une simple épithète honorifique. Les personnes versées dans l'étude de la loi s'intitulent 8tôlcraÀoç, vop.cp.aO;, [i.2Orc'riç eocii,v, etc. Ce sont probablement aussi des qualificatifs purement honorifiques que les litres de 7cpo6iztirç, 7ati-rip ),aou, pater et mater synagogae ou pateressa ; on voit une femme, à Rome, s'intituler mater de deux synagogues. Une autre à Phocée obtient la rrpoEÔO(a s. Entre les nombreuses communautés juives dispersées, il n'y avait aucune hiérarchie, aucun lien administratif, si ce n'est la collecte du didrachme dont nous parlerons plus loin et le protectorat moral exercé sur les juifs de la diaspora par les représentants de l'État juif, tant qu'il subsista. Après sa disparition définitive et la ruine du temple, capitale morale du judaïsme, on sentit le besoin de créer un organe central nouveau, tout au moins pour le maintien de la solidarité religieuse et de l'uniformité des pratiques légales: ce fut le patriarcat de Tibériade, qui prit consistance vers la fin du ne siècle et fut héréditaire dans la descendance d'IIillel. Origène", avec une exagération évidente, compare le patriarche à un roi. Il semble qu'au Ive siècle, outre le patriarche de Palestine, V. il y ait eu dans la diaspora plusieurs autres dignitaires portant le même titre 10, A la même époque, il est question de fonctionnaires religieux qualifiés de Mercis dont nous ne pouvons pas préciser le rôle ". D'une manière générale, les docteurs et dignitaires du culte juif sont alors appelés officiellement primates, maiores, proceres. 5° Les communautés juives avaient certainement le droit d'imposer leurs membres c'est le sens du mot aûro'rE).-siç appliqué à la juiverie d'Alexandrie pour subvenir aux frais communs, particulièrement à l'entretien de la synagogue; mais nous manquons de détails sur la nature des taxes qu'elles prélevaient et que venaient suppléer sans doute dans une très large mesure les offrandes volontaires, attestées par de nombreuses inscriptions. La principale contribution levée par les soins des communautés était celle du didrachlrte, capitation annuelle d'un demi-sicle tyrien (='2 drachmes grecques , due par chaque juif adulte du sexe masculin et destinée à alimenter le trésor du temple de Jérusalem. Les sommes recueillies dans chaque communauté étaient ensuite centralisées, converties en or et transportées sous cette forme à Jérusalem par des envoyés de confiances'-, Cette pratique, qui amenait à la longue une exportation considérable d'or vers la Palestine, rencontra une vive opposition de la part des villes grecques et le gouvernement romain s'y montra d'abord hostile. Sous la République, le sénat, alarmé des envois d'or qui partaient chaque année des juiveries italiennes, interdit à plusieurs reprises toute exportation de ce métal, et le propréteur lTlaccus confisqua les sommes recueillies pour le temple dans les communautés d'Asie Mineure 13. Cependant, plus tard des édits de César, confirmés par Auguste, autorisèrent de nouveau les envois, tant de Rome que des provinces, et lorsque les cités d'Asie Mineure et de Cyrène prétendirent s'y opposer, Agrippa intervint en faveur des juifs; une série d'édits brisèrent la résistance des villes grecques (1!I av. J.-C.)14. Après la chute du temple (70), le gouvernement romain, au lieu d'abolir simplement une taxe qui n'avait plus d'objet, décida qu'elle serait prélevée désormais par luimême et versée au trésor de Jupiter Capitolin à Rome l'. Telle fut l'origine du fiscus judaictts, impôt doublement pénible aux juifs, et dont la perception, par des procu reurs ad hoc (procuratores ad capitularia ludaeormtnt 16, d'après des registres oit devaient s'inscrire tous les circoncis, donna lieu, notamment sous Domitien, aux vexations les plus odieuses 17. Nerva abolit les abus et les délations 18, mais non l'impôt lui-même, qui était encore perçu au temps d'Origène'0. Il y a lieu de croire qu'il fut peu à peu remplacé par des exactions irrégulières, souvent prélevées à l'improviste, et qui furent définitivement abolies par Julien20; à cette occasion, il détruisit les registres fiscaux où étaient inscrits les juifs. fi° Les communautés juives jouissaient du privilège de juger elles-mêmes leurs affaires litigieuses, d'avoir leurs JUL~ 626 JUD propres juges, leur propre code, ces lois mosaïques commentées avec tant d'ardeur par les rabbins, et que juifs et judaïsants étudiaient à l'exclusion du droit romain, comme Juvénal le constate avec indignation'. A Alexandrie, le tribunal juif consista longtemps dans un seul juge suprême, l'ethnarque2. A Sardes, nous voyons que sur l'ordre du proquesteur romain on concède aux juifs un forum particulier3. Ce sont des exemples particuliers d'un fait général'. En matière civile, l'autonomie des juifs ne s'appliquait en principe qu'aux affaires où les deux parties étaient juives; dans un procès mixte, même si le défendeur était juif, le tribunal local ou romain était seul compétent, comme le prouve la disposition d'Auguste défendant de faire comparaître les plaideurs juifs un jour de sabbat'. En matière pénale, au début de l'ère chrétienne, les magistrats juifs exerçaient un pouvoir disciplinaire étendu, comportant le droit d'incarcérer et de flageller6; mais il ne semble pas que leur juridiction s'étendit aux délits de droit commun et en tout cas elle ne comportait pas le droit de prononcer des sentences capitales. L'autonomie juridique des rabbins subsista même après l'admission des juifs à la cité romaine; ce fut alors que la juridiction suprême du patriarche de Tibériade prit le plus d'importance : Origène prétend qu'il prononçait et faisait exécuter des sentences de mort', mais de pareilles decisiotis n'avaient certainement pas une valeur légale Origène lui-même atteste qu'en Judée la juridiction criminelle a passé aux Itomainsaet si elles s'exécutaient, c'était Cri secret, comme les jugements de la Sainte-Vehme au moyen tige. Nous verrons que le Code Théodosien ne laisse aux tribunaux rabbiniques que le caractère d'une juridiction arbitrale et volontaire°. 7° Les monarchies hellénistiques avaient astreint les juifs au service militaire et en avaient obtenu parfois de bons résultats, notamment en Égypte. Toutefois le service en campagne était difficilement compatible avec l'observance rigoureuse des lois alimentaires et du repos sabbatique ; le jour du sabbat, d'après l'interprétation des docteurs, le fidèle ne pouvait ni porter les armes, ni faire une étape de plus de 3000 coudées (1 kilomètre). De là résultèrent parfois des inconvénients, comme lorsque l'armée d'Antioehus Sidétès, oit figurait un contingent juif, dut s'arrêter deux jours parce que la Pentecôte tombait un dimanche10. Les Romains, malgré l'assistance très efficace que César avait revue des juifs en Égypte, les exemptèrent complètement du service militaire, peut-être moyennant une indemnité pécuniaire. Ce principe fut proclamé dès l'année 19 par les Pompéiens : au début de la guerre civile, lorsque le consul Lentulus leva en Asie deux légions de citoyens romains, les juifs qui possédaient ce titre furent, sur leur requête, exemptés de la conscription et des instructions à cet effet furent envoyées aux autorités locales". En 43, Dolabella, proconsul d'Asie, décida dans le même sens12 et ces décisions firent désormais jurisprudence. La seule levée de soldats juifs dont il soit question sous l'Empire romain est celle de Tibère, qui eut un caractère pénal". V. Tels étaient, dans leurs dispositions essentielles, les privilèges accordés aux juifs dans le monde gréco-romain, privilèges assez importants pour qu'à l'époque des persécutions plus d'un chrétien, afin de se mettre à l'abri, ait embrassé la foi juive'. Toutefois la médaille avait son revers. Si les juifs étaient des peregrini privilégiés, ils n'en étaient pas moins des peregrini, c'est-à-dire privés de tous les droits et honneurs auxquels donnait accès la qualité de citoyen dans les villes grecques comme dans l'État romain ; outre tous les impôts de droit commun, ils étaient soumis aussi à des taxes spéciales, dont les citoyens étaient exempts. Nous avons déjà mentionné le didrachtne; nous apprenons, en outre, que les juifs de Palestine payaient un impôt foncier très lourd'', dont ils réclamèrent vainement l'allégement à l'empereur Niger16. Très probablement, dans les villes grecques, ils devaient, en principe, l'impôt des résidents étrangers, le N.eroixtov". Toutes ces entraves inspirèrent, on le comprend, aux juifs l'ambition d'obtenir le droit de cité, qui seul pouvait leur conférer une égalité complète de traitement. Mais cette prétention impliquait une contradiction, non pas que, dans les idées des anciens, on ne pût appartenir à deux patries à la fois, mais parce que les juifs voulaient cumuler les droits des citoyens avec le maintien de leurs propres prérogatives, avec leur autonomie financière et judiciaire, avec l'exemption du service militaire, etc. En outre, la cité antique reposait essentiellement sur l'adoration de dieux communs à tous les habitants de la cité et c'est à quoi les juifs ne pouvaient évidemment consentir sans renier leur raison d'être. En pays grec, dans les villes qui avaient des institutions républicaines les seules oit le titre de citoyen cal une valeur réelle les aspirations des juifs paraissent être demeurées sans résultat, au moins jusqu'à la conquête romaine; les assertions contraires des historiens juifs ne doivent être accueillies qu'avec la plus grande méfiance. C'est ainsi qu'au temps d'Auguste les juifs d'Ionie affirmaient avoir revu « des diadoques » le droit de cité dans les villes auxquelles Antiochus 'Méos (361-316) avait rendu leurs franchises 16. Dans le procès qui s'engagea par-devant Agrippa, les juifs obtinrent gain de cause contre les municipalités qui voulaient les expulser ; mais s'ils parvinrent à faire respecter leur droit de séjour et leurs libertés, on ne voit pas qu'ils aient apporté la preuve de leur droit de bourgeoisie, ni même de leur « indigénat '9 ». De même à Cyrène les juifs prétendaient avoir obtenu des Ptolémées l'ISOxoi.IIA20; mais sous cette expression vague, on ne peut entendre que l'ISOTELEIA, l'égalité devant l'impôt, qui leur fut, en effet, confirmée par Agrippa 21; il ne saurait être question d'un droit de cité proprement dit : Strabon, en énumérant les quatre classes d'habitants du pays, distingue expressément les juifs des citoyens 22. Il y a un peu plus d'apparence dans l'assertion de Josèphe d'après laquelle Séleucos Nicator, dans les villes fondées par lui, y compris Antioche, aurait accordé aux juifs le droit de bourgeoisie (aontzeia) et l'égalité sociale (taorti.ix) avec les Hellènes et les Macé JIUD 627 .1n doniens 1. Cependant, en ce qui concerne Antioche, cette assertion est corrigée ailleurs par Josèphe lui-même : ce furent seulement les successeurs d'Antiochus Epiphane qui permirent aux juifs d'Antioche i mu TTt; .TÔ)tzu); toi5 °EaaTlct ft.ETSzElv2. Les privilèges des juifs d'Antioche étaient gravés sur des stèles de bronze que Titus refusa de détruire', et les juifs continuèrent à s'intituler 'Avucz,sf;4. Malgré tout, ces privilèges ne paraissent pas avoir compris la participation au gouvernement de la cité, à supposer qu'Antioche eût réellement des institutions libres. La même appréciation doit probablement s'appliquer aux autres fondations de Séleucus. Pareillement à Alexandrie d'Égypte les noms de Macédoniens et d'Alexandrins pris par les juifs, avec l'autorisation expresse des Ptolémées 6, n'impliquent pas la possession d'un droit de cité véritable, qui n'eût d'ailleurs présenté que de médiocres avantages dans une ville dénuée d'assemblée élue et de Conseil; ils attestent seulement l'égalité devant l'impôt, les tribunaux, etc., des juifs avec les Grecs, égalité consacrée formellement par CésarG, puis par Claude 7. En résumé, les juifs, dans un certain nombre de villes grecques, particulièrement dans celles de fondation royale, ont été mis sur un pied d'égalité complète avec les IIellènes en ce qui concerne l'impôt, l'exercice des droits civils, la participation aux distributions, etc., sans que pour cela on pût les y considérer comme de véritables citoyens. Philon met une certaine affectation à déclarer que les juifs considèrent comme leurs « véritables patries » les pays où ils habitent', et il est possible que le droit de cité véritable ait été accordé individuellement à certains israélites saint Paul, pat' exemple, se disait citoyen de Tarse 9, mais nous n'avons aucun exemple d'une concession collective de ce genre. A défaut du droit de cité grecque, les juifs se rabattirent sur le droit de cité romaine, qui conférait, n'éme en pays grec, de grands avantages. Ici ils furent plus heureux. Dès le temps de Cicéron, il. y avait à Rome un groupe compact de juifs citoyens romains et électeurs; c'étaient sans doute d'anciens esclaves, affranchis par un des modes solennels qui conféraient le droit de cité dans sa plénitude 1D. A la même époque, il y avait à Ephèse, à Sardes, dans toute l'Asie Mineure, bon nombre de juifs possédant le droit de cité romaine, nous ne savons par quel moyen ". A Tarse, Paul était citoyen romain en même temps que citoyen de la ville 12. A Jérusalem, en 66 ap. J.-C., il y avait des juifs chevaliers romains" Le nombre des juifs admis à la cité romaine pendant les deux premiers siècles de l'Empire ne peut pas être évalué, mais a dû être considérable si l'on pense à la quantité d'esclaves juifs passés par des mains romaines à la suite des trois grandes insurrections. Cependant le juif devenu citoyen romain ne paraît pas avoir possédé le jus honorum à moins bien entendu que, comme Tibère Alexandre, neveu de Philon, il n'abjurât ses coutumes nationales), et il en était de même du Romain d'origine qui embrassait la religion juive. La Ioi ne fut modifiée sur ce point que par une constitution de Sévère et tale Caracalla, qui imposa en même temps aux juifs certaines corvées légales necessilales dans la mesure compatible avec leurs croyances. Dès cette époque, la notion du droit de cité local s'était fort obscurcie dans les esprits et s'ef'acait devant la conception plus large de la nationalité romaine, adéquate, ou peu s'en faut, à la qualité même d'homme civilisé habitant l'Empire 14. Bientôt paraissait la constitution de Caracalla qui, dans un intérêt fiscal, octroyait ou imposait le droit de cité romaine à tous les sujets de l'Empire '. En vertu de cette constitution, les juifs acquirent désormais sans conteste le jus honorum et l'exercice de tous les droits civils, connubium, commercium, testamenti factio, même la tutelle sur des nonjuifs'°. Toutefois, comme ils avaient été des percyrini privilégiés, ils restèrenÇà certains égards des cives prie ilégiés; ils eurent tous les droits des citoyens, ils n'exercèrent parmi les devoirs que ceux qui n'étaient pas en conflit avec leurs libertés religieuses; c'est ce qui résulte notamment du texte déjà cité suivant lequel Alexandre Sévère « confirma les privilèges des juifs ». Parmi ces privilèges figura encore quelque temps, outre l'exemption du service militaire, celle des charges plus onéreuses qu'honorifiques de la curie. VI. Après avoir esquissé la condition légale des juifs dans les états hellénistiques et le haut-Empire romain, il nous faudrait décrire leur état social et économique, leurs occupations, leurs relations avec les païens. Sur tous ces points, sauf en ce qui concerne la Palestine et la BabIonie qui ne rentrent pas dans notre cadre, notre information est singulièrement défectueuse, même pour les deux communautés les plus importantes, celles d'Alexandrie et de home. Presque partout les juifs de la diaspora vivaient agglomérés dans les villes; ils possédaient sans doute des champs et des vergers dans la banlieue, mais l'agriculture n'était plus, comme en Judée, leur occupation presque exclusive. A Alexandrie, ils pratiquaient le commerce et la navigation", mais surtout les métiers'$; aux réunions de la synagogue, c'est par corps de métiers que les fidèles étaient groupés. A Rome, la population juive, d'origine servile, habitant des quartiers misérables, exerçait les professions les plus humbles qui lui attiraient les sarcasmes des poètes satiriques. Il ne faudrait cependantpas croire, surlafoide ces peintures chargées, que tous les juifs d'Italie et de Grèce fussent mendiants diseurs de bonne aventure20 ou marchands d'allumettes21. Les textes, les inscriptions nous font connaître des tisserands, des fabricants de tentes, des marchands de pourpre, des bouchers 27, des cabaretiers 2', des chanteurs et des comédiens 26, des peintres 2J, des joailliers 26, des médecins juifs 27, même des poètes 28 et des gens de lettres (Cécilius, Josèphe , sans compter les prédicateurs, jurisconsultes et JUD 628 .1UD théologiens (Mathia ben lleresch, etc.). A la lin du iv° siècle, dans certaines provinces de l'Italie, méridionale, l'ordo de quelques villes parait avoir été composé entièrement ou principalement de juifs, preuve de leur prospérité'. En Égypte, sous les Ptolémées, ils avaient fourni au gouvernement des soldats, des fermiers d'impôts2, des fonctionnaires civils (comme les alabarques Alexandre et Démétrius), des généraux (Onias, Dosithée, Ilelcias, Ananias) ; plus tard Hadrien n'y rencontre ou ne veut y voir que des « astrologues, des devins et des charlatans' » : les beaux jours du judaïsme alexandrin qui avait produit un Philon et, par influence, un Josèphe, étaient alors passés. Un fait remarquable, c'est que presque jamais4 avant l'époque médiévale les juifs ne sont cités comme pratiquant le commerce d'argent, la banque ou l'usure : cette prétendue vocation leur fut imposée beaucoup plus tard par les circonstances et résulte d'une législation spéciale. VII. En principe, les rapports des juifs avec les païens auraient dû se borner à des relations de commerce, auxquelles la sévérité des « lois de pureté » apportait encore de multiples entraves. Les juifs vivaient à part, le plus souvent dans des quartiers distincts, groupés autour de leurs synagogues. Le juif pieux ne pouvait dîner à la table du païen ni le recevoir à la sienne; il ne devait fréquenter ni les théâtres, ni les cirques, ni les gymnases, pas même lire un livre profane, « si ce n'est au crépuscule ». Les mariages mixtes étaient prohibés sous des peines sévères. Toutefois, ces règles théoriques n'étaient pas observées toujours et partout avec la même rigueur : nous en avons la preuve dans la littérature judéo-alexandrine, toute pénétrée d'influences helléniques, dans quelques-unes des professions exercées par les juifs, dans l'emploi général et presque exclusif du grec par les juifs de la diaspora" , même pour le service religieux. Mais c'est surtout par l'activité de la propagande religieuse que se manifeste le contact intime et la pénétration réciproque des deux civilisations. L'ardeur de prosélytisme, tel est, en effet, un des traits distinctifs du judaïsme à l'époque gréco-romaine, caractère qu'il n'a jamais possédé au même degré, ni avant ni après Ce zèle de conversion, qui parait au premier abord incompatible avec l'orgueil de la « nation élue » et le mépris que le juif orthodoxe professait pour l'étranger, est attesté par de nombreux textes', et mieux encore par les faits. Plusieurs procédés étaient employés pour grossir, le troupeau d'Israël. Le plus brutal était la conversion (c'est-à-dire la circoncision) forcée, telle qu'elle fut imposée par Jean Hyrcan aux Iduméens', par Aristobule à une partie des Ituréens (Galiléens?) 8. Venait ensuite la conversion des esclaves possédés à titre individuel par les juifs9. Mais c'est surtout la propagande morale, par la parole, par l'exemple, par le livre qui s'exerca dans toute l'étendue de la diaspora avec un incontestable succès. A la vérité, le judaïsme manquait de certains côtés attrayants qui amenaient la foule au culte de Mithra et à celui des dieux égyptiens : ses exigences physiques rebutaient les courages mal affermis, son culte dépourvu d'images et de rites sensuels n'offrait qu'une poésie austère, il séparait ses adeptes du monde et les retranchait en quelque sorte de la grande communion des civilisés. Mais le caractère pratique et légal de sa doctrine, qui fournissait une règle de vie pour tous les moments, (levait plaire à une société désemparée; la pureté et la simplicité de sa théologie séduisaient les esprits élevés ; le mystère et la bizarrerie de ses coutumes, le repos bienfaisant du sabbat, les privilèges obtenus des pouvoirs publics le recommandaient aux âmes plus engagéesdans la matière. Il savait d'ailleurs s'insinuer par une littérature très habile, en partie pseudépigraphique, en partie apologétique, qui réclamait comme alliés ou précurseurs les plus grands génies de la Grèce antique, les poètes, les penseurs, les sibylles; il mettait dans son jeu des oracles célèbres 90, s'habillait à la grecque, atténuait, dissimulait sous le manteau des allégories et du symbole ce qui, dans le dogme ou les pratiques, pouvait choquer le rationalisme : religion essentiellement souple et élastique sous son apparence de raideur, et qui savait se faire tour à tour autoritaire et libérale, idéaliste et matériel le, philosophie pour les forts, superstition pour les faibles, espérance de salut pour tous. Enfin, le judaïsme, à, la fois par prudence et par tactique, avait l'adresse de ne pas exiger du premier coup de ses adeptes l'adoption pleine et entière de la loi juive. Le néophyte n'était d'abord qu'un « ami » des coutumes juives; il pratiquait les moins assujettissantes, le sabbat avec l'allumage des feux le vendredi soir, quelques jeûnes, l'abstinence de la viande de porc ; le fils fréquentait, la synagogue, désertait les temples, étudiait la loi, offrait sort obole au trésor de Jérusalem. Peu à peu l'habitude faisait le reste ; enfin le prosélyte franchissait le pas décisif : il recevait la circoncision, prenait le bain de pureté " et offrait (en argent sans doute) le sacrifice qui marquait son entrée définitive dans le sein d'Israël. Parfois même, pour accentuer sa conversion, il adoptait un nom hébraïque 12. A la troisième génération, d'après le Deutéronome", il n'y avait plus de distinction entre le juif de race et le juif d'adoption, à moins qu'il n'appartint à une des races maudites, d'ailleurs éteintes depuis longtemps à l'époque dont nous parlons. Un Aquila, dont la, traduction grecque de la Bible remplaça dans les synagogues celle des Septante, un Bar Giora, chef des insurgés de Jérusalem, étaient des prosélytes ou fils de prosélytes. Cette entrée par étapes dans le judaïsme dut être un fait fréquent au Le' et au n° siècle; Juvénal en a laissé au tableau célèbre : Quidam sortili metuentem sabbata patient Nil praeter nubes et caeli numen adorant, etc.i4. Le nom même de maliens est technique : il traduit, les termes grecs oeioûu.svot, 6Eedp.EVOt (s. e. tibv OEdv) Sous lesquels les textes grecs désignent ordinairement les prosélytes '6. On a cherché à établir une distinction tranchée entre les rsôdu.evor ou JUD 629 JUli) yoôoug.evot et les prosélytes proprement dits, les ghérim des textes hébraïques'. I1 parait plus exact de considérer tous ces termes comme synonymes, mais en admettant plusieurs degrés dans le prosélytisme : les simples judaïsants2, les improfessi 3 étaient naturellement plus nombreuxqueles nouveaux circoncis, inscrits sur les registres ; à leur tour, les prosélytes du sexe féminin l'emportaient de beaucoup sur les hommes, différence qui s'explique suffisamment par la crainte qu'inspirait la circoncision. On ne saurait douter que le judaïsme ait fait ainsi pendant deux ou trois siècles de très nombreuses conquêtes. Assurément on ne doit accepter que sous bénéfice d'inventaire les hyperboles de Josèphe, de Philon, même de Sénèque, qui nous représentent le monde entier se ruant vers les observances juives 4. Mais il est incontestable qu'on rencontre des prosélytes, et en très grand nombre, dans tous les pays de la diaspora. Les auteurs païens, frappés de ce phénomène, distinguent avec soin les juifs de race des juifs adoptifs". A Antioche, une grande partie des Grecs judaïsaientàl'époque deJosèphe 6; devenus chrétiens au temps de saint Jean Chrysostome, ils n'avaient pas désappris le chemin des synagogues ; il en était de même dans certains districts d'Espagne. A Damas, « presque toutes les femmes » observaient les pratiques juives'. Saint Paul rencontra des prosélytes à Antioche de Pisidie, à Ttlyatire, à Thessalonique, Athènes. Les monnaies d'Apamée au type de l'Arche de Noé, les nombreuses associations de rE-U!,tEVat O5V ügta'rov 8 attes tent la diffusion des idées et des légendes juives en Asie Mineure. A Rome, oit la propagande juive avait posé ses premiers jalons dès l'ambassade de Numénius (139 av. J.-C.), Vorace, Perse, Juvénal nous font connaître ses efforts et ses succès. L'énorme multiplication de la nation juive en Égypte, à Chypre, à Cyrène ne peut s'expliquer sans une abondante infusion de sang gentil. D'ailleurs, le prosélytisme s'exerçait à la fois dans le haut, et dans le bas de la société. Les juifs si nombreux qui passèrent par l'esclavage ont dit plutôt catéchiser leurs camarades que leurs maîtres ; mais nous entendons parler aussi (le recrues distinguées, illustres même : en Orient le chambellan de la reine Candace9, la famille royale d'Adiabène, les rois d'Elnèse (Azizos) et, de Cilicie (Polémon) unis par mariage à la famille d'Ilérode10; à Rome la patricienne Tulvia71, Flavius Clemens et Flavia Domitilla, cousins de Domitien 12 ; un page (le Caracalla". L'impératrice Poppée elle-même est qualifiée de Osocuei ,ç'' ; si Héliogabale n'était pas juif, il avait adopté plusieurs pratiques juives et prétendait englober le judaïsme dans l'étrange amalgame où tous les cultes existants devaient se réconcilier sous les auspices du dieu d'Émèse. La propagande juive n'avait rencontré en Orient d'autre résistance que l'attachement des populations à leurs religions nationales : ainsi Sylheus, ministre d'Obodas, roi des Nabatéens, pressé de se convertir, déclara que les Arabes le lapideraient u. On ne peut citer une seule loi grecque destinée à réprimer le prosélytisme juif. Mais le gouvernement romain témoigna moins d'indulgence, surtout après les grands soulèvements qui montrèrent à nu la haine implacable des juifs contre leurs conquérants. Tout en respectant scrupuleusement la liberté religieuse et les coutumes nationales des juifs existants, on prit des mesures sévères pour les empêcher désormais de faire des recrues, que le patriotisme romain considérait comme de véritables déserteurs. Sous Domitien, le crime de judaïser, confondu avec celui d'impiété oit d'athéisme, entraîna de nombreuses condamnations à la mort, à l'exil, à la confiscation ls. Nerva mit fin à ces procès souvent scandaleux f7 ; mais si l'on ferma désormais les yeux sur l'adoption partielle des coutumes juives, la conversion complète continua de rester interdite : un rescrit d'Antouin le Pieux, modifiant une disposition trop générale d'Iladrien, n'autorise les juifs qu'à circoncire leurs propres fils ; la circoncision d'un non-juif, même d'un esclave, était punie des mêmes peines que la castration 18, c'est-à-dire la mort pour les humiliores, la déportation dans une île pour les honestiores, la confiscation dans tous les cas19. Le citoyen romain qui s'était livré on avait livré un esclave à cette opération, le médecin qui y avait prêté son ministère, étaient punis l'un de déportation et de confiscation, l'autre de mort26. Cette législation draconienne fut encore renouvelée par Septime Sévère 21 ; elle était en pleine vigueur au temps d'Origène 22. L'effet de ces lois fut considérable, mais autre que ne l'avaient espéré leurs auteurs. A la vérité, l'accroissement de la secte juive en fut entravé, d'autant plus que dans le judaïsme talmudique les tendances hostiles au prosélytisme prirent décidément le dessus ; mais l'affaiblissement du judaïsme ne s'opéra pas au profit des religions païennes, qui n'avaient plus de prise sur les àmes : les demi-prosélytes, ne pouvant se faire des juifs complets, prêtèrent d'autant plus facilement l'oreille à la prédication évangélique, et c'est parmi eux que le christianisme fit ses premières et ses plus nombreuses conquêtes 2a Les succès attestés de la propagande juiv e,leslois sévères qui furent nécessaires pour l'arréter, modifient l'impression que font naitre les jugements des écrivains anciens sur les juifs. A les lire, on croirait que le judaïsme n'a été pour l'antiquité presque entière qu'un objet d'horreur et de mépris; son particularisme religieux qualifié d'athéisme, son particularisme social qualifié d'insociabilité N.ti;à et même de haine du genre humain, son origine défigurée par des légendes absurdes, ses croyances et ses pratiques présentées sous le jour le plus malveillant, souvent le phis mensonger, tout cela compose un tableau où le ridicule le dispute à l'odieux. A peine quelques esprits philosophiques témoignent de l'admiration pour le monothéisme d'Israël, sa proscription des idoles, ses vertus de famille2t. En regardant de plus près, on s'apercoit que cette opinion presque unanimement défavorable des lettrés tire sort origine surtout de la polémique alexandrine, et que les pamphlétaires alexandrins eux-mêmes ont subi dans une large mesure l'influence du milieu égyptien JUD (i30 JUD où la haine du juif était une tradition séculaire. En réalité, si le judaïsme a vécu dans un état d'antagonisme continuel avec les champions de l'hellénisme exclusif, comme du « romanisme n de vieille roche, il a rencontré dans la foule comme dans l'élite dégagée des préjugés nationaux de nombreuses sympathies; il en aurait rencontré davantage s'il avait su lui-même se dégager plus complètement de l'esprit étroitement ethnique, sacrifier au principal l'enseignement religieux et moral) l'accessoire les pratiques multiples et gênantes), achever en temps utile cette transformation d'une nation en une religion qui est à la fois le programme de son histoire et le problème de ses destinées. VIII. Faute d'avoir poursuivi résolument. cette direction, le judaïsme ne réussit pas plus que les religions parties de Perse, de Syrie, d'Égypte, à recueillir l'héritage du paganisme classique ; comme, à la différence de celles-ci, il refusa de se laisser absorber dans la nouvelle croyance née de lui-même', il se trouva, au lendemain du triomphe du christianisme, dans la situation difficile d'une minorité religieuse incoercible et suspecte (l'esprit de propagande. On ne ressuscita pas contre lui les anciennes exclusions fondées sur des différences nationales : un siècle après l'édit de Caracalla, il ne pouvait plus être question de nationalités diverses dans l'immense unité de l'orbis romanos. C'est presque uniquement comme secte dissidente qu'il fut envisagé, et rangé dans la même catégorie que les hérétiques, les caelicolae et les païens eux-mêmes. A ce titre, dans une société de plus en plus fondée sur l'union de l'Église catholique et de l'État, il ne pouvait manquer d'être l'objet de restrictions sévères de la part du législateur. On peut suivre le progrès de cette sévérité dans les nombreuses constitutions rendues par les empereurs chrétiens et conservées par les Codes Théodosien et Justinien, depuis celles de Constantin qui sont encore empreintes d'un véritable espritde tolérance et de neutralité religieuse, jusqu'aux mesures presque draconiennes des fils et petits-fils de Théodose. Naturellement, il faut aussi tenir compte des dispositions individuelles des empereurs : à cet égard, l'attitude brutale des fils de Constantin contraste avec l'humanité de Jovien et de Valentinien, sans parler de Julien. Le langage suit la même évolution que la pensée : il prend un ton de plus en plus méprisant; bientôt le nom de judaïsme n'est plus prononcé sans être accompagné des épithètes les plus injurieuses : c'est; une secte funeste, honteuse, sacrilège, perverse, abominable; leurs réunions sont impies, etc. Rarement le mot de secte est remplacé par celui de nation : preuve curieuse que le judaïsme au iv° siècle était en train de dépouiller son caractère national et qu'il ne l'a repris peu à peu que sous la pression d'une législation restrictive. Nous n'entrerons pas dans.le détail de cette législation, dont beaucoup de points appelleraient une discussion critique approfondie et qui n'appartient d'ailleurs plus guère à l'histoire de l'antiquité classique. Contentons-nous d'en résumer les dispositions principales en les groupant sous trois chefs. 1° Mesures destinées à protéger la religion juive et son clergé. Le judaïsme est une religion licite2. Partant de ce principe, qui n'a jamais été mis en question, les empereurs, même les moins tolérants, ordonnent qu'il soit respecté et s'efforcent de le mettre à l'abri des injures des fanatiques, notamment des juifs convertis, les plus intraitables de tous. Il faut, bien entendu, que les juifs, de leur côté, respectent la religion chrétienne et ne la tournent pas en dérision, même par voie d'allusion et de symbole, par exemple en bridant, lors de la fête de Pourim, sous le nom d'llaman, une image du Christi. A cette condition, les juifs doivent pouvoir célébrer librement leurs fêtes, leurs sabbats ; ces jours-1à, il ne doivent pas être cités en justice, ni d'ailleurs y citer des chrétiens 4. Leurs assemblées ne doivent pas être inquiétées°; défense de piller ou de brûler leurs ruaisons, leurs synagogues : le renouvellement fréquent de cette défense' prouve combien elle était mal observée; c'est l'époque où les Grecs, fanatisés par l'évêque Cyrille, chassent les juifs d'Alexandrie, où les violences des garnisons romaines provoquent (sous Constance) un dangereux soulèvement en Palestine, oit l'évêque Sévère de Minorque convertit par force les juifs de son diocèse (418), etc Valentinien et Valens reconnurent expressément aux synagogues le caractère de loca t'eligiosa et les déclarèrent exemptes du logement des militaires Le complément de ces-mesures protectrices est la situation privilégiée te aux dignitaires et employés des synagogues juives. Assimilés aux membres du clergé catholique, ils sont dispensés de toute charge onéreuse, de toute corvée publique, et notamment des responsabilités si lourdes de la curies ; on leur reconnaît le don d'expulser des communautés les « faux frères » qui leur faisaient le plus grand tort °. En particulier, le patriarcat est l'objet du traitement le plus déférent : le patriarche reçoit un rang dans la hiérarchie officielle, il est vir spectabilis. Les injures à lui adressées sont sévèrement punies 10. Longtemps il est autorisé à faire recueillir par des envoyés spéciaux (apostoli)unetaxedejoyeuxavènement,auruincoronariun7, qui lui permet d'entretenir un faste presque royal. Cependant l'apostolé, déjà « déconseillée » par Julien ", fut interdite une première fois et sa caisse confisquée au profit du trésor impérial par Arcadius et Honorius, en 399 12. Rétablie peu (le temps après, en 40'113, elle disparut définitivement une vingtaine d'années plus tard. L'outrecuidance du patriarche Gamaliel avait porté à l'institution du patriarcat un coup fatal: Gamaliel fut dépouillé en 415 doses honneurs et dignités 16, et peu après, à sa mort sans doute, le patriarcat fut aboli; l'apostolé ne le fut pas, mais en 429 on la convertit en une taxe au profit du fisc": son histoire, on le voit, ressemble étrangement à celle du didrachme. 2' Situation civile et politique. Après avoir été longtemps des peregrini privilégiés, les juifs, par l'édit de Caracalla, étaient devenus des cives, jouissant de tous les droits attachés à ce titre et, en outre, de quelques privilèges spéciaux, en raison de leur religion. Les empereurs chrétiens respectent, en principe, cette situation et s'opposent, par exemple, aux tentatives locales JUD 639 JUD d'imposer aux commerçants juifs des « gouverneurs » spéciaux et un système de prix de vente fixes ou encore d'obliger en bloc les juifs de Rome à entrer dans la corporation onéreuse des navicularii2 ; mais si aucune atteinte ne fut portée aux droits civils des juifs sauf, comme nous le verrons, en ce qui concerne les esclaves et les mariages il n'en fut pas de même de leurs droits politiques. La pensée que des juifs pourraient légalement commander à des chrétiens, détenir une parcelle de l'autorité sacrée de l'empereur, parut bientôt intolérable. Dès l'année 401, on décide que les juifs rie peuvent être employés comme agentes in rebus, c'est-à-dire comme fonctionnaires (le la police ou du fisc°. En 418, on leur interdit d'une manière générale l'accès de tous les emplois publics 4, tout en leur permettant de devenir avocats (jusqu'en 125 seulement) ou décurions. Cette interdiction est renouvelée en ternies explicites en 438 et expressément étendue aux fonctions judiciaires, aux dignités municipales et notamment à celle de defensor civitatis . En revanche, les juifs sont désormais assujettis aux charges beaucoup plus onéreuses qu'honorifiques' de la curie, qui, à l'époque païenne, avaient été jugées incompatibles avec leur religion. Cette dernière réforme, déjà tentée par Septime Sévère, rencontra, semble-t-il, de vives résistances. Dès 321, Constantin décidait que tous les conseils municipaux pouvaient appeler à cette corvée les juifs désignés par le chiffre de leur fortune, sauf « deux ou trois » par communauté, ad solaciura pristinae aise/ °valionis 6. Des constitutions ultérieures précisèrent et étendirent un peu la portée de cette exemption qui s'appliqua aux « prêtres », archisynagogues, chefs et fonctionnaires des synagogues juives'. Mais une loi promulguée en Orient, dont nous ignorons la date et l'auteur, revint sur la réforme et dispensa de nouveau tous les juifs de la curie. Cette loi fut à son tour abrogée, au moins pour l'Occident, en 398 8. Les biens des juifs cariables furent formellement mancipés è la curie °. Chose singulière, les juifs, même curiales, étaient considérés comme gens de la dernière condition 1°. En même temps que le privilège de la curie, disparaissait celui de l'autonomie judiciaire. Dès l'an 393, les juifs furent invités à se conformer pour leurs mariages aux lois romaines; la polygamie leur fut interdite 11. Une loi de 398 disposa que pour toutes les affaires qui n'étaient pas d'ordre purement religieux, les juifs relèveraient désormais de la loi romaine, du juge de droit commun. Sans doute il resta permis aux parties de se soumettre d'un commun accord à la décision de leurs rabbins ; mais cette décision, qui liait le gouverneur, juge supérieur, n'avait que la valeur d'un simple arbitrage 92. 11 faut croire que soit superstition, soit respect du savoir juridique des rabbins, beaucoup de chrétiens, en litige avec des juifs, consentaient à soumettre leurs différends aux « anciens » israélites; une constitution de 418 interdit cette pratique". 3° Mesures de défense et d'attaque religieuses. Deux principes dominent cette matière : empêcher les juifs d'étendre leur religion,spécialementaudétriment duchristianisme ; favoriser lesapostasies. Au premier ordre d'idées répondent la défense, sous peine d'une amende de 50 livres d'or, faite aux juifs de bâtir de nouvelles synagogues ils ne peuvent que conserver et entretenir les anciennes) 14; la défense, sous peine de mort, d'épouser des femmes chrétiennes 13, ou même d'avoir commerce avec des femmes du gynécée impérial l6 ; celle, sous la même peine, aggravée de la confiscation, de convertir des chrétiens libres à leur religion 17. Une question très délicate et sur laquelle la législation varia concernait la détention, par les juifs, d'esclaves non juifs, surtout d'esclaves chrétiens : ici le danger de séduction ou même de circoncision forcée, recommandée par la loi juive, était particulièrement à redouter. Au début, on se contenta de renouveler l'ancienne loi d'Antonin défendant aux juifs de circoncire des esclaves mème païens 18 ; la peine pour le maître était, semble-t-il, seulement la privation de l'esclave qui devenait libre. Mais bientôt après, l'empereur Constance y ajouta la peine de mort pour le juif et défendit même d'une manière générale aux juifs l'acquisition d'esclaves d'une autre religion, sous peine de les voir confisqués par le trésor; s'agissait-il d'esclaves chrétiens, la fortune entière du juif était confisquée 1°. Cette loi vraiment exorbitante, quoique renouvelée en 38'. 20 ne put être maintenue. En 115, les juifs fuient formellement autorisés à posséder des esclaves chrétiens à la condition de ne pas les convertir 21. Mais dès 417 l'influence du clergé amena, au moins pour l'avenir, l'abrogation de cette loi indulgente : les juifs actuellement détenteurs d'esclaves chrétiens purent les conserver, la peine de mort fut maintenue contre toute tentative de circoncision 22 ; toutefois, en h39, elle fut atténuée en celle de l'exil et de la confiscation 23. De mème que le législateur s'opposait par ces moyens sévères à toute extension de la religion juive, il favorisait non moins énergiquement la conversion des juifs au christianisme D'abord ce qui se comprend les nouveaux convertis sont protégés par toute la rigueur des lois contre les rancunes et les sévices de leurs anciens coreligionnaires 2'; chose plus grave, l'enfant juif converti ne peut être ni déshérité par ses parents ni mème réduit dans sa part; détail particulièrement odieux, la « quarte » de réserve lui est assurée même s'il est convaincu d'un crime capital envers le de cujus, sans préjudice toutefois des sanctions pénales 26 ! Par ces mesures et autres du même genre, consacrées par les Novelles de Justinien 45 et 140), on arriva sinon à provoquer de nombreuses conversions 27, du moins à briser définitivement l'essor de propagande du judaïsme, à le parquer JUD 632 JUD matériellement et moralement au sein de la société chrétienne, à lui imprimer enfin le cachet d'humiliation et de terreur qui lui restera attaché, comme une note d'infamie, à travers tout le moyen âge. La législation des Conciles, qui a inspiré la plupart des lois médiévales sur les juifs, n'est elle-même que le reflet de la législation des empereurs chrétiens. A Byzance ', comme dans la plupart des États occidentaux, elle devait forcément aboutir tôt ou tard à la proscription complète du ju daïsme et de ses sectateurs. T1L`oDORE 11E1SMCD.