Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article JUNO

JUNO. `IIPA. Une des divinités les plus éminentes du panthéon gréco-italique, et aussi une de celles en qui se réfléchit avec le plus d'éclat le caractère des peuples chez lesquels son culte a été en honneur et qui résume le mieux leurs idées sur la femme et le mariage, sur le rôle et l'influence de l'épouse dans la famille. Quoique sa qualité de compagne du dieu suprême et de maîtresse souveraine de l'Olympe la rapproche de certaines divinités égyptiennes, assyriennes, babyloniennes ou phéniciennes, elle n'en est pas moins restée une pure création du génie grec et latin depuis l'origine ; et elle a défendu le mieux à travers les âges (seule AthénaMinerve peut lui être comparée à ce point de vue) sa personnalité contre les influences étrangères. centres où le culte de Iiéra a été florissant et d'où il a rayonné sur le reste de laGrèce sont : dans le Péloponnèse, Argos, Mycènes, Olympie et Sparte; au centre et au nord, l'Attique, la Béotie et l'Eubée; dans les îles, Samos et la Crète; dans l'Italie méridionale, Crotone. Suivre la déesse en ces divers lieux, pour raconter. les pratiques et les croyances dont elle y a été l'objet,tout en groupant ensemble celles qui ont un caractère commun, nous parait être le meilleur moyen de mettre de l'ordre dans une matière complexe et étendue. A s'en rapporter aux données de la légende et aux fastes de la primitive histoire, Véra fut, au point de départ, la déesse nationale des peuples du nord de l'Ilellade 2 ; c'est avec les fils d'Inachos et de Pélasgos qu'elle émigra vers les côtes du Péloponnèse et les îles; les temples d'Argos et de Stymphale ont été bâtis par eux; avec les Argonautes, elle partit d'Iolcos en Thessalie pour s'établir à Lemnos et à Samos 3. II n'existe plus traces de temples élevés en son honneur dans ces parages ; mais de la Thessalie est originaire la fable d'Ixion, sous laquelle on saisit aisément encore le sens purement physique (le la personnification de Héra 4. À Dodone, elle apparaît comme une des plus anciennes divinités de la terre et du ciel, identifiée qu'elle est avec niosr dont le nom est le féminin même de Zeus (à.,;), comme Jovino-Juno est le féminin de Jupiter-Jouis5. Des inscriptions et des monnaies de la Thrace gardent le souvenir de cette antique religion dans la Grèce septentrionale; une inscription lui rend hommage de concert avec les Charites; ailleurs elle est associée à Zeus sous le vocable de xupta, la maîtresse'. A l'époque homérique, sa religion est particulièrement florissante dans le Péloponnèse. Homère y nomme comme étant ses villes favorites Argos avec Mycènes et Tirynthe, puis Sparte'. Zeus Nemeios est le dieu national des Argiens ; Héra surnommée Argienne lui fait pendant; plus tard Pindare célèbre Argos en l'appelant le siège vénérable de son culte °. Aux temps historiques, la déesse possédait dans cette ville cinq ou six temples dont deux au moins remontaient à la plus haute antiquité, celui de IIéra 'Axez z ou Ba(rt),rtç et celui de Héra Ilithyia. Le premier de ces vocables rappelle qu'elle fut avec Zeus vénérée de préférence sur les hauteurs ; le temple était d'abord voisin de Mycènes, placé sur la colline qui monte vers Larissa et qui servait de citadelle aux deux cités 9; c'est là sans doute que la déesse était vénérée sous le titre d'E'JEpyscrappelant que du haut des monts elle faisait descendre la pluie bienfaisante et remplissait les cours d'eau10. A la même région appartient le culte rendu sur le mont Arachnéen, oh, sur deux autels érigés en face l'un de l'autre, en l'honneur de Héra et de Zeus, les habitants sacrifiaient pour obtenir la pluie ". La religion de Mycènes" 2 émigra ensuite dans Argos même, où elle eut pour siège un des temples les plus célèbres et les plus JUN 669 JUN magnifiques qu'elle possédât en Grèce, l'lléraion, d'abord bâti pour Argos seul, plus tard commun à Argos et à Mycènes. Pausanias nous apprend que ce sanctuaire était entouré de vastes prairies où paissaient des troupeaux de vaches consacrés à la déesse; sur l'emplacement présumé, les fouilles de Schliemann ont mis à jour de nombreuses figurines en terre cuite représentant l'animal favori et sans doute symbolique de Héra'. Les sacrifices, dont les victimes étaient prélevées sur ces troupeaux, faisaient partie de la fête qui, à cause d'eux, s'appelait IEIéATOMBAI12; on y préludait par une procession de guerriers armés et de jeunes filles, puis par une lutte dans le stade, dont le prix consistait en un bouclier d'airain et une couronne de myrte : cette lutte chez les auteurs s'appelle l'xywv 7a)(XEioç et dans les inscriptions «cnfç sv "AoyEt [HERAIA) 3. Plus tard, sans doute sous l'influence du culte athénien de Démèter, elle prit un caractère mystique et donna lieu à des initiations 4. Aux temps primitifs, elle est surtout une fête champêtre oit les Achéens mirent ensuite des idées guerrières et qu'ils revêtirent d'un éclat royal; l'épithète de fart?c ç qu'une inscription argienne décerne à la divinité en témoigne. Enfin la présence des jeunes filles et la couronne de myrte rappellent que Héra est la protectrice de la famille fondée sur le mariage". A côté de ce culte, Pausanias cite encore celui de Véra 'AvOEfa, ainsi nommée soit parce que la fleur appelée apov (l'arum) lui était attribuée', soit parce que des vierges qui lui étaient consacrées lui dressaient une couche de feuillages et ornaient sa statue de fleurs cueillies sur les bords du fleuve Astérion". Enfin, dans le temple d'Héra Ilithyia, oïl l'image de la déesse portait comme attribut caractéristique les ciseaux, elle était avant tout la protectrice des femmes en couche, à qui elle apportait une heureuse délivrance'. Argos possédait d'ailleurs deux: statues archaïques en bois (xoana) ; et l'on rapportait à Argos une troisième que nous retrouverons â Samos, qui y aurait été portée par les Argonautes. Le premier xoanon représentait la divinité assise; il était de faible dimension, en poirier sauvage, ce qui a fait supposer que cet arbre avait été consacré à Héra comme le chêne l'était à Zeus; dédié d'abord à Tirynthe par un Argien, il fut transféré plus tard à l'lléraion où Pausanias l'a vu70, On a cru retrouver le second dans une idole figurant sur deux vases, l'un de la collection de Coghill, l'autre au musée de Berlin" ; l'attitude de la déesse représentée les pieds joints, les deux bras relevés presque à angle droit avec le coude, le polos très bas et le voile couvrant la tête ont un caractère de vénérable archaïsme ; sur le vase de Berlin, les attributs sont l'arc et le flambeau qui ont fait identi fier le plus souvent cette figure avec Artémis-IIécate ; mais Overbeck et Roselier y voient les symboles d'Héra Ilithyia'2• C'est sans doute à cette déesse que la mère de Cléobis et de Biton, dont Hérodote nous raconte l'aventure, adressait ses prières ; c'est pour la fêter qu'elle montait sur le char qu'en l'absence des boeufs ses fils (levaient traîner au temple i3. 11 existait à Argos un monument plus ancien encore du culte rendu à Héra, une grande colonne (xfwv t xpb;), en pierre pro bablement, que la prêtresse ornait aux jours de fête avec des bandelettes et des franges'. Par toutes ces données se trouve justifiée l'importance de la religion de Iléra à Argos, importance qui, dèsles temps d'Homère, lui vaut l'épithète d'Argienne qu'elle porte à titre de vocable purement religieux, en dehors de cette ville, dans des centres qui l'ont reçue d'elle ". C'est à Argos que cette religion trouva à travers les siècles l'expression la plus complète, c'est là que les images grossières dont nous venons de parler aboutirent finalement au type idéal de la déesse réalisé par Polyclète" Pausanias nous a laissé une description assez détaillée de la statue en or et ivoire, plus grande que nature, que cet artiste sculpta pour l'IIéraion. Dans l'histoire du culte de Héra, elle a la mèipe importance que les chefsd'oeuvre d'Olympie et d'Athènes par Phidias dans celui d eZeus et d'Athéna, avec des différences que souligne Strabon17. La déesse était représentée assise sur un trône, portant en tête une couronne sur laquelle étaient sculptées les IIorae et les Charites; de la main gauche elle tenait une grenade, de la droite un sceptre sur lequel était posé un coucou, oiseau symbolique de l'union sacrée avec Zeus. Auprès d'elle était placée Ilébé, également en or et ivoire, par le sculpteur Naukydès, un des élèves de Polyclète. Nous savons par d'autres textes que Héra avait les bras et les épaules nus; . Maxime de Tyr résume le genre spécial de sa beauté en disant qu'elle était aEuxw),tvoç, É1,E A cette description correspond assez exactement (fig. 4159) une monnaie d'Argos portant, au droit, les têtes d'Antonin le Pieux et de Julia Domna, au revers l'image de Héra et la statue d'llébé placée en face d'elle". On JUN -670JUN a cru retrouver la tête de l'Héra chryséléphantine de Polyclète sur une monnaie plus ancienne (fig. 4160), oit la déesse, à l'expression majestueuse, est coiffée d'une couronne ornée de palmettes'; la ressemblance de cette tête avec celle que nous donnent des monnaies d'Élis, d'llimera, d'Ésée, de Cnosse rend douteuse cette attribution. Une seule chose est certaine, c'est que l'artiste se proposa. avant tout de représenter l'épouse de Zeus, la maîtresse souveraine de l'Olympe, dans sa majesté, puis de rappeler par les attributs de la grenade et du coucou l'épi-. sode capital de sa légende, l'union sacrée avec Zeus. La présence d'Ilébé accentue encore cette signification, sur laquelle nous reviendrons plus loin. Homère met le culte rendu à Héra par Sparte sur la même ligne que celui dont elle était l'objet dans la région d'Argos; à s'en rapporter au vocable d'Argeia sous lequel elle y était honorée, c'est d'Argos même que Sparte l'aurait recul. D'autres détails confirment cette filiation ; nous savons qu'elle y était identifiée avec Aphrodite et que les mères lui offraient des sacrifices au moment du mariage de leurs filles; les jeunes filles célébraient en son honneur des fêtes durant lesquelles elles ornaient sa statue de fleurs. La guirlande de fleurs se nommait 7uXE(iv 3. Ce même usage se retrouve à Stymphale en Arcadie, où la déesse avait trois temples distincts; dans l'un on la vénérait comme enfant, ou jeune fille (7sïç) 1 (elle était vénérée comme IIapOvoç à Argos, a Samos, à Platées, ailleurs encore) 3 ; dans l'autre elle était invoquée comme le type de l'épouse, TaE(a; dans le troisième comme veuve. C'est à IIéra déesse des jeunes filles qu'on offrait à Sparte des sacrifices de chèvres, ce qui lui valait le vocable Aiyoi-âyoç6. Un mois de l'année lui était consacré', fait que nous constatons aussi à Delphes, en Crète et en Bithynie, que nous retrouverons plus tard chez les Latins pour Junon 6. Cette Aéra nationale des Spartiates, dont le principal temple était sur l'agora, portait le titre d' `TrcEpzEtp(a, celle qui étend d'en haut sa protection sur la ville 0. Les cultes de IIéra dans le Péloponnèse que ne mentionne pas Ifomère sont ceux d'Olympie et de Corinthe; nous y rencontrons pour la. première fois un élément qui fait défaut à celui de Sparte et d'Argos et qui leur est commun à tous deux : c'est que, le cas échéant, les cérémonies en l'honneur de la déesse s'y imprègnent d'un caractère de tristesse"; à Olympie, on lui faisait des sacrifices comme à une divinité chthonienne; à Corinthe, dans le temple où elle était àppelée 'Axea(a ou Bouvjta, sa légende était rattachée à celle de Médée et il y subsistait le souvenir d'antiques sacrifices humains. C'est ainsi qu'à Corinthe on consacrait à Véra pour une année entière quatorze jeunes gens, que l'on revêtait d'habits de deuil et à qui l'on rasait les cheveux, atténuation symbolique de l'immolation sanglante : c'était, disait-on, en souvenir des enfants de Médée11. Plutarque fait de cette cérémonie un usage venu d'Argos et lui donne pour pendant le sacrifice d'une théorie de jeunes filles à la Junon de Faléries en Italie 12. De même à Sparte on immolait des chèvres à IIéra 'Axpa(a de Corinthe ; ces chèvres ont sans doute pris la place des victimes humaines, offertes dans la période de barbarie 13. IIéra était la divinité topique de Pisa et d'Olympie ; si les fouilles ont mis à jour un temple dont les ruines profondes paraissent être du val' siècle, le culte de la déesse y remonte bien au delà de cette époque L'Héraion exhumé entre la palestre et le trésor des Mégariens, à l'angle sud-ouest du Cronion, s'est substitué à un temple plus ancien. Après la réunion de Pisa et d'Élis, on y institua une fête qui revenait tous les cinq ans ; un choeur de jeunes filles offrait à la déesse un péplos tissé de leurs mains et dans une course, fournie par elles en tunique courte et cheveux épars, elfes se disputaient des prix qui consistaient en couronnes d'olivier et en morceaux de viande provenant des vaches offertes en sacrifice1". La cella du temple renfermait avec beaucoup d'autres offrandes, pour la plupart des chefs-d'œuvre de la sculpture archaïque, le fameux coffret de Kypsélos décrit par Pausanias 16. Les dons continuèrent de s'y accumuler durant les siècles; c'est àl'Héraion qu'appartenait la statue de l'Hermès de Praxitèle, que les fouilles ont rendue au jour. Peut-être doit-on rattacher cette offrande au culte d'IIéra Anlmonia dont le sens et l'origine sont obscurs, mais qui avait pour pendant celui de Hermès Parammon 17. A Élis même, la religion de Héra avait le caractère guerrier que nous avons déjà constaté à Argos; la déesse y était invoquée sous les vocables d"O7 aocu(a et d"`17;7c(a et l'au tel qui lui était élevé à ce dernier titre faisait face à un autel de Poseidon Une tête de Véra en pierre calcaire du pays a été découverte entre la palestre et la muraille ouest de l'Anis". JUN 671 JUN Cette tête (fig. 4161), dont le nez est mutilé, mesure 54 centimètres de l'extrémité du menton au sommet du polos dont elle est coiffée; les traces d'un voile sont visibles encore et suffisent, si l'on tient compte du lieu où la trouvaille a été faite et des caractères saillants de la physionomie, pour qu'on y voie une tête de Héra. Cependant il serait aventureux de prétendre qu'elle appartenait à la statue exposée à la vénération dans la cella, statue dont l'existence nous est d'ailleurs affirmée par Pausanias'. Peut-être est-ce à Hermioné, ville fondée dans le Péloponnèse par les Dryopes2, et à Caryste en Eubée3, qu'il faut chercher les manifestations de la religion de IIéra dans sa naïveté populaire. A Hermioné existait un sanctuaire en l'honneur de Héra Parthénos ou Teleia, et la ville aurait reçu son nom de l'union qui, pour la première fois après leur départ de Crète, fit de la déesse l'épouse de Zeus. Auprès (le la ville se dressait le mont Thornax (Udpvu60at saltare) en face du mont Prôn; l'une des hauteurs avait recel un autel de Zeus, l'autre un autel de Héra; là, sous les traits d'un coucou trempé par la pluie, le maître de l'Olympe aurait conquis son épouse. Or, sur la montagne qui surplombait Caryste en Eubée, montagne qui s'appelait Ocha ou Ochés (ce qui signifie salles), et où était érigé également un autel en l'honneur de Zeus, la légende racontait que le dieu avait polir la première fois goûté les faveurs de IIéra' Welcker suppose ingénieusement (lue les indigènes voyaient l'image de la déesse dans les pics élevés et celle du dieu dans les nuées qui les enveloppaient pour annoncer et apporter la pluie Il est probable qu'une allusion à ce conte populaire subsiste dans le nom de la cité fantastique de Nephelo coccygie (xdxxu; coucou) fondée par les Oiseaux chez Aristophane : le coucou est l'oiseau qui annonce au printemps les pluies fécondantes G. Sophocle mentionne, lui aussi, en Eubée une grotte (vvp,utxov 'E)uép.tuov) où Zeus s'était uni à Héra et où plus tard fut rendu à la déesse un culte sous le vocable de Parthenos7. Ces légendes sur le mariage sacré, que nous retrouverons encore dans leur expression champêtre à Samos et à Platées, prennent aussi en Attique et en Béotie une allure bourgeoise et même aristocratique [nlénos GAMOS] 8. IIéra, compagne de Zeus, y devient le type de l'épouse et de la femme par excellence, la personnification de l'amour dans le mariage (fig. 3835 et 3836) ; par là même elle est la protectrice de la jeune fille, de la mère et, comme Démèter à Athènes, une des personnifications les plus éminentes de lavie sociale °. A Athènes, le plus ancien temple qui lui ait été consacré sous le vocable de TeaEta est un temple sans portes ni fenêtres, situé sur la roule de Phalères, qui fut brûlé pendant l'expédition de Mardonius et reconstruit après la guerre ; on y plaça alors une statue d'Alcamène': et comme le mariage primitivement était mis par la religion indigène sous l'influence de Démèter, qui présidait aux Thesmophories, le temple de Héra, dont les pratiques semblaient faire double emploi avec ces fêtes, tout comme Héra n'est elle-même à certains égards qu'une doublure de Démèter, était fermé pendant la célébration des Eleusinies 11. C'est la mention des Thesmophories qui, chez Aristophane, amène celle de Héra Teleia « qui détient les clefs de la chambre nuptiale ». Ajoutons qu'il est question de prêtresses chargées spécialement à Athènes du culte de Héra32. Cependant ce sont les frises du Parthénon et du Théseion 13 qui témoignent avec le plus de force de la faveur dont jouit dans cette ville la religion d'Héra considérée comme l'épouse de Zeus et la protectrice de la femme dans le mariage. Peut-être Phidias fut-il l'auteur d'une statue de la déesse ; il est certain du moins qu'il la représenta sur le piédestal de la statue du Zeus d'Olympie; nous ne savons rien de plus sur ces deux ouvrages en ce qui concerne IIéra1«; mais des deux bas-reliefs que Phidias consacra à l'union sacrée dans les temples décorés sous sa direction, on peut dire qu'ils expriment exactement l'opinion de l'Attique sur le rôle de IIéra dans lareligion nationale. Le premier nous montre la déesse groupée avec Zeus sur un trône ; auprès d'eux est debout une divinité féminine dans laquelle on a vu tantôt Niké, tan tôt Hébé, tantôt Iris ; nous avons dit ailleurs [IRIS] pourquoi cette dernière opinion nous parait la plus probable. La figure de la déesse assise a malheureusement beaucoup trop souffert pour qu'on puisse conjecturer ses traits: pour le surplus, elle a toute la majesté qui convient à l'épouse de Zeus; les bras nous rappellent l'épithète homérique et le geste avec lequel elle soulève son voile, comme pour révéler toute sa beauté, est plein de grâce et de noblessei5. La frise du Théseion où IIéra est représentée avec Zeus et Athéna répond aux mêmes préoccupations ; si les deux monuments nous l'offrent surtout comme Qaat),Elu, vocable sous lequel nous savons qu'elle reçut un culte à Athènes, l'un et l'autre font allusion à sa qualité de TEad[a et évoquent le souvenir du mariage sacré. Cette même légende inspire les cérémonies dont elle est l'objet en Béotie; à Thespies, où son culte remonte JUN fit JUN aux temps les plus anciens, puisqu'il y est fait mention d'une souche équarrie sans aucune apparence de forme humaine, comme de l'idole en laquelle elle était primitivement honorée' ; plus particulièrement à Platées où Véra surnommée Citheronia était célébrée par une fête spéciale2 [HAIDALA]. Une image en bois représentant une fiancée et appelée Daidalé était portée en procession par les femmes de Platées depuis le Cithéron jusqu'au temple, où la déesse recevait d'ordinaire les hommages en qualité de vulltciutuou.sn 3, la fiancée, et de TE),E?z, l'épouse. On y sacrifiait un taureau à Zeus, une vache à Héra, puis l'image était dressée dans le temple. Cette cérémonie était annuelle et propre à la seule ville de Platées ; il y en avait une autre qui revenait tous les sept ans, à laquelle prenaient part toutes les villes confédérées au nombre de quatorze s ; chacune y était représentée par une idole spéciale; finalement, toutes les images ensemble étaient brûlées sur le Cithéron. On expliquait aussi le nombre des idoles par celui des années qui s'écoulaient d'une fête à l'autre, de sorte qu'on s'en servait pour supputer le temps. La souche de Thespies n'était elle-même que la plus ancienne des daidala5. La légende attribuant à Dédale, l'artiste fabuleux, une image de Iiéra qu'il aurait sculptée pour Argos', un rapport entre ces diverses pratiques est d'autant plus probable que la cérémonie du mariage sacré qu'elles représentent est commune à tons les centres où le culte de la déesse était florissant. De même flu'à Argos la vénération accordée aux vieilles idoles de Héra 'Axo .(z aboutit au chef-d'oeuvre dans lequel Polyclète a idéalisé ses traits, ainsi à Platées la religion de Héra Teleia devait trouver son interprétation artistique par le ciseau de Praxitèle, qui paraît être de tous les sculpteurs grecs celui qui a le plus fait pour la représentation de Iiéra 7. Et même la difficulté que l'on rencontre à mettre sur le compte du célèbre Praxitèle les oeuvres diverses qu'un artiste de son nom aurait consacrées à la déesse, a conduit certains historiens de l'art à supposer un Praxitèle l'Ancien, d'un demi-siècle antérieur, qui serait l'auteur de l'une au moins des statues signées de ce noms. Quoi qu'il en soit de cette dualité, l'oeuvre capitale fut la Héra Teleia, vénérée au temple de Platées'. La déesse était représentée debout, plus grande que nature, en marbre pentélique. On a tenté d'en reconstituer le type, grâce à des monnaies de Platées (fig. 1.163) qui nous en auraient conservé la tête, de profil et de face 10 ; puis à l'aide de statues, aujourd'hui à Rome, qui en seraient ou des imitations ou des reproductions. Mais les monnaies sont d'une époque où les artistes transformaient avec une grande liberté les têtes divines que leur offrait la statuaire; et les déductions qui rattachent les statues elles-mêmes au modèle aujourd'hui perdu de l'Héra Teleia par Praxitèle ne sont pas assez rigoureuses pour exclure toute contradiction. C'est d'abord la statue colossale (fig. 41641), aujourd'hui placée dans la rotonde du Vatican et qui est connue sous le nom de Junon ou Héra Barberini". La déesse est représentée debout, la couronne en tête; la statue porte sur la jambe gauche, la droite légèrement infléchie en arrière ; le bras droit levé s'appuyant sur le sceptre et la main gauche qui tend une patère sont des restaurations justifiées. La tête a été donnée comme le type de l'idéal gracieux et aimable , dans les représentations de Héra; mais elle est d'un autre marbre que le reste et l'exécution inférieure à celle des draperies. L'attribut restitué de la patère est celui qui distingue Héra Teleicé. Les statues qui ont été rapprochées de la HIéra Barberini et qui méritent d'être mentionnées ici sont" 1° une statue de la villa Borghèse dont la tête est sans couronne et les cheveux retenus par une bandelette; l'attitude et les attributs sont les mêmes et l'expression des plus gracieuses"; 2° une statue du Musée du Capitole, d'ordinaire identifiée avec 'Artémis-Hécatè ou avec Démèter, à cause du flambeau que tient la main droite ou des épis placés dans la gauche; ruais ces attributs sont de restitution postérieure ; la tête est un portrait, celui de Crispins ou de Lucilla'-; 3° une statue provenant des fouilles d'Ostie, actuellement au Vatican; la tête, le cou et les bras ont été également restitués avec l'intention d'en faire une Démèter 10 Un trait leur est commun à toutes et les ramène au type de la Iléra Barberini, dont elles ont l'attitude générale : la tunique rattachée à la hauteur de l'épaule droite tombe de manière à laisser nus et le bras droit en entier et l'avant-bras gauche, puis t'épaule gauche jusqu'au sein ". Overbeck en a rapproché un bas-relief de sarcophage, provenant de Monticelli, aujourd'hui à Saint-Pétersbourg, dont la JUN figure centrale représente sans conteste Héra l'aida (Juuo l'ronuba), qui procède à l'union de deux époux devant un autel allumé'. La déesse y est représentée (fig.4165) avec l'expression de douceur aimable que lui donnent certaines monnaies de Platées ; elle porte en tête la couronne ; l'ample tunique retenue par l'épaule droite découvre non seulement les bras, mais les épaules et même le sein gauche : c'est la raison pour laquelle l'éminent interprète y voit la reproduction du type grec de Véra Teleia, les Romains abandonnés à leur inspiration propre ayant soin de draper sévèrement la déesse, surtout dans la plus auguste de ses fonctions (voir plus loin, fig..4169). Si la conjecture est exacte, il n'y a pas de représentation antique qui suggère davantage l'idée de Iléra Teleia, sculptée par Praxitèle pour le temple de Platées. Quittons la Grèce continentale et suivons les traces du culte d'Héra dans les îles de la mer Egée ; elles y sont nombreuses mais c'est à Samos, à Lesbos et en Crète qu'elles méritent surtout de nous arrêter. Du temps d'Ilérodote, le plus grand temple qui eût été élevé à cette déesse se trouvait à Samos 3 ; on en attribuait la fondation aux Argonautes ; tel qu'llérodote l'a connu, tel qu'il resta célèbre dans toute l'antiquité, il était issu des munificences du tyran Polycrate qui l'avait restauré et agrandi'. Le rayonnement de la religion de Samos sur les îles et sur la Grèce elle-même était tel que d'aucuns prétendaient que Héra était née à Samos et que de là son culte s'était répandu sur le reste du monde Cependant l'image même qui la présentait à la vénération dans le sanctuaire, était venue d'Argos avec Jason et on l'honorait sous le vocable d'Argienne. La tradition veut que cette image ou plutôt ce symbole n'ait été à l'origine qu'une simple planche (cavf,) ; ce fut Proclès, fils de Pityreus, qui, aux temps de la migration ionienne, y substitua une idole à figure humaine, laquelle fut remplacée elle-même par une statue en bois du sculpteur Smilis'. Cette dernière nous a été conservée par deux types de monnaies samiennes, les unes datant de l'autonomie de l'île, les autres de la domination romaine sous l'Empire 8. Le plus ancien nous montre lléra seule, de profil, V 673 JUN le modius en tête, drapée dans une longue tunique; ses mains sont tendues en avant et soutenues par des supports; sur les monnaies frappées sous Vespasien, la même figure est accostée de deux paons'. Un autre type, également ancien, représente Aéra de face, avec tous les caractères d'une idole informe, grossière ment drapée dans une tunique et un manteau fig. 1166 f0. En plus du modius, la tête est couverte d'un voile très ample qui retombe de chaque côté comme une auréole massive; les mains, soutenues comme dans le type précédemment décrit, tiennent Fig. 4166.Héra de chacune une patère. Ailleurs, cette Samos, image est placée dans une édicule ", parfois accompagnée d'un autre personnage qui est ou l'empereur régnant, ou la prêtresse du temple ou la déesse Ilébé12. Les villes qui furent ou colonisées par Samos ou en relations avec cette ville nous offrent des spécimens de monnaies analogues : à Périnthe, nous trouvons la lléra de Smilis placée à l'avant d'un navire' 3; elle figure également sur les monnaies d'Apamée et d'llypaepa'': cependant il est possible que, pour cette dernière ville, l'idole représente Aphrodite et non Héra, (d'autres disent Artémis, identifiée avec la divinité phénicienned'Anaïtis), car Tlypaepa était réputée pour la beauté de ses femmes, ce qui la place sous la protection d'Aphrodite'. Varron, qui nous apprend que la statue de Aéra à Samos était costumée à la manière d'une fiancée (habliu nubentis), ajoute que les cérémonies dans lesquelles on la vénérait avaient le caractère d'une fête nuptiale : nuptiaruln ritu 1G, c'est-à-dire que les Samiens avaient transporté dans le culte de leur déesse favorite les usages et les symboles qui caractérisaient chez eux la célébration du mariage en général. L'union sacrée avec Zeus devient ainsi, tout comme à Argos, à Platées, à llermioné, à Caryste, ailleurs encore, le prototype de toutes les unions maritales''. Chez la plupart de ces peuples survivait la mémoire des temps où il était d'usage pour le fiancé de ravir sa future épouse dans la demeure de ses parents". De là les cérémonies où l'on feignait de cacher l'image de la déesse pour la chercher ensuite avant de procéder au mariage. A Samos, on racontait que Aéra avait été aimée en secret par Zeus avant que leur union fût solennellement consacrée ; c'est pour cela que l'idole de la déesse était portée vers le rivage de la mer et cachée dans un buisson de lygos (agnus castes) ; puis les femmes feignaient de la retrouver pour la replacer sur son piédestal au temple". Le lygos est une plante symbolique qui signifiait la virginité ; elle figurait au même titre dans les Thesmophories athéniennes20. A Samos, la virginité de Héra avait fait donner à l'île son plus ancien nom de Parthénia, et à la divinité elle-même le surnom de Parthénos 21. A Nauplie, où le mariage sacré était célébré 85 JUN -671JUN dans des conditions analogues, on y préludait en faisant prendre à la statue de Héra un bain mystique qui était censé lui rendre sa virginité'. Ailleurs, on commentait par des sacrifices (7~po;É),Eta, 71poyâp.t2), pour lesquels on avait soin d'enlever le fiel des victimes avant de les offrir sur l'autel', sans doute pour marquer que toute cause de mésintelligence et d'inimitié (levait au préalable être éliminée des relations entre époux. A Samos, on faisait au couple divin une offrande de gâteaux qui rappelle la confarreatio dans le mariage romain En poursuivant l'historique du mariage sacré à travers tous les centres oiù le culte de Héra était particulièrement en honneur, on constate qu'il n'est point de pratique qui, usitée dans les cérémonies du mariage, ne se retrouve transportée ici ou là dans la célébration de l'union de Zeus et de Héra. Une remarque qui s'applique à toutes, c'est que la personnalité de Zeus, si éminente qu'elle soit, y passe au second plan". Le h ÉROS GAMOS est la fête de IIéra, et souvent même il porte simplement ce nom : `IIp«ïa, `Hpxrta, `Hpfita; le mois où il est célébré s'appelle en divers lieux `Hpxatoç, `Hpaïos. A Athènes, le mois Pap.r1),(nv, oùse font surtout les mariages, est consacré à Iléra'. Tandis qu'à Samos, à Platées, etc., nous notons comme des actes préparatoires à la cérémonie principale la recherche de la fiancée et le bain que l'on fait prendre à son image, nous trouvons ailleurs la mention du cortège qui, soit sur un char attelé de bœufs ou de génisses, soit sous forme d'une théorie de jeunes filles, escorte l'épousée ; dans le dernier cas, on se livre à des danses et à des chants accompagnés au son des flûtes devant la couche (xX(v•q yautr.-1) où repose la divinité'. Les fleurs qui figurent dans le culte de IIéra, et celles qu'à Argos on cueillait sur les bords de l'Astérion, et celles dont à Sparte on tressait en l'honneur de la déesse la couronne nommée 7tuXEoly, sont empruntées de même au rite du mariage7. Peut-être même que les pratiques et les fables qui en certains lieux associent Héra à la culture des céréales etau labourage, procèdent des mêmes idées. Ainsi les ZEUXIDIA que l'on célébrait à son intention à Argos et l'offrande des épis, appelés «fleurs de Héra » , s'interprètent naturellement par des idées d'union et de fécondité'. Si IIéra s'appelle Tsas(c(, PoginjX:«, h«p.ornr aoç, on rencontre également les vocables de Zuy1z, de Euruyia : en tout état de cause, plus que Démèter, dont l'intervention dans la vie maritale est surtout limitée à la région athénienne, IIéra est pour tous les peuples de race hellénique, en vertu de la légende du mariage sacré, que ces cérémonies rappellent chaque année avec éclat à Argos, à Platées, à Samos, etc., la divinité qui préside à l'union des sexes par la consécration religieuse. Nous possédons un groupe en terre cuite (fig. 4167) provenant de Samos, d'un caractère archaïque, qui se rattache à cette célébration du mariage sacré dans le temple de IIéra'. Sa signification résulte moins des figures elles mêmes que du lieu oit elles ont été découvertes. Ce groupe représente le couple divin assis sur un trône, dans l'attitude raide des xoana primitifs ; Zeus y est aisément reconnaissable et sa présence détermine celle de Héra. Celleci, à part le voile qui a de frappantes analogies avec la coiffure que lui donne la statue de Smilis, est dépourvue de tout autre attribut caractéristique. Une autre figurine représente Véra seule, dans un costume analogue à celui du groupe précédent, avec cette différence que le voile recouvre un polos dont il marque les contours et que les cheveux sont ramenés sur le front en boucles légères. Une figurine qui provient d'Argos 10 est plus mouvementée et plus soignée dans les détails du visage, du costume et des mains; l'un des bras est replié sur la poitrine, l'autre retombe jusqu'au genou. Le voile descend de droite et de gauche sur les épaules, pour confondre ses plis avec ceux de la tunique et du manteau. Malgré ces différence-, la parenté des terres cuites de Samos et de celle d'Argos est manifeste et témoigne en faveur d'un culte identique. Ajoutons enfin que parmi les symboles particuliers à Héra de Samos figure au premier rang le paon "(fig. 4168). Les raisons qui ont fait placer cet oiseau venu d'Orient, à une époque d'ailleurs assez récente, parmi les attributs de cette divinité. ne sont pas très claires. Celles que l'on a tirées de la légende d'Argus aux cent yeux 19, gardien d'Io, sont simplement ingénieuses et forgées par la poésie savante d'Alexandrie, d'où elles ont passé dans la poésie romaine. Peut-être le paon fut-il simplement considéré à l'origine comme un emblème de grâce majestueuse; le hasard de l'importation l'ayant d'abord donné à Samos, il fut propagé vers l'Occident avec les souvenirs du culte à l'ombre duquel il s'était multiplié ". Sur les monnaies et dans les fresques campaniennes, il sert à varier les représentations de IIéra, soit qu'il figure à ses pieds (fig. 4179), scinque seul ou par couple les artistes l'attellent au char qui traîne la déesse. Pour les îles de l'Orient autres que Samos, il nous suffira de rappeler sommairement les faits qui attestent la faveur du culte de Héra. En Crète, cette faveur était si grande que quelques-uns plaçaient dans cette île le berceau même de la religion d'Iléra; un mois de l'année y portait son nom et l'on y commémorait le mariage sacré''; son nom s'y rencontre dans une formule de IG~L,1 } „LuP i 1441+ '~~1114u1!11 1''!II"' 1~'41141~I1S1 f~il~;~e01111i11~1~11 111V1 JU1 675 JUN serinent solennel; enfin des monnaies, l'une de Crosse et l'autre d'Aptéra, y consacrent ses traits. La première est du type que l'on rattache d'ordinaire à la statue célèbre de Polyclète; la seconde, d'une originalité très élégante, avec des cheveux ondulés et des pendants d'oreilles, ne rappelle aucun type connu', A Égine, les fêtes de Héra donnaient lieu à des sacrifices appelés IIEKATOIiBAIA, comme à Argos'; à Cos, une monnaie d'Antonin le Pieux porte au revers l'image de Héra voilée, la main gauche appuyée sur le sceptre, la droite tendant la patère, sur un char traîné par deux paons3 ; aux fêtes célébrées en son honneur, on n'admettait que les femmes de condition libre A Lemnos, des fêtes du même genre donnaient lieu, dans le léménos même de lléra, àun concours de beauté [KALLISTF,IA] oit revit le souvenir du jugement de Pâris 5. A Rhodes, un culte de IIéra Telchinia rappelait les liens qui unissaient la déesse à Héphaistos, père des forgerons divins e. Quant à l'Asie Mineure, à l'exception des villes qui, comme Tarsos et Byzance, sont de fondation argienne, il semble que Héra y ait été plutôt délaissée; son inimitié pour Troie est connue'. En revanche, à l'ouest, la Sicile et l'Italie méridionale sont des régions où la religion de Héra se révèle dans la légende, le culte et les monuments figurés presque avec autant d'éclat que dans les centres les plus renommés du Péloponnèse et des îles de la mer Égée. Citons d'abord les traces de Héra hellénique sur les bords du Timareus, au pays des Vénètes; elle y avait un temple entouré de parcs d'animaux, parmi lesquels figuraient des loups apprivoisés 8. A Corcyre, on sent l'influence de Corinthe : la légende de Héra y est mise en rapport avec celle de Médée 9. La plupart des villes de la Sicile, Syracuse, Akras, Métaponte, Agrigente, avaient élevé des temples à la déesse '0; l'une des métopes conservées du plus récent temple de Sélinonte représente l'union avec Zeus (fig. 4169), et une inscription de même provenance mêle son nom à la formule du serment ". Sur la métope, Zeus est représenté assis sur un rocher ; le haut du corps est nu. IIéra est debout devant lui dans une attitude pleine de fière assurance. Son mouvement, si imposant qu'il soit, n'a rien de la vierge timide mise pour la première fois en face de son époux. Le groupe entier, pour me servir des expressions de Welcker 12 et d'Overbeck, respire une énergie puissante, des sentiments de vivacité joyeuse chez Zeus et l'admiration pour la beauté révélée. Peut-être l'auteur de la métope se proposait-il moins de représenter le mariage divin dans sa gravité mystique que d'idéaliser à sa façon la scène célèbre du xiv° culant de l'Iliade13. L'impression qui se dégage d'une fresque de Pompéi (fig. 3835), qui a avec la métope de Sélinonte une parenté manifeste, est toute différente. Les monnaies d'Himéra, de Tauromenium, de Thermae et de Panorme, consacrées à Héra, n'ont rien de particulier; les premières toutefois sont à rapprocher du célèbre type argien que nous avons aussi signalé en Crète"Nous retrouvons des monnaies à l'effigie de Héra dans plusieurs villes de la Grande Grèce; les plus remarquables s'inspirent du culte de IIéra Lacinia'°. Sur le promontoire de ce nom, la déesse possédait un sanctuaire dont les peuples de l'Italie méridionale avaient fait, dès la plus haute antiquité, un rendez-vous politique et religieux1e Bientôt même c'est ce temple qui fut comme le point de contact par excellence entre le culte de Héra hellénique et celui de Juno romaine; peut-être même, par les Carthaginois, s'y mêla-t-il des éléments phéniciens. La fondation de ce temple au voisinage de Crotone était attribuée par les uns au héros éponyme des Phéaciens de Corcyre, par les autres à Iléraclès; une légende la mettait en relation avec les Éacides : le jardin de IIéra, disait-on, était un don de Thétis et les femmes en vêtement de deuil y pleuraient la mort d'Achille ". Autour du temple s'étendaient des bois de pins et de vastes pâturages oit l'on élevait des troupeaux de vaches qui constituaient un des grands revenus de ce culte. Cicéron parle d'une colonne votive érigée avec le produit de ces vaches 18 ; au sommet était placé l'animal symbolique de la déesse en or massif. Dominant au loin l'Adriatique, la mer Ionienne, il n'est pas étonnant qu'Iléra Lacinia fût invoquée comme une divinité de la navigation ; un de ses autels avait le privilège de aimer les flots"; enfin, comme à Élis, à Samos, à Argos, sa personnalité prenait un caractère guerrier 20. A ces divers titres, la richesse et l'éclat du sanctuaire Lacinien devinrent célèbres jusqu'aux rives de l'Afrique; Ilannibal, retrouvant dans Héra une divinité punique, lui fit élever un autel avec une inscription bilingue qui JUN 676 JUN énumérait ses grandes actions; Pyrrhus, venu au secours des Tarentins, y laissa, lui aussi, un témoignage de sa piété. Lorsqu'en l'an 174 av. J.-C., M. hulvius Nobilior crut pouvoir dépouiller, au profit d'un temple qu'il avait luimême voué à Rome, celui de Héra Lacinia d'une partie des plaques de marbre qui en formaient la couverture, le sénat força ce magistrat à les rapporter, mais on ne réussit pas à les replacer dans l'état primitif'. La tète de Héra Lacinia nous a été sûrement conservée par une série remarquable de monnaies de Crotone (fig. 4170), de Pandosia, d'Iliméra et de Veseris en Campanie 2 : la déesse y est représentée de face, la couronne sur le front, les cheveux formant comme une auréole tout à l'entour de la face ; son expression ordinairement est dure, presque sauvage, comme il convient à une déesse guerrière. Une tête colossale conservée à la bibliothèque Saint-Marc de Venise et dont la couronne est ornée de griffons a été, par des arguments suffisants, identifiée avec ce type; toutefois la bouche dédaigneuse et le relèvement des paupières inférieures propre à certaines figures d'Aphrodite, n'ont rien de l'expression fière et dominatrice qui caractérise sur les monnaies de Crotone Véra Lacinienne 3. Mythologie et attributions. La mythologie de Iléra a ceci de particulier, que plus que pour toute autre divinité il convient de distinguer d'une part entre les fables primitives, issues de l'imagination populaire et consacrées par les plus anciens poètes, et d'autre part les légendes factices que les épopées locales ont greffées sur elles, et qui dans l'art n'ont guère été exploitées que par la peinture de vases 4. Il faut même dire davantage : lorsque l'on compare l'ensemble des traditions historiques relatives à Héra, telles que nous venons de les passer en revue, avec la physionomie qu'lloanère a donnée à la déesse dans l'Iliade et que lui ont conservée la plupart des poètes postérieurs, on s'aperçoit aussitôt que l'épopée ionienne et éolienne, en dépit de sa haute antiquité, a plutôt faussé le caractère originel qui est aussi le caractère national de notre divinité. Écartons d'abord toute la série des épisodes légendaires dont le thème initial est la jalousie de Aéra à raison des infidélités de Zeus. Les uns n'ont d'intérêt qu'au regard de la mythologie poétique, qui n'a même pas réussi à les faire passer sur le tard dans la religion populaire; les autres sont la transformation factice de mythes primitifs, dont ils altèrent le sens en rabaissant le conflit des forces cosmiques au niveau de querelles domestiques; les ménages princiers, dès la guerre de Troie, y fournissaient de nombreux exemples. Les plus importants de ces épisodes ont leur place naturelle dans les articles consacrés aux héros ou héroïnes qui y jouent le principal rôle; tel est le cas de la participation de Héra à la Gigantomachie, de son inter vention dans les mythes d'Iléraclès et d'lléphaistos, de ses relations avec les Argonautes, avec Hébé, Io, Iris, Médée, Sémélé, Pâris, etc. Nous ne retiendrons ici de la mythologie de Véra que ce qui est indispensable à l'intelligence de ses attributions dans le culte et à l'influence que par elles sa religion a pu exercer sur la vie publique et, privée des Grecs. Réduite à ces termes, cette mythologie est fort simple; tléra est une fille de Cronos et de Rhéa, la soeur puis l'épouse de Zeus, dont elle partage la majesté et la puissance 6. C'est cette dernière qualité qu'Homère dans l'Iliade (il est à peine question d'elle dans l'Odyssée) excelle à mettre en relief' ; et même le portrait qu'il en a tracé est loin d'avoir la grande allure que le poète donne à Athéna par exemple ou à Apollon. Dans ses rapports avec Zeus et les autres dieux, elle est jalouse, prompte à la dispute ; elle se ligue volontiers contre son époux avec ceux des Olympiens qui contestent sa puissance 7; acharnée contre Héraclès et Dionysos, les bâtards divins 8, elle use de ruse pour satisfaire ses ressentiments et contrecarrer les projets de Zeus'; souvent morigénée et même maltraitée par lui, elle tremble à l'occasion et se tait comme une femme prise en faute" : une ironie discrète, inspirée au poète par la condition même des ménages héroïques que troublent des amours irrégulières, a présidé à cette peinture. La majesté de Véra chez Homère réside dans les épithètes qui peignent sa beauté sévère, dans le détail des circonstances oà s'exerce son action sur l'Olympe et sur les affaires humaines ; la chute même de Troie qu'elle poursuit, en ressentiment du jugement dePâris, n'est pas son oeuvre, mais celle de la destinée; et les châtiments qu'elle subit dans sa personne et dans celle de son fils Iléphaistos sont présentés avec l'intention évidente d'amoindrir son prestige. C'est (lu'Ilomère, poète de la race ionienne, n'a entrevu qu'à travers les idées de sa patrie une religion venue de la Thessalie et du Péloponnèse; cette religion, sur les côtes de l'Asie Mineure, n'est jamais devenue populaire. Aussi, à ce point de vue, l'Iliade est-elle en désaccord avec le sentiment général des Grecs du continent et des îles qui ont fait à Héra une place éminente 11 Cependant Homère a subi l'influence achéenne lorsqu'il a fait d'elle une divinité aristocratique et même guerrière, alors que par ses origines elle était plutôt rustique et familiale. Héra dans l'Iliade, mère d'Arès, s'associe à Athéna dans une animosité vigoureuse contre les Troyens, ce qui fait dire à Zeus qu'elle les dévorerait volontiers jusqu'au dernier72. C'est bien la déesse qui, dans les principaux centres de son culte, même quand les préoccupations féminines y sont dominantes, est surnommée `07),oau.ix, Aa~sxv8poÿ, Too-rxlx, et que l'on y vénère à la fois par des cérémonies guerrières et par des pratiques empruntées à la vie opulente de l'aristocratie comme à Argos, à JUN 677 JIJN Olympie, à Égine, à Samos, à Crotone'. Welcker a très justement remarqué que le culte de Héra, d'abord fixé sur les hauteurs, descendit peu à peu dans la plaine avec le progrès de la sécurité et de l'organisation politique, et qu'en émigrant des campagnes vers les villes, sans cesser d'être une divinité de la nature et du foyer, elle devint et la reine des dieux et la divinité de la noblesse guerrière, dépouillant-son caractère rustique au profit de Caca et de Démèter avec lesquelles son être offre d'abord les plus grandes ressemblances 2. Les chants héroïques en l'honneur d'Achille et des Myrmidons ne lui donnèrent pas seulement la majesté royale, la digne prestance de l'épouse, souveraine dans l'État comme elle l'est à son foyer ; ils embellirent encore la célébration de ses fêtes par l'élément guerrier qui faisait l'éclat de leur vie de combats et d'aventures. C'est ainsi qu'à l'aurore des temps historiques, grâce à cette influence des Achéens qui imposèrent leur divinité nationale aux Doriens immigrés, IIéra concilia dans son être les qualités et les prérogatives en apparence opposées, la grâce et le courage, le charme et la majesté, la ruse et l'esprit de domination. Avec Aphrodite, mais autrement qu'elle et avant elle, Héra est un des types de la beauté féüuinine3; et même chez les Spartiates, les deux personnifications se fondent en une seule, par le culte de Véra-Aphrodité, divinité à laquelle les mères sacrifiaient quand elles mariaient leurs filles'. D'ordinaire, ces deux divinités s'opposent en ce que la beauté de Héra inspire le respect plutôt que le désir ; Ilomère l'appelle vénérable; dans le jugement de Pâris, le prix lui échappe, non parce qu'elle est moins belle, mais parce qu'elle désespère la passion. Elle a la grâce imposante et royale, la dignité qui a conscience d'ellemêlne6, un mélange de gravité maternelle et de charme virginal'. On a remarqué avec raison que si la légende lui donne Ilébé pour fille, les Charites d'abord pour filles, ensuite pour compagnes, elle a aussi pour fils Arès et IIéphaistos 7. C'est par ce mélange de séduction et de force qu'elle dompte son époux divin et qu'elle endort, le cas échéant, sa prévoyance'. Pour caractériser à la fois le charme physique et la fascination morale qu'elle produit, Homère a deux épithètes : elle a le teint blanc et brillant qui frappe surtout dans ses bras nus, ),Euxd)Evo;, et elle est 13ow r;ç9. Pour les uns, ce dernier qualificatif signifie simplement qu'elle a les yeux grands et très arrondis; pour d'autres, qu'il y a dans son regard le signe de la force indomptable et tranquille qui brille dans le regard du taureau, et cette expression spéciale, ainsi que le démontrent les chefs-d'oeuvre de la statuaire, viserait plutôt la position des yeux que leur forme. Over beck, qui a discuté la question à fond, a montré d'abord que IIéra n'est pas seule appelée j3omrt; par Ilomère et par d'autres poètes grecs 10; ensuite que (3oi;)r.~, n'est pas un synonyme de rxuplatç, et qu'enfin, s'il faut l'interpréter comme l'exige l'usage, par l'oeil de la vache, cela doit signifier que Iléraa le regard profond et immobile, le contraire de celui qu'on appelait h atx i tç, lequel implique une mobilité rieuse et sensuelle; c'est le regard rêveur en même temps que séduisant, plutôt doux que sauvage, l'oeil que les Italiens appellent occhio pesante, qui nous séduit dans le buste de la Véra Farnèse, dans celui de la Héra Castellani 11 ; c'est celui qu'a souligné jusqu'à l'exagération le peintre qui, dans la fresque de la maison du poète à Pompéi (fig. 3835), a représenté la déesse, au moment où Iris l'amène à Zeus12, pudique et effarouchée, pour l'union sacrée. C'est lui aussi qui fait en partie la beauté de la tête de la IIéra Ludovisi. En ramenant l'épithète de (3oà rtg à son point de départ, il est possible d'y voir à la fois et le souvenir de la vache, animal symbolique de la déesse, et l'idée de la lune, ce grand oeil de la nuit, dont IIéra est pour la mythologie récente une personnification : Roscher, qui a défendu ce système, remarque que Séléné est, elle aussi, appelée (3ocÛ7rtç f3. En tant qu'épouse de Zeus et chef-d'oeuvre de la beauté féminine dans son expression la plus élevée, Héra est la protectrice de la femme à tous les âges et dans toutes les conditions de son existence; elle est invoquée dans toutes ses épreuves, particulièrement dans celles de l'enfantement14. Elle est xoupoirpdy,o;, préposée à la garde et à l'éducation de la jeune fille, qu'elle orne de ses dons, la beauté et l'intelligence. La légende lui a donné pour filles les Charites qui sont à l'origine des personnifications de la grâce et de la force croissantes : Phidias a mis Charis à côté d'elle sur le soubassement du trône de Zeus Olympien 15. Elle a pour compagnes les IIorae qui représentent tout ce que la vie apporte à chaque instant d'agréable et de bienfaisant16 : la statue colossale de IIéra par Polyclète portait dans sa couronne les figures des IIorae .et des Charites 17. Elle a enfin pour compagnes les Nymphes, celles du Cithéron dans le culte de Platées, celles du fleuve Astérion à Argos, qui furent ses nourrices, celles de l'Imbrasos à Samos qui participèrent à la fondation de son temple" : or, si les Nymphes rappellent que le culte de' Héra est issu de préoccupations champêtres, elles sont aussi, à d'autres égards, les protectrices de la jeune fille et les gardiennes de sa beauté ". Enfin Ilébé est la fille de IIéra, en tiers avec elle dans nombre de légendes, comme le démontrent les monuments figurés; citons entre autres un vase (fig. 4171) JUN -678JUN peint représentant le jugement de Pâris, auquel elle assiste debout, appuyée sur l'épaule de sa mère, dont elle reflète la grâce imposante'. Nous avons dit comment en qualité de TE),E(a elle préside au mariage 2, comment dans la cérémonie du capital de son culte, se retrouvent toutes les pratiques, tous les usages en honneur chez les divers peuples pour la célébration des noces : le rapt suivant la coutume primitive, les sacrifices et les offrandes préparatoires; le bain apporté par les vierges loutrophores, la toilette de la mariée, le cortège nuptial. Héra est l'E710a),ap.(77,;, la pronuba par excellence, parce qu'elle est l'épouse idéale 3. Elle remplit ces fonctions dans le cortège des dieux après y avoir figuré comme fiancée. Sur un bas-relief de style archaïque de la villa Albani 4, auquel manquent malheureusement deux figures, nous avons l'assemblée des dieux conduisant Héra et Zeus à la grotte nuptiale. IIéra voilée baisse les yeux pudiquement; sa main droite soulève le voile, la gauche porte le sceptre. Le pendant de cette œuvre nous est fourni par un bas-relief provenant de Corinthe où IIéra remplit les fonctions de pronuba aux noces de sa fille Hébé avec Héraclès; elle y est groupée avec Apollon, Artémis et Hermès, et précède la fiancée, que conduisent Apollon et Peitlto 6. IIéra qui assiste la jeune fille jusqu'à l'instant du mariages, Héra au temple de laquelle les jeunes mariées vont déposer leur voile au lendemain de la cérémonie', est aussi la divinité qui amène à bien le développement du foetus au sein de la mère et qui assiste la femme dans les douleurs de l'enfantement. A Athènes, en Crète et à Argos, elle était invoquée sous le vocable d'Ilithyia8; chez Ilomère et chez Ilésiode, les Ilithyiae sont ses filles9. ILITny'IA, dont le culte est mentionné à Agylla, dans un temple d'origine pélasgique, n'était autre que Héra à l'origine; à Amnisos, en Crète, on montrait une grotte oit, disait-on, Héra avait mis au monde les déesses de la parturition10. Suivant le principe mis en relief par 0. Millier, Ilithyia ne devait être d'abord qu'un vocable, qui, personnifié ensuite, devint une divinité à part". Nous avons mentionné déjà les deux idoles d'Argos, l'une de Héra avec les ciseaux, en qualité d'ôtivia ti ip.oÿ, sage-femme divine1V, l'autre représentée sur un vase de Berlin avec les attributs de l'arc et du flambeau, qui ont la même signification13. Ces fonctions spéciales, la déesse s'en acquitte dans la légende, en hâtant la naissance d'Eurysthée pour retarder celle d'Héraclès, en empêchant Ilithyia d'assister Latone à Délos pour la naissance d'Apollon 14. Socrate, fils d'une sage-femme et faisant profession d'accoucher les intelligences, aimait à jurer par Héra". C'est à ce point de vue surtout que la parenté de la Héra des Grecs avec la Ju no des Latins saute aux yeux ; et Boscher, qui n'a pas eu de peine à démontrer que cette dernière est avant tout une personnification lunaire, s'est servi. de cette parenté pour démontrer qu'il en était de même de Iléra's. Il y a cependant une différence qui tient au génie des deux peuples, au caractère idéal de la poésie et de l'art grecs intimement mêlés aux croyances religieuses, alors que chez les Romains l'être des dieux est surtout lié aux réalités prosaïques de la vie. Juno Fluonia, Pron.uba,Lucina 17, présidant à la menstruation, au mariage et à l'enfantement, a l'allure maternelle ou plutôt matronale qui fait défaut à Héra. On a remarqué justement que l'union sacrée avec Zeus reste stérile dans la légende (une seule tradition en fait naître Hébé)" ; d'autre part, les représentations, à supposer qu'elles soient certaines, de Héra allaitant Héraclès sont récentes 19 ; et l'observation d'un Alexandrin qu'aucun des fils de Zeus ne peut entrer dans l'Olympe s'il n'a teté le sein de Héra, comme aussi la fable de la voie lactée issue du lait de IIéra, sont des fan t.aisies poétiques qui n'ont point d'écho dans le culte et les pratiques populaires20. Ce n'est pas ici le lieu d'entrer dans la discussion des divers systèmes qui, dans l'antiquité et de nos jours, ont tenté de fixer la nature propre et la signification originelle de Héra21. Tous sans exception se fondent sur des considérations étymologiques qui, également plausibles, se détruisent entre elles; il nous suffira de les indiquer. Les théories qui sont à peu près abandonnées par la science sont d'abord celle qui rattache le nom de Véra au radical qui a donné herus, etc., et déduit toutes ses influences de la qualité de maîtresse souveraine22; celle qui, après Platon et les stoïciens, rattache ce nom à .s et fait de la déesse une personnification de l'atmosphère respirable 23; celle enfin qui y voit le principe fécondant et mobile qui, par son union avec Zeus, le principe permanent, active les productions du sol et la propagation JUN 679 JUN de l'espèce, mais qui, entrant en conflit avec lui, se manifeste par des phénomènes de destruction et de division : ce système se recommande surtout du nom de Preller'. Welcker est le plus déterminé des mythologues modernes qui voient dans Héra une personnification de la terre (iFr) et qui explique le isob; y.:10; par l'union de cet élément avec l'air humide incarné dans Zeus 2. La philosophie d'Empédocle et celle d'Épicure en avaient tiré des développements, dont l'écho survit chez les poètes latins3; on connaît les beaux vers par lesquels Lucrèce et à sa suite Virgile' ont célébré la puissance fécondante du dieu des régions éthérées lorsque, sous la forme de la pluie, il descend au printemps dans le sein de son épouse, la Terre. La théorie qui veut que IIéra soit une divinité de la lumière en général, et d'une façon plus spéciale une divinité lunaire, a été entrevue par Gerhard' et défendue, avec un grand luxe d'arguments qui ne sont pas tous convaincants, par Roscher; elle compte aujourd'hui de nombreux partisans 6. Mais elle n'explique d'une manière satisfaisante ni le mariage sacré avec Zeus, ni les mythes qui mettent IIéra en relation avec certaines divinités souterraines, avec les Titans dont elle recherche l'alliance contre Zeus, avec Typhaon et Héphaistos qu'elle engendre sans la participation de Zeus, après que celui-ci a seul engendré Athéna. Au contraire, ces mythes, dont la haute antiquité n'est pas contestable, trouvent dans le système de Welcker l'interprétation la plus simple et la plus naturelle'. Représentations artistiques. Nous avons mentionné à leur place celles de ces représentations qui s'offrent à nous comme les monuments d'un culte déterminé; il nous reste à montrer l'évolution du type de Héra dans son ensemble, depuis les xoana grossiers des premiers âges jusqu'aux oeuvres les plus récentes$. Des plus anciennes il convient de rapprocher quelques figures empruntées à des vases soit authentiquement archaïques, soit affectant les formes de l'archaïsme. A la IIéra du vase Coghill (fig. 4158) et du vase de Berlin, il faut joindre celle d'un vase de la collection Jatta à Ruvo qui représente l'enlèvement des Leucippides°. La déesse, dans l'attitude habituelle des xoana, les pieds joints, et enveloppée d'une draperie aux plis droits, porte le calathos en tête et s'appuie de la main droite sur un long sceptre; la gauche tient une patère 10. Sur le vase de Midias (fig. 2130), au British Museum, le sceptre manque et le calathos est remplacé par une couronne radiée; pour le surplus, c'est la même idolei1 ; Overbeck les a comparées toutes deux avec celle que, sur la frise de Phigalie, embrasse l'une des femmes poursuivies par les Centaures 12 ; d'autres, dans ces diverses figures, ont cru retrouver Artémis. C'est une remarque que suggère le plus grand nombre des représentations de Héra : quand le sens d'une légende est vague, les attributs de Héra sont par euxmêmes tellement peu caractéristiques que l'identification reste incertaine13 Sur les vases à figures noires ", où Héra se rencontre rarement, le voile, qui pourrait surtout la distinguer, manque le plus souvent, alors qu'on le rencontre presque toujours dans les bas-reliefs et les terrescuites d'un caractère archaïque; seul un vase de style ionien nous offre la déesse avec cet attribut, qu'elle relève par un mouvement qu'on a cru à tort parodique". Les vases à figures rouges la représentent d'ordinaire assise sur un trône, alors que les autres la montrent plus souvent debout; le cas le plus fréquent est celui qui la mêle à la scène du jugement de Pâris76; même là elle est difficile à distinguer d'Aphrodite, et les fleurs, dont Gerhard a pensé faire son attribut caractéristique, appartiennent tour à tour à l'une ou à l'autre. Le sceptre est pour elle une exception sur les plus anciens vases; il est la règle sur les plus récents, mais il est donné aussi à toute autre divinité. En somme, ce qui pourrait le mieux la faire reconnaître, c'est le calathos ou la couronne de forme élevée (sléphanos); il semble que cette dernière coiffure soit plus ancienne et que l'autre ait été mise en honneur plus Lard". Parmi les symboles extraordinaires, empruntés à quelque particularité de la légende ou du culte, il faut citer la grenade, la pomme ou le coing qui caractérisent IIéra Jeleia et, plus tard, pour le même objet, la patère ie. Le lion qui marche devant elle dans une des scènes du jugement de Pâris signifie la domination royale 19 ; les ciseaux sont l'indice de ses fonctions d'p.Ï.x)cr1rdtzo;2°; quant aux Sirènes qui furent par le sculpteur Pythodore placées sur la main droite de la statue qu'il fit pour Coronée, le sens en est obscur 21. Il va sans dire que quand lIéra figure sur des vases où est représentée l'assemblée des dieux (et il en est de tous les styles qui nous l'offrent ainsi), le rang de préséance suffit à la désigner. R. Foerster, dans la monographie très complète qu'il a consacrée aux plus anciennes représentations de Héra 22, a fait état d'un certain nombre de vases à figures noires qui seraient, suivant lui, des reproductions idéalisées du £eFô; y4oç 23. On y voit un couple, qui semble héroïque ou divin, sur un quadrige, entouré par des personnages dont il est difficile d'affirmer qu'ils représentent des divinités. Ces vases ne semblent figurer que des scènes nuptiales quelconques, sans aucun caractère mythologique. Il n'en est pas de même d'un vase du Musée de JUN -680JUN Berlin où Héra est assise à côté de Zeus sur un trône, tenant le sceptre ou la lance (fig. 4172); à ses côtés sont Hermès et Dionysos, puis deux déesses qui représentent ou les Moirae dans les fonctions de O217y.sutp(lt, ou Ilébé avec Iris; dans le premier cas, Hermès remplirait lui-même le rôle d'E7•,tO2.111Arlç, vocable sous lequel il était vénéré en Eubée, et Dionysos celui de Ourwodç 1. Les vases peints de style récent 2 nous offrent l'image de IIéra bien ceux d'un caractère ar chaïque. Elle y tient sa place dans les grandes scènes d'effet décoratif où l'Olympe entier est mis à contribution et, avec une prédilection marquée, dans la scène du jugement de Pâris'. Elle y est représentée assise ou debout, voilée ou sans voile ; les artistes traitent cet accessoire avec une liberté de plus en plus grande, de même qu'ils s'ingénient à varier le geste, jusque-là fixé par une sorte de rite hiératique, avec lequel la déesse s'y drape ou le manie. La couronne quitte les formes basses et devient le calathos majestueux les cheveux sont ramenés en arrière et ramassés sur la nuque 3. Ainsi IIéra ligure dans l'épisode d'Apollon et de Marsyas, dans celui de la naissance d'Erichthonios, dans le mythe d'Io, etc. Ce que nous disons des vases peints peut s'appliquer aux fresques de la Campanie et aux dessins sur métal' nous mettons à part la fresque de la maison du poète dont il a été question plus haut et (lui semble une reproduction de quelque oeuvre célèbre. Deux sont particulièrement intéressantes : l'une reproduit la scène du jugement de Pâris avec IIéra au centre, qui soulève le voile l'autre la représente assise sur un trône, dans sa majesté royale, avec le diadème et le voile 8. Sur des fresques de moindre importance, elle est accostée d'un paon ou, comme sur les monnaies, ',rainée par un couple de paons dans un char 9. Sur une ciste représentant le jugement de Pâris, elle est drapée d'un manteau brodé de figures d'oiseaux qui se répètent d'ailleurs sur la tunique d'Aphrodite; un miroir étrusque traitant le même sujet oppose très fortement la fière dignité de IIéra à Aphrodite presque nue et à Athéna simplement digne et paisible l0. Ce que nous avons dit des monnaies d'Argos, de Platées, de Samos, de Cnosse et de Crotone, nous apprend suffisamment; que pour l'histoire du culte de Héra, la numismatique offre les ressources les plus complètes et les plus significatives". En comparant ces monnaies entre elles et en les rattachant à celles des diverses cités helléniques, au temps de l'autonomie et sous la domination romaine, nous constaterons d'une façon générale et la ressemblance des types provenant des localités les plus distantes et aussi la différence dans les types qui proviennent d'une même localité, même quand celle-ci fut le siège d'un culte très nettement caractérisé72. Le plus grand nombre ne nous offrent de la déesse que la tête; les autres, beaucoup plus rares et appartenant presque toutes à la période romaine (il n'y a guère d'exception que pour celles où figure l'idole de Samos12), nous la donnent entière, assise ou debout. Pour les apprécier au point de vue esthétique et les rattacher, quand faire se peut, aux chefs-d'oeuvre de la sculpture, il faut partir de la classification donnée par Overbeck des représentations où s'est développé l'idéal de IIéra en général'. Il y distingue le type sévère, le type majestueux' 3 et le type aimable. Le premier nous est fourni surtout par les monnaies d'Élis et de Crotone 1fi, le second par celles d'Argos, que nous retrouvons à IIiméra sous une forme identique 17, le troisième par des monnaies de provenance variée dont les plus intéressantes sont un tétradrachme d'Eléa au revers duquel est placé un foudre (fig. 4,173) et un didrachme de Cnosse, qui porte au revers l'image du labyrinthe de Crète 18. Sur les monnaies grecques, la, tète voilée est beaucoup moins fréquente que la tète sans voiles ; il en existe cependant du.premier type à Cos, à Ambracie, etc. 19 ; mais les spécimens les plus remarquables en ce genre appartiennent à l'Italie méridionale et à la Campanie 2». A côté de ces têtes de Héra fournies par la numismatique, il convient de citer quelques rares spécimens que nous trouvons sur des gemmes 21. Deux grands carnées, l'un de Paris (fig. 4177i,), l'autre de Florence, rappelant à d'autres égards la tête de Héra Ludovisi, sont du type sévère. La coiffure est le stéphanos, En revanche, une intaille, rappelant IIéra Barberini par Je mélange de la douceur et de la dignité féminines, appartient au type aimable : la coiffure est le diadème bas et l'arrangement des cheveux d'une élégance tout originale 22. JIJN -681 JUN Parmi les figures entières, nous connaissons la Héra de Samos, reproduisant la statue archaïque de Smilis', et la IIéra d'Argos, assise, qui nous restitue la statue chryséléphantine de Polyclète Une monnaie deCosàl'effigie d'Antonin le Pieux représente la déesse voilée, s'appuyant de la main gauche sur le sceptre et tenant de la droite une patère ; elle est traînée sur un char attelé de deuxpaons 3 ; une d'Halicarnasse, debout avec Zeus Ascrai os, entre deux paons`. Sur d'autres une Niké sur la main. Il en est qui la font figurer dans le jugement de PJris5. Une monnaie de Chalcis en Eubée la montre assise sur un rocher, peut-être en souvenir du mont Ochès, où s'accomplit le mariage sacré Les prototypes de ces diverses manifestations de l'art grec au service de IIéra et de sa légende sont à chercher dans les chefs-d'œuvre, statues, bustes, bas-reliefs, de la sculpture. Si nous terminons par eux, alors que chronologiquement ils sont avant, c'est que logiquement ils expliquent et résument tout le reste. Le point de départ nous est donné par le xoanon de Smilis, dont la statue de Samos, au Louvre, peu t être une dérivation 7 ; le type idéal, par les bas-reliefs de l'école de Phidias au Parthénon et au Théseion, par les statues de Polyclète et de Praxitèle 8 ; comme monuments originaux, on ne peut citer avec certitude, outre les frises d'Athènes, que la tête d'Olympie et la métope de Sélinonte ". Pour le surplus, nous sommes réduits à constater que les statues et les bustes certains de IIéra sont peu nombreux, et que pour quelques-unes des œuvres mêmes qu'on s'accorde à identifier avec cette divinité, les marques distinctives sont assez équivoques i0 Nous savons aussi que Polyclète, Praxitèle, Callimaque, ont représenté Héra assise; or, l'on ne saurait affirmer qu'aucune statue nous la rende dans cette attitude ". Envisagées au point de vue du costume, les statues, ou têtes qu'il convient de retenir, sont ou voilées ou sans voile 12. Pour les figures entières, le costume complet se compose de la tunique et de l'himation à manches ou sans manches, qui drape le corps avec ampleur et V. majesté, tantôt en l'enveloppant depuis la naissance du cou, tantôt en laissant les bras et les épaules, jusqu'à la hauteur du sein, à découvert. Ce dernier cas est celui de Héra Barberini et des œuvres dérivées avec elle d'un modèle plus ancien. On a supposé que la statue d'Iphèse t3, aujourd'hui à Vienne, copie d'un original qui rappelle les procédés de l'art attique au milieu du ive siècle, nous restitue ce modèle. L'attitude est la même, mais l'himation couvre entièrement les épaules et, autant qu'on en peut juger, les bras. Un buste colossal du musée Boncompagni (autrefois villa Ludovisi) nous fournit (fig. 4175) le spécimen le plus intéressant de IIéra voilée; le voile couvre la couronne comme dans les terres cuites archaïques de Samos et retombe sur les épaules et la nuque : le cou seul est découvert". Ce costume est celui de plusieurs statuettes en bronze, dont la plus remarquable est à Vienne (fig. 4176). Il faut voir dans les diverses œuvres de ce type des représentations de IIéra 7'eleia, exploitées par les Romains au profit de Juno Regina ou de Juno Pronuba 1G. Elles se retrouvent sur quelques basreliefs parmi lesquels nous nous contentons de citer le basrelief du Louvre qui montre Véra appuyée sur l'épaule d'llébé, devant Zeus assis 16; celui de Héra et d'llébé qui est au Vatican"; celui de Héra sur l'Ara Casali au Vatican i8; et enfin un fragment de sarcophage, aujourd'hui au musée Boncompagni, où Aéra est drapée comme dans le torse d'fphèse et figurée comme dans le bas-relief du Louvre". II est probable que toutes ces représentations s'expliquent par des chefs-d'œuvre grées venus à Rome, chefs-d'œuvre que les historiens se sont bornés à signaler sans les décrire : 86 JIJN 682 JVV une statue de Baton qui fut placée au temple de la Concorde, et une statue de Dionysos qui figurait au temple de Juno près du portique d'Octavie, avec une autre qui avait pour auteur Polyclès 1. En ce qui concerne l'interprétation psychologique et morale des traits donnés par l'art à Héra, il nous suffira de dire, en revenant à la division établie par Overbeck, que l'ceuvre capitale du type sévère est le buste de Héra Farnèse 2 ; qu'il faut chercher l'idéal d'amabilité et de grâce dans la tète du Musée Chiaramonti, aujourd'hui au Vatican, et dans la Héra Pentini qui, pour Overbeck, serait la reproduction de la tête de la statue de Praxitèle, groupée à Mantinée avec les ligures d'Athéna et d'Ilébé3 qu'enfin il n'y a pas d'expression plus complète du type imposant en même temps que de l'idéal de IIéra sous ses divers aspects suivant l'opinion des Grecs, que la tête colossale dite Héra Ludovisi (fig. 4178). La Héra Farnèse (fig.4i177) en marbre grec, est la reproduction d'un original en bronze, comme le prouve l'exécution des cheveux et des paupières. Le plus grand nombre des interprètes attribuent pour cette raison ].'original à Polyclète, d'autres le croient d'un demi-siècle plus ancien et citent Canachos l'influence de cette oeuvre se fait sentir dans une tête trouvée dans les fouilles de l'Heraion a, dans un buste co lossal qui est aux Offices de Florence, buste calculé en vue d'un grand effet de magnificence 7; puis dans une tête, venue d'Agrigente et connue sous le nom de Héra Castellani, oit la sévérité de l'original est notablement adoucies. Les spécimens que nous avons cités du type gracieux sont, au point de vue de l'expression, les moins recommandables et la Héra Pentini n'est pas sûrement une IIéra; c'est encore la Héra voilée, du musée Boncompagni (villa Ludovisi), qui respire le plus l'idéal d'amabilité et de douceur. Quant à la tête colossale (fig. 4178), placée au même lieu et qui est aux représentations de IIéra ce que le Zeus d'Otricoli est à celles du maître de l'Olympe, il n'y a point de figure qui donne plus complètement la sensation de majesté royale, unie à la dignité maternelle et à la beauté féminine, dans sa plénitude et dans sa grâce idéale. La dignité frappe surtout lorsqu'on la contemple de face, la grâce lorsqu'on la regarde de profil. Il est possible que cette tête soit une oeuvre originale ; les interprètes, comme pour la Héra Farnèse, ont fortement varié quand ils en ont tenté l'attribution' : les uns tiennent pour Polyclète, les autres pour Naukydès, d'autres encore pour Praxitèle ; Ilelbig croit pouvoir descendre jusqu'aux temps d'Alexandre et même des diadoques 10. Pline cite de cette époque une statue de Lysippe en collaboration avec Boupalos, à laquelle il serait permis de songer si le témoignage était sûr". Quel que soit l'auteur, il n'est pas douteux, eu égard à la conception morale de l'ouvre et aux détails techniques d'une absolue perfection, qu'elle est issue d'un milieu et d'un temps où la maturité du génie hellénique mettait au service des idées les plus hautes les moyens les plus raffinés de l'exécution : l'art avec lequel sont traités les cheveux et la couronne est, à ce point de vue, particulièrement remarquable. II. Jt NO CHEZ LES LATINS.Le culte de Junon n'est pas moins répandu chez les peuples de race italique que celui de Héra chez les Grecs ; Sapins, Ombriens, Osques, Latins, Etrusques, l'ont tous connu dès la plus haute antiquité1Y, et si de bonne heure la religion plus brillante de Véra, implantée dans la Grande-Grèce et en Sicile, a déteint sur lui, il n'en garde pas moins sa physionomie propre et son caractère national. Mais les manifestations de piété dont Junon est l'objet chez ces divers peuples sont simples et uniformes; il est aisé de les ramener à quelques considérations dominantes que résument les vocables mêmes sous lesquels elle fut honorée : ce sont ces vocables qu'il nous suffira de passer en revue, après avoir défini la conception fondamentale d'oie ils sont sortis. Junon chez les Latins représente le principe féminin de la lumière céleste comme Jupiter en incarne le principe mâle. Quoique les anciens aient le phis souvent interprété son nom par des étymologies fausses13, ils ont déjà entrevu celle qui nous montre dans la déesse une personnification de la lune 11 ; et la preuve que cette opinion est entrée dans la science par l'opinion populaire résulte d'abord d'une inscription votive où Junon, appelée Regina, est nettement identifiée avec la lune"; elle s'affirme ensuite dans quelques oeuvres d'art par des symboles démonstratifs: trois bas-reliefs provenant de sarcophages représentent Junon avec Jupiter et Minerve, ici entre Sol, Luna et les Dioscures, là avec Sol, Luna et les JUN 683 JUN Parques'. Le vocable à la fois le plus ancien et le plus répandu sous lequel elle est invoquée est celui de Lucina ou, plus rarement, de Lucetia qui, dans le vocable Lucelius donné à Jupiter, a un pendant exact 2. De même que Jupiter préside à l'apparition de la pleine lune, puisque le jour des ides lui est consacré, ainsi Juno est la déesse des Calendes, jour où l'astre commence à se montrer dans le ciel'. Ce jour-là, le Ponti fex ntinor se rend avec le Rex sacrorum au Capitole et fait à la déesse un sacrifice dans la Curia Calabra; en même temps, la Regina sacrorum immole dans la Regia un agneau ou une truie; et le représentant du collège des Pontifes, dans chacune des curies, annonce au peuple combien il y a de jours à courir jusqu'aux Nones, suivant les deux formules que Varron nous a conservées : Dies te quinque calo, Juno Corella. Septem dies te calo, Juno Covella'. Junon règle donc pour sa part le cours des mois qui délimitent l'année; elle en annonce les débuts comme Jupiter en amène la plénitude. Aussi porte-t-elle à Laurente le titre de Calendaris, celle qui règle les calendes et par elles le calendrier'. Un mois tout entier lui est d'ailleurs consacré, ainsi qu'en divers lieux de la Grèce: le mois de juin, qui, au témoignage des anciens, s'est appelé Junonius avant (le devenir Junius, ailleurs Junonalis e. Juno Lucina, qui partage avec Diane, à laquelle elle est plus tard assimilée l'empire de la lumière qui luit durant la nuit, préside comme Diane, comme toutes les divinités féminines de la lumière en général, à la naissance et aux phénomènes qui, dans le corps de la femme, la préparent ou la provoquent. Pour les anciens Grecs et Romains, il y a un rapport étroit entre l'idée d'enfantement et celle de lumière' ; la lune réglant non seulement la durée de la gestation, mais ses phases successives et sa conclusion, toutes les divinités lunaires sont en même temps des divinités de l'enfantement C'est le cas de Lucina, dont Ovide dit : Tu nodis lucem Lucina dedisti, alors que le nom même de Juno est interprété par juvare : quod Irma jurai, donec mensibus actis produxit in lucem10. Nous avons vu qu'en Grèce, où la personnalité de Véra, sous l'action de la poésie et de l'art, a revêtu de bonne heure un caractère de majesté et de beauté idéale qui l'élève bien au-dessus des réalités de la vie, elle n'a jamais cessé d'exercer les fonctions d'Ilithyia, alors même que la légende passe d'ordinaire cet emploi à des personnifications subalternes issues d'elles. Chez les Latins, Junon reste avant tout la sage-femme divine, associée à toutes les préoccupations, à toutes les épreuves des fem mes enceintes ". Celles-ci, au cours de leur grossesse, lui rendent visite dans son temple, solutis nodis, c'est-à-dire enrobe flottante, sans aucune espèce de nceudetiescheveux épars, afin de préjuger et d'influencer par ce symbolisme le résultat d'un accouchement facile 12. Elles lui vouent de même les bandes d'étoffe avec lesquelles il était d'usage de contenir le ventre13. Elles mettent sous sa sauvegarde les cils et les sourcils protecteurs de la vue, «Junon Lucina devant être de préférence placée dans cette partie du corps à laquelle la lumière est donnée par les dieux, dans les yeux" n. Quand les douleurs de l'accouchement commencent, c'est Lucina que la mère invoque, et dès que l'enfant est né, on allume dans la chambre nombre de flambeaux qui sont un hommage à sa puissance'' ; pendant une semaine entière, la table y est mise en son honneur' Les fonctions de Junon protectrice des femmes commencent bien avant la grossesse et l'accouchement, qui lui ont valu surtout le titre de Lucina. Et tout d'abord, c'est elle qui règle le phénomène de lamenstruation, condition de la fécondité, ce qui lui vaut le vocable de Fluoniai7; le phénomène disparaissant après la conception et ne reparaissant qu'après l'allaitement, on estimait que Junon avec le sang nourrissait le foetus au sein de la mère et lui formait la charpente osseuse 18; on l'invoquait alors comme Ossipago ou Ossipagina ; plus tard, elle devenait la déesse Rumina, celle qui fait affluer le lait aux seins et assure la nourriture de l'enfant. Tous ces vocables, d'autres encore que nous avons à passer en revue, figurent à titre de personnifications distinctes parmi les divinités des INDrrITAMENTA; ils ne sont en réalité que les aspects successifs de l'action de Junon Lucina, depuis la conception jusqu'au lendemain de la naissanceS°. La mythologie plus raffinée de l'Empire les a résumés dans le titre de Conservatrix que Junon porte sur des monnaies deJulia Main maea, où elle est représentée (fig. 4179) avec la patère et le sceptre, le voile sur la tête et le paon à ses pieds 20. La condition première d'une naissance régulière étant le mariage, Junon chez les Romains y préside comme la mère, la matrone par excellence, épouse du dieu suprême en même temps qu'incarnation de la lune, qui représente les idées de conception et de fécondité". Elle est donc l'influence morale, elle est l'action physique qui assure la dignité du mariage et qui en fait atteindre le but; elle est la Pronuba par excellence 22. On peut dire que chez les JUN G8i JUN Romains cette fonction prime toutes les autres, alors que celle de TEXE(e. chez les Grecs, si éminente qu'elle soit, se trouve souvent mise au second plan, par la variété des autres prérogatives; et le vocable de Lucina implique cette fonction ainsi que l'indique la constatation d'un auteur : « Tout l'Orient vénère Héra Zu'(a (identique à TEÀE(a); tout l'Occident invoque Lucina » La Pronuba dans le langage ordinaire est la femme d'expérience qui accompagne la fiancée le jour du mariage, la mène vers l'époux et l'assiste de ses conseils. Pour désigner Junon dans l'exercice de cette fonction idéalisée, le rituel romain .ruait le vocable de Juga2. Le vicus Jugarius, un des plus vieux quartiers de la ville, était ainsi nommé d'un ancien autel de Juno Juge3. Avec le souci du détail pratique qui fait de leur religion un ensemble de rites familiers jusqu'à la trivialité, les Romains détaillaient cette qualité de Juga en y distinguant d'abord celle qui conduit la fiancée à la demeure de son époux : Domiduca ; puis celle qui frotte de parfums les montants de la porte pour honorer les dieux domestiques : Unxia; enfin celle qui, près du lit nuptial, dénoue la ceinture de la vierge : Cinxia L'art gréco-romain a exploité avec une prédilection marquée celte intervention de Junon pour la conclusion des mariages en qualité de Pronuba. Les bas-reliefs destinés à orner les sarcophages représentent tantôt des scènes mythologiques oit Junon préside àl'union de personnalités héroïques ou divines: de Thétis et de Pélée, de Jason et de Médée, d'Héphaistos et d'Aphrodite, de Mars et d'Ilia5; tantôt, et le plus souvent, la célébration de mariages entre humains (fig. 4180). Nous avons signalé déjà (fig. 4165) une oeuvre qui paraît être, en ce qui concerne la figure de Junon, le type hellénique de ces sortes de compositions, suivant les procédés de l'art attique à l'époque de Praxitèle. Overbeck en mentionne une douzaine d'autres, dont la plus intéressante est placée dans la salle des Muses au Capitole'. Les attributs de la déesse sont presque uniformément le sceptre et la patère ; quelquefois le sceptre est remplacé par la hasta Aura ou caelibaris qui fait partie du rituel dans la cérémonie du mariage romain'. Junon Pronuba y est sévèrement drapée, au rebours du basrelief de Monticelli qui, fidèle aux procédés de l'art grec, découvre les épaules et l'un des seins'. Le plus ancien sanctuaire de Junon Lucina paraît avoir été l'autel que lui éleva, à côté de plusieurs autres, le roi Titus Tatius, le Sabin, en 735 av J.-C., sur l'Esquilin'. Elle avait également un sacellum sur le Capilolium Velus, c'est-à-dire dans un quartier qui fut primitivement habité par les Sabins, comme en témoigne le nom de Quirinalis que porte la colline entière10. Les femmes de condition libre, les matronae, célébraient sa fête aux Calendes de mars, fête qui pour cette raison s'appelait lesSIATRONALIA11. Le début de mars étant pour les anciens Romains le commencement de l'année, on voulait que les premiers hommages fussent pour la déesse qui personnifiait la mère de famille, c'est-à-dire le principe de fécondité et de prospérité dans l'État. Ce jour-là, disait-on, étaient nés Mars, puis Romulus, les pères de la race 12 ; on rattachait aussi le souvenir des Sabines qui, ravies à leurs familles et rendues fécondes par l'intervention du dieu Faunus, assurèrent l'avenir de la nation romaine 13. La fête commençait dans le bois sacré [ut us] qui entourait l'autel, ce qui fait que les étymologistes crurent devoir en dériver le vocable même de Lucina; elle s'achevait au sein des familles oà elle devenait comme une sorte de glorification de la femme mère et maîtresse de maison 1'`. Les célibataires n'avaient rien à y voir 1° ; quant aux hommes mariés, ils étaient tenus d'offrir des cadeaux à leurs femmes, coutume qui exerça la verve des poètes comiques16; chaque maîtresse de maison servait ensuite les esclaves à table, comme les maîtres le faisaient aux Saturnales 17. Pour les femmes de moeurs légères, l'accès de la fête et de l'autel de Lucina leur était interdit; si par mégarde elles y intervenaient, elles avaient à expier leur faute en offrant, les cheveux épars, à la déesse un agneau. En réalité, Junon Lucina était la personnification idéale de la matrona dans l'exercice des plus augustes de ses fonctions et de ses prérogatives, pour cette simple raison qu'elle est l'épouse du dieu suprême 18. Chaque femme dans son ménage a quelque chose de la majesté et de l'autorité de Junon 19 ; et même, ainsi que nous le verrons, comme la personnalité de chaque homme est représentée, JUN 685 ---JUN dans l'ordre religieux, par son Genius, celle de chaque femme est appelée, suivant le même point de vue, sa Junon [GENIUS, JUNOSrs]. Devant la communauté entière, cette idée était représentée d'une manière concrète par le ménage du Flamen Dialis qui correspondait à Jupiter, et de la l+laminica qui était l'image visible de Junon' [FLAMEN, p. 1163]. Le Flamen Dialis devait être marié et il l'était toujours suivant le rite antique de la con farrealio ; tout écart de conduite lui était interdit et il était soumis à l'obligation de passer toujours la nuit dans la Regia2; lorsque la Flaminica mourait, le Ilamen cessait aussitôt ses fonctions. Enfin le costume de la Flaminica était celui de la fiancée le jour de son mariage ; elle portait le fïammeum ou voile rouge, avec des bandelettes dans les cheveux et, sur le front, la branche de grenadier qui était la coiffure traditionnelle des mariées' ; enfin sa robe était retenue à la taille par le cingulum dont on faisait l'emblème propre de Junon, dans l'union mystique que la légende lui fait contracter avec hercule, le prototype du Genius4. C'est sous cette forme simple et naïve que la religion romaine réalisait aux yeux ce que les Grecs représentaient, avec une imagination plus riche et des visées plus hautes, dans la célébration du nlt:nos GAMos à Argos, à Samos, à Platées, etc. 6. Peut-être même une cérémonie de ce genre n'était-elle pas absolument inconnue en Italie ; Ovide et Denys d'llalicarnasse mentionnent tous deux comme remontant à une haute antiquité une fête qui se serait célébrée chaque année à Faléries en l'honneur de Junon et qui, tant par les pratiques que par la légende dont elle était issue, ressemble singulièrement aux DAIDALIA de Béotie G. La question est de savoir jusqu'à quel point la manie d'helléniser les coutumes et les croyances italiques, chez les poètes et les archéologues de la fin de la République, a pu influer sur la description de cette fête, laquelle n'a point d'analogues chez les peuples voués au culte de Junon. C'est encore à l'idée fondamentale qui a déterminé la personnification de Juno Lucina qu'il faut ramener les cultes et les pratiques que représentent sous la République Juno Populonia et Caprotina, sous l'Empire Juno Martialis et Juno identique à FECUNDITAS. La première ne nous est guère connue que par le vocable qu'on interprétait communément par : quod populos mnultiplicet 7. Sénèque la mettait au nombre des deae viduae 8, c'està-dire des divinités qui sont honorées pour elles-mêmes, en raison d'une influence à laquelle ne participent point leurs époux respectifs dans la légende. Il convient de rappeler à ce sujet que Héra elle aussi était honorée en Grèce au titre de veuve (Z-ripa) et qu'elle devint mère sans l'intervention de Zeus9. Juno Caprotina était fêtée aux Nones de juillet qui, pour cette raison, s'appelaient nonee Caprolinae 1e. Ce jour-là le peuple sortait de la ville en bandes désordonnées, d'où le nom de Poplifugia que la fête porte dans le calendrier; les femmes et les filles esclaves, parées de leurs plus beaux atours, rejoignaient la foule à l'ombre du caprificus, variété de figuier qui était un symbole de fécondité et dont la sève était offerte à la déesse en sacrifice. Un repas et des réjouissances dissolues, que censurent encore les premiers apologistes, suivaient. La légende faisait remonter cette fête toute populaire, à laquelle l'État ne participait point d'ailleurs, aux temps qui suivirent l'invasion des Gaulois ; tandis que la ville assiégée par les Fidénates sous le commandement de leur dictateur Postumius Livius, allait être réduite à se rendre, une esclave au nom symbolique de 7'utela ou 'l'ulula (Philotis en grec 11 ourdit avec ses pareilles une ruse analogue à celle qui permit à Judith de sauver Béthulie des mains d'Ilolopherne. Prenant le costume de leurs maîtresses, que l'ennemi avait réclamées comme otages, elles enivrèrent le camp des Fidénates, donnèrent du haut d'un caprificus aux Romains restés dans la ville le signal convenu et leur fournirent l'occasion d'une facile victoire. Mannhardt a démontré 12, en se fondant sur la date de la fête et sur les ressemblances qu'elle offre avec des réjouissances analogues célébrées à la même époque chez divers peuples, que les Nones Caprotines et Poplifugia étaient une fête de la moisson, une fête de la fertilité de la terre qui récompense le travail et, d'une facon plus générale, une fête de la fécondité de la femme, que stimule le plaisir. Nous avons signalé une association d'idées analogue dans les zELXIDIA d'Argos, où les épis étaient appelés « fleurs de Aéra » "Al est possible qu'une monnaie de la gens Renia qui nous montre Junon debout dans un char, brandissant là lance, et traînée par des. chèvres lancées à toute vitesse, se rattache à la célébration des nones Caprotines 14 ; la tradition en subsiste encore aux premiers temps du christianisme' 6. Juno ïllartialis ne nous est connue que par des monnaies frappées entre 231 et 254 ap. J.-C. sous les règnes de Trebonianus Gallus et de Volusianus (fig. 4181)16. Ces monnaies sont le seul document romain qui mette aux mains de la déesse l'attribut des ciseaux, qu'elle portait en qualité d'Ilithyia à Argos. Si l'on remarque d'une part que sur quelquesunes de ces mêmes monnaies la déesse assise est accostée de deux enfants, et d'autre part que les Calendes de juin Fig. 4181. -Juno sont consacrées à la fois à Mars et à Junon, il ne parait pas douteux que Juno ilartialis ne fût une divinité de la naissance 17. Mère de Mars et aïeule de Romulus suivant la légende de la fondation de Rome 18, JUN 686 J UN elle est invoquée sous le vocable de Martialis comme la mère par excellence, comme la divinité qui, par une succession d'heureuses naissances, dont les ciseaux sont l'emblème, assure l'existence de l'Empire. On ignore l'événement qui, sous le règne deTrehonianus, remit en honneur ce vocable d'allure archaïque'. Celui de Juno Augusta qu'elle porte sur un certain nombre de monnaies à l'effigie de femmes de la famille impériale a le même sens; l'un et t'autre ne sont que des synonymes du vocable de Lucina exprimant l'idée de fécondité dans cette famille. Lorsque Poppée devint mère, Néron lit ériger un temple et décréter des supplicationes à la Fecunditas personnifiée2; pour honorer la maternité de Faustine jeune sous ilarcAurèle, des monnaies furent frappées à l'exergue de Fecunditas Augustae (fig. 2916) 3 ; sur les monnaies de Mammaeale même principe est exprimé par Juno Augusta et la figure est la même que l'on voit sur les monnaies de Lucina, de Julia Donna, de Salonina, qui est appelée Lucina4. Plusieurs de ces monnaies nous donnent sans doute l'image de la déesse vénérée au sanctuaire de l'Esquilin ; ici elle est représentée debout avec un petit enfant sur le bras gauche, et deux autres plus grands à ses pieds (fig. 4182) ; ailleurs, assise avec un enfant sur le bras, le sceptre dans l'autre main et devant elle un enfant debout; ailleurs encore assise, avec un enfant sur le bras et dans la main droite, étendue, la fleur, symbole de sa fécondité (fig. 1183). C'est à cette divinité que s'adressent les vers d'Ovide 6: C'est à elle que recouraient les femmes stériles pour obtenir de la progénitures, par elle que dans la légende antique du rapt des Sabines s'explique la cessation du fléau de la stérilité'. A ce Litre, elle est mêlée à la célébration des LUPERCALES ; la peau de chèvre dont se couvrent les Luperques est appelée ainiculum Junonis 2; et les lanières avec lesquelles ils frappent, dans leur course à travers la ville, les femmes pour les rendre fécondes ou leur assurer un heureux accouchement, rappellent par la dénomination de f'ebrua qu'elles sont les instruments de Juno Februlis ou l ebruata, identique à Lucina°. Le culte de Juno Monda est aussi ancien à Rome que celui de Lucina ; il était spécialement célébré aux Calendes de juin, mois qui est tout entier consacré à la déesse. Son temple dédié en Mi av. J.-C. était placé sur l'arx du Capitole antique, résidence du roi Tatius10, et où les Gaulois avaient essayé par escalade, près de cinquante années auparavant, d'atteindre les Romains dans leur dernier retranchement". Les oies qui avertirent de leur approche étaient les oiseaux sacrés de la déesse ; on les considérait à la fois comme le symbole des vertus domestiques de la femme et comme celui des instincts de sensualité simple qui assurent la féconditéf2. Le vocable de Moneta a été interprété de diverses manières; l'explication la plus plausible est celle qui le rattache au radical de moneo, soit que Moneta exprime l'idée des conseils que la divinité fait entendre en qualité de pronuba à la jeune femme avant le mariage ; soit que d'une manière plus générale il signifie les avertissements que Juno, en diverses circonstances, fit entendre pour le bien de l'État tout entier13. C'est ainsi qu'à l'occasion d'un tremblement de terre elle prescrivit des sacrifices expiatoires et que par la voix de ses oiseaux elle préserva Rome du dernier désastre. Peut-être aussi Moneta est-il à expliquer par les avis donnés aux Calendes dans la Curia Calabra, sur la durée des mois et l'ordre des jours ". Le même culte existait encore sur le mont Albain où, à côté du sanctuaire de Jupiter Laliaris, fut dédié en 167 à Juno Moneta un temple qui lui avait été voué six années auparavant". En 269, on installa, à proximité de celui qu'elle avait sur la citadelle du Capitole, l'atelier de lafrappe des monnaies, et celui-ci, peu à peu, absorba le vocable de la déesse, dont le sens originaire s'oblitéra de plus en plus '. Corssen a supposé, non sans vraisemblance, que le lieu ne fut pas choisi arbitrairement, mais que l'on mit sous le patronage de la déesse qui donne les monitiones une industrie d'État dont l'effet était de marquer un lingot de métal des signes qui en fixaient la valeur ". La tête de Juno Monda figure sur les monnaies de la gens Carisia(fig. 4184,)etde la gens Plaetoria,là d'après un type sévère et archaïque, ici avec une expression de grâce juvénile qui peut passer le cas contraire, les suppositions les plus fâcheuses étaient permises sur sa vertu: de plus, l'année menaçait d'être une année de stérilité 16. Cette scène est représentée (fig. 4187) au revers d'une monnaie de la gens Roscia; à la face on voit la tête de Juno Lanuvina". D'autres monnaies mettent l'image du serpent sur le bou clier de la déesse ou sous les pieds des chevaux qui traînent son char. Celles de la gens Cornuficia (fig. 4188 , tout en conservant à la déesse les mêmes attributs, modifient son attitude dans un sens pacifique 18 : l'augure Cornuficius est placé debout devant elle avec le lituus dans la main droite ; sur le bord du bouclier est perché un JUN 687 ,l UN pour le spécimen le plus séduisant que nous ayons en ce genre du type de Junon aimable et élégante ; au revers des premières sont représentés les instruments servant à la frappe des monnaies'. Une monnaie qui date du règne d'Hadrien, où figure une femme avec la balance et la corne d'abondance, représente non Juno 11loneta, mais, comme le prouve l'exergue, MONETA AUGUSTI, la personnification allégorique de la frappe monétaire 2. De même que Illoneta n'était sans doute à l'origine qu'un des nombreux vocables de Juno Lucina, ainsi le surnom Sospita a dû signifier tout d'abord l'intervention secourable de la déesse dans les épreuves de l'enfantements. Dès l'an ;138 av. J.-C., Juno Sospita possédait à Lanuvium un sanctuaire entouré d'un bois sacré et célèbre par ses richessè , sanctuaire qui était à cette époque une propriété commune avec Rome'. Un flamine nommé par le dictateur que la métropole donnait à la ville en avait l'administration ; les prodiges qui y survenaient étaient annoncés à Rogne et expiés par les soins des pontifes et du sénat. Le collège des sacerdoles Lanuvini était formé de chevaliers romains, et les consuls étaient tenus d'y offrir chaque année un sacrifice 6. A Rome même, Juno Sospita avait deux temples, l'un sur le Forum Olitorium, dédié par le consul Cornelius en 197 av. J.-C.; l'autre sur le Palatin, dont parle Ovide et sur l'emplacement présumé duquel fut trouvée la statue qui nous restitue l'image de la déesse °. Sa fête, à Rome et sans doute aussi à Lanuvium, était fixée aux Calendes de février. Le temple du Palatin avait été brûlé et reconstruit en 91 av. J.-C.' ; Antonin le Pieux et Commode, qui étaient originaires du voisinage de Lanuvium, réédifièrent le vieux sanctuaire de cette ville, et remirent en honneur à Rome même la religion de Juno Sospita a. C'est à la sculpture grécoromaine de leur règne qu'il faut faire honneur de la statue colossale (haut.tr,75) du Musée du Vatican (fig. 4185). Cette statue correspond trait pour trait à la description que Cicéron nous a laissée de la Juno Sospita de Lanuvium et elle est reproduite, avec quelques différences, sur des monnaies assez nombreuses des familles Procilia, Cornuficia, Mettia9. Si l'on fait abstraction de la peau de chèvre, du javelot, du bouclier et des chaussures spéciales dont parle Cicéron10, pour s'en tenir à la physionomie générale et au vêtement de dessous, la Juno Lanuvina est conforme au type traditionnel de Itéra chez les Grecs, dans son expression sévère. La tête respire une fierté énergique qui n'exclut pas plus la grâce que la majesté; le corps est drapé jusqu'à la naissance du cou dans la tunique à manches courtes sur laquelle est jeté un ample péplos, dont les plis rappellent ceux du torse de la Pallas de Dresde, de l'Athéna d'Herculanum, de la Aéra d'Epbèse". Les particularités sont dans l'attitude et dans le vêtement de dessus: du bras droit la déesse brandit un javelot; au gauche est attaché par deux lanières un bouclier fortement concave et échancré; enfin sur les épaules est jetée une peau de chèvre entière, dont les pattes de (levant sont croisées sur la poitrine et nouées entre les deux seins par une bande de cuir ; les pattes de derrière tombent à droite et à gauche; la tête est ramenée en guise de casque par-dessus les cheveux épais et ondulés [GALEA, p. 1429] i2; un diadème bas est visible entre cette coiffure et les cheveux. Les chaussures sont celles que Cicéron nomme : calceoli repandi, amples et recourbées en avant [CALCEUS]. Par ces divers détails, comme le même auteur en fait la remarque, cette image prend un caractère national et se distingue de la Iléra d'Argos 73. Nous retrouvons Junon exactement pareille sur des bronzes étrusques i4 et sur des monnaies. On la voit sur celles de la gens Procilia (fig. 4186) avec un serpent qui se dresse devant elle ". Ce serpent avait à Lanuvium sa légende ; il était le gardien du temple, et chaque année une jeune fille lui offrait des gâteaux. Y goûtait-il, c'était une preuve que la jeune fille était pure • dans JUN -688JUN oiseau dans lequel on a cru reconnaître la corneille'. Cet oiseau est en effet consacré à Junon appelée quelque part Dea Cornisca 2; et ce détail nous ramène en Grèce, où le même symbole désignait la déesse des hauteurs, CL xpa(a; dans le cas particulier de la gens Cornificia, il y a une allusion au même nom. Des monnaies d'Antonin le Pieux et de Commode, de qui nous avons déjà signalé la dévotion pour la déesse de Lanuvium, ont remis en honneur son image rituelle: en plus on y lit l'exergue JUNON ISISPITAE (synonyme archaïque de Sospitae) lequel se rencontre également dans des inscriptions 3; le titre complet et solennel est : Juan SOSPITA MATER REGINA 4. Si la Junon de Lanuvium, par le vocable et par les origines, ne diffère pas au point de vue moral des personnifications divines jusqu'à présent examinées, elle a dans l'attitude tout ce qui fait la divinité guerrière et la vénérait en divers lieux de la Grèce 6. Tel est encore le cas de Juno Quiritis ou Curitfs, à qui l'on offrait des sacrifices appelés Curiales mensae, le 7 octobre, sur le Champ de Mars, et que l'on y honorait de concert avec J upi ter Fulgur ° . Ce culte d'origine sabellique se rencontre également à Tibur et à Faléries 7. Le caractère guerrier de cette divinité est attesté par divers témoignages; les soldats avant de combattre lui faisaient des libations d'eau et de vin ; elle-même avait pour attributs le char, le bouclier et la lance: son nom même semble dériver du mot sabin quiris, qui signifie lance et qui a formé Quirites citoyens guerriers) 8. Cependant une invocation sûrement archaïque, rapportée par un commentateur, mêle à cet appareil militaire l'idée des curies qui est à la base de l'organisation politique des Romains ; et de plus, cette invocation transforme le vocable de la déesse en Curritis qui se rencontre encore ailleurs: Juno Curritis, tuo cumin clipeoque tuere mens curiae vernulas °. Il semble que l'esprit romain, très épris d'allitérations et porté au calembour, ait mêlé dans cette prière deux et même trois significations distinctes de la divinité de Junon, en tirant un vocable spécial du char sur lequel nous la voyons aussi combattre à Lanuvium comme Sospita, de la lance qui à Lanuvium également est son arme caractéristique, et enfin de sa qualité de protectrice des Curies qui découle naturellement de la conception plus générale de Juno Lucina, déesse de la fécondité 10. A Tibur, cette Juno Quiritis était appelée aussi Argeia 11. Peut-être est-ce en son honneur qu'à Faléries on célébrait la fête décrite par Ovide et signalée par Denysi2; Faléries était du reste célèbre par sa dévotion pour Junon 13. Junon parvient à la plénitude de sa signification morale, familiale, politique et guerrière dans le temple de la triade Capitoline où elle siège en tiers avec Jupiter et Minerve, sous le titre de Regina qui, ailleurs, ne lui est donné qu'accidentellement et par surcroît L4. Au Capitole, elle est à proprement parler l'épouse de Jupiter Rex, associée à sa puissance et à son illustration'. Tandis qu'on cherche vainement des traces, en dehors de l'Italie centrale, des cultes particuliers que nous venons de passer en revue, celui de Juno Regina a rayonné aussi loin que la domination romaine, et il en est pour sa part une des manifestations' ° Au Capitole, elle occupe la cella placée à la gauche de celle de Jupiter, et Minerve lui fait pendant17. Ses attributs ne sont pas seulement le sceptre d'or et la patère : elle tient aussi le foudre 18 La poésie et l'art s'inspirant des Grecs l'ass?tiflilent en tout à la Baat),s(a d'Argos et d'Athènes, à la.'Héra d'llomère, de Phidias et de Polyclète, et par là elle tranche fortement sur la Junon honorée dans les cultes populaires. Cette influence des idées grecques se fait sentir dès le temps des Tarquins, qui firent, par des artistes étrusques, construire le temple du Capitole et sculpter les images offertes à l'adoration 19 : elle arrive à son plein épanouissement dans la poésie et l'art du siècle d'Auguste. Cependant d'autres villes de l'Italie avaient possédé la religion de Juno Regina : à Lanuvium, Juno Sospita en portait le titre; à Ardées, son temple était orné d'une inscription que cite Pline l'Ancien : Junonis Reginae Supremi con jugis templum, temple qu'un artiste, dont le nom est demeuré inconnu, avait orné de peintures, au temps de la seconde guerre punique20. Une inscription archaïque mentionne une offrande faite par les matrones de Pisaurum, en Ombrie, àJuno Regina. Enfin Véies possédait le même culte, qui fut, avec l'image en bois de la déesse, transféré à Rome par Camille après le siège21. Sur le mont Aventin, un sanctuaire lui fut érigé qui, jusqu'aux premières années de l'Empire, paraît avoir été un refuge de prédilection pour les matrones en temps d'épreuves : une fête spéciale en son honneur tombait au ter septembre22. En 217 av. J.-C., alors que l'on était en pleine guerre contre Ilannibal et qu'on redoutait l'arrivée des Carthaginois sous les murs de la ville, un grand sacrifice fut offert à la triade Capitoline, à Juno Sospita de Lanuvium, à Juno Regina de l'Aventin 23. Les matrones se cotisèrent pour déposer au temple un présent votif, tandis que les affranchies honoraient dans la même forme leur divinité spéciale FERoNiA. Quand le danger fut conjuré, une procession solennelle d'action de grâces, pour laquelle le poète Livius Andronicus composa, sur la demande des magistrats, un carmen, se déroula depuis la porte Carmentale à travers le vicus Jugarius jusqu'à l'Aventin. Un choeur de vingt-sept jeunes filles, précédé par les magistrats, chanta les louanges qu'avait versifiées le poète, et l'on immola deux vaches blanches devant JUN 689 JUN l'autel de la déssse'. Nous n'avons aucun renseignement ni sur la statue archaïque apportée de Veïes, ni sur les images en bois de cyprès qui furent portées en procession l'an 207 av. J.-C., ni sur la statue d'airain qui avait été vouée dix ans auparavant par les matrones 2 ; mais de nombreuses monnaies à l'exergue de JUNO REGINA, JUNO:XI REGINAE, nous permettent (le conjecturer ce que furent la Regina du Capitole et celle du mont Aventin'. Quand Juno Regina est représentée seule, elle est généralement debout, plus rarement assise; ce dernier cas est celui d'une monnaie de Faustine jeune, les autres celui de monnaies à l'effigie de Sabina et de Manlia Scantilla, avec les attributs assez peu variés du sceptre, de la patère, du voile et du paon, une fois avec celui de la patère et de la corne d'abondance'. Cette dernière monnaie prend une certaine importance en ce qu'elle peut servir à déterminer des statuettes de bronze qu'on se hàte trop parfois d'identifier avec FoRT1:NA. Junon, dans la triade du Capitole, a été l'objet de nombreuses représentations, presque toutes de la période de l'Empire : aucune cependant n'est assez caractéristique et la comparaison même n'est pas assez concluante pour que nous puissions prétendre, à l'aide des éléments qu'elle fournit, restituer l'image placée dans la cella à la gauche de Jupiter'. Cette place même, qui est formellement assignée à la déesse par les témoignages littéraires, ne lui est pas maintenue dans toutes les représentations figurées. Un denier de la gens Cornelia met Junon à droite'; et tel est aussi le cas d'un bas-relief du temps de Marc-Aurèle'. Le seul attribut historiquement garanti est le sceptre d'or dans la main droite ; sur les monnaies de l'Empire, elle tient de l'autre main la patère, et quand elle est représentée debout, son attitude et son costume sont semblables à ceux de la statue Barberini, avec cette différence qu'elle porte le voile et que la robe couvre entièrement la poitrine; à ses pieds est un paon 8. En somme, les artistes monétaires ont traité la triade avec la plus grande liberté ; sur des monnaies de Do}nitien, Jupiter est assis et les deux divinités féminines debout à ses côtés' ; une monnaie d'Antonin le Pieux nous les montre tous les trois assis, sans aucun encadrement architectural 10 ; une monnaie de Vespasien place les figures dans l'entre-colonnement de la façade du temple, Jupiter assis, Junon et Minerve debout dans le costume traditionnel". En résumé, il y a peu de chose à tirer des représentations de la triade Capitoline pour la détermination du type réel de Junon Regina. Rome s'était annexé la Regina de Veïes après la prise V de cette ville ; au lendemain de la chute de Carthage, elle annexa à son Panthéon la déesse suprême des vaincus ; elle en fit à tort une Junon et la désigna par le vocable de Caelestis" . Cetth déesse, que les Grecs avaient identifiée avec Aphrodite Urania, n'est autre qu'Astarté dont le culte était venu d'Ascalon à Paphos et à Cythère". Les raisons qui la firent confondre par les Romains avec Junon paraissent d'ordre multiple. Peut-être s'étaient-ils avisés qu'Astarté était, pour les Carthaginois, une déesse lunaire, ce qui devait aboutir pour eux à en faire ou une Diane ou une Junon '£; plus probablement furent-ils frappés par sa qualité de souveraine. HIannibal lui-même n'avait-il pas retrouvé la divinité suprême de sa patrie dans IIéra Laciniennei5? Ensuite, à l'époque où Scipion s'empara de Carthage, évoquant par une formule rituelle qui nous a été conservée la protectrice séculaire de la cité 16, la légende de la descendance troyenne de Rome commençait à entrer dans l'opinion populaire des Latins 7. Naevius et Ennius avaient transporté à la divinité phénicienne, dans laquelle s'incarnait l'hostilité contre les Romains, les sentiments de haine farouche dont IIéra dans l'Iliade accablait la royauté de Priam, tandis que Vénus continuait à Enée, sauvé du désastre, la protection jadis accordée par Aphrodite à Pâris. Des ressemblances purement extérieures firent le reste. De même que les temples latins de Junon étaient entourés de plantations d'arbres, la divinité suprême de Carthage était vénérée au fond d'un bois sacré ; l'une et l'autre avaient la qualité de reine du ciel ; l'une et l'autre commandaient à la mer et aux vents '$ ou amenaient la pluie. Dans la tradition latine, le culte de Caelestis aurait été apporté à Carthage par Didon de Tyr, sa patrie d'originel° ; en réalité Didon, fondatrice de Carthage, n'est qu'une forme d'Astarté Urania, descendue au rang d'une personnification démonique, les Phéniciens ignorant d'ailleurs le culte des héros 20. Aussi longtemps que Carthage fut puissante, dit un auteur, Didon y fut honorée comme une divinité ; d'après Silius Italicus 21, le temple où Astarté plus tard identifiée avec Junon était adorée, était en réalité consacré à Didon; et comme ce temple s'élevait au centre et dans l'endroit le plus élevé de la ville, la divinité avait tous les caractères d'une 7toÀwûX0;, d'un esprit tutélaire personnifiant la domination de ses fidèles'''. C'est elle que Scipion évoqua avant de livrer l'assaut et qui fut transférée à Rome, comme autrefois la Regina de Veïes, et qui eut même sa place à côté de Jupiter au Capitole 23. Elle en avait beaucoup en Afrique, desservis par de nombreux prêtres et prêtresses21; mais on 87 JUIN 690 J U\ sait encore peu de choses sur son culte. Sur les monnaies, elle est représentée avec le sceptre et le foudre, emblèmes qui la mettent au même rang que Jupiter; on l'y voit également avec la couronne tourelée, quelquefois chevauchant sur une lionne ou traînée dans un char attelé de lions, comme Cybèle'. Les monuments que les fouilles ont fait retrouver en Afrique la représentent couverte d'un voile qui retombe derrière sa tête, sur son front un croissant, et quelquefois des étoiles à droite et à gauche. Sur une pierre gravée (fig, 1i189) on en compte sept accompagnant le Soleil et la Lune figurés par deux têtes, l'une couronnée de rayons, l'autre d'un croissant; la déesse, d'aspect juvénile, est assise sur un trône, sans aucun attribut'. Les écrivains latins, depuis le siècle d'Auguste, ont tenté vainement de fixer sa personnalité en la romanisant; elle n'a de rôle en rapport avec ses origines que dans l'Enéide de Virgile'. Là le caractère de Junon est déterminé à la fois par la tradition homérique, qui en avait fait l'ennemie des Troyens, et par le souvenir des guerres Puniques, qui la solidarisaient avec Carthage'. Dans les derniers livres du poème, Turnus est son favori, l'instrument dont elle se sert pour briser les ambitions d'Enée; et si la déesse s'apaise dans la conclusion, consentant à la royauté des Troyens sur le Latium, c'est qu'Enée abdique sa nationalité pour devenir lui-même un Latin, un adorateur de la Junon italique'. Celle-ci, dépouillant, elle aussi, et l'élément grec et l'élément phénicien de sa personnalité traditionnelle, n'apparaît plus que comme l'épouse de Jupiter Optimus Maximus, comme la divinité qui avec Minerve le complète dans la triade du Capitole, et qui par la naissance de Mars devient à la fois l'expression la plus haute de la femme romaine et la reine des nations. J.-P1. HILO.