Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article JURIDICUS

JURÜ)ICUS. L'expression de juridicus s'est appliquée, sous l'Empire romain, à trois catégories de fonctionnaires, toutes trois, comme le mot l'indique, de l'ordre judiciaire. 10 Le juge de la ville d'Alexandrie en £gypte, juridicus Alexandreae 2, iliaxtoi r ;s 3, peut-être aussi juridicus Aegypli '. C'était un chevalier romain, procurateur du prince, nominé directement par lui 3pour exercer la juridiction sur les habitants d'Alexandrie. Cette ville, qui demeura privée, jusqu'au temps de Septime Sévère, de sénat et d'institutions municipales, était en réalité gouvernée 8 par son juge, sorte de préfet de justice et de police, semblable à ces prae fecti que nome avait jadis imposés à certaines villes italiennes. Après que Septime Sévère eut octroyé aux Alexandrins une curie et l'existence communale 7, le ,juridicus subsista, mais sa compétence fut sans doute limitée à la juridiction gracieuse 8. Il semble qu'un juge de même nature ait existé à Palmyre au me siècle 9. 2° Les légats impériaux chargés spécialement de la juridiction dans certaines provinces militaires. En Bretagne 10, dans l'Espagne Tarraconaise ", et (sans doute exceptionnellement) dans les deux Pannonies 12, on trouve, à côté du legatus pro praetore investi du gouvernement de la province, un juridicus, ou legatus juridicus provinciae. C'est un homme de la carrière sénatoriale, du rang prétorien, assimilé au légat chef de légion ". Il est considéré comme legatus Augustiet non comme légat du gouverneur : car celui-ci étant lui-même légat de l'empereur, ne peut déléguer ses attributions'". Le juridicus n'en est pas moins placé sous les ordres du légat gouverneur 16 : jamais, à une exception près, il ne prend le titre de legatus pro praetore. Cette exception est intéressante à noter et peut expliquer la nature et l'origine de l'institution des juridici. Lorsque IIadrien, en 13G137, confia à L. Aelius Caesar le commandement supérieur des forces militaires des deux Pannonies 17, il ne pouvait lui laisser la besogne courante de la justice et de l'administration intérieure : Aelius eut sous ses ordres un légat juridicus chargé du détail de la juridiction provinciale ; comme d'autre part le nouveau César était, non pas légat du prince, mais pourvu de l'autorité proconsulaire, son subordonné put s'appeler juridicus pro praetore 18. S'il s'agissait d'une province impériale de grande étendue, comme la Tarraconaise, le légat gouverneur avait à sa disposition deux ou trois légats juridici pourvu chacun de son ressorte. Au besoin, un juridicus pouvait faire fonction de légat pro praetore, en l'absence du gouverneur en titre 90. Comme nous ne connaissons ces juridici que par les inscriptions, on peut seulement con jecturer, avec infiniment de vraisemblance, que leurs attributions judiciaires ne différaient pas de celles des gouverneurs ordinaires. 3° Les juges des districts italiens. L'étendue de l'Italie rendant difficile l'administration de la justice par ses chefs naturels, l'empereur, le sénat et les magistrats de Rome, l'empereur IIadrien créa dans la péninsule quatre juges de rang consulaire 21 : il est possible que ces juges, que nous connaissons fort mal, aient pris le titre de juridici. Supprimée par Antonin92, l'institution fut rétablie par Marc-Aurèle 23, sans doute dans les premières années de son règne 2' : elle nous sera cette fois mieux connue, car elle durera plus d'un siècle, et les inscriptions comme les textes mentionneront souvent les juridici per Italiam ou juridici regionis... ou, plus souvent, per regionem... Ces fonctionnaires sont nommés par l'empereur 26, parmi les personnages du rang prétorien 26. Les différentes régions de l'Italie sont réparties entre eux d'une manière variable [REGIO„ mais il est probable que le nombre des juges n'a pas dû dépasser celui de quatre 27. Ils sont compétents surtout en matière civile28; ils ont aussi la juridiction administrative 26. Mais il est douteux que leur compétence, même judiciaire, ait été illimitée, au moins au début; car on voit que Septime Sévère l'accrut et que Macrin la réduisit de nouveau30, et nous JUR 716 JUR avons une inscription mentionnant un juridicus de in finilo 1, ce qui indique des attributions exceptionnelles. Les juridici italiens avaient aussi quelque autorité en matière administrative 2. Cette fonction disparut dans la seconde moitié du me siècle, devant les correclores des conformément à l'étymologie, celui que l'on consulte sur le droit. Son rôle est caractérisé par les mots consulere 1, consilio juvare2, consullatoribus se praestare3 ; il implique la connaissance parfaite des lois et coutumes romaines. En ce sens, on qualifie le jurisconsulte juris peritus 4 ou jurisprudens 5. Sous l'Empire, depuis Hadrien, la dénomination de jurisconsulte semble être devenue un titre officiel réservé à ceux qui ont obtenu du prince le jus publice respondendi 5, aux juris auctores 7 [PRUDENTIUM RESPONSA]. Les jurisconsultes ont joui à Rome d'une autorité exceptionnelles ; ils ont exercé sur la formation du droit une influence prépondérante. Ces deux faits ont chacun leur explication. L'autorité des jurisconsultes tient, non seulement à l'importance que les Romains ont attachée pendant longtemps à l'observation des formes du droit, mais aussi à l'estime et au respect qu'ils avaient pour le droit. De très bonne heure, ils ont compris que le droit est une puissance morale et que sa réalisation exige une volonté ferme et permanente 3. Aucun peuple n'a été plus jaloux de sa liberté; aucun ne s'est soumis plus spontanément aux dispositions de la loi. L'autorité des jurisconsultes tient ensuite à la séparation bien tranchée qui existait, à Rome, entre le jurisconsulte et l'avocat'0. Étranger aux débats judiciaires et aux passions qu'ils soulèvent, cherchant uniquement à se rendre utile et ne souhaitant pour prix de ses consultations que la faveur de ses concitoyens ", le jurisconsulte reste dans une sphère plus haute, ses avis offrent plus de garanties d'impartialité. I1 ne faudrait pas en conclure d'ailleurs qu'il soit un pur théoricien. Les Romains n'ont pas connu cette séparation de la théorie et de la pratique, qui n'est que trop fréquente de nos jours. Ils ont su les allier dans une juste mesure, grâce à une particularité de leur organisation judiciaire : les juges étaient de simples particuliers et non des magistrats versés dans la connaissance du droit. Sous l'Empire, la situation des jurisconsultes ne fut pas moindre que sous la République. La plupart ont occupé les charges les plus hautes, et depuis Hadrien plusieurs d'entre eux ont siégé au conseil de l'empereur. L'influence des jurisconsultes sur la formation du droit a une autre cause, mais pour la comprendre il faut faire abstraction de nos idées modernes sur le rôle propre au législateur et à l'interprète. Tandis que le législateur moderne s'efforce de régler dans leurs détails les questions nouvelles suggérées par la pratique, le législateur antique se borne à dire son sentiment sur le fond, laissant à l'interprète le soin d'en déduire toutes les conséquences. A l'époque où la loi était soumise à l'approbation du peuple, elle devait se réduire à une brève formule, facile à être comprise par tous les citoyens 12 : il appartenait au jurisconsulte de la parfaire 13. Pour accomplir cette œuvre, les jurisconsultes ont employé, suivant les époques, des procédés divers, une méthode différente. Les uns ont traité les décisions du législateur comme une collection d'espèces ou de règles sans liens entre elles, les autres comme les éléments d'une science. Les uns furent des casuistes ou des praticiens ; les autres des jurisconsultes au sens élevé du mot. Dans l'histoire de la jurisprudence romaine, on peut distinguer cinq périodes : celle des pontifes, des casuistes, des fondateurs de la science du droit, des classiques, des praticiens du Bas-Empire. fut pendant longtemps, à Rome, le monopole du collège des Pontifes'. Seuls, les membres de ce collège savaient l'art d'appliquer le droit. Ils ont contribué à sa formation de trois manières: 1° en interprétant la loi des Douze Tables ; 2° en déterminant soit les solennités à accomplir pour faire valoir en justice les droits reconnus par la loi, soit les jours où il était permis d'agir ; 3° en rédigeant des formulaires d'actes juridiques. L'interprétation des Douze Tables par les Pontifes est attestée par Pomponius15 ; elle acquit promptement une valeur égale à celle de la loi. A une époque où le droit était encore sur certains points dépendant de la religion, il n'est pas étonnant que les décisions des Pontifes aient été observées à l'égal de celles qu'ils rendaient comme organes de la volonté des dieux. Gains en donne un exemple : la tutelle des patrons sur leurs affranchis impubères fut, dit-il, appelée légitime, non pas que la loi s'en fût spécialement occupée, mais parce que, admise par voie d'interprétation, on la considéra comme comprise dans les termes de la loi 16 Ce sont aussi les Pontifes qui, au témoignage de Pomponius, ont créé les actions de la loi et fixé les formes d'actes juridiques (actiones, formae agendi) 17. Les unes etles autres ont été établies par des règlements qui avaient par eux-mêmes on qui ont acquis force de loi (legibus J UIt -717JUR prodilae) 1, Elles comportent des paroles solennelles (certa verba) 2 auxquelles on ne peut rien changer à peine de nullité 3. Les formulaires d'actes juridiques présentent une particularité caractéristique; ils sontrédigés avec un grand luxe de détails. Les Pontifes ont transporté dans le droit les habitudes qu'ils avaient contractées dans l'étude de la religion: de même qu'ils ont analysé les qualités des dieux et en ont fait autant de divinités spéciales [INDIGITAMENTA1, ils ont multiplié les distinctions dans la rédaction des actes juridiques. Jure consulti, dit Cicéron, saepe quod posilunt est in una cognitione, id in infinita dispertiuntur 4. L'application de cette méthode avait sa raison d'être : les actes juridiques (levaient être rédigés de façon à prévenir les difficultés que la pratique judiciaire avait révélées; il fallait entrer dans les détails les plus minutieux pour éviter toute surprise (captio) 5. D'autre part, pour donner à leurs innovations la valeur qui leur aurait fait défaut, les Pontifes s'efforcèrent de les rattacher aux termes de la loi. L'un des moyens qu'ils ont le plus fréquemment employés pour étendre l'application de la loi consista à détourner de leur portée normale les formes d'actes et les règles consacrées par la loi. Ainsi s'explique l'emploi d'actes imaginaires, dénaturés ou fictifs On ne connaît guère que les noms de quelques jurisconsultes de cette époque Pomponius, dans son Enchiridion, écrit sous Hadrien 7, cite Appius Claudius, l'un des auteurs de la loi des Douze Tables, puis son petit-fils, Appius Claudius Caecus, le censeur de l'an qui composa un traité De usurpationibus 8. Il cite encore P. Sempronius Sophus, le consul de l'an 450, Scipio Nasica 9 et Q. Mucius 10 ou plutôt Maximus". Les privilèges dont jouissaient les Pontifes quant à la connaissance et à l'interprétation du droit, reçurent une atteinte sérieuse vers le milieu du ve siècle de Rome : ce fut, d'après la tradition, la conséquence de la divulgation des archives pontificales, de la publication des formulaires et du calendrier par Cn. Flavius, l'affranchi du censeur Appius Claudius 12. Bientôt après, le premier grand pontife plétiéien, Tib. Coruncanius, commenta à vulgariser l'art du droit, en admettant à ses audiences tous ceux qui voulurent l'apprendre 13. Désormais, tout citoyen qui eut la vocation nécessaire put devenir juris peritus. II. LES CASUISTES. Les Prudents qui, au vie siècle, interprétèrent le droit en dehors du collège des Pontifes, se conformèrent tout d'abord à la méthode de leurs maîtres. Leur activité s'est manifestée sous trois formes -que Cicéron caractérise par les mots respondere, cavere, agere' . .tlespondere, c'est répondre à une consultation 15; cavere 1', c'est rédiger un acte juridique ; agere, c'est tracer la marche à suivre pour faire valoir un droit en justice L'intervention des Prudents pour la rédaction des actes juridiques et l'exercice des actions en justice était motivée par la rigueur avec laquelle on devait observer les formes prescrites. C'était le moyen le plus sûr de sauvegarder son droit ou d'éviter les chicanes d'un adversaire sans scrupulesf8. Quelle que fût la forme de leur intervention, les Prudents ne traitaient jamais que des cas particuliers : c'étaient des casuistes. Cicéron leur en fait le reproche. « Je vois, dit-il, dans les livres de Brutus et de Caton, qu'ils ont presque toujours soin de nommer les personnes, hommes et femmes, à qui ils ont donné des décisiong sur le droit : ils ont voulu, je pense, nous faire croire que la consultation ou la raison de douter tenait à la personne et non au fond de l'affaire ; et, comme le nombre des personnes est infini, nous décourager de l'étude du droit et nous faire perdre la volonté d'apprendre en même temps que l'espérance de savoir 19. n Un passage de Labéon, cité par Aulu-Gelle, fait ressortir la distance qui sépare le casuiste du jurisconsulte 20. Les Prudents ne tardèrent pas à entrer dans une voie nouvelle. Il n'existait pas parmi eux, comme dans le collège des Pontifes, une autorité qui s'imposât à tous pour maintenir l'unité de doctrine ; les divergences étaient inévitables. Ils se mirent à écrire des traités ou commentaires pour faire connaître leur manière de voir et discuter les opinions adverses 2i. Le premier en date de ces commentaires est celui de S. 1Elius Paetus Catus, le consul de l'an GGG 22. Pomponius considère ce livre comme le berceau du droit : qui liber veluti cunabula juris continet 23. Il porte le nom de . ripentita parce qu'il contient trois parties : la première consacrée aux Douze Tables, la seconde à l'interprétation, la troisième aux actions de la loi. Pomponius cite ensuite les commentaires de Caton l'Ancien et de son fils, Cato Licinianus 24 ; les écrits (le M. Manilius, de M. Junius Brutus et de P. Mucius Scaevola, les fondateurs du jus civile2". C'étaient des traités portant sur l'ensemble du droit civil, et qui à ce titre servirent de fondement à la jurisprudence postérieure 26, mais qui présentaient encore le caractère de recueils d'espèces 27. Le premier essai de généralisation se manifeste dans la rédaction de règles de droit : formules brèves et précises qui expriment l'idée commune à une série de dispositions législatives ou de décisions consacrées par la pratique 28. Ces règles, qui par elles-mêmes sont purement théoriques, n'ont d'autre valeur que celle qui s'attache à l'opinion des jurisconsultes qui les ont proposées 2s L'exemple le plus célèbre est celui de la règle Catonienne 3°. JUR que la casuistique se développait et que les réponses des Prudents se multipliaient, la connaissance du droit devenait plus laborieuse '. La méthode analytique avait donné les résultats qu'on en pouvait attendre. Le moment était venu de recourir à la synthèse. On chercha à ramener à des notions générales les décisions d'espèce, à les classer par genres (generatim) 2. On s'efforça en même temps de grouper systématiquement les règles de droit, en les considérant comme les éléments d'un seul tout. Cicéron explique très bien en quoi consiste fars perfecta juris civilis 3. Il faut, dit-il, que le jurisconsulte primum omne jus civile in genera digerat, quae perpauca sont, deinde eorunz generum quasi quaedam membru dispertiat, tum propriain cujusque vim definitione declaret 4. Cette trans formation s'opéra sous la double influence de la philosophie et de la rhétorique grecques. On sait d'une façon positive que plusieurs des grands jurisconsultes du cale siècle étudièrent les doctrines stoïciennes à l'école de Panaetius : tels furent Q. 1Elius Tubero, consul en 636, P. Rutilius Rufus, consul en 619 5, Sextus Pompeius, l'oncle du grand Pompée 6. Quant à la rhétorique, M. Porcius Cato lui-même, malgré son hostilité contre l'hellénisme, en résuma les règles dans un chapitre des Préceptes adressés à son fils 7. Mais l'influence de la Grèce, particulièrement en ce qui touche la philosophie, a été souvent exagérée 8. A la philosophie grecque, les jurisconsultes empruntèrent l'art de présenter les règles de droit dans un ordre systématique, et de développer leurs idées dans un ordre logique ; à la rhétorique, de nouveaux principes d'interprétation des lois et des actes juridiques. Il est facile du reste de se convaincre de la différence profonde qui sépare les conceptions des jurisconsultes de celles des philosophes. Nulle part le contraste n'apparaît plus frappant que dans ce passage où Sénèque critique une distinction, qu'il ne réussit pas à comprendre, entre le droit à l'hérédité et son objet : Jurisconsultorum istae acutae ineptiae suet, qui hereditatem negant usucapi pusse, sed ea quae in hereditate suet: tanquam quidquam aliud sit hereditas quam ea quae in hereditate sunt9. Le premier qui appliqua au droit les principes de la philosophie et de la rhétorique grecques fut le grand pontife Q. Mucius Scaevola, consul en 6b9. Ses deux ouvrages principaux, Juris civilis lib. 1YVII1 et liber singutaris i mv, en sont la preuve : dans l'un, il présenta, pour la première fois, un exposé systématique du droit civil 10; ï-18JUR dans l'autre, ila réuni un certain nombre de définitions'destinées à expliquer les termes de droit obscurs ou équi voques '2; on y trouve aussi des règles de droit rédigées soit par lui, soit par ses prédécesseurs i3. Partout, en un mot, apparaît dans l'oeuvre de Q. Mucius la volonté de s'élever au-dessus des décisions d'espèce et de poser des préceptes généraux. Les jurisconsultes postérieurs ne s'y sont pas trompés " ; seul Cicéron rie lui rend pas justice lorsqu'il attribue à son ami Servius le mérite d'avoir fait du droit un art 15 Parmi les disciples de Q. Mucius, le plus célèbre est C. Aquilius Gallus préteur en 688'', l'auteur de la stipulation Aquilienne'$ [SIIPULATIOJ et de la formule servant à instituer les posthumes dits Aquilicns 19 IPOSTIiumusj. Aquilius eut à son tour pour disciple Servius Sulpicius Itufus, consul en 70320. Servius, qui avait été à Rhodes en même temps que Cicéroll21, sans doute pour y étudier la rhétorique et la philosophie avec Apollonius et Posidonius, continua l'oeuvre de généralisation entreprise par Q. Mucius 22. A la fois philosophe, orateur et jurisconsulte, il exerça par ses livres, au nombre de 180, et par ses réponses, une grande influence sur ses contemporains 23. Les jurisconsultes postérieurs eux-mêmes invoquent fréquemment son autorité 2'. Pomponius cite les noms de dix jurisconsultes de l'école de Servius 25: au premier rang figurent Aulus Ofilius et P. Alfenus Varus. L'iteuvre d'Aulus Ofilius, l'ami de Jules César, embrasse l'ensemble du droit", le droit prétorien 27 aussi bien que le droit civil. Le titre de son ouvrage sur le droit civil, Jus partitum'e, parait indiquer un travail systématique analogue à celui de Q. Mucius. Le Digeste de P. Alfenus Varus présente un caractère moins scientifique: autant qu'on peut en juger d'après les vingt-neuf fragments insérés au Digeste de Justinien 29, c'est un recueil de réponses groupées par matières. Cet ouvrage valut à son auteur une grande réputation : fils d'un cordonnier de Crémone 30, il parvint au consulat 31 et fut honoré de funérailles publiques 32 En dehors des disciples de Servius, il convient de citer deux jurisconsultes de la fin de la République : l'un, C. Trebatius Testa33, qui jouit d'un grand crédit auprès d'Auguste3' et fut le maître de Labéon37, composa plusieurs livres de civili jure 38 ; l'autre, Q. "Elius Tubero 37, est le premier jurisconsulte qui ait écrit sur le droit public 38. Ses ouvrages, dit Pomponius, furent peu goûtés parce qu'il affecta de se servir d'un style archaïque 39. JUR 719 JUR qui viennent d'être constatées chez les fondateurs de la science du droit au dernier siècle de la République se sont développées aux trois premiers siècles de l'Empire: elles ont valu aux jurisconsultes de cette période le surnom de classiques, Quel est en matière de droit l'idéal classique? C'est une question qu'on a résolue d'une manière différente suivant les époques, parce qu'on a attaché un plus grand prix à telle ou telle des qualités qui distinguent nos jurisconsultes. Leibniz a vanté leur dialectique serrée,qu'ilacomparée à celle des géomètres, la sûreté mathématique avec laquelle ils déduisent les conséquences de leurs principes D'autres ont loué leur entente des affaires, leur sagacité pour découvrir la vraie solution qu'elles comportent Grâce à leur connaissance parfaite des besoins de la vie réelle, ils ont toujours réussi à accommoder le droit aux besoins de la pratique, à distinguer les questions de droit des questions de fait, ce qui est du ressort du droit strict ou de celui de la bonne foi. D'autres ont fait reçiarquer que les jurisconsultes des premiers siècles de l'Empire ont su donner au droit romain un caractère universel 3, soit en empruntant aux coutumes locales ce qu'elles avaient de meilleur, soit en accommodant les principes du droit romain aux moeurs et aux besoins des régions nouvelles où il devait s'appliquer ''. D'autres enfin ont été séduits par l'élégance de leur méthode, élégance qui se révèle par le sentiment des nuances °, et qui leur a permis de donner pleine satisfaction à l'équités. Ajouterons-nous que les jurisconsultes classiques ont su marquer avec un tact parfait la limite qui sépare le domaine du droit de celui de lamorale7? Lorsqu'une question de moralité ou simplement de convenance 9 est en jeu, leurs décisions sont irréprochables; on ne salirait tenir un plus beau langage que Papinien : Quae fada laedunt pietatem, existimationein, verecundiam nostram, et, ut generaliter dixerim, contra bonos mores fiant, nec facere nos posse credendum est 10. Les jurisconsultes classiques ont eu conscience de la grandeur de leur mission. Ulpien la compare à celle des prêtres : Cujus merito (juris)quis sacerdoces nosappellet; justitiam namque colimus, et boni et iequi notitiam profitemur, aequum ab iniquo separantes, licitum ab illicito discernentes, bonos non solum metu poenarum, verum etiam praemiorum quoque exhortatione efficere cupientes, veram, nisi fallor, philosophiam non simulatam affectantes". La perfection de la science du droit aux trois premiers siècles de l'Empire est un fait d'autant plus remarquable que dans toutes les autres branches du savoir humain on constate, àlamême époque, des signes de décadencef2. Malgré la ruine des libertés politiques, les jurisconsultes savent défendre les droits privés contre les empiètements des pouvoirs publics, et dans cette tàche ils font preuve d'une grandeur et d'une noblesse de sentiments dignes des Romains des meilleurs temps de la République. C'est la réunion de tant de qualités qui a valu aux jurisconsultes de cette période la qualification de classiques. Sur un point, cependant, ils ont été, dit-on 13, inférieurs à eux-mêmes et n'ont pas réussi à atteindre la hauteur à laquelle ils sont arrivés ailleurs : pour l'ordonnancement systématique du droit, ils sont en général moins hardis que leurs prédécesseurs immédiats ; ils suivent trop fidèlement la tradition. Ils hésitent à formuler une définition de peur de se tromper 14; ils aiment mieux donner une décision d'espèce. Au lieu de concevoir un système général du droit privé, ils reproduisent dans leur exposé tantôt le système de l'édit, tantôt celui des jurisconsultes de la fin de la République. Ce reproche, en le supposant fondé, ne s'applique pas à tous les jurisconsultes. Labéon 13, par exemple, Celsus i6, Julien 17, Ulpien 18, ne sauraient être accusés de timidité ; leurs constructions juridiques peuvent entrer en comparaison avec celles de Q. Mucius ou de Servius '0. Il est vrai qu'ils se sont attachés aux divisions traditionnelles de la matière juridique, mais ceux d'entre eux qui sont antérieurs à la rédaction de l'édit perpétuel ne pouvaient faire abstraction d'un mode de formation du droit sui generis, identifier les créations du préteur avec celles de la loi. Quant aux jurisconsultes postérieurs, ils ont tout au moins préparé la fusion en un seul tout du droit prétorien et du droit impérial avec le droit civil. Dans leurs commentaires sur l'édit, ils ne manquent jamais de rapprocher les dispositions du droit honoraire soit du droit antérieur, soit du droit établi par les rescrits impériaux 20 ; et dans leurs Digestes, Celsus et Julien ont présenté un tableau d'ensemble du droit romain [UONORARlUD! JUS, p. 2115 . B. Si les jurisconsultes classiques se reconnaissent à certains traits communs à tous, chacun d'eux n'en a pas moins une individualité bien marquée. Il convient d'ailleurs de distinguer la période antérieure et celle qui est postérieure à Hadrien. 1° La première est caractérisée par l'existence de deux écoles rivales : l'école des Sabiniens et celle des Proculiens21. On en est réduit à des conjectures sur la cause de cette division 22 : les uns l'attribuent à des raisons poli JUR 720 JUR tiques t, les autres à des raisons théoriques2. D'autres considèrent ces deux écoles comme des établissements d'instruction différents 3 ; d'autres enfin pensent que cc sont des écoles ayant une tendance scientifique différente, comme les écoles de philosophie grecques'. Les Proculiens paraissent plus attachés aux idées romaines ; les Sabiniens accueillent volontiers les idées étrangères: leurs opinions ont été le plus souvent consacrées par les empereurs. L'école des Proculiens eut pour fondateur Labéon; elle eut successivement pour chefs f Nerva l'ancien 6, Proculus7, Nerva le fils8, Longinus Pegasus10, Celsus l'Ancien Celsus le fils 19, Neratius 13. L'école des Sabiniens, fondée par Capiton, eut pour chefs Massurius Sabi nus, Cassius, Caelius Sabinus, Javolenus, Valens Tuscianus et Julien. Lab éon et Capiton appartenaient à des partis politiques opposés ; le premier était hostile au nouveau régime, le second en était partisan. Capiton fut consul en 758'"°, Labéon refusa le consulat qu'Auguste lui offrit16 Bien que de leur temps ils aient eu tous deux une égale réputation, Labéon seul a exercé sur la jurisprudence postérieure une influence durable. Capiton est cité une seule fois au Digeste17, tandis qu'on a, sur le droit pontifical, la loi des Douze Tables'°, le jus civile 19, l'édit du préteur 20, de nombreux.fragments de Labéon La fécondité de Labéon est attestée par Pomponius: il aurait laissé 7100 livres. Ce n'est pas seulement la quantité de ses ouvrages qui lui a assuré une place éminente parmi les jurisconsultes, c'est surtout son esprit novateur 21. Ses innovations ont consisté, non pas à introduire des conceptions étrangères aux Romains, mais à présenter sous un aspect nouveau la matière juridique Connaissant à fond les diverses parties dela science, la grammaire, la dialectique, les antiquités 22, il est un de ceux qui ont le plus contribué à l'élaboration scientifique du droit. Sa préoccupation constante est de s'élever du particulier au général, et de fixer par des définitions 23, ou par des classifications2'", les notions ainsi obtenues. Les travaux de ses successeurs au lcr siècle sont trop peu connus pour qu'on puisse porter un jugement sur la méthode qu'ils ont suivie. De Proculus, qui a donné son nom à l'école, il ne reste que quelques fragments extraits de ses Lettres et de ses notes sur Labéon26. Les compilateurs du Digeste ont plus volontiers puisé dans les écrits des Sabiniens. Massurius Sabinus, qui a donné son nom à l'école adverse, était sans fortune. Il dut aux subsides de ses élèves d'acquérir, vers la cinquantaine, le cens équestre. Tibère lui conféra le jus respondendi 26. Son oeuvre capitale, Libri tees juris civilis 27, a un caractère théorique et didactique. On la connaît surtout par les commentaires de Pomponius, d'Ulpien et de Paul ad Sabinuni. Elle devait contenir, sous une forme très condensée, un exposé systématique du droit civil28. Le successeur de Massurius Sabinus, C. Cassius Longinus, consul en l'an 30, fut non moins célèbre que son maître : on appelle parfois les jurisconsultes de leur école Cassiaali 29, au lieu de Sabiniani. Cassius composa lui aussi un traité de droit civil, mais sur un plan différent de celui de Sabinus 30. Le chef de l'école Sabipienne après Cassius, Cn. Arulenus Caelius Sabinus 31, consul en 69, occupa une haute situation sous Vespasien 32 ; son ouvrage le pins connu est un commentaire de l'édit des édiles 33. Vers la même époque se placent deux jurisconsultes de grande valeur, dont on ne peut dire s'ils furent Sabiniens ou Proculiens ; Plautius, l'auteur d'un traité consacré au jus ftonorarium et qui a été commenté par le Proculien Neratius et par le Sabinien Jtut (demis, par Pomponius et par Paul' ; Titius Aristo, l'ami (le Trajan et de Pline le Jeune 36, qui annota les Posteriores de Labéon 37, aussi bien que les traités de droit civil de Sabinus 38 et de Cassius 3°, Les principaux jurisconsultes de son temps étaient en relations avec lui et prenaient son avis'0. Son contemporain, L. Javol enus Priscus ", légat de Numidie en 83 et qui devint plus tard proconsul d'Afrique, fut, malgré une boutade de Pline le Jeune '2, un jurisconsulte d'un rare mérite : nous en avons pour garant le témoignage de Julien qui l'appelle son maître et qui, dans une question douteuse, se décide d'après son opinion '3. I1 reste de Javolenus un assez bon nombre de fragments JUR 721 JUR empruntés les uns à ses travaux sur les Posteriores de Labéon sur le Jus civile de Cassius et sur le traité de Plautins, les autres à son recueil de Lettres en quatorze livres 1. Si, au cours du 1" siècle, les chefs des deux écoles n'ont pas laissé dans la jurisprudence une empreinte aussi profonde que leurs prédécesseurs du temps d'Auguste et de Tibère, il en fui autrement au début du ne siècle. P Juventius Celsus, le chef des Proculiens, et P. Salvius Julianus, le chef des Sabiniens, sont des esprits vigoureux qui ont ouvert au droit des voies nouvelles et dont les doctrines font époque dans la science. Tous deux occupèrent une haute situation : ils furent deux fois consuls et Julien devint préfet de la ville Celsus reçut de son père une forte éducation juridique Nul ne connaît mieux que lui la jurisprudence antérieure : les oeuvres des jurisconsultes du temps de la République, de ceux-là mêmes qui précédèrent Q. Mucius, lui sont familières 5. Son savoir étendu ne nuit pas d'ailleurs à l'indépendance de son jugement. La vivacité de son esprit est restée célèbre, et le nom de responsio Celsina désigne une façon de répondre à une question irréfléchie (quaeslio Domitiana) avec autant de netteté que de franchise : Aut non intelligo quid sit de quo me consulueris, out valde stulta est consultatio tua ; plus enim quam ridiculum est, dubitare, an aliquis jure testis adâibitus sit, quoniam idem et tabulas testamenli scripserit 6. L'ouvrage principal de Celsus est son Digeste en trente-neuf livres : il comprend l'ensemble du droit privé, le droit civil aussi bien que le droit prétorien'. Salvius Julianus est le premier de ces jurisconsultes provinciaux qui, aux ne et nie siècles, ont occupé une place prépondérante dans la science du droit. Né en Afrique, à Iladrumète 8, il vint de bonne heure à Rome et fut le disciple de Javolenus. Ses notes sur les oeuvres d'Urseius Ferox 9 et de Minicius 10 le firent rapidement connaître. Hadrien le désigna pour mettre en ordre et rédiger l'édit perpétuel EDICTUM, IIOVODADIUM JUS]. De même que Celsus, Julien a composé, sous le nom de Digeste, un ouvrage portant sur l'ensemble du droit". Bien que la casuistique y tienne une large place, c'est avant tout une oeuvre dogmatique. Elle a été conçue sur un plan très large et comprend quatre-vingt-dix livres 12 Les doctrines (le Julien ont été en grande partie accueillies par ses contemporains ", aussi bien que par les jurisconsultes de l'époque ultérieure 14. Son autorité fut telle qu'après lui la distinction des écoles Proculienne et Sabinienne n'est plus qu'un souvenir. Si l'on trouve encore V. des jurisconsultes qui se disent Sabiniens, comme Pomponius et Gaius, il n'y a plus de Proculiens. La réorganisation du conseil impérial par Iladrien. a dû aussi contribuer à ce résultat. Hadrien eut la pensée d'appeler dans ce conseil les chefs des écoles rivales, Celsus et Julien. Les décisions prises par l'empereur après délibération ne laissèrent plus de place aux dissidences et contribuèrent à assurer l'unité de doctrine '5. 2° Dans la période postérieure à Iladrien, après l'effort produit par Celsus et Julien, la jurisprudence resta quelque temps stationnaire. C'est l'époque des vulgarisateurs, de Sextus Pomponius, l'auteur le plus fécond du ne siècle 16, de Gaius, ce jurisconsulte dont on ne sait que le prénom 17, mais dont les commentaires, découverts par Niebuhr dans un palimpseste de Vérone, ont renouvelé l'étude du droit romain en notre siècle. C'est aussi l'époque de S. Caecilius Africanus 18, qui dans les neuf livres de ses Quaestiones, a recueilli surtout les décisions de son maître Julien; de Venuleius Saturninus 10, l'auteur de traités de o f/icio proconsulis et de judiciis publicis ; de L. Volusius Maecianus, le professeur de droit de Marc Aurèle 20. Dans ce bref aperçu de la jurisprudence classique, nous ne pouvons ni citer tous les noms, ni caractériser toutes les oeuvres. Il suffit à notre objet de signaler les faits les plus saillants, en renvoyant pour les détails aux livres contenant l'histoire générale de la jurisprudence romaine. A la fin du ue siècle, trois noms méritent de retenir l'attention : ceux de Marcellus, de Scaevola et de Papinien. Ulpius Marcellus 21 doit sa réputation à son Digeste en trente et un livres, qui contient un exposé systématique du droit dans l'ordre de l'Édit. Il a aussi annoté le Digeste de Julien, et a plus d'une fois rectifié et précisé les doctrines de ce jurisconsulte. Q. Cervidius Scaevola, le conseiller de Marc-Aurèle 22, a joui de tout temps d'une autorité indiscutée. Modestin le cite parmi les coryphées de la science du droit u. Dans une constitution de la fin du Ive siècle, il est appelé prudentissimus jurisconsultorum 94. Sa notoriété s'étendit dans tout l'Empire. De toutes les provinces on lui demandait des consultations. On a de lui un recueil de Réponses en six livres, et un recueil de Questions en vingt livres. Son Digeste en quarante livres est l'un des plus importants de la littérature juridique. H y a plus particulièrement développé les parties que ses prédécesseurs avaient traitées avec moins d'étendue, comme les legs et les fidéicommis. 91 JUR 722 JUR La célébrité de Scaevola n'a été surpassée que par celle de Papinien'. D'origine provinciale 2, il fut l'ami de Septime Sévère, dont il était peut-être parent par alliance 3. Assesseur des préfets du prétoire, magister libellorum, puis préfet du prétoire, au début du me siècle, Amilius Papinianus fut mis à mort à la suite du meurtre de Geta par Caracalla4. Les anciens le considèrent comme le martyr de la science du droit. L'oeuvre de Papinien consiste surtout en deux recueils, l'un de Questions en trente-sept livres, l'autre de Réponses en dix-neuf livres. Ce qui assure à Papinien la prééminence entre tous les jurisconsultes classiques, c'est la perfection de sa méthode qui ramène sans difficulté chaque espèce L. la règle de droit qui la gouverne, c'est la sobriété et la précision de son style, la rigueur et l'exactitude de ses raisonnements, l'élévation de sa pensée Deux assesseurs de Papinien dans la préfecture du prétoire, Paul et Ulpien, qui devinrent à leur tour préfets du prétoire sous Alexandre Sévère 6, sont classés parmi les grands jurisconsultes. Ce sont surtout des compilateurs et des vulgarisateurs. Disciple de Scaevola', Paul 8 a publié un nombre considérable d'ouvrages : les uns sont des éditions annotées de certaines oeuvres de jurisconsultes antérieurs (Labéon, Neratius, VitelliusJulien, Scaevola, Papinien) ; les autres des travaux personnels. Ceux-ci s'élèvent, à notre connaissance, à quatre-vingt-six. Les principaux sont : un commentaire sur l'Édit en soixante-dix-huit livres, qui paraît avoir été rédigé sous le règne de Commode" et où ila utilisé les travaux des jurisconsultes antérieurs; un traité de droit civil en seize livres sur le plan de celui de Sabinus, où il s'est inspiré surtout de Pomponius ; un commentaire en vingt-trois livres ad edictum de brevibus ; un recueil de Questions en vingt-cinq livres composé après la mort de Septime Sévère" ; un recueil de Réponses en vingt-trois livres terminé sous Alexandre Sévère 12; un commentaire des lois Julia et Papia en dix livres, de la loi A lia Sentia en trois livres, un recueil de Decrela impériaux en trois livres et un autre en six livres consacré aux Imperiales sententiae in cognitionibus prolatae 13. Outre un grand nombre de monographies, Paul a rédigé divers manuels, entre autres les cinq livres de ses Senlentiae ad (ilium qui nous sont parvenus en partie, grâce à un extrait inséré dans la Lex Romana Wisigothorum. A ces livres sur le droit privé, il faut joindre une série de livres sur le droit public, tels que ceux de offîcio proconsulis ou de of icio praefecti vigilum 14. Bien que Paul ait beaucoup emprunté aux jurisconsultes antérieurs, on ne saurait contester ni l'indépendance de son jugement', ni la finesse de sa critique, ni l'étendue de sa science. Modestin le range au nombre des coryphées (xopu?aiat tiwv vop.txw) 1e). Gordien 1' et Dioclétient' l'appellent vir prudentissimus. Originaire de Tyr en Phénicie", Domitius Ulpianus occupa sous Alexandre Sévère les plus hautes charges de l'Empire; il périt en 228, massacré par les Prétoriens20 Ses deux principaux ouvrages sont un commentaire sur l'Édit en quatre-vingt-un livres pour lequel il s'est servi des travaux de Pomponius et de Sextus Pedius 21 sur l'Édit, des Digestes de Celsus, Julien et Marcellus, des Questions et des Réponses de Papinien, et oit il donne l'interprétation de chaque édit et des formules qui l'accompagnent; un traité de droit civil en cinquante et un livres sur le plan de celui de Sabinus, et où il s'est inspiré surtout du traité analogue de Pomponius. Le traité d'CTlpien paraît d'ailleurs inachevé2'. Comme ses prédécesseurs, Ulpien a publié un recueil de ses Réponses, mais il ne contient que deux livres. En revanche, il a écrit dix livres de Disputationes et six livres d'Opiniones, le premier sans doute à l'usage de ses élèves, le second pour les praticiens. il faut y joindre une série de monographies, plusieurs livres sur les officia des magistrats, et quelques courts exposés des principes fondamentaux du droit privé, entre autres un liber singularis Regularum. Dans tous ces travaux, Ulpien fait preuve d'un grand talent d'assimilation 23. Il sait exposer avec clarté et élégance les idées de ses prédécesseurs ; il y joint souvent des remarques personnelles judicieuses, et en mainte circonstance il a contribué au progrès du droit'. Modestin, son élève, l'appelle ô xpé :rstuç 24, et Justinien (ao pwcazoç, summi ingenii vir La plupart des ouvrages d'Ulpien ont été composés sous te règne très court de Caracalla26. C'est là une remarque qu'on a parfois négligée. Elle a son importance pour bon nombre de questions, notamment pour celle de savoir à quel titre les chrétiens furent poursuivis aux deux premiers siècles de l'empire. M. l'abbé Duchesne refuse toute valeur au témoignage de Lactance 27 qui affirme qu'Ulpien avait réuni les rescrits des empereurs contre les chrétiens au livre VII de son De officia proconsulis. Suivant lui, Ulpien, préfet du prétoire d'Alexandre Sévère, n'a pu songer à codifier les lois contre les chrétiens, sous un prince qui leur était favorable28. L'objection disparaît et le passage de Lattante conserve toute sa force2°, dès l'instant que le traité d'Ulpien est antérieur à Alexandre Sévère. Or, aucun doute n'est possible. Ulpien désigne presque à chaque page l'empereur régnant par les expressions imperator noster Anto ninus cum patre, imperator Antoninus cunz Divo patre suo 30. Il est d'ailleurs prouvé par un passage de son commentaire sur l'Édit'', passage rédigé peu de temps après l'an 212 32, qu'Ulpien s'était occupé des actes JUR 723 JUR inspirés par une improbala publice religio [JUSJVRANDUM]. Les écrits de Paul et d'Ulpien ont été fort appréciés au Bas-Empire. Les compilateurs du Digeste leur ont emprunté un très grand nombre de fragments. Par leur intermédiaire, une partie importante de l'ancienne jurisprudence romaine est parvenue jusqu'à nous. Après Paul et Ulpien, on trouve encore au 111° siècle quelques jurisconsultes de marque : nous citerons seulement Marcien et Modestin. Aelius Marcianus a écrit un traité ad formulam hypothecariam qui a beaucoup servi aux compilateurs du Digeste, et seize livres d'Instituliones analogues à celles de Gaies, mais beaucoup plus étendues. On y trouve fréquemment des citations de Démosthène, de Chrysippe, d'Hornère ou de Virgile : c'était une manière de rompre la monotonie de l'exposé et de rendre la lecture plus agréable. Ilerennius Modestinus fut l'élève d'Ulpien 2 et le professeur de droit de Maximilien le jeune 3. 11 devint préfet des vigiles entre les années 226 et 244.4. Dans un rescrit de l'an 239, Gordien parle de lui comme d'un jurisconsulte non contemnendae auctoritalis 3. La loi des citations le range au nombre des cinq gronds jurisconsultes, à côté de Gaies, de Papinien, de Paul et d'Ulpien G. La nature de quelques-uns (le ses travaux était conforme aux besoins et aux goûts du Bas-Empire : plus de commentaires approfondis, mais des manuels destinés aux étudiants ou aux praticiens, tels que ses Pandectes en douze livres, ses Ilegulae en dix livres, ses Responsa en dix-neuf livres'. L'un de ses ouvrages, écrit en grec (De excusationibus lib. VI) est relatif aux causes que l'on peut invoquer pour s'excuser d'une charge publique; d'autres (Di/Jerentiarum libri LI', De enuclealis casibus) marquent le retour de la jurisprudence à la casuistique. C. Les jurisconsultes classiques ont exercé leur influence de deux manières : par leurs levons, par leurs écrits. On doit les envisager tour à tour comme professeurs$ et comme écrivains. Quelques-uns d'entre eux ont eu sur la formation du droit une action plus directe : ils ont été en même temps juris auclores. Mais ce fut une situation privilégiée réservée à ceux qui obtinrent du prince le jus publice respondendi. La question de l'enseignement du droit à Rome et dans certaines grandes villes de l'Empire, Béryte, Alexandrie, Césarée, Athènes et plus tard Constantinople, aété traitée au mot ANTECESSOR. Celle du jus publice respondendi sera traitée au mot PRUDENTES. On ne s'occupera ici que des écrits des jurisconsultes, et l'on recherchera: 1" comment ils sont parvenus jusqu'à nous; 2° comment on peut les classer d'après leur but ou leur objet. 1° Les écrits des jurisconsultes nous sont parvenus les uns isolément, les autres dans des recueils composés au Bas-Empire. Ils ont été transmis pour la plupart d'une façon fragmentaire, par le Digeste de Justinien9. Ce recueil comprend uniquement des extraits de leurs ouvrages. Il fut composé de 530 à 533 par une commission de seize membres présidée par Tribonien et où siégeaient deux professeurs de l'école de droit de Constantinople, Théophile et Cratinus, et deux de l'école de Béryte, Dorothée et Anatolius10. Les extraits ont été empruntés uniquement aux écrits des jurisconsultes gratifiés du jus respondendi". Exception a été faite en faveur de trois auteurs de la fin de la République : Q. Mucius, Alfenus Varus, Aelius Gallus''-. La liste de tous ces jurisconsultes avec l'indication des oeuvres qu'on a mises à contribution est donnée dans l'Index auclorum placé en tête du Digestei3. Justinien déclare que le nombre de livres [LIBER, voLuslEN] utilisés est d'environ 2000, contenant trois millions de lignes 1°. Conformément aux instructions qu'ils avaient reçues lb, les compilateurs du Digeste n'ont en principe recueilli que les décisions qui étaient d'accord avec le droit en vigueur au temps de Justinien; ils eurent d'ailleurs la faculté de corriger les textes en conséquence. Ces corrections portent les unes sur la forme, les autres sur le fond du texte. Les corrections de forme ont consisté, tantôt à supprimer certains termes désignant des institutions surannées, comme cretio, in jure cessio, fidepromissio, vadimonium, vindex, ou à les remplacer par des termes empruntés à des institutions analogues : mancipare par tradere, fiducia par pignes. Tantôt les textes ont été abrégés, ce qui leur donne parfois une portée générale qu'ils n'avaient pas dans la pensée de leur auteur". Les corrections portant sur le fond consistent ordinairement en additions au texte : on les reconnaît, soit à la langue qui n'est plus aussi pure que celle des jurisconsultes classiques, soità latournure de la phrase qui dénote une traduction du grec, soit à une contradiction flagrante avec le commencement du texte. Si les interpolations de Tribonien ont parfois rendu difficile l'interprétation de la pensée des jurisconsultes classiques 17, Justinien a rendu aux commentateurs modernes un service inappréciable en donnant l'ordre d'indiquer en tète de chaque fragment le nom de l'auteur et le titre de l'ouvrage auxquels il a été emprunté. Grâce à l'inscription qui précède chaque extrait, on petit aujourd'hui reconstituer dans une certaine mesure l'oeuvre personnelle des divers jurisconsultes, et suivre l'évolution de la jurisprudence romaine aux trois premiers siècles (le l'Empiret6. En dehors du Digeste, un certain nombre de textes classiques ont été conservés dans les Institutes de Justinien. Mais ici les sources ne sont plus indiquées, et il n'est pas toujours facile, sauf pour les parties empruntées aux commentaires de Gains, de déterminer quel est l'auteur ou quel est l'ouvrage que Tribonien a reproduit". Il n'en est pas de même, du moins en général, pour les textes insérés dans certaines compilations antérieures à Justinien. Ces compilations sont : le Bréviaire d'Alaric, JUR 724 --JUR les Vaticana fragmenta, la Collatio legum tllosaicarum el Romanarum, la Consultatio veteris cujusdam jurisconsulli. Au Bréviaire d'Alaric (Lex Romana Wisigolhorum), rédigé en 506 sur l'ordre d'Alaric II à l'usage de ses sujets gallo-romains ', on doit la conservation d'une partie importante des Sentences de Paul', soit environ un sixième du texte original. Dans un manuscrit palimpseste provenant du monastère de Bobbio et déposé à la bibliothèque du Vatican, Angelo Mati a découvert en 1821 les restes d'une compilation contenant des extraits d'écrits de jurisconsultes et de constitutions impériales'. Les jurisconsultes dont on a ainsi retrouvé quelques fragments sont Papinien, Paul et Ulpien. Leurs textes originaux sont reproduits exactement sans avoir été retouchés. Le recueil, désigné sous le nom de Collatio legum ,llosaicarum et Romanarum, est connu depuis le xvI° siècle : il a été publié par P. Pithou en 1573 4. Sa rédaction se place entre les années 390 et 438'. Il contient, à côté de règles du droit mosaïque empruntées à une traduction latine de la Bible des Septante, quelques constitutions impériales dont la plus récente est de 390 et des extraits de Gains, Papinien, Paul, Ulpien et Modestin. La Consultatio veteris cujusdam jurisconsulti, publiée par Cujas en 1577 6, paraît remonter à la fin du v° ou au commencement du vi° siècle 7. C'est un recueil de consultations, que l'on croit avoir été rédigé en France', et dans lequel l'auteur a inséré, à côté de constitutions tirées des codes Grégorien, Ilermogénien, Théodosien, des extraits des Sentences de Paul pour la plupart étrangers au Bréviaire d'Alaric. Tous ces fragments réunis sont bien loin d'égaler en étendue et en importance ceux que nous devons à Justinien. Les écrits qui nous sont parvenus isolément ne sont guère plus étendus, mais l'un d'eux présente un intérêt exceptionnel pour l'intelligence du droit classique. Ces écrits, qui pour la plupart ont été découverts au cours de ce siècle, et dont le nombre s'accroît peu à peu, n'ont été conservés que partiellement : il en est dont on ne possède qu'une ou plusieurs phrases, ou seulement quelques mots. Voici les principaux : Fragments du livre V des Réponses de Papinien, sur l'administration de la tutelle et la bonorum possessio contra fabulas, découverts en Égypte en 1877'. Fragments du livre 1X du même ouvrage, sur l'affranchissement, découverts en Égypte en 188210 Fragment du livre III des Questions de Papinien dans l'Ilexabiblos d'Ilarménopule Fragments des Institutes d'Ulpien, découverts à la Bibliothèque impériale de Vienne et publiés en 1835'2 Fragment anonyme De judiciis lib. Il, découvert en Égypte en 1877 13 Fragments anonymes dits De jure fisci, découverts dans la bibliothèque du chapitre de Vérone et publiés en 1820 14. Ils paraissent appartenir à un jurisconsulte de la fin du nt ou du commencement du Inc siècle '6. Fragment dit De formula P'abiana, découvert en Égypte et publié en 188816. 11 est de la même époque que les précédents: on y cite Marcellus. Fragment dit de Dosithée", extrait d'un recueil de versions latines et grecques, et publié par Pierre Pithou en 1573'". On y trouve cités divers jurisconsultes depuis Proculus jusqu'à Julien. Malheureusement, ce n'est pas le texte original qui a été conservé. Ces divers fragments ne sauraient entrer en comparaison avec les deux écrits qu'il nous reste à citer: les Régies d'Ulpien et les I nsliluliones de Gains. Le premier, publié en 1549 par Dutillet d'après un manuscrit du xe siècle, est un abrégé du liber singulaaris t'egularum d'Ulpien 19. Le texte de l'original a été respecté, suais il n'est reproduit qu'en partie. Le manuscrit est d'ailleurs incomplet. Le second ouvrage, au contraire, a été presque intégralement conservé. Il a été découvert par Niebuhr sur un palimpseste de la bibliothèque du chapitre de Vérone. Le manuscrit, qui est du ve siècle, avait servi au VI° siècle à une copie des Epislulae et des Polemica de saint Jérôme. Déchiffré par Goeschen, non sans difficulté, tant à cause de l'état du parchemin qu'en raison des abréviations employées par le scribe, il fut publié en 1820, puis en 1821 avec des additions de Bluhlne, qui venait de procéder à une revision du texte. Enfin, une nouvelle revision, entreprise par Studemund en 1866, complétée en 1878 et 1883, a donné d'excellents résultats, consignés dans l'édition publiée par Krueger et Studemund 'en 188420 Grlîce à ces divers travaux, on possède aujourd'hui presque entièrement les quatre livres des Institutes de Gains. Ils contiennent un exposé clair et méthodique du droit en vigueur au temps des Antonins, c'est-à-dire au plus beau moment de l'époque classique 21. 20 On classe ordinairement les écrits des jurisconsultes en deux catégories: les uns ont été composés pour l'enseignement, les autres pour la pratique. Les écrits destinés à l'enseignement sont de deux sortes : il y a d'abord des traités élémentaires présentant un exposé systématique de l'ensemble du droit ; telles sont les Institutes de Gains, de Paul, d'Ulpien, de Callistrate 22 de Florentin 23, de Marcien, l'Enchiridion de Pomponius. Tels sont aussi les libri regularum de Neratius, de Pomponius, de Gaius, de Paul, d'Ulpien, de Marcien, de Modes JUR 725 JUR tin, de Licinius Bufinus' qui contiennent généralement, non pas un exposé, mais une série de règles destinées sans doute à être apprises par coeur. Toutefois, quelquesuns de ces recueils, ceux qui comprennent un grand nombre de livres, ont dû être rédigés en vue de la pratique Il y a ensuite des ouvrages consacrés au commentaire soit de lois ou de sénatus-consultes ou de l'édit des magistrats, soit d'un ouvrage' d'un jurisconsulte antérieur. Tels sont les commentaires d'Ulpien sur les lois Julia et Papin, de Paul sur le sénatus-consulte Velléien, de Julien, de Marcellus, de Paul et d'Ulpien eul'Édit, de Julien sur Minicius, de Paul sur Nératius, de Javolenus sur les Posteriores de Labéon et sur Cassius. Les écrits principalement destinés à la pratique sont d'abord les Ilesponsa et les L'pistulae. Sabinus, Marcellus, Scaevola, Papinien, Paul, Ulpien, Modestin ont publié des Réponses; Proculus, Javolenus, Celsus, Pomponius, Africanus, des Lettres. Ce sont ensuite des recueils qui, par la forme, se rapprochent des libri regularum, mais qui furent rédigés à l'usage des praticiens : les Pithana de Labéon, les Sentences de Paul, les Opinion es d'Ulpien. Rentrent également dans cette catégorie les nombreux traités sur les officia des magistrats. Les Quaestiones, les Disputationes, ainsi que les Digesta forment une catégorie intermédiaire destinée àla pratique aussi bien qu'à l'enseignement. Si beaucoup de Quaestiones ont été suggérées par des espèces concrètes, il en est qui sont de pures questions d'école. Cela est également vrai des Disputationes. Fufidius, Celsus, Africain, Cervidius Scaevola, Iapinien, Tertullien, Callistrate, Paul ont écrit des libri quaestionum ; Tryphoninus des libri Disputationum. Quant à la nature des Digesta, elle a donné lieu à des divergences de vue entre les auteurs modernes. Mommsen 3 soutient que ce sont des compilations formées par la réunion de tous les écrits d'un ou de plusieurs jurisconsultes. Ce serait l'édition complète de ses ou de leurs oeuvres juridiques, avec cette particularité que les matières seraient rangées dans un ordre méthodique nouveau. A l'appui de cette manière de voir, Mommsen a fait remarquer qu'une série de textes de Cervidius Scaevola se retrouve à la fois dans son Digeste et dans ses autres ouvrages On s'accorde aujourd'hui à reconnaître qu'il y a quelque exagération dans l'opinion de Mommsen 4. Elle est exacte pour le Digeste d'Alfenus Varus qui contient le recueil de ses Réponses et de celles de quelques autres jurisconsultes. Elle s'applique aussi vraisemblablement au recueil d'Aufidius Namusa dans lequel les écrits de huit élèves de Servius digesti surit in centum quadraginta libros 5. Mais les Digesta de Celsus, de Julien, de Marcellus, de Scaevola ont un caractère différent : les auteurs de ces ouvrages ont entendu présenter un exposé doctrinal et méthodique de l'ensemble du droit. C'est la coordination de doctrines jusqu'alors sans lien entre elles qui caractérise la composition do ces Digestes. On conçoit dès lors que les auteurs de ces ouvrages aient maintes fois utilisé leurs travaux antérieurs, et qu'une même doctrine 2 Cf. Karloua, Ibid. p. 667. 3 Zeitschrift fùrliechtsgeschichte, t. VII, p. 480 L'opinion de Mommsen a été combattue par H. Pernice, liiscellanea car Rechtsgeschichte und Textes Krilik ; cf. J. E. Kuntze, Die Obligationen im rdm. und heutigen Ilcchi und dos Jus eatraordinarium der rbm.Kaiserzeil, Leipzig, 1886, p. 294.-4Cf. Karlowa, Riim. Reehtsgeachichte, 1, 670; Krueger, Gesch. der (Malien, p. 131 (trad. ligure à la fois dans leurs Réponses et dans leur Digeste du Ine siècle, la jurisprudence parait épuisée par le grand effort qu'elle vient de produire. Désormais et pour longtemps, la science est délaissée : le droit est appliqué machinalement par de simples praticiens. Les théories que les jurisconsultes classiques n'avaient pu qu'ébaucher restent inachevées'. La suppression de la procédure formulaire aurait dû provoquer des travaux pour consacrer la fusion du droit prétorien et du droit civil: il n'en fut rien. On conserva des distinctions dont on ne comprenait plus le sens et que Justinien a bien caractérisées, lorsque, parlant du nudum jus spiritiunt, il l'appelle nomen quod nihil ab aenigmate diserepal, nec unquani videur, nec in rebus apparat, sed vacuum est et super/luuin verbum per quod animi juvenum, qui ad primam legum veniunt audienliam, perterriti ex primis eorum cunabulis inutiles legis antiquae dispositiones accipiunt Pendant quelque temps, la jurisprudence conserva tout au moins le sens des bonnes traditions ; le style des rescrits impériaux garde sa fermeté et sa précision jusque sous Dioclétien 8. Mais au Ive siècle, la décadence est rapide. Constantin proscrit en bloc les Notes de Paul et d'Ulpien sur Papinien sous prétexte que non tam corrigera eunt quam depravare maluerunt 0. Il doit d'ailleurs bientôt après faire une concession à la pratique en permettant d'invoquer devant les tribunaux les Sentences de Paul 10 Ces décisions sont en apparence une atteinte à l'indépendance de ceux (lui, par goût ou par profession, interprètent le droit. En réalité, l'intervention de l'empereur en cette matière démontre l'incapacité où l'on était à cette époque de comprendre les décisions d'un jurisconsulte que Justinien a si justement appelé visacutissimi ingenii ", et la valeur des nuances qui le séparaient de Paul et d'Ulpien. A ces oeuvres de haute science dont le sens leur échappe, les praticiens préfèrent les manuels rédigés à l'usage des étudiants : de là le succès au Bas-Empire des Institutes de Gains et des Sentences de Paul. Un siècle après Constantin, Valentinien III, dans une constitution célèbre'-, connue sous le nom de Loi des citations, met Gaius au même rang que Papinien, Paul, Ulpien et Modestin, et, constatant une fois de plus que les juges étaient incapables d'apprécier la valeur de leurs décisions, déclare qu'en cas de désaccord entre ces jurisconsultes, on devra suivre l'opinion de la majorité; en cas de partage, l'avis de Papinien prévaudra. Voilà où en était la jurisprudence au début du ve siècle. Les témoignages qui viennent d'être cités ne sont pas isolés. En promulgant son Code en 438, Théodose le Jeune déplore l'ignorance de la grande majorité de ceux qui s'occupent de droit : Saepe nostra elementia dubitavit, gaae causa faceret ut tantis proposilis praeniiis, quibus orles et studia nutriuntur, tam pauci rariqueextiterint, qui plana juris civilis scienlia ditarentur, et in Canto lucubrationent tristi pallore vix minus ante noter receperit soliditatem perfectae doctrinaei3. Ammien Marcellin présente un tableau tout aussi peu flatteur des légistes d'Orient à la fin du Ive siècle 14. Conseil des emp. d'Auguste à Dioclétien, p. 499. 9 Cod. Theod. 1, 4, 1. Theod. auctoritate. 14 Liv. XXX, 4. Secundum est genus eorum, qui juris professi scientiam, quam repuguantium sibi legum aleolevere di'cidia... Ili relut tata JUR 726 JUR Le délaissement presque complet d'une étude où tant de Romains s'étaient illustrés a sans doute une cause profonde. Mamertin le donne à entendre lorsque, dans son discours à l'empereur Julien ", il dit que la science du droit qui jadis avait été cultivée par les Manlii, les Scaevolae, les Servii, et les avait élevés au faîte des honneurs, est devenue libertorum arlificium. Les esprits d'élite, les Ambroise, les Jérôme, les Augustin, s'étaient tournés d'un autre côté; ils s'étaient consacrés à l'étude de la théologie chrétienne. Cependant, vers la lin du ve siècle, une certaine activité scientifique se manifeste en Orient, dans les écoles de droit. On a conservé les noms de cinq des professeurs de l'école de Béryte : Cyrille, Domninus, Démosthène, Eudoxe et Patricius 2. Cyrille composa un recueil de définitions contenant des extraits des jurisconsultes classiques (u7cdll.vrili.a tiwv Ss lvt ov 3), des scolies sur les Réponses de Papinien et sur le commentaire de l'édit d'IJlpien. Ses collègues publièrent sur des constitutions impériales des notes qui ont été recueillies aux Basiliques On attribue également aux professeurs de Béryte les scolies grecques sur le commentaire d'Ulpien ad Sat'inuin, récemment découvertes par M. Bernadakis, au monastère du Sinaï 3. Les scolies grecques sur les fragments des Réponses de Papinien trouvées en Égypte proviennent sans doute de l'école d'Alexandrie'. En dehors de ces travaux, la littérature juridique se réduit à quelques compilations anonymes formées d'extraits d'oeuvres de jurisconsultes classiques et de constitutions impériales. Tels sont les Fragments du Vati can, la Collatio legum mosaicarum et romanarum, la consultatio veteris cujusdam jurisconsulti dont il a déjà été parlé. Tout au plus a-t-on parfois utilisé certains écrits des jurisconsultes classiques en les mettant d'accord avec le droit en vigueur ou en donnant une paraphrase du texte original : telles sont les scolies du Vatican sur les huit derniers livres du code Théodosien publiées par Angelo Maï en 1823', puis par Ilaenel en 18348, et les Interpretationes insérées dans la lex Romana Wisigotkorum. On a cru pendant longtemps que l'interprétation qui suit les fragments recueillis au Bréviaire d'Alaric et extraits des codes Grégorien, Ilermogénien, Théodosien, des Novelles, des Sentences de Paul et des Réponses de Papinien, était l'oeuvre des compilateurs du Bréviaires. Cette opinion est aujourd'hui très fortement contestée. L'interpretatio parait empruntée à des travaux antérieurs désignés par le mot jus i0. Elle est due vraisemblablement à l'enseignement donné dans les écoles de droit. Le Bréviaire d'Alaric contient également un abrégé des Institutes de Gaius mais ici l'interprelatio a été substituée . au texte original. L'interp°etaiio du Bréviaire d'Alaric est loin d'avoir la valeur des scolies des professeurs de l'école de Béryte : elle contient beaucoup d'erreurs 12. Les légistes d'Occident sont très inférieurs à. leurs contemporains des écoles d'Orient. Tel était l'état de la jurisprudence au commencement du vie siècle, quelques années avant l'avènement de Justinien. Ici s'arrête notre tâche; le reste est du domaine des antiquités byzantines. l1;DouABn CuQ.