Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article JUS

JUS. Le mot jus a des acceptions multiples'. On indiquera seulement les principales. Il désigne : 1° l'en JUS 732 JUS semble des règles consacrées par l'autorité compétente ou par la coutume ; 2° les prérogatives consacrées par le droit au profit d'une personne2 ; 3° le lieu oit l'on fait valoir un droit en justice; 4° certains recueils de jurisprudence. Le sens spécial du mot jus dans l'expression actio in jus a été indiqué au mot ACTIO; celui de l'expression ipso jure le sera au mot LIBERATIO. nement jous4), pris dans son acception normale, désigne le droit établi par les hommes par opposition au droit inspiré par les dieux (fas) 8, et à la coutume des ancêtres (mores majorum 7). Le jus, aux premiers siècles de Rome, ne comprend qu'une partie, et, avant la loi des Douze Tables, une faible partie des règles auxquelles le citoyen doit se conformer. Bon nombre de ces règles sont sanctionnées par le fas, dont le souvenir nous a été conservé dans les lois royales 8; d'autres par les usages des bons citoyens' ou par les usages propres à chaque gens". Les rapports du père avec ses enfants, du mari avec sa femme, du maître avec ses esclaves, du patron avec ses clients et affranchis, étaient en grande partie régis soit par les lois royales, soit par la coutume des ancêtres. Le jus n'a eu, dans le principe, qu'une portée très limitée ; le législateur s'est borné à protéger la propriété et à réprimer les torts causés aux personnes ou aux biens par les membres d'une famille au détriment d'une autre famille". Peu à peu, à mesure que le droit s'est séparé de la religion, il a régi un certain nombre de rapports qui jusque-là étaient du domaine du fas. Pareillement on l'a progressivement appliqué à certains devoirs imposés par la coutume des ancêtres et qui n'avaient d'autre sanction que le blâme de l'opinion publique 12. Ce développement du droit s'est accompli à la fin de la République ou au début de l'Empire. C'est alors que la jurisprudence a pu formuler la notion philosophique du droit et indiquer l'idéal à poursuivre 13. Le premier à notre connaissance, Celsus le fils, l'un des membres du conseil du prince sous Hadrien, définit le droit : ars boni et aequi". Le droit est, à ses yeux, un ensemble de préceptes systématiquement coordonnés dont l'objet est double: consacrer les usages des bons citoyens (bonum), maintenir l'équilibre entre leurs droits (aequum)1G. Sous ce dernier rapport, le but à atteindre est celui que les décemvirs avaient cherché à réaliser dans les Douze Tables : aequum jus, dit Tacite 70. C'est aussi celui que, suivant Cicéron ", le roi devait se proposer, en sa qualité d'interprète du droit : explanatio aequitatis18. 11 devait tenir la balance égale entre les grands et les petits : Jus enim semper est quaesitum aequabile, neque enim aliter esset jus ". Mais Celsus assigne au droit une portée qui dépasse le cercle étroit de la loi 20, en même temps il confirme l'idée qui s'était introduite au temps de Cicéron et d'après laquelle le droit n'est point un amas de règles sans lien entre elles, mais un seul tout formé de parties logiquement coordonnées (ars). Le droit a été envisagé par les Romains à des points de vue très divers: 1° quant aux rapports qu'il régit; 2° et 3° quant au mode et à l'époque de sa formation; Ii° quant à l'étendue de son application ; 3° quant aux personnes qui peuvent l'invoquer ; 0i° quant à la façon dont on l'interprète. 1. Jus PUBLICUM, Jus PRIVATUM. La division la plus générale du droit est la division en droit public et droit privé21. Le droit public a trait à la constitution de l'État romain (ad statuai rei Romance speclat); il comprend les règles édictées dans l'intérêt commun de tous les citoyens (publica utilia). Le droit privé comprend les règles relatives aux intérêts des particuliers (quod ad singulorum utilitatem22). Cette division du droit correspond à la double situation des Romains dans la société civile : ils sont à la fois membres de la cité et membres d'une famille. Comme citoyens, ils ont tous, en principe, des droits égaux; parmi les membres d'une famille, le chef seul pendant longtemps a eu des droits, les autres n'eurent que des devoirs 23. La distinction du droit public et du droit privé remonte à une époque ancienne 21'. Un fait le démontre : le fils de famille, qui, dans la Rome antique et à bien des égards encore à l'époque classique, est incapable en droit privé, est capable en droit public 2ï. Il peut exercer les plus hautes fonctions publiques ; il ne peut être propriétaire d'un cheval ou d'un esclave. Comme citoyen, le fils est l'égal de son père 21; comme membre de la famille, il est sous sa dépendance (alieni juris) 27. Si la division du droit qui nous occupe n'avait eu d'autre résultat que de consacrer l'infériorité des fils de famille en droit privé, on l'aurait dès longtemps abandonnée. Tout au contraire, on s'accorde à la considérer comme une des idées les plus fécondes que nous devions aux Romains. En séparant nettement ce qui est du ressort du droit public et ce qui est du domaine du droit privé, les Romains ont trouvé le moyen, d'une part, d'assurer aux citoyens le maximum de liberté dans leurs rapports avec leurs semblables et de protéger leurs propriétés contre les empiètements de l'État, d'autre part de ne pas fausser les institutions politiques établies dans l'intérêt de tous en les traitant comme des institutions familiales. Pour apprécier la valeur de cette distinction, il suffit d'examiner ce qui s'est passé chez les peuples qui ne l'ont pas connue : chez les Grecs, c'est l'ingérence de l'État dans les actes les plus intimes de la vie privée ; chez les Germains, particulièrement lorsqu'ils furentlesmaîtres JUS 733 JUS de l'Europe féodale, c'est la souveraineté territoriale traitée comme une propriété privée, les charges publiques comme des biens de famille, la possession de la terre donnant le droit de juridiction. Cette confusion fut aussi funeste au droit public qu'elle le fut en Grèce au droit privé. C'est ravaler la souveraineté, a dit Bluntschl i 1, que d'en faire un droit arbitraire de propriété. On peut dire également que donner la juridiction au possesseur de la terre, faire des charges publiques des biens de famille, ce n'est pas assurer aux justiciables, aux citoyens, les meilleures garanties d'impartialité et de bonne administration. Le critérium posé par la jurisprudence romaine pour distinguer le droit public du droit privé est en général suffisant. Il y a cependant des cas oit l'intérêt d'un particulier se confond avec celui de l'État : en cas de vol, par exemple, la répression intéresse la victime du délit et en même temps la cité en raison du trouble causé à l'ordre social. Il en est de même en matière criminelle. A part un certain nombre de crimes qui intéressent exclusivement l'1 tai et pour lesquels on petit dire avec Ulpien, publica utililas coercenda est vindicandae reipublicae causa 2, comme le crime de haute trahison ou de désertion, les autres intéressent en même temps un particulier, comme le crime d'incendie. Les Romains ont résolu le problème d'une manière empirique ; ils constatent que la procédure civile sert à faire valoir les droits privés ; partout oit elle s'applique, c'est une question de droit privé qui est en jeu. Voilà pourquoi le vol a été traité comme un délit privé, bien qu'il soit, de l'intérêt de l'État de punir le délinquant'. L'expression jus publicum n'est pas toujours prise dans le sens qui vient d'être indiqué et par opposition au jus hrivatumri. On l'emploie souvent pour désigner le droit établi par le peuple: il est alors synonyme de lex publica4. C'est en ce sens que Papinien dit : Jus publicum privatorum pastis mutari non potest6. Les écrits des jurisconsultes classiques offrent de nombreux exemples de cette acception du jus publicum. Nous la laisserons de côté pour nous en tenir à la première. Jus publicum. Le droit public, dit Ulpien, in sacris, in sacerdotibus, in magistratibus consistit 6. Les trois termes de cette division se réduisent en réalité à deux : le culte et les magistratures. Cette détermination très étroite de l'objet du droit public a été motivée sans doute par la nature des travaux consacrés à cette partie du droit. I1 n'existe à notre connaissance aucun traité d'ensemble sur le droit public, mais seulement des livres de sacerdotibus publicis compositi et sur l'office des divers magistrats. C'étaient des recueils d'instructions pour les prêtres ou pour les magistrats en vue de définir leurs attributions. Les premiers comprennent notamment les commentarii augurum, dont il a été parlé au mot AUGURES, et les commentarii pontificum, dont il sera parlé à Le droit public fut étudié tout d'abord par les hommes politiques, les historiens, ceux qui s'occupaient des antiquités de la ville. Au vue siècle de Rome, Cassius llemina écrivit un traité de censibus; C. Sempronius Tuditanus, des libri magistratuum;'Junius Gracchanus, un traité de s potestatibus 8. Au ville siècle, Varron s'occupa de diverses questions de droit public dans ses Antiquitates. L. Cincius écrivit des livres de comitiis, de consulum potestate. Q. jElius Tubero, le premier parmi les jurisconsultes, étudia le droit public concurremment avec le droit privé, et publia des ouvrages sur ces deux branches du droits. Son exemple fut suivi par d'autres : Labéon et Capiton écrivirent des traités de jure pontificio 16 ; Capiton écrivit aussi un livre de officio senatorio". On doit également aux jurisconsultes des IIe et nue siècles de notre ère un certain nombre de livres sur l'office des divers magistrats, et quelques traités consacrés à certaines branches du droit public, telles que le jus militare 12 et le jus fisci 13. Mais tous ces ouvrages réunis sont incomparablement moins nombreux que ceux qui ont pour objet le droit privé. La partie du droit public relative aux magistratures est traitée soit aux articles consacrés à chaque magistrature en particulier, soit au mot MAGISTRATUS. Il en est de même de la partie qui concerne le culte et les diverses classes de prêtres : elle est traitée soit dans des articles spéciaux, soit au mot SACERDOTES. Voir aussi pour les diverses branches du droit public, jus augurale, jus fetiale, jus fisci, jus militare, jus praediatorium, jus pon PRAES, PONTIFEX. 011 donnera ici simplement une notion générale du jus sacrum et du jus gentium. Jus sacrum. Bien que le jus sacrum rentre, suivant Ulpien, dans le droit public, il a un domaine bien circonscrit. Si, en droit, le sénat décide les questions qui s'y rattachent, en fait ce sont les collèges de prêtres qui réglementent les rapports qui en dépendent". Ces rapports comprennent tous ceux oit une divinité est intéressée comme sujet du droit, ou simplement comme garant : donc les rapports juridiques avec les dieux et les rapports juridiques placés sous la protection des dieux. Les premiers exigent l'emploi des formes du droit Celles du droit privé, telles que la stipulation, la mancipation, l'in jure cessio, la tradition, sont inapplicables. Mais le droit sacré ne connaît que des actes entre vifs : aussi, lorsque sous l'Empire des sénatus-consultes et des constitutions impériales reconnurent aux divinités la capacité de recevoir à cause de mort 16, employa-t-on ici les formes ordinaires du droit privé. Les rapports juridiques placés sous la protection des dieux dépendaient anciennement du fas : tels étaient les rapports résultant de la sponsio, du serment promissoire, de la con farreatio. Dans la suite, plusieurs d'entre eux furent sanctionnés par le jus : tels furent le cas de la sti p111'atiOn [SPONSIO] et celui du serment [JUSJURANDU11t]. Le jus sacrum forme un système de droit à partis. Ausone le distingua du droit public et du droit privé (jus triplex)17. Les actes sacrés rie sont soumis ni aux règles du droit public ni à celles du droit privé, soit quant à leur naissance ou à leur extinction, soit quant à leurs JUS 73 1 JUS effets. Le seul trait qui leur soit commun avec les autres actes, c'est qu'anciennement ils furent interprétés d'après le droit strict. Aussi les formulaires sont-ils rédigés avec le même soin, la même minutie que les formulaires d'actes privés'. Le jus sacrum ne connaît pas les incapacités du droit privé: les fils de famille et les esclaves sont capables de prêter un serment. Le fils et la fille de famille peuvent prendre part à la confarreatio. L'esclave peut entrer dans un collège funéraire• ; le lieu où il est inhumé est considéré comme religieux3. De même le droit sacré ne fait pas de distinction entre les pubères et les impubères t'AMILLi . Enfin Pline affirme que les frères Arvales conservent leur caractère sacerdotal même en état de capti Jus gentium. L'expression jus gentium comporte une double acception : l'une appartient au droit public, l'autre au droit privé. En droit public, elle désigne les règles applicables aux rapports entre nations Le jus gentium, ainsi entendu, correspond à ce qu'on appelle aujourd'hui droit international public ou droit des gens. Mais il est loin d'avoir la portée qu'il a revue en droit moderne; il ne forme pas un corps de doctrine et se réduit à un petit nombre de règles qui n'ont guère été observées par les Romains au'aux premiers siècles L'arrêt de développement du jus gentium s'explique aisément: le droit international public suppose l'égalité 7 et la réciprocité de droit entre deux nations ; or les Romains ont, de bonne heure, prétendu à la suprématie vis-à-vis de tous les autres peuples. Ce fait explique également la dénomination de cette branche du droit. Jus gentium, c'est le droit des gentes, des familles, et par extension le droit des races et des nations. Pourquoi l'attention des Romains s'est-elle portée sur les familles composant la nation plutôt que sur la nation elle-même? C'est que la notion première du jus gentium remonte à une époque oit ils n'avaient pas encore conçu l'État comme ayant une personnalité distincte. Aux yeux des anciens, l'État se confondait avec les gentes. Sous les réserves qui précèdent, on ne saurait nier, comme l'ont fait quelques auteurs B, l'existence à Rome d'un certain nombre de règles de droit international s'appliquant, les unes à l'état de paix, les autres à l'état de guerre (jus belli ac pacis 9), d'autres enfin concernant la situation des ambassadeurs (legatorum ou legationis jus10). De très bonne heure, les Romains ont conclu avec les peuples voisins des traités par lesquels ils se concédaient réciproquement le conubium 11. Ce droit [coNNUBIl Jus], qui, plus tard, fut considéré comme un droit privé, eut, dans le principe, un caractère différent : la concession réciproque du conubium était motivée par l'intérêt de chacun des états contractants. Leurs représentants reconnaissaient qu'il n'y avait pas d'inconvénient à admettre le mélange des cultes des deux cités. L'intérêt de l'État motiva éga lement la concession du commercium 12 [COsmsIERCIU1I] et de la recuperatio [RECUPERATIO]. L'institution d'un tribunal international, chargé de statuer sur les contestations entre citoyens et pérégrins, était le moyen le plus sûr de prévenir les conflits qui, antérieurement, étaient résolus jure belli 13 Les règles du jus gentium, relatives à l'état de guerre, forment ce que Cicéron appelle jura belli 14 Elles concernent, les unes la déclaration de guerre, les autres les conséquences qui découlent de l'état de guerre et les rapports conventionnels entre belligérants. Les premières forment une branche spéciale du jus gentium : le jus fetiale; elles ont été exposées au mot FETIALES. Les secondes déterminent les droits du vainqueur sur les personnes et sur les biens du peuple vaincu. [IIos'rls, SEllves, MANURIAE, PRAEDA], et les effets des conventions conclues entre les belligérants. Ces conventions ont le plus souvent pour objet, soit de mettre fin à la guerre par un traité [FoEDUS, SPONSIO], soit de sus pendre seulement les hostilités par une trêve (indutiae1ï) Elles sont dans tous les cas obligatoires et doivent être exécutées de bonne foi et sans dol1e. Le jus gentium consacre l'inviolabilité des alnbassadeurs17. Il existe un jus legatorum qui garantit leur personne contre les insultes ou les violences 18. Toute atteinte portée â ce droit peut motiver une demande d'extradition 10 ; le coupable est livré à l'État dont l'ambassadeur a été offensé ; sinon il y a un casus belli L Les auteurs anciens font remarquer que le jus legatorum, de même que le jus belli et pacis, est observé par toutes les nations 21. En quoi il ressemble, comme on le verra bientôt, au jus gentium privé. Aussi certains jurisconsultes classiques, négligeant les différences essentielles qui séparent le jus gentium public et le jus gentium privé, les ramènent-ils à une notion commune, celle d'un droit applicable à tous les hommes22. Gaies met sur la même ligne l'acquisition des res hostiles d'après le droit public, et celle de res privalae par tradition 23. Marcien assimile la captivité et la naissance comme modes d'établissement de l'esclavage D'autres jurisconsultes ont fait rentrer dans le jus gentium certaines règles de droit criminel, notamment les dispositions relatives à l'adultère 26 et à l'inceste entre ascendants et descendants 20. JUS PR1VATUiSI Les rapports régis par le droit privé sont de deux sortes : ils ont trait au patrimoine ou à la famille. La nature des premiers sera expliquée au mot PATIUMONIUM, les rapports de famille seront JUS -73JUS Les règles qui gouvernent ces rapports ont, suivant Ulpien 2, une triple origine (jus tripertiturn) : elles découlent du jus naturale, du jus gentium ou du jus civile. Rien de pareil pour le droit public : il est entièrement régi ex civilibus praeceptis. Examinons les modes de formation du droit privé. jus non scriptum. Toutes les règles de droit peuvent être réparties en deux classes, suivant qu'elles dérivent du jus scriptum ou du jus non scriptum 3. Le mot jus, dans son acception première, implique un ordre donné par l'autorité compétente, l'ordre d'observer une certaine disposition. Le magistrat interroge le peuple assemblé dans ses comices; il lui demande s'il veut, ordonner l'application de la loi qui lui est proposée : Velitis, jubealis, Quirites'. Ce jussus populi n'implique pas d'ailleurs la souveraineté du peuple : il rend manifeste la volonté de tenir pour régulière la proposition du magistrat. Jubere = jus habereb. A cette époque, la coutume ne se confondait pas avec le droit : jus et mos étaient deux choses distinctes. A la fin de la République et sous l'Empire, il n'en est plus ainsi : la coutume est assimilée au droit ; elle a la même force. Tout citoyen, dit Julien, est tenu de se conformer aux règles que le peuple a approuvées sine ullo scripto7. Le mot scribere n'a pas ici le sens d'écrire. 11 suffit pour s'en convaincre de lire l'énumération des modes de formation du droit qui rentrent dans le jus scriptum. Le jus scriptum est le droit promulgué par l'autorité compétente : peuple, sénat, magistrats, empereurs, prudents jouissant du jus respondendi 8. Le jus non scriptum, au contraire, c'est la coutume (consuetudo) 2, ce sont les usages (mos civitatis10, mores peregric;orum) 11, le droit qui n'a pas été promulgué, et que cependant l'on observe (pro jure et lege) 12 comme en vertu d'un accord tacite 13 On trouvera les détails sur le jus non scriptum aux mots CONSUETUDO, MOS ; les détails sur le jus scriptum aux mots A côté de cette classification générale des modes de formation du droit, il existe diverses locutions servant à indiquer la provenance de certaines règles de droit,: jus legitimum, jus civile, jus naturale. Jus legitimum. Le jus legilimum, comme son nom l'indique, est le droit établi par la loi, spécialement par la loi des Douze Tables14. Gains qualifie heredes legitimi les héritiers appelés à une hérédité ab intestat conformément à la loi décemvirale 11. La bonorum possessio, que le préteur leur accorde, est appelée onde legitimi". Les actions établies en exécution de la loi des Douze Tables sont des legitimae actiones'7. Le jus legitimum résulte également des lois postérieures aux Douze Tables : c'est ainsi qu'on appelle agitas legitima l'âge de vingt-cinq ans fixé par la loi Plaetoria 18. Enfin, en droit classique, jus legitimum est employé comme synonyme de jus civile 19. Jus civile. Le jus civile, c'est le droit établi par la jurisprudence; c'est ce que les anciens appelaient interpretatio2D ; c'est le droit qui résulta plus tard de la disputatio fori 2i. Hoc jus, dit Pomponius, quod sine scripto venu, compositumaprudentibus, propria parte dilua non appellatur'.., sed commua nomine appellatur jus civile 92. Bien que Pomponius mette sur la même ligne l'interpretatio et la disputatio fori, il ne faudrait pas en conclure qu'elles aient la même valeur : la disputatio fo?°i n'a que la valeur morale qui s'attache à l'avis d'un jurisconsulte jusqu'à ce que la coutume lui donne force de loi; l'interpretatio, au pontraire, a la même force que la loi à laquelle elle se L'interprétation, dans la période qui a suivi les Douze Tables, n'a pas simplement pour objet, comme de nos jours, de fixer le sens et la portée des textes législatifs : elle sert aussi à étendre l'application de la loi pour répondre aux besoins de la pratique et à la compléter en déterminant les rites à observer, soit pour procurer aux droits qu'elle consacre la garantie de l'État, soit pour faire valoir ces droits en justice 2'. Dans tous les cas, une condition essentielle de l'interprétation, c'est de se rattacher aux termes de la loi ; à cette condition, elle acquiert force de loi" De là les expédients multiples auxquels on a dû avoir recours ; de là cette habitude des anciens légistes de détourner de leur poilée normale les actes juridiques consacrés par la loi. La mancipation sen il, non pas seulement à réaliser une vente au comptant 2G, mais une adoption 27, une émancipation 98, un testament 20. La coontio fut employée non pas seulement pour faire passer la femme sous la manus de son mari, mais pour lui permettre de changer de tuteur, de faire son testament, de se décharger du soin d'entretenir le culte d'une personne dont elle avait recueilli l'hérédité 30 L'interprétation ainsi comprise eut forcément une portée limitée ; elle ne fut possible d'ailleurs que tant que la civilisation romaine fui peu développée et que le droit ne constitua pas une science 31. Tous les témoignages s'accordent à la présenter comme l'oeuvre des pontifes 32; ce sont eux qui, plus que les autres, devaient connaître le droit, le droit privé aussi bien que le droit sacré, en raison des rapports nombreux qui existaient à cette époque entre ces deux branches du droit33. Le mariage par confarréation, l'adrogation, le testament comitial exigeaient l'intervention des pontifes ; la transmission des hérédités était modelée sur celle des cultes privés [sncmA PRIVATA]. Il n'était permis d'agir en justice qu'aux jours fixés par les pontifes dans leur calendrier. Aux derniers siècles de la République, l'expression jus civile est employée dans un sens large et par opposition à celle de jus praetorium ou de jus honorarium34; elle comprend le droit résultant de la loi ou des plébiscites JUS -736JUS aussi bien que celui qui provient de la jurisprudence. Le jus civile comporte enfin une troisième acception que nous retrouverons bientôt; c'est le droit que les citoyens romains ont seuls la faculté d'invoquer (jus proprium civitatis) par opposition au jus gentium qui est accessible aux pérégrins. Jus naturale. Le droit est-il tout entier une création du législateur, un produit de la coutume? C'est une question que les Romains se posèrent au dernier siècle de la République, lorsque le droit commença à devenir 'une science. Cicéron, s'inspirant des enseignements de la philosophie grecque et en particulier des doctrines stoïciennes, la résout en affirmant que le droit a une double origine : la nature ou la volonté divine' et la loi A côté et au-dessus3 du jus civile, il existe un jus naturaie qui nous prescrit entre autres choses d'obéir à la loi positive'•, de rendre à chacun le sien, de ne faire de mal à personne 5, tout en proclamant le droit de légitime défense 5. Ce sont là des préceptes de morale. Cicéron dit qu'ils constituent le fondement de toute législation positive, qu'on n'a pas le droit d'en écarter l'application' ; mais il ne précise pas dans quelle mesure le droit positif peut se les approprier. Il reconnait d'ailleurs que les jurisconsultes de son temps ne leur attribuent aucune force obligatoire 8. La théorie du jus naturale était donc encore, à la fin de la République, dans le domaine de la spéculation. Les jurisconsultes classiques l'ont fait entrer dans la pratique, mais avec prudence et dans une mesure restreinte. Au temps d'Auguste et de Tibère, ils invoquent le jus naturale dans les cas où ils ne trouvent pas (le raison juridique pour justifier une solution qui leur paraît conforme aux besoins de la pratiques ; c'est en quelque sorte un aveu d'impuissance. Le progrès de la science consistera à substituer une juris ratio à la naturalis ratio des jurisconsultes antérieurs 10 Le jus naturale a inspiré aux jurisconsultes classiques autre chose que des raisons de décider ; elle leur a suggéré une idée neuve, celle d'un droit qui existe pour tout être humain", pour l'esclave comme pour l'homme libre, pour les personnes alieni juris comme pour les personnes sui juris. Certes, ils n'ont pas suivi cette idée jusqu'au bout; ils en ont tout au moins déduit les conséquences compatibles avec l'état social aux premiers siècles de l'Empire, et par là même ils ont apporté une amélioration notable à l'état de ces personnes. Je signalerai quatre de ces conséquences; elles ont été admises en matière de parenté, de propriété, d'obligation, de possession. La cognatio, dit Paul, est un naturale nomen12, à la différence de l'agnation : elle s'applique aux descendants par les femmes, aux enfants vulgo concepti13 ; elle s'applique même aux esclaves, bien que ad leges serviles cognationes non pertinent". Si la servilis cognatio ne confère pas de droit de succession 15, elle est cependant un empêchement à mariage' ; il en est de même de la servilis affinitas". Plus étendus sont les effets (Infus naturale en matière de propriété et d'obligation. Ici l'on a traité l'esclave comme un homme libre et même comme un pater familias, c'est-à-dire comme un être capable d'avoir un patrimoine, d'être propriétaire, créancier ou débiteur. Mais pour concilier cette capacité avec la puissance dominicale, on n'a attribué au droit de l'esclave qu'une efficacité restreinte. Son pécule n'est qu'un quasi patrimonium 18 ; il n'existe que par la permission du maître f°, et cette permission peut toujours être retirée 20. L'esclave n'a que la possession naturelle des biens compris dans son pécule : la possession civile est au maître21. Paueilleinent, on a limité l'effet des obligations contractées par l'esclave ou des créances qu'il peut acquérir ; elles ne valent qu'à titre d'obligations naturelles". Ces restrictions au droit de l'esclave seront, indiquées aux mots PECULIUM, PossESSlo quer ici que la notion du pécule, celle de la possession naturelle et de l'obligation naturelle n'ont pas été restreintes l'esclave : elles ont été largement développées par la jurisprudence. Ces conséquences du jus naturale ont été pour la plupart déduites par les jurisconsultes du ne siècle. Il ne faut pas s'étonner dès lors de ne pas trouver dans Gains, qui écrivait à une époque où la théorie était en voie de formation, des idées bien arrêtées sur le jus naturale, qu'il confond avec le jus gentium 23. Il rattache la tradition et d'autres modes d'acquérir la propriété tantôt, au jus naturale24, tantôt au jus gentium2'2 La distinction du jus gentium et du jus naturale apparaît nettement dans les écrits des jurisconsultes de la fin du ne siècle. Florentin en fait l'application à l'esclavage: c'est, dit-il, une institution du jus gentium qui a pour effet de soumettre une personne au droit de propriété d'une autre contra naturam 26. Tryphoninus dit de même : Libertas naturali jure continetur, et dominatio ex gentium jure introducta est27. Dès lors, on. rencontre dans les textes une division tripartite du droit : jus civile, jus gentium, jus naturale 28. En cas de conflit entre les principes du droit naturel JUS 737 -.1US et ceux du droit civil, Gaius et Pomponius admettent, dans quelques cas, que le droit naturel doit l'emporter', mais Ulpien proclame en principe la supériorité du droit civil'. Le jus naturale est resté pour les jurisconsultes classiques plutôt une conception philosophique qu'une source du droit. Cela ressort et de la définition qu'ils en donnent et de la prédominance qu'ils attribuent au jus Il est certain qu'une formule aussi large n'a jamais été consacrée par le droit positif. La définition d'Ulpien est plus générale encore et sûrement inexacte: le jus naturale serait un droit commun à l'homme et aux animaux; il se manifesterait par des actes tels que l'union des sexes, la procréation et l'éducation des enfants'. Cette conception n'a pas prévalu : Ulpien lui-même déclare qu'un être privé de raison, un animal, ne peut agir contrairement au droit 6. Un jurisconsulte postérieur, Ilermogénien 6, affirme que Itominum causa ornne jus con premier abord singulière entre le jus constitutum et le jus cumnzenticium consiste à séparer le droit fictif' du droit qui a une existence réelle 9, du. droit régulièrement établi. Le jus constitutum résulte d'un vote du peuple10, (l'un sénatus-consulted'une constitution impériale", ou même de la coutume 1'. Le jus commenlicium ", au contraire, est un droit qui n'a pas de valeur propre, qui consiste dans l'opinion d'un jurisconsulte et qui n'a d'autre autorité que celle qu'il tire de la raison sur laquelle it est appuyé1'. Lorsque cette raison, qui peut utilitatis, est accueillie par les autres jurisconsultes, le Le jus receptum a force de loi, comme le droit introduit par la coutume. Il importe cependant de ne pas les confondre: le droit introduit par la jurisprudence garde toujours son caractère et comme sa marque d'origine; il n'a pas la même portée que le jus moribus constitutum. III. 1° Jus ANTIQuuM, Jus NovIJm. Le jus antiquum" ou jus velus" est, pour les jurisconsultes de l'époque impériale, le droit du temps de la République. Ils l'appellent également jus civile " et l'opposent au jus novum introduit sous l'Empire' 4. Gaius, par exemple, distingue l'hérédité qui est dévolue vetere jure par la loi des Douze Tables et celle qui est déférée novo jure, en vertu des sénatus-consultes ou des constitutions impériales ". De même, les dispositions des lois caducaires rendues sous Auguste sont appelées leges novae26, par opposition aux règles anciennes, au jus antiquum qui a, dans quelques cas, conservé son application". L'opposition établie par les jurisconsultes classiques entre l'ancien droit et le nouveau n'a pas simplement pour eux un intérêt historique ; ils veulent aussi parfois montrer le progrès réalisé par le droit. Doit-on en conclure que le droit impérial formait, à leurs yeux, un ensemble de règles distinct du jus civile et du jus honorarium? C'est une question qui va être examinée à propos cette distinction a été l'objet de controverses. Mais il y a tout au moins un point sur lequel on est d'accord: c'est que, dans le principe, elle se rapporta à la forme de la procédure. Divers passages de Suétone et de Frontin le mettent hors de doute. Suétone parle d'une contestation soulevée devant Claude sur le point de savoir si le litige ver une cognitio extra ordinem ou être jugé conformément à la procédure ordinaire avec délivrance d'une formule et renvoi de l'affaire à un juge. Frontin dit que les procès relatifs à la propriété ou à la possession des champs en culture sont réglés jure ordinario"; il en est de même des contestations relatives aux servitudes aquae Cette acception s'est maintenue dans la suite, comme le prouvent divers textes de Callistrate 31, de Paul 32, d'Ulpien 33 et de Marcien 34, ainsi que des rescrits de Sévère et Caracalla 30, et d'Alexandre Sévère". Mais la question est de savoir si l'on a été plus loin : si, de l'exis tence d'une persecutio extra ordinem on a conclu à l'existence d'un jus extraordinarium, comme on a conclu de l'existence d'une action prétorienne à l'existence d'un jus honorarium. C'est l'opinion généralement admise depuis Il.udorfl'37. Suivant cette opinion 38, il existe sous l'Empire trois groupes de règles de provenance diffé extraordinarium. Celles-ci sont dues pour la plupart aux sénatus-consultes et aux constitutions impériales; quelques-unes aux lois du début de l'Empire. La distinction sous tune dénomination différente, à celle du jus antiquum et du jus novunz. Il paraît difficile de nier l'existence honorarium. Nombreux sont les textes qui la confirment : JUS 738 JUS hüntze, dans un travail postérieur 1, n'a pas eu de peine à le démontrer. On peut ne pas accepter toutes les conséquences qu'il en tire; lui-même reconnaît que plusieurs sont de simples conjectures; mais il ne paraît pas contestable que les Romains aient admis l'existence d'un groupe de règles qui ne se rattachent ni au droit civil ni au droit prétorien. Ulpien, recherchant quelles personnes doivent être considérées comme ayant la qualité de créancier, répond : Creditores accipiendos esse constat tos, quibus debetur ex quacumque actione vel persecutione vel jure civili sine ulla exceptionis perpeluae remotione vel honorario vel extraordinario, sive pure sire in diem vel sub condicione2. Le jus extraordinarium dont parle Ulpien n'est autre que le jus novum dont parle Gains 3. Ils ont tous deux la même source : les sénatus-consultes et les constitutions impériales. On a objecté que ces deux modes de formation du droit sont assimilés à la loi 4. Mais ressemblance n'est pas identité : Gains dit legis vicem obtinent Maintes fois il oppose au jus civile le droit nouveau résultant des sénatus-consultes De même, lorsqu'il parle du testament militaire réglementé par les constitutions impériales, il l'oppose au testament fait secundum juris civilis regulam'. Paul, rapportant une décision impériale qui accorda à un père la faculté de faire une substitution pour son fils pubère muet, dit : Princeps imitatus est jus (civile) . Il est vrai que Papinien définit le droit civil : quod ex legibus, plebiscitis, senatusconsultis, decretis principum, auctorilate prudentium venir 9. Mais il ne faut pas donner à ce texte une portée qu'il n'a pas : Papinien ne parle pas des constitutions en général, mais uniquement des décrets impériaux. L'empereur, statuant comme juge, avait fréquemment à appliquer et à interpréter le droit civil. De même les sénatus-consultes et les réponses des prudents sont une source du jus civile en tant qu'ils interprètent le droit civil Expliquer autrement cette partie du texte, ce serait attribuer à Papinien un oubli, car le sénat et les prudents se sont occupés du droit honoraire aussi bien que du droit civil [IioNOIIARIUM JUS, Ce serait en effet une erreur de croire que tout le droit résultant des sénatus-consultes ou des constitutions rentre dans la catégorie du droit nouveau70 : les sénatusconsultes du commencement de l'Empire se rattachent au jus ordinarium ; le sénat à cette époque procède d'ordinaire par voie d'invitation adressée aux magistrats 1i. De même, bon nombre de constitutions impériales se rapportent au droit civil ou prétorien 12. Sans doute, il n'est pas toujours possible aujourd'hui d'affirmer que telle ou telle disposition appartient au jus ordinarium ou au jus extraordinariunt. Mais le doute sur certains points n'infirme en rien l'autorité des témoignages précités sur le jus extraordinarium. On connaît d'ailleurs bon nombre des matières réglementées par le droit nouveau : les fidéicommis, l'obligation alimentaire, les honoraires, les privilèges des militaires, le droit fiscal, le droit municipal, une grande partie du droit criminel, l'organisation des tribunaux d'appel. Ce droit nouveau a été étudié par les jurisconsultes classiques, comme le droit civil et le droit prétorien 13 :'beaucoup de monographies y sont consa crées [JURISCONSULTI]. Rudorffl4 et Küntze 15 ont cru pouvoir affirmer d'une manière générale que les textes qui, au Digeste, font partie de la série Papinienne, sont relatifs au jus extraordinarium. Cette assertion ne saurait être acceptée ; la série Papinienne, pas plus que la série Sabinienne ou la série édictale, n'a point un caractère uniforme 16 IV. Jus CONSIum:, Jus sINGULARE. -En principe, le droit s'applique à tous les citoyens indistinctement; exceptionnellement, il peut être édicté en vue d'une personne déterminée ou en faveur d'une certaine classe de personnes. Dans le premier cas, il forme le jus commune civium Romanorum'17 ou simplement le jus commune18. Dans le second, il constitue un jus singulare'°. Le testament militaire, par exemple, est un jus singulare; de même l'in integrum restitutio accordée aux pubères mineurs de vingt-cinq ans. Parfois, le jus singulare se transforme en jus commune, lorsqu'une règle introduite pour un cas particulier a été par la suite généralisée. L'expression jus singulare est souvent prise dans une acception différente : elle désigne une anomalie juridique. D'ordinaire, les anomalies s'expliquent historiquement : ce sont des vestiges ou des survivances d'un état antérieur du droit; elles n'ontplusdefondtimon trationnel. Non omnium quae a majoribus constituta sunt, dit Julien 20 ratio reddi potes'. Telle était l'usucapion pro herede à l'époque classique 21. Il faut bien se garder de confondre ces deux sortes de jus singulare. Les anomalies sont de droit étroit : on ne peut ni les étendre ni les appliquer par voie d'analogie. Paul, qui a écrit un livre Ue jure singulari, pose le principe : Quod contra rationem juris receptum est, non est producendum ad consequentias22. Il en est tout autrement du jus singulare introduit en faveur de certaines personnes : on doit l'appliquer largement, conformément à la pensée qui a inspiré le législateur u. C'est par exemple ce qui a été fait par la jurisprudence classique pour le sénatus-consulte Velléien La division du droit en jus civile et jus gentiuin se réfère tantôt à l'origine du droit, tantôt aux personnes qui JUS 739 JUS peuvent invoquer telle ou telle de ses dispositions : ces deux façons d'envisager cette division se trouvent déjà dans Cicéron. Le droit civil est le droit que chaque peuple s'est donné (jus scriptum 1). Le jus gentium est le droit qui s'applique chez tous les peuples; il s'établit par le consentement tacite des hommes (jus non scriptum)2. Ainsi entendu, le jus gentium se rapproche du jus naturale. A côté de cette conception purement théorique, il en est une autre qui offre un réel intérêt pratique : le droit civil est le droit dont l'application est réservée aux membres de la même cité'. Le jus gentium est la portion du droit civil qui peut être invoquée par les pérégrins aussi bien que par les citoyens '. Cette double conception a été accueillie par les jurisconsultes classiques. Quod quisque populus ipse sibi jus constituit, dit Gaius, id ipsius proprium est vocaturque jus civile 3. Jus gentium, dit Ulpien, est quo gentes humanae utuntur6. Le jus gentium, considéré comme un droit qui s'applique chez tous les peuples, est d'ailleurs resté dépourvu d'intérêt pratique 7. Il n'en est pas de même du jus gentium, droit susceptible d'être invoqué par les pérégrins et même par ceux qui n'appartiennent à aucune cité (âad)Asç)3. Ici, la division du droit en jus civile et jus gentium a une haute importance : pour en apprécier l'intérêt, il faut suivre l'évolution des idées des Romains en matière de capacité juridique Aux premiers siècles de Rome, les patriciens seuls pouvaient invoquer le droit : eux seuls étaient citoyens romains. Ce droit s'appelait jus Quiritium. Justinien en donne la définition. suivante : Jus Quiritium (appellamus) quo Quirites utuntur. Romani enim a Quinine Quirites appellanter 3. Cette étymologie du mot Quirites est très contestable ; il est plus probable qu'il vient de curia et désigne les membres des curies 16. Ce qui est certain, c'est que, jusqu'aux réformes de Servius, les plébéiens furent en dehors de la cité et par suite ne purent invoquer le droit propre aux citoyens, et que, ;jusqu'aux Douze Tables, il n'exista pas un droit égal pour les plébéiens et pour les patriciens. Depuis la promulgation de la loi décemvirale, il y eut à Rome un droit commun à tous les citoyens. L'expression jus civile n'a pas cependant été substituée aussitôt à celle de jus Quiritium : on l'a réservée pour désigner le droit résultant de l'interprétation. C'est dans la suite, et en tout cas avant Cicéron, qu'elle a reçu une portée générale". L'expression jus Quiritium a continué à être employée pour désigner le droit par excellence, le seul que, à notre connaissance, le vieux droit garantissait aux citoyens, la propriété solennellement acquise et placée sous la protection des curies, le dominium ex jure Quiritium. On la trouve également employée, dans une acception analogue à son acception antique, pour désigner le droit conféré aux pérégrins admis à la cité romaine12. En considérant le droit civil comme le droit propre aux membres de la cité, les Romains appliquèrent un principe bien connu : dans les cités antiques, entre citoyens et étrangers, il n'y a pas plus de communauté de droit que de communauté de culte. On rie dérogeait à cette règle que pour des causes spéciales et en vertu d'un traité concédant aux habitants de deux cités le commercium. Comment donc les Romains ont-ils conçu l'idée d'un droit accessible aux étrangers, à ceux-là mêmes qui n'avaient pas obtenu le commercium? Le fait est d'autant plus remarquable que ce droit nouveau n'exige plus pour sa formation un acte solennel : il résulte d'actes sans formes ; puis, au lieu d'être réservé aux res mancipi, il s'applique également aux res nec mancipi. On a prétendu que cette conception nouvelle s'est introduite à Rome au cours du via siècle sous l'influence de la Grèce. Les règles du jus gentium auraient d'abord été appliquées aux rapports commerciaux des citoyens avec les pérégrins ; on les aurait étendues ensuite aux rapports entre citoyens". Cette manière de voir ne saurait résister à un examen attentif. Les actes qui, d'après les Romains, sont régis par le jus gentium sont des actes d'une ap'lication journalière, comme le prêt à usage, le dépôt, le mandat, le louage ; ou bien des actes pour lesquels on ne conçoit guère l'emploi d'une solennité, comme la vente d'une res nec mancipi qui peut avoir une valeur très minime ; c'est l'acquisition des fruits de la terre ou des animaux que l'on prend àla chasse ou à la pêche. Il n'est pas admissible que pendant six cents ans les Romains aient ignoré ces actes ou les aient subordonnés à des solennités incompatibles avec leur importance ou leur nature'. Ils les ont laissés tout d'abord en dehors de la sphère du droit, parce que, restreints aux rapports entre personnes unies par des liens d'amitié ou de voisinage, ces actes trouvaient dans les moeurs une sanction suffisante. Les contestations étaient soumises à un arbitre qui statuait ex fade hona, d'après l'usage des honnêtes gens. Au dernier siècle de la République, quand les rapports d'affaires prirent à Rome un grand développement, on ne se contenta plus d'une sentence arbitrale ; on prit l'habitude de demander au préteur de donner à l'arbitre les pouvoirs d'un juge. L'arbitrium devint un arbiirium honorarium, et le créancier put obtenir un titre exécutoire. D'autre part, les règles consacrées d'une manière constante par les décisions des arbitres finirent par acquérir force de loi à titre de droit coutumier. L'arbitrium honorarium se transforma en un bonae fidei judicium. Ainsi s'explique la coexistence dans le droit romain au temps de l'Empire de deux groupes distincts de règles de droit : celles qui avaient été très anciennement sanctionnées par la loi et celles qui, consacrées d'abord par l'usage des honnêtes gens, n'avaient pénétré dans le droit qu'à une date plus récente. Les premières sont les règles du droit strict; les secondes ont été rangées dans le jus gentium lorsque les Romains remarquèrent qu'elles existaient chez tous les peuples civilisés. Les préceptes du jus gentium, consacrés par le droit romain, sont d'origine romaine ; ils ont régi les rapports entre citoyens avant d'être étendus aux rapports avec les pérégrins. Sous l'Empire, ils ont été modifiés et complétés JUS -74i0JUS sous l'influence des législations étrangères. Les jurisconsultes classiques et les empereurs se sont efforcés de faire profiter la législation romaine de tout ce qu'il y avait de bon dans le droit des peuples avec lesquels ils furent en relations'. Les institutions du jus gentium sont assez nombreuses. Les principales sont la vente, le louage, la société, le commodat, le dépôt et autres contrats semblables 2 ; le précaire le prêt 4, la stipulation ellemême, sauf dans la forme de la sponsio l'acceptilation6, la transcriptio a re in personam d'après les Sabiniens les obligations résultant d'un enrichissement sans causes, la tradition, l'occupation9. La division du droit en jus civile et jus gentium a perdu en grande partie son intérêt pratique après la constitution de Caracalla qui concéda à tous les habitants de l'empire la cité romaine. 11 en fut de même au Bas-Empire de la distinction du jus civile et du jus honorarium ; elle aurait dû disparaître sous le système de procédure extraordinaire, lorsque le magistrat jugea lui-même les procès: il n'en fut rien; on la conserva dans la forme, bien qu'elle eùt perdu sa signification pratique. Au lieu de jus civile, les textes du Bas-Empire, et même les constitutions de Dioclétien, emploient plutôt l'expression jus Ilomanum 1D. C'est ce droit qui, après la chute de l'empire d'Occident et l'établissement des Germains dans les Gaules, a continué d'être appliqué aux GalloRomains. Le jus Ilomanum du Bas-Empire comprend deux parties distinctes 11 : le jus vetus, qu'on appelle aussi jus sans épithète, et les novellae leges, ou simplement liges 12. Le jus, c'est le droit constaté dans les écrits des jurisconsultes classiques et qui a été introduit soit par la jurisprudence, soit par les rescrits impériaux 1J. Les novellae liges sont les constitutions impériales promulguées par Constantin et ses successeurs, et qui, pour la plupart, ont été rendues sous l'influence du christianisme. VI. JUS STSICTUM. C'est un principe de l'ancien droit romain qu'il faut laisser le moins de place possible à l'arbitraire du juge. On s'est efforcé de donner aux règles que le juge doit appliquer, aussi bien qu'aux faits dont il doit tenir compte, une précision suffisante pour qu'il n'y ait ni hésitation ni divergence dans la manière de les apprécier 14. Ce principe entraîne diverses conséquences, qui, dès la fin de la République, ont paru rigoureuses, et que l'on a rattachées à une conception particulière du droit : le jus strictum par opposition à l'équité'°. Voici quelques-unes de ces conséquences : elles permettront de se faire une idée de ce que l'on appelle le droit strict. 1° Dans l'interprétation des actes juridiques, on doit s'attacher à la lettre, et non à l'intention des parties" Dans l'appréciation des faits délictueux, on doit considérer le fait matériel sans se préoccuper de la culpabilité de l'auteur du délits". Dans les cas même où l'on a exigé un élément intentionnel, on ne recherche pas le degré de culpabilité du délinquant. Les actes juridiques de l'ancien droit sont solennels. Ils exigent l'emploi de paroles consacrées : verbe certa'9, civilia19, legitima20, solemnia21. De là le nom de jus soi: lemne22 donné parfois au droit strict. La rigueur avec laquelle on interprète ces actes se manifeste à plusieurs points de vue : x) La plus petite erreur entraîne la nullité de l'acte "Al en était de même dans la procédure 2' et dans le droit public 26 C'est ce qui faisait dire à Cicéron : Est jurisconsultus ipse per se nihil nisi leguleius quidam caulus et acutus, praeco aclionum, cautor formularum, auceps sgllabarum26 ) On ne peut suppléer ce qui n'est pas exprimé dans l'acte 2". y) On ne tient compte ni de l'erreur dans l'expression de la pensée 2s, ni du dol 29, ni de la violence". C'était aux parties à prendre leurs précautions pour ne pas en être victimes : opposer la fermeté à la contrainte morale 31, insérer dans l'acte des clauses spéciales pour se prémunir contre l'erreur ou le dol. En mancipant un fonds de terre par exemple, pour éviter toute erreur dans l'indication des tenants et aboutissants (adfi'nes), on ajoutait et si quos dicere oportet32; en nlancipant un esclave : sive is quo alio nomine est33. Cela rappelle les formules usitées pour l'invocation de certaines divinités: Sive tu deus es sine dea 34, et même pour Jupiter : Juppiter Optime Maxime sive quo alio nomine fas est nominare 35 Les pouvoirs du juge sont étroitement limités3s Lorsqu'il a une évaluation à faire, il doit s'en tenir à la valeur vénale de la chose 37 (quanti res est) : il ne peut pas prendre en considération l'intérêt du demandeur (quanti interest actoris) 38. Dans les cas oit cette règle a paru insuffisante, au lieu d'étendre les pouvoirs du juge, on préféra tourner la difficulté : on traita le plaideur téméraire comme un délinquant, et on lui infligea une peine fixée à forfait à un multiple de la valeur vénale de la chose u ou à une fraction en sus de cette valeur i0. 3° En matière de parenté, le droit strict s'en tient au principe de l'agnation. Il ne connaît d'autres faits générateurs de la parenté que les justae nuptiae et quelques JUS -7119 JUS actes juridiques, la conventio in manum, l'adrogation, l'adoption. Cette parenté s'éteint, indépendamment de la mort, par la capitis derninulio. Le mariage n'établit pas de rapport de droit entre les époux; mais la conventio in manum produit une parenté fictive : la femme est filiae loto par rapport à son mari 1. Quelque étrange que nous paraisse aujourd'hui cette façon de concevoir le droit, elle a eu sa raison d'être, et même sa valeur pratique. Sa raison d'être en ce qui touche la parenté n'a pas besoin d'être démontrée : elle se rattache à l'organisation antique de la famille, et a subsisté autant qu'elle. Sa valeur pratique, quant à l'interprétation des actes juridiques et quant aux pouvoirs du juge, est tout aussi claire: le droit strict supprime toute incertitude sur l'existence et sur l'objet des actes juridiques. Les Romains appréciaient si haut cet avantage que, même pour les actes non solennels, ils employèrent des formules traditionnelles 2. Le droit strict offre ensuite l'avantage de faciliter la tâche du juge : il n'a qu'à rechercher le sens usuel ou grammatical des mots. Il n'y a pas de discussion possible sur la portée de l'acte juridique. Mais le droit strict présente aussi des inconvénients celui qui ne connaît pas d'une façon précise la valeur de chaque formule d'acte juridique court grand risque d'être captes. Ici, l'homme le plus prudent peut avoir affaire à plus habile que lui. Plaute en fait la remarque : Jin mot à double sens auquel on n'a pas pris garde une phrase à double entente, et qu'une main experte et peu honnête a glissée dans la formules, peut être la cause d'un grave préjudice. On est pris comme dans un filet: il y a captio. Cette captio n'est pas encore réprouvée par la loi : c'est un dolus bonus. Le danger devint pressant, lorsque les Romains eurent été initiés aux procédés dialectiques des sophistes grecs 6. Pour se prémunir contre la fraude ou la surprise, il fallait prendre conseil auprès (les cautores : pontifes, prudents, ou simples patrons. Les inconvénients du système du droit strict apparurent à l'esprit des Romains vers la fin de la République. Au temps de Cicéron, sous l'influence de la rhétorique grecque, l'opposition du droit strict et de l'équité se fait jour dans la jurisprudence. De là cet adage si connu Summum jus summa injuria 7. A dater de ce moment commence une lutte qui se prolongera pendant plusieurs siècles, et qui se terminera par le triomphe de l'équité. Sans entrer dans aucun détail, il suffira d'in cliquer ici, dans ses traits essentiels, ce mouvement de pénétration de l'équité dans le droit. Au dernier siècle de la République, les jurisconsultes sont partagés en deux groupes : les uns partisans du droit strict, les autres de l'équité. D'une part, lepontife P. Mucius Scaevola 3 et son fils Q. Mucius'; de l'autre l'augure Q. Mucius Scaevola 10, Serv. Sulpicius Galba", Aquilins Gallus 12, Trehatius 13, Servius t4, Tubero'5, Alfenus Varus Ss. A cette époque, il n'y a pas encore de jurisprudence constante en faveur de l'équité 11,l'opinion individuelle du juge devient prépondérante et l'on voit des avocats, comme Cicéron, invoquer, suivant l'intérêt de leurs clients, tantôt le droit strict, tantôt l'équité". Sous l'Empire commence la décadence du droit strict. Le nombre des actes solennels diminue 20, celui des actes non solennels augment. Dans les actes solennels qui subsistent, les paroles consacrées ne sont plus aussi rigoureusement exigées 21 ; on admet des équivalents". L'interprète doit rechercher la volonté de l'auteur de l'acte L3 ; la volonté simulée ou non sérieusement exprimée est inefficace" . Le préteur vient au secours de ceux qui ont été victimes d'une erreur, d'un dol ou d'une violence. La législation s'inspire du même esprit: tel le sénatusconsulte Néronien sur la forme des legs 20 LEGATUM . A son tour, la jurisprudence admet que l'erreur de droit peut être excusable. A mesure que le droit s'est développé, la connaissance en est devenue plus difficile. Cependant une règle ancienne disait que l'erreur de droit nuit à celui qui l'a commise : Regula est juris quidem ignorantiam cuique nocere, facti vero ignorantiam non nocere26, ce que l'on exprime aujourd'hui par l'adage : « Nul n'est censé ignorer la loi. » Cette règle fut rigoureusement appliquée tant qu'il fut possible à tout citoyen de prendre l'avis d'un jurisconsulte, et l'on sait qu'aux derniers siècles de la République c'était un usage bien établi pour toute affaire un peu importante [JerllscovsuLT1]. Mais, déjà au temps d'Auguste, Labéon admet des tempéraments: Si jutisconsulti copiam haberet, vel sua prudentia instructus sit" D'où l'on a conclu que l'erreur de droit, si elle est excusable, ne fera pas tort à qui l'a commise. Le même tempéramentfut admis en sens inverse pour l'erreur de fait : si elle est trop grossière, on ne pourra l'invoquer28. 11 y a d'ailleurs certaines personnes qui, en raison de leur inexpérience, sont. réputées ignorer laloi:les mineurs de vingtcinq ans 29, les femmes 30, les soldats 31, les paysans 32. Quant aux pouvoirs du juge, ils deviennent de jour en jour plus larges dans une classe nouvelle d'actions JUS -742JUS qu'on oppose aux actions de droit strict : les actions de bonne foi. Le juge est autorisé à tenir compte, dans l'appréciation du dommage subi par le demandeur, de la perte qu'il a éprouvée (damnuin emergens) et du gain dont il a été privé (lucrum cessans)'. Enfin les droits de la parenté naturelle 2, aussi bien que ceux qui résultent du mariage sont reconnus et consacrés par l'édit du préteur, par les sénatus-consultes' et par les constitutions impériales 5. Certes, il subsiste, même sous Justinien 6, des traces du système antique ; mais on prend soin de les signaler, ce qui facilitera leur élimination : les mots subtilitas 7, scrupulositas8, perpetuum', merumi0 ou summum Jus" caractérisent ces survivances du système du strict droit. du mot jus a été étendue aux derniers siècles de la République aux prérogatives consacrées et réglementées par la loi. Cette extension n'a d'abord été admise en droit privé que pour les facultés concernant le patrimoine et sanctionnées les unes par une action réelle, les autres par une action personnelle : la propriété et les jura in re (aliena) d'une part, les obligations (jus in personam)" d'autre part. Cette extension a été ensuite appliquée au pouvoir du chef de famille sur les personnes soumises à sa puissance. Le mot jus a été pris ici pour synonyme de poteslas. Il n'est pas indifférent de remarquer que le pouvoir du père de famille a été qualifié jus à une époque relativement récente. C'est pour n'avoir pas fait cette observation qu'on a souvent donné une idée fausse !lu pouvoir de vie et de mort attribué au chef de famille dans la Rome antique. Ce pouvoir ne fut pas dans le principe une création arbitraire de la loi ; il ne fut pas davantage sanctionné par la loi. Il reposait sur une coutume antérieure à la formation de la cité : par suite, au lieu d'être un droit absolu comme la propriété, ce fut un pouvoir contenu dans les limites fixées par la coutume des ancêtres 13. On expliquera à l'article PATRIA POTESTAS comment, au début de l'Empire, la vitae necisque potestas s'est transformée en un jus occidendi réglementé par les constitutions des empereurs. Ce n'est pas d'ailleurs le seul cas où le mot jus est deNenu l'équivalent de potestas : la tutelle qui anciennement était définie vis ac potestas est qualifiée jus à l'époque classiqueL4. De même Gaius appelle alieni juris les personnes soumises à la patria ou la dominica potestas Les facultés ou pouvoirs consacrés par le droit sont du ressort soit du droit public, soit du droit privé. Ces derniers, particulièrement, lés droits sur les choses, peuvent exister soit au profit des dieux, soit au profit des hommes. Gaius distingue les res divzni juris et les res humani jures" Les res divini juris comprennent les res scier« 17, les res Les res humani juris comprennent les choses susceptibles de profiter aux hommes collectivement ou individuelle ment 20. Telles sont d'une part les res communes dont l'usage est commun à tous, comme l'air, l'eau des fleuves, la mer 21 ; les res pub lieue 22 [IDES PUBLICAEI et les res universitatis 23 [UNIVERSITAS], et d'autre part les choses qui comportent la propriété privée (res privatae). On donnera ici la liste des principaux droits publics ou privés, en renvoyant pour les détails à l'article consacré à chacun d'eux. Jus aboliendi ABOLITto'. Jus abstinendi [st-us REMS]. JUS aedificandi [SERVI LS Jus agendi cum populo [Goum A, MIAGISTRAl'US]. Jus agendi cum plebe [cumin A, TRIIIUSUS PLEBIS]. Jus agnationis [AUX ATHO]. Jus allias tollendi [SERVIT US Jus appellandi [APPELLATIO[. Jus auguria captandi [AUGURES]. Jus aureorum anulorum [INGENUUS]. Jus auspiciorum [AUSPICIA]. Jus caduca vindicandi [CADUCARIAE LEGES, PATRES, AERA Jus censendi [CENSUS Jus civitatis [CIVrrAS]. Jus cognationis [COGNATlo]. Jus coloniae cor,oNTA]. GRINts'. Jus deliberandi [IIERES Jus distrahendi [PIGmIs]. Jus edicendi [EDICTUM]. Jus emphyleuticum [Lm i l'EL SIS Jus exigendi [PmNus[. Jus fisci [r iscus]. Jus fraternitatis [socIE'rAsi Jus gentilicium [GENS]. Jus gladii [GLADIUS] Jus habitandi [LOCATIO, SERVITUS]. Jus honorum [uoNOR]. Jus imaginunz [IMAGO] JUS -71,3 JUS Jus irapetrandi dominii [IIYPOTALCA]. Jus intercedendi [INTERCESSIO]. Jus in agro vectigali [ACER VECT:GALIS]. Jus in personam [oBLIGATIO]. Jus interdicendi [PRAE'rOIi]. Jus judicari jubendi [JLDEX, PRAETOR] Jus liberorum [L1BElt1-_. Jus luminum [LUMINAI. Jus metalloruan [METALLUM]. Jus militiae ]MÎLEs]. Jus mortuum inferendi fSEPULCRLM Jus mulctae dictionis I3tULCTA[. Jus nexi mancipiique NExus, MANCIPIUM]. Jus nominandi potioris [TtiTELA]. Jus nudum Quiritium [PROPRII:TAS]. Jus obligationis [ORLIGAT101. Jus obnuntiationis [013NUNTIATI0]. Jus offerendi et succedendi [IlYPOriiECA]. Jus oneris ferendi [PARIES, SERVITUS Jus optandi tutoris [TUTELA_. Jus originis [oniuo]. Jus paciscendi [PACTIDI]. Jus pascendi [PAST'US]. Jus patronatus _PATRON-US]. Jus patruin PATRES'. Jus peregrinum [PEREGRIXUS]. Jus personarum [PERSONA]. Jus pignoris capions ! PIGVCS]. Jus poenitendi [oBLIGATIO]. Jus possessionis 1POSSESSIOI. Jura praediornm rusticorum vel urbanorum [sr.RViTUS, Jus prensionis [PRENS1o[. Jus prohibendi [scRVITUS]. Jus protimeseos [PROTIMESIS]. Jus provinciale [rnoV1NCiA]. Jus provocandi LPROVOCATIO Jus relationis [IMPERATOR]. Jus sacrorum [SACRA]. Jus separationis --_SEPARATIO]. Jus su/fragii [SUFFRAGIUM]Jus teslamenti faciendi [fESTAMENTUM'. Jus tigni immittendi [TIGNUbt]. Jus. togae [TOGA]. à désigner le lieu où le magistrat dit le droit. Jus dicitur locus in quo jus redditur, appellatione collata ab eo quod fit, in eo ubi fit'. En principe, le magistrat siège sur le forum, au comilium2, mais, dit Paul, ubicumque praeior calva majestale imperii sui salvoque more majorum jus dicere constituit, is locus recte jus appellatur 3. Ulpien précise en disant : vel si dorai, vel itinere hoc agat5. Le mot jus est, en ce sens, ordinairement opposé au mot judicium. Au temps des• actions de la loi et sous le système de procédure formulaire, la procédure se divise en deux phases ; l'une s'accomplit (levant le magistrat (in jure), l'autre devant le juge (in judicio) 5. Parmi les actes qui s'accomplissent in jure, il en est cinq qui présentent un caractère général. Quatre se rattachent à la juridiction contentieuse: l'in jus vocatio, l'interrogatio in jure, l'in jure con fessio et le jus jurandum in jure delatum. Le cinquième appartient à la juridiction gracieuse : l'in jure cessio. L'in jure cessio a été traitée au mot cESSIO, le jusjurandum in jure le sera au mot JUSJURANDUM. On ne parlera ici que des trois autres actes qui ont lieu devant le magistrat. IN JUS VOCATIO. La citation en justice est le préliminaire indispensable de tout procès. Elle est adressée par le demandeur au défendeur. Elle n'a pas seulement pour but d'avertir le défendeur de la décision prise par le demandeur d'agir judiciairement contre lui, mais surtout de l'amener à comparaître devant le magistrat. Un principe fondamental de la procédure, au temps des actions de la loi, exige la présence des parties intéressées'. Chacune d'elles doit remplir les solennités prescrites, sans quoi le procès ne serait pas régulièrement engagé : Nemo alieno nomine lege agere potes' 7. La procédure formulaire a atténué la rigueur du principe : elle permet aux parties de se faire représenter en justice [PROCURATOR, 1MANDATUM]. Mais le procès implique toujours un débat contradictoire. 11 n'y a pas de procédure par défaut. De très bonne heure, la loi s'est préoccupée d'assurer la comparution du défendeur. La loi des Douze Tables contient sur l'in jus vocatio des dispositions très précises'. Le demandeur invite verbalement son adversaire à le suivre devant le magistrat. Le défendeur doit répondre à cet appel sans délai. Si l'âge ou la maladie l'empêchent de marcher, le demandeur doit lui fournir une bête de sornme pour le transporter au contitium; mais il n'est pas tenu de lui procurer un chariot [ARCERA]9. En cas de refus ou de retard, le demandeur prend des témoins et saisit le défendeur sans pouvoir toutefois franchir le seuil de sa maison10. Si le défendeur recourt à la fraude" ou cherche à fuir', on procède à la manus injectio et il est tenu pro judicato13 [MANUS 1NJECTIO]. Le défendeur JUS 744i JUS ne peut se dispenser de suivre immédiatement le demandeur qu'à la condition de fournir un l'index [VINDEX]. L'in jus vocatio a été conservée dans la procédure formulaire; mais l'édit du préteur l'a renfermée dans certaines limites, tout en assurant la comparution du défendeur par des dispositions nouvelles. D'une part, il a établi une action pénale contre le défendeur qui ne répond pas à l'in jus vocatio' et contre celui qui, par violence, aurait délivré un citoyen conduit (levant le magistrat :2 ou l'aurait empêché de se rendre en justice 3. D'autre part, il défend aux descendants de citer en justice un de leurs ascendants 4, aux affranchis de citer leur patron sans la permission du magistrat. Cette défense s'applique même à la parenté naturelle', car, dit Paul, una est omnibus parentibus servanda reverentia'. Le préteur défend également de citer en justice un magistrat investi de l'imperium ou qui a le droit de coercitio, un pontife pendant qu'il accomplit une cérémonie sacrée, un juge pendant qu'il connaît d'une affaire, un fou ou un enfant, celui qui se marie ou qui rend à un mort les derniers devoirs8. Ces exceptions et d'autres encore dont les textes ont conservé le souvenirs prouvent que la forme première et rigoureuse de l'in jus vocatio ne répondait plus aux moeurs adoucies de la fin de la République. Au temps de Cicéron, on n'en faisait guère usage qu'à l'égard des gens de réputation douteuse. En général, on se con tentait d'un radimonium cum satisdatione [vADIMONIuM] 1O. A partir du milieu du ne siècle, on voit apparaître un nouveau mode de citation en justice qui est devenu d'une application générale dans la procédure extraordi naire, la LIT1S DENIJNCIATIO. Enfin, sous Justinien, la citation se fait, sur la requête du demandeur (libellas convenlionis), par les soins du magistrat [LIBELLUS]. I1TEnnoGATIO IN JURE. Il y a certains cas oit l'exer cice d'une action contre une personne est subordonné à la qualité ou à la situation de cette personne. Telle est la qualité d'héritier lorsqu'on demande le paiement des dettes d'un citoyen décédé; telle est aussi la qualité de propriétaire d'un esclave, lorsqu'on veut exercer une action noxale. Dans ces cas et autres semblables", le magistrat ou même le demandeurl2 interroge le défendeur pour savoir, par exemple, s'il est héritier et pour quelle part". D'après l'édit du préteur 14, le défendeur est lié par sa réponse, soit qu'il ait avoué sa qualité, soit qu'il ait mentif5. On lui accorde, d'ailleurs, s'il le demande, le temps de la réflexion". La réponse faite sert désormais de fondement à l'action du demandeur. Cette action devient par là même une action interrogatoria17. Le défendeur qui refuse de répondre à la question de savoir s'il est héritier est traité comme un contumax: il est tenu des dettes pour le tout, quia Praetorem contemnere videtur 18. S'il déclare être héritier pour une part inférieure à sa part réelle, il est également puni de son mensonge et tenu des dettes pour le tout 1s. De même le maître qui nie être propriétaire de l'esclave auteur d'un délit est privé du droit de faire abandon noxal20 Les actions interrogatoires sont tombées en désuétude dans le dernier état du droit : nemo cogitur ante judicium de suo jure aliquid respondere 21. Les interrogationes in jure ont cependant continué à être usitées, comme le prouve l'insertion au Digeste des textes qui les concernent. Elles facilitent la preuve des prétentions respectives des parties. Is mu: corressio.Le défendeur, cité en justice, peut, lors de sa comparution devant le magistrat, prendre des partis très divers : 1° donner immédiatement satisfaction au demandeur (solvere apud praetorem22) : dans ce cas, il n'y a plus matière à proc¨s ; refuser de se prêter à l'organisation d'une instance ; ici l'on usera contre lui de moyens de coercition; on le traitera comme celui qui se dérobe à la poursuite (qui fraudationis causa latitat 23) ; 3° contester la demande formée contre lui : dans ce cas, le procès suit son cours ; li° reconnaître le bien fondé de la prétention du demandeur : c'est l'aveu (con fessio24). L'aveu fait devant le magistrat (in jure) produit un effet important qui ne résulte ni de l'aveu extrajudiciaire, ni même de l'aveu fait (levant le juge (in judicio 26). L'aveu in jure équivaut à un jugemént2G. L'in jure con fessus est assimilé au judicatus [JLDICATCM] : con fessus pro judicato habetur27. Cette règle s'applique sans difficulté dans la procédure des actions de la loi. Le juge de l'action per sacramentum a pour mission de déclarer si le sacramentum de chacun des plaideurs est juste ou injuste, par suite d'examiner si la prétention du demandeur est bien fondée L8. L'aveu du défendeur dispense les parties d'aller devant le juge ; l'aveu équivaut au jugement". Il faut d'ailleurs se garder d'en conclure que le demandeur puisse, dans tous les cas, procéder à l'exécution : cela n'est admis, d'après la loi des Douze Tables, que pour les dettes d'argent (cerfs confessi) et sous réserve de délais 30. Pour toute autre dette, il y a lieu à une lins aestiinaiio, à une estimation de la Sous le système de la procédure formulaire, la règle confessas pro judicato habetur n'est plus rigoureusement exacte. On ne peut pas la prendre au pied de la lettre : c'est un point que M. Demelius 32 a établi, contrairement à l'opinion qui avait cours jusqu'à lui 33. Il a fait remarquer que, dans ce système de procédure, à la différence de ce qui avait lieu dans les actions de la loi, le juge ne V. JUS 745 JUS se borne pas à examiner si la prétention du demandeur est juste : il doit estimer en argent la valeur du litige. Toute condamnation,_ dit Gains, est pécuniaire'. L'aveu du défendeur ne saurait donc équivaloir au jugement, toutes les fois que la demande a pour objet autre chose qu'une somme d'argent déterminée L'aveu n'a plus pour effet de supprimer la tâche du juge : il la rend seulement plus facile, puisqu'il n'y a plus de débat sur le mérite de la demande. L'in jure con fessus devra donc se prêter à l'organisation d'une instance sous peine d'être traité comme un indefensus, c'est-à-dire d'être exposé à la saisie et à la vente de ses biens`'. Cette règle souffre exception, dans les actions qui entrainent une condamnation, ou double en cas d'infiliatio, spécialement dans le cas du délit prévu par la loi Aquilia (damnum injuria datum) : l'aveu du défendeur confère au demandeur le droit d'exercer une action dite confessoria4 qui tend uniquement à l'évaluation du litige'. La distinction entre les effets de l'aveu in jure, suivant qu'il porte ou non sur une somme d'argent, parait avoir été écartée, au moins dans certains cas, par une oratio de Marc-Aurèle. Il est difficile de préciser davantage, le texte d'Llpien qui signale cette oralio 6 étant suspect d'interpolation '. Ce qui est certain, c'est que l'obstacle que les principes de la procédure formulaire opposaient à l'application générale de la règle con fessus pro judicato habetur a disparu avec les formules. Dans le système de la procédure extraordinaire, l'aveu in jure équivaut toujours au jugements. L'aveu n'a de valeur qu'autant qu'il a été fait, par le défendeur", en présence du demandeur ou de son mandataire 10. II n'est pas admis dans les procès relatifs à l'état des personnes". jus l'apirianum est un recueil composé par un certain Papirius qui, suivant Polnponius'2, aurait été grand pontife sous Tarquin le Superbe, mais qui, suivant TiteLive 16 et Denys d'Halicarnasse", serait postérieur à la chute de la royauté. Ces divergences sur l'époque de la rédaction du recueil, divergences qui se reproduisent pour le prénom de l'auteur, Sextus ", Publius", ou Marius", ont donné à penser que le jus Papirianum est peut-être un recueil de date plus récente que l'on a mis sous le nom d'un des premiers grands pontifes, pour lui donner plus d'autorité'$. Quoi qu'il en soit, le jus Papirianum nous est connu par le commentaire d'un contemporain de J. César, Granius Flaccus 12. D'après Pomponius, le jus Papirianuni serait un recueil des lois votées par les comices curiates sur la proposition des rois; Papirius les aurait simplement réunies et mises en ordre20. Cette assertion est contredite par le témoignage de Servius, qui donne le titre du recueil de Papirius: de ritu sacrorum21. Le jus Papirianum est donc étranger au jus civile. JUS CIVILE FLAVIANUM. Le jus civile rlavionum est un recueil de formules d'actes juridiques et d'actions (actiones) composé par Appius Claudius Caecus, le censeur de l'an 442. Le fils d'un de ses affranchis, Cn. Flavius, lui aurait, suivant Pomponius 22, dérobé ce recueil et l'aurait publié. Le fait d'une soustraction est peu vraisemblable : il est plus probable que Flavius fut l'instrument de la vengeance de son patron. Appius voulut abattre la puissance des nobles en divulguant les formulaires des pontifes23. Flavius publia en même temps le calendrier contenant l'indication des jours où il était permis d'agir en justice2'. La divulgation des archives pontificales porta une atteinte sérieuse au crédit dont jouissaient les pontifes. Le peuple, reconnaissant, fit de Flavius un tribun de la plèbe, un sénateur, un édile curule25. JUS AELIANUM. Le jus Aelianum est, d'après Pompo nius 2f, un recueil d'actions de la loi dû à Sextus Aelius Paetus Catus, le consul de l'an de Rome 556. Ce fut le complément du jus lgavianuni qui, avec le temps, ne suffisait plus aux besoins de la pratique. On avait dû créer de nouvelles actions pour sanctionner les lois postérieures aux Douze Tables ou pour étendre l'application de la loi décemvirale. S. Aelius en fit un recueil qu'il livra à la publicité. On s'est demandé si le jus Aelianum est bien, comme le donne à entendre Pomponius, distinct de l'ouvrage qui a fait la réputation de S. Aelius, les Ï ripertila 27. Il est probable que c'est simplement une dénomination particulière donnée à la troisième partie de cet ouvrage. Pomponius dit, en effet, que la première partie des Tripertita était consacrée aux Douze Tables, la seconde à l'interprétation, la troisième aux actions de la loi 28. Jus et LEGES. Au Bas-Empire, le mot jus est parfois employé dans un sens analogue, mais plus large : il désigne le droit constaté et transmis par les écrits des jurisconsultes, par opposition au droit introduit par les constitutions des empereurs (leges) 29. ÉnouABD CDQ.