Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article KRYPTEIA

IZRV PTEIA. Les auteurs anciens désignent ainsi : 1° le corps des jeunes Spartiates qui faisaient, pendant un temps déterminé, sous le contrôle de l'État, leur apprentissage militaire' ; 62° cet apprentissage lui-même 2. On trouve aussi employés, à côté de xpuzT4:a, dans le premier sens, le terme de xpu r o(3, et, dans le second, celui de xpu77T3i 4. Nous ignorons l'origine de la cryptie. D'après Aristote, elle remontait à Lycurgue °. Plutarque se refuse à rapporter un usage aussi cruel à l'auteur des lois de Sparte 6. Quelques savants modernes, tout en la lui attribuant, pensent qu'elle nerevètit le caractère d'une guerre systématique faite aux hilotes, qu'après la troisième guerre de Messénie 7. A ne consulter, en effet, que le passage de la Vie de Lycurgue qui constitue le principal témoignage sur cette institution, elle aurait été surtout dirigée contre les hilotes, dont la puissance et les fréquentes révoltes tenaient les Spartiates dans une crainte perpétuelle. Voici, d'après ce passage, en quoi elle consistait : de temps en temps (lt ypôvou , les chefs des jeunes gens (T('nv v .n,v oi âplovTEç) donnaient l'ordre aux plus intelligents de se répandre dans la campagne, arrnés de poignards et munis, en fait de vivres, du strict nécessaire ; dissimulés pendant le jour dans des cachettes impénétrables, ils restaient inactifs ; la nuit venue, ils parcouraient les routes et tuaient les hilotes qu'ils y rencontraient; souvent même, pénétrant sur les terres cultivées par eux, ils égorgeaient les plus robustes et les plus braves. C'est ainsi, ajoute Plutarque, que, d'après Thucydide 8, plus de deux mille hilotes, choisis parmi les plus courageux, furent un jour couronnés en signe d'affranchissement et promenés de sanctuaire en sanctuaire; après quoi, ils disparurent sans que personne pût dire comment 9. Ce texte a donné lieu aux interprétations les plus diverses. Sans les passer en revue, disons que Plutarque y confond plusieurs choses distinctes. Il faut d'abord écarter le fait rapporté par Thucydide, qui ne semble avoir avec la cryptie aucun rapport. Ensuite, il est visible que Plutarque se trompe quand il fait de cette institution une sorte de chasse aux hilotes, à laquelle 110 KRY 872 KRY auraient pris part certains jeunes gens seulement, et qui aurait eu lieu à des époques indéterminées, par les soins de magistrats portant le titre vague do chefs de la jeunesse. Nous savons par Platon que la cryptie était obligatoire pour tous les jeunes Lacédémoniens et qu'elle avait surtout pour objet de les aguerrir aux fatigues de la vie en campagne ' Qu'en même temps elle ait été un service de police destiné à maintenir l'ordre en Laconie, qu'en leur qualité de surveillants et de gardiens du territoire, les jeunes gens chargés de ce service aient eu fréquemment affaire aux hilotes et se soient montrés, dans certaines circonstances, particulièrement sévères et même cruels à leur égard [IIELOTAE], c'est ce qui est très vraisemblable ; mais, aussi vieille probablement que la constitution de Sparte, la cryptie n'avait point été imaginée pour la répression des hilotes ; les allures mystérieuses que lui prêle Plutarque en dénaturent le caractère : elle s'exerçait, d'après Platon, aussi bien le jour que la nuit, et l'ingénieuse dénomination de loi de couvre-feu laconien, qu'on lui a donnée, ne saurait lui convenir2. Si l'on veut savoir quel était son véritable but, c'est à Platon qu'il faut le demander : beaucoup des traits qui lui étaient propres paraissent, en effet, avoir été reproduits par ce philosophe dans le tableau que tracent les Lois de la cité idéale 3. Voici, d'après son témoignage, comment nous devons concevoir la cryptie. Sa durée était de deux années pendant lesquelles les jeunes gens menaient l'existence la plus rude, couchant sur la dure, vivant de peu, n'ayant pour les servir ni esclaves ni auxiliaires d'aucune sorte, excepté dans certains cas, où ils avaient le droit de réquisitionner hommes et bêtes pour leurs travaux de terrassement'. Car ils devaient, non seulement apprendre à connaître, par des courses de jour et de nuit, les moindres localités, mais y élever des retranchements en vue de la défense, y creuser des fossés pour arrêter l'ennemi, etc. ; en revanche, ils devaient rendre le pays aussi commode que possible à habiter pour les indigènes, veiller à l'entretien des chemins de communication, réparer les dégâts causés par les pluies, régler l'écoulement des eaux, etc. G. Platon ajoute que, dans sa république, les jeunes gens chargés de la garde du territoire formeront entre eux des cuee:r.a auxquels nul ne devra se soustraire, sous peine de blâme ou même de châtiments corporels 1. Le respect du philosophe pour la réalité, même dans ses constructions les plus hardies, et l'espèce de synonymie qu'il semble établir entre le mot ypovduot, par lequel il désigne les jeunes gardiens de son État imaginaire, et le mot xpurro( 3, autorisent à croire que, si ce n'est pas là le portrait rigoureusement exact de la cryptie, c'en est du moins une esquisse assez fidèle. Cette hypothèse est confirmée par un papyrus récemment découvert, lequel, malgré son état fragmentaire, semble ne pouvoir se rapporter qu'à la cryptie : la manière dont y est mentionné Agésilas prouve, en effet, qu'il a trait à une institution de Sparte, et le texte même de ce court morceau a de tels rapports avec les passages où Platon peint la cryptie lacédémonienne, qu'on ne saurait douter qu'il n'y fasse également allusion Or ce fragment nous montre les jeunes Spartiates recevant, pour une durée de deux ans, une peau (le bête et des chaussures grossières, et passant ces deux années exposés aux intempéries, buvant l'eau des sources, mangeant ce qu'ils trouvent, pleins de santé, d'ailleurs, sous ce dur régime. Une de leurs occupations consiste à remuer la terre, détail qui concorde avec les renseignements fournis par Platon. Le même document permet d'affirmer que la cryptie, comme le service des y;0,i4.o: platoniciens, comme l'éphébie athénienne, durait deux ans ; mais il ne nous dit pas quel était l'âge des jeunes gens qui en faisaient partie. Les ypcvôu.m doivent avoir de vingt-cinq à trente ans 70 ; les xpur,-o( spartiates avaient-ils le même âge, ou les choisissait-on dans la classe des v.E)v),(oavE;, c'est-à-dire des jeunes gens de dixhuit à vingt ans" ? Il est difficile de répondre à cette question. Il semble que la cryptie, dans certains cas, sortit du territoire pour figurer dans l'armée régulière. En 221 av. J.-C., nous la voyons, sous les ordres de Cléomène, prendre part à la bataille de Sellasie ; elle y est commandée par un certain Damotélès 12 On se rend compte maintenant de la difficulté de donner une explication satisfaisante du mot xpu^tTE(a, dont le sens ne semble pas avoir embarrassé les anciens. Pour Plutarque, il est évident que ce mot se rattache à la guerre d'embûches et de surprises que les jeunes Lacédémoniens faisaient, d'après lui, aux h ilotes ; la surveillance qu'ils exerçaient sur le pays était occulte : de là le terme par lequel on la désignait (xpû7:rw, cacher ou se cacher). Le scoliaste de Platon aperçoit un rapport entre xculrE(a et l'obligation où se seraient trouvés les jeunes gens de se procurer leur nourriture par le vol 73; mais il parait confondre la vie des xpunu: avec certaines épreuves auxquelles étaient soumis les enfants et dont la réalité, bien qu'attestée par Plutarque, est suspecte 14. De plus, si la peinture que nous avons faite de la cryptie est exacte, l'isolement, pour ces jeunes gens, était plutôt l'exception que la règle, et l'on conçoit mal une troupe, si peu nombreuse qu'elle soit, vivant de larcins, même sur les terres des hilotes; t'eût été le pillage organisé, ce qui est peu vraisemblable. La vérité, semble-t-il, est dans la synonymie établie par Platon entre xpo7tro( et âypovo'pan. Ce dernier terme signifie rustiques, sauvages 13 ; Platon nomme ainsi les gardiens de sa cité parce qu'ils doivent, pendant leurs deux ans de stage, vivre hors de la ville, dont la police est confiée à des fonctionnaires spéciaux, stratèges, taxiarques, hipparques, phylarques, prytanes, astynomes, agoranomes; au contraire, les &ypc KYR 873 KYR vduot sont uniquement affectés à la police des campagnes'. Il y a là une indication précieuse. Les xruazo( de Sparte étaient de même des jeunes gens que, pendant deux ans, on ne voyait pas à la ville ; non seulement l'accès de l'agora leur était interdit, comme à tous les citoyens âgés de moins de trente anse, mais, confinés dans les campagnes, ils y donnaient exclusivement leurs soins aux occupations qui leur étaient imposées. P. GIRARD. IlYAMUUTOI [ARCuAI].