Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article LACUNAR

LACUNAR, LACIINARIUM, LAQUEAR' (sl lvoigitara). I. Ces mots dérivés de lm:arna, lacus, 'n.r'rr, désignent un plafond soutenu par des poutres apparentes dont l'entre-croisement forme des cavités (lactl..8, limita) rectangulaires ou losangées, suivant que les poutres se coupaient, ou non, à angle droit. Chez les (arecs comme chez les Romains, le lacunat' ne fut donc pas, 'à, l'origine, une ornementation voulue et inspirée par l'art, mais le simple résultat de la contignalio ou croisement des poutres dans la construction en bois"-. Les plafonds ne tardèrent pas à être peints et ornés comme les murailles des chambres et des édifices. Puis, là où les poutres manquaient, elles furent remplacées par de fausses poutres, ou par des reliefs en bois, en phare, en stuc, circonscrivant des 1aca.s non seulement rectangulaires oulosangés, mais aussi ronds, ovales, polygonaux, se prêtant, par leurs fer-"-s diverses, à des groupements et à des combinaisons d'où résultait une ornementation riche et variée. On peut voir, sur une partie de la voûte des anciens thermes, à Pompéi, un très beau spécimen de ce genre de décoration [roHX]X, p. 1264, fig. 3233,. Parfois aussi les lacunaria étaient simplement figurés par la peinture' sur un plafond plat, probablement avec un très puissant relief, en trompe-l'ceil, procédé très usité encore aujourd'hui dans la Rome moderne et que connaissaient très bien les anciens'. En même temps, on transportait les lacunaria dans l'architecture des grands monuments. Dans les plafonds plats, en pierre ou en marbre, que nous appelons aujourd'hui sofiittes3, et dans les voûtes, des cavités creusées en séries droites imitaient visiblement, par leurs sépara LAC 903 LAC tions se coupant comme des poutres, les lacunaria en bois. C'est ainsi que la coupole du Panthéon, à Rome, est tout entière ornée de lacunaria rectangulaires ; dans la même ville, près du Forum, l'abside et la nef du temple de Vénus et de Rome nous offrent un double exemple de lacunaria, les uns en losange, les autres en carrés (fig 4322, d'après une photographie). C'est, non aux lacunaria. primitifs, mais aux lacunaria artificiels dont nous venons de parler, que s'applique, dans tous ses termes, la définition que nous en a laissée Isidore'. Il est naturel qu'on ait vite attribué aux lacunaria une large part dans la décoration des édifices et, des appartements. Au témoignage de Pline 2, Pausias de Sicyone, peintre renommé de petits tableaux de genre, surtout de scènes enfantines, qui vivait au ive siècle av. J.-C., fut le premier qui peignit les lacunaria. Les principaux auteurs qui ont traité de la peinture dans l'antiquité sont d'avis, et sans doute avec raison, que Pausias ne fut pas réellement le premier peintre de plafonds, mais qu'il innova dans cet art, substituant des tableaux de genre à une peinture plus sévère et surtout ornementale 3. Et en effet, il serait bien surprenant que. en Grèce où la polychromie fut en honneur même dans l'art archaïque, les plafonds seuls n'aient pas été colorés. Nous savons d'ailleurs que les Grecs ornaient les caissons de leurs plafonds d'étoiles, de fleurons, d'images de divinités', de masques, d'étoiles d'or sur fond bleu, d'ornements en bronze rapportés, comme à l'Erechtheion d'Athènes, de têtes, de bustes et de figures entières comme dans les temples de Balbek et de Palmyre'. Pausanias fait mention des lacunaria du temple de Junon à Elis ° et dit que ceux de l'antique temple de Diane à Stymphale étaient ornés de figures d'oiseaux qu'il a vues d'en bas, sans pouvoir distinguer s'ils étaient en bois ou en plâtre 7 ; ce qui, comme le fait remarquer avec raison Raoul Rochette 8, donne à penser que ces figures d'oiseaux étaient en relief et peintes. A une époque plus tardive àAntioche, Antiochus Epiphane fit construire un temple dont les lambris étaient en or°. Ce luxe s'appliquait non seulement aux temples, mais aux maisons particulières. Plutarque, dans une anecdote qui se réfère au v° siècle av. J.-C., parle d'une maison de Corinthe dont la salle à manger était ornée d'un plafond somptueux et,lambrisséf0; il suffit de lire dans Diodore de Sicile" la description de la chambre funéraire d'Alexandre le Grand pour comprendre à quel point, dès le temps de Pausias, la Grèce et l'Orient avaient poussé l'art de décorer les plafonds. Les descriptions conservées par Athénée du vaisseau de Hiéron Il12, de la tente de Ptolémée Philadelphe13 et du vaisseau de Ptolémée Philopator " démontrent que cette tradition ne fut pas interrompue''. A Rome, c'est seulement, si l'on en croit Pline 'f, au n° siècle av. J.-C., après la prise de Carthage, que, pour la première fois, furent dorés les sonnes du Capitole.Depuis, ajoute cet auteur, l'usage s'est étendu aux maisons parti culières, et on en est arrivé à dorer les plafonds et les voûtes comme des vases. Ajoutons toutefois que, avant la prise de Carthage, Ennius, dans un texte conservé par Cicéron 17, avait déjà parlé de testa caelate, laqueala. Nous trouvons dans les auteurs de nombreuses allusions à ces lambris dorés dont parle Plinei3. Non seulement on les dorait, mais on les ornait de fleurons, de figures et d'autres ornements soit peints 19, soit sculptés'°. Les perspectives d'architecture qui décorent les murailles de beaucoup de maisons de Pompéi mirent plus d'un exemple de plafonds lambrissés (fig. 4323) ". Une miniature du Virgile du Vatican 22 représente le bûcher de Didon dressé sous un plafond semblable. Les lacunaria étaient souvent de fines oeuvres d'ébénisterie ou de marqueterie, avec incrustation de tablettes d'ivoirett, de bois précieux, spécialement de citronnier", de plaques d'or2' ou d'autre riche métal, d'où l'expression bracleatuna lacunar2G Mais le luxe était poussé plus loin encore; on fit des lacunaria machinés et mobiles. Ceux de la maison dorée de Néron étaient garnis de plaques d'ivoire qui s'ouvraient pour verser sur les convives des fleurs et des parfums27; chez Metellus Pins, une couronne d'or descendait du lacunar sur sa têteY0, ou une Victoire, avec un bruit imitant la foudre, venait elle-même le couronner29; au repas de Trimalchion, un cercle d'or descend, chargé des présents destinés aux convives [APOPHORETA] 30. Sénèque3' parle d'une maison où le lacunar changeait à vue à l'aide d'un mécanisme ; de telle sorte qu'a chaque nouveau service correspondait une nouvelle ornementation du plafond. Dans les monuments publics, les lacunaria furent aussi de plus en plus ornés; l'habileté toujours plus grande des architectes et des ouvriers de plus en plus maîtres de leur métier, unie à la décadence du goût, amena, dans ce détail aussi bien que dans l'ensemble de l'architecture, la richesse et la prodigalité des ornements. 1.AC 90i lAC Les restes des monuments antiques en gardent de nombreux exemples'. Louvrier qui faisait: des 1rlclbnaPia s'appelait /aqueorius =. 11. Le mot lacunar désignait aussi un cadran solaire IIonoLOCH M], de forme rectangulaire, appelé en grec 77).tv(i(ov, inventé par Scopinas de Syracuse. On en avait, placé un à Rome dans le rie-us Flaminius'. Ih:Nnv Tu ÉDiNAT. LACIINARIIS [L CI'xana LACL'S( \izztç).-ChezlesGrecs, le mot 'r-'otai,Ç désigne un creux, une cavité et, par extension : une citerne' [ciSrLRSA.(, les fontaines ou bassins, dans les villes', un vaste réservoir souterrain,de forme ronde ou carrée, aux parois enduites de chaux, où l'on conservait l'huile ou le vin', une pièce d'eau aménagée pour l'élevage des oiseaux aquatiques 4. Arrien, dans son périple d'Erythrée, mentionne, parmi des étulfes et des pièces de vêtements provenant de l'Ethiopie, un produit qu'il appelle )âxxaç jrm(i.4Ttvoç", et dont il est difficile de déterminer la nature. Les acceptions du mot fucus sont nombreuses : lac naturel dont l'État tirait un revenu en mettant la pêche en adjudication' ; grands réservoirs (les stations d'eau (hydrela'ma) établies en Égypte pour l'usage des caravanes 7; réservoir découvert, par opposition à CISTERNA qui était un réservoir couvert,' ; grand bassine ; pièce d'eau artificielle dans une ferme ou une villa 10; abreuvoir ii (on établissait ces abreuvoirs près de la porte des villes, pour l'usage des bêtes de somme qui entraient ou sortaient, et aussi pour avoir de l'eau à portée si, en cas de siège, l'ennemi tentait d'incendier la porte 12) ; bassin creusé au centre d'une cour pour recueillir l'eau des toitures, laces conipluvius ", conzpluviunz [ATRIUM, CAVAEDILM; prison (des citernes desséchées ont été parfois employées comme prison 14) ; réservoir d'une fontaine 1'; fontaine i 6 [FONS]. Le mot laces désigne plus spécialement les fontaines alimentées par des eaux vives et naturelles 17. Rome en était abondamment pourvue et Cicéron loue Romulus d'avoir, à ce point de vue spécial, très bien choisi le site de sa ville". La source qui jaillit encore au fond du Tullianum appartient à ces eaux où s'abreuvèrent les premiers habitants de Rome. Ces laces ou fontes -on leur donnait ces deux noms--étaient nombreux à Rome où les fouilles et les travaux ont révélé l'existence de puits nombreux10. Les noms de quelques-uns ont été conservés ; ce sont ceux auxquels s'est attachée une légende ou une croyance superstitieuse, ceux aussi que les historiens ont mentionnés pour localiser quelque fait : tels sont le laces Curtius20, le lares ou Tons Juternae21, le laces Servilius", les fontes Apollinis, Cantaenarum 23. Les Romains n'eurent pas d'autre eau, avec celle du Tibre i Voir les beaux lacanaria, avec fleuron central de l'arc de Titras ( Philippi, nementation des voùtes des tombeaux de la Voie Latine, Monumenti del?' Instit. ad Gabr. ap. Estienne, Thesaurus, s. v. ~nxxov. 2Pollux, IX, 5 ; cf. éd. d'AmsterErythyr. p. 4 (p. 146, éd. Blancard et Stick); Sam-noise (in Solin. 81G b, B, et in Hist. Ang. éd. de 1620, 398 a F) conjecture : kéxxo; ryea én,vo,, laine teinte. 6 Pentus, X, 90, s. v. locus Iucrinus, p. 121, éd. Millter; 1sid. Orig. XII!, 19, iriser. lat. III, suppl. 6627 1aeci aedifieats ; cf. le commentaire, p.1210.-8 Varr. Res. rust. 1, 11. 9 Varr. Ling. lat. V, 5, ira Varr. Res. rust. I, 11, 2. il Sueton. et du ciel, jusqu'à l'an de Home 411 (313 av. J.-C.) u. Alors la construction du premier aqueduc, qui amenal'ayea Appia, donna sans doute à Rame les premières fontaines artificielles Mais elles ne portèrent pas dès cette époque le nom de lavas, et Tite 'ive appelle labre [LABRLA1] les deux fontaines en marbre que P. Cornelius Scipion fit placer au Capitole en l'an de nome 5611(190 av. J.-C.)20. En 570 (= 184 av. J.-C.), les censeurs firent paver les lares de Rome''. C'était une mesure utile; en effet, ces sources naturelles, en contact avec la terre, devaient se troubler dès qu'on les agitait un peu profondément ; les travaux mis en adjudication par les censeurs durent fournir aux Romains une eau beaucoup plus pure. C'est seulement au temps d'Auguste que s'établit l'usage d'appeler fucus les réservoirs en pierre ou en marbre des fontaines. L'eau des aqueducs était amenée par des conduits dans un certain nombre de chateaux d'eau [CASTELLUyI, AQUAEDUCTCS]; de là, des tuyaux, qu'on appelait salientes, la répartissaient dans les laces établis, pour les besoins de la population, dans les différents quartiers de Rome28. On a donné au tout le nom de la partie en appelant les fontaines laces ou, quand elles étaient jaillissantes, salientes; mais c'est la réunion de ces deux éléments qui faisait la fontaine [FONS] ; ils sont d'ailleurs inséparables, car un laces, sans les salientes qui lui apportent l'eau, ne serait plus une fontaine29, et il n'est pas de fontaine jaillissante dont les eaux ne retombent dans une de ces vasques ou bassins appelés laces et aussi CANTRARUS, LABRUM. Sous Nerva, l'usage s'établit de munir chaque laces de deux salientes alimentés par des eaux différentes, afin que. si des réparations ou un accident interrompaient le service d'un aqueduc, les laces qui en dépendaient ne restassent pas à sec30. Agrippa, au témoignage de Pline, établit à Rome quatre cents locus alimentés par cent trente chateaux d'eau, le tout orné avec une grande magnificence de marbres précieux, de quatre cents colonnes et de trois cents statues de marbre et de bronze ". II restaura et embellit aussi les anciens laces; nous savons qu'il orna le laces Servilius d'une hydre", bas-relief ou statue, qui, sans doute, versait l'eau par plusieurs de ses nombreuses têtes. Les locus de Rome dont les noms nous sont parvenus étaient pour la plupart dénommés d'après les oeuvres d'art qui les ornaient: lacis Prornethei ", Pastoris'", Orphei'', Ganymedis'6, Aretisu, ou d'après une particularité de leur construction, laces tectus 28. Les découvertes de Pompéi nous montrent d'ailleurs, dans des proportions plus modestes il est vrai, avec quel art ingénieux les Romains savaient varier l'ornementation de leurs fontaines [FONS]. Galba, VII; Apul. Met. IX, 27. 12 Donatus, ad 'Dirent. Adelph. IV, 2, 44; Corp. Dosm lat. X, 5807 ; irise r. d'Allatri Limon ad porta.. 13 Varr. Des. rust. 1, 13, 3. -14 Valgat. Genes. XL, 50. Cefail, qui est mentionné dans la Vulgate, se trouve confirmé pour Rome par la disposition du Tillimxune qui est certainement nue ancienne citerne !cssci:n Serv. ad Aen. VI11, 74. 16 Corp. iriser, lat. IX, 1644. 17 Servius, ad Aen. VIII, 74; lsidor.Xl ll, 19, 9; cf. F'orcellini-De Vitl, XXXVI, 24, 17. i.e texte donne 700 locus ; mais il faut adopter la correction 400 proposée par o. Gilbert, Topogr. der Stadt Rom, III, 280, n. 1, car, sans elfe, après les augmentations de Claude et de Galba, les locus auraient été moins nombreux qu'au temps d'Agrippa. 32 Festus, s, v. Servilius, p. 290, M. Millier. 33 Notifia et Reroser. lut.11, 9664. 39 Urlichs, Codex nrbis Rosace Topogr. p. 57, 39. LAE 90.i LAE Claude, qui amena à Rome laqua Aniena nova, la répartit entre de nombreux locus ornatissimi'. Le règne de Nerva et l'administration de Frontin laissèrent à Rome 591 lieus alimentés par 247 châteaux d'eau, ajoutant ainsi, dit Frontin dans son rapport, à la propreté et à la salubrité de Rome, à la fraîcheur et à la pureté de l'air, au bien-être des habitants 2. Le nombre des lacis augmenta de plus en plus; il avait plus que doublé au temps de la Notitia qui en compte 1204 et du Regionariuni qui en mentionne 1352 3. Mais il faut peut-être comprendre dans ces chiffres, outre les laces, les castella absents de ces deux documents4. Les habitants furent admis à user de l'eau des lacis d'une manière de plus en plus large, à mesure qu'elle devint plus abondante [AQUAEDUCTIS, II;. Comme les autres monuments de Rome affectés au service des eaux, les locus étaient entretenus par les deux familiae créées, l'une par Agrippa, l'autre par Claude [AWARII]. Le mot laces désignait encore : une piscine ou une vasque pour les bains ' [LABRUM]; de grands vases ou vasques ' ; une fosse aux lions' ; les compartiments d'un LACS NAB 8; le x,lse dans lequel le vin coulait au sortir du pressoir 9 [TORCULARj (un laces creusé dans le sol et où le jus du raisin s'écoulait, grâce à l'inclinaison du pavé,remplaçait souvent ce vase70, parfois aussi le pressoir était dressé entre deux de ces laces, d'où, par des tuyaux, le vin s'en allait de lui-même dans les cuves") ; la cuve où le vin fermentait", et, par extension, la cuvée " 3 (Pline se plaint qu'on frelatait le vin dans la cuve même 14) ; la cuve où l'on écrasait le raisin, sans doute avec les pieds"; le vase où coulaient, au sortir du pressoir, l'huile" ou le jus de tout autre fruit pressé"; des divisions, compartiments réservés dans les greniers [RORREUM pour tenir séparées les différentes espèces de légumes, de grains'8 (on les appelait aussi LAcuscuLus'0) ; un saloir 20 ; un récipient dans lequel on plongeait le fer rouge au sortir du feu21; un auget pour gâcher le plâtre (fig. 4324) 22; un carré peint ou cousu sur un vêtement, d'où laculata vestis 23, ou plutôt lacuata vestis 24