Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article LANA

LANA ("Et?!0v). Aussi haut que l'on peut pénétrer dans l'histoire, on rencontre le mouton fournissant à l'homme la nourriture et le vêtement. Là où s'arrête l'histoire, il est, comme nous aurons plus d'une fois l'occasion de le constater, mêlé aux légendes mythologiques. Ses origines sont donc préhistoriques et remontent à des époques sur lesquelles les textes sont muets. Avant d'aborder l'étude de la production de la laine chez les Grecs et les Romains, nous constaterons qu'elle était déjà un objet de culture, de commerce et d'industrie chez les peuples du monde ancien dont l'histoire a précédé la leur, et que, si les voies commerciales changèrent ou s'étendirent, les centres de production et de fabrication restèrent les mêmes pendant le cours des siècles'. 1. L'Égypte, dit la légende, dut à Mercure l'art de tondre la brebis et de tisser la laine 2, art qu'Hercule transporta d'Égypte en Grèce 3. Quoique, chez les Égyptiens, l'agriculture fût surtout en honneur et l'état de berger peu estimé, ni l'élevage des moutons ni l'usage de la laine 6 n'étaient négligés. Des bas-reliefs égyptiens représentent des troupeaux de moutons'. Après l'inondation périodique du Nil, la terre produisait de si bons pâturages que l'on pouvait faire deux tontes dans l'années; mais la laine, semblable à des poils, était de mauvaise qualité et ne pouvait être tissée; elle servait à réparer les habits usés et leur rendait une grande solidité 9. A l'ouest de l'Égypte s'étendaient les vastes déserts de la Lybie. Virgile a consacré à leurs bergers quelques-uns de ses plus beaux vers 10. Mais nous avons sur les brebis de cette région des témoignages plus antiques, car Homère" et Aristote 12 louent leur fécondité, et Pindare appelle 7roéi.-rlaoç la terre qui les nourrit". Plus au sud, les populations pauvres et nomades de l'Éthiopie t4 élevaient des brebis" dont la laine de mauvaise qualité, rude et sèche comme des poils de chèvre, ne pouvait servir à les vêtir 16 Les Arabes étaient nomades et possesseurs d'immenses troupeaux de moutons, aussi bien ceux qui habitaient l'Arabie Heureuse 17, au sud du désert, que les Arabes de la région nabathéenne, en rapports fréquents, par leur situation, avec la Syrie. Ils avaient plusieurs espèces de moutons à laine blanche 18, dont l'une était remarquable par les dimensions de sa queue 10, si énorme qu'il fallait, pour la soutenir, attacher un petit chariot à l'arrièretrain de l'animal20. Autour de cette queue on recueillait I,AN °II --1.AN la laine la plus fine et la plus abondante'. Ces Arabes entretenaient avec Tyr un commerce de moutons 2 et sans doute aussi de laines. A ces relations commerciales est due probablement la présence en Syrie de moutons à grosses queues 3, comme ceux des Arabes, que nous voyons d'ailleurs condamnés à payer aux Juifs un tribut de 7 000 béliers'; toute leur richesse était représentée par leurs troupeaux. Au témoignage de Pline, la laine d'Arabie était plus propre que les autres à la fabrication des couvertures dont on enveloppait les moutons de race.. pour conserver à leur toison sa finesse et sa pureté' La Bible nous montre les Hébreux pasteurs '. II est inutile de faire ici la démonstration de ce fait bien connu. Quelques chiffres seulement nous permettront d'apprécier leur richesse en troupeaux et aussi celle de quelques peuplades voisines : Lot, Isaac, Laban, Nabal, David étaient propriétaires de grands troupeaux 7 ; Mesha, roi de Moab, payait aux Juifs un tribut de 100000 agneaux et de 100000 béliers avec leur laine'. Après une guerre, les Juifs prirent à plusieurs peuplades voisines toutes leurs richesses consistant en animaux, parmi lesquels 250000 brebis'. Moise fit sur les Madianites un butin de 675000 brebis10. La laine des brebis de Palestine était très blanche". Une si grande abondance de laine implique l'usage de couvertures et de vètements fabriqués sur place12 et aussi l'exportation de ces produits 13 La Phénicie, relativement peu riche en troupeaux, employait pour la teinture de la pourpre des quantités considérables de laine, qui souvent était teinte à l'état brute''; ses vaisseaux sillonnant toutes les mers, lui apportaient la matière première de toutes les parties du monde". Sidon" et surtout Tyr' avaient des teintureries de pourpre renommées et un commerce étendu de tissus ". Cette dernière ville, dès une époque reculée, recevait les laines de Damas et d'Arabie 1° ; il en était de mémo encore au temps de saint Jérôme 20. De tout temps la Syrie éleva des troupeaux de brebis; elle avait une race à longue queue, comme les brebis arabes 21 ; Damas recueillait la laine de ses troupeaux pour l'exporter à Tyr et à Sidon 22. Cette dernière ville fabriquait aussi des étoffes de laine qui étaient connues au loin 23. En avançant plus vers l'est, nous rencontrons la Mésopotamie qui, nous l'avons vu en parlant des Hébreux, fut, dès la haute antiquité, un pays de pasteurs de brebis 24. Babylone exportait, vers l'Occident, ses étoffes de laine couvertes de riches broderies, ses tapis aux vives couleurs". Nous trouvons encore les brebis en Perse9° et jusque dans les Indes 27, où, si l'on en croit Ctésias, il existait, comme en Arabie et en Syrie, une race à large queue 2'. Nous arrivons à l'Asie Mineure. Dès l'antiquité, terre de troupeaux et d'industrie textile, elle fut encore, par les colons grecs, poussée davantage dans cette voie. Les légendes mythologiques de cette contrée indiquent déjà ce double caractère : Marsyas était un berger Phrygien29; Ganymède fut enlevé au milieu de ses brebis, eu Dardanie30; c'est sur les pentes du mont Ida que les -trois déesses se présentèrent devant le berger Pâris 31 ; Arachnée était fille d'un teinturier en pourpre de Colophon 32. Dans les hautes vallées du Taurus, autour de Selgé en Pisidie, de plantureux pâturages nourrissaient des brebis 33 à la laine douce et blanche 22 que Tertullien compare aux laines de Milet et d'Attique". Près de Mazaca s'étendaient les pâturages des brebis de la Cappadoce" qui exportait des tapis de laine 37 Riche en troupeaux, la Lycaonie fournissait au commerce une laine un peu rude, mais très abondante, source de richesse pour le pays; là étaient les célèbres troupeaux d'Amyntas 38. Pline mentionne la laine de Galatie avec celles de Tarente, de l'Attique et de Milet qui sont les meilleures, et la recommande pour les usages médicinaux°'. Les Galates la teignaient avec une pourpre 60 végétale moins solide que l'autre" et entretenaient un commerce actif de laines manufacturées 42. En Phrygie, les troupeaux de brebis étaient très nombreux 43 et leur laine particulièrement douce et belle 44. Laodicée fournissait une laine très estimée" pour sa belle couleur noire46 ; Colossae aussi donnait une laine dont la couleur était recherchée47. Athènes achetait la laine de Phrygie". Les Phrygiens faisaient aussi, pour le commerce, des vêtements de laine" et des étoffes qu'ils brodaient avec un art merveilleux", art que, disait-on, ils avaient inventé ", et teignaient leurs lainages dans les teintureries sans rivales d'Iliéropolis72. Milet de Carie apporta à la préparation et au commerce de la laine une grande activité. Quoique sa laine fût de moins bonne qualité que certaines autres'', elle n'en garda pas moins une vogue qui ne se démentit pas pendant plusieurs siècles''. Elle l'exportait à l'état brut quelquefois teinte" et en nombreux produits manufacturés''. Cette laine était particulièrement propre aux usages médicinaux'', et la race des brebis qui la portaient très estimée 69. L'Ionie avait, près d'Erytbrée, des brebis qui fournissaient une belle laine rousse 6° ; celles de Clazomènes LAN 916 LAN même tout à fait blanches, donnaient, suivant la nature des eaux qu'elles buvaient, des agneaux à la laine grise, brune ou noire' ; Colophon exploitait des teintureries renommées 2. La Lydie, dont le luxe est resté proverbial, fabriquait des tissus de laine à Thyatire 3, à Philadelphie ° et à Sardes 3 qui, en outre, les teignait en pourpre' ; ce qui suppose une abondante production ou un commerce considérable de laines brutes. Dans la plaine de Troie, les eaux du Xanthe donnaient une belle couleur rousse à la toison des brebis qui s'abreuvaient à ses eaux Toute la région du Pont envoyait de la laine brute sur les marchés de la Grèce et de ses colonies, surtout sur celui de Milet'. On peut signaler particulièrement les laines de la Gazélonitide, si moelleuses et si douces que ni le Pont ni la Cappadoce n'en fournissaient de pareilles 9 ; les laines des Coraxi10, là où Dioscorias, colonie de Milet, était un centre important de commerce entre l'Europe et l'Orient", et, sur la rive opposée, entre le Borysthène et l'embouchure du Maeotis, une race de grands moutons Enfin, après avoir traversé la Thrace qu'Homère appelle la mère des brebis13, nous arrivons à la Grèce. II. Pas plus que pour les autres pays, nous ne connaissons l'époque historique de l'introduction du mouton en Grèce. Les quelques origines mentionnées par les auteurs sont mythologiques : c'est Hercule introduisant en Grèce cet animal amené d'Égypte"; Nicias, de Mégare, l'inventeur légendaire de l'art du foulon"; le tissage de la laine enseigné tout d'abord aux Athéniens probablement par Minerve"; Mélos, renvoyé par Vénus de Cypre à Délos, sa patrie d'origine, pour y enseigner la tonte des moutons et le travail de la laine" ; puis les multiples légendes où paraît le bélier à la toison d'or; le rapport entre la vie pastorale et les cultes indigènes les plus anciens, celui de Pan, par exemple, spécialement répandu dans l'Arcadie et l'Attique, régions par excellence productrices de la laine La Grèce, par son sol et son climat, était particulièrement propre à l'élevage du mouton; aussi, dès le temps d'Homère, nous voyons les différents peuples qui l'habitent s'y livrer, et les femmes, jusqu'à l'invasion du luxe asiatique, travailler la laine et en faire les vêtements de tous. C'est en Thessalie qu'Apollon garda les cavales d'Admète ", car cette contrée élevait surtout des chevaux20; cependant, certaines de ses parties produisaient de la laine. IIomère appelle « mères des moutons » les villes d'Iton21 et de Phthia2V, et Aristote loue la fécondité des brebis de Magnésie23. L'Épire avait d'excellents pâturages 24 et nourrissait une race spéciale de grands moutons appelés pyrriques, du nom du roi Pyrrhus26 qui avait des domaines où vivaient de nombreux troupeaux 26. C'est surtout aux environs de Maledo et de Pergamis que se trouvaient les beaux pacages. et les troupeaux d'Épire27. On y élevait des oves pellitae28 dont la laine était fine et très douce. En Béotie, les nombreux troupeaux de Laius et d'OEdipe paissaient sur le Cithéron29, et ce furent les troupeaux du roi de Thèbes qui donnèrent lieu à la guerre des sept chefs 30. Une inscription, conservée au Musée Britannique, contient le texte d'un décret relatif à un droit de pacage pour des troupeaux de moutons sur le territoire d'Orchomène". Deux fleuves de Béotie, le Milès et le Céphise, avaient la réputation d'influer sur la couleur de la laine des agneaux portés par les brebis qui s'abreuvaient à leurs ondes 32. Les habitants de la Mégaride s'attribuaient l'honneur d'avoir reçu le mouton de Déméter à qui ils avaient, pour cette raison, élevé, à Nisaea, un temple sous le vocable de Déméter Melophora33. Nicias, l'inventeur légendaire de l'art du foulon, comptait parmi leurs ancêtres". Ils faisaient des laines fines et avaient, en grand nombre, des oves pellitae. On connaît le mot de Diogène le Cynique, qui, voyant, à Mégare, les moutons paître vêtus et les enfants courir nus, disait : « Mieux vaut être le mouton d'un Mégarien que son fils" 7. Mais les Mégariens avaient aussi des moutons qui leur fournissaient des laines plus communes avec lesquelles ils fabriquaient des manteaux appelés exomis, industrie dont vivaient un très grand nombre de Mégariens 3G. Ils fabriquaient aussi, avec cette même laine, des manteaux qu'ils envoyaient sur le marché d'Athènes ", vêtements à vil prix que portaient les esclaves" et les philosophes cyniques ". D'après une tradition, l'Attique aurait été le premier pays qui sut travailler la laine"0. D'ailleurs, le culte de Pan, qui s'y répandit de bonne heure "1, prouve que, dès une haute antiquité, on y élevait le mouton. Les Athéniens considéraient les troupeaux comme une de leurs principales richesses d2 ; leur sol, en effet, était plus propre à l'élevage qu'à l'agriculture43. Des lois très anciennes y protégeaient la production de la laine en défendant de tuer l'agneau avant qu'il ait été tondu" et en prescrivant la destruction des loups, ennemis des moutons''". La race des moutons d'Attique était excellente et Polycrate, tyran de Samos, qui tenait à acclimater dans son royaume les meilleures races d'animaux domestiques, avait fait venir ses brebis d'Athènes et de Milet". Les bonnes brebis d'Attique étaient protégées par des peaux" ; Aristophane ", Démosthène" et des auteurs anciens cités par Athénée 50 louent la beauté de leur race et la finesse de leur laine. Il en était encore ainsi au temps de Plutarque ", et Pline place la laine d'Attique au même rang que les laines si renommées de Galatie, de Tarente et de Milet"2 Corinthe fabriquait des tissus de laine " et des couvertures ou tapis très recherchés''". L'Achaïe produisait des laines fineso3 et fabriquait des vêtements que le commerce exportait". Le centre de cette fabrication était Pellène, qui donnait son nom à LAN -917LAN un manteau d'hiver dont on couvrait les vainqueurs des courses'. L'Arcadie était par excellence une terre productrice de brebis 2. La haute antiquité du culte de Pan prouve que, aussi loin que nous puissions remonter, cette région était occupée par des populations pastorales'. C'est d'ailleurs ainsi que les Arcadiens nous apparaissent dans Homère '. Pindare 5 et Théocrite louent leurs troupeaux. Comme l'Attique et Mégare, l'Arcadie avait, près de Cynaetha, des oves pellitait'. La Laconie, comme les pays d'élevage de la Grèce propre, comme la Mégaride, la Béotie, la Phocide, la Phthiotide, l'Arcadie, avait des pâturages communaux qu'elle mettait en location [EPINOMIA]. Horace fait allusion aux laines teintes avec la pourpre de Laconie ". Tels sont les principaux textes relatifs à la production de la laine dans la Grèce continentale. On en pourrait citer d'autres : les brebis volées, avec les bergers, au roi d'lthaque par les Messéniens 3, qui avaient d'ailleurs de bons pâturages pour les nourrir 10; les plaines de Crissa en Phocide, condamnées à ne servir que de pâturages à des troupeaux de brebis11, etc. Mais cela suffit pour qu'on puisse affirmer, par l'analogie du sol et du climat, que toutes les régions de la Grèce continentale produisaient la laine en abondance. Il en était de mème des îles. A Samos, le mouton était l'objet d'un culte divin f2, fait d'où l'on peut conclure que, depuis une haute antiquité, il existait dans l'île. Le tyran Polycrate renouvela la race en faisant venir des sujets d'Attique et de Milet 13, et son île produisit dans la suite des laines que l'on regardait comme égales à celles de idilet" et des tapis non moins estimés 15. L'île de Cos avait de nombreux troupeaux de moutons". Théra fabriquait, depuis une époque très reculée, des tissus de couleurs variées" et des manteaux18• C'est de Cypre, par un personnage qui se rattache au mythe d'Adonis, Mélos, que les habitants de l'île de Délos apprirent à tondre la laine et à la tisser ". Aristote20 et Athénée 21 font mention des brebis de l'île d'Eubée, et Ulysse en possédait de nombreux troupeaux dans son île d'Ithaque 22 et sur le continent voisin21. Quand les colons grecs s'établirent sur les côtes d'Asie Mineure, ils se trouvèrent dans des pays qui produisaient la laine avec abondance et où les qualités de la race étaient excellentes. Il n'est pas surprenant que, déjà familiarisés dans la mère patrie avec cet élevage et cette industrie, ils les aient continués en leur donnant une plus vive impulsion, apportant à ces anciennes populations une plus grande activité. Et bientôt Rome, en augmentant le luxe et en attirant tout à elle, en mème temps que la consommation, décuplera la production. V III. Ce n'est pas encore quitter la Grèce que commencer la troisième partie de cette étude par la Sicile et l'Italie méridionale, ou Grande Grèce. La Sicile était un pays de bergers, Théocrite seul suffirait à le prouver ; la mythologie l'établit aussi : Pan y était honorée' ; Polyphème" et Daphnis 2G étaient Siciliens. La Sicile fut le berceau de la poésie bucolique"' et les Sicelides musae sont pastorales 2". De merveilleux pâturages, entre autres ceux qui couvraient une partie des pentes de l'Etna 29, nourrissaient de nombreux troupeaux de brebis30 qui produisaient une laine abondante 31 qui était expédiée à Rome" ou employée à la confection de vêtements destinés au commerce 33. Cette laine avait probablement les mêmes qualités que celles de l'Italie méridionale. Quelle qu'ait pu être, dans l'Italie méridionale, la race primitive des brebis, les races grecques y furent introduites de bonne heure, et c'est à elles que l'on doit ces belles laines de Calabre et d'Apulie, rivales des laines d'Attique et de Milet. Cette région, d'après une tradition, aurait été colonisée par Oenotrius, un Arcadien 34 du pays le plus pastoral de la Grèce; à l'époque historique, les auteurs appellent grecques les races de brebis de l'Italie méridionale ss et font mention des liens d'amitié que l'échange des laines avait noués entre les villes de Sybaris et de Milet 36 En Lucanie, les eaux du Crathis donnaient, aux brebis pleines qui les buvaient, des agneaux gris, bruns ou noirs 37 ; mais au contraire elles rendaient blanche la toison des brebis 38, tandis que la rivière voisine, le Sybaris, la rendait noire 39. Malgré la qualitédes laines nationales, les Sybarites préféraient celles de Milet Le Bruttium fabriquait, pour l'exportation, des articles de lainage 61. En Calabre, le Galaesus arrosait des prairies nourrices de nombreux troupeaux 42 de race grecque u dont les laines étaient des plus recherchées, spécialement celles de Brindes " et celles de Tarente " +5 surtout ". Cette dernière était très employée en médecine 13, L'eau du Galaesus donnait une grande beauté à la laine qu'on y lavait "e. L'Apulie aussi produisait des laines excellentes "9 ; ses grands troupeaux allaient passer l'été sur les montagnes du Samnium 50 et même de la Sabine °1. Le campagne de Garganum produisait une laine moins brillante, mais plus moelleuse encore que celle de Tarente ae, et Pline estime, autant que cette dernière laine, la laine fauve de Canusium Il y avait donc, en Calabre et en Apulie, des laines de différentes couleurs également recherchées G'. Ces pays de grande production, qui avaient la spécialité des laines de luxe, entretenaient, comme Mégare, comme Athènes, des oves pellitae 55 ; ils se livraient 11.6 f LAN s--918 LAN aussi à un grand commerce de laines manufacturées `. La laine commune d'Apulie, à poils courts, servait surtoril à faire des penulae 2. II y avait à Tarente des fabriques de pourpre 3 qui, au temps de la Xotitia, étaient sous l'administration du contes sacrarum largitionurn 4. Les tentures de couleurs et les teintureries de pourpre de Campanie 6 indiquent ou une production ou une importation de la laine. On a trouvé à Pompéi d'importants ateliers de foulons [FuLLGNlcA. L'Ombrie et les Sabines 9 recélaient dans leurs montagnes d'excellents pâturages d'été 9 ; ces contrées semblent cependant avoir livré peu de laines au commerce. Il est vrai que les troupeaux qu'elles nourrissaient pendant la belle saison appartenaient surtout à l'Apulie10. Tout au nord du Picenum, Ancone faisait de la pourpre". Nous avons peu de renseignements sur le travail de la laine à Rome. Nous savons que, parmi les très anciennes corporations dont on attribue l'institution au roi Numa, la filature, le tissage, les feutres avaient trouvé place 12. Les inscriptions romaines nous font connaître des c'entonarii 13, des fullenes " et un lanarius coaetiliarius 15 des lanarii 16 habitant le viens Caesaris 17 et le viens Forlunae 18, des lanipendae 79, des rgarii 20Mais ces industries durent peu se développer; car, de bonne heure, Rome fit venir ces produits, et aussi les laines avec lesquelles on les fabrique, de la Grèce et de l'Orient d'abord, puis de toutes les parties de l'Empire qui travaillaient pour la nourrir et la vêtir Aux temps anciens, que Juvénal compare à. la mollesse de son temps, les Romaines filaient et tissaient la laine d'l;trurie, plus rude que celle dont, plus tard, la Grèce et l'Orient inondèrent le marché de Rome 21. Toute la région qui s'étend de la Ligurie à l'Istrie, au pied des Alpes, la Gaule Cisalpine, était riche en laines renommées dont quelques-unes, sur le marché de Rome, faisaient concurrence à celles de l'Italie méridionale. Elle produisait aussi des laines plus grossières qui servaient à fabriquer des vètements et des tissus à bas prix. Lanae Galcanae 21 circumpadanae 23, La Ligurie produisait à la fois une laine rude avec laquelle on faisait des tuniques grossières et des saies 24, et, près de Pollentia, une laine noire très estimée 25Autour de Parme et de Modène sur les bords du Scultanna, des troupeaux nombreux 26, de race choisie 2'', portaient une laine de très bonne qualité 28, la meilleure des laines blanches après les laines d'Apulie 29. Le pays des Insubres, au contraire, autour de Milan, fournissait une laine très commune avec laquelle on habillait les esclaves de toute l'Italie 30. Les laines communes de cet heureux pays se vendaient donc au loin, autant que les plus fines. I1 semble d'ailleurs que, dans toute cette région, l'industrie des laines ait eu une très grande activité. On a cons talé à Modène l'existence d'un negotians lanarius 23 et d'un foulon 32 ; à Brixellium, il y axait un collège de eardeurs 33 et à Brixia des collèges de cardeurs 34 et de foulons a,, A Eporedia, on a trouvé l'épitaphe d'un esclave qui avait été attaché à un lanilzcium 35 Vérone fabriquait des lainages rudes, couvertures et vêtements, appelés, les uns et les autres, lodices 77. Padoue semble avoir été le grand entrepôt pour l'exportation à home des lainages du nord de l'Italie 36. Les environs de cette dernière ville produisaient aussi une laine de qualité moyenne, tenant le milieu entre les laines grossières de la Ligurie et du pays des Insubres, et les laines fines de Parme et de Modène. On l'employait à la confection de tapis de prix [ GAIJSAP V et autres tissus analogues, pelucheux d'un seul côté ou des deux33. Plus à l'ouest, les brebis d'Altinum donnaient une laine douce et recherchée 46, au troisième rang, après les laines blanches d'Apulie et de Parme 41. Nous voyons toujours les laines d'Apulie placées au premier rang, avant les laines de la Cisalpine ; ce fait tient à ce que, sans être plus belles, elles étaient d'un meilleur usage et se payaient plus cher 42. Aquilée fabriquait des lainages 4s. On ne peut pas quitter le nord de l'Italie sans un souvenir pour les brebis du Mincio, que Virgile a rendues aussi poétiques que les brebis de Sicile. La laine d'Istrie et de Liburnie, plus semblable à des poils qu'à de la laine, ne pouvait pas être utilisée pour la fabrication des étoffes à longs poils " ; mais on en faisait des manteaux 48 avec capuchon 46. Aristote, ou l'auteur des Mirabilia, attribue aux brebis de cette région une merveilleuse fécondité 47. La Dalmatie livrait au commerce diverses espèces de vètements de laine qui portaient son nom 48 et avait une fabrique de pourpre dépendant du domaine impérial 49. Le Noricum fabriquait un vêtement de laine mentionné dans l'édit J0. On a peu de renseignements sur l'industrie de la laine chez les Gaulois avant l'occupation romaine. Leurs troupeaux suffisaient sans doute à leurs besoins et les femmes préparaient la laine, la filaient, la tissaient et faisaient les vêtements. Bientôt la conquête romaine et l'exportation vers Rome dotèrent la Gaule de cette industrie qui se développa très rapidement. Les Gaulois ne faisaient pas des étoffes de luxe, mais des vêtements épais et chauds 5', comme l'exigeait leur climat et comme s'y prêtait la laine rude et à longs poils de leurs moutons 52. Les Romains les leur achetaient pour les temps froids et les climats rudes 53. Les auteurs anciens ne mentionnent, en Narbonnaise, que la ville de Pézénas comme productrice de la laine. Pareille à celle des autres régions de la Gaule SS , cette laine rude, à longs poils, ne permettait de fabriquer que des LAN 919 --LAN étoffes épaisses '. Cependant, dans la partie la plus septentrionale de la Belgique, on réussissait, en enveloppant les brebis, à obtenir une laine assez soyeuse 2. Les inscriptions nous font connaître, dans diverses régions de la Gaule, des lauai'ii et d'autres artisans attachés à l'industrie de la laine, à. Narbonne ', à Vienne ", à Lyon '. Les principaux lieux de fabrication des gros lainages gaulois étaient Langres (Lingones 6), Arras (Atrebati 7), Tournay (Nervii) 8. On fabriquait encore des lainages chez les Sequani et chez les Santones 10. César 11 et le rhéteur Eumène 12 font mention des nombreux troupeaux qui peuplaient l'île de Bretagne. La province de Bétique, en Espagne, était célèbre dans l'antiquité par ses laines. On avait exporté, sur les rives du Baetis (aujourd'hui Guadalquivir), des brebis de Tarente, et le père de Columelle, qui possédait de vastes propriétés dans cette région, avait croisé ses brebis de Tarente avec des béliers de couleur extraordinaire, qu'il avait fait venir d'Afrique ; il avait ainsi obtenu des laines douces et de belle couleur, ayant les qualités des deux races 1'. Les laines d'Espagne étaient de teintes variées". Columelle, né dans ce pays, dit que les toisons des brebis de Cordoue étaient noires et d'un brun doré ", que Juvénal attribuaità l'influence de l'eau et de la lumière". C'étaient des laines très recherchées 17 et d'un prix élevé 18. Un bélier reproducteur, de cette race, se payait jusqu'à un talent 19. On faisait, avec cette laine, des vêtements non teints qui gardaient la couleur naturelle V0 et que le commerce exportait 2 Salacia, en Lusitanie, fabriquait des tissus légers" et une spécialité d'étoffe de laine à carreaux L3. Nous avons peu de renseignements sur les laines des provinces romaines de l'Afrique. Comme aujourd'hui, les contrées fertiles contenaient d'excellents pâturages où paissaient des moutons 24. Hérodote " et Pindare " louent les nombreux troupeaux de la région de Cyrène. Mais l'Afrique ", la Maurétanie et la Numidie 28, la Gétulie 29 Girba 30, Carthage 3t, livraient au commerce des laines manufacturées ; des fabriques de pourpre, plus nombreuses encore, soit privées, soit impériales, et, au temps de la Notifia", réunies sous l'administration d'un procurateur 33, sont les indices certains d'un grand commerce de laine entre ces établissements et les colons ou les pasteurs nomades de l'Afrique septentrionale. En somme, il y avait, dans l'antiquité, trois sortes de laines : les laines fines, avec lesquelles on fabriquait les étoffes de luxe; les laines moyennes, qui servaient aux vêtements ordinaires; les laines rudes et grossières, avec lesquelles on habillait les esclaves et avec lesquelles aussi s'habillaient sans doute les paysans. Il faut ajouter la bourre de laine dont on faisait des tapis Dans cette course à travers le monde antique, nous avons recherché les lieux de production et aussi ceux de fabrication, chose nécessaire pour étudier le commerce, car la matière brule allait aux fabriques privées, t aussi aux fabriques impériales, qui s'etablirent à une époque que l'on ne peut pas déterminer, mais qui sont mentionnées dans la Notifia. Une loi, d'ailleurs. obligeait les particuliers à y porter leur laine "uVv il-a ait;. Nous avons dé' aussi indiquer les principales teintureries en pourpre, parce que leur existence suppose dans le pays une production ou une importation de laines. Dans la haute antiquité, c'est Tyr qui, par le commerce phénicien et par les caravanes d'Orient, reçoit le plus de laines brutes et exporte le plus de produits ; la Grèce et ses colonies, y compris la Grande Grèce, se suffisent à ellesmêmes et importent peu ; elles exportent modérément jusqu'au jour oit Rome attire tout à elle et augmente ainsi la production. Le moment vient, en effet, où c'est surtout pour elle que sont recueillies et travaillées les laines fines de Milet, de l'Attique, de l'Apulie et de la Bétique, et même les tissus de Babylone et des Indes; elle ne dédaigne pas, pour se garantir du froid, les épais lainages de la Gaule, ni, pour habiller ses esclaves, les laines grossières d'une partie de la Cisalpine ; ce que le producteur envoie aux manufactures locales ou éloignées revient en grande partie à Rome, en tapis, couvertures, vêtements et tentures, tandis que l'Afrique rivalise avec l'Asie pour les teindre en pourpre. Il nous reste à dire quelques mots des opérations par lesquelles on préparait la laine brute pour le filage. IV. Les brebis de luxe, porteurs d'une laine fine et de prix, pecus molle35, oves delicatissimae's, çd~aex u.xàxxâ 37, étaient l'objet de soins particuliers et d'une surveillance constante. Le jour même où l'agneau était né, et, après que, en le léchant, sa mère l'avait nettoyé, on l'enveloppait dans une couverture fixée avec des fibules et qu'il ne devait plus quitter 36. Nous avons plus d'une fois, dans cet article, mentionné des brebis dont la laine était ainsi protégée, particulièrement à Milet, en Attique, à Mégare, à Tarente, en un mot dans les pays producteurs des laines de choix. La laine d'Arahie était recommandée pour faire ces couvertures 29, mais, le plus souvent, on se servait de peaux, ce qui faisait appeler ces brebis oves pellitae 0, tectae " 07COVt?6Ei0t 7ioiu.vxt"2. Elles demandaient des soins assidus et une surveillance continuelle et ne devaient paître que dans des endroits dépourvus de rochers et de buissons qui auraient pu accrocher leur enveloppe ", dont la réparation était coùteuse ". Leur étable devait être d'une irréprochable propreté avec un plancher percé de trous", leur nourriture choisie Ye. Il fallait, trois fois par an, enlever aux brebis leur couverture et nettoyer leur toison avec de l'huile et du vin, eu séparer les poils, flocon par flocon, et, si la température le permettait, les soumettre à un lavage complet47. La moindre négligence du maître ou du berger pouvait tuer les brebis ; elles ne LAN 920 -LAN supportaient ni le froid ni la chaleur; si, par avarice ou par la fraude du berger, leur nourriture était insuffisante, elles en mouraient'. Aussi, tandis qu'un berger suffisait pour 100 brebis ordinaires, il en fallait deux pour 100 oves pellitae 2. On est surpris, en pensant à quel prix devait revenir l'entretien de ces brebis, que Pline ait écrit qu'aucune laine n'a dépassé le prix de 100 sesterces (environ 21 francs) la livre Il fut un temps où, au lieu de tondre les brebis, on arrachait leur laine 4. Varron" et Pline 6 disent que, à leur époque, cette coutume subsistait encore en certains endroits. On soumettait alors les brebis à un jeûne de trois jours, avant d'arracher la laine, parce que les racines adhéraient moins fortement àla peau de l'animal affaibli 7. Cet usage, qui remontait peut-être à l'époque où l'homme n'avait pas d'instruments en métal 8, a pu se perpétuer par une autre cause que la routine; car Aristote a écrit en plusieurs endroits que la laine arrachée repousse plus douce'. Quoi qu'il en soit, à l'époque historique, sauf exception, on tondait les moutons avec des ciseaux en fer, forfexdont une pierre gravée du Musée de Berlin nous fournit un dessin tFORFEX, fig. 3169] ". Les auteurs ne s'accordent pas sur l'époque convenable pour tondre les brebis de luxe. Varron croit qu'il faut procéder à cette opératio n entre l'équinoxe du printemps et le solstice, parce que alors les brebis commencent à transpirer, ce qui est une condition favorable" ; d'autres proposent mai 13, ou juin 14. Columelle fait observer avec bon sens que l'époque doitvarier suivant les climats". Mai est la meilleure saison pour les climats tempérés 15, Quant aux brebis communes, c'est quand on r icolte l'orge 17 ou avant la fenaison '° qu'on doit les tondre. Il faut choisir un jour serein, entre la quatrième et la dixième heure, car alors le suint des brebis rend leur laine plus douce, plus lourde, et de plus belle couleur"; mais ce ne doit pas être pendant que la lune est en décroissance". Il est important de ne tondre ensemble que des brebis absolument pareilles, pour ne pas mélanger des laines de couleurs et de qualités différentes 2' ; on fera bien aussi d'opérer sous abri, afin de ne perdre aucun flocon22. Aussitôt après la tonte, les brebis doivent être soumises à des traitements qui protègent leur peau dénudée et contribuent à la beauté de la laine à venir 23. Un mois avant la tonte, les brebis ont été lavées avec la radia lanaria 24. La laine tondue et encore chargée du suint (oicro)Tyi 28, succida 2B. Il fallait d'abord la laver (7)elvety 30, i xrcauvety 31, lavare47, putare33) dans une chaudière 34 avec l'herba 35 ou la radix36lanaria, (3«~lx~ (3oTZy 37 [LAVATIO], puis la sécher 3". Elle était ensuite battue (ab6(ety, €xoa6ô(~_ty 39) pere 43, mol/ire") avec les doigts 45. Enfin on passait à l'opération du cardage (çatve(v 46 carere47, pectere48, pectinare49, carminareJ0) qui se faisait à l'aide d'un peigne (xrE(ç ou Zâviov Si, pecten 52, carrnen 53) en fer 54 dont les dents 56 étaient recourbées (unci) 56. La laine pouvait enfin prendre place dans la corbeille et autour du fuseau des fileuses [CALATJH'S, FUSUS'. Au temps où la vie était simple et les moeurs austères, cette préparation de la laine et aussi les travaux qui suivaient, le filage et le tissage, étaient dévolus aux femmes67. Même dans les intérieurs riches, la mère de famille dirigeait et partageait avec ses esclaves le travail de la laine 68 dans le vestibule de la maison 59, qui était alors le centre de la vie familiale. Dans les ménages pauvres, c'était un gagne-pain 60. Ce travail s'appelait ipiovpy(a u, lani ficium62. Lucrèce s'y livrait avec ses esclaves lorsque Tarquin la surprit63. Mais quand le luxe fit fléchir les moeurs, les femmes abandonnèrent à leurs esclaves cette partie de leurs devoirs de matres familiae 6'4 et Columelle se plaignait que celles de son temps ne daignaient mêrne plus surveiller ce travail" ; les moralistes le leur reprochèrent durement 66. Les industriels se mirent alors à faire ce qu'abandonnaient la plupart des femmes 67 et le nombre des lanarii s'accrut. Le mot lanarius est un nom générique qui s'applique aux divers spécialistes du métier et dont le sens ne peut être exactement précisé que quand il est accompagné d'une épithète : un marchand de laine et de lainage s'appelle lanarius negotians ou negotiator G8; un fabricant de feutre lanarius coactor 69 ou lanarius CoACrILIARIUS 70 ; c'est à ces épithètes qu'il faut chercher les renseignements sur ces artisans. Pour la petite partie du travail de la laine qui nous occupe, nous n'avons à mentionner que ceux qui lavaient la laine et la dégrais les éplucheurs, lani fricarii ? 74 et les cardeurs, qui, du nom de leurs instruments, s'appelaient lanarii carmi natores75 et lanarii pectinarii76. HENRY THÉDENAT. LAN 921 LAN