Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article LANIUS

LAMES, LANIO (Kpeavpyoç, p.âyetpoç, xot107rd),yçj. GRÈCE. La profession de boucher n'existait pas dans la Grèce primitive, au temps où, dans chaque maison, celui qui en était le chef abattait et dépeçait luimême les animaux qui devaient être sacrifiés et les découpait en parts, qui étaient distribuées, d'abord aux dieux, puis à la famille et aux hôtes réunis autour du foyer CORNA, p. 1270]. Ce sont les princes eux-mêmes, e'est Achille', c'est Ménélas' qui, dans les poèmes homériques, s'acquittent ion personne de cet office ; Nestor, affaibli par l'âge, se fait remplacer par son fils aîné, que ses frères assistent 3. Athénée a soin de rappeler les héros d'Homère, quand ii veut honorer et rehausser par leur antiquité les fonctions de ceux, xpuxeç, p.o:yetpot, qui restèrent chargés par la suite de tuer et de découper en observant les rites, et il accumule les citations d'auteurs destinées à prouver que ces fonctions, devenues un métier, furent exercées jusqu'à une époque très avancée par des hommes libres et respectés 4. Le métier se constitua nécessairement quand il fut devenu impossible, surtout dans les villes, que chacun sacrifiât dans sa maison pour les besoins du ménage. Les p.iyetpot connaissant et pratiquant les règles du sacrifice, ne se confondirent que fort tard' avec les cuisiniers [xoyuuçj esclaves ou mercenaires, dont les auteurs comiques se moquent, qui se glorifiaient de les avoir pour ancêtres ; il y en avait qui faisaient partie du persounel d'un temple c ; les grands et les riches en pouvaient avoir dans leur domesticité' ; les autres les faisaient venir quand ils avaient besoin de leurs services à l'occasion d'une fête, d'un mariage ou de toute autre solennité 8. L'endroit oit ils se louaient, au marché, appelé gays(-', était distinct de celui où les détaillants (xpe~aû)a:) avaient leur boutique (ioayatpeiov) et leur étal (xpr(moi.dtxr TpaeW. Ceux-ci débitaient toutes sortes de viandes '°, porc, boeuf, chèvre, mouton [CIBARUA] ; l'âne aussi était au nombre des viandes de boucherie, d'où le nom de oep.vévetadonné à l'emplacement oùl'on en vendait''. Ce quartier de revendeurs était assez mal famé; des hommes pouvaient bien parfois y faire eux-mêmes leurs achats, au lieu d'y envoyer un esclave ; une femme libre et de bonnes moeurs ne s'y aventurait pas12, et tous ceux qui étaient encore attachés aux anciennes pratiques auraient craint, en s'y approvisionnant, de s'exposer à manger des chairs non sacrifiées (àlu-c« tep.)'3. A Athènes, on appela toujours ispedov l'animal abattu, même en dehors du sacrifice, et tiroéxty y resta synonyme de 6ç,â etv 1'. E. SACLIO. RosiE On sait peu de chose sur le métier et la situation des bouchers dans les premiers siècles de Ronce. Ils ne sont pas compris, non plus que les boulangers [PISTOR], dans l'énumération que fait Plutarque des neuf corporations industrielles établies par Nurna16. Cela ne saurait surprendre, comme le remarque M. Mommsen, dans un temps où chacun faisait son pain chez soi 10; on peut ajouter : élevait des porcs et des moutons et préparait lui-même sa viande à la maison. a N'est-ce pas une prodigalité, écrit encore Varron, de tirer son lard de la boucherie et non de son propre fonds''?» Toutefois, Plutarque ajoute qu'une dixième corporation comprit tous les autres métiers 18, ceux apparemment qui occupaient un moindre personnel. Rien n'empêche de croire que les quelques bouchers et boulangers existant alors aient été inscrits dans cette dixième corporation. Quoi qu'il en soit, la profession de boucher parait avoir été fort méprisée au temps de la République. Cicéron en parle avec un dédain extrême t8 et Tite-Live ne la traite pas mieux à propos de Varron, le consul de la bataille de Cannes, dont le père colportait lui-même sa viande etque son fils aidait dans sa répugnante besogne Z0. On s'y enrichissait du moins, puisque le père fut en mesure de donner à son fils une éducation complète et que celui-ci, abandonnant la profession paternelle, se consacra au barreau et aux affaires publiques. Mais l'alimentation de Rome devint rapidement une trop grosse affaire pour que ceux qui y contribuaient principalement ne formassent pas de bonne heure des corporations. Sous la République, les bouchers formaient une corporation présidée par deux magistri que l'on ne LÀ N 923 -a-LAN retrouve pas plus tard'. Puis, à mesure que Home s'accroit, l'importance des corporations alimentaires augmente à proportion. Celle des bouchers y tient l'un des premiers rangs, si du moins aux bouchers proprement dits (qui ad cultruni bovem enzunt) nous adjoignons les négociants chargés de faire venir les animaux de la province et d'assurer l'approvisionnement de Rome. Ces derniers en forment même plusieurs, fondées sur la nature de la marchandise qu'ils débitent, pores, boeufs, petit bétail : ce sont Ies suarii, les boarii, les pecuarii 2. Sous le Bas-Empire, un édit d'Honorius (119) réunit les suarii et les pecuoeii en une seule et puissante corporation'. Valentinien III, en 4 32, les forme tous de nouveau en trois collèges ". En raison de la grande consommation que les Italiens, et en générai Ies anciens, faisaient de la viande de porc (fi g. 036) les suarii, comme il ressort du nombre et de l'importance des documents qui les conter nent, étaient les plus nombreux et les plus puissants. Cette prépondé rance ne put que s'accen tuer lorsqu'Aurélien eût établi les distributions gratuites delard 6. Tous ces bouchers se recrutaient principalement dans la classe des affranchis, comme on peut en juger par de nombreuses inscriptions 7. En dehors de Rome, on trouve des corporations semblables en divers lieux, à Pré neste, dès le temps de la République e, à Narbonne', à Vérone 10, à Périgueux". Comme toutes les corporations de l'annone, celles des bouchers jouissaient de nombreux privilèges. compensation à peine suffisante d'étroites et lourdes obligations. La plus sensible de toutes était celle qui les enfermait pour ainsi dire dans leur collège. Ils n'en pouvaient sortir sous aucun prétexte, même pour entrer dans la cléricature, à moins de s'être trouvé un remplacant. A leur mort, un au moins de leurs enfants devait leur succéder 12. Il fallait que par leurs soins Rome fiât toujours suffisamment approvisionnée de lard et les distributions gratuites faites régulièrement pendant une notable partie de l'année". Leurs fonctions étaient triples. Elles comprenaient l'achat, la préparation et le débit de la viande. Tous étaient sur leur personne, sur leurs enfants, sur leurs biens, tenus responsables du bon fonctionnement de leur charge, sous la surveillance des prinri scrinii Praefecti L'rbis et des vicaires de ce dernier, responsables à leur tour devant le préfet, qui enfin répondait devant l'empereur de l'approvisionnement de la ville" L'État, d'autre part, les mettait à l'abri de la rapacité de ses propres agents de contrôle en punissant de mort les tr'ibuni, scribae ou cancellarii des marchés, qui auraient détourné pour eux-mêmes quelques parties de la viande débitée. Seul, celui qui abattait l'animal en recevait une portion' Ces obligations rigoureuses, cette sorte de servage qui les liait à leur corporation, cette lourde et périlleuse responsabilité enfin, étaient reconnues par des privilèges appréciables. Et d'abord on est frappé de la manièreparticulièrement honorable et flatteuse dont les empereurs en leurs édits traitent toujours les suarii et autres bouchers. L'honneur qui se rattache à une fonction est en raison de son importance. C'est un emploi glorieux, écrit un auteur, de nourrir la ville de Rome 16. Nous voilà loin de ce ton de profond mépris qu'employaient à l'égard des mêmes industriels les vieux auteurs de la République. Les trois premiers de leur ordre ne se virent-ils pas élevés à la dignité de comtes de troisième classe, et gratifiés en même temps d'avantages matériels19? Ils jouissaient de diverses immunités. Par exemple, ils étaient dispensés de la en/latin equorunt [JLru:vC, et quand il fut question de les y soumettre, ils trouvèrent en Symmaque un défenseur zélé qui. fit valoir avec force la légitimité et les raisons des privilèges attachés à leur profession". Dès le temps des empereurs Sévère et Caracalla, les suarii sont dispensés du droit de tulela, dont jouissaient déjà, disent ces empereurs, tous ceux qui s'occupent de l'annone, à la condition qu'ils consacrent les deux tiers de leur fortune à leur commerce ". Dans l'exercice de leurs fonctions, ils étaient protégés par la force publique et en tout temps garantis contre toute violence corporelle 20. Indépendamment de certains avantages dont il va être parlé à propos de l'achat des animaux, avaient-ils droit à des émoluments? c'est ce qui parait résulter d'un édit de 452 oit l'empereur Valentinien énumère des sommes considérables qui auraient été dues à ce titre aux boarii et aux suarii; malheureusement, ce texte n'est pas suffisamment explicite21. La collation des animaux se faisait par voie de réquisition, du moins pour les porcs. Les boeufs étaient achetés et venaient pour la plupart du Bruttium 22. Nous connaissons surtout la manière d'opérer des suarii. Cet impôt en nature incombait spécialement aux propriétaires du sud de l'Italie, Campanie, Lucanie, Bruttium et Samnium23. La Sardaigne y était également soumise, mais, en raison des tempêtes qui rendaient souvent le transport aléatoire ou dangereux, Valentinien III décida que l'impôt de cette île serait désormais versé en espèces dans la caisse prétorienne". Il est probable que plusieurs propriétaires se réunissaient pour fournir un seul animal 25, Quant à ceux qui ne devaient qu'une livre de lard par mois, on leur faisait de préférence verser cinq livres à la fois pour cinq mois26, Cet impôt était considéré comme d'une importance si capitale qu'il était exigible avant tous les autres G7, Le mode de perception varie en ses détails suivant les époques. Ordinairement, les suarii eux-mémesfont la levée, sous la surveillance du gouverneur, responsable. Mais un LAIS 924 --LA\ édit de Valentinien II, promulgué en 452, les autorise à se faire représenter par un officier du gouverneur assisté de cinq d'entre eux, afin d'ajouter à leur autorité'. Cette mesure semble indiquer que la levée de l'impôt n'allait pas toujours sans difficulté. Pour qu'il n'y eût pas de fraude sur le poids de l'animal, la loi exigeait qu'on l'eût laissé ,jeûner depuis la veille avant de le livrer au fisc 2. Observait-on quelques prescriptions hygiéniques? Ce n'est pas probable, car il n'en reste pas trace ; et d'autre part, au temps de Varron, la clause de santé, exigée si l'on achetait une bête à cornes pour la reproduction ou le labourage, était supprimée quand on l'achetait pour la boucherie ou, ce qui revient au même en ce qui concerne la consommation, pour les sacrifices'. Constantin laissa le choix aux propriétaires imposés de payer en argent ou en nature, La viande était évaluée au cours de la province. Les gouverneurs en faisaient connaître le taux au préfet de la ville et alors seulement les collecteurs se mettaient en route4. Si l'on payait en espèces, avec les sommes reçues ils achetaient des porcs dans la même région. Sous Julien, la levée de l'impôt se faisait en argent dans la Campanie, par les soins du gouverneur, assisté des curiales de chaque cité. L'argent était remis aux suarii ". Valentinien Ie° laissa de nouveau le choix entre les deux modes de payement, mais partout le soin de lever l'impôt fut confié à des agents spéciaux du gouverneur qui formèrent un ordo suarius local, purement fiscal, et par conséquent tout distinct du collège des suarii '. Mais, à l'inverse du régime établi par Constantin, les prix furent ceux de Rome, parce que, (lit l'Édit, les viandes devaient être vendues dans cette ville'. A la différence des suarii, les boarii et les pecuarii ne percevaient pas d'impôt. Ils achetaient des boeufs qu'ils revendaient au forum boarium et au forum pecuarium sous le contrôle de I'État". Pour compenser la diminution du poids que les porcs subissaient dans le trajet de leur lieu d'origine jusqu'à Home, il était accordé aux suarii une remise de 5 p. 100 sur les sommes qu'ils avaient versées Par le même motif, Apronien, puis Valentinien, décidèrent et confirmèrent que 25 000 amphores de vin seraient levées dans les mêmes provinces et partagées entre les suarii et l'ordo suarius '°. Valentinien ajouta que les habitants de la Lucanie et du Bruttium seraient autorisés à fournir soixante-dix livres de lard en équivalence d'une amphore de vinfl De tout ce qui précède, on peut conclure que sous l'Empire les bouchers romains, réunis en corporation, ne sont pas de simples entrepreneurs chargés de la fourniture de la ville, mais deviennent de plus en plus de véritables fonctionnaires, détenant, dans une partie de l'exercicede leurs fonctions, la levée de l'impôt, une part de l'autorité publique, attachés à leur office par un lien obligatoire, personnellement et pécuniairement responsables, payés de leurs services par des honneurs, des avantages pécuniaires, la détention d'un monopole, peut-être par des émoluments. Comme on l'a remarqué, la principale différence qui existe entre leurs corporations et celles des ouvriers de l'État, c'est que l'État consomme directement les produits fabriqués par ces dernières, tandis qu'il vend au public, ou lui distribue gratuitement, les denrées fournies par les premières [GOLL'EGILM]. Voici quelques indications sur le prix de la viande à différentes époques : vers l'an 500 avant J.-C., un boeuf valait à home 100 as, soit 55 francs ; un mouton 10 as, soit 5 fr. 3012. Pline cite comme un exemple incroyable de bon marché le prix de un as (0 fr. 22), demandé en 604 de Ito[ne, année où la récolte avait été exceptionnelle et où l'abondance était extrême, pour douze livres (italiques : 327 gr. 45) de viande. Ce prix paraît incroyable en effet. Il est en rapport cependant avec celui des autres denrées, mentionné pour la même année, et ne s'écarte pas à l'excès des prix divers énuméréspar le même auteur comme exemples de bon marché à différentes dates". Sous Sévère Alexandre, la livre (italique) de porc était de 8 minutuli à un moment de cherté excessive et de 1 à 2 minutuli quand les mesures prises par l'empereur eurent ramené le bon marché. Cette monnaie, dont on ne peut du reste déterminer exactement la valeur, était sans doute le denier d'argent déjà altéré à cette époque". Le boeuf et le porc se vendaient alors au même prix t3. D'après l'édit de Dioclétien, 1 kilogramme de porc devait se vendre au maximum 2 fr. 28 ; 1 kilogramme de lard de 1Ce qualité, 3 fr. 04 ; 1 kilogramme de boeuf, de mouton ou de chèvre, t fr. 521°; de chevreau, environ fr.25 ; de foie gras de truie, 3 fr. 01; de jambon, 3 fr. 18. En 389 après J.-C., 80 livres italiques de lard devaient être livrées aux troupes, sur la frontière, au prix modique de 0 fr. 59" ; en 363, une livre de viande de porc, en Campanie, à raison de 6 folles'", ou environ 1 fr. 94 le kilogramme. Ces prix ne peuvent avoir qu'un caractère approximatif. Ils sont établis en réduisant, autant que cela est possible, les monnaies du temps à la nôtre, et naturellement sans tenir compte de la puissance d'achat de l'argent, méthode encore beaucoup moins exacte. Le mot lanius est pris aussi dans le sens de rietimaire, sacrificateur L0, et, par plaisanterie, de bourreau