Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article LUDIO

LUDIO ou LUDIUS, au féminin LUDIA. Les manus LUD 1379 --LUD crïts offrent aussi l'orthographe lydio, lydius lydia Cette différence d'orthographe tient à ce que I étymologie du mot était contestée. Denys d'Halicarnasse', Appien', Hésycllius entre autres, le rattachent, en effet, à l'adjectif lydïus=lydien, d'après la tradition bien connue qui faisait des Lydiens les premiers inventeurs des jeux usités en Grèce'. A la vérité, ce n'était pas directement des Lydiens, mais de ses voisins les Étrusques que Rome avait reçu nombre de ses jeux, fêtes et spectacles 6. Mais il convient de se rappeler que, dans toute l'antiquité. les litrusques ont passé pour une colonie lydienne' : si bien que le mot même lydius s'employait couramment en latin dans le sens d'étrusques. Par suite, le ludio aurait été à l'origine un bateleur étrusque, et plus tard, d'une façon toute générale, un bateleur quelconque. C'est par une dérivation à peu près semblable que chez nous le nom ethnique « tzigane » a fini par désigner un certain genre d'exécution musicale plutôt que la nationalité des exécutants. Cette première étymologie serait donc assez plausible.Néanmoins, l'origine du mot est probablement beaucoup plus simple : c'est la racine lud, qui a donné en latin le verbe lutin, le substantif indus et nombre d'autres mots, auxquels est commune l'idée de jeu 9 ». étymologiquement donc, le ludio est un joueur, un amuseur, au sens le plus général10. Mais ce sens peut naturellement se préciser d'après le contexte. Dans certains passages ludius signifie un comédien, un acteur [HJSTBIO_' ". Ailleurs, il désigne un danseur ou mime {~uotus, SALTATOR] ". Chez Juvénal, il s'applique quelque part à un gladiateur [GLADIA'roR]'3. Le plus souvent il se dit des bateleurs de bas étage ". Il faut enfin signaler un sens spécial, que nous font connaître Denys d'Halicarnasse" et Varron 1" : selon ces deux auteurs, les ludiones étaient des adolescents, qui dans toutes les processions publiques, soit au cirque, soit au théâtre, marchaient en tête du cortège, parés de tuniques brillantes, et portant casque, épée et bouclier. Un trait commun à tous les indu, c'était d'avoir, comme nos comédiens modernes, la face rase et épilée f °. Le mot ludia est le féminin de ludius, et peut avoir par conséquent tous les sens correspondants, Il désigne aussi parfois la femme ou l'amante d'un ludius18, sement d'instruction. 10 Définitions. -Bien que le terme schola ait donné notre mot français école, ce n'est pas lui qui est la véritable expression employée en ce sens. D'abord, étant la simple transcription du grec oxo,ai, schola n'appar LUDIO ou LUDIUS. 1 Elle est confirmée par le témoignage de Denys d'Halicarnasse, Antiq. rani. II, 71, 4i, qui transcrit le mot en grec sous la forme ks3ia,. exemple Tit. Liv. VII, 2, 4 : ludiones ex Etruria acciti. 7 Horod. L. 1. ; cf. Appian. Diction. etymol. s. v. Ludo. 10 Le dictionnaire de Forcellini dit très bien : ~e Ludius universim d'ictus est quicumque aliqua ration faeiebat judos Niel in rireo, vcl in theatris, Niel per compila obleetandi populi causa n. 1' Cu:er, Seri. 54, 116. 12 C'est même ce sens qui domine, semoied-il, et est le plus fréquent; Titi Liv. VII, 2, 4 ludiones... ad tibicinis modes saitantes; Ovid. Ars am. I. 117.: Dumque, rudem praebente modem tibicine F`usco, Ludius aequatam ter pede pulsai humum ; Hesych. s. e. lui:Gsv xopc4ws ; cf. encore ce que dit des insulae ludianorun Varron, De re rust. 1D, e. 17 (ehoreusas insolas); resp. 11; Snet. Aug. 74. 13 L. 1. 16 `-ion. 1. XII, p. 619, M. Quicherat. et 266. •-BInr30GIIAPm£. Groaovius, Thesaur. graecar. ant'iq',it. 1730, t. Vill (J.-B. Casalius, De trag. et coeroedia, e. 2), D. 1015; Graevius, T4esaur. asti tient qu'à une époque relativement, récente : il fadail, pour le voir apparfttrc, que Yhellénisme ont pris possession de Rome, Peut-être a-•t-il été créé par Cicéron luimême; on ne le rencontre pas auparavant dans une oeuvre littéraire. De plus il a toujours retenu de son étymologie une signification spéciale etrestreinte. Une école se disait en Grèce ctâaarxàe"ov. La csy c'est le loisir, par suite l'occupation d'un homme de 'loisir , et quelle occupation, pour un Grec du vie ou duos' siècle, est plus noble, plus digne d'un homme bien né, que l'entretien philosophique°! Les disciples de Socrate, quand ils sont de loisir, écoutent la parole du maître ou se racontent les événements de sa vies, Que bientôt l'on en vînt à exprimer par la, les hautes études en général, puis le lieu même oit elles s'enseignaient, la pente était naturelle. Ainsi l'entend Cicéron : ainsi Fast-on entendu après lui, et jusque dans les derniers temps de l'Empire. Le terme ne s'est jamais appliqué à toutes les branches del instruction, mais seulement aux plus élevées ; et comme il y avait en Italie trois ordres d'enseignement représentés par le primus magister, le yrammatïcus et le rlietor [EDUCATIO], 11 a été réservé pour les degrés supérieurs de I la hiérarchie, les classes de grammaire et de rhétorique, c'est-à-dire celles qui s'étaient constituées précisément sous l'influence de l'enseignement grec : en cela il demeurait fidèle à ses origines. Le mot ludus, au contraire, a pour lui le caractère indigène de sa physionomie, l'antiquité de sa naissance et la généralité de sa signification. Comme son rival schola, il pouvait désigner l'école du grammaticus ou celle du rhetor; mais il était seul employé quand il sagissait de l'école primaire. C'est donc bien, à n'en pas douter, le terme exact. Comment l'avait-on choisi, lui qui évoque tout d'abord une idée de jeu, de divertissement, pour indiquer un endroit où la jeunesse prétend ne peint se divertir? Était-ce justement par antiphrase'? Ou bien, comme le veut Festus, espérait-on allécher les enfants avec ce nom de bon augure 9? Était-ce enfin que les occupations seo'aires sont un jeu de l'intelligence, une gymnastique de 1 esprit'? Ce qu'il y a de sûr, c'est que ludus appliqué à un lieu signifie que dans ce lieu on se livre a quelque exercice. Une épithète jointe au substantif précise alors de quel exercice particulier il est question. C'est ainsi que nous trouvons le litres gladiatorius', le ludus milita i ris s, le ludus ldicinus R, le indus saltatoriuo 16, où se forment les gladiateurs, les soldats, les joueurs de lyre, les danseurs. Le ludus litterarius" n'est qu'un ludus de même nature que les précédents. Le genre de l'exercice seul diffère : on s'y exerce à lire, écrire et compter12. quit. romanar. 1735, t. Butengerus, De t.'ceatra, I. 1, c. XLVI :1)e ludüs Les professeurs de littérature daces l'ancienne Rome, p. 113. 2 F.xa).,, ejn,'t', Plat. Phaed. p. 57 d. 3 Tantôt au sens de dissertation 1n Pison. 25, 60; De Fin. II, I, 1; lice. 1, 4 7 et 8; 111, 34, 81. Tantôt au sens d'école : In Pison. 25, 59; De oral. I, 22, 102; li, 7, 28. Tantôt même, le mot peut vire pris simul tanément dans l'une et l'autre seeeption, tant elles sent voisins: ruse. 1 47, 4. Juliien (Op. 1. p. 414, en donne une preuve curieuse tirée d'une lettre de Pline le jeune 1E). Vlll, 7, I(. Pline écrit à Tacite ,a propos d'un litre que son ami lui a donné à corriger : i «me) tu iv, se/mira reuocas n. Or ec n'est pas â l'école primaire qu'il peut le renvoyer pour juger et critiquer une oeuvre littéraire, mais h l'école du second degré, c'est-à-dire chez le grammairien. -s Festus, s. v. Mititens, p. 122 (éd. Müller). s Id. Scola, p. 347. 7 Suet. C'aes. 31. 1i P1aut. Mercie, II, 2, 32. On disait encore ludus litierarum (Liv. IL, 44, 6; LUD 1380 LUD Mais comme ces connaissances qu'on y reçoit sont indispensables à la vie, que chacun les recherche, homme ou femme, il a dépassé en importance tous les autres; il est devenu le ludus par excellence ou ludus tout court. 2' Le local. L'installation d'une école, à l'ordinaire, n'était guère luxueuse, surtout celle du maître élémentaire. L'État ne se mêlant en rien de l'instruction, il y avait cet avantage que tout le monde était libre d'enseigner, mais aussi cet inconvénient que personne, du moins jusqu'à Vespasien, ne recevait ni traitement régulier ni subvention extraordinaire. On comprend alors que le maître, qui risquait l'aventure, fit modestement les choses : il se contentait de louer, en bordure sur la rue, un petit local appelé PERGULA'. C'était un industriel comme un autre ; il tenait « boutique d'instruction 2 ». La pergula cependant est moins encore qu'une boutique; ce n'en est qu'une partie. Conformément à l'étymologie c'est un prolongement d'édifice, une annexe, une construction quelconque en saillie'. Entendez ici, attenant à une boutique, une sorte d'atelier ou d'échoppe ouverte sur les côtés, un hangar en appentis. La pergula ne doit donc pas être confondue avec la taberna. Dans certaines inscriptions, qui contiennent des annonces de logements à louer, les pergulae sont mentionnées à côté des tabernae et nettement distinguées de celles-ci'. Faut-il ajouter maintenant que, dans le choix du local comme en toute chose, il y avait des exceptions à l'habitude ordinaire? Tite-Live parle d'écoles installées dans des boutiques Or rien ne permet de supposer que dans ces passages l'auteur s'est contenté d'un à-peu-près et a cru rendre suffisamment sa pensée en se servant de taberna, le mot général, au lieu du terme particulier et de l'expression propre pergula. Une fresque, trouvée à Herculanum et placée aujourd'hui au musée de Naples, nous montre cette fois une école établie sous un portique ; ce portique est même soutenu par d'élégantes colonnes que relient entre elles des guirlandes (fig. 4647) '. Voilà, si l'imagination du peintre ne l'a pas embelli, un fort agréable emplacement et dont le gracieux décor aurait charmé notre Montaigne, lui qui voulait pour les enfants des classes riantes, au besoin « jonchées de fleurs et de feuillées' ». Seulement, croyons-le bien, ces exceptions étaient assez rares, et les écoles primaires, les plus nombreuses comme il est juste, recherchaient de préférence les pergulae. Hangar ou portique, l'école était donc en communication avec la rue. On se bornait à tendre quelques toiles d'un pilier à l'autre, pour qu'elle ne donnât pas directement sur la voie publique. Mais ces tentures, nous le savons par Martial', n'empêchaient guère les bruits de la classe d'arriver aux passants, qui entendaient les élèves répéter en choeur leur odieux refrain : « Un et un font deux ; deux et deux font quatre 10. » Naturellement aussi, chose plus grave, semble-t-il, et qui devait favoriser la dissipation des enfants, les bruits du dehors venaient jusqu'aux élèves. Mais on ne paraît pas s'en être autrement préoccupé. Les premières écoles étaient établies parmi les boutiques du Forum, c'est-à-dire dans l'endroit le plus fréquenté de la ville". Parfois même l'enseignement se poursuivait en dehors de la salle, et une peinture de Pompéi nous fait assister à une leçon de lecture donnée en plein air (fig. 2610). Du reste, sans sortir de la salle, les élèves, ceux du moins des classes supérieures, ne trouvaient-ils pas toujours autour d'eux quelque agitation? C'étaient les parents qui venaient de temps à autre, attirés par la réputation du maître ou de quelque brillant écolier ; c'étaient des amis, des étrangers même qui pénétraient au milieu de la jeunesse. Pline raconte dans une lettre qu'il entra ainsi, un beau jour, pendant une discussion animée; tout le monde aussitôt de s'interrompre et de se tourner vers lui pour lui témoigner son respecti2. C'est là un manque de recueillement assez étrange. Mais, je le répète, la chose ne déplaisait pas aux Romains, comme nous serions d'abord tentés de le croire. Ils n'étaient pas fâchés au contraire qu'un certain contact se trouvât maintenu avec le public et que l'école fût déjà un petit théâtre où l'enfant commençait à se donner en spectacle. 3e Le mobilier scolaire. -A. De même que le local, le mobilier de l'établissement était le plus souvent fort simple. On ne connaissait pas ce confort élémentaire que nous sommes habitués aujourd'hui à rencontrer dans toute salle de travail. Il n'y avait pas de tables ; les élèves écrivaient sur leurs genoux13. Quelquefois un tabouret placé sous leurs pieds leur permettait d'écrire moins courbés. Comme sièges, ils avaient des bancs de bois, sans dossier d4, qui devaient leur paraître durs à la longue, étant donné le grand nombre d'heures qu'ils passaient assis i°. Ajoutez une chaise pour le maître : tout était réduit à l'indispensable. Hâtons-nous de dire que c'était là surtout le mobilier d'une école primaire. Un bas-relief en terre cuite, découvert il y a une vingtaine d'années 16, nous fait voir les élèves, sous les traits de singes habillés rangés sur des bancs superposés, tenant leurs tablettes dans l'attitude que nous avons décrite. Le maître, un grammaticus, a une tête d'âne, il est vêtu de la toge. Sa chaise est à dossier haut et carré : c'est la cathedra, la chaire, où pouvaient seuls prendre place les LUD 1381 LUD maîtres qui avaient droit au titre de professeurs, c'est-àdire les rhéteurs el, les grammairiens 1, et qui prenait quelquefois l'aspect d'un trône et en avait le nom; elle était élevée et placée sur une estrade qui l'exhaussait encore davantage'. Dans les classes oit était donné l'enseignement du second degré, comprenant la lecture etl'explication des poètes, souvent les salles étaient ornées de petites plaques de marbre appelées tables iliaques [ILIACAE TABULAE]. Ces bas-reliefs, qui représentent les principaux épisodes des fables homériques, véritables résumés et sommaires illustrés du cycle troyen, ont bien pu servir, en effet, à un usage scolaire. Leur commentaire figuré frappait plus vivement l'imagination des enfants et achevait d'éclairer les leçons du grammaticus : c'était l'enseignement par les yeux ajouté à l'enseignement par le livre'. Il y avait aussi parfois, suspendues aux murs, des cartes de géographie. Cependant, ici, il faut distinguer les époques. Dans les derniers temps de la République, les cartes étaient déjà connues, puisque Sempronius Gracchus avait fait représenter dans le temple de Mater Matuta la Sardaigne qu'il venait de soumettre, et que Varron, imaginant un cadre pour ses entretiens sur l'agriculture, plaçait les interlocuteurs du dialogue dans le sanctuaire de Tellus, en face d'une Italie peinte sur la muraille'. Néanmoins, et malgré le caractère pratique de cette science, les Romains ne semblent pas jusque-là y avoir attaché beaucoup d'importance ` ; nous ne pouvons affirmer que dès ce moment les cartes servissent à l'instruction des enfants. Plus tard il n'en fut plus tout à fait de même. Bien que la géographie soit restée toujours un accessoire dans l'enseignement du grammaticus', c'était un élément nécessaire pour l'explication des textes. Que V. de passages, chez les auteurs, ne peuvent être pleinement éclaircis, si l'on ne tient pas compte de la situation des villes ou de la configuration des pays! Comme nous savons, d'autre part, que l'usage des cartes se répandit à partir d'Agrippa qui dressa dans le portique de sa sieur Poila, sous forme de sphère en marbre, une représentation de l'empire romain 3, il n'est pas étonnant qu'elles se soient introduites dans les écoles pour en orner les parois. Décoration utile à tous les points de vue, car elle permettait encore d'exalter le sentiment national. « Dans les années heureuses d'un Trajan, d'un Marc-Aurèle. d'un Dioclétien, les élèves y suivaient le mouvement des armées et l'on nous dit que le mitre éprouvait un sentiment de fierté patriotique à leur montrer que l'étendue de l'empire égalait presque celle du monde'. » Enfin, quand on connait le rôle joué par le portrait dans la vie des anciens et dans celle des Romains en particulier, quand on se rappelle le nombre incroyable d'images de toutes sortes, en toutes matières, placées en tous lieux, publics ou privés, soit au nom de l'État, soit ail nom des citoyens les plus divers []asuoj, on peut croire q le les écoles ne faisaient pas exception à cette coutume presque générale. Notamment, dans les bibliothèques, on mettait volontiers le portrait de chaque écrivain célèbre, poète, philosophe, orateur, historien, au-dessus du recueil de ses if.uvres. C'était un exemple à suivre pour les maîtres de l'enseignement public. Ceux qui en avaient les moyens ne manquaient pas sans cloute de s'y conformer. Juvénal10 parle de Virgiles et d'Horaces tout noircis par la fumée des lampes dont les élèves, se rendant de grand matin à 1'école se servaient pour éclairer le local encore obscur, et qu'ils éteignaient seulement aux premières lueurs du jour. On a souvent prétendu qu'il s'agissait, dans le passage, d'exemplaires des deux poètes placés entre les mains des enfants comme textes de lecture et d'explication. Mais le dommage causé ne peut venir que de l'atmosphère momentanément enfumée de la pièce : le terme fuligo employé par Juvénal interdit un autre sens. Or les manuscrits, enfermés la plupart du temps dans les capsae, ne pouvaient pas en subir longuement les atteintes 12. Au contraire, on comprend que des bustes exposés en permanence, sans rien pour les protéger, devaient perdre assez vite leur couleur 'decolos0; ils devenaient, eux aussi, des fumosae imagines13, comme ces autres bustes'', portraits des aïeux, que chaque famille aristocratique conservait dans l'atrium de sa maison et que noircissait peu à peu la fumée du foyer. Voilà ce que telle ou telle école, suivant la nature de l'instruction qu'on y venait chercher, offrait aux élèves. Joignez-y, chez le primus magister, l'abaque [ABACIJS], table de pierre, de bois ou de métal, qui servait avec les cailloux ou calculé aux exercices de calcul, etc., et chez le grammaticus, des sphères ou des cubes pour l'enseignement de la géométrie, que ce fût d'ailleurs le grammairien lui-même qui le donnàt ou qu'il y eût un 174 LUD 1382 LUD géomètre spécialement chargé de ce soin. Tous ces objets étaient, dans le mobilier scolaire, l'apport du maître. Mais il y avait aussi ce que les élèves apportaient avec eux, leurs instruments de travail, leur bagage particulier. D'abord la capsa ', qui renfermait les livres des écoliers [CAPSA, LIBER] Sous la République, quand les livres étaient encore chers, chaque coffret devait en contenir fort peu: le maître avait alors recours aux dictées pour faire connaître les textes à son auditoire 2p Plus tard, à partir du jr esiècle de l'Empire, les copies des oeuvres classiques se multiplient 3 et par suite baissent de prix". Dès lors l'élève se procure aisément les manuscrits nécessaires, et, comme les livres une fois roulés formaient un petit volume', la capsa, sans atteindre de bien grandes dimensions, put en recevoir un nombre cassez considérable. Tout d'abord, l'enfant portait Mimé-une son bagage à l'école, et, parmi le peuple ou mênie chez les personnages importants des petites villes, il en l'ut toujours ainsi Mais à Rome l'habitude s'établit bientôt dans les bonnes familles de faire porter la capsa par le pédagogue, l'esclave grec chargé d'accompagner partout l'enfant et de veiller sur lui [PAEDAGOGOS], ou par un autre esclave préposé particulièrement à cet office et appelé, à cause de sa fonction, le CrPSSRrus. Pour écrire, les élèves avaient des tablettes (tabulae eeratae). Elles consistaient, en de minces planches de bois, réunies deux â deux (diptyques) et recouvertes au dedans d'une couche de cire [u1PFYCIIOs, TABLLA'. Celles de l'école primaire avaient une grande dimension ; mais chez le grammairien ou le rhéteur, sans les rendre aussi petites que les pugillat'es qui tenaient dans la main, on en diminuait les proportions, pour que les devoirs ne fussent pas trop longs; c'est du moins ce que Quintilien recommande expressément'. Les caractères étaient tracés sur la cire molle, à l'aide d'un poinçon ou stylet s'rvLCs", tige de fer très pointue d'un côté et aplatie à l'autre extrémité On avait encore le roseau [CALA114I S, PEINA, Aaeaiioj, taillé à la manière de nos plumes ", que l'on trempait dans l'encre [ATRAMENTt1M] 16 et que l'on reportait sur le papyrus ou le parchemin ". Cicéron42, Horace", les gens détude sous l'Empire", recouraient très souvent t ce procédé, En était-il de snerne dans les écoles? Il est certain que le système des tablettes de cire, plus commode et moins conteux, devait être de beaucoup le plus usité. Cependant un passage de Martial nous prouve que, à l'école primaire tout au moins, on employait la plume de roseau et le papyrus. « Si Apollinaris te condamne, s'écrie le poète en s'adressant à son ouvrage, tu peux aller tout droit dans les coffres des marchands de sel, vil papier sur le revers duquel écriront les enfants". » Ainsi donc, quand un ouvrage ne se vendait pas et tombait dans le rebut, le prunus magister se le procurait à bon compte et distribuait le verso de chaque feuillet, laissé blanc, à ses élèves qui l'utilisaient comme «page d'écriture r. L'enfant avait besoin d'apprendre les deux manières d'écrire, puisqu'il était appelé plus tard, dans la vie, à se servir 1 de l'une ou de l'autre indistinctement. Une fois les doigts exercés à manier le roseau, on revenait au stylet, l'instrument habituel. Néanmoins, chez le rhéteur sinon chez le grammairien, le calames n'était pas tout à fait délaissé. Quintilien donne le conseil d'écrire de, préférence sur des tablettes de cire ; la nécessité de tremper souvent la plume dans l'encre, dit-il, retarde la main et brise l'essor de la pensée. Mais le conseil n'était pas toujours suivi, car il ajoute ' o Dans les deux cas, il faut avoir soin de laisser une marge, etc." ». L'expression in etr'olibet genere prouve donc qu'on usait encore de la plume. B. Cette revue du mobilier scolaire ne serait pas complète, si nous oubliions, dans le nombre des instruments de travail, ceux qui contraignaient à la tache lés élèves paresseux, inattentifs ou coupables de quelque autre faute: Ces instruments de punition jouaient un grand rôle. L'éducation romaine n'était pas tendre en général, et encore moins à l'école qu'à la maison paternelle. Non seulement les colères des maîtres", leurs emportements'', leurs accès de fureur' 9 accompagnés d'injures et de cris 29 étaient chose fréquente ; mais ils en venaient promptement aux coups et, selon les circonstances, les soufflets, la férule, les verges, le fouet, les lanières de cuir avaient leur tour. La férule (ferula, vïrga), la menaçante férule, « sceptre des pédagogues21 », était la plus employée. Baguette longue et souple, à la moindre incartade elle s'abattait sur le coupable; elle le frappait d'ordinaire â la paume si sensible des mains, qu'il était forcé de présenter au maître 2i. Encore n'était-ce là qu'une punition réputée légère", le premier degré dans l'échelle des chàtiments. Il y avait d'autres traitements plus énergiques. Selon la gravite croissante des cas, on employait le fouet de cuir, tantôtsimple24 (scutica, lor•um, fig. ?613), tantôt composé de plusieurs courroies [FLAGELLLM] 23, ou la peau danguille, peau plus grossière que le cuir ordinaire et qui { rendait la peine plus douloureuse 2". De quelle manière était souvent administrée la correction, la fresque déjà mentionnée d'Herculanum (fig. 4.647). nous le fait voire'. L'enfant y est dépouillé de ses habits; il ne garde qu'une ceinture autour du corps. Un de ses camarades l'a hissé sur son dos et l'y maintient solidement par les deux nmins tandis qu'un autre, agenouillé, lui a saisi les jambes et l'empéche de bouger. Un homme encore jeune, debout, frappe sur les reins avec des verges. Est-ce le maître lui-même, ou un de ses aides '8? Un personnage placé à la droite du maître, dans la caricature reproduite plus haut (fi g.4648), peut être un de ses aides chargé de l'exécution. Pendant ce temps, des curieux de la rue regardent, entre les colonnes, avec indifférence, et les autres écoliers assis sur un banc, le e'olumen déroulé sur leurs genoux, ne se dérangent même pas de leur lecture pour contempler un spectacle dont ils ont sans doute l'habitude. Parfois aussi, le maître n'avait besoin de personne pour infliger la punition ; il prenait tout simplement l'enfant par le milieu du corps et, le soutenant en l'air, le fouettait avec la main restée libre 93. I'Tl --1383 Ce n'était pas seulement à l'école primaire, comme on pourrait le croire. qu'étaient exercées de pareilles rigueurs. Chez le grarmreoticus aussi régnait une sévère discipline. Rappelons-nous le playosus Orbilius ' auquel Ilorace ne put jamais pardonner les coups qu'il avait revus. Orbilius était un professeur de grammaire, et, quoiqu'il s'adressât à des élèves déjà grands, il maniait contre eux la férule et la lanière de cuir avec aussi peu de ménagement que s'il avait eu affaire à des gamins en bas âge 2. Sans doute il était dur naturellement (datura acerba)'' ; sans doute aussi, ancien soldat', il transportait dans son école les habitudes des camps; mais son exemple n'était pas isolé. Juvénal eut le sort d'liorace; il fut plus d'une fois, nous dit-il, obligé de tendre à la baguette ses mains tremblantes'. Or c'était le temps où, donnant des conseils au dictateur Sylla, il composait des suasoriae : il était donc chez le rhéteur, tout au moins chez le grammairien', Ce qui est plus étonnant, c'est que personne, pas même les parents, intéressés cependant des premiers, ne protestait beaucoup contre de pareils procédés 7. A de rares intervalles se faisait entendre la réclamation timide d'un Térence la réclamation plus énergique d'un Quintilien qui s'écriait : « Frapper les enfants, bien que ce soil l'usage et que Chrysippe l'approuve, me parait absolument condamnable » Mais presque tout le inonde pensait comme Chrysippe. On trouvait naturel qu'un maître habile s'indignât d'être lentement compris 16, Bien plus, il fallait lui savoir gré de cette ardeur qui employait tous les moyens, même violents, pour inculquer la science49, Et sur ce point, il ne semble pas que l'opinion ait jamais varié. Aussi l'école, dans le cours des siècles, ne changea-t-elle rien à ses traditions. A la fin du paganisme comme à l'époque de Plaute, elle retentissait encore des coups de fouet 12. Ausone, lorsque son petit-fils fut en âge d'aller suivre l'enseignement du dehors, essayait de l'encourager et de le fortifier contre la crainte de la férule. « Ses parents, lui écrivait-il, avaient passé par là, eux aussi, et en étaient devenus des personnes accomplies 13. » Quant à Saint-Augustin. il ne songeait pas sans frémir à la période de son enfance et aurait préféré mourir plutôt que de la recommencer ". Nous avons ie droit de juger sévèrement ce triste système de l'antiquité ; mais nous devons songer qu'il fut aussi le nôtre pendant longtemps, que le Moyen Age I'a recueilli de l'héritage romain et que voilà cent ans seulement que les punitions corporelles ont cessé d'être en usage. 40 Heures de travail et jours de vacances. Les écoles s'ouvraient de grand matin, au lever du jour. « C'est toi, dit Ovide à l'Aurore, qui arraches les enfants au sommeil et les livres à des maîtres impitoyables ". » En hiver, on n'attendait même pas l'aube trop lente à se montrer. Il faisait encore nuit, le coq ne chantait pas ", le forgeron et le cardeur de laine reposaient'', que déjà élèves et insti tuteur étaient à leur poste,. On lisait., on comptait à haute voix. Le bruit de ce travail matinal venait réveiller le paresseux Martial, et, c'était un des inconvénients qui rendaient au poète le séjour de Rome insupportableie, Les exercices scolaires se poursuivaient ensuite pendant toute la matinée jusqu'aux environs de midi. L'enfant. rentrait alors chez lui pour prendre son repas; puis il retournait à l'école". Il y. passait donc beaucoup de temps. Seulement il faut savoir que toutes ces heures n'étaient pas ce que nous appelons des heures de classe; il y avait aussi dans le nombre des heures d'étude, c'est-à-dire que, après leçon du maître, l'élève faisait les devoirs écrits qui lui étaient proposés, et cette variété même d'exercices lui était déjà un certain délassement : il se reposait 'l'une occupation par l'autre. Mais il trouvait un repos plus réel, celui des vacances, Car si chaque journée d'école était bien emplis', l'école ne réclamait pas l'enfant tous les jours de l'année ; loin de là, Les vacances étaient même plus nombreuses alors, ou du moins plus longues, que de notre temps. 11 y avait d'abord la grande période annuelle de congés qui correspondait aux fortes chaleurs de l'été. La fièvre était meurtrière pour les enfants", et Martial disait avec raison : Ils apprennent assez pendant l'été, s'ils se portent bien'. n Chacun était de son avis. Du reste, Rome était à ce moment désertée par tous ceux qui pouvaient échapper à, ses miasmes. Le Sénat ne tenait presque plais séance, les tribunaux vaquaient tout à fait n. Il allait de soi que les écoles aussi fussent fermées. Combien de temps se prolongeaient les vacances? Du là juin au 15 octobre, croit-on d'ordinaire21, et l'on s'appuie sur un vers d'Ilorace : (pueri) Punit (adonis referentes Minus (lem", où le satirique semble indiquer en effet lotit. mois comme étant la durée des études annuelles. Mais l'interprétation du passage a été contestée". Les scholiastes lisent octonis.., devis (avec tisses sous-entendu) et non octonis... aera, Dès lors il ne s'agirait plus de, huit mais de paiement dus à l'instituteur, mais de huit as, rétribution mensuelle apportée par les enfants. D'autre part, un passage de Martial permet de, conclure qu'en juillet le 'udiana,gister n'avait pas encore donné la liberté à ses élèves", Les vacances, dans cette hypothèse qui est le plus vraisemblable, auraient donc été de trois, mois au lieu de quatre. C'était déjà une assez belle période de répit ce n'était pas la seule, Aux Saturnales (17 décembre)" auxQuinqua.tries (19 mars)", aux sept fêtes ordinaires (féries romaines, féries plébéiennes, féries de fa Mère des Dieux Idéenne, de Cérès, d'Apollon, de Flore et de la Victoire 29), les écoles chômaient, et pendant plusieurs jours. Ajoutez chaque semaine le jour du marché ou 1Vueldines, jour de liesse 30 et de congé pour les enfants n. Ajoutez les fêtes extraordinaires, les jeux publics, jeu du cirque et de l'amphithéâtre 32, représentations théâtraies 33, Songez encore que le nombre des fêtes et la. LUD 138!t LUD durée de chacune d'elles s'accrut prodigieusement au cours de l'Empire et finit par encombrer le calendrier, à ce point que Marc-Aurèle fut obligé d'ordonner que les jours fériés ne pourraient pas dépasser le total de cent trentecinq'. On croira sans peine que les cent trente-cinq jours fériés n'étaient pas tous des jours de vacances pour les écoliers. Mais il y en avait assurément beaucoup. « Je ne veux pas, écrivait Sénèque, que l'on soit toujours penché sur un livre ou sur des tablettes.' » Le conseil du philosophe était bien suivi, comme on voit. Pour tout ce qui regarde les trois ordres d'enseignement, les matières d'études, les exercices des élèves, devoirs oraux et écrits, nous renvoyons à l'article EDUCATIO. II. LUDIMAG15TEH, maître d'école. C'est le maître indispensable, celui qui apprend à lire, écrire et compter', qui donne des connaissances modestes, mais utiles entre toutes. Il correspond à notre instituteur primaire. Du reste, il porte, lui aussi, le nom de premier maître (primus magister) w. On l'appelle encore (les appellations sont nombreuses et celle-ci est plus archaïque, il est vrai 2) le lilterator 6, le maître qui enseigne les lettres de l'alphabet. Enfin, dans une ville qui a subi autant que Rome l'influence hellénique, comment le terme grec grammatista n'aurait-il pas été employé'? I1 le fut, moins souvent toutefois. En principe, c'était le père de famille lui-même qui servait d'instituteur : suus cuique parens pro magisteo'. Le vieux Caton restait donc fidèle à la coutume des ancêtres, au mos majorum, en donnant, lui seul, des leçons à son fils'. Bientôt tous les pères ou ne voulurent plus se charger de ce soin, ou ne le pûrent, à cause des exigences sans cesse accrues de la vie politique. Ce fut un esclave lettré (litteratus ) ou le PAEDAGOGUS qui remplit alors les fonctions de maître élémentaire"; et jusqu'à la fin de l'Empire cet usage persista dans la plupart des maisons riches. Mais les familles riches sont l'exception. Les gens de médiocre fortune et les pauvres, qui forment la grande masse du peuple, sentirent le besoin de confier leurs enfants à des maîtres dont chacun grouperait autour de lui un certain nombre d'élèves en vue d'un enseignement public. Les écoles furent créées, et le ludiuiagister apparut. A quelle époque ? Il est impossible de le dire, mais l'institution doit remonter assez haut. Sans ajouter foi au récit de Plutarque qui nous parle d'une école de Gabies fréquentée par Romulus et Rémus", il faut bien admettre pourtant que, dès le ve siècle avant notre ère, des maîtres élémentaires enseignaient parmi les boutiques du Forum. L'histoire de Virginie est là pour le prouver " 2 : elle se rendait précisément à l'école quand Appius Claudius la rencontra et conçut pour elle la violente passion que l'on sait. Un peu plus tard, au temps de Camille, nous trouvons aussi des maîtres instruisant la jeunesse de Faléries13 et de Tusculum" : je rappelle seulement pour mémoire la trahison bien connue de celui des Falisques. De ces faits il y a deux conclusions à tirer : l'enseignement était commun aux deux sexes, ce qu'il semble être resté, même sous l'Empire, dans les écoles du premier degré 13, et d'autre part cette instruction primaire fut de bonne heure assez répandue, puisque au début du Iv' siècle elle était chose usuelle dans de petites villes étrusques et latines. Naturellement les écoles, dans la suite, se multiplièrent encore, et les ludimagistri devinrent de plus en plus nombreux. Il ne faudrait donc pas croire que, sous le rapport de la lecture, de l'écriture et du calcul, l'antiquité fût restée très en arrière de la civilisation moderne, et M. Mommsen proteste avec raison contre ce préjugé10. Un détail, petit en apparence, mais qui a ici une très grande valeur, prouve l'étonnante diffusion des connaissances élémentaires jusque dans les basses classes de la société : le mot d'ordre à l'armée, et cela dès l'époque de Polybe, au lieu d'être donné de vive voix, était écrit sur des tablettes qui passaient de rang en rang17 ; il fallait donc que chacun fût capable de le lire. On s'explique alors comment tant d'affiches couvraient les murs des rues de Pompéi, comment tant d'inscriptions gravées sur les ruines révèlent, par leur grossièreté même, une main populaire. En réalité, il devait y avoir fort peu d'illettrés dans l'Empire. Au fur et à mesure que les légions faisaient des conquêtes, l'instruction romaine pénétrait à leur suite. Un ludimagister s'installait et ouvrait une école. Il en ouvrait non seulement dans les villes ou les villages anciens, mais partout où se formait quelque nouvelle agglomération d'habitants. Ainsi, en Portugal, des mines étaient exploitées dans la région montagneuse d'Aljustrel ; une table de bronze qu'on y a découverte signale, parmi d'autres marchands que les ouvriers attiraient, la présence de plusieurs instituteurs 18. Et notez que l'État ne se mêlait en rien de l'enseignement, surtout de l'enseignement primaire, ne s'occupait pas d'en favoriser l'essor, de soutenir les maîtres, d'encourager les parents : il s'en remettait à l'initiative individuelle. Il fallait que l'ardeur de savoir fût bien forte pour avoir développé ainsi l'instraction. Mais cette instruction, on ne pouvait s'en passer dans l'usage de la vie. Et le sens pratique des Romains, le goût de l'utile, qui leur a fait faire tant d'autres bonnes choses, les a, une fois de plus, bien servis : il leur a permis de suppléer à l'intervention du gouvernement. Ces maîtres si nécessaires n'étaient pourtant pas estimés. 11 s'attachait d'abord à eux cette défaveur qui enveloppait d'une façon générale les fonctions rétribuées : ils enseignaient pour de l'argent. Sous quelle forme ils recevaient ce salaire, nous le verrons tout à l'heure. Mais tout salaire, quel qu'il fût, était dégradant aux yeux des Romains et leur semblait « un gage de servitude" On sait combien ils méprisaient le commerce et l'industrie. « Une boutique, disait Cicéron, ne peut rien avoir d'honorable''. » Or une école est une boutique comme les autres, dès qu'on y paye la marchandise ; elle a droit aux mêmes dédains. Et Sénèque, après Cicéron, refusait de mettre la profession d'enseigner au rang des professions libérales, de celles qui conviennent à l'homme libre 21 De plus, le ludimagister était toujours d'humble condition, étranger la plupart du temps ou affranchi". Sans doute le grammaticus était, lui aussi, souvent un ancien esclave20; lui aussi avait à souffrir du LUD 1385 LUD mépris des Romains pour tout métier rémunéré. Encore y a-t-il des degrés dans le peu d'estime que l'on fait des gens. Les grammairiens, malgré tout et par suite de leur enseignement plus élevé, arrivaient à un certain renom'. Mais le pauvre ludimagister, qui n'avait à transmettre que d'humbles connaissances, restait dans son obscurité. Junius Othon devenu sénateur est un exemple unique'; il profita d'un caprice de Séjan et de Tibère, caprice qui ne fut point heureux, car l'ancien maître d'école, grisé par le succès, usa mal de sa nouvelle fortune. Quant aux autres, ils étaient maintenus par l'usage et la loi dans un rang très inférieur à celui des grammatici et des rlletores ; ils ne pouvaient prendre le titre de professeur réservé aux maîtres de grammaire et de rhétorique; le code est formel à cet égard'. Cela seul déjà créait, à leur détriment, une inégalité fâcheuse. Ajoutez qu'ils étaient beaucoup moins payés. Ce n'est pas à dire que leurs confrères des classes supérieures fussent dans une situation financière toujours brillante. On connaît les doléances de Juvénal sur la misère des gens de lettres et des professeurs'. Mais le satirique semble avoir exagéré. Les faits que M. Jullien a rassemblés conduisent à une conclusion assez différente 6. Bien souvent, si le grammairien se trouvait dans la gêne, il n'avait à s'en prendre qu'à lui-même et à sa façon de se conduire. Le maitre d'école, au contraire, a beau s'évertuer : il est pauvre. Son métier ne lui suffit pas pour vivre. Il cherche au dehors des ressources accessoires. 11 fait, par exemple, comme cet instituteur de Capoue, Philocalus, dont on a retrouvé la tombe il y a quelques années, et qui se vante dans les vers de son épitaphe d'avoir écrit des testaments avec probité'. Cette petite industrie jointe à sa profession lui a permis à sa mort d'orner d'un bas-relief son monument funéraire. D'après Plutarque, ce serait assez tard seulement que les maîtres auraient pris l'habitude d'enseigner pour un salaire, et le premier qui tint à Rome « une boutique (l'instruction payante » aurait été Spurius Carvilius, l'affranchi de ce Carvilius, consul en 235 av. J.-C., « qui donna l'exemple du divorce ' ». Jusque-là les écoles, qui existaient déjà nombreuses, comme le montrent les récits de Tite-Live a, auraient donc été gratuites. La chose est peu vraisemblable en elle-même, et encore moins conforme au caractère intéressé des Romains.I1 faut entendre par le texte de Plutarque que Carvilius fut le premier à ne pas craindre de demander ouvertement pour ses leçons une rétribution fixe. Personnage plus important que ses prédécesseurs, protégé par un puissant patron, le consul, qui avait été son élève, il put braver un préjugé contre lequel, sans doute, on n'avait pas encore osé s'élever. Soyons assurés cependant que d'une manière détournée les autres, avant lui, recevaient aussi un salaire. La gratuité était apparente, ce qui sauvegardait le principe, et sous forme de cadeaux, la reconnaissance des familles trouvait moyen de s'exercer. Ces présents étaient apportés par les élèves à certaines dates, notamment aux fêtes de Minerve, la protectrice des arts et la patronne des écoles (Minervale munus, le 19 mars) °, à celles de Saturne (sportula Saturnalicia, le 17 décembre), du 1°" janvier (strena calendaria)10, de la cara cognatio (22 février)", du septimontium12. En quoi consistaient-ils? Étaient-ils en argent ou en nature ? Nous ne saurions le dire. Mais Carvilius jugea prudent de ne pas compter uniquement sur la générosité des pères; comme son école très fréquentée attirait plus d'enfants qu'il ne voulait, il put imposer ses conditions et convertit en appointements fixes ce qui jusqu'alors était, en somme, toujours aléatoire. On s'empressa naturellement de suivre cet exemple et d'étendre cet usage. Les présents n'en furent pas supprimés pour cela; ils subsistèrent, bien qu'ils n'eussent plus la même raison d'être : au Ive siècle après J.-C., saint Jérôme les mentionne encore 13. 11 semblerait donc que les maîtres ne fussent pas trop à plaindre. Mais, d'abord, les cadeaux se réduisaient évidemment, surtout dans les écoles primaires, à fort peu de chose. Et quant au salaire que l'usage avait établi, jamais la loi ne le reconnut, fidèle aux traditions des anciens temps où la gratuité était de règle. Même à la fin de l'Empire, il était interdit de poursuivre en justice les élèves qui ne payaient pas". Aussi l'on peut croire qu'un certain nombre d'entre eux, à la conscience large, ne se faisaient pas faute de manquer aux engagements pris envers le maître. Quels étaient ces engagements? Le père qui voulait envoyer son enfant à l'école s'entendait avec l'instituteur sur le chiffre de la rétribution. Ainsi faisait-on, du reste, à tous les degrés de l'enseignement. Seulement, tandis que le grammaticus touchait le montant de la somme en une seule fois", au mois de mars qui ouvrait l'ancienne année romaine1", le primus magister recevait ce qui lui était dû tous les mois à la date des ides ". Mais un élève avait-il été absent pendant un mois, ses parents saisissaient aussitôt l'occasion de ne rien payer. Ils ne payaient pas non plus pendant les vacances, qui duraient trois, peut-être quatre mois, du '15 juillet ou du 15 juin au 15 octobre'°. La morte-saison était donc assez longue. C'est alors que le besoin de ces petits métiers accessoires dont j'ai parlé plus haut devait surtout se faire sentir. Pauvres diables sous la République, les maîtres élémentaires le restèrent encore sous l'Empire, même en des temps devenus meilleurs pour les instituteurs de la jeunesse. Les empereurs eurent un réel souci de venir en aide à l'enseignement national. Droit de cité, exemptions de charges, immunités, salaires fixes, de Jules César à Constantin ces différents privilèges furent successivement accordés ou maintenus19. Mais qui en jouissait? Ceux qu'on appelait du titre de professores, les grammairiens et les rhéteurs. Les ludimagistri n'étaient pas admis à y participer. Cependant le prince a parfois pitié d'eux et recommande aux gouverneurs de provinces de veiller, par humanité,à ce qu'ils ne soient pas accablés d'impôts trop lourds. Recommandation assez vague, comme on voit, et qui peut. être appliquée très diversement. Un document des derniers temps de l'Empire, l'édit de Dioclétien sur le maximum (301 ap. J.-C.), ne permet pas au magister institutor litterarum de réclamer plus de 50 deniers par mois pour chaque enfant90. On LITS -1386 L.UN ne sonnai; pas la valeur exacte du denier de Dioctétien ; niais elle était: certainement beaucoup moindre. qu'aux époques antérieures; on l'estime au huitième de la valeur ancienne, qui était de 10 as. En tout cas, ce qu'il faut relever dans l"édit c'est que le litterator y est le phis ciel rétribué de tous les maîtres; non seulement il reçoit, pas autant que le grammaticus greec ts sine lutinas et que le ,geemetres t, mais il est moins bien traité qu'un autre maître, élémentaire lui aussi, 1.e maître de calcul 'culator), lequel touche Ti deniers 2. Peu. ye peu estimé dans l'opinion publique, le ludi mtif ail encore peu aimé de ses élèves. Il n'avait mérite lies cette consolation que des ni_ifres obscurs trouvent souvent dans leurs humbles fonctions, l'affection du petit monde uu'ils instruisent. Ce n'est pas assez de dire qu'il était peu aimé, si l'on en croit Martial, il était détesté'. I1 est très vrai que les enfants, le plus souvent, ont tout d'abord une certaine répugnance à. l'endroit du travail et de celui qui les fait travailler. Mais le litterator ne tachait guère de vaincre cette répugnance et de se rendre aimable. Au contraire il était dur, exerçait. avec une rigueur impitoyable cette discipline dont on a vu les terribles instruments, et par sa violence devenait encore plus un objet d'horreur. Bien que le ,grauanaaticus eût un droit égal à. user des cliatiments corporels, il est à croire qu'il y recourait moins fréquemment. On cite toujours Orbilius et la. terreur qu'il inspirait par sa férule ; mais cela même prouve, sinon. qu'il. était une exception, du moins qu'il ira 1 art sa rudesse sur les habitudes, plus douces en gér,,' , des autres grarnmaiici. Comme dit très bien M.juil' a, il. aurait soulevé moins de colères, si tous ses collègues avaient été aussi brutaux que lui ». Le âactlru agister, sorti du peuple et resté peuple davantage, moins délicat, ne craignait pas d'employer tous les moyens dont farinait la sévérité des meurs romaines. Et avec tout, cela ces maîtres exécrés, cos hommes à l'existence misérable, en répandant partout l'instruction, ont rendu de grands services à, leur pays. Envisagés de la sorte, dans les résultats de leur Miche, ils se relèvent, font meilleure figure, et nous pouvons terminer sur une u moins défavorable. L'individu est peu de ,ouvre collective a été belle. EDMOND COLIRBAUG. LUDUS TROJAE i[TROJAI TUISLC]. LUN.. GRÈCE. --L'astre ou fa déesse ont pour nom grec tantôt M-iw-y, tantôt user à. Le premier, qui parait le plus ancien et qu'on trouve surtout chez les poètes, vient d'une racine me=mesurer (skr. nid) qui se retrouve dans M ,i (thème g+vq-, ion. p,Eic), mois. plus fréquent surtout en prose, a la même racine que eiànç, Mat, et ae(p ou c€(ptoç, soleil t. Cette divinité paraît n'avoir tenu dans les préoccupations religieuses des Grecs qu'une place d'arrière-plan. Tandis qu'Artémis ajoute à son origine lunaire une légende curieusement élaborée [MANA, II, p. 130-134], Sélènè n'a guère d'histoire; c'est la planète satellite sous les traits d'une femme, Ceux-là ont 200 deniers par mois. 2 fie notarius ou sténographe reçoit ég:entent 75 deniers; maison peut eonsidérer ce qu'il enseigne comme étant déjà d'une spécialité plus relevée. Pour être juste, ajoutons que le ealculator lui-même méritait d'étro un pure miens payé que le litterator, en raison de la complication et de la difficulté assez grandes que présentait chez les Romains le système de numération. 3 Mart. IX, 68; XCC, 57, 4-'1, t Jullien, Op. 1. p. 193-194. Rceccocaaruce. mais sans personnalité humaine très marquée. Dans les poèmes proprement homériques, il ne semble pas que la Lune soit jamais divinisée'. Elle n'y est qu'un corps céleste. C'est ainsi, dans sa plénitude (rrX Ooûaa), mais sans personnification aucune, qu'lléphaistos la figure parmi d'autres astres sur le bouclier qu'il forge 3. C'est sous la forme du simple croissant qu'on la voit sur des bijoux mycéniens, notamment sur une bague «fig. 4049) ; de mime àlasurface d'un cylindrereprésen tant le ciel porté par Hercule, sur un lécythe à figures noires d'erétrie' (fig. 4630). Cela n'empêche pas de croire que la lune n'ait été très anciennement déifiée. D'abord elle attire l'attention religieuse de tout peuple enclin à diviniser la nattue. 1 i.. 46[;0. Hercule pue tant fe ciel. Puis nous voyons qu'on lui consacrait des grottes en Arcadie avant qu'on erlt commencé à batir des temples a. Et l'Athénien des Lois de Platon, parlant de ces vieilles croyances transmises par les mères et les nourrices, qu'on cherchait à ébranler de son temps, mentionne avant tout la divinité de la Lune et d'autres corps célestes '. Il n'est guère douteux qu'au temps des Pélasges on ait adoré Sélènè'. Pourtant c'est autour d'Artémis comme d'Apollon que les mythes à signification morale ont poussé leur floraison. Cette déesse à triple forme [HrcArE, p. 44 et suiv.) a non pas absorbé tout à fait, mais en un sens enclavé, dépassé Sélènè-Mènè qui dans les conceptions poétiques, dans les théogonies et dans l'art ne fait que suivre, et de loin, les destinées de son frère Hélios [su]. Paris, 9885; G. Roissier, La fin du paganisme, Paris, 1891, t.l,livr. Il, ch. i; Mommsen et Marquardt, Vie privée des Romains (trad. V, Henry), t. 1, chap. LIINA. 1 G. Curtius, Grund ange, n°' 471 et G59-663; Bergaigne, Religion védique, 0'45. 4 Sehlieucann, mgrèncs, fig. 530, p. 437 ; Areh. Zeit. 1883, p. 250 (Milohh6fer). G Jour, helt shed. Xlll, 189E, pi. HI; cf. fig. 587 et 588 tassnononnai. 6 Porph. De antr. nymph. JO ; i.senee, Rhein. Museum, 1868, p. 341. I Plat. Le,y.8 21 b, 886 d, 887 d. Il en parte encore comme d'une religion antique LUN g--1387 --a LUN L Sél=lné-Mèné dans la poésie. -° Quand les poètes font allusion à son char, ce n'est souvent qu'une façon métaphorique de caractériser l'orbe lunaire roulant à travers les cieux'. Quand ils précisent et détaillent la description, comme dans l'Hymne homérique où la splendeur de la Lune en sonplein est associée à la vision saisissante de chevaux à la brillante crinière émergeant de l'Océan 2, on peut voir là l'idée de donner un pendant au char d'Hélios 3. Dans ce même hymne, les ailes qu'une épithète semble attribuer à Sélènè, et qu'on ne retrouve nulle part ailleurs, ne sont pas autre chose qu'une allusion à la rapidité de son évolution'. Son caractère de beauté féminine à laquelle on compare, pour la louer, celle des mortelles ou même des déesses', sa couronne de rayons, même ses vêtements éclatants de blancheur' sont simplement des images du phénomène physique. L'ail grand ouvert et qui voit tout, c'est à la fois le disque lumineux et l'impression que la Lune assiste en même temps à tous les spectacles terrestres ; on trouve les mêmes qualifications appliquées au Soleil'. Cet oeil est parfois !'oeil d'une génisse 8, et à ce trait s'associe clans une poésie déjà tardive l'idée de cornes d'ailleurs suggérée par les arts plastiques (voir ~ II). Une sorte de contagion verbale créant une confusion fera même de la déesse une génisse [io, p.568], ou attellera des taureaux à son char ". Dans Hésiode, Sélènè-Mènè est fille d'llypérion et de Théia, sans doute parce qu'llypérion est père aussi d'llélios1°. Dans un hymne homérique elle a pour père l'allante (peut-être le héros éponyme de Pallantion en Arcadie); dans les tragiques elle est non plus soeur, mais fille d'Hélios 12. Les vers 14-17 de l'Hymne homérique à Sélènè i3 disent qu'aimée de Zeus elle en a eu Pandia, légende dont nous ne voyons aucune autre mention ancienne, mais d'où Aug. Mommsen conclut que la frite athénienne dite Pandia pourrait se rapporter à cette fille de la Lune 1". Un vers du poète Alcman dit que la rosée, hersa, est fille de Zeus et de la Lune 1', mais, comme Macrobe l'a déjà remarqué ", c'est la simple énonciation poétique d'un phénomène naturel : l'air frais de la nuit condensant la rosée. La légende de Sélènè, aimée de Pan a un peu plus de consistance, bien que seul Virgile nous la fasse eounaitrc d'après Nicandre de Colophon 11. Le dieu aux pieds de bouc séduit la Lune par la blancheur des brebis ou des toisons qu'il lui offre (ou en se transformant en bouc) et l'entraîne dans les profondeurs de la forêt. Simple interprétation poétique d'un spectacle nocturne familier aux pâtres, quand les dos de leurs mou tons paraissent éclairés d'une blancheur éclatante. Nous retrouverons cette légende traduite par la plastique dans une curieuse scène d'6vxotoÂ66gJ.oç (voir plus loin, p.'1389), Quant au célèbre mythe d'Endymion, il est, en ce qui concerne Sélènè, d'origine récente. Avant l'époque alexandrine, Endymion n'est qu'un berger ou bien un fils du roi d'Élide endormi dans une grotte du mont Latmos48, personnification du sommeil, du repos perpétuel (et, selon quelques-uns, de la mort). Ainsi en parlent Hésiode, Platon et Aristote, les seuls parmi les écrivains un peu anciens qui le nomment 19. Mais, dès qu'une personnification du sommeil était créée, elle devait nécessairement se rencontrer et s'unir en une légende avec celle de la Lune. De là Sélènè, amoureuse d'Endymion, se glissant dans la caverne où il dort pour t'embrasser20 et, quand j on complique les choses, obtenant des dieux son sommeil prolongé pour le contempler à son aise 2S, puis ayant de lui cinquante enfants (qui, selon Boeckh ", sont les cinquante lunaisons d'une période olympique). C'est encore un effet pittoresque traduit d'abord sous forme dramatique et simple, puis surchargé d'éléments nouveaux c'est la douceur avec laquelle les rayons lunaires caressent un corps nu'". Toutes ces indications nous montrent que les Grecs avaient le sentiment d'une Sélènè distincte d'Artémis,la vierge lunaire et chasseresse, sans que la distinction fût absolument tranchée dans le langage. Différents textes disent bien qu'Artémis est aussi la Lunel` ; aucun, que la Lune n'est autre qu'Artémis ou même qullécate. Devenue une des trois personnes de la trinité artémidienne, elle est restée quelque chose d'autre, a gardé sa personnalité astrale. Dans les mêmes passages, concurremment Artémis et Sélènè sont nommées et pas du tout comme les deux noms d'une même divinité. Dans Flésiode ', les Muses invoquent d'abord Artémis parmi les dix grands dieux olympiens, puis, quatre vers plus loin, Sélènè la brillante, parmi les dieux de lumière, avant les dieux chthoniens. L'amante délaissée de Théocrite" s'adresse successivement à Sélènè la paisible qui reçoit ses confidences et la protégera, puis à la souterraine Hécate, à la puissante Artémis qui frapperont son amant. On pensait à Sélènè vaguement femme, toujours calme et débonnaire, sans la mêler nécessairement à la faro nette et bondissante Artémis. Pendant que le mythe de celle ci se développait et suivait son cours, celui de Sélènè était toujours recommencé et renouvelé par la simple contemplation du phénomène astral. LUN 1388 -LUN II. Sétif né dans l'art. Ces esquisses des poètes ne paraissent pas avoir expressément servi de donnes à l'art. H a. plutôt suivi des voies indépendantes. Sur l'agora d'Élis, la statue de la déesse ayant, selon Pausanias, des cornes, c'est-à-dire un croissant sur la tête, était vis-à-vis celle d'Hélios'. Cette statue est sans doute le plus ancien des souvenirs artistiques relatifs à la. déesse. Bientôt deux types différents de représentations se sont créés : probablement la peinture les a préparés à la sculpture. Le premier, c'est Sélènè sur un char à deux chevaux, tandis qu'ordinairement celui d'Hélios en a quatre. Nous la trouvons ainsi sur deux coupes du commencement du ve siècle, la tête surmontée d'un disque ou globe qui la désigne et conduite par deux chevaux ailés qui se présentent de face. Dans la première des deux, à figure noire et de style sévère 2, le haut du char seul est visible, s'avançant sous des branchages qui figurent conventionnellement le jardin des Hespérides et ses fruits. Dans la seconde, qui est à figures rouges, le détail est d'une remarquable élégance, l'ensemble singulier et séduisant '«fig. 4651). Il est possible que le char de la déesse ait figuré au fronton ouest du Théséion. Du moins les traces des scellements laissées sur les marbres semblent l'indiquer 4. En ce qui concerne le fronton oriental du Parthénon, la chose ne fait aucun doute. Il semble que c'était une tradition de la peinture, acceptée par Phidias, de figurer les dieux de lumière en pendant de part et d'autre de diverses scènes divines 5. Au Parthénon la naissance d'Athéné était encadrée entre le Soleil et la Lune qui représentaient la nature entière témoin de ce prodige. Il paraît établi, par les traces visibles sur le fond encore en place du fronton, que du côté opposé à celui d'Hélios'il y avait deux chevaux, d'où il suit que Sélènè était sur un char (Le torse de fa (léesse, beau morceau très mutilé, retrouvé en 1810, est au Musée de l'Acropole à Athènes.) Enfile un vase de la tiü du ve siècle reproduit les deux chevaux ailés. Éos ailée y est près de Sélènè, sur un char semblable'. Mais, ni dans les rep•esentatious décrites ci-dessus, ni dans la série qui suivra, Sélènè n'a d'ailes. Cela ferait disparate avec l'allure calme de ses chevaux qui ordinairement redescendent vers l'Océan, tandis que ceux d'Hélios en sortent. Un second type,plus original peut-être en sa simplicité, était déjà_ créé depuis longtemps et avait i'te adopté par Phidias. La large base sur laquelle reposait le trône de son Zeus d'Olympie était revêtue d'un relief représentant un groupe important de dieux et de déesses, encadré par hélios et Sélènè. Or, tandis que le dieu conduisait un char, la déesse chevauchait ; peut-être même elle montait mie simple mule, et Pausanias ajoute qu'on contait, à ce sujet une histoire trop ridicule pour être rapportée'. Aucune indication de la poésie ne paraît avoir préparé cette conception de Sélènè équestre; dans l'art même, les représentations de femmes à cheval sont rares '. Sur un vase de très beau style, le long d'une sorte d'arc-enciel, Sélènè descend sur un cheval magnifique.et à vives allures et, à l'autre extrémité, le char d'Hélios monte au-dessus d'une Gigantomachie 10. Ailleurs l'aspect est quelque peu différent : les dieux de lumière ne sont plus figurés seulement pour encadrer une autre scène et en fixer l'heure ou le théâtre, mais pour eux-mêmes ; le plus souvent, le spectacle offert est un lever de soleil et la déesse, enveloppée d'un himation talaire, pieds nus, sur un cheval d'allure calme, s'en va, précédant l'Aurore qui arrive Une main tient les rênes ou s'appuie sur l'encolure, l'autre sur la croupe du cheval, accompagnant la direction de la tête qui se retourne par un mouvement de curiosité ou de regret vers l'apparition qui la suit. Nous la voyons ainsi, modeste et peut-être attristée, s'enfonçant derrière un coteau à la gauche d'une très belle composition (vase dit de Blacas) reproduite dans l'article AURORA (fig. 666) " ; sur le couvercle d'une pyxis son 6 sur un vase apulien de Naples. Puis les répliques prennent, dans la plastique, des caractères originaux, si c'est bien Sélènè qu'on voit près d'un cheval qu'elle va monter ', et entre un cheval et un chien 3. C'est elle assurément qui figure àl'extrémité d'une Gigantomachie sur la frise de Pergame (fig. 4654). La déesse, assise sur une mule où une peau LUN 1389 LUN attique de la fin du v° siècle (fig. 4650), qui représente les trois divinités de lumière au lever du soleil' ; sur un vase à figures rouges du British Museum2 qui pourrait être de la mème fabrique que le précédent; sur une eenochoé de Florence où elle apparaît plus simple et plus réservée encore ; par un mouvement qui va bien avec son attitude résignée, son cheval allonge la tête vers la terre 3. Il semble que les artistes aient voulu montrer la différence d'éclat avec le soleil, atténuer comme il convenait la ressemblance d'une déesse plus modestement lumineuse. C'est la personnification d'une douceur tranquille. A côté d'une figure éclatante,c'est une figure de parfaite simplicité. L'énumération complète des vases ottl'on trouve ce type de représenta tion ne saurait trouver place ici. Nous devons pourtant men tionner deux beaux vases de bonne époque au Musée de l'Ermitage', l'un où Sélènè à cheval est précédée du génie Phosphoros et un autre où Sélènè à cheval monte tandis que le char d'Hélios descend, au-dessus d'une scène bachique (fig. 4653). La déesse, assise de côté, a tout le buste découvert; son himation, décrit, en s'envolant, un demi-cercle derrière les épaules ; à côté, un disque où est enfermé un profil de buste féminin, le tout figurant la pleine lune et sa splendeur. C'est encore sous l'aspect d'une cavalière presque fringante avec le voile envolé en demi-cercle que Sélènè précède le char d'Hélios a ou celui de Médée de bête lui sert de housse, est vue de dos, mais son visage sérieux et doua (malgré la mutilation), tourné du côté où sa course l'emporte, s'offre de profil; l'extrémité de l'himation s'envole en arrière. Aucun attribut ne surcharge cette figure traitée dans une manière large et souple. Quelquefois, à côté de la figure, des étoiles sont répandues dans le champ pour suggérer l'idée du ciel t0. La tête de la déesse est parfois ceinte d'une couronne radiée Plus souvent elle supporte un cercle ou un demi-cercle '2 qui désigne l'astre même et qu'on a vu aussi, plus haut, figurer dans le champ. A ces simples traits se réduit la conception vraiment hellénique de Sélènè. Ce n'est pas la vierge svelte et marchant à grands pas qu'est Artémis ; c'est une femme aux formes plus pleines , toute vêtue, d'ordinaire, avec un voile mais qui presque toujours dégage la tête, divinité pa cifique f3 et bienveillante, 7pdipptov simple 15, aimable, îÀaeipa, et rassurante 16 La période hellénistico-romaine a un peu compliqué les choses. Lareprésentation de Sélènè y a emprunté différents traits d'Artémis; il ne sera plus aisé de distinguer les deux types divins. Dès l'époque grecque un croissant était parfois placé dans les cheveux ou à côté de Sélènè (statue d'Élis et oenochoé de Florence). Plus tard une très ingénieuse création de l'art a gracieusement adapté le croissant aux épaules [DIANA, fig. 2353-2357] et on peut indifféremment rapporter à Artémis ou à Sélènè ce type de figures qui reproduit peut-être, avec un sens esthétique très supérieur, la représentation habituelle du dieu Mèn en Asie Mineure [Luxes]. Plus tard, on mit toujours un croissant sur la tête de la déesse f7, même désignée déjà par quelque autre symbole. Et, l'idée des cornes du croissant s'étant curieusement associée à celle de la monture ou de l'attelage, on a représenté Sélènè montée sur un bouc ou une génisse ou sur un char traîné par des génisses ou des taureaux u. Ilestmême arrivé qu'on a remis un croissant entre les cornes du taureau 10. Il est possible qu'en ceci Artémis réagisse sur Sélènè par la confusion tirée du mot Taueo7cdaoç (Artémis de Tauride). L'idée de la déesse emportée par un bouc peut avoir été pour quelque chose non pas dans la légende, mais dans la représentation de Sélènè séduite par Pan. En effet, un couvercle de miroir Fig. 4655. Putiet Sélènô venant de Corinthe 20 représente un être humain à pieds de bouc, barbu, portant une femme à grand voile, qui a le genou placé dans les mains de V. 175 LUN 1 390 LITN son porteur unies derrière son dos, et qui, de ses dix doigts, se tient fortement à son front. Devant le couple vole le génie Phosptioros, une. torche allumée à la main. II semble qu'on doive voir Ià. Pan qui enlève Sélènè consentante. Sur une monnaie de Patras i, Pan tenant un Iodobo/e't r'ED7Si, est debout devant Sélènè à, cheval 4633). Le char, un bige d'ordinaire, rarement un quadrige, reparaît plus fréquemment que la simple cavale de l'époque grecque, mais les chevaux n'en sont. plus jamais ailés. Le contraste du bige donné à la. déesse avec le quadrige triomphal d'hélios est bien marqué sur une agrafe dargent trouvée à Herculanum 2, De plus, dans les re présentations qui groupent les diver ses divinités de la lumière. Sélènè a toujours une place très importante et elle rejette Éos à l'arrière-plan. Elle hérite des deux tor ches aux mains ou de la. torche uni que a que tenait en gourant l'Artémis lunaire sous sa forme propre ou e. sous celle d'Hécate [ar,cA'rEl. Ce qui est tout à fait propre à Sélènè et d'origine assez ancienne, c'est le voile ou l'écharpe (c'était d'abord 1'13imation) envolé en demi-cercle autour de latéte.Roseber y voit l'interprétation du halo qui entoure parfois la Lune° et non, ce qui est pourtant plus simple, l'effet du vent, pendant une course rapide, sur un voile retenu aux deux extrémités par les bras. A l'époque romaine, nous trouverons, par exemple dans le sarcophage d'Endymion et le diptyque du Musée de SensO ;tig. 46M(I), tous les éléments réunis en une surcharge bi"n éloignée de la sirnplii'ite grecque : ehar, taureaux, croissant, torches et voile tout ensemble. HI. Culte de pli aè-Selèltë. Probablement parce que parmi les cultes grecs celui de Sélènè était un des plus anciens, nous le trouvons assez faiblement constitué en Grèce à l'époque qui nous est connue, D'antres plus nouveaux l'avaient plus ou moins remplace ; i1 n'en restait que des souvenirs et des traces éparses. On retrouvera quelques-uns de ces rites 7 à propos du Soleil [soli], car i1 semble Inc iles deus cultes allaient à peu près de pair. Ce sont des salutations àdes moments choisis, des prières et invocations trois fois répétées à voix haute', des age nouillements et des prosternements 0, enfin des sacre 'i' . et Mis fêtes, dont Platon parle plutôt comme d'un rouir qui s'imposerait aux âmes pieuses que comme d'un usage généralement suivi f0. Une inscription tardive nous parle d'un prêtre de Zeus Poulains à Gyth éon qui l'était à la fois de Sélènè, d'Hélios, d'Asclépios, d'Hygie Nous trouvons à Épidaure un autel en marbre de la déesse et, dans les mystères d'Éleusis, tandis qu'un prêtre porteur de torche figurait le Soleil, un autre, près de l'autel, représentait la Lune 13. Mais Sélènè était plutôt, à l'époque que nous connaissons, l'objet de dévotions discrètes et personnelles que d'un. culte public. Pindare 14, dans des vers aujourd'hui perclus, disait qu'elle était invoquée par les amantes, tandis que les amants s'adressaient à Hélios. Nous avons-vu dans Théocrite une femme abandonnée la prendre pour confidente et pour complice; Phèdre l'implorait dans l"litx.o),GToç xaÀvaTd~evoç d'Euripide. Les libations dont à Athènes on l'honorait étaient dites sobres, v'èurxatat, parce qu'elles étaient composées non de vin, mais d'eau pure 1'; on lui offrait aussi des gâteaux en forme de galettes rondes qu'on appelait Ga'i,92t ou de croissants qu'on appelait (lo'i] et qu'elle partageait au reste avec Apollon, Artémis et Hécate f°. Enfin, en certaines régions connue à Thalamai (Élide), on a pu l'associer â ces oracles dont les réponses étaient des songes apparus aux consultants et qui, comme on le voit dans Virgile i", étaient voisins de sources. Or, à Thalamai, une source sacrée avait pour nom Sélènè 1s. Tout auprès était le sanctuaire, avec les statues de bronze d'Hélios et de Pasiphaé; désigné sous le nom de cette dernière héroïne, il pourrait bien être originairement un temple de Sélènè anal-Ï.aéaaa. On dit que les éphores de Sparte venaient y chercher des conseils t0. Les femmes thessaliennes se vantaient de faire par des incantations descendre Séléné sur terre. Mais ceci est du domaine de la magie [MAGIA], et sur ce point nous mentionnerons seulement ici trois hymnes dits orphiques réceinment découverts 20, dont deux adressés à Hélios et à Hécate, le troisième à Sélènè, en vue de tout acte, Ire axaâ scat tt. Il contient cinquante-cinq vers où la Lune est à la fois identifiée avec nombre de personnalités divines toutes redoutables et vengeresses, envisagée dans sa triplieité et présentée sous l'aspect le plus effrayant. Cette invocation serait le complément naturel d'une curieuse peinture de vase, où deux magiciennes nues, tenant l'une une large épée, l'autre le pxâioç magique, lèvent la tête vers un disque où l'on voit le profil d'un buste de femme et qui est attiré vers la terre par une longue channe qui l'entoure 21. Si l'on pouvait avoir confiance en l'authenticité de ce fragment, aujourd'hui disparu et assez suspect, on croirait que les personnages disent, en effet, l'invocation npi9ç ~tà'1v s éai a«.~ apx;el, qui est d'ailleurs d'une très basse époque. Dans la Grèce LUN 1391 LUN propre et dans Page classique, la personnalité divine de Sélènè semble étrangère à la magie et n'est pas surchargée d'éléments. Poésie religieuse, art et cultes nous l'y présentent comme la tranquille voyageuse du ciel, douée d'une tîme très simple, bienfaisante et douce comme la lueur des rayons dont elle baigne la terre endormie. Rosir. Par un instinct qui s'est trouvé juste, le nom de Luna y était rapporté à la même racine que lurere et rapproché de Lucinal. Les poètes ont souvent emprunté aux Grecs la forme Phoebe (féminin do (lotèoç) dont ceux-ci n'ont guère fait usage. Une déesse italienne de la Lune, antérieure à l'acceptation par les Romains d'Artémis et de Sélènè, n'est pas attestée par des témoignages explicites. Mais, outre la généralité absolue du culte lunaire, nous voyons que les Romains ont cru à l'extrême ancienneté chez eux d'un tel culte. Varron nous apprend que le Sabin Tatius l'apporta à Rome «(où, sans doute, il en rejoignit un autre déjà ébauché). Même si cet écrivain, venu de Béate, a une tendance à tout sabiniser on peut croire qu'il reproduit des traditions très anciennes: il s'est servi surtout des indifitamenta où il n'y avait de formules de prières que pour des divinités d'origine italienne '. Il nous apprend encore que dans un temple de la Lune Noctiluca, sur le Palatin, une lampe était toujours allumée pendant la nuit 5, ce qui n'est pas un rite grec. Nous connaissons mieux un autre temple de la Lune sur les pentes du mont Aventin, au-dessus du Circus Maximus'. Tacite nous dit qu'on en devait la construction à Servius Tullius 7, ce qui indique au moins la croyance à son ancienneté. Plus tard, la Lune s'est certainement confondue avec Diane, elle-même absorbée par l'Artémis grecque. Mais originairement la Diane italienne n'est nullement lunaire : elle est uniquement une déesse des bois et des montagnes, au nom de laquelle s'est attachée une signification politique [DIANA]. Luna plus ou moins longtemps a eu une existence distincte de cette déesse. Varron et Denys les nomment concurremment dans le même passage 3 : tout en sachant que la conception de Diane enveloppe celle delaLune, on continueraà honorer une Luna purement astrale et on aura pour elle plus de dévotion même que pour le Soleil. De ce culte nous savons peu de chose en dehors de ce qui concerne le temple du Palatin. Selon Vitruve, les temples de la Lune étaient à ciel ouvert, comme ceux de Jupiter, de la Poudre, du Ciel, du Soleils. Les calendriers indiquent des sacrifices en son honneur à des dates et en des lieux divers : sur l'Aventin le 31 mars ; dans la Graecostasis, c'est-à-dire près du local réservé aux ambassadeurs envoyés à Rome, le 24 août : c'était un de ces dies religiosi où la vie publique était suspendue, où on s'imaginait que le monde infernal s'entr'ouvrait sur le monde des vivants. Le 2,8 août, c'étaient, pour le Soleil et la Lune, vingt-quatre courses de chars au cirque, où se trouvait, sur la spina [CiiCLS], un petit autel de la déesse10 (avec ceux de cinq grands dieux). On l'honorait des noms de Regia, Augusta. Aeterna, Lucifera ". La Lune est nommée seule dans la plupart des inscriptions qui nous font connaître ces faits et dont aucune n'est antérieure à l'ère chrétienne. Quelquefois avec elle sont nommés Silvain, le Génie, Apollon et Diane, Isis (avec qui elle a été du reste confondue, voir Io)12, les planètes, et enfin, le plus souvent, le Soleil" [son]. Comme il est naturel, certaines cérémonies, dont au reste le détail nous échappe, leur étaient communes. Par exemple, d'après un passage assez obscur de Tertullien, les vainqueurs du cirque auraient consacré leur char à la Lune et au Soleil °. Des monnaies assez anciennes montrent l'union des deux grandes divinités de lumière : au droit est le Soleil rayonnant ; au revers, un croissant et deux étoiles'`. Quand les Romains joignent les deux personnifications ensemble, ils paraissent vouloir symboliser la permanence dans le temps. l'Éternité. Des, jeux séculaires avaient lieu pendant trois jours en l'honneur du Soleil et de la Lune; les nuits étaient consacrées à la déesse'°. S'ensuit-il que tout culte leur était commun et que les temples connus de la Lune étaient aussi ceux du Soleil? C'est ce que pense Mommsen 17, Mais Tacite, comme Varron, spécifie quand il parle du temple de la Lune, et il nomme à part un temple du Soleil apud Circum 1', dans la région de l'Aventin comme celui de la Lune, mais « attenant au Cirque ». C'est le sens de amui. L'autre en était distinct. 11 est vraisemblable que le culte du Soleil, s'étant de plus en plus uni à celui de la Lune, s'est enfin célébré dans les mêmes temples, et que celui qui fut incendié sous Néron " fut, une fois rebâti, dédié aux deux divinités de lumière. C'est ainsi que nous le trouvons désigné à l'époque de Constantin 20. L'empereur Ilélagabale avait fait venir de Carthage la statue de la Lune Céleste pour célébrer à nome son mariage avec le dieu solaire dont il portait le nom '1. Idée de fou; mais plus on approche des derniers temps du paganisme, et plus on voit que, d'une manière générale, le Soleil et la Lune se dégagent d'Apollon et de Diane et même sont juxtaposés, avec leur caractère plus concret de divinités astronomiques, à ces personnifications morales. C'est sans doute un effort pour rajeunir et renforcer les dieux par le rappel de vieilles croyances dont le souvenir n'était, pas encore aboli. Une inscription nous a montré'-' le couple Soleil-Lune à côté du couple Apollon-Diane et un relief sur une lampe nous l'a t'ait voir rapproché par un parallélisme voulu, du couple Sérapis-Isis LECT1srERNiLM, fig. 4381, p. 1011]. Ni les poètes ni les artistes romains n'avaient trouvé une personnification originale de la Lune qui, pour eux, reste l'Artémis ou la Sélènè grecque. Cependant, quand Iforace invite la jeunesse romaine à chanter avec lui crescentem, face IYoctilucaén celerem pronos z'eli'ere menses, il semble bien qu'il fait allusion à la déesse purement lunaire du Palatin, pour enrichir de cet élément la figure poétique de sa Diane''. Sur un même piédestal à Vérone nous trouvons d'un côté Diana Limitera sous LUN -1392--LUN l'aspect d'une chasseresse, de l'autre la dédicace Lunae sous une femme ayant un croissant sur la tète et tenant une draperie envolée et cintrée en écharpe. Cette seconde figure velificans est donc la déesse de la Lune bien dis tinguée de Diane-Artémis'. La Sélènè grecque, si simplement assise sur sa cavale, n'a guère inspiré les artistes ni les poètes, ou du moins l'impératrice Faustine ainsi déifiée2 en Lune (fig. 4657) paraît une exception, et elle est chargée d'une longue torche. Sur un miroir étrusque' la déesse, désignée du nom de Losna, figure, en une repré sentation tout à fait hellénisée, debout et drapée, appuyée sur un sceptre, ayant un croissant de Lune à côté de sa tête, entre les Dioscures Castor et Pollux. Croissant, écharpe nimbée, tunique talaire (quelquefois le sceptre) désignent la Lune sur une série de monuments tardifs représentant les dieux éponymes des jours de la semaine 4. Mais c'est le char à deux chevaux, qui, pour les poètes et les artistes, est l'attribut principal. On le trouve par exemple au revers d'une monnaie de la gens Valeria dont la face présente une tête diadémée de rayons, sans doute le Soleil «fig. 4658)t On le retrouve au fronton du nouveau Capitole de Domitien ; la déesse entièrement vêtue, avec le voile en cintre, tient les rênes ; son char fait pendant à celui du Soleil' [CAPITOLIUM, fig. 1151]. Même représentation sur un bas-relief de Sitifis avec l'inscription Lunae Augustae'. Ce sont les monnaies qui nous offrent le plus de personnifications de la Lune. Les Dioscures qui, avec deux étoiles dans le champ, y figuraient, comme héros protecteurs de Rome, y sont remplacés depuis 527 par la Lune conduisant un bige'. Sur les deniers de la gens Petronia, qui était sabine, le croissant accompagné d'une étoile (fig. 4659) alterne avec la figure de Tarpeia accablée à demi sous les boucliers des Sabins qui exploitent et punissent sa trahison, ou même il est dans le champ au-dessus de cette scènes (fig. 4660). T. Mommsen rapproche de ce fait un vers oit Properce dit que Tarpeia a eu à se plaindre(?) de la Lune '0. Il semble bien que la déesse se trouve associée à cette légende, sans que la part qu'elle y prend soit très claire. En somme, des magistrats romains d'origine sabine regardent comme un titre de gloire que leurs ancêtres aient puni la cupidité de la misérable fille après en avoir tiré parti, et que, dans cette histoire légendaire, la Lune ait été de connivence avec eux. C'est la déesse astrale qui est en jeu ici, comme dans la plupart des inventions populaires, tandis que, pour les poètes ou les artistes romains, elle était moins distincte peut-être d'Artémis " ou d'Hécate que pour les Grecs. Les poètes toutefois ont aussi, comme il était naturel, créé et recréé d'instinct le type de la Lune femme et déesse, en le tirant toujours directement du spectacle de l'astre même. Quand Virgile dit, par exemple : nec candida cursurn Luna aaegat12 en décrivant simplement ce qui se passe dans le ciel, il attribue presque une intention bienveillante à la nocturne voyageuse, et, sans que la tradition mythologique y soit pour rien, d'un mot il esquisse pour elle l'ébauche d'une personnalité. ADRIEN LEGRAND.