Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article MACHINA

MACHINA (Mvlyavii). Les termes p.-q/evr, et machina désignaient, d'une façon générale, chez les anciens, toute invention ingénieuse, ou, en un langage plus technique, tout appareil ou moyen mécanique qui facilite le travail de l'homme ou augmente sa puissance'. Les mécaniciens grecs distinguent deux sortes de machines, les simples et les composées. Les premières sont au nombre de cinq : le levier (poy),éç), le coin (cy-ilv), la 7re pt'Ipox(w) 2. Les secondes, très diverses, sont des com binaisons des simples. Parmi les machines simples on peut croire que deux au moins, le levier et le coin, étaient connues dès la plus haute antiquité 3. La première allusion certaine à une poulie ou moufle se trouve dans les Mechanica attribués à Aristote', et qui sont, en tout cas, d'un contemporain. Mais l'usage de la poulie, et aussi du treuil, est certainement bien antérieur ; nous verrons, en effet, plus loin 3 que dès le v° siècle les apparitions des dieux sur le théâtre se produisaient au moyen d'un appareil, appelé y€pavoç ou p.7ixavrt, lequel n'était autre chose, comme l'indique le premier nom, que ce que nous appelons aujourd'hui une grue'; or, une grue, si rudimentaire et si simple qu'on la suppose, ne saurait se passer d'une poulie et d'un treuil. Quant à la vis simple, le seul fait qu'on attribuait à Archimède l'invention de la vis sans fin, qui en est un perfectionnement, prouve bien qu'elle était déjà connue avant lui [cocILEA]. Toutefois l'invention et la construction des machines resta pendant des siècles une affaire d'instinct et de routine. Selon Diogène Laerce', Archytas fut le premier qui appliqua la géométrie à la mécanique, et traita théoriquement de celle-ci'. Après lui, il faut citer l'auteur des Mechanica, dont nous avons déjà parlé. Ce livre est une série de trente-cinq questions, relatives pour la plupart au levier'. On y voit que, dès le Ive siècle av. J.-C., la théorie mathématique du levier était à l'étude, et que c'était dès lors un principe connu que, si la puissance et la résistance tiennent un levier en équilibre, elles sont inversement proportionnelles aux bras de ce levier i0. Les questions posées dans ce traité ont un intérêt pratique ou purement scientifique. Exemples : Pourquoi les véhicules pourvus de grandes roues sont-ils plus aisés à mouvoir que les véhicules à petites roues " ? Pourquoi est-il plus facile d'extraire les dents avec des tenailles qu'avec les doigts"? Pourquoi tout projectile, une fois lancé, s'arrête-t-il 13? Pourquoi, dans une eau tournante, les objets sont-ils entraînés vers le centre"? Dans le même ouvrage apparaît aussi déjà quelque notion du parallélogramme de forces et du principe des vitesses virtuelles". L'auteur du fragment De levi et ponderoso, attribué à Euclide, semble avoir pressenti ce qu'on appelle le poids spécifique. Enfin le terme même de « centre de gravité » (xlvTpov (3âpouç) doit avoir été V. inventé avant Archimède, puisque celui-ci en use à tout instant sans le définir. Néanmoins, les premières études vraiment scientifiques des lois de l'équilibre et du mouvement datent d'Archimède. Deux de ses traités se rattachent à la méca sur l'Équilibre des plans, l'autre flapi 'c(èv èiz t É(tltaT ap.ÉVwv 'Tupi iynu zivwv sur les Corps flottants. Bien que ces oeuvres fussent surtout spéculatives, et qu'Archimède, selon Plutarque 18, eût peu d'estime pour les applications pratiques, il est certain cependant qu'un très grand nombre d'inventions utiles lui sont dues. De ce nombre sont la vis creuse, dite vis d' Archimède (xox),(aç), qu'il imagina, selon les uns, durant un voyage en Égypte, pour dessécher les marais du Ni!, ou, d'après les autres, pour épuiser la sentine d'un navire monstre, construit par Hiéron [COCRLEA] 17 ; la vis sans fin (Da';') et la moufle (7roÀÛS7raa Tov), employées, suivant la légende, à tramer à la mer ce même vaisseau 18 ; la théorie du levier dont il sentait à ce point la puissance qu'il disait : « Donnez-moi un point d'appui, et je soulèverai le mondef9 » ; la création de l'hydrostatique, à laquelle se rattache l'anecdote bien connue (n p-fixce)20; enfin, nombre de machines de guerre". C'est surtout à propos de celles-ci que la légende s'est donné carrière : on racontait qu'Archimède, pendant le siège de Syracuse par les Romains, avait inventé des machines qui lançaient des pierres ou des traits à une distance considérable et d'autres qui, saisissant avec un croc les galères ennemies, les laissaient retomber dans la mer ou sur les rochers. On disait même qu'il avait réussi à enflammer ces galères à distance, au moyen de miroirs 2'. Ce dernier trait est sans doute fabuleux : ce n'est peut-être qu'une interprétation naïve des observations qu'Archimède avait consignées, dans son traité de Catoptrique, sur la réfraction et sur les miroirs ardents. Après Archimède, il faut mentionner encore plusieurs constructeurs de machines, d'un talent éminent. Ctésibios28, qui vivait au II° siècle, découvrit le premier la force élastique de l'air, et s'en servit comme puissance motrice : il construisit notamment sur ce principe un pierrier à air comprimé (,iEprovsç), analogue probablement à notre fusil à vent 2'. Ctésibios avait exécuté aussi plusieurs appareils hydrauliques" : le plus important est la pompe aspirante et foulante qui porte son nom 2e (Ctesibica machina) [stPnoj. On lui doit encore la première horloge à eau ou clepsydre27 [I2oROLOGIUM], les orgues hydrauliques 28 [RYDRAULUS]. A côté de ces inventions utiles et pratiques, Ctésibios en avait imaginé une foule d'autres qui n'étaient que curieuses et « divertissantes pour l'oreille et les yeux », dit Vitruve '9e Il avait expliqué et décrit toutes ces inventions dans un livre, aujourd'hui perdu, intitulé `T'7ropv-ir a.uTa. 184 1482 Héron d'Alexandrie', élève de Ctésibio,;, se distingua également dans la mécanique théorique et dans la mécanique appliquée. Deux de ses ouvrages surtout méritent d'être signalés ici. Dans les blvtax, « il traitait du centre de gravité, donnait la théorie générale et les conditions d'équilibre et de mouvement des cinq machines simples.... Il traitait aussi de la puissance des roues, et spécialement des roues dentées, et de beaucoup dautres problèmes applicables à l'utilité pratique ». Un autre ouvrage d'Héron, qui portait le titre de Baçotlaxoç, était consacré sans doute à la théorie des machines destinées à lever les fardeaux. On a de lui également un important traité (Ilvsog.artx3) sur la mécanique des gaz et des liquides. Cet ouvragea offre des applications ingénieuses des connaissances que les savants alexandrins possédaient en ce qui concerne la force élastique et motrice des vapeurs et des gaz, soumis à l'action de la chaleur et de la pression, et spécialement en ce qui concerne l'action que ces vapeurs et ces gaz, comprimés ou dilatés, exercent sur l'équilibre ou le mouvement des liquides On y trouve décrits, notamment, un tourniquet mû par l'échappement de la vapeur, la fontaine intermittente et la fontaine à compression, avec sa pompe foulante à air 3. Au milieu d'une foule d'objets d'amusement, on y rencontre quelques instruments d'une utilité réelle, tels que les ventouses mécaniques sans feu, les seringues pour aspirer le pus des blessures, diverses espèces de lampes, les siphons, la pompe à incendie et l'orgue hydraulique' ». Très important aussi était un traité en quatre livres sur les horloges hydrauliques, flapi ûôai ni ctpoanzoriEiw..Heux ouvrages, lesAûrdµaraet Ies Zûytx, ce dernier perdu, appartiennent à ce que les anciens appelaient Oxuua-,onouètc:x , c'est-à-dire à la physique amusante. Le pre mier traité des machines automatiques les Zuyta (ce nom parait venir de Çbyoç, fléau de balance) décrivaient, à ce qu'il semble, « certaines petites machines amusantes, construites d'après les conditions d'équilibre et de mouvement des corps solides autour d'un point d'appui et de suspension' ». Enfin Héron était l'auteur d'une Catoptrique amusante, et de plusieurs ouvrages sui les engins de guerre. Vers le même temps, Philon de Byzance composa un ouvrage d'ensemble sua' la, mécanique, AS avtat suvrx tç, en neuf lis's'es h Le premier livre traitait de mécanique pure, Dans le second, il s'agissait de la théorie du levier et des machines fondées sur ce principe (ixoy,ta«). lies suivants, dont les noms indiquent suffisamment les sujets; étaient intitulés agzavanottxx (De la construction des ports), j3aàavçonxâ (Des machines de Jet), mvau artxâ, ctêzo aro^os'f .xa, xcà:opxOxtxz, etc. Après ces grands noms, la mécanique appliquée aussi bien que les mathématiques pures déclinèrent rapidement à Alexandrie'. A Rome, il nous faut citer Vitruve, qui n'est pas un savant original, niais dont le livre De architectura est très précieux pour nous, parce qu'il a décrit en détail nombre de machines, en usage de son temps, particulièrement les machines élévatoires et hydrauli aces Il ne saurait être question, naturellement, de donner ici une énurnération complète des machines en usage chez les anciens. On trouvera chacune d'elles citée et décrite à son nom. Toutefois, on peut les diviser en plusieurs catégories principales. 1. MACHINES EMPL07ÉPS DANS LES MÉTIERS OU INDUSTRIES,, qui ont pour but de satisfaire aux besoins multiples de la vie, par exemple les machines à moudre le blé [MOLA], à fouler, à fabriquer l'huile et le vin [PRELUtèi, TRAPETi si, IORCULAR], à tisser [TELA], les instruments agricoles RLsricA Rus], etc. Parlant de ces machines, Vitruve s'exprime ainsi : « Ce qui est le plus nécessaire et qui a dû être inventé avant toutes les autres choses, est le vêtement; pour l'inventer, il a fallu, à l'aide de plusieurs instruments, trouver moyen d'entrelacer la chaîne avec la I trame, et cet entrelacement a produit une chose qui n'est pas seulement, nécessaire pour couvrir le corps, mais ais qui ' lui sert d'un grand ornement [TELA . Nous n'aurions aussi jamais eu l'abondance des fruits dont nous sommes nourris, si l'on n'avait trouvé l'invention de se servir de boeufs et de charrues [ARATRUM, JUGUW et sans les moulinets et les leviers qui servent aux pressoirs, on ne pourrait faire des huiles claires et des vins agréables, comme nous les avons [vECTis, PRELUM, TORCULAR] ; et tous ces biens ne pourraient être portés d'un lieu en un autre, si l'on n'avait inventé les charrettes, les haquets et les bateaux pour les transporter sur la terre et sur l'eau [PLAUS'rRUM, caRROS, raAVls]. Les balances et les trébuchets ont aussi été trouvés afin de faire savoir quel est le poids de chaque chose et pour empêcher les tromperies qui se font contre les lois [TARDA]. Il s' a une infinité d'autres machines dont il n'est point nécessaire de parler, parce qu'elles sont assez connues : telles sont les roues, les soufflets de forge, les véhicules à quatre on à deux roues, les tours et les autres instruments qui sont d'un usage ordinaire [ROTA, II. MACHINES ÉLÉVATOIRES (machinae tractoriae), servant principalement à la construction des édifices. Elles sont d'une invention relativement récente, 11 parait certain, en effet, que toutes les constructions des peuples primitifs, même celles qui nous étonnent par l'aspect imposant de leurs ruines, ont été élevées sans l'aide de machines. Chez les Assyriens, en particulier, peuple éminemment constructeur et qui n'hésitait pas à prodiguer par centaines et par milliers des blocs énormes pour des travaux vulgaires, tels qu'une terrasse, on ne trouve aucune trace d'appareils mécaniques Bien plus, ce peuple n'employait, à ce qu'il semble, pour ses constructions, ni bêtes de somme ni chariots. C'est, di: moins, la conclusion qu'il est permis de tirer de tel monument assyrien, où l'on voit des ouvriers occupés à élever un tertre artificiel sans autres instruments que des hottes et des paniers pleins de terre 4". Chez les Égyptiens, même à la meilleure époque, les ressources de la mécanique étaient également fort limitées''. Il est remarquable qu'aucune peinture égyptienne ne nous montre ni poulie, ni moufle, ni cabestan, ni MAC I ib)l -MAC machine quelconque. Tout sut contraire, sur un bas-relief du temps d'Osortasen 1, qui représente le transport d'un colosse, on voitceiUi-ci entouré de cordages et tiré directement, sans l'intermédiaire de machines, par plusieurs rangées d'hommes attachés à des câbles ; d'autres pois Lent des seaux pour mouiller les cordes et graisser le sol sur lequel le colosse est traîné. Toute la mécanique du temps consistait en somme dans la force tractive des bras, aidée à l'occasion de leviers, de rouleaux et de plans inclinés Nous avons à ce sujet lin important témoignage de Pline l'Ancien a. Cet écrivain rapporte que Chersiphron, l'architecte du premier temple d'Éphèse commencé au va° siècle av. 3.-C., ne disposant point de machines pour élever à la hauteur voulue les énormes architraves de cet édifice. fut réduit à en enterrer les colonnes au moyen de sacs de sable formant un plan incliné, sur lequel les architraves étaient ensuite roulées à force de bras. Voilà donc où en était la mécanique élévatoire au vie siècle. Si les Égyptiens de ce temps avaient possédé un moyen plus perfectionné pour le dressage des monolithes, il est de toute évidence que les Grecs, qui depuis Psammitichus parcouraient librement l'Égypte, l'auraient connu et emprunté. On doit, par conséquent, admettre que c'est par le même procédé rudimentaire que les Égyptiens ont accompli tant de travaux gigantesques, par exemple le montage des colonnes de la salle hypostyle de Karnak, qui ont 21 mètres de haut et 10 mètres de tour, ainsi que de leurs énormes architraves : on enterrait toutes les colonnes à mesure qu'elles s'élevaient, et l'on allongeait graduellement le plan incliné. Des procédés si primitifs exigent évidemment des masses d'hommes considérables. Si mille hommes ne suffisaient pas à un travail, on en prenait dix, vingt, cent fois pies. C'est ainsi que, d'après la tradition, lthamessès avait employé, pour dresser l'un des obélisques de Thèbes, jusqu'à cent vingt mille hommes à la fois 4. En résumé, c'est en Grèce que les premières machines élévatoires paraissent avoir été inventées, entre le vie siècle, époque où nous avons vu Chersiphron recourir encore, pour le dressage des architraves du temple d'Éphèse, au procédé élémentaire du plan incliné et le v' siècle, où apparaît au théâtre l'usage de la ruéehane Il est assez probable que le développement de la navigation provoqua la découverte de ces machines la marine, de bonne heure très florissante en Grèce, nécessite en effet une machinerie très compliquée, treuils, palans, etc. ` C'est à l'architecte romain Vitruve que nous devons la description la plus exacte et la plus détaillée de ces appareils. Mais la présence dans son exposé de nombreux termes techniques grecs suffit à prouver qu'ils sont d'origine grecque et non romaine e. La première machine de ce genre, décrite par Vitruve 1, se construit et fonctionne de la façon suivante (fig. elfe)" . Oie prend deux pièces de bois ecn "€tglca)'' proportionnées au poids des fardeaux qu'il s'agit d'élever. I In les. ,loini, ensemld' par le sommet a. moyen d'une tl ilie h /i.holie puis on 1..es dresse en es écartant par le bis, Des (tontine fixées au haut de la machine et tendues tout à . l'entour l u ' . ;tt debout.A son sommet on attache une moufte c o'hlet ou ree,eaa rtus) 22, dans laquelle Plusieurs potines (oih , cli) tournent sur leurs axes, Autour de la poulie supérieure, on fait passer un câble de traction d !:1 ; , rias funisl, on ramène ensuite ce câble autour de la uulie d'une moufle inférieure c' (mobile), puis on le remonte jusqu'à la seconde poulie de la moufle supérieure, et enfin on le redescend ti la moufle inférieure dans un trou de laquelle on le fixe". L'autre bout du câble reste pendant aux pieds de la machine. A l'arrière des deux montants, là où Ils divergent, on fixe deux pitons e (x)EAcJVEiz), dans lesquels on introduit les deux extrémités d'un treuil f (sucula), de manière qu'elles y tournent facilement. Ce treuil, à chacun de ses bouts, a deux trous disposés pour recevoir des leviers q (ventes). Au bas de la moufle inférieure, on attache des tenailles de fer (forfices), dont les branches s'enfoncent en des trous pratiqués dans la pierre qu'il s'agit de soulever. 11 ne reste plus qu'à fixer l'extrémité libre du câble au treuil ; tes leviers font tourner celui-ci. et le câble en s'enroulant autour se tend et soulève par suite les fardeaux jusqu'à la hauteur convenable. La machine qui vient d'être décrite s'appelait cep(ur:xc'ro4, parce qu'elle comporte en tout trois poulies. Lorsqu'il y avait deux poulies à la moufle inférieure et trois à la supérieure, on lui donnait le nom de vtsréucczsvoé 'Vitruve explique ensuite quelles modifications devront cire apportées àla,machine, si on veut qu'elle soit capable de lever de plus lourds fardeaux t'. On augmentera pour cela la longueur et l'épaisseur des pièces de bois, ainsi MAC MAC que la force des chevilles qui sont en haut et celle du treuil qui est en bas. Mais, à mesure que l'appareil devient plus pesant, la difficulté de le mettre en place devient naturellement plus grande. Le dressage exige alors une opération spéciale, que Vitruve décrit ainsi (fig. 4745) 1. On se servira de deux sortes de câbles : les uns, fixés à l'avant de la machine (c'est-à-dire du côté vers lequel les pièces de bois aa sont inclinées)'-, resteront d'abord lâches (antarii funes) h ; les autres, partant du côté opposé (retinacula), i, seront attachés, aune assez grande distance, soit à quelque obstacle naturel, soit à. des pieux fichés en terre auxquels on prêtera plus de solidité en leur donnant une certaine inclinaison, et en battant bien le terrain à coups de maillet tout autour °. Au sommet de la machine on liera ensuite, au moyen d'une corde, une moufle k ; de ce même point on fera descendre un câble l6 vers une autre moufle m, fixée à un pieu ; on le fera passer dans la poulie de cette moufle inférieure, pour le remonter ensuite jusqu'à la moufle fixée au haut de la machine ; là on le fera également passer autour de la poulie, d'où on le redescendra jusqu'au treuil n, établi au bas de la machine, auquel enfin on le fixera. Cela fait, on actionnera le treuil au moyen des leviers; en tournant, celui-ci fera monter la machine sans aucun danger. Grâce aux câbles d'avant (antarii funes) disposés autour de lui, et aux câbles d'arrière (retinacula) adhérents aux pieux, l'appareil sera bien affermi. Une fois dressé, on pourra s'en servir pour élever des fardeaux, de la manière qui a été dite plus haut. En troisième lieu Vitruve décrit une grue plus puissante encore, destinée à soulever des fardeaux de taille et de poids exceptionnels (fig. 4746) °. En ce cas, dit-il, il ne faudra pas se fier au treuil (sucula) : dans les pitons qui retenaient celui-ci on fera passer, à la place, un essieu o (axis), au milieu duquel sera un vaste tambour p (tympanum ou rota)°. En outre, les moufles ne seront pas constituées de la même manière que précédemment : on y doublera le nombre des poulies, c'est-à-dire qu'il y aura dans la moufle d'en haut quatre poulies, deux à. chaque rang, et dans celle d'en bas deux poulies de rang. Cela étant, on fait passer le câble de traction d (ductarius funes) dans l'anneau de la moufle inférieure c', en ayant soin qu'une fois tendu, il ait ses deux moitiés d'égale longueur; puis, au moyen d'une corde nouée fortement à cet anneau, on arrête les deux moitiés, de façon qu'elles ne puissent glisser ni à droite ni à gauche. Les deux bouts du câble sont ensuite ramenés du côté extérieur (entendez par là le côté vers lequel inclinent les deux montants) jusqu'à la moufle supérieure c, où on les fait passer sur les poulies d'en bas; de là, on les ramène vers le bas de la machine et on les fait passer intérieurement sur les poulies de la moufle inférieure; après quoi, on les remonte encore parallèlement jusqu'à la moufle d'en haut pour les faire passer extérieurement sur les poulies supérieures; enfin on les ramène, l'un à droite et l'autre à gauche du tambour, jusqu'à l'essieu oit on les fixe solidement. Mais la machine comporte encore un autre câble q, enroulé autour du tambour, qui de là se rend jusqu'à un vindas r (ergata); ce vindas, en tournant, met en mouvement le tambour et son essieu; les deux câbles de traction, en s'enroulant autour de l'essieu, se tendent parallèlement et soulèvent ainsi peu à peu le fardeau. Au vindas on peut aussi substituer un tympan plus grand placé soit au milieu, soit à l'une des extrémités de l'essieu, et que des hommes feront marcher avec leurs pieds. Par ce moyen on obtiendra plus facilement encore les mêmes résultats 9. La dernière machine décrite par Vitruve diffère essentiellement des précédentes en ce qu'elle n'a qu'un montant, au lieu de deux (fig. 4747) 8. Elle est, dit Vitruve, fort expéditive, mais elle demande pour être dirigée une main adroite. C'est une pièce de bois a, qu'on met debout et qu'on arrête des quatre côtés au moyen de haubans b (retinacula). Au-dessous du point d'attache de ceux-ci on cloue sur le montant deux taquets c (chelonia) 9, au-dessus desquels on attache avec des cordes une moufle d, qu'on appuie sur une traverse e (regula) 10, longue d'environ 2 pieds, large de 6 doigts et épaisse de 4. Les moufles ont chacune trois rangs de poulies avec trois poulies à chaque rang : en sorte qu'il y a trois câbles de MAC 165 MAC traction f, qui, étant attachés au haut de la machine, descendent du dedans au dehors sous les trois poulies d'en haut de la moufle inférieure g, puis remontant à la moufle supérieure, passent du dehors en dedans sur les poulies qu'elle a en bas; de là, redescendant à la moufle inférieure, passent encore de dedans en dehors sous les poulies du second rang, puis remontent à la moufle supérieure, pour passer également sur les secondes poulies ; et en fin, redescendant une dernière fois sous les poulies d'en bas de la moufle inférieure, puis remontant sur les poulies d'en haut de la moufle supérieure, retombent au bas de la machine. Au pied de l'appareil est une troisième moufle h que les Grecs appellent Éaaywv, et les Romains artemon. Cette moufle, qui est fixée au pied du montant, a trois poulies sur lesquelles passent les trois câbles, qui sont tirés par des hommes. Ainsi, trois ran gées d'hommes, sans le secours du vindas, peuvent élever promptement des fardeaux. Ce genre de machine, dit Vitruve, se nomme 12oX6a7caa'coç, parce que, en raison de son grand nombre de poulies, elle tire avec autant de facilité que de promptitude'. L'emploi d'une seule pièce de bois a cet avantage encore que, en lui donnant préalablement l'inclinaison que l'on veut à droite ou à gauche, elle peut déposer les fardeaux sur les côtés 2. Toutes les machines décrites ci-dessus peuvent aussi servir à charger et à décharger les navires, les unes debout, les autres couchées sur une plate-forme tournante'. Enfin, sans même élever d'arbre, on peut encore disposer à plat les câbles et les moufles de la même manière, pour tirer les navires hors de l'eau'. Plusieurs monuments figurés représentent les machines élévatoires décrites par Vitruve, ou des machines analogues, et prouvent par conséquent qu'elles étaient d'un emploi courant dans la pratique. Entre autres on peut citer les suivants 3. Voici d'abord une peinture du Virgile du Vatican, très sommaire (fig. 4748) 6. Elle montre des ouvriers vêtus de l'angusticlave, contre un mur la roue d'un grand treuil, et en avant le montant d'une chèvre appuyé contre un arceau. La figure 4749' reproduit un bas-relief trouvé à Capoue dans les ruines de l'amphithéâtre et destiné, comme l'indique une inscription, à commémorer certains travaux de réparation exécutés au proscaenium. Ce bas-relief montre un fût de colonne, dont la tête est engagée dans des cordes qui descendent du haut d'une machine. Bien que celle-ci ne soit qu'assez vaguement indiquée, on y reconnaît cependant une pièce de bois inclinée, maintenue à gauche par deux retinacula, à droite par un (unis antarius. Au sommet de l'appareil est une moufle, sur laquelle passent les câbles de traction (funes ductarii) qui élèvent le fût de colonne ; ces câbles vont s'enrouler autour d'une grande roue, que font tourner avec leurs pieds deux hommes marchant intérieurement. Au pied de l'appareil un ouvrier achève un chapiteau, qui sera mis en place à son tour par le même moyen. ' MAC 1'1if -i gC Sur une peinture de la maison de Siricus e Pompéi reoxcF,rs, fig. 316e1 on apercoit une machine du même genre . les deux montants inclinés, les cajoles, la moufle, la louve y apparaissent très clairement ; seul, manque le treuil. Le bas elief, reproduit sir la figure 4750 2, qui repré sente dans son ensemble le percement d'un émissaire du lac Fucin, nous montre dans sa partie droite un appareil servant à extraire les déblais d'un puits de forage. C'est un tambour vertical, aute ai duquel s'enroulent horizon talement et en sens inverse deux cordages passant sur une poulie, en sorte que l'un de ces câbles s'élève pendant que l'autre descend. Chacun d'eux actionne une benne, qui monte pleine et redescend vide. Deux esclaves font tourner l'appareil au moyen d'un ievïer horizontal. En haut du monument, à gauche, la même scène se répète, mais beaucoup plus sommairement dessinée. La ligure 47:111 est tirée d un bas-relief de Terracine. Plus nettement encore que dans les monuments précédents on y voit les organes essentiels de l'appareil: deux montants, divergents par la base, sont liés a leur sommet par des cordes, et, pour plus de solidité, joints un peu en dessous par une traverse en bois ; entre les deux montants pend d'une louve ; un ouvrier, de ses bras l,s tour de tapi attire '11e ci vers l'endroit où elle doit prendre place. Enfin signa lons un impor tant bas-relief du Musée de Latran 4. Plusieurs détails de cette représentation restent obscurs et ont été diversement interpré tés s Mais il n'est pas dou teux toutefois qu'il reproduit dans ses traits essentiels, et avec plus de complication petits être, la troisième des machines élévatoires décrites par Vitruve (fig. -4752). A 1a description des appareils élévatoires proprement dits, Vitruve joint celle de deux machines de trans port, qui furent inventées, dit-il, par les architectes du temple d'Artérnis à Éphèse, Chersiphron et Métagénès, et restées depuis lors en usages. Chersiphron, ayant à transporter des fûts de colonnes de la carrière où on les prenait jusqu'à pied d'ceuvre, s'avisa de l'expédient suivant (fig..4753). Comme il craignait que la pesanteur de ces MAC 1467 MAC blocs et le peu de fermeté des chemins ne fissent enfoncer tes roues, il n'eut pas recours à des chariots. II assembla quatre pièces de bois a, deux en travers, les deux autres en long, celles-ci égales en longueur à chaque fût. Aux deux bouts des fûts il scella avec du plomb des boulons de fer nodaces) en forme de queue d'aronde', et fixa d'autre part dans la charpente deux anneaux de fer b (arrnittas), dans lesquels entraient les boulons. Enfin, il attacha aux deux extrémités de la machine des timons en bois de chêne L'appareil étant tiré par des boeufs, et les boulons tournant librement dans les anneaux, les fûts roulèrent aisément jusqu'à destination Pour transporter les architraves du même temple. Métagencs, fils de 1 il'esiphron, prit modèle sur la machine tic' son pires (fig. 4154). II lit construire des roues de 12 pieds environ de diamètre, et au milieu de ces roues il enchâssa les deux bouts des architraves. Les boulons, les anneaux et le cadre en charpente furent disposés de la même façon que précédemment Des boeufs avant été attelés à l'appareil, les roues tournèrent et avec elles les architraves qu'elles portaient 3, Vitruve compare l'invention de Métagénès à ces cylindres ou rouleaux dont on se servait dans les palestres polir aplanir les allées, III. MACHINES HYDRAI'LIQTJES, qui se subdivisent en plu sieurs genres . 1° Machines pmur' élever l'eau. Vitruve a consacré une partie de son livre X à la description de plusieurs appareils de ce genre'. Les suivants étaient employés au bord des étangs ou des lacs, itt oû il e'exis-i tait pas de courant. happareil que Vitruve appelle lyntpanuan (fig. 41x5) ° consistait principalement en un tambour, divisé à l'intérieur en compartiments au moyen de huit planches (labutae), rayonnant du centre de l'essieu à la circonférence. Sur la circonférence de ce tambour étaient pratiquées huit ouvertures (ailertur'ae), par lesquelles l'eau se précipitait dans les compartiments, à mesure que la roue tournait sous les pas des hommes, placés dans son intérieurs, L'essieu, ferré par les deux bouts, reposait sur deux pieux, également garnis de lames de fer à leur extrémité supérieure. 11 était formé d'un cylindre creux, percé d'autant de trous (eelvutbaiia) qu'il y avait de compartiments: l'eau, pénétrant par ces trous, se déversait par une des extrémités de l'essieu dans une auge de bois (labium lrgneunt) et, de là, dans des conduits qui la menaient au dehors. Cette machine, observe "Vitruve, n'est pas apte à élever l'eau bien haut, mais elle en tire une grande quantité en fort peu de temps. Si on veut élever l'eau plus haut que l'essieu du tympan, on modifiera l'appareil ainsi qu'il suit". Il saut adapter à l'essieu une roue d'un diamètre proportionné à la hauteur où on veut porter l'eau 11. Autour de la circonférence de Le roue on attachera des caisses de bois carrées (utodioli n' uadrati), bien calfeutrées avec dela poix et de la cire. De cette façon, quand les hommes feront tourner laroue avec leurs pieds, les caisses s'élèveront pleines jusqu'en haut, puis, venant à redescendre, verseront d'elles-mêmes dans un réservoir [oASTELLUM1 disposé à cet effet Peau qu'elles auront montée. Un troisième appareil, qui porte l'eau à une plus grande hauteur encore 1è, consiste en une chaîne sans fin, passée autour de l'essieu de la roue, et munie de seaux; lorsque la roue toui'neha, la chaîne qui est sur I' D 'eu élèvera les seaux, rl -ci, en passant sur cet e leu, se renverseront r vent et videront leur MAC 1468 MAC contenu dans un réservoir, disposé ad hoc. Comme Vitruve dit que cet appareil est destiné à élever l'eau plus haut encore que les précédents, force est d'admettre avec Perrault que l'essieu sur lequel est passée la chaîne est situé fort au-dessus du niveau de l'eau t. Il va de soi également que cet essieu doit être à pans, pour que la chaîne suive toujours son mouvement, sans glisser Les machines qui servent à élever l'eau des rivières et des courants d'eau ne diffèrent guère des précédentes que sur un point. A la circonférence de la roue on fixe des palettes (pinnae), qui, étant poussées par le courant, la font tourner : de la sorte, sans qu'il soit besoin d'hommes pouractionner l'appareil, les caisses puisent l'eau en bas et la portent en haut 3. Parmi les machines aptes à pui ser l'eau, Vitruve cite encore l'escargot d'eau, qui élève beaucoup de liquide, mais pas bien haut [ CocuLEA] et la machine de Ctésibios, qui, au contraire, la porte à une très grande hauteur [smeuo] 5. Par les auteurs et par les monuments nous connaissons encore d'autres appareils très simples, qui étaient d'usage courant dans l'antiquité. Tels sont le GYRGILLUS et le tolleno, en grec xsacov et x•go,vetov 6. Ce dernier, fort usité encore de nos jours en Grèce, en Égypte, en Asie, se compose d'un levier qui se meut horizontalement sur une traverse; à l'une de ses extrémités pend le récipient à puiser de l'eau, à l'autre est fixé un contrepoids L'appareil est représenté dans sa forme la plus simple sur un bas-relief du Musée de Parme (fig. 4736) s. La traverse est quelquefois remplacée sur les monuments par un mur d'appui, percé d'un jour pour le passage du levier (fig. 4757) 9. 2° Machines servant à l'adduction et à la distribution 3° Machines dans lesquelles l'eau sert de puissance Machines dans lesquelles l'eau sert à la mesure du temps ou à la production de sons musicaux [HOROLO rons brièvement, d'abord, de certains dispositifs qui, sans être à proprement parler des machines, fonctionnent cependant mécaniquement. Tels sont, en premier lieu, les décors [THEATRIUM]. Au point de vue de la manoeuvre, les Romains distinguaient deux décors de fond : la scaena ductilis et la scaena versilis". On donnait le premier de ces noms à un décor formé de deux parties verticales exactement raccordées, qui glissaient sur une coulisse : pour opérer un changement de scène, il suffisait de tirer une moitié à droite, l'autre à gauche ; derrière apparaissait le décor voulu. On pouvait de la sorte superposer autant de toiles qu'on voulait. La scaena versilis paraît avoir été composée d'un certain nombre de panneaux mobiles, peints sur leurs deux faces : au moment voulu ces panneaux, par l'effet d'un mécanisme inconnu (machinis quibusdam), tournaient sur eux-mêmes et venaient offrir aux yeux un décor nouveau". Nous ne savons pas à quelle date remontent ces inventions, ni même si elles étaient déjà en usage chez les Grecs. M. Dèrpfeld croit cependant avoir découvert au théâtre de Mégalopolis des traces de la scaena ductitis : il existait dans ce théâtre, au beau milieu de la parados ouest, un long bâtiment (34m,70) appelé skeuothèque, c'est-à-dire magasin des décors, où, selon M. Dérpfeld, on remisait les toiles, en les tirant d'une seule pièce sur une coulisse '2. Quoi qu'il en soit, il reste certain que chez les Grecs les changements du décor de fond ont toujours été fort rares. Non seulement on n'en connaît aucun exemple au cours d'une même pièce, mais encore on peut affirmer que le plus souvent la toile restait la même d'une pièce à l'autre. Ce qui le prouve à l'évidence, c'est que des trente-deux tragédies grecques qui nous sont parvenues, vingt-huit ont été jouées dans un cadre à peu près identique, palais ou temple à volonté : en sorte que la même peinture suffisait, par exemple, pour les trois pièces de l'Orestie. Ce qui avait été, dans Agamemnon et les Choéphores, le palais des Atrides devenait ensuite, dans la première partie des Euménides, le temple d'Apollon Delphien, et, dans la seconde, celui d'Athéna à Athènes'. En variant les décors latéraux au moyen des périactes, on prêtait à cette architecture abstraite autant de significations spéciales qu'on voulait. Dans le théâtre latin, il ne parait pas que les changements de décor entre deux pièces aient été beaucoup plus fréquents : « La ville que vous voyez, dit le prologue des Ménechmes, ce sera Épidamne tant qu'on jouera cette D'IAC 11b69 MAC pièce; quand on jouera la suivante, ce sera une autre ville d'un autre nom'. » La décoration de la scène grecque était complétée sur les côtés par les périactes (nep(XXTOI) "-. On appelait ainsi deux prismes triangulaires, égaux en hauteur au décor central, et établis à droite et à gauche de celui-ci, parallèlement et un peu en avant, de façon à former une sorte de passage ou de coulisse (ai âvto nxoolot) 3. Ces prismes pivotaient sur un axe, de là leur nom, et leurs trois faces latérales portaient chacune un décor différent, exécuté de manière à se raccorder avec le sujet central On disposait par là de deux changements à vue sur chaque côté. Au reste, les deux périactes ne tournaient pas toujours à la fois' : on peut même croire que c'était là l'exception. Pollux nous signale à ce propos une curieuse convention. Quand les deux périactes tournaient ensemble, on admettait que le lieu de la scène (tic pa) était totalement changé. Lorsque au contraire la période de droite (il s'agit de la droite du spectateur) évoluait seule, le changement ne portait que sur une partie déterminée ('rdnoç) du lieu de l'action. Cette convention, évidemment, dérive de la signification locale, attribuée à Athènes aux entrées latérales : l'entrée de l'Ouest symbolisait -LEUISTRIO] le voisinage immédiat, celle de l'Est l'étranger. Comme exemple du premier cas, on serait tenté de citer les Euménides, où l'action se transporte subitement de Delphes à Athènes 6. Dansle second genre on nommerait l'A jax, dont une scène se passe en un bois solitaire, à quelque distance de la tente du héros, tandis que toutes les autres ont lieu devant cette tente 7. Toutefois l'opinion à peu près unanime des savants, aujourd'hui, est que les périactes n'étaient pas encore connues à l'époque classiques. La principale raison qu'on avance, c'est qu'elles ne sont citées que chez des écrivains très postérieurs, Vitruve et Pollux 0. Cette raison, pourtant, n'est pas absolument décisive, car, sans une sèche mention d'Aristote, nous ne serions pas plus renseignés sur le décor de fondf0. Ajoutons que plusieurs passages des tragiques impliquent l'existence, sinon de périactes proprement dites, du moins d'un décor latéral 11. V Au nombre des machines du théâtre, on peut encore ranger, en raison du mécanisme qui le mettait en mouvement, le rideau (en latin aulaeum, ou plus souvent au pluriel aulaea). Chez les Romains, il se manoeuvrait en sens inverse de notre rideau moderne. Au début de la représentation, il descendait et s'enfonçait dans une crevasse longitudinale, pratiquée sur le devant du logéion (aulaea prelnuntur) ". A la fin de la pièce, pour dissimuler la scène, on le relevait (aulaea tolluntar) 13. Selon Donat, le rideau n'aurait été introduit à Rome qu'en l'an 133 av. J.-C.; on aurait utilisé pour cet emploi un des riches tapis provenant de la succession d'Attale, roi de Pergame, qui avait fait son héritier le peuple romain 'l. Sur cette tapisserie étaient brodés des personnages de grandeur naturelle ; on la faisait remonter avec une lenteur calculée, de façon que les figures se dressant peu à peu semblaient la soulever elles-mêmes de leurs bras15. Il reste dans plusieurs théâtres romains, en particulier à Herculanum, Pompéi, Arles, Orange, des vestiges de la crevasse dans laquelle disparaissait le rideau. Toutefois, on ignore absolument la nature du mécanisme à l'aide duquel il fonctionnait. Les hypothèses, hasardées à ce sujet, n'offrent point assez de probabilité pour qu'il y ait quelque intérêt à. les relater ici 1G. Outre le rideau dont il vient d'être question, qui était le principal et fermait toute la scène, il y en eut, du moins à partir d'une certaine époque, un autre plus petit, appelé siparium, qui dissimulait le fond de la scène17. C'est devant ce rideau, par conséquent sur la partie antérieure du logéion, que se jouait le mime [MIMUs] 78. Il servait aussi dans les autres genres dramatiques, pendant les entr'actes et les changements de décors 19. On le manoeuvrait, semble-t-il, comme nos grands rideaux de fenêtre, qui se divisent par le milieu et se tirent de chaque côté 20 La question du rideau dans le théâtre grec est fort controversée 21. D'une part, il n'existe, quoi qu'on en ait dit, aucun texte de l'époque classique qui y 185 MAC 1170 MAC fasse clairement allusion ' Et ce silence constitue à lui seul une présomption négative des plus fortes'. D'autre part, le théâtre grec renferme maintes scènes, dont la représentation, aux yeux d'un moderne, exigerait impérieusement le rideau. De ce genre sont, par exemple, tous les débuts de tragédies ou de comédies, dans lesquels l'attitude des personnages est la prolongation d'un état antérieur. C'est ainsi que, dansl'Andromède d'Euripide, l'héroïne apparaissait dès le début de la pièce attachée à son rocher 3. Dans l'Oreste du même poète, nous voyons le héros de ce nom étendu « depuis six jours n sur son lit de douleur. De même, dès le premier vers des Puées, Strepsiade et Phidippide sont couchés et ronflent. Qu'on imagine ce que pouvait être la représentation de telles scènes en l'absence de rideau. Il fallait nécessairement que l'acteur prit sous les yeux mêmes du publie l'attitude requise. Dans l'Oreste, par exemple, un lit était d'abord apporté sur la scène ; puis arrivait Oreste qui s'y couchait ; ensuite survenait sa soeur Électre, qui s'asseyait à son chevet. Tous ces préparatifs terminés, celle-ci prenait, enfin la parole pour déclarer qu'ils étaient tous les deux, «depuis six jours entiers », dans cette situalion. Le public du ve siècle conservait-il assez de naïveté pour accepter sans protestations une pareille accumulation d'invraisemblances'? C'est ce qu'ilesthien difficile de décider : l'imagination du public e, en effet, des exigences ou des complaisances qui varient extrêmement selon les lieux et selon les temps. Récemment, M. Bethe a repris l'argumentation en faveur du rideau. II a fait remarquer d'abord qu'aucun des drames grecs antérieurs aux trente dernières années du ve siècle ne présen te l'invraisemblance signalée plus haut . Tout au contraire, elle devient fréquente après cette date 5, et, ce qui est plus significatif encore, on la rencontre même dans des drames où un très léger changement de structure eût permis au poète de l'éviter'. Qu'en conclure, sinon que dans l'intervalle le rideau avait été inventé? Mais, malgré tout, un doute subsiste, qui tient sans doute, en partie, à ce que la question est mal posée. If n'est pas probable, en effet, que le rideau de théâtre ait été adopté à une date précise et une fois pour toutes. Avant qu'il y eût un rideau permanent, le besoin a dù plus d'une fois suggérer l'idée d'un voile ou écran provisoire, dissimulant jusqu'au commencement de la représentation tout ou partie du décor. Qu'on suppose au début de I'Oreste un écran de ce genre, placé devant le lit qui sera le centre de l'action, puis enlevé au dernier moment, est-ce que les invraisemblances dont nous avons parlé ne seront pas du coup sensiblement atténuées ? Là est peut-être la vraie solution'. Quoi qu'il en soit, il convient de remarquer qu'à Rome même le nom que porte le rideau de théâtre est grec (xêXa(n), ce qui semble bien prouver que les Latins ne l'ont pas inventé, et qu'il est d'origine au moins alexandrine. Arrivons aux machines proprement dites. Il a été traité déjà dans un article spécial de l'EKrsKLEMA. Mais cette machine a, depuis lors, été l'objet de nombreuses recherches et conjectures dont il est indispensable de dire un mot. Dans une dissertation parue en 1590 M. Neckel s'est donné pour tâche de prouver que ni Eschyle ni Sophocle n'avaient connu l'ekkykléma, et que c'est une invention des tragiques plus récents, Euripide et Agathon : invention où se trahit du reste le mauvais goût du temps. L'Héraclès furieux d'Euripide serait, au dire de M. Neckel, la seule de toutes les tragédies subsistantes qui en offre un exemple certain. Dans la plupart des scènes où on admet communément l'emploi de la machine, les cadavres auraient été simplement apportés sur la scène par des serviteurs. M. Dôrpfeld non seulement a approuvé les conclusions de M, Neckel, mais incline pour sa part à une solution plus radicale. L'ekkykléma, à ses yeux, e'tt un appareil ridicule et tout à fait indigne du sérieux de la tragédie attique. Il suffisait, pense-t-ii, que, les portes du fond étant ouvertes, les acteurs et le choeur vissent, ou plutôt eussent l'air de voir ce qui se passait à l'intérieur du palais a. La thèse absolue de M. Dôrpfeld a été reprise depuis, avec développements et preuves à l'appui, par son collaborateur M. Reiseh10. Revue faite de toutes les scènes tragiques, alléguées en faveur de l'ekkyklénaa, celui-ci conclut sans hésiter par la négative. Restent, il est vrai, les deux passages connus d'Aristophane (Acharn., 404 sq. ; Tllesrnoplmr., 95 sq.), où tout le monde jusqu'à ce jour, y compris M. Neckel lui-même, a va une parodie de l'ekkykléma. Pour échapper à la difficulté, M. Reiseh hasarde une interprétation toute nouvelle de ces passages ; selon lui, il n'y est nullement question de l'ekkykléma; les verbes lxxuxàE%v et eiaxuxXo(v y désignent simplement un lit de repos à roulettes sur lequel Agathon et Euripide se font transporter en vue du public, et ce lit roulant serait une parodie de la mollesse et des habitudes efféminées des deux personnages t1. Ce n'est pas ici le lieu d'examiner par le menu ces assertions, qui nous semblent fort hasardeuses. Bornons-nous à dire qu'à nos yeux l'existence de l'ekkykléma dès le ve siècle demeure hors de doute 12. L'interprétation des deux textes d'Aristophane qu'imagine M. Reisch est inacceptable 13 ; il reconnaît lui-même qu'elle ne rend pas compte de tous les détails de la scène des Aclaarniens ". Nous n'admettons pas davantage la thèse plus modérée de M. Neckel ; il n'existe aucune raison de ramener aussi bas qu'il le veut la date de l'invention de l'ekkykléma. Tout au contraire, car cet appareil, bien loin d'être un raffinement de décadence, témoigne, chez les auteurs et le public, d'une naïveté et d'une complaisance d'imagination toutes primitives' e. MAC -. 147)l MAC On a vu plus haut [EKKYKLEMA1 que, si le but de l'ekkyklem,a est clair, rien ne l'est moins que sa construction et le mécanisme qui le faisait mouvoir. Or une théorie nouvelle, tout récemment proposée par M. Exon, apporte quelque lumière sur ces obscurités'. Dans quatre des textes anciens relatifs àl'ek/cykWina, un mot jusqu'alors négligé a attiré l'attention de ce savant : c'est le verbe ment la manoeuvre de l'ekkyklém,a : il ne s'agit pas, comme on l'avait cru jusqu'ici, d'une poussée en avant, mais d'un mouvement rotatoire autour d'un pivot. Partant de ce fait, M. Exon reconstruit la machine ainsi qu'il suit : un axe vertical fixé dans le seuil du mur de fond (une partie de ce mur, qui, à l'époque classique, n'était qu'une simple cloison de boisa, mobile autour dudit axe) ; derrière elle, une plate-forme semi-circulaire, y attenante, et roulant sur des roues basses. Faites décrire à ce dispositif un demi-cercle, et la partie mobile découpée dans le mur de fond viendra présenter aux spectateurs, au lieu de la paroi externe qu'ils avaient tout à l'heure sous les yeux, sa face interne ainsi que la plate-forme qui y est fixée. Quels sont les avantages de cette nouvelle théorie? Il y en a plusieurs. D'abord, et c'est là l'essentiel, nous y gagnons de l'espace. La théorie traditionnelle, en effet, qui faisait de l'elc/eykléma une plate-forme, poussée en avant hors d'une des portes de la skénè, ne permettait de lui attribuer que des dimensions fort restreintes ; de sorte que l'emploi de cette machine, en bien des cas où il est expressément attesté par les scoliastes, devenait singulièrement invraisemblable : en particulier dans les Euménides, où douze Furies y doivent trouver place à la fois, dans l'Ajax, dans l'Héraclès furieux, etc. Or l'hypothèse de M. Exon lève cette difficulté : rien de plus facile que de calculer exactement les dimensions de la plate-forme semi-circulaire qu'il suppose. Le rayon nous est donné par la profondeur du logeion, soit '2m. 35 àAthènes, elle diamètre sera naturellement double, c'est-à-dire de ti m. 70. Or une surface semi-circulaire de 2 m. 35 sur 4 m. 70 est certainement suffisante et au delà pour tous les tableaux vivants qui doivent paraître sur I'ekkyléléma, même pour le plus embarrassant et le plus compliqué de tous, celui des Euménides. lin second avantage, c'est que la manoeuvre pouvait se faire avec infiniment plus de sùreté, d'un mouvement doux et régulier, sans bruit ni secousse de nature à déranger l'ordonnance savante du tableau. Enfin, il faut accorder à M. Exon que f ekkyklé/na, tel qu'il le décrit, donne lieu à des effets scéniques beaucoup plus heureux et plus saisissants que dans la conception ancienne : c'est, à la lettre, la chambre du crime qui, soudain, comme au coup de baguette d'une fée, tourne sur elle-même et vient s'offrir aux regards du public. Est-ce à dire que nous devions accepter intégralement et dans tous ses détails cette reconstitution? L'auteur luimême ne le prétend pas : il a voulu exposer, dit-il, n non pas ce qu'a été exactement l'ehkykléina, ruais ce qu'il a pu être ». Un fait reste acquis : c'est que la machine connue sous ce nom évoluait autour d'un axe De l'exostra (t;àerp«), laquelle n'était, selon Pollux et Hésychius, qu'une variété de l'efekykléma, il a été parlé Après l'ekkykté/na, la plus importante des machines était la [.riy av i) A. Elle servait, dit Pollux, a à faire voir dans les airs les dieux et les héros, les Bellérophons et les Persées' ». A propos d'une machine qu'il nomme Ëii~pr,l,ax ou «idSprli.«, Suidas donne une définition analogue et répète l'exemple de Bellérophon : d'où on peut conclure que le mot éoréma n'était qu'un autre nom de la méchanè. Enfin, un troisième nom que porte dans certains textes lexicographiques la « machine à voler )t. est celui de .(Épxvoç ". Cette dernière dénomination a l'avantage d'être plus précise que les deux Ieécédentes. Les anciens, en effet, appelaient géranos l'appareil que, par une métaphore toute semblable, nous nommons grue. D'après cette seule indication, il est possible de reconstruire, au moins dans ses grandes lignes, l'aspect de la méchanè : elle devait se composer essentiellement d'un ou plusieurs câbles, glissant sur une moufle et actionnés par un treuil, avec un crochet à leur extrémité pour y attacher les fardeaux. Telle est bien, en effet, l'idée qu'on arrive à se faire de la méchanè, en combinant les détails qui nous sont parvenus isolément à son sujet. Dans plusieurs textes relatifs à la méthane, il est question de l'âyxop(ç, c'est-à-dire du crochet en forme d'ancre auquel était suspendu l'acteur Pollux parle, en outre, « des càbles (ahîîpat), qui pendent d'eu haut pour supporter les héros et les dieux, qui semblent se mouvoir dans les airs" ». Enfin, il est fait mention dans un fragment du Daedalos d'Aristophane de l'un des organes de la méchanè, appelé 't'poz iç n'o : ce mot désigne soit la poulie, soit plus probablement le treuil ou cabestan, autour duquel s'enroulaient et se déroulaient les cordages. Nous retrouvons là, comme on MAC 1472 MAC voit, à peu près au complet les organes essentiels de la grue moderne'. C'est à tort pourtant, si je ne me trompe, qu'on a parfois admis que la méchanè tournait, comme nos grues actuelles, autour d'un pivot, de façon à exécuter, outre le mouvement vertical de descente et d'ascension, un mouvement horizontal de translation. Vitruve lui-mémo ne semble pas connaître ce perfectionnement'. Sur l'emplacement de la méchanè, Pollux et le scoliaste de Lucien sont d'accord. Elle était située, dit le premier, « du côté de la parodos de gauche, en haut, au-dessus de la skenè ». D'autre part, le scoliaste de Lucien s'exprime ainsi : « En haut, au-dessus des portes qui sont de chaque côté de la porte centrale du théàtre (entendez plus exactement de la skénè) étaient deux machines : celle de gauche faisait paraître soudain les dieux et les héros'. » Ces deux textes se précisent l'un l'autre. Si l'on s'en tenait au premier, on pourrait, comme l'ont fait du reste plusieurs érudits, situer l'appareil dans ou derrière l'aile latérale de gauche °. Mais c'est ce que le second texte interdit absolument. On doit se représenter le corps de la machine établi derrière le mur de fond, et le bras qui portait la poulie passant par une ouverture de l'étage supérieur, à gauche. Au théàtre d'Aspendos on trouve effectivement deux larges haies, à droite et à gauche, juste aux endroits désignés par le scoliaste de Lucien 6. Par quel moyen dissimulait-on aux yeux du public le bras saillant et la poulie de la méchanè? Cela pouvait se faire de diverses façons dont la plus simple était d'établir à l'étage supérieur un avant-toit, suffisamment saillant et incliné. Quant aux câbles, il y a quelque raison de croire qu'ils étaient peints en noir ou plutôt en gris : du moins savons-nous, par Héron d'Alexandrie, que dans les théâtres de marionnettes de son temps on usait, pour dissimuler les ficelles, de cet artifice'. L'extrémité inférieure de la méchanè, destinée à supporter les personnages, prenait selon les circonstances les formes les plus diverses. Souvent elle figurait un char ailé : c'est sur un véhicule de ce genre, attelé de, dragons, que Médée, dans la pièce d'Euripide, échappe à la poursuite de Jason et emporte les cadavres de ses deux enfants'. Iris et Lyssa, dans l'Heraclès furieux du même poète, apparaissent également dans un char'", et de même encore Athéna à la fin de l'Ion". Parfois aussi l'extrémité du càble offrait l'aspect d'un animal fantastique. Euripide, par exemple, avait montré Bellérophon s'élançant vers l'Olympe, monté sur Pégase 1L. Et on se rappelle de quelle divertissante façon Aristophane, dans la Paix, a parodié cette scène : nous y voyons Trygée, nouveau Bellérophon, enfourchant, pour se rendre auprès du maître des dieux, un escarbot ailé ; et sans doute la maladresse voulue de la manoeuvre ajoutait au burlesque de cette ascension, car Trygée, feignant soudain la terreur, s'écriait : « 0 machiniste, aie l'oeil sur moi 13 ! » C'est également sur des chevaux ailés que les Dioscures apparaissent dans l'Hélène". Dans d'autres cas, l'acteur était suspendu directement au crochet qui terminait la méchanè « au moyen de ceintures et de courroies », semblant ainsi planer, sans secours étranger, au milieu des airs16. Il va de soi qu'une telle situation était des plus fatigantes et ne pouvait être gardée longtemps. C'est ce qu'indique, du reste, un fragment du poète comique Alexis" 6 : il y est question d'une loi portée par un certain Aristonicos, aux termes de laquelle les marchands de poisson étaient tenus désormais d'exercer leur commerce debout, et non assis. « L'an prochain, ajoute plaisamment le poète, il fera passer une autre loi pour qu'ils ne puissent vendre leur marchandise que suspendus en l'air (xpo uz .~vouç), du haut de la7néchanè, comme des dieux : de cette façon ils ne retiendront pas longuement les clients. On a cru longtemps, sur la foi de Pollux, que la machine à voler s'appelait dans la crime-die xp2'(32,, au lieu de mxavrl t7. Et, comme il serait étrange qu' ÿ ettt eu deux noms distincts pour une même chose, Wecklein a soutenu que l'appareil à voler usité dans la comédie avait sa forme propre, qui en faisait une caricature de l'appareil tragique 1'. A l'appui de son opinion il croit pouvoir alléguer la scène connue de la Paix d'Aristophane, où Trygée parodie l'ascension aérienne du Bellérophon d'Euripide. Mais le plaisant de cette scène consiste, non pas dans l'emploi d'une machine spéciale, mais dans le fonctionnement volontairement gauche et mal réglé de la machine ordinaire. C'est à peu près de la même façon que, dans les Acharniens et dansles Thesmophoriaz ousai, Aristophane a parodié l'emploi tragique de l'ekkyklérna, en étalant tout crûment aux yeux ce que cet appareil comporte de convention et d'invraisemblance. La vraie explication du texte de Pollux nous parait avoir été donnée par Crusius ". Nous possédons un groupe de gloses, se rapportantàl'expression x pxô~ç aye(a1ç, dans lesquelles le terme xp .i est défini « l'ancre ou harpon, auquel les acteurs dans la tragédie étaient attachés, pour simuler l'apparition d'un 'dieu 20 ». Or ces mots xpàlrlç a'Eiar,ç forment le début d'un trimètre iambique: de là M. Crusius conjecture assez vraisemblablement que quelque poète comique avait dû raconter la mésaventure d'un acteur qui, par suite de la rupture du crochet auquel il était attaché, avait été précipité du haut de la méchanè. Mais MAC 1173 -MAC pour quelle raison le poète donnait-il à ce crochet le singulier nom de xpS-rl, qui proprement signifie « branche de figuier »? Très probablement par une allusion plaisante à sa fragilité, cause de l'accident. Le figuier est en effet un bois mou et spongieux, très fagile par suite : si bien qu'en attique l'adjectif auxlvoç s'employait, par une métaphore courante, pour désigner toute chose frêle et sans valeur'. En résumé donc, Pollux a dû prendre ici, comme maintes fois ailleurs, une métaphore plaisante pour un terme technique. Comment a-t-il été amené à attribuer en propre à la méchanè comique ce nom de xpclôr,? Il est fort probable qu'il ne connaissait le passage comique dont nous venons de parler, comme nous, que par quelque glose de la locution xpoSrç pxyElo1ç. Or cette glose, dont il nous est parvenu des copies incomplètes, était sans doute rédigée dans l'original selon une formule, à peu près invariable chez les lexicographes : Kpâô-rlç seulement que le mot xp.Sr, se rencontre chez les comiques, ou chez un comique. Pollux a compris que la chose était usitée dans la comédie. La conclusion, c'est qu'il faut rayer définitivement le mot xpàSri du nombre des termes techniques désignant la méchanè. Pendant longtemps on a admis comme un fait indiscutable que la machine à voler était déjà connue au temps d'Eschyle, et que celui-ci l'avait employée maintes fois, même dans les drames conservés 2. On citait en particulier le Prométhée enchaîné, dans lequel le choeur des Océanides descend sur un char ailé 3, et où le dieu Okéanos arrive en scène sur une monture fantastique4. Mais aujourd'hui presque tout le mondes est d'accord que, dans le premier au moins de ces deux cas, il ne saurait être question de la méchanè. Élever et soutenir dans les airs, pendant le temps nécessaire à la récitation de cent cinquante vers environ e, un groupe de douze ou quinze personnes, c'est là un tour de force à peu près sans exemple même dans notre théâtre moderne, et dont la machinerie du ve siècle était évidemment incapable On est donc cénduit à croire que si le char des Océanides avait l'air (ce que le texte démontre) de planer dans les hauteurs, en réalité il ne planait pas 8. Par quels moyens mécaniques réalisait-on cette illusion? Ce n'est pas ici le lieu de le rechercher Quant au voyage aérien d'Okéanos, bien qu'il ne prête pas à d'aussi graves objections, il est naturel de penser qu'il était, lui aussi, simulé, tout comme le vol des Océanides10. On a allégué, en outre, l'apparition soudaine d'Athéna en char dans les Euménides (vers 403 404) ; mais ce passage contient plusieurs détails contradictoires, qui prouvent que le texte original a été altéré". Dans d'autres passages d'Eschyle, par exemple Euménides (vers 64) et Prométhée (vers 941), l'emploi de la méchanè a été parfois supposé, mais avec moins de raison encore t2. Enfin Pollux rapporte que, dans le Memnon (ou laPsychostasie) d'Eschyle, on voyait l'Aurore emporter au ciel, au moyen de la géranos, le cadavre de son fils Memnon" Mais peut-être, ainsi qu'on l'a objecté, ce témoignage très postérieur se rapporte-t-il, non à la représentation originale, mais à quelque reprise plus récente 16. Au total donc il est impossible, en ce qui concerne le théâtre d'Eschyle, d'arriver à une solution tout à fait certaine ". Quant à Sophocle, il n'est qu'une de ses pièces subsistantes où la méchanè ait été sûrement employée : c'est le Philoctète, joué en 409, à la fin duquel apparaît soudain Héraclès « venant du séjour céleste (olipav(« èp«ç 7tpo),riuiv)". Mais dans cet emploi du deus ex machina, il y a une évidente imitation d'Euripide. Celui-ci, en effet, n'a pas craint d'user de cet expédient dans plus de la moitié de ses drames, savoir : Médée, Andromaque, Héraclès furieux, Ion, Suppliantes, Électre, Hélène, Iphigénie en Tauride, Oreste" , Or la plus ancienne de ces pièces est Médée, jouée en 43118. C'est donc à cette date que se place le premier emploi certain de la méchanè dans la tragédie grecque, sans que nous soyons pour cela en droit de nier qu'elle ait pu être utilisée déjà précédemment dans des pièces perdues d'Eschyle ou de Sophocle, ou même dans telle pièce conservée dont la mise en scène nous est mal connue. M. Bethe 19 croit pouvoir fixer la date de la méchanè, à une ou deux années près. Voici comment il raisonne. Dans les Euménides (4h8 av. J.-C.), dans Ajax (avant 440), dans Hippolyte (428) les dieux paraissent à pied, sur le même niveau que les mortels. Au contraire, dans Héraclès furieux, Ion, Électre, Oreste, drames joués entre 424-408, le texte marque expressément que la divinité plane dans les airs au-dessus du temple ou du palais. Le soin même que prend le poète de signaler l'apparition aux spectateurs, et de « diriger leurs yeux vers le haut du théâtre » est, selon M. Bethe, la preuve qu'il s'agissait alors dun spectacle auquel les yeux n'étaient pas encore habitués 20. Partant de là, il conclut que la machine à voler n'a été introduite au théâtre qu'entre 428-421 Il précise même davantage : le Bellérophon d'Euripide, où le poète avait fait grand usage de la méchanè, ayant été joué avant 42521, c'est-à-dire MAC 1474 MAC au plus tôt en 426, c'est à l'un des concours de 4'27 ou 126 qu'a da se produire cette innovation'. A partir de cette date M. Bethe est convaincu qu'on ne vit plus aucune divinité paraître sur la scène autrement que par le moyen de la méchanè. Au bout de quelques années, les poètes se dispensèrent de signaler dans leur texte ce mode d'apparition devenu ordinaire et banal. La thèse de M. Bethe repose tout entière sur ce postulat qu'il n'existe aucun exemple certain de l'usage de la méchanè avant 426. Mais est-ce là une vérité reconnue? Tout le monde, au contraire, a, jusqu'ici admis qu'Euripide avait eu recours à cet appareil dès 431 dans sa lllédée 2. M. Bethe se donne une peine inouïe pour établir que c'est là une erreur' ; trais il a contre lui à la fois les indications fournies par le texte 1, le témoignage des scoliastes °, et la garantie d'Aristote °. La méchanè était donc connue dès 431. Mais si Euripide s'est servi en 431 de la méchanè, sans juger utile d'y faire allusion et de préparer le public à ce spectacle, force, est bien de reconnaître que les indications de ce genre contenues dans l'Héraclès, l'Ion, l'Électre, l'Oreste, n'ont pas la portée que M. Bethe leur attribue. Est-il vrai, du moins, qu'aucune divinité à partir de 425 ne s'est montrée sur la scène grecque de plain-pied avec les mortels ? Cela encore est une affirmation erronée. Il faut une singulière prévention, par exemple, pour nier que le prologue des Troyennes (415), entre Apollon et Athéna, se passe, non au ciel, mais sur terre, (levant la tente des captives troyennes'. Plusieurs détails de ce prologue ne laissent lieu à aucun doute'. Il faut donc renoncer à assigner une date précise à l'invention de la machine à voler. On a souvent dit que les périactes, outre leur destina1 ion décorative, servaient encore à produire les apparitions de dieux. Vitruve, en effet, écrit: « Blachinae..., jacte, cura aut fabularuin ntutationes sunt futurae sen deorunt adventus cum tonitribus repentinis, versentur ntutentyue speciem ornationis in fronte». » Il ressort de ce texte que les périactes tournaient en deux sortes d'occasions, bien distinctes : 1° lorsque avait Iieu un changement de pièce; 2» quand une divinité apparaissait dans les airs. Un passage de Pollux semble, au premier abord, la confirmation de ce second fait'». Après avoir parlé de la parodos et de la périacte de gauche, le lexi possible de décider avec certitude si le sujet de la phrase est la paradas ou la périacte". Ces deux textes ont été interprétés jusqu'ici très diversement. Les uns ont pensé à des apparitions peintes sur la face du prisme qui venait s'offrir aux yeux du public. D'autres, partant de ce fait que la périacte, tournant sur pivot, est un appareil plus stable, et par conséquent plus apte à mouvoir de lourds fardeaux que la méchanè, ont admis qu'elle pouvait, à l'occasion, faire l'office de celle-ci, en amenant par une brusque conversion l'acteur chargé de figurer la divinité t2. Ni l'une ni l'autre de ces deux interprétations ne me parait fondée. Si on examine, en effet, minutieusement le texte de Vitruve, on y découvre ceci : c'est que, dans les deux cas qu'il distingue, qu'il s'agisse d'un changement de pièce ou d'une apparition divine, la conversion de la périacte est présentée, non comme la cause, mais uniquement comme une circonstance concomitante du phénomène ; elle l'accompagne, mais ne le produit pas. Dans les deux cas le but de la manœuvre reste le même : mutare speciem ornationis. Tout à fait d'accord avec cette interprétation est une phrase réunis, comme dans le texte de Vitruve, les deux phénomènes : apparition d'une divinité et conversion de la périacte. Mais le texte de Plutarque est plus précis : il indique avec toute la. clarté désirable que l'apparition avait lieu, non par le moyen de la périacte, mais par celui de la méchanè. Reste à chercher pourquoi, en pareil cas, la périacte tournait. C'est ici le lieu de rappeler que les apparitions de divinités étaient, dans le théâtre antique, accompagnées généralement d'éclairs et de tonnerre, destinés à rendre la scène plus saisissante 1i. Laissons de côté, pour le moment, le fracas du tonnerre, lequel était produit par un appareil spécial (pov-retov), dont il sera parlé plus loin. Quant aux éclairs, Pollux nous apprend qu'ils étaient imités par le moyen du xeauvacxoneiov, qu'il définit : 7rep(axToç û (ria' 10. Le but de la conversion de la périacte, lorsqu'un dieu se montrait dans les airs, c'était donc d'amener en vue une autre face de prisme, accommodée à la circonstance, c'est-à-dire figurant probablement un ciel d'orage, chargé de nuages et sillonné d'éclairs16. C'est de cette même façon, je veux dire par la peinture, qu'est' simulée la foudre dans le théâtre d'automates décrit par Héron 17. Telle est sans MAC 103 MAC doute la vraie explication du texte de Vitruve. Elle éclaire du même coup celui de Pollux : celui-ci signifie simplement (en donnant à la phrase, comme sujet, le mot 7840ao5)«lue par le couloir de gauche arrivent, à pied les dieux marins' et que par là aussi se présente tout, ce dont le poids serait trop lourd pour la méchanè. Les apparitions célestes ne se produisaient pas seulement àl'aide de la méchanè. Parfois les poètes se servaient dans le même but du théologéion (006 (t?stov) 3, sur lequel nous n'avons, à la vérité, que fort peu de renseignements. Il est nommé par un grammairien anonyme parmi les inventions que quelques-uns attribuaient à Eschyle L Pollux, d'autre part, sans le définir expressément, donne un exemple de son emploi : « Du théologéion qui est situé en haut, au-dessus de la skénè, paraissent les dieux, par exemple Zeus et ceux qui l'entourent dans la Psychostasie a. » La Psychostasie ou Pesée des Limes est une pièce perdue d'Eschyle : on y voyait, selon Plutarque, Zeus tenant dans ses mains la balance fatale, dont les plateaux portaient les destinées d'Achille et de Memnon, et, de chaque côté, les deux mères Thétis et l'Aurore, implorant à genoux le salut et la victoire pour leur fils'. Le destin de Memnon ayant été trouvé le plus léger, sa mort était décidée. C'est sûrement à cette scène qui se rapporte l'allusion un peu vague de Pollux. Comme on le voit, le théologéion servait, lui aussi, à produire les apparitions divines, mais autrement et d'une façon plus saisissante que la méchanè : ce n'est plus ici un dieu qui descend sur la terre, c'est le ciel même qui s'ouvre, nous laissant apercevoir les dieux dans leur propre séjour 7. Sur la place et la forme du théologéion diverses hypothèses ont été émises. Toutes, naturellement, s'accordent à le placer à une certaine hauteur, sur la façade de la skénè'. M. Dôrpfeld, conformément à sa théorie bien connue qui relègue les acteurs avec le choeur dans l'orchestra, appelle théologéion ce qu'avant lui on appelait simplement logéion, c'est-à-dire le plancher horizontal du proscaenium 9 Mais c'est là une hypothèse que le peu d'élévation de ce plancher (8 à 10 pieds) rend tout à fait invraisemblable'0 Avec plus de probabilité d'autres savants situent le théologéion au sommet de l'habitation, le plus souvent à deux étages, figurée par le décor, par conséquent à 8-10 mètres de hauteur au-dessus du niveau de l'orchestra". En dehors de l'exemple cité par Pollux, fort rares sont les scènes du théâtre grec où l'on puisse supposer avec quelque raison l'emploi du théologéion. C'est ii, tort, je crois, qu'on 1'a parfois admis dans certaines apparitions, où le texte indique que la divinité se montre i' au-dessus Il faut remarquer en effet, d'abord, que ces expressions ne peuvent s'appliquer à la situation de personnes placées sur le toit même d'une maison 13 ; c'est la préposition Ënl qui conviendrait en ce sens. La préposition b7.p, et, plus manifestement encore, l'adjectif bnEtit.arlç expriment la position d'une personne placée non pas sur quelque chose, niais à une certaine hauteur audessus de cette chose. À moins donc de concevoir le théologéion comme une sorte de tribune aérienne dominant le toit de la maison''', c'est à la méchanè qu'il faut rapporter ces apparitions. Il y a une autre raison très forte d'adopter cette solution. Le théologéion est, incontestablement, une invention rudimentaire, peu propre à rendre l'illusion du vol dans l'espace: d'oit il y a lieu d'inférer qu'elle est plus ancienne que la méchanè et que celle-ci l'a remplacée. Or, toutes les apparitions ûnèo ôdN.wv, dont il vient d'être question, sont d'une époque où la méchanè était déjà en usage depuis plusieurs années ". Nul doute donc qu'elles n'aient été produites par l'appareil nouveau. En résumé, de toutes les pièces conservées une seule, semble-t-il, exige le théologéion ou une installation analogue. C'est la Paix d' Aristophane, où l'on voit Trygée monter chez les dieux. Il y aborde au vers 175 et n'en redescend qu'au vers 728 ; toute cette partie du drame se passe donc au ciel dans ou,plus exactement, devant l'habitation de Zeus. Cette habitation était sans doute représentée par le toit plat de la skénè, accommodé en conséquence, ou par une construction élevée audessus de ce toit la. Peut-être dans le Bellérophon d'Euripide, dont laPaix est une parodie, en était-i1 de même t7. D'après tout ce qui vient d'être dit, le théologéion n'est point, à proprement parler, une machine : c'est simplement une partie du décor de fond. Il est même fort probable, vu le petit nombre de scènes où son emploi parait nécessaire, que ce n'en était pas une partie permanente, et qu'on ne l'établissait qu'exceptionnellement, quand besoin était. Le théologéion, cependant, mériterait, au moins en quelque mesure, le nom de machine, s'il était vrai, comme l'ont, cru nombre de savants id, que l'apparition des dieux s'y produisait au moyen d'un mécanisme, analogue à celui de l'ekkylcléma ou de l'exostra, qui les amenait soudainement en vue. MAC 1476 MAC Cette opinion s'appuie sur plusieurs textes, de basse époque, où les termes éxxux),Eiv ou 677etaruxXEiv sont em ployés en parlant d'apparitions divines'. Comme ces termes ne paraissaient pas pouvoir s'appliquer à la méchant), on y a vu une allusion au théologéion : de là l'hypothèse d'une sorte d'ekkyklema supérieur, amenant les dieux aux regards du public, comme l'ekkykléma proprement dit amène de l'intérieur sur la scène les personnages humains. Mais il y a là, très certainement, une erreur. Les mots €xxux),EFv et arttaxux).Eïv, on pourrait le prouver par de très nombreux exemples, avaient complètement perdu, chez les écrivains de basse époque, leur sens étymologique : ils signifiaient simplement, sans aucune allusion à l'ekkykléma, « produire en vue, amener à la lumière » quelque chose 2. C'est là, sans aucun doute, le sens qu'il faut aussi leur attribuer dans les textes qui nous occupent. Et dès lors rien n'empêche plus de rapporter ceux-ci à la méchanè. La distégie (StaTEyla) est, comme le théologéion, un praticable plutôt qu'une machine. Elle n'est décrite que par Pollux3, qui s'exprime ainsi' : « La distégie, c'est tantôt dans une habitation royale l'étage supérieur, d'où, par exemple, dans les Phéniciennes Antigone contemple l'armée; d'autres fois, c'est un toit en tuiles, d'où on se bat avec des tuiles ; dans la comédie, c'est du haut de la distégie que les prostitueurs sont aux aguets, ou que les courtisanes, vieilles ou jeunes, regardent dans la rue. » Rien de plus énigmatique que cette définition. Pour l'éclaircir, analysons les scènes de la tragédie et de la comédie auxquelles Pollux, explicitement ou tacitement, nous renvoie. La première variété de distégie se rencontre, dit-il, clans les Phéniciennes d'Euripide. On volt en effet, dans cette pièce°, Antigone, accompagnée de son pédagogue, monter « à l'étage supérieur du palais » ((..EX OP«ly Es ripas Ëc'm'rov pour apercevoir l'armée ennemie, campée sous les murs de Thèbes. La distégie, dans cette pièce, représente par conséquent le toit plat qui recouvre le premier étage. La plupart des maisons athéniennes avaient de ces toits en terrasse, où la famille prenait le frais le soir, et d'où les femmes pouvaient voir au dehors, sans être vues6. Quant à la seconde sorte de distégie, la définition tout à fait insuffisante qu'en donne le lexicographe semble pourtant se référer à la scène finale de l'Oreste d'Euripide. Oreste, Pylade et Électre sont retranchés sur le toit du palais de Ménélas, avec Hermione qu'ils ont saisie comme otage et qu'ils se disposent à frapper. Ménélas, au bas du palais, essaie en vain d'en forcer les portes pour secourir sa fille. Et Oreste le menace, s'il ne s'arrête, de lui briser la tête avec une tuile arrachée au larmier °. Ici donc la distégie simulait une toiture en tuiles, probablement inclinée Ce genre de toit, naturellement, n'était pas praticable, comme le précédent, et la présence d'Oreste et de ses complices ne s'y explique que par les nécessités de l'action. Reste enfin la troisième variété de distégie, qui paraît bien n'être autre chose que les fenêtres de l'étage supérieur °. Dans la scène si connue des Eccfesiasuses, où une jeune femme et une vieille se disputent les faveurs d'un jeune homme, c'est de la fenêtre que l'une et l'autre lui adressent leurs déclarations 1f. En résumé donc, la distégie, c'est, d'une manière générale et conformément, à l'étymologie du mot, l'étage supérieur d'une maison, et, selon les cas particuliers, tantôt le toit plat ou incliné, tantôt les fenêtres de cet étage ". Ou plutôt, car il faut se rappeler que dans le théâtre grec la maison où se passait l'action est figurée par une simple toile peinte, la distégie, c'est l'installation matérielle, le praticable, comme nous disons aujourd'hui, sur lequel se tenaient les acteurs, qui étaient censés apparaître à la fenêtre ou sur le toit. Dans le premier cas, il suffisait de faire coïncider les fenêtres du décor avec les baies de la skénè, située derrière. Quant au toit, il était sans doute représenté par une longue et étroite plate-forme de bois, ayant comme profondeur l'intervalle entre le plan vertical de la skénè et celui du décor, et établie au sommet de ce dernier I2. L'usage de la distégie est fréquent dans les drames conservés. Outre les exemples déjà énumérés on peut citer encore l'Agamemnon, qui s'ouvre par le monologue du veilleur, posté en observation sur le toit des Atrides, et de nombreuses scènes de la comédie. C'est ainsi que dans les Acharniens f3 la femme de Dicéopolis regarde du haut du toit défiler la procession des Dionysies rustiques ; une scène des Guêpes" nous montre Bdélycléon, faisant son lit sur le toit pour mieux surveiller son père; à la fin des Nuées '° Strepsiade, une torche en main, escalade le toit de la maison de Socrate, pour l'incendierf6. Outre les machines destinées à montrer les dieux ou les héros dans les airs, le théâtre grec en avait d'autres qui amenaient des enfers les âmes des morts ou les divinités souterraines. Ces machines, selon Pollux, étaient de deux sortes. La plus simple, qu'on apaelait escalier de Charon (yapo,vtot x),(N.axES), n'était, selon toute appa rence, qu'une échelle, par où l'acteur montait du soussol à la lumière ". Les anapiesmata (âvaat€ap.ETa), au nombre de deux, semblent avoir été des trappes mobiles, qui élevaient mécaniquement les personnages jusqu'à la surface du sol". Où étaient situés ces dispositifs? C'est ce qu'il est à peu près impossible de déterminer. Il n'y a, à cet égard, rien de certain à tirer du texte de MAC Uri MAC Pollux. Les termes par lesquels il indique a situation xEiu.EVat) ont été interprétés d'une douzaine de façons différentes. Et la situation des deux anapiesmata n'est pas beaucoup plus clairement décrite (Tb N.€v ÉGTtV is T=ri admis sans conteste que les acteurs grecs jouaient sur le logéion, il paraissait naturel et presque nécessaire de situer ces appareils dans la chambre au-dessous, appelée hyposkénion2 [TIIEATRUMI. Force est au contraire à M. Dérpfeld 3 et à ses partisans de les placer dans l'orchestra, et, par conséquent, d'y supposer des corridors souterrains, construits pour cet usage. A la vérité, des couloirs de ce genre, partant de la skénè et aboutissant dans l'orchestra, ont été découverts, au cours des fouilles de ces dernières années, dans plusieurs théâtres grecs: à Érétrie t, à Sicyone', à Magnésie du Méandre', à Tralles'. Mais plusieurs de ces corridors, M. Dérpfeld le déclare lui-même, n'ont jamais été praticables 8 ; et, ce qui est plus grave encore, le même savant estime qu'il n'y en a jamais eu au théâtre d'Athènes, prototype de tous les théâtres grecs 9. Il est donc à peu près certain que les conduits souterrains, là où on les rencontre, ne servaient pas aux apparitions mais à d'autres usages, qu'il est d'ailleurs assez difficile de déterminer. Qu'en conclure ? Il n'y a pas lieu, nous devons le reconnaître, de se faire de ce résultat une arme contre la théorie de M. Dôrpfeld. L'étude minutieuse dont les drames classiques ont été récemment l'objet a prouvé, en effet, que les apparitions souterraines étaient infiniment plus rares dans le drame grec qu'on ne se l'imaginait jadis, et qu'elles se réduisaient en dernière analyse à deux exemples certains'°. Dans les Perses Darius, à la prière de ses anciens compagnons, surgit hors de son tombeau. Dans Prométhée, le rocher auquel est cloué le Titan s'abîme dans les entrailles de la terre. Mais il ne faut pas oublier que, ces deux pièces ayant été jouées avant l'invention des décors peints, la décoration y était entièrement massive. Il faut donc se représenter le tombeau de Darius comme une construction en bois, atteignant au moins une hauteur d'homme : dans ces conditions l'acteur pouvait très bien s'y tenir caché, et l'apparition n'exigeait qu'une échelle et un couvercle mobile". Quant au rocher de Prométhée, ce devait être une charpente plus imposante encore, s'élevant par degrés depuis le niveau de l'orchestra jusqu'à la cime qui supportait le Titan : probablement cette cime s'effondrait seule et disparaissait V. dans la cavité formée par sa base. Dans les deux cas, ainsi qu'on voit, il n'est nullement besoin de dispositifs spéciaux et permanents Il est donc fort probable que ceux que décrit Pollux sont d'un usage postérieur à l'époque classique. Ils paraissent en revanche avoir été employés à Rome. Le scoliaste de Cicéron nous apprend en effet que, dans l'Ilionè du poète Pacuvins, l'ombre de Polydore surgissait, « conformément à. la tradition tragique », du bas du rideau 12. Il faut donc admettre en cet endroit, c'est-à-dire sur le bord antérieur du logéion, une trappe pour les apparitions. Pour rendre le grondement du tonnerre, les anciens usaient de plusieurs procédés, tous fort simples. Héron d'Alexandrie nous apprend que, de son temps, on vidait des récipients, remplis de corps lourds, sur une peau sèche, tendues la façon d'un tambour f3. Le procédé indiqué par Suidas est un peu différent : il consistait à précipiter avec fracas dans un bassin d'airain le contenu d'une amphore, pleine de galets et de ferraille ''•. Cette dernière invention avait été perfectionnée à Rome par Claudius Pulcher: d'où le nom de claudiana tonitrua pour désigner le tonnerre de théâtre''. Enfin Pollux parle encore d'outres gonflées et remplies de cailloux avec lesquelles on frappait des plaques métalliques f0. Ce dispositif, sous ses diverses formes, s'appelait (ipov'Eïov ou j1.doV [ECnEION1. Il était situé derrière la scène", probablement à. l'étage supérieur. Les éclairs sont mentionnés plusieurs fois dans les pièces conservées, notamment dans le Prométhée, dans Œdipe à Colone, dans les Nuées, et en des termes qui ne permettent point de douter que ces phénomènes ne fussent sensibles aux yeux du public 18. L'appareil qui servait à rendre les éclairs s'appelait xEp«uvotsxoiruiov1°. Nous avons vu précédemment en quoi il consistait : les éclairs étaient figurés par une peinture que la périacte, en tournant, amenait soudainement en vue20. Dans certains cas (peut-être plus anciennement) on recourait, semble-t-il, à un expédient plus primitif. Un grammairien, énumérant toute la série des machines et des trucs du théâtre grec, parle d' « outres qui résonnent bruyam ment » ((iûpaatç aaTmYomaatç), ce qui est évidemment une allusion au tonnerre, puis de « torches secouées avec la main » (yctpoTav x'rsé 'ratte() : il est probable que ces derniers mots désignent les éclairs E1. Pollux nomme encore un certain nombre d'autres machines", mais sans les décrire, et en signalant seulement les effets qu'elles étaient destinées à produire. 186 MAC 1.178 MAC L'bemikyklion (i;p.txux),lov) tirait, dit-ii, son nom de sa forme, el; était situé Mn' OC Tr(vApii,l7 v 1 : ce qui semble signifier (bien que d'autres traductions soient possibles)'« en face de l'orchestra », c'est-à-dire au milieu du mur de fond. Pollux ajoute que l'hémi/'ylclion servait « à faire voir quelque partie éloignée d'une ville, ou des nageurs au milieu des flots ». Il est probable, d'après ces deux exemples, que l'appareil était destiné à rendre des effets de perspective. Partant de là, M. Lohde conjecture qu'il s'agit de la niche semi-circulaire qu'on remarque dans plusieurs théâtres romains au milieu de la scaenae irons" . Cette niche offrait une profondeur suffisante pour qu'on y pût installer un second décor, de petites dimensions. Ce second décor, suppose M. Lohde, aurait été visible à travers une découpure du premier ; et on s'en serait servi pour représenter, quand besoin était, des arrière-plans et des lointains. L'hypothèse est fort ingénieuse, mais elle reste malheureusement indémontrable Sur le strophéion (aTpoY,oïov), Pollux est plus laconique encore3. Il ne dit mot, en effet, ni de sa forme ni de sa place, et se borne à nous apprendre que le strophe'ion montrait « les héros changés en divinités, ou qui trouvent la mort en un combat de terre ou de mer ». Encore ce texte n'est-il pas sûr. Peut-être faut-il entendre avec M. Lohde 6, en supprimant la première particule disjonctive (-U : « les héros changés en divinités après leur mort en un combat ». Le strophéion serait donc une machine à apothéose ». Tout à fait arbitraires sont les diverses hypothèses qui ont été proposées sur la nature de cette machine Plus arbitraires encore sont celles qu'on a hasardées sur l'hémistrophion (lp.nirrpOcwv)e, dont Pollux ne nous a transmis que le noms. Dans l'étude qui précède, il a été presque exclusivement question de la machinerie des Grecs et fort peu de celle des Romains 10. C'est que sur celle-ci nous sommes à peu près dépourvus de tout renseignement. Toutefois on peut affirmer qu'en cette partie, comme en tout le reste de sa constitution matérielle, le théâtre latin a hérité du théâtre grec. Ce qui le prouve, du reste, c'est qu'on trouve chez les auteurs latins des allusions à la plupart des machines énumérées plus haut. En ce qui concerne d'abord les machines qui servent à manoeuvrer le décor, nous avons vu que les Romains connaissaient la scaena versilis 11, la scaena ductilis12 et les périactesL 3. Sous le nom d'exostra ils possédaient aussi tin appareil analogue. à l'ekkykle'nut . La naédianè n'est nommée nulle part avec précision n ; mais nous savons pourtant que les apparitions divines étaient chez les Romains un coup de théâtre aussi usité que chez les Grecs, et il n'est pas douteux qu'elles ne fussent effectuées par le même moyen 16. Comme chez les Grecs, ces apparitions étaient généralement accompagnées de coups de tonnerre" : il y avait pour ces effets un appareil inventé ou perfectionné par Claudius Pulcher (elaudiana tonitrua) 13. Pour les évocations des morts il existait, sur le devant du logéion, une ouverture ou trappe, semblable, sans doute, à l'escalier de Charon des Grecs 19. Enfin, il a été parlé précédemment des deux sortes de rideau, en usage à Rome (aulaea, sipariurft) 20. Il y a lieu, du reste, de distinguer dans l'histoire de la mise en scène chez les Romains, et par conséquent dans celle de la machinerie scénique, plusieurs époques. A l'origine, rien de plus rudimentaire : longtemps la sévérité romaine s'opposa à tout ce qui apparaissait comme un luxe et une dépense inutiles. Il n'y avait même pas de décor peint. Il en fut ainsi jusqu'en l'an 99 av. J.-C., où Claudius Pulcher, édile curule, montra pour la première fois à ses compatriotes une scène décorée à la grecque. Mais plus tard le théâtre romain, à son tour, dépassa singulièrement son modèle en magnificence et en prestiges mécaniques 2L. Plusieurs des machines nommées par Pollux, telles que l'hémilcylclion, le strophéion et l'hém.istrophion, n'ont sans doute été usitées qu'à l'époque alexandrine ou romaine, c'est-à-dire alors que les spectacles scéniques avaient dégénéré en exhibitions et en féries. C'est à cette même période qu'il convient de rapporter l'invention du pegma (a'ily u), une machine aux effets merveilleux et assez difficiles à comprendre". On s'en servait pour opérer des changements à vue. C'était une sorte d'échafaud, ayant la forme et les proportions d'une maison à plusieurs étages, et susceptible de transformations. Tantôt on le voyait s'élever et croître, puis se replier de nouveau sur lui-même, d'autres fois s'écrouler subitement. Il est probable que les étages qui composaient cette construction pouvaient rentrer les uns dans les autres ; le mouvement était donné par des contrepoids. Du reste, le pegma paraît avoir été beaucoup plus en usage dans l'amphithéâtre que sur la scène proprement dite 2%. O. NAVARRE,. Mn.E VII. En dehors des divers mécanismes qui viennent d'être énumérés, le nom de machina a été appliqué aux simples assemblages de bois qui composent un échafaud dressé pour faciliter le travail des ouvriers en bâtiment, maçons, peintres ou stucateurs (fig. 475€3)', ou à celui sur lequel des esclaves étaient exposés pour être vendus, ou des condamnés pour subir leur supplice [CATASTA. Pline appelle machina un chevalet sur lequel est placé un tableau ]PICTURA]. E. S. MACTRA (Mjartpx). Ce mot n'est employé qu'une fois en latin, dans un passage douteux'. En grec il est synonyme de xri.çlsotaç et a le sens précis de pétrin. huche à pétrir la farine2. Les différentes opérations de la. boulangerie seront expliquées au mot Pasron ; ce qui concerne le pétrin doit donc y prendre place. On lui attribue aussi le sens de baignoire3 [BALNEUM, qu'une forme exclusivement employée pour le féminin et qui signifie une femme « hors d'elle-même'». En ce sens Homère (qui ne connaît pas encore les vraies Ménades) l'applique à Andromaque affolée par l'inquiétude pendant le combat oh va périr Hector2. De la même racine que ir.av-ia = folie et p.aiveclat = être en fureur3, ce mot devient de bonne heure un nom, singulier ou pluriel, qui désigne les compagnes fidèles de Bacchus et passe en latin exactement avec le même sens. Il a beaucoup de synonymes'. Le plus fréquent, Bâ)pyy, veut simplement dire : « attachée à Bacchus' », mais, dans l'usage, ne se distingue du précédent par aucune nuance sensible. La racine de Arexi, qu'on retrouve dans le nom des fêtes « Lenaea », passait pour arcadienne'. K),wnvcç et Msgais),oveç sont des mots macédoniens, peut-être thraces 7, comme Baeeaptoeç qui se rapporte au nom d'une parure sur le caractère de laquelle on n'est pas fixé'. 0ie iug (de oivoç, vin) est tardif'. Oueaç, apparenté à tiavoç (comme IcOç à ..pt«ôeç16), a le même sens que µalvàg, mais les Athéniens l'ont fait servir spécialement à désigner les femmes qui, dans la réalité, pratiquèrent le culte de Dionysos, en imitant les rites des Ménades légendaires. 1. Nymphes primitives. Nourrices de Bacchus. Nymphes dionysiaques. En somme, tous ces mots désignent une même conception mythologique, mais dont l'aspect n'a pas été sans varier avec le cours des temps. Sur les plus anciens vases de la région et de l'époque ionienne, nous voyons grossièrement dessinées des femmes qui s'ébattent avec des Silènes lascifs, assistent ou se mêlent à leurs danses sauvages, échappent ou se prêtent à l'étreinte de leurs mains brutales. Ce sont les Nymphes primitives, et ce qu'elles représentent, c'est l'énergie vivante, humaine ou végétale. Nul dieu ne préside encore à leurs évolutions. Seules avec leurs vigoureux compagnons, elles personnifient les manifestations diverses de la vitalité, la poussée de la sève et la force génésiaque. Sur un dinos du Louvre au dessin rude et gauche, elles sont cinq, drapées, paraissant circuler parmi neuf Silènes à la taille allongée qui se démènent en agitant leurs queues de cheval". Ces Nymphes, habitantes des montagnes couvertes de bois et des gras pâturages au bord des fleuves sont familières à la poésie homérique et hésiodique 73, Le poète de l'Iliade se les représente comme favorisant la croissance des peupliers"; Sophocle comme faisant pulluler la végétation des prairies '°. Elles sont analogues, sauf leur séjour qui est différent, aux Naïades dont la grotte est décrite dans l'Odys.séei6, ou à ces Néréides qu'une peinture de vase MAE 11.80 MAE nous représente en face de Titans; on leur prête le même aspect extérieur et nous verrons les mêmes noms individuels désigner les unes et les autres'. Ces premières Nymphes des fourrés et des eaux vives, nous les retrouvons aussi sur une coupe ionienne du Musée de Wurzbourg2, guettées et convoitées par des Silènes mal dégagés encore de l'animalité antérieure (fig. 4759). Puis les peintres-potiers d'Attique empruntent le type aux fabriques ioniennes. Par exemple, deux amphores de Nicosthènes 3 nous font voir une danse ardente et mouvementée de Silènes nus et de Nymphes naïvement drapées', symbolisant les forces générales, la luxuriance de la nature vivante. Même représentation sur une curieuse amphore archaïsante 5 et sur de très anciennes coupes à yeux prophylactiques «fig. 4760). Mais de la Thrace vint par le nord de la Grèce un dieu qui, lui aussi, représentait a la sève de la terre et de l'humanité » avant de personnifier la vigne et la vinification, Dionysos, qui garda le surnom de ôevôp(rgç, arborescent 7 [BAC mus]. Or les Grecs, pour donner une forme vivante à chacun des traits qui composaient la personnalité complexe de leurs divinités, se plaisaient à les entourer d'un cortège de personnes divines représentant leurs énergies, leurs capacités multiples'. Les Nymphes forestières, comme les Silènes enfants de la nature, s'offraient on ne peut mieux pour accompagner et compléter le dieu nouveau, d'autant plus que Dionysos semble avoir passé dès l'origine pour un dieu contesté, persécuté, qui a besoin d'être consolé par des femmes dévouées. La légende de sa naissance même, de la mystérieuse disparition de Sémélé et de l'abandon où il est relégué par suite de la jalousie d'Hèra, impliquait l'existence de femmes qui remplaceraient sa mère et le recueilleraient : ce sont les nourrices de Dionysos dont il est parlé dans l'Iliade et que Lykourgos a brutalement troublées dans leur maternel office (t. 1, fig. 685)°. A Nysa où elles résident, Hermès leur remet l'enfant abandonné; mais Nysa est un nom de lieu ou de montagne qu'on a transporté partout où l'on a voulu placer le berceau de Dionysos : en Égypte, en Éthiopie, en Arabie, en Indei°, etc. Ces nourrices sont des Nymphes de la montagne ou de la forêt, amantes des rudes Silènes, comme celles à qui Aphrodite remet le fils qu'elle a d'A.nchise; leur vie a la durée des sapins ou des chênes". Nombre de monuments figurés, dont à vrai dire aucun ne remonte très haut, représentent Hermès prenant des mains de Zeus son fils 12, pour l'emporter à Nysa, ou le remettant aux Nymphes (t. I, fig. 680, 681), qui souvent ont avec elles le vieux Silènef3. Diodore de Sicile14 croit que le nom du jeune dieu est formé de celui de l'asile qui l'a abrité, précédé de celui de Zeus (ito + Nuç). Ces Nymphes maternelles Naïades les compagnes du dieu 9 ; Sophocle et Aristophane les désignent simplement du nom de Nymphes de Dionysos, et dans Horace, qui recherche les vieilles expressions pour les rajeunir par la place qu'il leur donne, on lira encore : Bacchum docentem... Nymphas discen.tes10. II. Premier type de la Ménade. Constitution du Thiase. Les Nymphes dionysiaques se consacrent à la MAE 1481 MAE ont été aussi considérées comme des Hyades (et métamorphosées par la légende en constellations), c'est-à-dire comme des personnifications de l'humidité qui fertilise. Elles n'apparaissent aussi nombreuses autour d'aucun autre petit dieu 1. Eschyle, dont elles exercent la verve satyrique, en fait de simples femmes de mortels2. Mais, en général, il ne semble pas que leur service près du divin nourrisson leur fasse perdre leur caractère de forces productrices, d'agents de la vitalité. Elles sont restées, rajeunies, autour de Dionysos adulte, comme protectrices ou protégées, confidentes, prêtresses, servantes. Ce qu'on nommera un peu plus tard Ménades, Bacchantes, etc., c'est simplement la troupe des Nymphes dionysiaques. En effet, sur un vase peint de l'époque classique, une femme grave et drapée qui assiste le jeune dieu a les attributs propres au thiase bachique et est expressément désignée par l'inscription MAINAI 3. Sophocle, d'autre part, montrait Dionysos adulte accompagné dans ses allées et venues près de Colone para ses nourrices») et déjà, au temps de Pisistrate, un hymne homérique contait qu'après l'avoir élevé, les nourrices de Nysa suivaient le dieu dans les forêts retentissantes de clameurs s oit il portait ses pas. Il est remarquable que c'est toujours la montagne° et les bois, non les cultures et les vignes, qui nous sont donnés comme séjour habituel de Dionysos par les poètes, même quand ils voient en lui le dieu qui fait fermenter la vendange; c'est une tradition antérieure ou différente qu'ils conservent. Sur les plus anciens vases que nous connaissons, ce sont ces simples Nymphes, sans attribut aucun, qui font cortège au dieu. Elles sont désignées du mot de NYIAI qui surmonte leurs têtes gauchement dessinées sur le vieux vase de Sophilos', et du mot NYct:■AI sur le vase François qui est de la première moitié du vie siècle : elles y figurent parmi des Satyres exubérants de fougue; à un autre endroit de la longue procession que déroule ce monument archaïque,ce sont les trois Saisons, wpat, quiaccompagnent la marche de Dionysos (fig. 4761) 3. Pratinas appelle fructification par excellence, celle de la vigne, quand leur dieu est devenu plus spécialement celui du vin et de la fermentation, et nous les verrons prendre peu à peu l'appareil extérieur, les dehors et les attributs par lesquels elles s'associeront le mieux à son caractère mythologique. Seules avec les Silènes, court vêtues et actives, elles font la vendange (fig. 476'2), détachent les MAT 1482 MAE grappes, emplissent les corbeilles, escaladent les pressoirs' ou récoltent les fruits d'un arbre'. Mais le dieu figure au revers de la coupe qui présente cette scène, et celles dont il est absent sont assez rares. C'est par enthousiasme pour lui que ces Nymphes se parent, bondissent, poussent des clameurs, et, elles s'exposent aux approches des Silènes pour le divertir'. Il est à remarquer que le dieu assiste grave à ces ébats, sans y prendre part. Les Ménades sont ses fidèles et ses suivantes, jamais son harem. Même il ne déploie son enthousiasme que dans la poésie. Dans la peinture et l'art plastique, en Grèce, il est toujours immobile et spectateur. C'est sans doute parce que les moyens dont disposent les arts du dessin ne permettaient pas de concilier en lui la mobilité violente avec le caractère divin. Il se démène chez les poètes`, mais les peintres ont chargé les Silènes et les Ménades de se mouvoir et de s'exalter pour lui. Les bonds rapides sont leur allure habituelle, et la comparaison qui leur est le plus souvent appliquée est celle de la biche qui, fuyant le chasseur, se sauve avec d'impétueuses saillies par les bois ". Il semble que c'est surtout elles qui remplissent les solitudes de clameurs et que 1'a?,onuy( dont Dionysos aime à faire retentir le pays où il apporte ses rites 0 est un cri féminin aigu et prolongé. Leur office parait si bien être de mener bruit dans les bois que les crotales sont le premier attribut qu'on leur voit sur les peintures de vases et qu'elles le garderont jusqu'au bout. Celles qui, dans les anciennes figures noires, n'ont pas encore de crotales et dansent au son d'une flûte de Satyre, sont brutales et disgracieuses'. Les Ménades à crotales les agitent quelquefois en accompagnant Dionysos (fig. 4763) ou en l'honneur d'un autre dieu comme Apollon8 ; on les voit aussi seules avec des Silènes, se mêlant à leur dévergondage". La couronne de lierre ou le léger diadème (fig. 4760, 4763, 4764, 4767) sont très anciens aussi. Le lierre, qui abonde dans les montagnes de Thrace, est consacré au dieu tout comme les feuilles de vigne qu'il remplace peut-être, étant moins rare et d'une forme analogue [li mCHOs] i0. La nébride (peau de faon) ou la pardalide (peau de panthère) se présentent à peu près en même temps et donnent un caractère très pittoresque aux figures qui en sont parées. Ou elle est ajustée à la taille, qu'elle moule (fig. 4763), ou elle pend sur le dos, retenue par les deux pattes de devant nouées sous le cou, ou encore elle est jetée sur une épaule de façon que la tête ou une ou deux pattes de la bête pendent de-ci de-là", Dionysos porte aussi cette pièce de vêtement par devant, à la façon d'un justaucorps (fig. 805). Aucun texte ne nous renseigne sur la signification de cette parure qui, tout au moins, indique l'habitude de la vie dans les bois, de la chasse. La plupart des figures de Ménades qui n'ont pas d'attributs autres que ceux énoncés ci-dessus, sont vêtues de chitons ou tuniques assez courtes et très serrées qui précèdent (au moins sur les monuments figurés) les robes longues et à plis nombreux. Les attitudes sont très variées. Parfois ce sont les anciennes danses très expressives mais sans grime, parce que les artistes ne savent représenter que des mouvements violents et anguleux. Par exemple, elles dansent à deux devant l'apparition de Dionysos et Koré sa mystique épouse dont les tètes, énormes en proportion des autres personnages, sortent de terre". Deux de ces Nymphes dansantes sont avec des Silènes dont la forme est encore plus animale qu'humaine l L. D'autres dansent très sages près de Silènes dont elles semblent ne s'occuper en rien i" ; d'autres près du char du dieu". D'une manière générale, et sans pouvoir indiquer les nuances, leur danse tend plutôt à s'apaiser sur les vases de la fin du vie et du commencement du ve siècle. Souvent elles passent simplement en tournant la tête du côté opposé à la direction de leur marche'. 11 arrive ainsi qu'elles regardent directement un autre personnage. On n'en doit conclure aucune intention : les figures de cette époque, étant toutes de profil, regardent forcément une de celles qui se trouvent près d'elles. Quelquefois elles sont simplement debout, des deux côtés de Dionysos, dans des attitudes exprimant plus ou moins de déférence et d'adoration 18. Il arrive, mais rarement, qu'elles gesticulent comme si elles sentaient un commencement d'ivresse ou une sorte d'étourdissement, par exemple sur une très ancienne amphore à zones du Louvre ". Ordinairement sur ces vases les zones de personnages bachiques ont au-dessus et au-dessous d'elles des zones d'animaux sauvages ou familiers, et il arrive même que le décorateur a fait passer quelqu'une de ces bêtes dans la zone des dionysiaques. Bientôt le mélange des deux éléments se généralise, et les servantes de Dionysos ont avec elles des fauves ou plutôt des animaux familiers qu'elles regardent ou caressent. Il semble qu'il y a là un effort pour embrasser dans une même conception toute la nature vivante et indiquer que les Nymphes dionysiaques représentent aussi bien la vie animale que la fructification. Peut-être nébrides et pardalides avaientelles déjà un sens analogue. Quoi qu'il en soit, vers le commencement du ve siècle il n'y a pas encore trace de violences exercées par les Ménades sur les animaux féroces ou sans défense. Un beau vase d'Amasis 20 représente deux Nymphes qui s'approchent, en pas de danse très rythmés, de Dionysos et lui présentent un lièvre (symbole de fécondité) et un cerf, tenus l'un par les oreilles, l'autre par les pattes (fig. 4764). Cet exemple est presque unique en son genre, ainsi que celui de la Ménade (ou Ariane) menacée par un lion gueule béante 21. MAS; 1'S3 MAE Ailleurs 1 le lion ne menace personne et on 1.u voit même porté sur le bras d'une Ménade. Celle d'une. hydrie de Pamphaios'-, assez coquette et presque amusée, porte un faon sur ses épaules. Une autre 3 regarde indulgemment une biche retournée vers elle, une autre 4 tient un cerf dans ses bras ; deux autres" une chèvre et la panthère qui deviendra l'animal favori des bacchantes. Mais celui qui, dès l'époque où nous sommes, est le plus significatif, c'est le serpent qui représente peut-être les rapports de Dionysos avec les dieux chthoniens. Pour la célébration des mystères bachiques, on apportait un serpent dans une ciste ou corbeille à couvercle. Par la suite, nous verrons les Ménades faire des serpents des usages assez imprévus. Jusqu'ici les peintres de vases les leur mettent simplement à la main ou auprès d'elles (fig. '1765) 6. L'attribut qui est la marque distinctive de la bacchante, qui lui appartient en propre et la met nettement à part des autres Nymphes, le thyrse, n'apparaît qu'assez tard dans les représentations comme dans les textes. Il faut arriver à la fin des vases à figures noires, c'est-à-dire au commencement du ve siècle, pour le rencontrer. D'après ce fait et d'après les variétés qu'il présente sur les peintures, il semble qu'il ait une double origine. D'abord c'est un simple arbuste arraché, un sarment un peu long ou une branche ayant à son extrémité un bouquet de feuilles, dont l'imagination aura armé les Ménades et leur dieu lui-même. On aura essayé, par jeu ou par dévotion, d'imiter les allures qu'on leur prêtait, puisqu'on nous dit qu'on en vint, pour éviter dans les démonstrations bachiques de se faire mai avec des branches ou scions de bois dur, à les remplacer par les tiges creuses et légères du narthex [FEDFLA] 7. Sur les dessins des vases, le thyrse est tantôt une branche feuillue par le bout ou un petit arbuste ;,fig. 4166), tantôt une tige de narthex. et, le plus souvent, une tige droite à laquelle il semble qu'on ait rajouté au bout un bouquet de feuilles d'arbre ou de vigne, ou de lierre. On aperçoit même sur certains thyrses l'attache en fils croisés de ce bouquet de feuillage 8. Mais le plus souvent l'objet est stylisé, c'est-àdire(pela forme et les détails en sont conventionnellement arrêtés et simplifiés (fig. 476513. Si cette introduction dans les dessins da principal insigne bachique est relativement tardive, c'est qu'elle se produit seulement après un essai de mise en œuvre et d'emploi dans la réalité 10 Chemin faisant, l'importance de cet accessoire augmentait au point que le caractère dionysiaque lui reste attaché plus qu'à tout autre. Désormais il est rare qu'il manque aux Ménades (si elles n'ont les mains occupées par autre chose) ; le dieu lui-même l'a assez souvent, les satyres quelquefois. Euripide nous montrera ses Bacchantes ayant pour premier soin, à leur réveil, de remettre des feuilles de lierre à leurs thyrses it. A peu près en même temps qu'elles sont pourvues du thyrse, deux derniers changements se produisent dans les allures et le costume des Ménades qui seront désormais prêtes à former le tu iase, c'est-à-dire le cercle ou la cour de Dionysos 12. D'abord, au lieu de bondir et danser simplement au milieu des Silènes ou de se prêter à leurs sollicitations, la Ménade se dérobe à leurs prises, au moins pour l'apparence et par jeu; un peu de pudeur coquette, sinon sérieuse, se révèle dans ses manières d'être, et le motif de la Nymphe bachique semblant se débattre avec son thyrse contre un Silène appréhendeur est déjà créé 13. L'art en tirera spirituellement parti. De plus, le costume est heureusement modifié suivant les modes du v' siècle, Les courtes tuniques ornées, mais serrées et même étriquées, font place à des peplos ou des chitons amples, bassara, flottants et à longs plis 1¢ sur lesquels la peau de panthère ou de faon se place avantageusement et qui dans la danse et les mouvements vifs peuvent tourbillonner en lignes harmonieuses [BASs ARA, MAE 1184 MAE fig. 805. En même temps les gestes heurtés, les poses anguleuses s'adoucissent un peu, et le thiase est constitué. Les Ménades en sont l'élément le plus intéressant, car le type des Satyres ou Silènes n'a guère changé ni progressé depuis leur création première. Dionysos barbu est immobile au milieu d'elles, debout ou assis sur un siège pliant avec un canthare, une branche de vigne ou un thyrse à la main. De part et d'autre, formant le plus souvent paire avec des Silènes, thyrse en main, elles bondissent, ou elles se débattent contre leurs compagnons. Le plus souvent, clans ce premier thiase, les personnages sont à la file sans qu'aucun rapport, aucune intention les relie les uns aux autres. Ils sont juxtaposés plutôt que groupés. De plus, s'il y a là de l'entrain, de la fougue exubérante et même de l'ivresse, aucun délire n'y apparaît encore, aucune extase; ce n'est que du mouvement, de la joie et de la vie. Bien que les choses du thiase semblent réglées dans leurs grandes lignes par une sorte de protocole à peu près constant, il y a cependant des variétés, des fantaisies et des exceptions. Ainsi les Ménades s'amusent avec des Silènes à se traîner ou à traîner Dionysos dans un char' (I, p. 606, fig. 683), ou elles-mêmes sont montées sur un taureau 2, ou à califourchon, jambes nues, sur un mulet ou un âne'. Il en est qui portent des couronnes. Une singulière représentation est celle de deux Ménades debout l'une contre l'autre et reliées par un même péplos très ample, entre deux Silènes qui paraissent les contempler respectueusement 4. Le concept de la Ménade serait probablement resté ce que nous venons de le voir et ce type artistique eût évolué toujours dans le même cercle, si un nouvel apport ne fût venu de l'Ionie modifier en Grèce l'aspect général de la religion dionysiaque et peut-être aurait-on vu simplement une mode singulière apparaître : un chiton supérieur, à manches longues et larges qui dépassent les mains et les cachent (fig. 4766) 4. L'ampleur de ces manches convient à merveille à celle de la gesticulation emportée °. Du reste, sauf cette particularité, le vêtement des Ménades est le même que celui des autres femmes représentées sur les vases de la même époque. C'est celui du temps tel que les peintres de vase peuvent l'interpréter : il n'y a pas d'uniforme de la Ménade à étudier, mais seulement des attributs et accessoires. Ces divers caractères de transition se remarquent plus ou moins sur une série nombreuse de vases à figures rouges'. Sur d'autres apparaissent des motifs quelque peu renouvelés, par exemple des compagnes de Dionysos donnant à des panthères et autres animaux des marques de tendre affection Il est des vases qui, anciens par la date (début du ve siècle) et voisins de ceux à figures noires par certaines traditions du dessin, nous présentent pourtant des Ménades d'un style et d'une conception vraiment neufs. Par exemple un cantliare de Nicosthène où trois servantes du dieu l'assistent pendant qu'il verse une libation sur la flamme d'un autel : l'une étend les bras vers l'autel, deux dansent et derrière l'une est son thyrse fixé en terre par une extrémité Vers l'époque où se produisent ces innovations artistiques, le culte de Bacchus se présentait une seconde fois en Grèce, arrivant non plus de Thrace, mais de Phrygie et de Lydie10, gravement modifié dans sa physionomie. MAE 14,85 -MAE Ceux des Thraces qui, passant l'llellespont, étaient allés former le peuple phrygien paraissent avoir volontiers donné le caractère asiatique aux divinités qu'ils amenaient avec eux et modelé le cortège imaginaire de leur Dionysos sur celui de la Grande Mère des dieux ou même d'Attys. Euripide nous atteste le transfert en Grèce de ce Bacchus d'Asie Mineure' (qu'on appelait Sabazios), et nous montre en même temps de quel vacarme d'instruments sa suite lydienne aime à s'étourdir. Le joyeux et vivace dieu grec de la fécondité et de la vendange prend souvent le nom de son concurrent d'Asie et devient frénétique et délirant. Ses Ménades, au lieu de pousser simplement des clameurs par les bois, font rage avec la 1l ôte lydienne, les cymbales, le tympanon. Une épigramme de Thyillos nous montre sous une forme saisissante les allures des prêtresses de Cybèle, orgies et tumulte, fureurs et transports, cheveux renversés en arrière dans la cambrure de la danse. Une de Philodémos donne à entendre que ces amies de la Mère des dieux sont aussi celles de Sabazios. Strabon de son côté laisse voir que les éléments des deux cultes se sont confondus Un fait très simple suffirait à montrer que le cômos bachique s'orientalise, c'est l'apparition aux mains des Ménades nouvelles (voir fig. 4772, 4773) du tympanon emprunté aux rites de Cybèle, instrument de tapage inconnu des premières nymphes dionysiaques. Les légendes, la poésie dramatique des Grecs se sont prêtées à ces changements, les ont secondés même en développant certains récits fabuleux venus de Thrace qui tous avaient un thème commun : sous des formes diverses, ils relataient le sort d'ennemis ou d'opposants de Dionysos, qui trouvaient répugnants les effets de l'ivresse et restaient rebelles à l'enthousiasme excité par la découverte de la vinification. Peut-être des chefs de peuple, indignés de voir jusqu'où le vin ravale un homme, voulurent-ils arracher les vignes sur leur territoire. Bacchus se défend contre cette ligue des antidionysiaques : dans la lutte il deviendra féroce. L'arme de sa vengeance, c'est la frénésie mémo, qu'il développe dans les esprits. Ou il frappe ses ennemis de démence 6 et ils périssent misérablement après s'ètre portés à d'affreuses extrémités, ou il communique une ardeur furieuse à ses Ménades ' qui se chargent de mettre à mal ceux qui l'ont offensé'. Lykourgos a maltraité les Ménades ou les nourrices du dieu : saisi d'un aveuglement qui se tourne contre sa propre famille, il frappe à coups de hache ses plus proches [BACCHUS, p. 608'. Orphée et Penthée ont nié la divinité ou la supériorité de Dionysos : les Bassarides, c'est-à-dire les Bacchantes de Thrace, éperdues de colère, mettent le premier en pièces10 ; quant au second, c'est sa propre mère qui, Ménade improvisée, hallucinée, inconsciente, le prend pour un taureau et l'égorge. Le dieu nouveau a été repoussé par Persée du territoire d'Argos : la troupe des Ménades l'y ramène et elles se font tuer pour l'y rétablir 11. Eschyle mit à la scène avec toute leur horreur la plupart de ces légendes, où ce sont toujours des femmes qui s'acharnent à défendre Dionysos. La Pythie des V. Euménides'"-dit que le dieu, parti en chasse avec des Bacchantes, a donné à Penthée le sort d'un lièvre, et c'est lit ce que les Xantriai présentaient sous forme de drame. Deux des sujets précédents remplissaient une tétralogie : les Édones, les Bassarides, les Jeunes, Lykourdos13. Dans les Édones 14, le poète mèlait les mystères de Cotytto à ceux du Bacchus thrace et nommait les instruments phrygiens qui excitaient le peuple des montagnes à la fureur (ti.xv(xç E7xymyôv blm xaxv) par leurs résonances accompagnant des voix mugissantes comme celles de taureaux. Dans un vers qui lui paraît excessif, Longin montre le palais même de Lycurgue en proie au trouble bachique ". La violence des Ménades guerrières parait toujours alliée à l'état d'esprit orgiaque, à l'extase : elles sont des « possédées ». Elles délirent à tel point qu'on a pu se les représenter comme mettant en pièces Dionysos lui-même 16 Cette démence et cette cruauté féminines s'offrent atténuées sous une seconde forme qui est l'omophagie, le déchirement (naxpâyp.oç) de membres d'animaux qu'on mange crus, présentée comme une sorte de répercussion, de talion en représailles d'un traitement analogue que Dionysos sous le nom de Zagreus aurait subi des Titans''. On la rapporte aussi à d'anciens rites sanguinaires dont le souvenir imposa, selon l'historien Phanias de Lesbos, à Thérnistocle avant la bataille de Salamine l'exécution d'un sacrifice humain. Ce qui apparaît comme certain, c'est qu'il y a dans cette croyance une allusion aux actes déraisonnables que l'exaltation peut faire accomplir à des natures facilement excitables 1". Si la joie débordante des Ménades correspond à l'effet du vin, il est certain que l'orgiasme sous ses formes diverses rend celui d'affections ner veuses, d'hystéries et d'hypnoses. Cela n'empêche pas que les Ménades personnifientencore les forces vivantes de la nature. Les conceptions diverses se soudent ensemble sans qu'il y ait fusion complète. Dans les monuments figurés depuis le pre. mier quart du ye siècle av. J-C., c'est le même type de Ménade, sans distinction bien sensible, qu'on trouve s'abandonnant au vertige de la danse orgiaque, combattant les ennemis du dieu ou dépeçant des bêtes, et même ces diverses actions sont parfois quelque peu mêlées, ce qui nous permet de les envisager ensemble. Sur une belle amphore du Cabinet 187 firygos, de style un peu plus ancien'(dessin brun sur fond blanc), la Ménade, la tète jetée de côté, avec une ample pardalide que sa marche dansante agite noué un serpent vivant autour de joue, et tient d'une )nain MAE _. 1 1.46 MAE des Médailles de. Paris, qui suit de très peu le style sévère des figures rouges, huit Ménades accompagnent leur dieu'. L'une d'elles est déjà représentée de face. I1 y a de la sobriété dans leurs mouvements de vif enthousiasme, mais l'une d'elles a déjà le tympanon familier aux prêtresses de la Grande Mère. et une autre agite en l'air la moitié d'un chevreau. Des thyrses, une patère qui sert. à la libation de l'une, un serpent, des torches (car les manifestations des Bacchantes sont Lou, jours supposées nocturnes) marquent le caractère de la scène. Au reste, les groupes, intéressants en euxmêmes, n'ont pas entre eux de lien. Deux Ménades semblent à l'écart, l'une enveloppe l'autre d'un beau geste de protection (fig. 4.767). Dans inc magnifique coupe de sur ses épaules, a ses cheveux où le vent son thyrse comme une arme, de l'au-. Ire, par une patte de derrière, une panthère qu'elle va peut-être dépecer, Sur une coupe d'Hiéron (fig. 4768) 3, plusieurs Ménades qui dansent., surtout celle qui élève un faon en l'air et celle qui brandit son thyrse en travers derrière sa tête ', ont un commencernent d'enthousiasme délirant. Sur une autre coupe du même cet enthousiasme prend un caractère licencieux. On ne sait pas quel était l'aspect des '[brades sculptées, près de Dionysos, au fronton arrière du temple de Delphes par Praxias et Androsthène ". et si elles présentaient quelque forme de délire bachique. Sans en tirer autrement conjecture, nous remarquerons que les Ménades brandissant des quartiers d'animaux sont assez rares sur les vases peints et que le a7capâygo; parait plutôt, par les imitations postérieures, avoir été unmotifde relief. Les vases peintsnous présentent moins souvent les Bacchantes omophages qu'homicides. Cependant, vers la fin du ve siècle, nous voyons tin type de Ménade qui marelle en tenant un ,jeune cerf de telle façon qu'elle semble chercher à en arracher les membres Un beau vase de la même époque nous en présente une dansant, en proie au vertige, les mains couvertes du chiton, la pardalide au vent avec la queue pendante, les jambes transparaissant sous lepeplos8, MAE et une seconde analogue. Après une coupe du plus beau style' où plusieurs couples de Ménades et Silènes nous présentent le type de lorgiasnte, à la belle époque des vases, indiquons deux exemples qui appartiennent àl'art du siècle suivant: un vase où une Bacchante tête renversée s'abandonne à l'ivresse de la danse, ayant fait tomber le haut de son chiton qui laisse son buste nu 2, et une amphore de 1-tuvo où, en face de Bacchantes en costume de théàtre, une Ménade naturelle danse avec fougue, se servant du thyrse comme d'un balancier pour assurer son équilibre. Voici maintenant des peintures oit leurs fureurs se tournent contre des hommes : 1° contre Orphée sur une amphore du Louvre 4 où la Ménade qui l'assaille est tatouée, sur un stamnos :; du même musée, et sur un autre ° où elles sont nombreuses et munies d'armes diverses, tandis que le chanteur n'a que sa lyre, enfin sur des fragments trouvés dans les fouilles de l'Acropole d'Athènes ; contre Penthée sur une pyxis et une coupe «fig. '1769), où on les voit élever triomphalement une jambe et un bras du malheureux ; 3° contre une victime qui n'est pas déterminée sur une belle coupe du Cabinet des Médailles à Paris ° ; t° derrière une scène représentant Lykourgos fou furieux, qui sévit contre sa famille, on voit une Ménade jouant du tympanon ° qui fait bien ressortir l'union du caractère orgiastique marqué par les instruments lydiens avec la frénésie meurtrière. Une série de reliefs sculptés qui représentent ' ' des Ménades en délire, avec la tête cambrée en arrière ou jetée en avant, sont sensiblement postérieurs ", comme les vases de Sosibios 12, et de Salpion (fig. 685); ruais, dans ce cas, ils procèdent, comme des répliques, d'originaux du ve siècle 93, car ils ont les mêmes caractères de sévérité que les déesses du Parthénon : simplicité de la coiffure, sérieux du visage, etc. Ces reliefs se rapprochent beaucoup de la description donnée par le rhéteur Callistrate d'une couvre célèbre, du début du vsiècle, la Ménade 7t i.attopéveç de Scopas''. L'attribution 1 Scopas de l'invention de ce type ne repose sur aucune preuve. Une base sculptée du Museo Chiaromonti offre toute une série de types dansants et extatiques de Ménades : Scopas parait en avoir pris un, celui de la Baecl/ante eu chevreau, que nous trouvons reproduit sur plusieurs naos numents(fig. i770).Peut -être ait-il eu le premier le mérite de l'avoir traité en ronde bosse. En tout cas, il lui a prêté tant de naturel et de vie qu'il est resté fameux '-° et qu'on en trouve mainte réplique chez les artistes romains. 1H. Le type de la tllénade dans la littérature et dans l'art du v' siècle. Les rapports avec le cycle d'Aphrodite. A peu près vers le même temps, Euripide avait placé au centre d'un drame (écrit en Macédoine) les Bacchantes avec leur agitation joyeuse et leur funeste frénésie. Mais en reprenant le thème de la mort de Penthée traité avant lui par Eschyle et lophon' fils de Sophocle, le dramaturge novateur Fa envisagé d'un point de vue qui lui est propre. D'abord Dionysos n'est plus le personnage à longue barbe et d'age presque mûr, impassible et énigmatique que les peintures nous représentaient. Il apparaît rayonnant de jeunesse et de beauté, tel que le sculptera Praxitèle, avec un charme presque féminin 15, des yeux enchanteurs, une chevelure bouclée etblonde.Impitoyable avec son ennemi Penthée, parce que le mythe le veut, son langage, pendant qu'il dresse le piège, est d'une légèreté juvénile, comme s'il s'agissait d'une simple mystification 12. Les Ménades qui forment le choeur sont des Lydiennes qui aiment le tapage des instruments sonores, les courses, les danses bondissantes, niais le poète n'a pas voulu qu'elles fussent sanguinaires. Folles de la joie de vivre, elles ignorent la fureur et ne sont en rien associées au délire ni au forfait d'Agavé et des Bacchantes thébainesCelles-ci, victimes de leur méconnaissance du jeune dieu, sont des Bacchantes par force 20. Pendant que les horribles conséquences de leur démence s'accomplissent hors de scène, les Lydiennes de l'orchestre chantent en termes d'une ferveur parfois mystique le bonheur dévolu aux fidèles de leur dieu 2t. Elles ne connaissent pas les satyres, si ce n'est pour avoir emprunté le tympanon à Cybèle", et il n'est pas autrement question d'eux dans la pièce. Le délire c'est, selon elles, le propre des athées de la religion bachique. Et quant à ces Ménades thébaines en proie à la frénésie, il y a bien de l'étrange dans leurs faits et gestes, niais un personnage constate, en dépit des insinuations de Penthée, qu'elles restent chastes, et que les suggestions de leur cerveau troublé ne les font tomber ni dans les égarements de l'amour, ni dans l'abus du vin 23. C'est un essai de réhabilitation des Ménades, même de celles que le dieu a le plus exaltées Cette conception de la Ménade apaisée, quelquefois grave et religieuse, se fait jour dans l'art à la même époque. La Bacchante n'y est pas nécessairement une MAE 1i88 MAE vierge folle. Sérénité, dignité sans raideur, un calme oit l'on devine une certaine joie, une grande noblesse des attitudes, une beauté simple dans les plis des véleinents, tels sont les caractères communs des Ménades dans les scènes de vases peints que nous allons passer en revue. Elles ressemblent à des servantes-prêtresses quand, portant dans leurs mains des bandelettes, une o'nochoé, une boite dol jets sacrés, un plat de fruits, des torches', elles viennent en faire hommage à leur dieu. Ainsi celles d'un vase de la collection Jatte, l'une servant le dieu, l'autre assise, une autre debout, appuyée sur la haute hampe de son thyrse. Sur un cratère d'Orvieto, .,vrupa, accompagnée d'une Ménade cithariste, lllt),(a, est debout dans une belle attitude de calme 3. Sur un autre de la collection Czartoryski' (voir ce nom plus haut) se penche dans un mouvement délicieux vers une biche dont elle caresse la tête avec la paume de la main. Sa com est, pensive et douce. Une autre Ménade d'un type exquis 'tient tranquillement son thyrse et un petit lièvre pendant que Dionysos et Ariane versent à boire à un salyrisque. Sur un vase du British Museum un peu plus ancien, on ne sait si la Ménade qui passe avec son thyrse marche ou danse 0 ; on se demande si, dans une autre scène, ce sont des Ménades ou simplement des Athéniennes dans leur costume ordinaire qui marchent avec des thyrses Souvent ces Ménades dignes et presque graves sont appuyées sur leur thyrses; quelquefois leur main est posée sur la hanche, sans que ce geste ait rien de trop familier 0. Non moins intéressantes que les Ménades sérieuses10, d'autres sont doucement enjouées, comme celle qui, assistant à des jeux gymniques de satyres, pose la main sur l'épaule d'un satyrisque tenant son cerceau". Parmi les Bacchantes graves, on pourrait placer presque toutes celles qui assistent à l'arrivée à Nysa de l'enfant-dieu, comme sur deux vases de la collection Pourtalès 12 et de celle de Saint-Pétersbourg 1s. Il est vrai que, groupées avec les Silènes qui sont leurs compagnons naturels et presque inséparables, les Ména des, meule en dehors de l'orgiasme et dans le beau style, n ont plus cette expression calme et noble. Vis-àvis d'eux elles ont des attitudes variées qui vont du plaisir partagé il la défiance, à la défense et à la fuite véritable ou simulée. Sur un même vase'', à l'intérieur une Ménade joue de la lyre pour un satyre qui danse; à l'extérieur quatre Silènes qui se démènent en une danse forcenée entrainent plus ou moins leurs compagnes à les imiter. Ailleurs, une Ménade dort la tête appuyée sur son thyrse, une autre sur une éminence de terrain, et des Silènes s'approchent avec précaution pour les surprendre". Sur une série de vases, elles se défendent faiblement10, ou se contentent de fuir''. Sur d'autres elles résistent armées de leurs thyrses 1S. De cette résistance les peintres ont fait quelquefois10 des scènes finement humoristiques. Sur d'autres vases, les Ménades sont graves, indifférentes90 parmi des Silènes, peut-être parce que, dans l'idée du peintre, elles ne les voient même pas ; sur d'autres, la réserve ou la confiance président à leurs rapports; une élégante Ménade apporte une grappe à un Silène tranquillement assis, ou c'est le Silène qui remet un oeuf ou un fruit à une Ménade21 qui, très calme, pose sa main sur son épaule. Les artistes ne prêteront plus guère de caractères nouveaux aux Ménades, mais un progrès restait à faire et il est accompli, probablement à la fin du ve siècle ; c'était de fondre dans l'harmonie d'une même combinaison les éléments agités et les éléments tranquilles du thiase, et de concilier dans la représentation des Ménades le calme et le mouvement. Cette union s'est faite de la façon la plus simple et la plus heureuse, par exemple sur un vase trouvé dans un tombeau voisin du Lycabette 22. Un Silène y joue de la lyre pour Dionysos. Une Ménade qui s'apprêtait à puiser du vin dans l'amphore pour le canthare du dieu, s'arrête et se retourne pour l'écouter. Une autre Nymphe agile, échevelée, qui se livrait à une danse joyeuse fait, elle aussi, un effort pour se contenir; une troisième apporte un plateau de fruits et gèteaux. La fougue presque orgiaque et la noblesse des attitudes sont encore unies avec le sens esthétique le plus sûr dans un lécythe aryballisque du Musée de Berlin trouvé aussi en Attique 23 (fig. /i772). Le milieu du thiasey est occupé non par Dionysos, qui est sur le côté, mais par (DaomcE, Ménade qui, les mains levées, danse en tournant presque sur ses pointes. La scène entière converge vers elle. Une seconde nymphe Naia, qui se livrait au vertige d'une danse tourbillonnante, est tombée entre les mains d'une compagne. Celle qui bat du tympanon, tête baissée, est tout entière à son jeu. Les autres personnages, parmi lesquels deux satyres sans turbulence et sans cynisme, regardent l'une et l'autre danseuse, dans des attitudes qui indiquent l'agrément du repos et l'attention à un spectacle connu et aimé. MAE 1489 MAE Une scène, qui rappelle celle-ci par ses lignes générales, fait faire à l'histoire des Ménades vers son plus beau moment tin très grand pas. C'est une peinture de vase' où elles entourent non plus Dionysos, mais Aphrodite. Le thiase au bout de deux siècles se prête à un culte nouveau. Dès le siècle Anacréon, demandant dans une ode à Dionysos de favoriser ses amours, lui disait qu'avec les Nymphes, Aphrodite et Éros l'accompagnent sur les pentes des montagnes" et les Bacchantes lydiennes d'Euripide, mal reçues à Thèbes, voudraient chercher un meilleur accueil à Chypre, File d'Aphrodite et des Éros charmeurs des tunes ou retrouver dans la région piérienne le Désir et les Charites. Ici, ce voeu s'accomplit. Des Nymphes qui ont tout l'air d'être dionysiaques sont réunies, dans une scène charmante, à Éros debout et à Aphrodite assise. Les unes s'empressent autour d'elle, aidant à sa parure, les autres dansent pour lui plaire avec un emportement où il y a une pointe de mysticisme bachique. Mais les Ménades, qui acceptent de voir Aphrodite prendre la place de l'épouse chthoni'nue de Dionysos ont dépouillé Lutait fait leur ancien caractère naturaliste'. IV. Symbolisme (les noms de Ménades. Le seul examen des nomsqui, depuis une époque assez ancienne', sont tracés sur les vases à côté de nombreuses Ménades, nous fait connaître qu'ils désignent des personnifications des plaisirs, de la griice féminine, de la jeunesse, de la gaîté bachique. Ces noms évocateurs d'idées riantes sont des noms de fantaisie, non pas, sauf exception, ceux que nous voyons portés dans la réalité historique. C'est la Fleur, la Fleur-de-la-Danse, le Choeur-de-Danse, la Dorée, la Paix, le Calme, le Bonheur, le Bien-Être (qui sont, en grec, des mots féminins), la Jeunesse, la Rose, la Célèbre, Chanson-du-Comos, Chanson-du-Bouc, Mélodie, Saisondes-Fruits, Fleur-du-Vin, Parfum-du-Vin, etc. Quelques noms sont géographiques : Délos, Phanopè ; deux, Ma:v eç etBaxy ri, désignentlapersonnali té même des Bacchantes G; un ou deux sont ironiques, comme la Camuse ; tous sont imaginaires. C'est un monde imaginaire aussi que les poètes et les artistes nous représentent', non pas, comme on l'a pensé, l'imitation d'usages, d'actes habituels pris dans la réalité. Puisque les satyres à queue de cheval qui accompagnent les Ménades sont des êtres d'imagination, comment n'en seraient-elles pas ellesmêmes? Les artistes grecs sont idéalistes. Ce n'est pas à dire qu'ils n'aient pu emprunter à des choses connues d'eux certains éléments. En Thrace, pays d'où le culte bachique est originaire, un certain nombre de femmes ont dû s'abandonner à l'ivresse et à des désordres nerveux, en s'imaginant qu'elles évoquaient par là la présence du dieu au milieu d'elles, le voyaient, lui parlaient, se confondaient en lui °. C'est le point de départ de la création artistique des Ménades. A Thèbes et à Delphes surtout, quelques représentations des coutumes thraces ont été périodiquement renouvelées. Delphes avait servi de centre à des populations du Nord vouées au culte de Dionysos, avant d'être consacré surtout à Apollon. Aristophane, dans les Nuées, parle des Bacchantes du Parnasse 10 et de leurs torches qui plaisent à Dionysos, et on peut croire qu'il s'agit de personnes vraies, non d'entités mythiques. Dans les Bacchantes, écrites par Euripide en Macédoine, il est fait allusion à certaines pratiques de sorcellerie, à certaines immunités du corps à l'égard des lois physiques, qui ont dû être, ou simulées par adresse, ou réalisées à la faveur de certains états nerveux". La même pièce nous montre les occasionnelles Bacchantes de Thèbes comme charmeuses de serpents qu'elles allaitent ou qui, noués à leur ceinture, leur lavent le visage de leur langue 10. Il est certain qu'en Macédoine, comme en Thrace, il y a eu de ces charmeuses qui s'appelaient Clodones ou rllintallones et se croyaient inspirées de Bacchus DIONPSIA. Plutarque nous apprend que la mère d'Alexandre fréquentait parmi ces femmes, recherchait comme elles l'état d'extase, de possession, de catalepsie, et s'endormait parfois enlacée dans les noeuds d'un grand serpent, ce qui n'était pas pour plaire au roi Philippe". Le biographe blàme visiblement ces excès de zèle imités des Edoniennes et des montagnardes de l'I3oemos; il ne semble pas qu'ils soient descendus, à l'état d'habitudes fixes et périodiques,dans la Grèce elle-même". C'est à peine si avant une époque tardive les poètes nous en parlent en passant ; aucun prosateur n'en dit mot. A Athènes, sans parler d'une loi spéciale de Solon ", les moeurs auraient interdit aux femmes de prendre part, autrement qu'en cachette, à de telles manifestations. Les MAL 1190 -NIAI: cérémonies du culte dionvslaque ont abouti au théâtre tragique,comique et satyrique. Quant aux fèces de la ville et de la campagne restées en usage à côté (le ces fêtes dramatiques et admises par la Cité, elles comportaient, â coup sùr, une liberté d'allure allant parfois jusqu'à des écarts licencieux,niais, bien loin qu'on yvoie des Ménades réelles autorisées à s'exalter jusqu'à la folie, les Anthestéries par exemple comportaient la présence de quatorze yelxpai1, dames patronnesses choisies parmi les femmes des magistrats en charge; à côté de ces respectables personnes, il ne pouvait y avoir place pour des Ménades analogues à celles du théâtre et des vases peints. Les extravagances du thiase féminin, ses allées et venues avec le thyrse, doivent être reculées, loin des temps et des pays vraiment grecs, dans l'époque des désordres qui ont sans doute accompagné l'invention du vin dans les régions du Nord. V. Les Thyades. Les Ménades du Ive siècle. Des conclusions différentes ont paru devoir être tirées d'une série de peintures de vases' où le choeur des Ménades entoure non pas Dionysos marchant et vivant parmi elles, mais une idole du dieu, hermès' ou xoanon planté en terre, surmonté d'un masque humain couronné de lierre, pourvu d'attributs bachiques et de somptueuses étoffes. Le vased'Hiéron «fig. 4768 et tome I, fig. 706) est une scène de cette sorte qu'on pourrait être tenté de prendrepour une scène de la vie réelle. Le dieu y étant représenté comme une oeuvre de l'art humain, on a voulu que les Ménades qui le servent fussent de simples mortelles portraiturées, non seulement dans leur costume, mais dans leurs habitudes religieuses. On pourrait, si le réalisme entrait dans les habitudes des peintres de vases, expliquer plutôt de la sorte la scène représentée sur un stamnos du Louvre où sept femmes de beau style, sans attributs particuliers, sans se livrer à la danse, vont et viennent et accomplissent des rites avec un cratère et d'autres vases auprès d'une idole en bois de Dionysos Dendrites. Mais la peinture qui sert d'argument principal à la thèse (tome 1, fig. 707,) présente plusieurs Ménades folles de danse orgiaque et porte les noms de ces danseuses et des autres femmes empressées autour de la table où est l'idole. Or ces noms sont symboliques et mythologiques : 'l'hyonè, Choreia, Thaleia et Mainas' Donc, si le xoanon du dieu, les cratères, les canthares, les cuillers ' servant aux libations sont sans doute des objets réels, toutes les Ménades de l'art sont idéales. Si celles-ci reproduisaient quelque chose, elles reproduiraient une imitation même de l'art, car il est permis de croire que des femmes ont parfois simulé, autour des hermès du dieu, les ébats qu'elles voyaient figurés en l'honneur du dieu même dans les ch urs du théâtre ou les représentations peintes. Il y a eu, en effet, des Thyades réelles (c'est le nom choisi pour celles-ci parmi la riche synonymie énumérée plus haut) et des choeurs féminins de danse bachique, périodiquement, institués tous les deux ans; ce sont les Triétéries. Mais les textes qui nous en parlent sont d'auteurs très postérieurs à la, constitution artistique, idéale du thiase, et ce sont là des imitations de ce thiase même. C'est une action en retour des créations de l'art sur les meurs et la vie populaire'. Un des auteurs tardifs qui décrit ces habitudes biennales des femmes grecques, Diodore, dit : 's qu'en fêtant par des chants la présence de Dionysos, elles imitent ces Ménades que les anciennes traditions représentent comme les compagnes du dieu »i Il ajoute que c'est en l'honneur des victoires du dieu dans l'Inde que ces usages furent institués 6; or cette expédition bachique ne fut imaginée qu'après qu'Alexandre eut rendu la sienne célèbre par ses exagérations. Pausanias, qui écrit deux siècles plus tard, nous apprend que des femmes d'Attique partaient tous les deux ans en procession pour rejoindre celles de Delphes et célébrer avec elles la fête hivernale de Dionysos 10 en dansant sur les pentes et notamment près d'une certaine grotte" appelée Cory(da. Elles dansaient aussi aux étapes de leur route et notamment à Panopéon en Phocide, sans doute parce qu'llomère avait appelé cette ville Ka),)s2opoç. Nous apprenons que les jeunes filles avaient le droit de se mêler à ces solennités, que les honnêtes femmes pouvaient y garder la réserve qui leur convient13. Plutarque certifie ces faits, mais il est postérieur à Diodore. Nous savons par lui que des Thyades furent prises par une tempête de neige dans la montagne et qu'il fallut aller de Delphes à leur secours. Il nous apprend encore que, pendant la, guerre sacrée, ayant couru de-ci de-là toute la nuit, elles s'égarèrent au matin dans une ville qui était au pouvoir des gens du parti adverse, et n'y furent, d'ailleurs, l'objet d'aucune hostilité 13. Mais cet épisode se place au Ive siècle, c'est-à-dire à une date où poètes et artistes avaient achevé de constituer le type traditionnel du thiase et de la Ménade. Les Thyades réelles ont plus ou moins mis en oeuvre et en action leurs données, elles ne les leur ont pas fournies. Sauf l'innovation del'idole substituée au dieu vivant, qui a peu duré, le thiase du iv0 siècle répète et continue sur les vases celui du ve avec des plans étagés, des dispositions de plus en plus théâtrales, des Ménades plus coquettes, plus ornées, des accessoires plus nombreux, plus variés, plus jolis. Les tambourins sont historiés de dessins ; les thyrses se compliquent, se recourbent, se chargent d'ornements fleuris 14 ; les cratères représentés ont eux-mêmes des peintures bachiques ; les Ménades tranquilles sont souvent maniérées (quoique la beauté du style persiste aussi''), celles qui dansent parfois extravagantes. On en voit qui portent avec des habiletés d'équilibristes 16 les objets du culte. Le goût conserve de l'élégance, mais tend à se rétrécir en donnant à Dionysos des compagnes trop distinguées ou trop bizarres 17. D'autre part la plastique, à MA E 14,91 MAF côté de la Ménade emportée de Scopas, s'attache un type nouveau de vierge bachique que les vases nous ont déjà laissé apercevoir : la Bacchante pensive, fatiguée peut-être de la possession du dieu, mélancolique et s'abandonnant à son rêve. Par exemple une, jeune tille sérieuse, un peu sentimentale, modelée à Tanagra' (fig. 4773), paraît détachée du thiase de Dionysos, si l'on en juge par 13 pampres mêlés à sa coiffure. Une autre, de la même fabrique ", vient de s'abandonner sur un rocher, tenant encore le tympanon dont elle accompagnait sa danse. Ses paupières sont encore ouvertes, mass ses bras tombent de fatigue et sa nuque s'incline. C'est le type des Bacchantes alanguies. Autre changement : la légende qu'Alexandre s'est créée en parcourant le pays de l'Indus suggère l'idée de costumer le thiase d'une nouvelle façon. A propos d'un nom de ville qui ressemble à Nysa dans une région on on rencontre des vignes abondantes, on imagine la conquête de l'Inde par Dionysos'. Alexandre en prit le rôle en tra versant la Carmanie. Il y triomphait et festoyait sur un char magnifique, large comme un théàtre. Des tonneaux de vin étaient préparés le long des routes pour les soldats, et des femmes déguisées en Bacchantes dansaient en poussant des clam .purs au bruit des Hôtes et des cymbales. Ici encore laréalité suggestionnée par l'art l'a inspiré à son tour. Ainsi, sur un vase de la lin du siècle, la Ménade qui danse au milieu des satyres est vêtue non d'un péplos, mais d'un costume asiatique très orné', Vers cette date, le type de la Ménade est passé des mains des peintres de vases, qui ne feront pendant un siècle crue des répliques affadies du thiase, aux coroplastes et aux sculpteurs qui s'empareront eux aussi des motifs connus, mais les interpréteront à leur manière, La fabrique de Myrina nous offre une Bacchante assise, moins poétique que celle de Tanagra, et qui probablement était destinée à tenir unmiroir là la main (fig. 477!4). Les premiers reliefs que nous envisagerons, ceux qui ornent le mur de la scène du ttit fttre de Dionysos à Athènes, semblent reproduire un prototype de l'époque de Praxitèle. Ce sont des Ménades sans attributs, reconnaissables à l'allure traditionnelle a et qui, par la souplesse, la simplicité, l'heureuse adaptation des draperies qui les voilent, rappellent exactement le faire des znaitres de cette époque. 1'I. La Bacchante hellénistique et l°o8naine. Bis,•olution du thiase. C'est le dernier progrès que fait le type. de la Ménade antique. Pendant la période hellénistique, pendant la période romaine (qui ne produisent pas des cenvres d'un caractère sensiblement différent, mais évoluent parallèlement), aucun renouvellement véritable (le ce type ne se produira. D'ailleurs les morceaux spirituels, élégants, savoureux, abonderont dans les répliques et répétitions d'originaux antérieurs, datant du iv°, peut-être du vr siècle'. Mais, dans les meilleures compositions, l'l'légance et la solidité de la forme sont compromises par la, pauvreté du sens intérieur qu'elles enveloppent. Les artistes, comme les poètes, dessinent encore des figures agréables ou curieuses de Bacchantes, mais n'y traduisent pas une conception personnelle ou qui soit spéciale à leur temps s. Si elles expriment parfois quelque chose, c'est la furie du plaisir, non plus la frénésie religieuse. En même temps la simplicité et la franchise des attitudes, des gestes, des plis disparaissent pour toujours et font place à des contours plus cherchés et plus arrondis. Presque torts les types anciens sont reproduits. Le plus souvent la Bacchante passe en dansant avec les apparences de l'enthousiasme orgiaque. Quelquefois elle y joint, comme dans le vase dit de Sosibios des marques d'omophagie. Deux très beaux bas-reliefs, l'un du Louvre, l'autre du British Museum, en sont des exemples très caractéristiques. Dans le premier 10 la Bacchante, cheveux au vent, renverse la tête, dans le second elle la baisse" ; dans l'un et l'autre elle tient le couteau levé. Quelquefois elle balance ses bras au-dessus de sa tête i''. Tantôt la draperie abonde en plis ingénieusement fastueux 11; tantôt le vêtement tombe et laisse à nu une grande partie da corps, comme dans le cratère Corsini Quelquefois le vêtement, en couvrant les formes, les laisse transparaître 15 Rarement la Ménade est absorbée en elle-même, sérieuse et pensive 's. Ces caractères et quelques autres que nous signalerons sont réunis ou diversement répartis, notamment dans une série de cinq vases de marbre autour desquels court une Bacchanale : le cratère Corsini, le cratère Gargiulo 17 (fig. 4775), le vase de Salpion au Muée le Naples f 3 (fig. tiSl), l'amphore de Sosibios et le cratère l?orgltèse au Louvre Is Plusieurs de MAE 1492 MAE ces vases, et surtout le dernier, résument ces types de Ménades avec un remarquable caractère de faste et de magnificence. C'est sous cet aspect luxueux qu'à partir du r''' siècle le titiase bachique s'offre à l'imagination des foules qui n'en aime que la pompe et n'en comprend plus l'origine lointaine. Pour satisfaire les peuples, les souverains en font un carnaval grandiose. Athénée nous a conservé ladescription du prodigieux cortège bachique que Ptolémée Philunlètor organisa à Alexandrie 1. Au milieu de cette féerie ambulante il signale des Macédoniennes, des Lydiennes, qui sont les Mimallones ou les Bassarides de Dionysos. Dans leurs mains étaient de larges poignards ou des serpents ; dans leurs cheveux des serpents encore ou des pampres, du lierre et du smilax. Derrière elles une Nysa géante et automatique se levait pour verser d'une coupe du lait au jeune dieu. Un autre groupe du cortège était formé de cinq cents jeunes femmes vêtues de pourpre et couronnées de pin, entourant Bacchus indien monté sur un éléphant. Quant aux poètes alexandrins qui résument Euripide, comme Théocrite, aux lgyptiens qui le délayent, comme Soterichos d'Oasis et Nonnos ', les étrangetés des Ménades, les amusent ; ils exagèrent curieusement ces singularités ; ils ont perdu le sens originaire du thiase. Aussi bien le thiase entre les mains des artistes se dénoue et tend à se dissoudre définitivement. Souvent ils prodiguent les Bacchantes isolées, comme un motif de relief divertissant, universellement connu et bienvenu pour remplir un espace quelconque sur un piédestal, une zone d'un candélabre 3 ou d'une colonne (les statuettes, sauf de petits bronzes, sont rares). Sous cet aspect beaucoup plus décoratifque dionysiaque, la Ménade est devenue un simple motif ornemental. Ce ne sont plus que des danseuses quelconques, ces belles personnes qui s'exhibent sur tant d'oeuvres d'art avec un thyrse ou un tympanon, ou une panthère familière qui les suit. Les écrivains les considèrent ainsi. Pour un poète de l'Anthologie, une Ménade concentrée en elle-même et pensive est ridicule ; elle semble dire : « Sortez; je battrai les cymbales quand on ne me regardera plus'. » Lucien appelle « Bacchante », c'est-à-dire « danseuse », un ami qui a trop de goût pour cet art 5, et Plutarque nous apprend qu'une des poses par lesquelles les danseurs terminaient souvent leurs mouvements était la « pose de la Bacchante»). Le thyrse, qui prend parfois des dimensions considérables, est devenu une longue hampe à moulures tournées, enrubannée, surmontée d'une pomme de pin réelle ou simulée. Les crotales sont plus rares que les cymbales et le tympanon. Les serpents ne se présentent plus souvent, mais il arrive que la Bacchante soit groupée avec quelque fauve ou montée sur son dos 7, Un curieux et hardi motif est celui d'une peinture de Pompéi «fig. !s776) oit une Bacchante nue qui a sauté sur le dos d'un Centaure le dompte et l'aiguillonne de la hampe de son thyrse. Le plus souvent la Bacchante, sans autre attribut, dansesintplement en jouant avec un voile, et ces représentations montrent achevée l'évolution qui, des ardentes et rudes Nymphes (le la fructification, a fait d'élégantes danseuses. Depuis le moment où les Nymphes des bois devinrent les fidèles de Dionysos, leur personnalité a simplement reflété, dans ses traits changeants, celle du dieu qui les a eues à son service. Pendant que Dionysos gardait une gravité farouche, elles étaient rudes, étranges comme lui. Quand il a pris le caractère oriental et extatique, elles ont été délirantes. Dès qu'il apparaît jeune et radieux, elles deviennent gracieuses et innocentes (ce n'est que les fausses Ménades qu'Euripide fait s'attarder dans l'omophagie). Se représente-t-on Dionysos comme conquérant de l'Asie, elles se font guerrières, prennent le costume oriental, ajoutent à leurs thyrses des pointes de fer. Quand il les prête à Aphrodite, les Ménades apprennent MAE 1 493 MÀE l'élégance et la délicatesse. Enfin, lorsque Bacchus ne personnifie plus que les festins, les jeux et les ris, ellesInêmes deviennent rieuses et folètres, étalent leur beauté. Et quand elles se détachent du dieu qu leur communiquait son originalité, elles n'offrent plus que le type banal de la buveuse coiffée de grappes, dont les artistes modernes ont usé juqu'à l'abus. Aonn:', LEGRAND. balcon, tribune, loggia.-Une tradition constante attribue l'invention des balcons au Romain Maenius ; mais elle ne peut s'appliquer qu'à Rome. 11 n'est pas douteux qu'en Grèce et dans l'Orient hellénique' ce genre de construction a une origine beaucoup plus ancienne. Assurément la maison antique en général était assez basse et prenait jour principalement sur la cour intérieure. Cependant, sans parler des balcons qui pouvaient surplomber, en dedans de l'habitation, au-dessus de l'atrium', on dut être amené de bonne heure à en établir aussi à l'exté rieur [DOMOs, p. 313]. Dans les pays du Midi on a toujours aimé les toits plats formant terrasse [soLAHiux] ; c'est là que la famille vient pendant l'hiver se chauffer aux rayons du soleil et pendant l'été jouir de la fraîcheur du soir. Autour de la terrasse, sur l'extrémité des poutres qui la supportaient (fig. 4777) 5, ou bien aux fenêtres des étages supérieurs, on se plaisait à installer des balcons. Les passants y trouvaient leur compte pendant la saison chaude.; ils n'en étaient que mieux protégés contre les ardeurs du soleil. Mais souvent aussi ces constructions parasites trop multipliées et trop rapprochées, surchargées de tentes et de stores, finissaient par devenir encombrantes ; elles enlevaient aux maisons voisines l'air et la lumière. De là, pour réprimer l'abus, des mesures législatives qui se sont reproduites à plusieurs reprises aussi bien chez les Grecs que chez les Romains. Hippias, fils de Pisistrate, frappa d'un impôt spécial les balcons en saillie sur la voie publique'. Au 1vr siècle le peuple athénien vota une loi, proposée par Iphicrate, qui contenait des dispositions analogues'. Pendant très longtemps, les lois romaines interdirent absolument le balcon comme un luxe inutile et préjudiciable au public8. Il faut aller jusqu'à l'an 318 av. J.-C., V. pour voir fléchir leur sévérité. Cette année-là, le censeur C. Maenius fit établir des balcons au-dessus des portiques qui ornaient au forum les boutiques appelées tabernae veleres _'0111M, 160 et fig. 3219 , afin que les spectateurs des jeux qui se célébraient alors en cet endroit eussent un plus grand nombre de places à leur disposition ; des poutres dépassant le faîte des colonnes supportaient la construction nouvelle'. Cette tribune devait être couverte, car on avait fixé sur la paroi du fond une immense composition décorative du peintre grec Sérapioni0. Les lors imités dans d'autres villes d'Italie, et pour le même usage ; Vitruve recommande d'en installer sur les portiques autour des places publiques où se donnent communément les combats de gladiateurs". Les particuliers, eux aussi, bravaient impunément les anciennes lois. Il est même probable que les premiers empereurs encouragèrent plutôt ces travaux qui contribuaient beaucoup à l'embellissement de la capitale" ; au temps de Caligula, les habitants de certaines maisons voisines du Palatin et du grand Cirque pouvaient du haut de leurs balcons plonger leurs regards sur les dépendances du palais et faire entendre leur voix de l'empereur 13. Cependant les Codes nous ont conservé des textes qui prouvent que la tolérance n'allait pas sans quelques restrictions ; même alors l'autorité semble avoir toujours empêché avec soin que ces balcons en bois ou en pierre'', garnis de tentes, ne fussent une gène pour les voisins; on ne devait en aucun cas leur boucher leurs jours''. En 368, Prétextat, préfet de Rome, fit démolir tous les balcons à l'intérieur de la ville ". Un peu plus tard, Honorius et Théodose (an 4.3) réglementèrent la matière pour les provinces ; des balcons établis face à face sur la rue devaient être séparés les uns des autres' par un intervalle d'au moins 188 Mali. 149i MAG dix pieds Çà m. 9ù); entre un balcon privé et un grenier public on devait ménager un espace d'air libre de quinze pieds (.4 m. !4i)'. Il est douteux que ces mesures aient jamais prévalu d'une manière durable contre les moeurs. On peut voir à. l'article nooir (fig. 123131, une maison de Pompéi dont la façade porte un balcon en saillie sur iiinii il la rue ; elle est connue parmi les archéologues sous le nom de casa del balcone »ensile ; c'est en effet une exception à. Pompéi, oï( tous les étages supérieurs se sont écroulés ; cependant plusieurs maisons avaient des maeniana : on a retrouvé les restes des poutres qui les soutenaient, et c'est en remplaçant ces poutres réduites en charbon par des poutres neuves, qu'on a pu construire le balcon que ion voit aujourd'hui'. La figure 11778, qui reproduit une peinture trouvée à Pompéi, suffirait à nous montrer quelles formes élégantes les architectes savaient donner à ce genre de construction Dans la figure /1779 le balcon, plus massif et plus indépendant de l'édifice auquel il est suspendu, devient une véritable loggia`. Quand on construisit le Colisée, on donna le nom de maeniana aux trois séries de gradins comprises entre le podium et le portique supérieur CAMPIIrr11EATRLM, p.:2ÎG et fig. 293, évidemment par analogie avec les tribunes des tabeenae veteres au forum; chaque nlaeniance devait être, comme le «balcon ' de nos théâtres, pourvu, sur le devant, d'une balustrade qui dominait ie mur de la praecinctio. Un document du Collège des frères Arvales (an 81) énumère les places qui leur furent réservées, à eux et à leurs serviteurs ; nous y voyons que les deux premiers maeniczna, en commençant par le bas, avaient des gradins en marbre; au contraire, les gradins étaient en bois dans le maenianuni summum, où prenaient place les gens du commun'. Groiers LAFAYE.