Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article ALPHABETUM

ALPHABETUM. Ce mot est composé des noms des deux premières lettres de l'écriture grecque, AApz, Br,ze, usités également dans les écoles latines, comme le prouve un vers célèbre de Juvénal : Ce mot sert à désigner la série des caractères qui, dans l'écriture des différents peuples, peignent les articulations et les voix de la langue. L'étude des alphabets, de leur origine première, de leur filiation et de leurs modifications successives constitue la science de la paléographie comparée, science nouvelle qui n'est pas encore entrée en possession de tous les documents qui permettront d'en fixer définitivement les lois et les faits essentiels; mais nous n'avons à traiter ici que ce qui touche aux écritures alphabétiques des Grecs, des nations de l'Asie Mineure,des Étrusques, des peuples italiotes et des Romains. poursuit l'art de l'écriture, deux principes peuvent être appliqués séparément ou ensemble : 1° l'idéographisme ou la peinture des idées; 2° le phonétisme ou la peinture des sons. Par une marche logique et conforme à la nature des choses, le premier système a partout précédé l'autre. De plus, si nous remontons à l'origine de toutes les écritures, à l'état de pur idéographisme par lequel elles ont commencé, aux figures les plus anciennes de leurs caractères, nous voyons constamment à leurs débuts l'hiéroglyphisme, c'est-à-dire l'imitation plus ou moins habile, par un procédé de dessin plus ou moins rudimentaire, d'objets matériels empruntés à la nature ou aux oeuvres de l'industrie humaine. Dès que les hommes ont vécu en société, ils ont éprouvé l'impérieux besoin de fixer par quelque procédé matériel leurs idées et leurs souvenirs. En même temps ils étaient conduits, par un instinct naturel que nous voyons se développer de très-bonne heure et d'une manière tout à fait spontanée chez l'enfant, à essayer d'imiter par le dessin les objets, animés ou inanimés, qui frappaient leur vue. Combiner ce besoin et cet instinct, employer, au lieu de moyens mnémoniques résultant d'une convention tout à fait arbitraire, la représentation plus ou moins grossière des objets matériels au moyen desquels on voulait conserver tel ou tel souvenir, éveiller telle ou telle idée, était une tendance non moins naturelle que celle de la simple imitation sans but déterminé. C'est d'elle que naquit l'hiéroglyphisme. Mais, à cet état rudimentaire, l'hiéroglyphisme ne constitue pas encore une véritable écriture. Pour l'élever à cette qualité, il fallait un notable progrès de civilisation, amenant un développement à la fois dans les idées et dans les besoins de relations sociales plus grand que ne le comporte la vie sauvage. La plupart des peuples ne sont point parvenus spontanément à ce progrès de civilisation qui pouvait donner naissance à l'écriture; ils y ont été initiés par d'autres peuples qui les avaient précédés dans cette voie, et ils ont reçu de leurs instituteurs l'écriture toute formée, avec la notion des autres arts les plus essentiels. Aussi, lorsqu'on remonte aux origines, toutes les écritures connues se ramènent-elles à un très-petit nombre de systèmes, tous hiéroglyphiques au début, qui paraissent avoir pris naissance d'une manière absolument indépendante les unes des autres. Ce sont : 1° les hiéroglyphes égyptiens; 2° l'écriture chinoise; 3° l'écriture cunéiforme anarienne; 4° les hiéroglyphes mexicains; 5° l'écriture calculiforme ou katouns des Mayas du Yucatan. Ces cinq systèmes, tout en restant essentiellement idéographiques, sont tous parvenus au phonétisme. Mais, en admettant ce nouveau principe, ils ne l'ont pas poussé jusqu'au même degré de développement. L'hiéroglyphisme, nous l'avons déjà dit, a commencé par une méthode exclusivement figurative, par la représentation pure et simple des objets eux-mêmes. Toutes les écritures qui sont restées en partie idéographiques ont conservé jusqu'au terme de leur existence les vestiges de cet état, car on y trouve un certain nombre de signes qui sont de simples images et n'ont pas d'autre signification que celle de l'objet qu'ils représentent. Ce sont ceux que les égyptologues, depuis Champollion, ont pris l'habitude de désigner par le nom de caractères figuratifs. Mais la méthode purement figurative ne permettait d'ex ALP primer qu'un très-petit nombre d'idées, d'un ordre exclusivement matériel.Toute idée abstraite ne pouvait, par sa nature même, être peinte au moyen d'une figure directe; car quelle eût été cette figure? En même temps, certaines idées concrètes et matérielles auraient demandé pour leur expression directement figurative des images trop développées et trop compliquées pour trouver place dans l'écriture. L'un et l'autre cas nécessitèrent l'emploi du symbole ou du trope graphique. La présence du symbole dans l'écriture hiéroglyphique doit remonter à la première origine et avoir été presque contemporaine de l'emploi des signes purement figuratifs. En effet, l'adoption de l'écriture, le besoin d'exprimer la pensée d'une manière fixe et régulière, suppose nécessairement un développement de civilisation et d'idées trop considérable pour qu'on ait pu s'y contenter longtemps de la pure et simple représentation d'objets matériels pris dans leur sens direct. Les symboles graphiques sont simples ou complexes. Ces derniers consistent dans la réunion de plusieurs images dont le rapprochement et la combinaison expriment une idée qu'un symbole simple n'aurait pas suffi à rendre. Mais l'écriture purement idéographique avait beau appeler à son aide toutes les ressources que nous venons d'énumérer, elle n'en restait pas moins un moyen déplorablement incomplet de fixation et de transmission de la pensée, et plus on marchait dans la voie du développement des idées et des connaissances, plus son imperfection se faisait sentir d'une manière fàcheuse. Avec l'emploi exclusif de l'idéographisme on ne pouvait qu'accoler des images ou des symboles les uns à côté des autres, mais non construire une phrase et l'écrire de manière que l'erreur sur sa marche fût impossible. Il n'y avait aucun moyen de distinguer les différentes parties du discours ni les termes de la phrase, aucune notation pour les flexions des temps verbaux ou des cas et des nombres dans les noms. Sans doute, quelques règles de position respective entre les caractères idéographiques pouvaient jusqu'à un certain point, dans la langue écrite, remplacer tant bien que mal les flexions de la langue parlée, et le chinois a conservé jusqu'à nos jours des vestiges de cet état des choses'; mais la ressource était bien imparfaite et ne pouvait fournir qu'un faible secours. En outre, le progrès des idées et des notions à exprimer par l'écriture tendait à faire de cet art un chaos inextricable à force d'étendue et de complication, si un nouvel élément ne s'y introduisait pas, et si on continuait à vouloir représenter chaque idée, chaque notion, chaque objet nouveau par une image spéciale ou par un symbole, soit simple, soit complexe. Pour obvier à ces deux inconvénients, on fut conduit par une pente naturelle à joindre la peinture des sons à. la peinture des idées, à passer de Fidéographisme au phonétisme. De leur essence même, les écritures purement idéographiques des époques primitives ne peignaient aucun son. Représentant exclusivement et directement des idées, leurs signes étaient absolument indépendants des mots par lesquels les idiomes parlés des peuples qui en faisaient usage désignaient les mêmes idées. Ils avaient une existence et une signification propres, en dehors de toute prononciation; rien en eux ne fi gurait cette prononciation, et la langue écrite était par le fait assez ALP distincte de la langue parlée, pour qu'on pût très-bien entendre l'une sans connaître l'autre, et vice versa. Mais l'homme n'a jamais écrit que pour être lu; par conséquent tout texte graphique, quelque indépendant qu'il ait pu être par son essence de la langue parlée, a nécessairement été prononcé. Les signes des écritures idéographiques primitives représentaient des idées et non des mots; mais celui qui les lisait traduisait forcément chacun d'eux par le mot affecté dans l'idiome oral à l'expression de la même idée. De là vint, par une pente inévitable, une habitude et une convention constante d'après laquelle tout idéogramme éveilla dans l'esprit de celui qui le voyait tracé, en même temps qu'une idée, le mot de cette idée, par conséquent une prononciation. C'est ainsi que naquit la première conception du phonétisme, et c'est dans cette convention, qui avait fini par faire affecter à chaque signe figuratif ou symbolique, dans son rôle d'idéogramme, une prononciation fixe et habituelle, que la peinture des sons trouva les éléments de ses débuts. Le premier pas, le premier essai du phonétisme dut nécessairement être ce que nous appelons le rébus, c'est-àdire l'emploi des images primitivement idéographiques pour représenter la prononciation attachée à leur sens figuratif ou tropique, sans plus tenir aucun compte de ce sens, de manière à peindre isolément des mots homophones dans la langue parlée, mais doués d'une signification tout autre, ou à figurer par leur groupement d'autres mots dont le son se composait en partie de la prononciation de tel signe et en partie de celle de tel autre. C'est à ce premier pas du phonétisme, encore tout rudimentaire, que l'écriture s'est arrêtée chez les Aztèques du Mexique. Dans une langue monosyllabique comme celle des Chinois, l'emploi du rébus devait nécessairement amener du premier coup la découverte de l'écriture syllabique. Chaque signe idéographique, dans son emploi figuratif ou tropique, répondait à un mot monosyllabique de la langue parlée, qui en devenait la prononciation constante ; par conséquent, en le prenant dans une acception purement phonétique pour cette prononciation complète, il représentait une syllabe isolée. L'état de rébus et l'état d'expression syllabique dans l'écriture se sont donc trouvés identiques à la Chine, et c'est à cet état de développement du phonétisme que le système graphique du Céleste-Empire s'est immobilisé, sans faire un pas de plus en avant, depuis plus de quarante siècles qu'il a franchi de cette manière le premier degré de la peinture des sons. Mais cette identité de l'état de rébus et de l'état de syllabisme, qui confond en un seul deux des degrés ordinaires du développement de l'élément phonétique dans les écritures originairement idéographiques et hiéroglyphiques, n'était possible qu'avec une langue de constitution monosyllabique, comme le chinois. Chez les Egyptiens et chez les inventeurs de l'écriture cunéiforme anarienne, que nous regardons, à l'exemple de M. Oppert, comme ayant appartenu à la race touranienne ou tartaro-finnoise, l'idiome parlé, que l'écriture devait peindre, était polysyllabique. Le système du rébus ne donnait donc pas du premier coup les moyens de décomposer les mots en leurs syllabes constitutives et de représenter chacune de ces syllabes séparément par un signe fixe et invariable. Il fallait un pas de plus pour s'élever du rébus au syllabisme. ALP 19() ALP Ce pas fut fait également dans les deux systèmes des hiéroglyphes égyptiens et de l'écriture cunéiforme ; mais les habitants de la vallée du Nil surent pousser encore plus avant et atteindre jusqu'à l'analyse de la syllabe, décomposée en consonne et voyelle, tandis que ceux du bassin de l'Euphrate et du Tigre s'arrêtèrent au syllabisme et laissèrent leur écriture s'immobiliser dans cette méthode imparfaite de l'expression des sons. Chez les uns comme chez les autres, ce fut le système du rébus, première étape du phonétisme, qui servit de base à l'établissement des valeurs syllabiques. Elles en furent tirées par une méthode fixe et régulière, que nous désignerons sous le nom d'acrologique. Tout idéogramme pouvait être employé en rébus pour représenter la prononciation complète, aussi bien polysyllabique que monosyllabique, correspondant dans la langue parlée à son sens figuratif ou tropique. Voulant parvenir à la représentation distincte des syllabes de la langue au moyen de signes fixes, et par conséquent toujours reconnaissables, on choisit un certain nombre de ces caractères, primitivement idéographiques, mais susceptibles d'un emploi exclusivement phonétique, par une convention qui dut s'établir graduellement plutôt qu'être le résultat du travail systématique d'un ou de plusieurs savants. Lorsqu'il arriva que leur prononciation complète formait un monosyllabe, ce qui se présenta pour quelques-uns, leur valeur dans la méthode du syllabisme resta exactement la même que dans celle du. rébus. Mais, pour la plupart, la prononciation de leur sens figuratif ou symbolique constituait un polysyllabe. Ils devinrent l'image de la syllabe initiale de cette prononciation. C'est ce système, qu'à l'exemple des anciens, nous appelons acrologisme. On, voit combien fut lente à naître la conception de la consonne abstraite du son vocal qui lui sert de motion, qui donne, pour ainsi dire, la vie extérieure à l'articulation, muette par elle-même. Cette conception, qui nous semble aujourd'hui toute simple, car nous y sommes habitués dès notre enfance, ne pouvait devoir sa naissance première qu'à un développement déjà très-avancé de l'analyse philosophique du langage. Aussi, parmi les différents systèmes d'écriture à la première origine hiéroglyphiques et idéographiques, que nous avons jugés véritablement primitifs et qui se sont développés d'une manière tout à fait indépendante, mais en suivant des étapes parallèles, un seul est-il parvenu jusqu'à la décomposition de la syllabe, à la distinction de l'articulation et de la voix, à l'abstraction de la consonne et à l'affectation d'un signe spécial à l'expression, indépendante de toute voyelle, de l'articulation ou consonne, qui demeure muette tant qu'un son vocal ne vient pas y servir de motion. Ce système est celui des hiéroglyphes égyptiens. Les trois autres s'arrêtèrent en route sans atteindre jusqu'au même raffinement d'analyse et au même progrès, et s'immobilisèrent, ou, pour mieux dire encore, se cristallisèrent à l'un ou à l'autre des premiers états de développement et de constitution du phonétisme. Les hiéroglyphes mexicains ne dépassèrent pas l'emploi de la méthode du rébus; l'écriture chinoise, par suite de l'organisme particulier de la langue qu'elle servait à tracer, en adoptant la méthode du rébus, se trouva parvenue du premier coup au syllabisme, qui, pour les autres écritures représente un progrès de plus ; elle s'y arrêta, et depuis le moment où elle eut atteint ce point jusqu'à nos jours, elle est demeurée im rnnable. Pour le cunéiforme anarien, comme pour les hiéroglyphes égyptiens, la langue des inventeurs étant polysyllabique, le syllabisme constitua un état de développement distinct du système des rébus purs et simples, et manifestement postérieur. Le cunéiforme, après être parvenu jusqu'à cet état, n'en sortit point, et seuls, parmi les peuples à la civilisation primitive, les Égyptiens, consommant un dernier et décisif progrès dans l'art d'écrire, eurent de véritables lettres. C'était un peuple dans la langue duquel les sons vocaux avaient un caractère essentiellement vague, qui devait, comme l'a judicieusement remarqué M. Lepsius, abstraire le premier la consonne de la syllabe, et donner une notation distincte à l'articulation et à la voyelle. Le génie même d'un idiome ainsi organisé conduisait naturellement à ce progrès capital dans l'analyse du langage. La voyelle, variable de sa nature, tendait à devenir graduellement indifférente dans la lecture des signes originairement syllabiques; à force d'altérer les voyelles dans la prononciation des mêmes syllabes, écrites par tel ou tel signe simple, la consonne seule restait à la fin fixe, ce qui amenait le caractère adopté dans un usage purement phonétique à devenir alphabétique , de syllabique qu'il avait été d'abord; ainsi, un certain nombre de signes qui avaient commencé par représenter des syllabes distinctes, dont l'articulation initiale était la même, mais suivie de voyelles différentes, ayant fini par ne plus peindre que cette articulation du début, devenaient des lettres proprement dites exactement homophones. Telle est la marche que le raisonnement permet de reconstituer pour le passage du syllabisme à l'alphabétisme, pour le progrès d'analyse qui permit de discerner et de noter séparément l'articulation ou consonne qui, dans chaque série de syllabes, reste la même, quel que soit le son vocal qui lui sert de motion. Et ici, les faits viennent confirmer pleinement ce qu'indiquaient le raisonnement et la logique. Il est incontestable que le premier peuple qui posséda des lettres proprement dites au lieu de signes syllabiques, fut les Égyptiens. Or, dans la langue égyptienne, les voyelles étaient essentiellement vagues. Ce qui prouve, du reste, que ce fut la nature vague des sons vocaux dans certains idiomes qui conduisit à la décomposition de la syllabe et à la substitution de lettres alphabétiques aux caractères syllabiques de l'âge précédent, est ce fait qu'en Égypte et chez les peuples sémitiques, qui, les premiers après les Égyptiens, employèrent le système de l'alphabétisme, encore perfectionné comme nous le verrons tout à l'heure, le premier résultat de la substitution des lettres proprement dites aux signes de syllabes, fut la suppression de toute notation des voyelles intérieures des mots, celles de toutes qui étaient, de leur nature, les plus vagues et les plus variables, celles qui, en réalité, ne jouaient qu'un rôle complémentaire dans les syllabes dont la partie essentielle était l'articulation initiale. On n'écrivit plus que la charpente stable et fixe des consonnes, sans tenir compte des changements des voyelles, comme si chaque signe de consonne avait été considéré comme ayant inhérent à lui un son vocal variable. On choisit bien quelques signes pour la représentation des voyelles, mais on ne s'en servit que dans l'expression des voyelles initiales ou finales, qui, en effet, ont une intensité et une fixité toutes particulières, qui ne sont pas complémentaires, mais constituent à elles seules une syllabe, qui, par con _1 LP 9 .1LP séquent, sont moins des voyelles proprement dites que des aspirations légères auxquelles un son vocal est inhérent. Ce fut seulement lorsque l'alphabet phénicien fut adopté par des nations de race aryenne, et appliqué à l'expression d'idiomes où les voyelles avaient un rôle radical, fixe et essentiel, que l'on choisit un certain nombre de ces signes des aspirations légères ou initiales, pour en faire la représentation des sons vocaux de l'intérieur des mots. Les hiéroglyphes égyptiens ont conservé jusqu'au dernier jour de leur emploi les vestiges de tous les états qu'ils avaient traversés, depuis ('idéographisme exclusif de leur origine, jusqu'à l'admission de l'alphabétisme dans leur partie phonétique. Mais aussi haut que nous fassent remonter les monuments de la vallée du Nil, dès le temps de la me dynastie, c'est-à-dire plus de quarante siècles avant l'ère chrétienne, les inscriptions nous font voir ce dernier progrès accompli déjà. Les signes de syllabes ne sont plus qu'en minorité parmi les phonétiques, dont la plupart sont déjà de véritables lettres, qui peignent les articulations indépendamment de toutes les variations du son vocal qui vient s'y joindre. Que l'on juge par là de la haute antiquité à laquelle il faut reporter les différents états antérieurs à l'apparition de l'alphabétisme, les degrés successifs de progrès et de développement qui avaient conduit l'écriture jusqu'à ce point! Les lettres alphabétiques de l'écriture égyptienne sont des figures hiéroglyphiques, au tracé plus ou moins altéré dans les tachygraphies successives de l'hiératique et du démotique, dont la valeur alphabétique a été établie en vertu du même système acrologique, que nous avons vu servir de base à l'établissement des valeurs des signes de syllabes. Chacune de ces figures représente la consonne ou la voyelle initiale de la prononciation de sa signification première d'idéogramme, soit figuratif, soit tropique, mais principalement du mot auquel, prise dans le sens figuratif, elle correspondait dans la langue parlée. Tel est l'état où, de progrès en progrès, nous voyons parvenue celle de toutes les écritures hiéroglyphiques primitives qui atteignit au plus haut degré de perfectionnement, la seule qui s'éleva jusqu'à l'analyse de la syllabe et à la conception de la lettre alphabétique, de l'articulation indépendante de tout son vocal, l'écriture égyptienne. Avant tout, un mélange d'idéogrammes et de phonétiques, de signes figuratifs symboliques, syllabiques, alphabétiques. En même temps que ce mélange, faculté pour tous les signes figuratifs ou symboliques de prendre une valeur phonétique accidentelle, comme initiales de certains mots, et, d'un autre côté, possibilité d'employer idéographiquement, dans un sens figuratif ou dans un sens tropique, les signes les plus habituellement affectés à la pure et simple peinture des sons, indépendamment de toute idée : tels sont les faits que l'écriture hiéroglyphique égyptienne présente à celui qui veut analyser sa constitution et son génie. Elle constitue, saris contredit, le plus perfectionné des systèmes d'écriture primitifs, qui commencèrent par le pur idéographisme; mais combien ce système est encore grossier, confus et imparfait ! Que d'obscurités et d'incertitudes dans la lecture, qui, moins grandes pour les Égyptiens que pour nous, devaient cependant encore se présenter plus d'une fois pour eux-mêmes 1 Que de chances de confusions et d'erreurs, dont une étude très-prolongée et une grande pratique pouvaient seules préserver! Quelle extrême complication l On le voit, même après que les Égyptiens furent parvenus à l'analyse de la syllabe et à l'abstraction de la consonne, il restait un pas énorme à franchir, un projet capital à consommer, pour que l'écriture parvînt au degré de simplicité et de clarté qui pouvait seul la mettre en état de remplir dignement et complétement sa haute destination. Répudier toute trace d'idéograpbisme, supprimer également les valeurs syllabiques, ne plus peindre que les sons au moyen de l'alphabétisme pur, enfin, réduire les phonétiques à un seul signe invariable pour chaque articulation de l'organe; tel était te progrès qui devait donner naissance àl'alphahet, consommer l'union intime de l'écriture avec la parole, émanciper définitivement l'esprit humain des langes du symbolisme primitif, et lui permettre de prendre enfin librement son essor, en lui donnant un instrument digne de lui, d'une clarté, d'une souplesse et d'une commodité parfaites. Ce progrès pouvait seul permettre à l'art d'écrire de pénétrer dans les masses populaires, en mettant fin à toutes les complications qui en avaient fait jusqu'alors une science abstruse et difficilement accessible, et de se communiquer chez tous les peuples, en faisant de l'écriture un instrument applicable également bien à tous les idiomes, à toutes les idées et à toutes les religions. En effet, une écriture principalement idéographique ne pouvait que très-difficilement passer d'un peuple à un autre. Pour s'en servir, il fallait avoir les mêmes idées, la même civilisation et presque la même langue. Nous n'avons que peu d'exemples de la communication de systèmes graphiques de cette nature entre peuples de race différente, parlant des idiomes absolument divers; mais ils suffisent pour montrer qu'elle atoujours forcément produit une complication sans bornes, et presque le chaos. Mais l'invention de l'alphabet proprement dit ne pouvait prendre naissance chez aucun des peuples qui avaient créé les systèmes primitifs d'écriture débutant par des figures hiéroglyphiques, avec leur idéographisme originaire, même chez celui qui était parvenu jusqu'à l'analyse de la syllabe et à l'abstraction de la consonne. Elle devait être nécessairement l'oeuvre d'un autre peuple, instruit par celui-ci. En effet, les peuples instituteurs des écritures originairement idéographiques avaient bien pu, poussés par les besoins impérieux qui naissaient du développement de leurs idées et de leurs connaissances, introduire l'élément phonétique dans leurs écritures, donner progressivement une plus grande importance et une plus grande extension à son emploi, enfin porter l'organisme de cet élément à un très-grand degré de perfection. Mais des obstacles invincibles s'opposaient à ce qu'ils fissent le dernier pas et le plus décisif, à ce qu'ils transformassent leur écriture en une peinture exclusive des sons, en répudiant d'une manière absolue tout élément idéographique, Le plus fort venait de la religion. Toutes les écritures primitives, par suite de leur nature symbolique elle-même et de leur génie, avaient un caractère essentiellement religieux et sacré. Elles étaient nées sous l'égide du sacerdoce, inspirées par son esprit de symbolisme. Dans la première aurore de civilisation des peuples primitifs, l'invention de l'art d'écrire avait paru quelque chose de si merveilleux que le vulgaire n'avait pas pu la concevoir autrement que comme un présent des dieux. Aussi le système hiéroglyphique était-il appelé par les Égyptiens ALP 192 ALP eux-mêmes « écriture des divines paroles ». Sur le célèbre caillou Michaux, parmi les principaux symboles de la religion chaldéenne, nous voyons le clou, ~--, élément fondamental du tracé adopté pour les caractères de l'écriture, placé sur un autel comme l'emblème du dieu Nisroch, l'intelligence, le verbe divin. Ainsi, à Babylone, on avait divinisé l'élément générateur des lettres. On voit le même fait se reproduire dans l'Inde, où le caractère d'origine phénicienne appliqué à écrire le sanscrit reçoit le nom de dévanagâri, « écriture divine », et où l'invention en est attribuée à Brahma; chez les peuples germaniques et scandinaves, où les runes, lettres de l'alphabet national, sont considérées comme essentiellement sacrées et douées d'une vertu magique, et où on les tient pour un présent d'Odin. Bouleverser de fond en comble la constitution d'une écriture ainsi consacrée par la superstition religieuse, lui enlever absolument toute la part de symbolisme sur laquelle se fondait principalement son caractère sacro-saint, était une entreprise énorme et réellement impossible chez le peuple même où elle avait reçu une sanction si haute, car t'eût été porter une atteinte directe à la religion. La révolution ne pouvait donc s'accomplir qu'à la suite d'un changement radical dans l'ordre religieux, comme il arriva par suite des prédications du christianisme, dont les apôtres déracinèrent chez beaucoup de peuples (en Égypte, par exemple) les anciens systèmes d'écriture à l'essence desquels s'attachaient des idées de paganisme et de superstition; ou bien par les mains d'un peuple nouveau, pour lequel le système graphique reçu du peuple plus anciennement civilisé ne pouvait avoir le même caractère sacré, qui par conséquent devait être porté à lui faire subir le changement décisif au moyen duquel il s'appliquerait mieux à son idiome, en devenant d'un usage plus commode. Mais tous les peuples n'étaient pas à même de consommer l'invention de l'alphabet. Avant tout il fallait, pour faire ce grand pas, un peuple qui, par sa situation géographique, touchât à l'Égypte et eût été soumis à une profonde influence de la civilisation florissante sur les bords du Nil. C'est, en effet, seulement dans ces conditions qu'il pouvait prendre pour point de départ la découverte des Égyptiens, base indispensable du progrès dernier qui devait consister à bannir de l'écriture tout élément idéographique, à assigner un seul signe à la représentation de chaque articulation, enfin de cette manière à constituer pour la première fois un alphabet proprement dit. Mais cette condition matérielle n'était pas suffisante. Il en fallait d'autres dans les instincts et le génie de la nation. Le peuple appelé à donner ainsi à l'écriture humaine sa forme définitive devait être un peuple commerçant par essence, un peuple chez lequel le négoce fût la grande affaire de la vie, un peuple qui eût à tenir beaucoup de comptes courants et de livres en partie double. C'est, en effet, dans les transactions commerciales que la nature même des choses devait nécessairement faire le plus et le plus tôt sentir les inconvénients, signalés par nous tout à l'heure, du mélange de l'idéographisme, ainsi que de la facilité de multiplier les homophones pour la même articulation, et conduire à chercher un perfectionnement de l'écriture dans sa simplification, en la réduisant à une pure peinture des sons au moyen de signes invariables, un pour chaque articulation. Dans le monde ancien il n'y a eu qu'un peuple qui ait rempli à la fois les conditions que nous venons d'énumérer, voisinage de l'Égypte, action de l'influence égyptienne sur lui dès une époque très-reculée, et activité commerciale supérieure à celle de tout autre peuple de l'antiquité : ce furent les Phéniciens. Ainsi les Phéniciens seuls, par la réunion de ces circonstances, étaient capables de tirer un dernier progrès de la découverte des Egyptiens, et de pousser la conception de l'alphabétisme à ses dernières conséquences pratiques, en inventant l'alphabet proprement dit. Ce fut, en effet, ce qui arriva, et la gloire du dernier et du plus fécond progrès de l'art d'écrire appartient en propre aux fils de Chanaan. Le témoignage de l'antiquité est unanime pour la leur attribuer. Qui ne connaît les vers tant de fois cités de Lucain? Pline dit également : Ipsa gens Phoenicum in magna gloria litterarum inventionis 4. Clément d'Alexandrie : ~oivt se sert des termes suivants : Phoenicen illustravere Phoenices, sollers hominum genus, et ad belli pacisque munia eximium; litteras et litterarum opera, aliasque etiaru artes, maria navibus adire, classe con/ligere, imperitare gentibus, regnum praeliumque commentie. Enfin, pour nous borner aux témoignages considérables et laisser de côté ceux d'une valeur secondaire, on se souvient des expressions de Diodore de Sicile : l'deot EÛpetal Tilly ypaüiI.xTs v ciel7. Ici les témoignages littéraires sont pleinement confirmés par les découvertes de la science moderne. Nous ne connaissons aucun alphabet proprement dit antérieur à celui des Phéniciens, et tous ceux dont il existe des monuments, ou qui se sont conservés en usage jusqu'à nos jours, procèdent plus ou moins directement du premier alphabet, combiné par les fils de Chanaan et répandu par eux sur la surface du monde entier. Mais si les Phéniciens, comme nous sommes amenés à le reconnaître par ce qui précède, bien que n'ayant pas inventé le principe des lettres alphabétiques, furent les premiers à l'appliquer dans ses dernières conséquences, en rendant l'écriture exclusivement phonétique, et composèrent le premier alphabet proprement dit, où en puisèrentils les éléments? Deux systèmes principaux ont été produits à ce sujet. Le premier, auquel se rangeait encore Gesenius, tendait à considérer les lettres phéniciennes comme sans rapport avec les autres systèmes graphiques des âges primitifs et découlant d'un hiéroglyphisme dont les figures originaires seraient expliquées par les appellations de la nomenclature conservée à la fois chez les Grecs et chez les Hébreux. Ce système, fort spécieux tant que l'immortelle découverte de Champollion n'avait pas révélé l'existence de l'élément alphabétique dans les hiéroglyphes égyptiens, a été depuis lors généralement abandonné des savants, dont la tendance a été plutôt de chercher en Égypte l'origine des caractères phéniciens. Et en effet, si la tradition antique est ALP 193 ALP unanime à présenter les Chananéens comme les auteurs du premier alphabet, une masse imposante de témoignages indique leurs lettres comme puisées à la source du système graphique des Égyptiens. Un célèbre passage de Sanchonialhon s nomme Taauth, c'est-à-dire Thoth-Hermès, représentant de la science égyptienne, comme le premier instituteur des Phéniciens dans l'art de peindre les articulations de la voix humaine. Platon 9, Diodore 10, Plutarque ", Aulu-Gelle, prouvent la perpétuité de cette tradition. Tacite enfin, qui nous a conservé le nom de Ramsès comme étant celui du pharaon conquérant dont les prêtres expliquaient les victoires représentées sur les murailles des édifices de Thèbes, Tacite se montre également bien informé sur l'origine des signes de l'alphabet chananéen, lorsqu'il dit que les lettres ont été originairement apportées d'Égypte en Phénicie : Primi per figuras ani nalium.Aegyptii sensus mentis effingebant (ea antiquissima monumenta menaoriae humanae impressa saxis cernuntur) et litterarum semet inventores perhibent. Inde Phoenicas, quia mari praepollebant, intulisse Graeciae, gloriamque adeptos, tanquam repererint, quae acceperant 19. En présence de ces témoignages et de la certitude désormais possédée de l'existence du principe fondamental de l'alphabétisme chez les Égyptiens nombre de siècles avant la formation du premier alphabet chez les Phéniciens, l'origine égyptienne des signes adoptés par les fils de Chanaan pour peindre les diverses articulations de la parole ne paraît guère pouvoir être mise en doute. M. de Rougé a achevé de la démontrer dans un mémoire encore inédit dont on trouve une analyse développée dans les Comptes rendus de l'Académie des inscriptions et belleslettres '3. Le système fondamental en consiste à laisser entièrement de côté la nomenclature hébraïque et grecque, et à considérer chaque lettre phénicienne comme devant provenir d'un signe égyptien exprimant, sinon d'une manière exactement précise la môme articulation, du moins la plus analogue. En effet, si toutes les vraisemblances indiquent que les Phéniciens ont dû former leur alphabet sous l'influence et à l'imitation du principe de l'alphabétisme inauguré par les Égyptiens, qui seulement n'avaient pas su le dégager du mélange avec une forte proportion de signes encore idéographiques, il n'est guère probable que ce peuple aurait emprunté à l'Egypte le dessin de ses lettres sans y puiser en même temps les valeurs qu'ils leur assignaient. Lorsque les Japonais ont tiré de l'écriture chinoise les éléments de leurs syllabaires, ils n'ont point procédé de cette manière; ils ont pris au système graphique de l'Empire du Milieu les valeurs en même temps que les figures. Or, il ne serait pas naturel de supposer que les Phéniciens aient agi par rapport à l'écriture égyptienne autrement que les Japonais par rapport à l'écriture chinoise, lorsque le but qu'ils poursuivaient et les résultats qu'ils atteignirent étaient exactement les mêmes, la suppression de tout élément idéographique dans l'écriture, et sa réduction à un pur phonétisme employant un petit nombre de signes invariables, sans homophones. 11 suffit de regarder les caractères de l'alphabet phénicien pour acquérir la certitude que, s'ils ont été empruntés à l'Égypte, ils ne peuvent procéder directement des hiéroglyphes, mais seulement de la tachygraphie appelée hiératique. Mais il y a au moins deux types fondamentaux et bien L distincts de cette tachygraphie. L'un nous est constamment offert par les papyrus du temps de la xvrne et de la xlxe dynastie, et prit son origine dans la grande renaissance de toutes les institutions égyptiennes qui suivit l'expulsion des Pasteurs. L'autre était en usage avant l'invasion de ces conquérants étrangers et l'interruption qu'elle produit dans l'histoire d'Égypte, coupée par cet événement en deux parties que l'on a appelées l'ancien et le nouvel empire. L'invention de l'alphabet phénicien, bien qu'on ne puisse en préciser la date, est évidemment, d'après tous les indices, un fait trop ancien pour que l'on doive mettre en parallèle avec les lettres de cet alphabet, et considérer comme ayant pu leur servir de types, les caractères de l'hiératique égyptien postérieur à la xvrue dynastie ; d'après toutes les vraisemblances historiques, c'est seulement l'hiératique de l'ancien empire qui a pu être la source de l'écriture des fils de Chanaan. Or, c'est précisément en prenant ce type le plus ancien de l'hiératique que l'on trouve à faire les rapprochements les plus séduisants entre les formes des signes exprimant les articulations correspondantes chez les Égyptiens et chez les Phéniciens. Dans le type des papyrus de la xvtne et de la xrxe dynastie, plusieurs des ressemblances les plus frappantes se sont évanouies déjà, évidemment par suite de la marche divergente que les deux peuples suivirent dans les modifications successives du tracé de leurs écritures. Nous venons de parler de la comparaison des signes exprimant les articulations correspondantes chez les Égyptiens et chez les Phéniciens. La nécessité rigoureuse de se restreindre absolument à ces comparaisons constitue la règle fondamentale des recherches de M. de Rouge. Les rapports politiques et commerciaux entre l'Égypte et les populations de race sémitique qui touchaient immédiatement à sa frontière, étaient si fréquents et si étroits, que les hiérogrammates avaient presque à chaque instant l'occasion de tracer avec les lettres égyptiennes, clans les pièces qu'ils rédigeaient, des mots ou des noms propres empruntés aux idiomes sémitiques. De ces occasions et du besoin qu'elles faisaient naître était résulté, par une conséquence naturelle et presque inévitable, l'établissement de règles fixes (l'assimilation entre les articulations de l'organe sémitique et celles de l'organe égyptien. Il y en avait un certain nombre de communes et d'exactement semblables entre les deux ordres d'idiomes; pour celles-ci, point n'avait été de difficulté. Les hiérogrammates les rendaient par les phonétiques ordinaires dont la prononciation était exactement semblable. Quant aux articulations qui ne se correspondaient pas d'une manière précise d'un côté et de l'autre, une convention générale et rigoureusement observée faisait transcrire chaque articulation de l'organe sémitique absente de l'organe égyptien, par les figures affectées à la représentation d'une certaine articulation de la langue de l'Égypte, que l'on avait considérée comme la plus analogue. La concordance d'articulations ainsi établie dès une époque très-antique entre l'égyptien et les langues sémitiques doit être la base indispensable de toute comparaison entre les lettres phéniciennes et les signes de l'âge de l'ancien empire, pour en rechercher l'origine. Car, du moment qu'il a existé chez les Égyptiens des règles fixes pour la transcription des articulations sémitiques avec les phonétiques de leur écriture, on ne saurait en bonne critique 25 AU' 19-ALI) 4 9 S qHÉ 1 o W xf chercher la source et l'origine de la lettre dont les Pliéniciens ont fait le signe représentatif de chacune de ces articulations , que parmi les caractères que les hierogr~luimates de l'Égypte ont spécialement affectés à la peindre. L'application rigoureuse de cette règle a conduit M. de Bougé à dresser un tableau comparatif des lettres phéniciennes qui nous paraît ne plus laisser place au doute sur la manière dont les fils de Chanaan allèrent chercher dans l'écriture tachygraphi que des EgypLiens, leurs instituteurs, les éléments avec lesquels ils combinèrent leur alphabet. Nous le reproduisons donc. en mettant clans la colonne du phénicien les formes de caractères les plus antiques que l'on puisse relever sui les monuments jusqu'à présent connus de cette écriture. Quinze lettres phéniciennos, sur vingt-deux, sont assez peu altérées pour que leur origine Égyptienne se reconnaisse du premier coup d'u~it connue certaine. Les autres, quoique plus éloignées du type hiératique, peuvent encore y être ramenées sans blesser les lois de la vraisemblance, d'autant plus que l'on constate facilement que leurs altérations se sont produites en vertu de lois constantes. Nous regardons par conséquent la question de l'origine des lettres phéniciennes comme définitivement résolue par M. de Rongé. En un mot , les Chananéens n'empruntèrent pas seulement à l'Égypte le principe de L'alphabétisme, mais encore les figures et les valeurs de leurs lettres. Leur invention constitua le dernier progrès du développement du système graphique né sur les bords du Ni!, en tirant de ce système les éléments d'un véritable alphabet et en bannissant de l'écriture tout ce qui était de non -phonétisme. Tous les alphabets proprement dits, qui ont été ou qui sont encore en usage sur la surface du globe, se rattachent plus ou moins immédiatement à l'invention des phéniciens et sortent tous de la même source, dont ils sont éloignés à des degrés divers. C'est un fait capital pour l'histoire de l'humanité, qu'un certain nombre d'érudits, parmi lesquels il faut citer lïopp, Gesenius , Charles Lenorruant, M. le comle (le Vogüé, M. Renan et M. Albrecht Weber, ont déjà reconnu et qu'ils se sont étudiés à mettre en lumière. L'auteur de cet article a repris le même sujet, dans un livre actuellement en cours de publication, auquel l'Académie des Inscriptions et Belles-lettres a décerné en 1566 une de ses couronnes, et il a essayé d'en donner la démonstration d'une manière plus complète qu'on ne 1 avait encore fait. Ln poursuivant ses études de paléographie comparative, en examinant soigneusement les diverses écritures alphabétiques pour en rechercher la parenté et en établir les divergences, de manière à pouvoir les classer par familles et à en reconstituer la filiation, il a vu peu à peu se dégager à ses yeux une vérité qu'il regarde désormais comme incontestable, l'existence du lien d'une origine commune entre toutes ces écritures, qui, sans exception, par des courants de dérivation différents, découlent de la source chananéenne. On peut parvenir à rétablir d'une manière presque certaine l'enchaînement des degrés de filiation plus ou moins multipliés par lesquels elles se relient à leur prototype originaire, et sur cette reconstitution baser un classement des systèmes d'écritures alphabétiques par familles naturelles, à l'instar de ce que l'on a fait dans la botanique et la zoologie. La grande et féconde invention des Phéniciens paraît avoir rayonné presque simultanément dans cinq directions différentes, en formant cinq troncs ou courants de dérivation, qui tous se subdivisent en rameaux ou familles au bout d'un certain temps d'existence. Le tronc central est le seul dont nous ayons à considérer les écritures dans cet article,. Son domaine embrasse la Grèce, l'Asie Mineure et l'Italie. La transformation des signes d'aspirations douces, et même fortes, en signes de voyelles, y est constante. Il comprend d'abord les diverses variétés de l'alphabet hellénique, puis les alphabets dérivés du grec, formant deux familles, asiatique (en prenant Asie dans le même sens étroit que les anciens Hellènes) et italique. H. L'ALPHABET GREC. Origine phénicienne de l'alphabet grec. Parmi les traditions relatives aux premiers âges des populations de la Grèce, il n'en est pas de plus constante et de mieux établie que celle qui fait apporter la connaissance de l'alphabet aux Pélasges par les navigateurs phéniciens, auxquels on donne pour chef Cadmus. Le plus grand nombre des auteurs de l'antiquité grecque et latine rapportent cette tradition, ou du moins y font allusion'". Aussi l'alphabet grec, sous la forme la plus ancienne, était-il désigné généralement par le nom de tlotvtrci'x ypsgga'a, a lettres phéniciennes, » et Hésychius nous fait connaître un verbe tz otvti;«t, qui avait été composé d'après la même tradition. Elle est pleinement confirmée, comme nous allons le montrer, par l'étude de l'écriture grecque elle-même dans ses plus anciennes formes. Elle l'est aussi par la nomenclature traditionnelle des lettres chez les Hellènes, laquelle est toujours demeurée sans changement celle que les Phéniciens avaient inventée, donnant à chaque caractère de leur écriture un nom significatif. La nomenclature phénicienne des lettres a été conservée par les Hébreux ~ nous ALP 79; ALP la mettons en regard de celle des Grecs, en plaçant dans une troisième colonne le sens des appellations. p ~apx. Boeuf. m li c,. Maison. 5n+à Paul.pour ' éy).x. Joug. 1-1H _)Ta. Porte. N,n 'E-4.taév. Fenêtre. Baï,. Clou. Z'tp a état emphatique Arme. d'une forme '1, qui est restée le nom éthiopien de la lettre. Ntlia. Haie. t) ra. Serpent. 'Kra. Main. Kr.«. Paume de la main. AIvCSa pour ).«µ'a. Aiguillon. !Ill c'est, comme en Eaux. éthiopien ', le singulier du nom qui est au Nous examinerons les principaux passages des écrivains grecs relatifs aux différentes phases de la formation et du développement de leur écriture quand nous aurons consulté les monuments de cette écriture elle-même sur son histoire, et quand nous aurons relevé les faits positifs qu'ils fournissent; car ces passages sont pour la plupart très-obscurs et très-contradictoires, et ne peuvent être bien compris qu'avec l'aide des monuments. Alphabet cadméen.Si, à défaut de monuments positifs, on cherchait, d'après les vraisemblances historiques, à fixer la contrée grecque où la tradition de l'alphabet primitif, encore presque phénicien, a dû se conserver le plus longtemps intacte, on désignerait tout d'abord l'île de Théra. C'est là que la population phénicienne demeura le plus tard, et, lors même que la colonie spartiate et minyenne conduite par Théras, fils d'Autésion, y eut introduit l'élément dorien, qui devint bientôt dominant, l'origine cadméenne de la race royale installée avec cette colonie maintint dans une mesure assez considérable les premiers habitants, graduellement confondus dans la masse des nouveaux colons. En répondant ainsi on se trouve d'accord avec les faits; car, s'il est des inscriptions qui, par la forme antique de leurs lettres, leur ressemblance avec celles des Phéniciens, par les habitudes graphiques qu'elles révèlent, répondent d'une manière assez exacte à l'idée que l'on peut se faire de l'écriture primitive appelée par les Grecs eux-mêmes rodméenne (xnSg.rl'ia ' pzµµxtia), ce sont celles qui ont été découvertes, tracées sur de grands blocs de lave ou sur la paroi des rochers, dans les très-anciennes nécropoles de Mésa-Vouno et d'Exomyti dans l'île de Santorin. ainsi que dans l'île de Thérasia. Vingt ont été d'abord copiées par M. le baron Prokesch von Osten et ont fourni le sujet d'une importante dissertation de M. Bdckh, insérée dans les Méritoires rte l'Académie de Berlin". Franz, dans ses Elementa epidraphiees Graecac 1e, les a reproduites avec un nouveau commentaire, Dans sa remarquable Étude sur l histoire de l'alphabet grec à laquelle nous aurons l'occasion de nous référer souvent, M. Kirchoff a résumé brièvement, et de la manière la plus complète, toutes les observations paléographiques auxquelles les inscriptions de Théra connues en 7863 pouvaient donner lieu i'. Depuis lors M. Michaêlis a enrichi cette classe si importante de monuments par la publication de deux nouveaux 'B. Nous croyons pouvoir fixer approximativement l'âge des inscriptions de Théra, dans le ix' siècle avant notre ère et la première moitié du vine pour les plus anciennes, du milieu du ville siècle au milieu du vu' pour celles de la date intermédiaire, enfin entre la xxx' et la xr.v' Olympiade, c'est-à-dire dans la seconde moitié du vit' siècle pour les plus récentes. Cette manière de voir place encore l'exécution des plus anciennes plusieurs siècles après le premier établissement des Phéniciens àThéra et la colonie cadméenne de la Béotie, deux événements dont nous avons essayé, dans un autre travail '9, de déterminer la date et auxquels doit être rapportée la première introduction de l'alphabet parmi les populations de la Grèce. Mais les Phéniciens s'étaient maintenus à Théra, de même qu'à Mélos, beaucoup plus tard quo dans le reste de l'archipel; ils y étaient restés maîtres jusqu'à la venue des Doriens; par suite, les plus anciennes inscriptions de cette île parvenues jusqu'à nous touchent presque à l'époque où les fils de Chanaan y dominaient encore d'une manière directe. La ressemblance frappante, l'identité presque absolue que la plupart des lettres des inscriptions de Théra offrent avec leurs prototypes phéniciens, justifie notre opinion, que ces inscriptions font connaître presque sans al lération les formes primitives de l'alphabet cadméen ou de l'alphabet phénicien appliqué à rendre les sons de la langue grecque. Cependant il nous semble que l'on peut y remarquer quelques changements introduits pendant l'intervalle qui sépare la date de la transmission de l'écriture des Phéniciens aux habitants de la Grèce, de celle où furent gravées les plus anciennes parmi les inscriptions de Théra. Mais ces changements sont faciles à discerner, et à l'aide des inscriptions archaïques des autres parties de la Grèce on arrive à reconstituer facilement toutes les lettres de l'écriture radméenne. Nous les plaçons, dans le tableau (4.231) en regard des lettres de l'alphabet phénicien, en donnant pour les lettres cadméennes deux formes, celle des monuments où l'écriture va de droite à gauche, suivant la direction phénicienne, et celle des mouvements où elle va de 1° 8. L'origine de cette figure est facile à reconnaître; c'est le 9, dont la partie inférieure courbée s'est relevée de manière à former une seconde boucle. On a probablement imaginé cette confusion entre les lettres o i ALP 196 ALP  A 9S a 1 I^ c/' y Y Y Z I I MNH BH ~H Z KK L ► t, N O 0 0 O O '7 7 gauche à droite, suivant la direction nouvelle que les Grecs finirent par adopter. L'alphabet grecprimitif était composé devingt-deux lettres, comme le phénicien. Les caractères en sont presque identiquement semblables à ceux dont usaient les fils de Chanaan. Mais la forme paléographique du phénicien dont ils dérivent est bien manifestement celle que, d'accord avec M.Levy de Breslau et M. le comte de Vogüé, nous regardons comme la plus ancienne de toutes celles que fournissent les monuments épigraphiques de la Phénicie, celle que nous appelons par conséquent archaïque par opposition à la paléographie sidonienne. semblables aux te, n. 1, du phénicien, ou du moins tellement voisines que notre tableau suffit pour ce qui les concerne, sans que nous ayons besoin de donner d'autres explications. En revanche nous devons dire quelques mots sur la manière dont se sont formées les figures des caractères p, a, t, p., déformation pour éviter toute voisines comme figure 9 a 1, qui devenaient facilement, dans les textes écrits avec rapidité et sans soin, q g q, et dès lors pouvaient être prises l'une pour l'autre. On eût pu enregistrer encore dans le tableau comparatif, à côté de 8, un autre type du p, D ou c, qu'offrent quelques inscriptions archaïques des îles de l'Archipel et qui doit être un dérivé parallèle et aussi ancien du prototype chananéen, conçu dans un autre principe. 2° L. C'est probablement pour éviter la même confusion que l'on a de très-bonne heure supprimé toute espèce de queue du 4 lequel devenant à ne pouvait plus être pris pour le p resté 9. 3° Z. Ici les Grecs ont procédé par voie de simplification, en faisant de 1. Le tracé de cette lettre s'abrégeant de plus en plus, nous verrons, dans les paragraphes suivants, que de Z elle a fini par devenir de bonne heure, dans certains pays, un simple trait vertical, 1. 4° ^1. C'est encore par voie d'abréviation que ce caractère est sorti de `^1, le dernier trait de gauche étant supprimé. Une inscription archaïque de Mélos contient la lettre complète, 1. 7° E. Sorti de -k; même observation. La forme i n'est pas abrégée. 6° N . C'est encore une abréviation de rt. la moitié droite du caractère est tout à fait atrophiée. 7° M• C'est le W phénicien retourné. Ce qui distingue surtout du phénicien,l'alphabet que nous appelons cadméen, c'est premièrement le système adopté pour l'expression des sons vocaux, secondement le changement de direction de l'écriture. Hérodote signale ces deux points comme les premières modifications introduites par les Ioniens ou Pélasgesles deux noms sont pour lui identiques dans l'alphabet reçu des Phéniciens: « Les lettres furent d'abord commu « niquées aux Grecs telles que les Phéniciens en faisaient « usage. Ensuite, au bout de quelque temps, on en mo • difia la valeur et la direction. n Oi q1eotvtxcç... Ecryacyov tir L'adoption de l'alphabet phénicien ou de ses dérivés primitifs par certains peuples, présenta un problème embarrassant pour l'expression des voyelles, revêtues dans les idiomes de ces peuples d'un caractère essentiel et radical, et, au contraire destituées de signes chez tous les Sémites. Les Grecs, les Ibères et les peuples germano-scandinaves, quand ils reçurent la communication de l'écriture phénicienne, les Tartares lorsque l'alphabet Syriaque leur fut apporté par les missionnaires nestoriens, se trouvèrent également en face de ce problème. Quatre fois renouvelé, il eut quatre fois la même solution, la seule, du reste, qui pût être adoptée. Les gutturales douces et les demi-voyelles sémitiques, auxquelles était assigné par occasion le rôle de quiescentes, furent détournées dans une certaine limite de leur valeur primitive et devinrent de véritables voyelles. Chez les Grecs • devenu A rendit le son a e YX y et ou o O Quant au n, devenu les inscriptions de Théra prouvent qu'il avait une double valeur, exactement comme le dans les langues sémitiques, et qu'on l'employait alternativement suivant la position comme voyelle longue ou comme signe d'aspiration. Dans les premiers monuments de l'alphabet cadméen, le sens de l'écriture devait être celui du phénicien, c'est-àdire de droite à gauche. Cette disposition s'est conservée ALP 197 ALP assez tard lorsqu'il s'agissait d'inscriptions en une seule ligne, même après que de nouveaux alphabets, composés d'un plus ou moins grand nombre de signes, eurent succédé chez les différents peuples de la race hellénique au premier caractère cadméen, leur source commune. Les inscriptions de Théra nous offrent de nombreux exemples de ce genre, non-seulement des textes ne se composant que d'une seule ligne, mais même un texte qui fournit encore plus complétement la reproduction des habitudes graphiques phéniciennes, une inscription en deux lignes, toutes deux procédant de droite à gauche. Il est impossible, dans l'état actuel de la science, d'indiquer, même d'une manière conjecturale, à quelle époque cette direction de l'écriture, purement et simplement empruntée aux Phéniciens, a commencé à être modifiée. Mais on peut indiquer avec assez de certitude par quels degrés successifs s'est opéré le changement dans le sens de l'écriture. L'habitude d'accompagner dans les représentations de l'art les figures des personnages de leur nom écrit à côté, habitude presque constante chez les Grecs des plus anciennes époques, et dont certains vases peints, quelques bas-reliefs, enfin, dans les textes, la description que donne Pausanias du coffre de Cypsélus, nous ont conservé la trace, amena de très-bonne heure à disposer ces légendes explicatives, non pas seulement en lignes droites et horizontales, mais en lignes flexueuses entourant la figure. Telle était la disposition des inscriptions sur le coffre de Cypsélus. Cette disposition, dont nous avons des exemples sur quelques vases archaïques de fabrique corinthienne, éveilla, par le tracé de la ligne de l'écriture, par son retour sur elle-même dans une direction presque parallèle à celle de la première partie de la même ligne, l'idée de la marche du boeuf attelé à la charrue, que le laboureur fait revenir sur lui-même en traçant un second sillon à côté de celui qu'il a ouvert le premier. L'image passa dans la langue et le mot (3ouaipoylUv servit à désigner cette manière de disposer l'écriture. Mais ni l'usage ni le mot ne demeurèrent toujours restreints aux inscriptions explicatives des bas-reliefs et des peintures. On commença, et il semble même qu'à une certaine époque ce fut une élégance, à tracer les inscriptions en lignes flexueuses et boustrophèdes, lors même qu'il n'y avait pas de figures à encadrer. Bientôt ces lignes flexueuses ne parurent plus aux Grecs compatibles avec la régularité que réclament les inscriptions monumentales ; on en revint aux lignes horizontales complétement droites, mais en y conservant la disposition boustrophède, c'est-à-dire en alternant les lignes dirigées de droite à gauche et de gauche à droite. La première de ces deux dispositions du boustrophède, celle où la ligne initiale procède de droite à gauche, est la plus ancienne, ainsi que l'ont déjà remarqué MM. Bôckh et Franz. Elle s'introduisit dans l'usage alors que la tradition des habitudes graphiques du phénicien était encore vivante. La disposition qui procède au début de gauche à droite est postérieure, et marque une nouvelle étape dans le changement du sens de l'écriture. C'est là, en effet, que se manifeste pour la première fois d'une manière décisive la tendance à écrire de gauche à droite, dans une direction opposée à celle qu'avaient adoptée les Orientaux, tendance qui finit par prévaloir entièrement chez les Grecs. Une partie des lignes, dans ce second système de boustrophède, est bien encore dirigée comme dans l'écriture qui a servi de source, mais déjà le point initial des inscriptions est changé. Aussi, de même qu'aux inscriptions conçues en plusieurs lignes du premier boustrophède régulier répondaient des inscriptions en une seule ligne tracée de droite à gauche, aux textes en plusieurs lignes du second boustrophède répondirent de courtes inscriptions d'une seule ligne, commençant cette fois à gauche pour se terminer sur la droite. Ce fut par là que se fit la dernière transition et que l'on en vint à écrire entièrement de gauche à droite, direction qui finit par être adoptée à l'exclusion de toute autre, après un temps plus ou moins long, par toutes les fractions de la race hellénique. Les diverses évolutions dans le sens de l'écriture, dont nous venons de suivre la trace et dont nous avons essayé de reconstituer les phases, se produisirent lorsque les différents peuples de race grecque employaient encore tous l'alphabet proprement cadméen, c'est-à-dire la première modification de l'alphabet phénicien appliqué à l'organe et à l'idiome des Grecs, et avant que les alphabets éolodorien, ionien et attique fussent sortis de ce type. Différentes variétés de l'alphabet grec à sa seconde époque. Déjà, au temps où furent gravées la plupart des inscriptions de Théra, presque toutes les populations helléniques avaient cessé d'employer le premier alphabet usité par leurs ancêtres, qu'elles trouvaient incomplet, et, le modifiant suivant les instincts et les nécessités de leurs dialectes, en avaient tiré de nouveaux caractères, différant de nom bre et de formes suivant les peuples et les contrées. Ce n'est que fort récemment que l'on a commencé à établir une classification régulière parmi les monument qui représentent cette seconde phase de l'histoire de l'écriture grecque, à discerner plusieurs alphabets distincts et contemporains, et à jeter la lumière par ce moyen dans une étude qui jusque-là présentait un inextricable chaos. L'honneur en appartient à Franz, à M. Mommsen et à M. Kirchoff. Le premier de ces savants, dans l'introduction de ses Elementa epigraphices graecae, distingua trois alphabets grecs de la combinaison desquels est sorti celui qui fut définitivement adopté par tous les Hellènes : 1° L'alphabet éolo-dorien, composé de vingt-cinq lettres; 2° l'alphabet attique, composé de vingt et une ; 3° l'alphabet ionique, composé de vingt-quatre. Le second, dans les prolégomènes de son beau livre sur Les dialectes de l'Italie inférieure, traitant la question de l'origine des écritures italiotes, a exposé rapidement ses idées sur l'histoire et la formation de l'alphabet grec. Il n'admet en Grèce que deux alphabets successifs : 1° Un alphabet primitif de vingt-trois lettres, représenté par les inscriptions de Théra, et dont les alphabets ionique et attique de Franz ne seraient, selon lui, que des variétés; 2° un alphabet postérieur de vingt-six lettres, qu'il subdivise en deux variétés principales : l'alphabet corcyréen, l'alphabet dorico-chalcidien; en y joignant encore deux autres variétés qu'il considère comme le produit de la combinaison du second système d'écriture avec le premier : l'alphabet argien, l'alphabet éléo arcadien. Tel est le système de M. Mommsen. Celui au développement duquel M. Kirchoff a consacré ses Études sur l'histoire de l'alphabet grec n'en diffère pas essentiellement. L'érudit chargé par l'Académie de Berlin de continuer et d'achever le Corpus de Bbckh admet aussi seulement deux alphabets grecs archaïques : l'alphabet oriental, susceptible ALP 198 ALP de compter vingt-six lettres lorsqu'il est au complet, et l'alphabet occidental, qui n'en a que vingt-cinq sous sa forme la plus complète. Du premier, M. Kirchoff admet dix-neuf variétés, et du second, onze, qu'il classe géographiquement. Nous croyons, quant à nous, devoir nous en tenir à la division de Franz, en y ajoutant cependant une section a part pour l'alphabet en usage dans les îles de l'Archipel. Nous admettons donc quatre alphabets grecs archaïques de la seconde époque : 1° l'alphabet (loin-dorien, auquel se rattachent deux sous-variétés secondaires et distinctes : l'alphabet corinthien, l'alphabet argien ; 2° l'alphabet attique; 3° l'alphabet des îles; 4° l'alphabet ionien. Ces quatre alphabets nous semblent, en effet, distingués les uns des autres par des caractères qui ne permettent pas de les confondre, ni de réunir non plus le second et le quatrième sous la même rubrique que l'alphabet cadméen des monuments primitifs de Théra. Ces caractères consistent dans : 1' le nombre des signes; 2° la valeur de certaines lettres. L'alphabet éolo-dorien comprend vingt-huit lettres, si l'on enregistre dans une même liste tous les signes qu'il est susceptible de compter dans les différents pays où il était en usage. Les lettres caractéristiques en sont : F 4 M = o , X = , plus l'emploi de 8 ou H comme un signe d'aspiration. L'alphabet ionien compte vingt-quatre signes. L'absence des cinq que nous venons de citer le distingue de l'éolodorien, ainsi que l'addition d'une lettre pour exprimer l'o long,Q, et l'emploi de B ou H comme une voyelle. L'alphabet des îles est de vingt-sept lettres. Il a, comme l'éolo-dorien, F 4 1, mais il n'admet ni M = rr, ni X = e. A cette dernière figure, il donne, comme l'ionien, la valeur de y. De même que dans le cadméen, H ou 8 y est également susceptible des deux valeurs d'aspiration et de voyelle. Enfin, cet alphabet a deux signes pour exprimer l'ot long et l'o bref ; mais ces deux signes, qui varient du reste suivant les îles, ne sont pas les mêmes que dans l'ionien. L'alphabet attique, enfin, ne compte jamais que vingt et une lettres. Il n'a ni F 4 7 M = o•, X = e, propres à l'éolo dorien; ni Q, particulier àl'ionien;ni 1, commun aux trois alphabets dont nous venons de parler. Comme l'éolo-dorien, il attribue à H la valeur d'une aspiration. Alphabet éolo -dorien. Cet alphabet est celui que fournissent les monuments épigraphiques et numismatiques antérieurs au Ive siècle av. J. C. dans la Béotie, l'Eubée, les colonies chalcidiennes de l'Italie et de la Sicile, la Phocide, la Locride, la Laconie, l'Arcadie, l'Élide, l'Hermionide, l'Achaïe et les colonies achéennes de l'Italie, la Mégaride, Égine, Céphalonie, la Thessalie et la Grande Grèce. L'auteur du présent article y a consacré un travail spécial, où il a donné le relevé de tous les monuments qu'on en connaît ". Le lecteur trouvera la liste complète des caractères de l'alphabet éolo-dorien dans sa forme typique, et leurs principales variétés fournies par les inscriptions et les médailles dans la deuxième colonne de notre tableau (1g. 232). Il est une remarque qui doit se présenter tout d'abord à l'esprit, si l'on compare cette liste complète de l'alphabet éolo-dorien avec les éléments épigraphiques et numisma tiques qui nous ont servi à le dresser : c'est que nulle part dans les diverses contrées où cet alphabet était en usage, on n'en trouve toutes les lettres employées dans les inscriptions. C'est tantôt l'une et tantôt l'autre qui fait défaut. L'alphabet du célèbre vase connu sous le nom de vase Galassi 2s prouve, du reste, que théoriquement, et probablement dans l'enseignement des écoles, on admettait dans les cités où régnait l'écriture éolo-dorienne, à certains rangs dans la série des caractères, des lettres dont les habitants des mêmes cités ne se servaient pas dans les usages épigraphiques. En effet, cet alphabet contient des signes qui ne se sont jamais rencontrés dans les légendes des vases doriens, à la paléographie desquels il appartient cependant. Mais en revanche il n'a pas le 9, que nous ont pourtant offert ces légendes. A quoi peut tenir cette absence do telle ou telle lettre dans les pays où un même alphabet était en usage ? La première idée qui s'offre à l'esprit lorsqu'on cherche à sonder le problème, est celle d'une sorte de dérivation indépendante de l'écriture dans chacune des contrées helléniques, et cette hypothèse permettrait en môme temps d'expliquer assez bien les variations de formes de certaines lettres suivant les pays où elles étaient en usage. Cependant, quelque séduisante que soit cette idée au premier abord, on ne saurait s'y arrêter. L'unité de l'alphabet (loto-dorien, son identité avec lui-même, non-seulement dans les contrées où était en usage sa forme typique, dont nous restituons le tableau, mais encore dans les deux sous-variétés qui nous restent à étudier, est trop évidente pour que l'on puisse admettre la formation indépendante des alphabets de toutes les cités dont nous avons examiné les monuments. Avec cette dernière hypothèse, il faudrait admettre autant d'alphabets différents que de villes dans la Grèce, et on retomberait dans l'ancien chaos, comme l'ont très-bien vu Franz, M. Mommsen et M. Kircohff. Nous sommes en présence d'un de ces cas où l'on doit nécessairement admettre, pour des objets du domaine de l'archéologie et de l'histoire, la loi de subordination des caractères secondaires aux caractères principaux, qui a rendu de si grands services aux sciences naturelles. Et pour appliquer ici le langage de ces sciences, l'alphabet éolo-dorien constitue une espèce renfermant trois variétés, composées chacune d'individus qui ont tous les caractères essentiels de l'espèce et de la variété, mais qui présentent entre eux certaines petites différences individuelles. En un mot, l'alphabet que nous appelons (loto-dorien est dans toutes ses variations un seul et même alphabet, dont les formes se modifient légèrement dans les différentes peuplades helléniques qui l'ont adopté. Ce fait n'est pas aussi extraordinaire qu'il pourrait le paraître au premier énoncé. Il n'est pas non plus isolé dans l'histoire des écritures, car voici un exemple également parallèle. Tous les peuples de l'Europe qui parlent des langues néo-latines se servent d'un même alphabet, l'alphabet latin composé de vingt-cinq lettres. Mais plusieurs d'entre eux n'en emploient pas toutes les lettres, ce qui n'empêche pas l'unité de l'alphabet, que dans les différents pays on enseigne complet aux enfants. Les Italiens ne se servent pas de x, de le, ni de y, lettres qui ne correspondent pas à des sons de leur organe et de leur idiome, cependant il ne viendra jamais à l'esprit de personne de ALP -199ALP CADMdirN. ÉOLO-DOIIIEN. AIIGIEN. cOEINTIIIF.N• ATTIQUE. DES 1LES. IONIEN. Fig. 3312. Alphabets grecs archaiquea. ALP 200 ALP distinguer un alphabet italien différent de celui qu'emploient les Français. On dit, et on a raison de dire, que tous les peuples néo-latins se servent de la même écriture latine, où pour chacun d'entre eux certaines lettres n'existent qu'à l'état théorique. 11 en était de même chez ceux des Grecs qui faisaient usage de l'écriture éolo-dorienne. L'alphabet éolo-dorien se compose essentiellement et en fait de vingt-huit lettres, et la suppression de quelques-unes de ces lettres sur certains monuments alphabétiques, leur absence dans les inscriptions de telle ou telle contrée, ne prouvent qu'une chose, c'est que les lettres supprimées n'avaient pas lieu d'être employées dans cette contrée, en tant que représentant des sons qui manquaient dans son dialecte particulier. Plus on remonte haut, en effet, dans les monuments de la langue grecque, plus on rencontre des traces de variété dans les dialectes et surtout dans la prononciation, nonseulement de contrée à contrée, mais de ville à ville. Ce n'est pas que ces variations dans la manière de prononcer se fussent entièrement effacées plus tard; il serait, au contraire, facile d'en retrouver les traces chez les grammairiens et chez les poëtes comiques, et le langage populaire des habitants actuels des diverses provinces de la Grèce les a presque toutes conservées. Mais quand la langue écrite eut été définitivement fixée, lorsque l'orthographe grecque fut devenue uniforme, tout en continuant de marquer les caractères grammaticaux particuliers aux différents dialectes, on cessa d'indiquer par l'écriture toutes les nuances locales de la prononciation. Ce grand travail de fixation de l'orthographe grecque correspond à l'adoption par tous les peuples helléniques de l'alphabet définitivement arrêté à vingt-quatre lettres. Jusque-là dans chaque contrée, et presque dans chaque ville, on écrivait avec une orthographe particulière, non pas d'après des règles communes à tous les Grecs, niais en suivant exactement la prononciation. Or, on doit forcément le reconnaître, quoique le nombre des vingt-huit lettres de l'alphabet éolodorien dépasse notablement le nombre auquel furent fixées les lettres et les articulations de la langue grecque écrite, chacune de ces lettres représente une articulation distincte. Les deux sifflantes ou Z et M, auxquelles l'alphabet grec postérieur substitua une seule lettre, 1, dans l'orthographe définitive, ne représentaient cependant pas primitivement une prononciation identique, pas plus que le c et le i phéniciens d'où elles sont dérivées. Quoiqu'un passage assez obscur d'Hérodote 23, dont le sens véritable doit être que la lettre employée par les Doriens dans le même cas que le aiy~.a parles ioniens portait le nom de adv, ait pufaire croire àla plupart des grammairiens anciens 20, fort ignorants des questions de paléographie, que ces deux noms désignaient une seule et même lettre ; quoique même cette opinion ait été renouvelée par M. Mommsen ", qu'elle a entraîné à des erreurs assez graves sur l'origine des diverses sifflantes de l'alphabet grec; d'autres passages, tout àfait formels, des écrivains de l'antiquité démontrent que les deux noms de aîyu« et de aès, ne désignaient ni la même lettre ni le même son. Athénée 18 raconte, d'après Aristoxène, que les musiciens substituaient souvent lea«v au aFyp.« en chantant, parce qu'ils trouvaient que la prononciation de cette lettre se mariait mieux aux sons de la flûte, et Pindare, dans des vers cités par le même auteur, donne au aâv l'épithètede xleSaaov, c'est-àdire d'articulation béitarde. Nous devons en conclure que si ou E, comme le a de l'alphabet grec définitif, représentait un s nettement accusé, Mou ceci) servait à exprimer un son plus gras et un peu chuintant. C'est ainsi que dans certaines parties de la Grèce où se sont conservées des formes dialectiques très-anciennes, dans l'Étolie par exemple, les hommes du peuple encore aujourd'hui donnent au a la valeur sch et non de s. Les palikares de l'Étolie prononcent méschiméri pour µearvpt€pt, « midi, » schylsa pour aûxa « des figues, » etc. Dans les pays dont la prononciation admettait l'usage simultané de ces deux lettres, comme nous allons le voir à Argos, le son du M était particulièrement réservé à la sifflante finale des mots, soit dans les nominatifs singuliers en oç ou 0M ou FM, soit dans les génitifs singuliers féminins en «s ou sç, AM ou FM, soit dans les nominatifs, datifs ou accusatifs pluriels en Fç, otç, atç, ouç et as, FM, OIM, AIM, 0M et AM, soit enfin dans les secondes personnes singulières des verbes. Dans certaines contrées toutes les sifflantes, même dans l'intérieur des mots prenaient le son chuintant du a«v, et alors on n'employait que le signe M ; c'était le cas de Corcyre, de l'Achaïe et de ses colonies italiennes. Enfin, dans d'autres contrées, en Béotie, en Eubée, dans la Phocide et dans la Locride, dans les trois quarts du Péloponnèse, dans le plus grand nombre des villes de l'Italie et de la Sicile, aussi bien que dans les domaines des alphabets attique et ionien, le son du aâv manquait absolument à l'organe des habitants ; on ne connaissait que celui de aiyg-a, et dans l'écriture on n'employait que le signe ou E. C'est cette dernière variation de la prononciation qui finit par l'emporter et par devenir générale, lors de la fixation définitive de l'orthographe grecque. Ce que nous venons de dire des deux lettres ï et M s'applique également, aux lettres ® (ou 1+1 ou 1) et +, lesquelles expriment deux sons complexes et sifflants trèsvoisins l'un del'autre, et qui dans l'orthographe postérieure, commune à tous les Grecs, sont remplacés par un seul, celui du ;. Franz croyait encore que ou 1 et +, comme y et X, étaient deux signes s'employant indifféremment l'un pour l'autre et exprimant une articulation identique. Mais M. Mommsen l' a fort bien fait voir qu'il ne pouvait pas en être ainsi, puisque les deux lettres ® et + figurent en même temps dans l'alphabet du vase de Curé, la première entre N et 0, la seconde entre Y et 0. 11 a même faitplus,et il est arrivé à fixer d'une manière certainela valeur de ces deux lettres, ® Hi ou 1 représente ae, c'est-àdire une double s au son bien caractérisé, ce qui fait que, pour en déterminer la prononciation, dans les pays où toutes les sifflantes prenaient le son chuintant, on faisait suivre dans l'écriture cette lettre par un av. Ainsi sur un précieux vase corinthien publié par M. de Witte, le nom du cheval Edveoç est orthographié IMANOOM. On lit aussi le nom tapa; écrit MlAcl Of sur un vase de la fabrique corinthienne de Curé qui est entré au Musée du Louvre avec la collection Campana. Cependant en même temps, sur le même vase, étvOoç, est orthographié MOO`1AI, ALP 20 ALE et I1o)u;€vx A`l 1 Y\Or1; sur un autre vase de la même fabrique et de la même collection, un personnage reçoit le nom de roEd [ans, « l'archer, » OIOT. Quant à +, on peut en rendre la prononciation par , ou plus exactement encore par xe. Les sons aset se correspondaient dans les différents dialectes de la Grèce, nous le savons par les grammairiens 98, et souvent l'un remplaçait l'autre. Ainsi les Ioniens disaient, ou plutôt écrivaient côç et 'rpt,oç pour Staabç et rptaaôç ; ainsi de 'Ocuaa3tç les Siciliens avait fait Oir),i ç 29 et les Romains Uli,z•es, devenu plus tard à son tour Ulysses. Au reste, la prononciation de aa et celle de xa n'étaient pas les seules qui fussent en usage chez les Grecs pour rendre l'articulation complexe que représente le postérieur. En Attique nous trouvons Xli dans les cas où ailleurs on eût employé 1 ou +. Les inscriptions de la Béotie emploient tantôt + et tantôt yli, Le de l'alphabet définitif représente donc trois prononciations différentes selon les contrées, figurées de trois façons distinctes sur les monuments d'époque antérieure:: Hi 1,ca;+Xxe; 4,17 ou X S, ya. La dernière de ces trois prononciations Via, qui était celle de l'Attique, finit par devenir générale lorsque l'orthographe grecque fut fixée ; c'était la prononciation considérée comme la bonne pour le 1. Aussi Grégoire de Corinthe 30, en parlant du dialecte éolique, en cite-t-il comme une des anomalies caractéristiques que le s'y prononçait xa et le i, na, au lieu de xa et de ?a comme en Attique (dans l'orthographe primitive de cette contrée on Slvoç, xo'voç, xxi dyri •roû 4i, 'Re, tiX0,4, 37ûonç. Quant aux lettres K et 4, il est évident aussi que leur prononciation présentait une certaine différence, probablement la même qu'en phénicien entre la prononciation de et de p, les deux signes dont elles dérivent. K était sû rement le x de l'alphabet grec définitif, le K latin; 4, qui passant en Italie, a produit le Q latin, devait avoir la même valeur. Mais cette articulation n'existait dans l'organe que d'un très-petit nombre de tribus de la famille hellénique. Ni les habitants de l'Attique, ni les Ioniens, ni, parmi les nations qui faisaient usage de l'alphabet éolo-dorien, les Éléens, les Arcadiens, les Locriens, ne la connaissaient. Chez la plupart de ceux qui la possédaient c'était peut-être l'articulation de toutes la moins définie. Car dans beaucoup d'endroits, en Laconie par exemple, nous la voyons exprimée dans les monuments de l'époque tout à fait primitive; puis, de très-bonne heure, elle disparaît, avant que l'orthographe soit encore régularisée; le K y triomphe et y de vient seul en usage, jusqu'à ce qu'enfin le î disparaisse absolument dans la dernière réforme subie par l'alphabet grec. Après cette dernière réforme, c'est seulement à Corinthe que nous voyons le î maintenu sur les monnaies, par une sorte de prétention archaïque, comme initiale, et pour ainsi dire comme symbole du nom de la ville, jusqu'à sa destruction par Mummius. Reste le `i' des Éginètes et des Mégariens, dessiné * chez les Locriens. Nous retrouverons cette lettre à Corinthe, chez les habitants de plusieurs îles de la mer Égée et dans l'alphabet ionien; mais elle manque dans les inscrip 1. tionsde la plupart des pays où l'on employait l'alphabet éolodorien. A la place nous trouvons, tantôt comme en Béotie et en Attique, (D y, tantôt, comme en Eubée, sur les lames de plomb de Styra, P ce qui représente les deux prononciations locales de l'articulation complète figurée plus tard par le 4, de l'alphabet définitif. A laquelle de ces deux prononciations, tta ou ?a, répondait originairement le signe ou *? C'est ce qu'il est impossible de décider, faute de documents formels. Alphabets argien et corinthien. Nous avons distingué comme deux variétés spéciales de l'alphabet éolo-dorien les types d'écriture archaïque dont on se servait à Argos et à Corinthe, ainsi que dans ses colonies, comme Corcyre et comme C7eré en Étrurie. Ces deux variétés ont été étudiées avec de grands détails par l'auteur de cet article dans la Revue archéologique d'avril 1868, où il a donné la liste complète de tous leurs monuments jusqu'à présent connus. L'alphabet d'Argos et celui de Corinthe forment la troisième et la quatrième colonne de notre tableau (fig. 232). Celui d'Argos est surtout caractérisé par la forme du ),, Iv puis F., exclusivement propre à cette ville et qui s'y maintint jusqu'à la fin du Ive siècle avant l'ère chrétienne. Celui de Corinthe et de ses colonies a pour lettres caractéristiquesle[3, figuré en l'een g et l'; en ; dans ses monuments les plus anciens il n'emploie pas d'autre sifflante que le M. Au reste, aven le cours du temps, on y voit graduellement disparaître les lettres aux figures particulières et l'alphabet de Corinthe, par ces changements successifs, finit par n'être plus que l'alphabet éolo-dorien ordinaire. Alphabet attique. Cet alphabet n'a jamais été usité nulle part en dehors des étroites limites de l'Attique. Les monuments en sont, du reste, nombreux, soit à Athènes même, soit dans les environs de cette cité, et quelques-uns remontent jusqu'à une époque très-haute, contemporaine des plus anciennes inscriptions de Théra. La cinquième colonne de notre tableau (fig. 232), contient les formes des lettres de l'écriture attique, telles qu'on les trouve dans ses plus anciens monuments. C'est seulement par le petit nombre des caractères en usage que cet alphabet se distingue de l'écriture éolodorienne, dont on pourrait le considérer comme une simple variété. Comme à Argos et à Corinthe, dans les îles de la mer Égée et dans les domaines de l'alphabet ionien, le signe + ou X y a la valeur de z. L'alphabet attique est, de tous les alphabets archaïques de la Grèce, celui dont l'usage s'est conservé le plus tard. De l'époque primitive de l'écriture athénienne, qui va jusqu'aux guerres médiques, à l'archontat d'Euclide, c'est-àdire à l'an n de la xcvie Olympiade, les seules modifications qu'il éprouva furent une plus grande régularité introduite dans le tracé des caractères et la substitution des formes O à El-D. P à R, E à y, et à m 31. Chacun sait que sous l'archontat d'Euclide, après l'expulsion des Trente tyrans, lorsqu'Athènes fut rendue à sa liberté, une loi proposée par Archinus fit abandonner ce système d'écriture incomplet et incommode, que l'on ne conservait que par une antique tradition, et y substitua dans les actes publics l'alphabet des vingt-quatre lettres dites 'Isivtx« ypûµu.xta 84. + ou X= y ou S2 Nous aurons à revenir un peu plus loin sur cet événement, décisif dans l'histoire de l'écriture grecque. Alphabet des îles. Nous avons déjà indiqué tout à l'heure les caractères essentiels qui distinguent des autres écritures grecques de la même époque l'écriture archaïque en usage parmi les habitants des îles de la mer Égée, et qui constituent son individualité. De même que les populations de ces îles, où les deux races ionienne et dorienne étaient juxtaposées et enchevêtrées, pour ainsi dire, l'une dans l'autre, se trouvaient géographiquement placées entre les Doriens du Péloponnèse et les Ioniens de l'Asie Mineure, de même leur écriture forme comme un intermédiaire entre l'alphabet éolo-dorien et l'alphabet ionien. Tout en gardant les caractères généraux qui constituent son individualité et son unité, l'alphabet des îles de la mer Égée présente un certain nombre de variétés locales qui se divisent en deux groupes : 10 celles qui admettent le F, re jettent le î et n'ont qu'un seul signe pour les deux o, bref et long ; 2° celles qui n'admettent pas le F, ont le î et possèdent une notation distincte de l'o et de l'w. Le premier groupe incline plutôt vers l'éolo-dorien, le second vers l'ionien. Le premier est représenté par les monuments de l'épigraphie et de la numismatique archaïque de Rhodes, de la Crète et de Naxos, le second par les plus vieilles inscriptions de 'Mélos, de Siphnos, d'Andros, de Paros et de ses colonies, et aussi par les inscriptions archaïques de Théra postérieures à l'abandon de l'alphabet cadméen; ce type d'écriture fut aussi introduit en Macédoine et dans la Thrace méridionale par l'intermédiaire de la colonie parienne de Thasos. Les deux types principaux auxquels on peut ramener toutes les variétés de l'alphabet des îles composent, l'un la sixième et l'autre la septième colonne de notre tableau (fig. 212). On y remarquera que si dans le second type la distinction des notations de l'o et de 1'w était de règle, pendant assez longtemps, le choix des signes de ces deux notations fut très-flottant et qu'on variait à ce sujet presque dans chaque localité. Nous reviendrons un peu plus loin sur ces changements dans la manière de distinguer l'o bref de l'a long. Alphabet ionien. Nous conservons à ce dernier des alphabets du second âge de l'écriture grecque le nom d'ionien que lui a donné Franz, car ce nom a pour lui l'autorité des écrivains antiques parlant souvent des 'Iwvtxâ yypdµgxtia ou « lettres ioniennes n. Cependant il serait peut-être plus exact de l'appeler Alphabet des Grecs de l'Asie Mineure, car il n'était pas en usage seulement en Ionie, mais chez toutes les populations grecques de la côte d'Asie, et même nous le trouvons employé en Europe par des peuples qui n'avaient rien d'ionien, mais qui entretenaient de fréquents rapports avec l'Asie Mineure et avec certaines colonies ioniennes des îles de la mer de Thrace. Les plus anciens monuments de l'alphabet ionien sont les inscriptions gravées sur les jambes de deux des colosses qui décorent la façade du spéos d'Ibsamboul en Nubie 33 Elles ont été tracées par des mercenaires grecs d'Asie Mineure qui accompagnaient le roi d'Égypte Psammétique 1' dans son expédition contre 'es guerriers égyptiens révoltés qui se retiraient en Éthiopie °k. Ces textes repré sentent un état tout à fait primitif de l'alphabet auquel ils appartiennent ; le 4 y est encore en usage ; il n'y a pas de distinction entre o et w; mais déjà le 8 est employé exclusivement comme voyelle. Une seconde époque de l'histoire de l'alphabet ionien est marquée par l'abandon du î et par l'introduction d'une nouvelle lettre, ç2. exprimant le son vocal o. L'w ainsi représenté, avec le B voyelle, devient, à partir de ce moment, le signe caractéristique du système graphique des Ioniens. Les principaux monuments de cette seconde époque sont les inscriptions des statues qui bordaient l'avenue du temple d'Apollon Didyméen à Branchides, auprès de Milet 36, inscriptions dont plusieurs ont été dédiées par des personnages historiques vivant entre 560 et 510 avant Jésus Christ, tels que les fils du philosophe Anaximandre, Histiée, le fameux tyran de Milet, et Charès, tyran de Tichiossa. Il faut y joindre l'inscription célèbre du cap Sigée w, gravée dans la seconde moitié du vi° siècle 37. L'alphabet ionien de la seconde époque est encore celui avec lequel sont tracées les légendes des monnaies archaïques de la Macédoine et de la Thrace méridionale, pays où il avait été introduit par la colonie ionienne de Samothrace. Les deux types successifs de l'alphabet ionien archaïque remplissent la huitième et la neuvième colonne de notre tableau (fig. 232). Les formes plus régulières et sans aucun reste d'archaïsme furent adoptées en Ionie à dater des environs de la Lxxxvu° Olympiade. C'est sous ces dernières formes que l'alphabet ionien, un quart de siècle après, devint l'alphabet de tous les Grecs. Origine des lettres nouvelles dans les différents alphabets grecs de l'âge secondaire. Les lettres ajoutées pour exprimer des articulations qui manquaient de signes particuliers dans l'alphabet cadméen, sont, en tenant compte de toutes celles que l'on rencontre dans les alphabets grecs secondaires, au nombre de sept ou de huit, selon la manière dont on voudra les compter : La plupart de ces signes additionnels ont été tirés des signes de l'alphabet cadméen les plus voisins comme son, au moyen de la suppression ou de l'addition de quelques traits, par un procédé qui s'est souvent répété chez les différents peuples dans les cas d'inventions semblables. On peut retrouver avec une entière certitude l'origine du plus grand nombre. P Le F, auquel sa forme a fait donner par les grammairiens de basse époque le nom de E(,lauua, n'est pas en 38 Odys.s. P, v. 221. -89 Neo,. X, v. 12S.ro IJyl. XV, v, 76 ef. 1dyl. V,. 143 et 150. if Cori,. inver. graee, n. 14. r~`-' i.e Bas, Vnyap `O Inscriptions, pl. Br, n. 2. fait un double y, mais un double . Voulant exprimer un son de la nature de f ou v, mais plus fort que celui de Y même dans les diphthongues eu et eu, on prit la lettre phénico-cadméenne dont la prononciation avait le plus d'a nalogie, Y ou y (de gauche à droite X ou X), et, pour marquer la plus grande intensité de l'articulation, on doubla la lettre par superposition, \Y ou `((. Seulement, pour régulariser la forme du caractère, comme les traits extérieurs à la haste, par suite de leur superposition, n'auraient pas présenté un aspect heureux en les traçant obliquement comme celui de X, on les rendit horizon taux, F. 2° La lettre qui exprime l'articulation complexe ore, sort évidemment du même caractère phénicien que celle qui rend l'articulation simple a. Le , -, est la source com mune de toutes les deux. MM. Lepsius et Franz l'ont déjà démontré, et M. Mommsen l'a reconnu. 1 est bien en effet sorti du tracé vertical de la lettre phénicienne, sous la forme que l'on voit par les monuments avoir été quelquefois en usage en Asie antérieurement au vite siècle avant l'ère chrétienne; Hi d'un tracé couché sur le côté, IU-; quant à , c'est une sorte de combinaison bizarre de 1 et de 1+1 . Il est à remarquer comme un fait extraordinaire, mais cependant certain, que pour former cette nouvelle lettre qui manquait à l'alphabet cadméen on a remonté au prototype phénicien, que l'on a reproduit autrement qu'on ne l'avait fait pour en tirer ou £, et qu'on ne s'est pas borné à modifier la forme de la lettre cadméenne déjà sortie de . 3° L'origine du CD ou CD est plus douteuse. Franz prenant pour type de cette lettre la figure qui a la ligne médiale prolongée en haut et en bas, cD, et guidé par une simple analogie de formes, suppose que le dérive du î; que c'est ce dernier caractère auquel on aura donné la valeur deph après qu'il sera tombé en désuétude dans son emploi primitif comme q. Mais on voit par une multitude d'exemples que lem ou (D était déjà en usage dans les domaines des quatre alphabets secondaires lorsque l'on se servait encore du Y. D'ailleurs on n'a d'exemple dans aucune écriture qu'on ait pris un caractère tombé en désuétude, en lui donnant une valeur absolument différente de celle qu'il avait primitivement, pour exprimer une articulation qui n'avait pas d'abord de signe distinct. Lorsqu'on veut arriver à ce but, presque constamment on choisit la lettre dont la valeur est la plus voisine et on en modifie légèrement la forme. Or, en grec, il est une lettre qui existait déjà dans l'alphabet cadméen, dont la figure est très-voisine de celle de (D, et dont la prononciation était considérée comme trèsrapprochée de celle de cette dernière lettre, puisque toutes deux s'échangeaient souvent; c'est le 9. La permutation du et du ? est un fait bien connu des grammairiens et qui se produit dans presque tous les dialectes helléniques. On la remarque surtout en éolien et en dorien. Homère 38 emploie le mot giafvetat pour -aéJ, sac, Pindare as p).«v pour °a«v, Théocrite 40 oû fxp pour jeep. Mais ce ne sont pas seulement les écrivains classiques qui nous fournissent des exemples de cet échange entre deux articulations voisines. Nous en rencontrons aussi quelques-uns dans les monuments épigraphiques. Tel est l'emploi de la forme gyît',,pa pour °ïipx dans une inscription archaïque de Sparte, fragment très-mutilé qui semble avoir appartenu à une collection d'oracles ". N'est--il pas permis de croire après cela que m dérive de 9, dont on aura réduit les deux traits croisés intérieurs à un seul trait vertical, en prolongeant ensuite un peu plus tard ce dernier trait par en haut et par en bas, pour mieux marquer la différence des deux lettres ? Ce qui confirmerait cette conjecture est une forme du g particulière et encore plus voisine du d e, qu'on rencontre sur plusieurs monuments, entre autres dans une inscription attique fort ancienne ". lr° Le y, X ou +, nous paraît, surtout dans la première de ces deux formes, n'être qu'un K modifié pour exprimer, non plus le simple k, mais un khi 5° Quant au Z semblable comme forme au Ï, + ou X, Franz le tire de comme 1. M. Mommsen ne sait que dire sur son origine. Nous ne croyons pas, quant à nous, que l'on puisse admettre l'opinion de Franz. Le caractère 1 ou Hi a bien pu être emprunté au -, parce qu'il ex primait une articulation, complexe il est vrai es, mais dans laquelle le a était le principal et même le seul élément constitutif. Que le X au contraire, se prononce, comme il se prononçait suivant les pays, xa, yr, ou 7e, il n'y en e pas moins toujours dans son articulation un élément important et initial qui appartient à une autre famille d'ari.ieulations que le a, r., y ou ti. Nous serions donc assez disposés à penser que X, + = comme X, + = y, Pst une modification de K plutôt que de .. Ce qui en serait même une preuve presque décisive, c'est qu'il semble que cette lettre ait été primitivement, non pas double, mais une gutturale à demi sifflante. Ainsi dans le latin, où elle a passé, les plus anciennes inscriptions font toujours suivre le X d'une S pour compléter l'indication du son, XS, et cette particularité s'est conservée jusqu'à la belle époque dans l'orthographe de quelques mots. 6° L'origine den est plus facile à établir. ici, comme pour le 1, on a remonté au type originaire phénicien que les Ioniens, inventeurs de cette lettre, étaient, en tan': qu'habitants de l'Asie, plus à même de connaître que les autres Grecs. Le y phénicien, pris dans sa forme fermée, avait donné à l'alphabet cadméen la lettre O, qui exprimait le son o, aussi bien long que bref. Les Ioniens, désireux de distinguer dans l'écriture o de o, reprirent ce même y , mais dans sa forme ouverte qu'ils retournèrent, u S2. De leur côté les habitants des Cyclades avaient emprunté la même figure, mais en lui assignant la valeur exactement opposée, celle de l'o bref, en conservant le O comme un o long. A Mélos on ouvrit Fo sur le côté pour indiquer quand il était bref, C, le laissant fermé quand il était long. Quant à Théra, le signe dont on s'y servait pour o tient à la fois de celui des Cyclades et de ce lui de Mélos, a . 7° Restent les lettres y = x et y 1 1( = 4,, dont ALP -. 2011 ALP nous n'avons pas indiqué l'origine, au moins probable. Ici nous ne saurions reconnaître aucune source, ni cadméenne, ni directement phénicienne. On ne peut absolument, croyons-nous, considérer ces caractères que comme des signes purement conventionnels inventés pour compléter l'alphabet. Parmi les lettres additionnelles que nous venons de passer en revue, il importe d'en distinguer de deux sortes, qui constituent deux phases différentes dans les modifications apportées à l'alphabet cadméen. 1° Les lettres qui sont communes aux quatre écritures grecques secondaires. Ce sont m X et peut-être 1 . Ces deux derniers signes ne se rencontrent, il est vrai, que dans les alphabets éolo-dorien, ionien et insulaire; mais il est probable qu'ils avaient été supprimés dans l'alphabet attique, comme un certain nombre de lettres cadméennes, parce qu'au lieu de va et ee on prononçait en attique ya et pu, exprimés par X17 et m1. Les caractères que nous venons d'indiquer, étant communs à tous les alphabets secondaires, doivent avoir été ajoutés à l'écriture avant la séparation de ces alphabets. Ce fait aura pour nous une très-grande importance, lorsque nous étudierons tout à l'heure les passages des grammairiens anciens sur la formation de l'alphabet hellénique. 2° Les lettres qui sont particulières à une des quatre écritures, et qui ont été, par conséquent, ajoutées après leur séparation. Ce sont : F, Œ, st, = x, pour l'alphabet éolo-dorien; F pour le premier groupe de l'alphabet des îles; S2 = o, C o u Q = w pour le second; enfin ç2 = w, pour l'alphabet ionien. L'invention du en forme de X ou + a été la cause de celle du h en forme dey. On peut conjecturer d'après les inscriptions d'Ibsamboul que cette dernière figure était le tracé primitif du 1). Mais lorsqu'une partie des peuples éolo-doriens eut tiré du K, pour rendre la prononciation xc, la figure + ou X, ces mêmes peuples ne purent plus, à moins de tomber dans une confusion inextricable, employer pour le X le tracé primitif X ou +. Ils s'arrêtèrent pour rendre cette articulation aspirée, à la figure conventionnelle y, à laquelle ne se rattachait aucune valeur essentielle et de tradition. Mais comme ce nouveau -h eût pu facilement se confondre avec le ,P, on allongea le trait central du 1i ou on doubla la lettre dans deux sens opposés, et on obtint ainsi les deux figures `l' et *, dont la première finit par être adoptée partout. Ordonnance nouvelle de l'alphabet grec. L'alphabet cadméen ou premier alphabet grec, comprenant juste les vingtdeux lettres de l'alphabet phénicien, devait suivre encore la même ordonnance. C'est ainsi que nous l'avons disposé dans notre tableau (fig.231). Nous avons encore fait de même dans le suivant (fig. 232,) destiné principalement à montrer comment les alphabets grecs secondaires étaient issus de ce type primitif, et pour y faire mieux comprendre l'origine des lettres nouvelles ajoutées au fond premier, nous les avons placées en face des caractères cadméens d'où elles ont été tirées. Mais un fait important coïncida avec l'invention des lettres qui caractérisent les alphabets de l'époque secondaire et qui manquaient au type cadméen, comme au phénicien ; ce fut l'adoption d'une ordonnance nouvelle de l'alphabet, qui depuis s'est toujours conservée chez les Grecs. Cette ordonnance diffère sur quelques points assez notablement de celle des alphabets sémitiques et n'est complète qu'en y comprenant les trois lettres inusitées dans les habitudes ordinaires de l'écriture et maintenues seulement comme signes numéraux, put', xdnuca et 6047Ce. En la mettant en regard de l'ordonnance de l'alphabet phénicien, que les Hébreux ont exactement conservée, on y observe les différences suivantes : 1° Le nom et la place du . ont été donnés à son dérivé postérieur et secondaire, F, au lieu d'appartenir comme de droit à son dérivé le plus ancien et le plus voisin, Y, qui prend le nom de usc)èv et est rejeté à la suite du T, 2° La place du est donnée à son dérivé secondaire, 1, tandis que son premier dérivé, Z, conservant le nom de aiyµa, est rejeté immédiatement avant le T, au lieu où devrait être le caractère correspondant au W. 3° Le nom de xdaea, c'est-à-dire de slip, passe au dérivé du 4 sorti de 1, tandis que le p n'a plus de correspondant; 4° Le 0-o, sorti de W et portant encore le même nom, altéré en µac parce que dans le tracé qui lui fut donné plus tard, on croyait voir uns lunaire et un n combinés expulsé de sa place par le oïyµa, est rejeté à la queue de l'alphabet, après l'wulya. On ne saurait malheureusement déterminer d'une manière précise à quelle époque ont été introduits ces bouleversements dans l'ordonnance primitive empruntée aux Phéniciens. Ce qui est certain, c'est que l'ordonnance nouvelle remonte à une haute antiquité (car l'alphabet archaïque du vase découvert à Cæré en Étrurie et connu sous le nom de vase Galassi 43, est exactement disposé dans l'ordre qui sert encore) et qu'il en contient toutes les lettres, sauf le aàv, le qtï et l'û ué)'o, cette dernière lettre inconnue aux Doriens : On peut ajouter que, sauf l'addition de l'w, laquelle doit être postérieure et avoir remplacé le + = xo tombé en désuétude, cette ordonnance a été inventée dans un pays dorien où on ne faisait usage ni du 4 ni du cv. L'origine dorienne ou dans ales domaines de la première variété de l'alphabet des îles est attestée par la présence du F, lettre exclusivement propre à ces deux systèmes d'écriture. Il est une loi que l'on constate d'abord dans ces modifications de l'ordonnance de l'alphabet, mais dont la cause demeure inconnue, c'est que lorsqu'un caractère phénicien a fourni deux lettres grecques, le dérivé secondaire a été mis au lieu et place de ce caractère, tandis que son premier dérivé a été rejeté ailleurs. C'est ce que nous avons remarqué pour le 1 et le p. Les deux lettres qui dans le phénicien et dans l'alphabet cadméen se trouvaient placées entre zl et n ou n et P, 'j et Y correspondant à 3 et p, ont été réduites à une seule. Probablement pendant un certain temps on employa pour exprimer le chiffre 90, tantôt il et tantôt Q, suivant les pays ; à la fin le 11, devenu L, '.'emporta, comme il l'a emporté déjà dans ALP 205 ALP l'alphabet du vase Galassi. Mais comme le nom du ?, xôiutz, était le plus connu, parce que cette lettre était celle qui était restée le plus longtemps en usage dans l'écriture habituelle de beaucoup de contrées helléniques, ce nom de xé7t7Ca, venu de pis' , fut appliqué au signe i, sorti dus et non du p. Ceci fournit déjà une série de vingt-deux signes : a y I E. T n .. t x a tJ.v Zç o u!, p c T U. Les trois lettres attribuées par la tradition à Palamède avec les =, X furent ajoutées à la suite, hors des rangs de cette ordonnance, comme il convenait à des lettres additionnelles. L'S vint après, à son rang d'invention ; enfin, comme on n'obtenait avec cette série de lettres ainsi disposée, dans l'emploi des signes numéraux, qu'une notation incomplète, allant jusqu'à 800, et comme il fallait un signe de plus pour rendre le nombre 900 et atteindre jusqu'à la notation de 1000, où recommençait l'emploi de l'a et ainsi de suite, on reprit, uniquement pour l'usage numéral, le zàv tombé en désuétude dans l'écriture, et on le plaça le dernier de tous, après Fia. Adoption de l'alphabet ionien dans toute la Grèce. Nous avons déjà parlé de la date décisive que la deuxième année de la xctve Olympiade (403 av. J.-C.) constitue dans l'histoire de l'écriture grecque. Le décret rendu par le peuple d'Athènes sous l'archontat d'Euclide, d'après lequel on abandonna dans les actes publics l'ancien alphabet attique pour adopter un autre alphabet beaucoup plus complet, et partant plus commode à l'usage, fut un exemple déterminant que suivirent toutes les cités et toutes les nations helléniques, L'alphabet et l'orthographe qui avaient été adoptés dans Athènes devinrent l'alphabet et l'orthographe définitifs, communs à tous les Grecs. Mais ce n'était pas un alphabet nouveau, formé par la combinaison des alphabets secondaires précédemment en usage. C'était un de ces alphabets qui prenait le dessus et effaçait tous les autres. Les Athéniens, qui pendant fort longtemps, par une ancienne tradition, avaient persisté à employer un système d'écriture trop incomplet, dont leur vanité se plaisait à faire remonter l'origine à Cécrops °6, se décidèrent enfin à le remplacer par un autre système qui représentât mieux toutes les flexions de leur dialecte. Deux alphabets se présentaient à leur choix, l'éolo-dorien et l'ionien. Ils ne voulurent rien emprunter à leurs adversaires les Doriens, qui venaient depuis si peu de les vaincre, et du joug desquels ils s'étaient délivrés, grâce au courage de Thrasybule, l'année même où ils inauguraient l'usage de leur liberté reconquise par ce grand acte, au moyen duquel ils voulaient marquer par unsigne extérieur comme une sorte de rénovation d'Athènes. Ils choisirent donc l'alphabet ionien. Au reste, ils avaient été précédés dans celte voie par l'exemple de quelques peuples doriens. Un décret argien datant de l'année 417 av. J.-C. est écrit en lettres ioniennes "S. Il en est de même d'une grande inscription d'Orchomène, antérieure à la fin de la guerre du Péloponnèse 4R. L'introduction de l'alphabet ionien en Béotie par Archinus c7 eut donc lieu avant son introduction dans la cité de Minerve. Partout ailleurs il est facile de constater que l'adoption de l'alphabet d'abord propre aux Ioniens fut postérieure au décret rendu dans Athènes sous l'archontat d'Euclide. Nous ne possédons malheureusement qu'un trop petit nombre de documents pour préciser des dates absolument positives, mais tout semble indiquer que le mouvement qui portait à l'abandon des anciennes écritures locales pour adopter l'usage d'une seule, commune à toute la race grecque, produisit ses effets sur l'étendue entière du monde hellénique dans un intervalle d'une quinzaine d'années au plus. Athènes, bien qu'abattue par les désastres de la guerre du Péloponnèse, donnait encore le ton à tous les Grecs pour les choses d'art et d'intelligence ; ce fut la mode d'imitation athénienne qui fit adopter par les peuples éoliens et doriens l'écriture qui venait d'être choisie dans cette ville. De cette manière, l'alphabet qui avait été d'abord particulier aux Ioniens finit par être le seul alphabet en usage chez les diverses fractions de la race hellénique. Récits des grammairiens antiques sur ta formation de l'alphabet grec. Maintenant qu'à l'aide des données certaines fournies par les monuments nous avons pu suivre les différentes phases de la formation de l'alphabet grec, nous devons aborder un autre ordre de documents et examiner si, grâce aux faits que nous avons constatés, il est possible de tirer quelque chose de précis du chaos des témoignages des écrivains anciens sur l'histoire de cet alphabet, chaos rendu encore plus inextricable par les confusions que les copistes des manuscrits ont introduites parmi les lettres citées par les auteurs. Nous avons eu l'occasion de parler plus haut de l'unanimité des témoignages antiques à reconnaître l'origine phénicienne des lettres grecques, tradition qu'Hérodote rapporte surtout d'une manière précise et avec les plus précieux détails. Le père de l'histoire attribue l'introduction de l'écriture phénicienne en Grèce à la colonie de Cadrnus et cette version est la plus habituelle chez les écrivains grecs. Cependant quelques-uns attribuent l'invention des lettres helléniques à Orphée b9, à Musée 50 ou à Linus Si, Mais un récit rapporté par Diodore de Sicile" disant que Linus appliqua d'une manière plus convenable à l'idiome des Grecs, les lettres phéniciennes, leur donna des noms et arrêta définitivement leur tracé, montre que toute cette catégorie de traditions se rapporte, non à la première introduction de l'alphabet phénicien chez les habitants de la Grèce, mais au travail de modification que ces habitants firent subir à l'alphabet apporté par les navigateurs chananéens pour l'appliquer à leur langue et à leur organe, travail qui donna naissance à l'écriture que nous avons appelée cadméenne. Un autre récit traditionnel présente Palamède comme l'inventeur des lettres grecques Ss, et plusieurs monuments de l'art prouvent que cette opinion avait cours dès une époque ancienne 5`. On dit aussi que le héros du siége de Troie fut celui qui appropria les lettres phéniciennes à l'usage des Grecs S5. Quelques critiques de l'antiquité concilient les récits relatifs à Cadmus et à Palamède, en disant que le premier alphabet cadméen ne comprenait que seize ALP -206ALP lettres, ABr âEI KAMNOf PETY,etque Palamède en ajouta de nouvelles ". Servius prétend que ce furent 0 X, Plutarque Z 0 X, Suidas Z n X, Maximus Victorinus H 't? X, saint Grégoire de Nazianze O X E, Isidore de Séville H X Q. Enfin un passage de Pline n fournit les données suivantes : Utque in Graeciam intulisse (litteras) e Phoenice Cadmus sedecim nurnero. Quibus Trojanole'loPalamedesadjecissequatuor hacfiguraO= X. T otidem post eum Siânonidem Melium Z H °Ir S2, quorum omnium vis in nostris recognoscitur. Aristoteles decem et octo priscas fuisse :A B r ®E Z I If A M N O n PT Y et duos ab Epicharmo additas quant a Palamede mavult. Pline n'est pas, du reste, le seul à attribuer un rôle àÉpicharrne et à Simonide de Céos, le poëte lyrique (non à un Simonide de Mélos 68), dans la formation de l'alphabet grec définitif. Marius Victorinus 69 rapporte les lettres O X à Simonide, Eustathe Z E Y, Pline Z H \Ir' n, Suidas E H 1' 2 ; Tzetzès 6o et Moschopoulos 61, d'après des écrivains antérieurs, disent Epicharme inventeur de Z = Aristote, on vient de le voir dans le passage de Pline, lui attribuait 0 X; enfin Tzetzès met l'invention de 0 X sous le nom d'un certain Gadmus de Milet. Le prétendu alphabet primitif de seize lettres est une pure et simple fiction des grammairiens.l+ranz, M. Mommsen et M. Kirchoff l'ont déjà reconnu, comme l'avaient fait avant eux Swinton, Eckbel, Gesenius et M. Bôckh. L'alphabet cadméen se composait de vingt-deux lettres, comme le phénicien. Mais comment et pour quelle raison les grammairiens ont-ils réduit ce nombre à seize ?Le procédé qu'ils ont suivi pour obtenir leurs seize caractères, soi-disant primitifs, est facile à retrouver Les grammairiens antiques étaient ignorants des questions de paléographie. Ils ont donc, au lieu de remonter aux monuments vraiment archaïques, opéré simplement sur l'alphabet grec dont on faisait usage de leur temps. Par là, tous les caractères tombés en désuétude dans cet alphabet, j S M, étaient exclus de leur liste des lettres cadméennes. L'omission en était d'autant plus naturelle que dans l'alphabet attique, le seul des alphabets archaïques dont les grammairiens eussent occasion d'avoir souvent des exemples sous les yeux et dont la tradition se fût conservée exacte parmi eux, aucun de ces signes n'était en usage. Quant à la suppression de Z H O, on se rend également compte des motifs qui les y ont poussés. lin certain nombre de dialectes grecs remplaçaient par aS ou i2", ce qui avait fait considérer par la plupart des grammairiens cette lettre comme double. Sachant donc, par une tradition dont nos recherches précédentes ont montré la parfaite exactitude, qui= les lettres exprimant des articulations doubles, E et 'V, étaient le résultat d'une addition postérieure à l'alphabet primitif, les grammairiens, qui croyaient le Z une lettre double, étaient portés à le considérer comme inventé en même temps. Ils auraient dû cependant pire avertis de l'antiquité de la valeur du Z comme lettre simple parles vers d'Homèreoù cette lettre est précédée d'une syllabe brève ". Mais le scholiaste publié dans les Anecdote de Bekker est le seul qui en ait fait la remarque 60. La raison qui a fait croire que 0 avait été inventé avec et X, est tout à fait analogue à celle qui avait fait penser que Z avait été ajouté en même temps que E et Y. Sachant par la même tradition que les aspirées de l'alphabet grec étaient le résultat d'une addition postérieure, ils supposèrent que O devait y être compris avec (t) et X'6, ignorant que le ' existait déjà dans l'alphabet phénicien. Quant au H, aspiration qui existait dans l'alphabet attique bien connu des grammairiens, ils se refusaient à y voir, aussi bien que dans le F, une lettre proprement dite 66; c'est pourquoi ils l'excluaient de leur liste. La série de dix-huit caractères, citée par Pline d'après Aristote, est plus exacte que celle de seize lettres. On a lieu seulement de s'étonner en y voyant le rangé parmi les signes primitifs de l'écriture. Mais si l'on suppose, ce qui est naturel et fort admissible, que ce est le résultat d'une faute de copiste pour O, et si on restitue la liste : ABr DEZ01KAMNO n PITY,on obtient la série complète des lettres de l'alphabet cadméen conservées dans l'écriture attique, moins le H que l'on s'obstinait à ne pas considérer comme une lettre. Pour admettre cette opinion il faut, il est vrai, supposer une interversion faite par les copistes ; admettre que l'on aura. d'abord écrit (I) au lieu de 0 au septième rang de la liste, puis qu'un nouveau transcripteur, voulant faire le savant, aura transporté cette lettre tout à la fin pour lui rendre le vrai rang qu'elle occupait dans l'alphabet. Des interversions de ce genre et des tentatives de corrections inintelligentes, qui éloignaient plus que jamais de la leçon primitive, n'étaient pas rares dans la transcription des ouvrages de l'antiquité pendant le Moyen-Age. De plus, en admettant notre conjecture, il faut rétablir ensuite, dans le passage d'Aristote cité par Pline, pour les deux lettres additionnelles, P et X au lieu de 0 X, et l'on obtient ainsi dans ce passage un exposé de données parfaitement exactes sur l'origine de toutes les lettres composant l'alphabet attique. Les lettre.sattribrCes â Palamède. La tradition qui attribue à Palamède l'addition de quatre signes à l'alphabet cadméen, en laissant de côté le nom quelque peu mythique du héros de la guerre de Troie et la date vraisemblablement trop haute à laquelle les souvenirs helléniques plaçaient cet événement, repose cependant sur un t'ait historique incontestable. Nous avons constaté en effet qu'entre l'époque où l'on se servait chez les Grecs d'un alphabet composé de vingt-deux lettres comme l'alphabet des Phéniciens et celle où les quatre alphabets helléniques secondaires se séparèrent les uns des autres, précisément quatre lettres, E m Y `V, furent ajoutées au fond commun descaractères de l'écriture cadméenne. Or ces quatre lettres semblent bien exactement se retrouver dans les passages des auteurs anciens qui parlent de l'invention de Palamède. Voici en effet le tableau des caractères attribués par les différentes sources à ce héros, dans la figure duquel on personnifiait l'esprit ingénieux des Grecs et les inventions des époques primitives : ALP -207 -AL1 Scholiaste publié par Bekker : .. ...... Suidas : Maximus Victorinus : Grégoire de Nazianze : Isidore de Séville : t Mss. de Paris, n" 6795 et 6797 : Pline Leçon ordinairement admise : , Ms. Riccardi : .............. Edit. de Venise, 1468 :.... ...... . .. . Nous avons d'abord un accord complet de tous les écrivains (excepté Isidore de Séville, qui semble avoir confondu l'invention de Palamède avec celle de Simonide) pour l'origine des lettres etX et leur attribution à Pale mède. Pour le on rencontre même encore plusieurs autres passages 67. Le E est donné par saint Grégoire de Nazianze et par Pline, le `V par Maximus Victorinus. Le f de Suidas et le H de Maximus Victorinus sont le résultat de fautes de copistes évidentes; au lieu du premier il faut lire `V et au lieu du second E. Il en est de même de l'Y de Pline dans les manuscrits de Paris et Riccardi ainsi que dans l'édition princeps, et de 1'0 du manuscrit de Paris et de l'édition princeps, au lieu desquels on rétablira sans hésiter la Leçon originale `P et 4). Quant à l'attribution due et du Z à Palamède, nous en avons vu tout à l'heure la eau e. Peut-être aussi serait-on admis à corriger dans ces diverses listes E pour Z, cD pour 0, et `V pour 0, toutes corrections simples e[ auxquelles sont habitués ceux qui étudient les manuscrits grecs. On aurait ainsi exactement nos quatre lettres additionnelles: (P X Les lettres d'Épicharme et de Simonide. --Quant aux lettres dont on attribuait l'invention à Épicharme et à Simonide, il est. évident, comme l'a vu Franz, qu'il s'agit ici de l'un de ces cas où l'on a donné le nom d'inventeur à celui qui a vulgarisé une chose antérieurement inventée. Il est évident aussi que les récits qui parlent de ces deux inventeurs se rapportent à la connaissance que l'on eut de certaines lettres dans la ville d'Athènes, qui, pour l'adoption de l'alphabet définitif, donna l'exemple à presque toute la Grèce. Des passages des auteurs anciens relatifs à l'invention d'Épicharme et de Simonide on doit conclure, avec Franz, que l'opinion générale attribuait à Épicharme E et `V, et à Simonide H voyelle et n. Ce sont justement les lettres que l'alphabet définitif contient de plus que l'ancien alphabet attique. Or, bien avant que le décret rendu sous l'archontat d'Euclide eût opéré une révolution complète dans la manière d'écrire les actes publics du peuple athénien, plusieurs des écrivains les plus renommés d'Athènes employaient déjà dans leurs oeuvres ces quatre lettres. Euripide, dans son Thésée, s'était servi de l' H comme voyelle 86. Callias le comique avait fait usage du et de l'f 69, et de plus le même Callias, dans la première année de laLxxavll° Olympiade, avait fait jouer une pièce que l'on qualifie de y9«1AJIX`tx''i) tipayi;Ex et dans laquelle figuraient toutes les lettres de l'alphabet ionien Les inscriptions d'Athènes offrent plusieurs exemples du même fait, de l'usage anticipé de quelques-unes des lettres de l'alphabet ionien man-. quant au vieil alphabet attique 71. Un fragment de décret de la Lxxxv' Ofvrnpiade " contient le `V au lieu de l'or thographe habituelle (9 j. Une dédicace environ de la même date 13 emploie le signe n pour rendre l'o long, Enfin l'inscription du piédestal d'Athéné Hygie aux Propylées de l'Acropole '0 gravée pendant la construction mène du chef-d'oeuvre de Mnésiclès°, contient simultanément, dans la signature (le l'artiste, l' H voyelle et l E pour r, suivant l'ancienne orthographe attique. Le scholiaste d'Homère appelé scholiaste de Venise prétend 78, que ce fut le grammairien Cahislrate de Samos qui le premier fit connaître l'alphabet ionien à Athènes, au temps de la guerre du Péloponnèse ". Mais n'y a-t-it pas moyen de concilier ce témoignage fort sérieux avec une tradition (fui a pour elle des autorités puissantes? Ce serait alors l'influence d'Épicharme et de Simonide qui aurait fait adopter par les lettrés d'Athènes, d'abord le y et le c, puis l's et, l'a,. Épicharme, écrivant à Syracuse oit. l'on se servait des lettres 1 et 'P, avait dû les employer dans ses ouvrages, et Simonide, Ionien, s'était certainement servi dans les siens, comme tous ses compatriotes, de H voyelle et de Q. Puis, ce qui n'avait été d'abord qu'une habitude particulière de quelques personnes aurait été généralisé un peu plus tard dans l'enseignement des écoles par le grammairien Callistrate, qui aurait été de cette manière le préparateur de la révolution opérée sous l'archontat d'Euclide. prenons sous cette dénomination commune les deux alphabets indigènes de la Phrygie et de la Lycie, qui tous les deux sont empruntés à la source hellénique, Nous n'y joignons pas l'alphabet carien, dont on possède quelques rares monuments, car le déchiffrement de ces inscriptions n'a pas encore été tenté et si l'on voulait juger de ALP 208 ALP a ~ A b B $ d © D F! fS? K z -rr p T S t -' T T u IJ~ l'alphabet carien uniquement sur son apparence extérieure, on serait assez embarrassé. Beaucoup de ses lettres semblent tenir au grec et indiquer une étroite parenté avec le phrygien et le lycien, mais en même temps d'autres paraissent plutôt sortir directement du phénicien, et d'autres enfin ont un aspect tout à fait sui generis. Alphabet phrygien. Les monuments jusqu'à présent connus de l'alphabet phrygien sont en très-petit nombre, mais tous de date fort ancienne. Les principaux sont les inscriptions des sept tombes monumentales taillées dans les rochers de l'antique Prymnessus7" et dont la plus importante enfermait les restes d'un roi du nom de Midas. Ces inscriptions ont été successivement étudiées par Friedrich Osann 79 et par M. Lassen Se, qui est parvenu à déterminer la famille de langues à laquelle appartenait le phrygien, à retrouver toutes les formes de la déclinaison de cette langue et à fixer d'une manière certaine la valeur des lettres. L'alphabet phrygien, d'après les travaux de M. Lassen, est tel que nous le donnons dans la figure 233. Alphabet lycien. Les premiers monuments qui révélèrent à l'Europe savante l'existence de l'alphabet particulier à la Lycie furent deux inscriptions copiées par les voyageurs Cockerell et Beaufort ". Elles furent de la part de l'orientaliste français Saint Martin l'objet d'une étude 8S qui nécessairement , avec aussi peu de moyens d'information, ne pouvait produire aucun résultat sérieux. Quelque temps après, le colonel Leake ayant rapporté les copies de quelques autres textes épigraphiques de la même nature, Grotefend y consacra un mémoire B3 qui ne produisit guère plus de résultats que les recherches de Saint-Martin. Les richesses de l'épigraphie lycienne ne furent connues d'une manière complète qu'à la suite des deux voyages de M. Charles Fellows, dont le compte-rendu fut publié, pour le premier en 1838 84 et pour le second en 18111 R5. Le pre mier volume du savant anglais contenait trois nouvelles inscriptions indigènes de la Lycie, le second en ren ferme vingt-trois, toutes assez courtes et de nature funé raire, dont trois bilingues, grecques et lyciennes. Mais la plus belle conquête de son voyage était celle de l'obélisque de Xanthus, portant sur ses quatre faces un long texte historique dont 250 lignes subsistaient encore. Un moulage en plâtre de ce monument d'une incomparable importance se voit au Musée Britannique, et le fac-simile a été mis aux mains du public par M. Fellows, non-seulement dans une planche de son ouvrage, niais encore dans une publication séparée Se. Une fois en possession de ces monuments, on reconnut que le même alphabet formait les légendes d'une nombreuse série de médailles demeurées jusqu'alors sans attribution et dont les échantillons se multipliaient dans une forte proportion par suite des découvertes des derniers voyageurs en Lycie 87. Très-peu d'inscriptions lyciennes ont des dates certaines. On ne peut guère citer en ce genre que le décret bilingue de Pixodare, souverain de la Lycie comme de la Carie, et l'obélisque de Xanthus, qui, nous l'apprenons par les quelques lignes de texte grec qu'il renferme, a été destiné à célébrer les victoires de Kaias, descendant d'Harpagus et maître du pays sous la suzeraineté d'Artaxerxe LongueMain, dont le nom se lit dans le texte lycien. Mais tout semble indiquer que ces inscriptions ne sortent pas d'une période qui va du vie au Ive siècle avant l'ère chrétienne, de l'établissement de la dynastie d'Harpagus en Lycie à la conquête d'Alexandre. Les médailles à légendes lyciennes sont toutes aussi de la même période. Ainsi s'explique le peu de différences paléographiques qu'offrent entre elles les inscriptions lyciennes et la régularité du tracé de leurs lettres, qui sont à un état notablement moins ancien que les lettres phrygiennes dans ce que nous en possédons de monuments. Un assez grand nombre de travaux ont été déjà consacrés à l'étude des inscriptions lyciennes, et il faut citer comme particulièrement importantes les recherches de M. Sharpe, de M. Lasser et de M. Schünborn. Mais la connaissance de la langue de ces inscriptions est encore dans l'enfance. On ne traduit guère, tant bien que mal, que les courtes inscriptions funéraires dont les formules sont constamment les mêmes, les noms propres changeant seuls. On ne parvient à analyser d'une manière régulière que les textes bilingues. L'idiome dont on obtient ainsi quelques fragments est d'une nature très à part. Il semble sans doute appartenir à la famille aryenne, mais sa place dans l'ensemble de cette famille et ses analogies les plus directes sont encore à trouver. En revanche, à part le système délicat et compliqué des voyelles sur lequel il reste encore des incertitudes, la lecture matérielle de l'alphabet est acquise. Nous donnons dans la figure 234 l'alphabet lycien, avec ses valeurs telles qu'elles résultent des travaux de M. Lassen, ceux qui jusqu'à présent ont été poussés le plus loin pour la détermination des sons exacts des lettres "Origine des deux alphabets phrygien et lycien. En exa minant la question de l'origine commune des cieux alphabets phrygien et lycien, nous devons commencer par laisser entièrement de côté le système de vocalisation de cette dernière écriture, trop délicat et trop compliqué pour pouvoir remonter à une date ancienne et pour être considéré â A R t X e e e^ E i v B b B B tic ¢' + )IC )IE ô )IC DIC ~~ vYÿ~ u vvWYYY~ 0 C $ K 5S T F x autrement que comme une addition postérieure au fond premier de l'alphabet, addition qui révèle dans la manière dont elle est combinée un haut degré de culture grammaticale, un raffinement remarquable dans l'étude du langage. La plupart des signes des voyelles dans le lycien, étant d'une nature toute particulière, ne sauraient se rattacher ni au grec ni au phénicien et ne peuvent être que le résultat de combinaisons purement artificielles. Dans ' et W ou Y on reconnaît bien que l'élément gé nérateur est Y ou fit, redoublé ou augmenté de différents appen dices. Mais X + )I( ne se rattachent à aucune lettre du reste de l'alphabet, et les éléments en sont purement de fantaisie. Ces signes des voyell es une fois écartés comme d'invention postérieure, nous trouvons dans le lycien un fond ancien d'alphabet presque identiquement semblable au phrygien et n'offrant avec lui d'autres différences que celles produites par les trois siècles environ qui séparent la date des inscriptions phrygiennes relevées sur les rochers de Prymnessus des plus anciennes inscriptions lyciennes connues. Ainsi le tracé des lettres est plus régulier, leur assiette plus conforme à la perpendiculaire, enfin l'influence des modifications de l'alphabet grec, si intimement apparenté avec l'alphabet lycien et usité dans des cités avec lesquelles les indigènes de la Lycie étaient en contact journalier, produit les formes des lettres E F A MN. Le fond commun que nous constatons ainsi dans lephrygien et dans le lycien est évidemment d'origine grecque et non directement phénicienne, car il possède des lettres ajoutées par les Grecs au premier ensemble de vingt-deux caractères qu'ils avaient reçu des fils de Chanaan, F t X. Les deux alphabets de l'Asie Mineure, dans ce qu'ils ont de commun, dérivent d'un alphabet grec où l'on employait F et (1); où pour le son x les deux figures y et X étaient également en usage; où, par contre, les trois lettres M 4 M sifflante ne servaient plus; où aucune distinction n'était en usage entre les deux sons o, long et bref; où enfin la figure de I s'était substituée de très-bonne heure à y pour rendre le son i. Or, de tous les alphabets grecs d'époque secondaire que nous avons étudiés un peu plus haut, un seul offre la réunion complète de ces diverses conditions; c'est le premier type de l'alphabet des îles. Ce type graphique, avons-nous dit, était en usage dans la Crète, à Naxos, et, ce qui est plus important pour nous ici, à Rhodes, c'est-àdire sur un point touchant exactement à l'Asie Mineure et, dans cette partie du monde antique, à l'une des contrées où l'alphabet que nous en croyons dérivé se montre à nos regards. IV. L'ALPHABET ÉTRUSQUE. Dès le xvi5 siècle la vue des nombreux monuments étrusques déjà recueillis à Florence inspira aux érudits le désir de tenter la lecture matérielle des inscriptions qui les décoraient. Mais c'est seulement en 1732 que le premier alphabet étrusque vraiment satisfaisant et obtenu par des procédés raisonnés d'une manière scientifique fut publié par un Français, nommé Bourguet, dans le tome 1°r des Dissertations de l'Académie de Cortone. Gori en 1737 et Maffei en 1739 le complétèrent et le corrigèrent sur plus d'un point. La détermination des valeurs des lettres étrusques donna même lieu entre ces deux illustres antiquaires à une polémique dont le résultat fut de permettre à Gori de dresser en 1742, dans sa Difesa Bell' alfabeto etrusco, un alphabet trèssupérieur à tous ceux que l'on avait donnés jusqu'alors. Ce fut celui qu'adopta l'abbé Amaduzzi dans sa remarquable dissertation sur la langue étrusque, et qu'en 1789 Lanzi, dans son Saggio di lingua etrusca, suivit aussi, en l'appuyant de nombreuses preuves, mais en même temps en le corrigeant en quelques endroits, en établissant par exemple la valeur de sifflante du signe M, considéré jusqu'alors comme un nt. Depuis Lanzi il n'y a plus été apporté de modifications que par le mémoire où M. Lepsius a assigné définitivement la valeur de z à la lettre *. La lecture de tous les signes de l'écriture étrusque peut être regardée comme désormais certaine et ne devant plus varier. Plusieurs monuments nous font connaître l'ordre dans lequel les Étrusques rangeaient les lettres de leur alphabet. Le plus important est celui qu'on appelle l'alphabet de Bomarzo, du nom de la localité où a été trouvé le vase de terre cuite sur le pied duquel il est tracé 89. Deux autres alphabets analogues, dont l'un paraît plus ancien que celui de Bomarzo 00 et l'autre environ contemporain 91 se lisent dans le fond de deux patères découvertes à Nola. Nous trouvons ensuite un syllabaire étrusque presque complet, en même temps que l'alphabet grec éolo-dorien dont nous avons déjà parlé, sur le fameux vase Galassi découvert à Cieré 08 et un autre tracé sur les parois d'un tombeau de Colle, auprès de Sienne 98. Nous réunissons ces différents alphabets dans notre tableau (fig. 235) à ceux que l'on peut extraire de la grande inscription de Pérouse, des légendes ALP --`7111 --A LP des belles peintures historiques découvertes par M. Noël Des Vergers dans un hypogée de Vulci, datant du iv' siècle av. J.-C. d des miroirs étrusques publiés par M. Gerhard, enfin de la magnifique collection des inscriptions du musée de Florence, éditée avec tant de fidélité archéologique par M. le comte Conestabiie. Le lecteur trouvera ainsi réunies dans notre tableau, toutes les principales variantes paléographiques de l'écriture étrusque Deux opinions se sont partagé les érudits au sujet de l'origine de l'écriture étrusque. Les uns supposent que les habitants de l'Étrurie reçurent directement des Phéniciens leur système graphique, les autres, comme Ottfried Müller et M. Mommsen, qu'ils le durent à l'intermédiaire de la Grèce. Ottfried Müller nous paraît avoir parfaitement exposé les raisons, à nos yeux décisives, qui militent en faveur de la seconde opinion. « L'écriture étrusque, dit-il, ne contient que fort peu de caractères qui ne se retrouvent pas également dans les inscriptions de' la Grèce, et, d'autre part, plusieurs formes phéniciennes que les Grecs avaient conservées pendant une certaine période ne se rencontrent pas dans l'alphabet étrusque. Nous voyons de plus que des caractères essentiellement helléniques, et qui avaient été ajoutés par les Grecs à l'alphabet de la Phénicie, ont été usités chez les Toscans. Il me semble d'ailleurs que la comparaison des lettres phéniciennes avec les lettres de l'alphabet archaïque, grec ou étrusque, suffit à elle seule pour nous convaincre que la plus ancienne écriture de l'Étrurie a des rapports beaucoup plus frappants avec l'écriture primitive usitée en Grèce qu'avec les anciens vestiges de l'écriture orientale, et que, par conséquent, les caractères n'ont pas pénétré directement d'Orient en Italie 95. » Si l'alphabet étrusque sortait directement du phénicien et non du grec, comment expliquerait-on la présence dans cet alphabet de lettres qui ne sont pas phéniciennes et que les Grecs ont inventées pour ajouter aux vingt-deux signes de la communication primitive des fils de Chanaan, telles que m et d.? Les partisans de l'origine directement phénicienne sont obligés de supposer une influence grecque postérieure qui aurait produit l'addition de ces trois signes à la série première de caractères apportée de l'Asie. Mais on chercherait vainement une seule inscription étrusque, même parmi les plus anciennes, qui révèle l'existence d'un alphabet privé de , ® ou sir, et c'est déjà un grand ébranlement pour leur système. L'ordonnance de l'alphabet étrusque est calquée sur l'ordonnance de l'alphabet grec, non sur celle de l'alphabet phénicien. Les modifications fondamentales apportées par les Hellènes à cette dernière ordonnance, et qui leur sont exclusivement propres, la substitution du dérivé secondaire du ï , le digamma, à la place de son premier et direct dérivé, le Y, qui est re jeté après le T, le passage dus, dérivé de , au rang que tient le m en phénicien, se r etrouvent dans l'alphabet étrusque exactement reproduites, et marquent encore la Grèce comme la source d'où a découlé le système graphique du grand peuple de l'Italie centrale. La seule lettre de l'étrusque qui ne se retrouve pas en grec et qui soit le produit d'une invention des habitants de l'Étrurie, le 8, n'a pas été tiré d'une letire phénicienne, mais d une lettre grecque. Les plus anciens monuments de l'écriture étrusque, comme le vase Galassi, établissent que la distinction entre m et 8, ph et f, n'existait pas au début et que l'on se servait d'un seul caractère, ?, qui n'est autre qu'un sp grec. Ce fut seulement plus tard, lorsque l'emploi des noms de dieux et de héros empruntés au grec se multiplia dans de très-fortes proportions, que l'on sentit le besoin de distinguer la notation du ph, fréquent dans ces noms, de celle du f, propre aux mots de la langue nationale. On prit alors pour le premier rôle la figure de m, conservée sans modification telle qu'elle était venue de la Grèce, et pour rendre l'articulation de f, on doubla la figure au moyen d'un étranglement central qui lui donna l'aspect du 8 de nos chiffres, 8. Ce n'est pas tout. Comme l'a reconnu Ottfried Müller, les formes des lettres étrusques sont dans leur généralité plus voisines de celles des lettres grecques anciennes que des lettres phéniciennes. Toutes les fois qu'un signe de l'alphabet national de l'Étrurie est pareil au signe correspondant de l'alphabet archaïque de la Phénicie, c'est que les Hellènes ne lui ont pas fait subir de changements; mais toutes les fois que le tracé d'une lettre phénicienne s'est trouvé modifié en passant dans le grec, la modification s£ reproduit dans l'étrusque. Et ce qui achève la démonstration, c'est que le type d'écriture grecque dont l'alphabet étrusque se rapproche le plus est l'éolo-dorien, tel que nous l'offrent les inscriptions de tous les vases peints grecs d'ancien style découverts en Étrurie, tel par conséquent que les colonies grecques répandues au milieu des Étrusques en faisaient usage. Reste cependant l'argument que les partisans de l'origine directement phénicienne de l'alphabet étrusque puisent dans la faculté de suppression des voyelles, dont il est fait un très-fréquent usage dans cette dernière langue et qui paraît étranger aux Grecs, tandis qu'on pourrait le rapprocher des habitudes sémitiques. Il est très-spécieux, mais malheureusement pour ceux qui s'en prévalent il est fort ébranlé par une ingénieuse observation de M. Steub s` et de M. Mommsen 87. Ces deux savants ont en effet établi que la suppression de certaines voyelles était un fait dont les plus anciennes inscriptions étrusques n'offraient aucune trace; qu'au contraire elles montraient une richesse de vocalisation qui contrastait avec la pauvreté des textes épigraphiques postérieurs sous ce rapport. C'est justement le contraire qu'il aurait fallu constater pour que l'omission de certaines voyelles dans l'orthographe des inscriptions étrusques pût être considérée comme un dernier vestige des habitudes de l'écriture phénicienne. La suppression de certaines voyelles dans l'étrusque n'a d'ailleurs en réalité rien de commun avec la non-expression des sons vocaux dans le phénicien et dans les différents systèmes graphiques du monde sémitique. M. Lepsius a formulé de la manière la plus précise et la plus certaine les causes et la loi de ce fait 99. La suppression, dans les textes épigraphiques étrusques, ne porte que sur la voyelle brève e, dans les cas où elle précède une des quatre consonnes liquides 1, m, n, r. Sa suppression tient donc à ce qu'on la considérait comme inhérente à ces lettres. Tacite ss a donc eu raison d'affirmer que c'est des Grecs que les Étrusques reçurent l'usage de l'écriture ; car l'alphabet étrusque n'est en réalité que l'alphabet grec éolo AGP 211 Ai.P dorien, appauvri par la suppression d'un grand nombre de lettres qui représentaient des articulations manquant à l'organe étrusque et enrichi par la création d'un seul signe nouveau, affecté à l'expression du son f. Seulement l'auteur des Annales s'est trompé lorsqu'il a nommé Démante de Corinthe comme l'introducteur de l'alphabet grec en Étrurie. Démarate et sa colonie apportèrent avec eux l'alphabet corinthien, dont les vases peints les plus anciens découverts dans les nécropoles de Cané et de Tarquinii offrent de si nombreux exemples, mais dont l'usage ne paraît pas être sorti de ces deux villes, et qui n'a rien de commun avec l'alphabet étrusque. Ce furent les autres colonies grecques de la contrée, et particulièrement les colonies d'artistes répandues dans toutes les parties de l'Étrurie, qui communiquèrent aux habitants l'alphabet d'origine tarentine, et par conséquent plus originairement encore lacédémonienne, d'où sortit bientôt l'alphabet national. Dérivé de l'alphabet grec, l'alphabet étrusque devint à son tour la souche de nombreux dérivés. Ceux-ci se répartissent en deux groupes bien distincts, celui du Sud, dont le courant de dérivation nous conduira jusque chez les Osques et les Samnites, et celui du Nord, qui nous fera remonter jusque dans les Alpes et dans la Rhétie. Nous réunissons dans notre tableau (fig. 236) tous les alphabets italiotes du groupe méridional, en les plaçant en regard de leur prototype originaire, l'étrusque, qui occupe la première colonne du tableau. Alphabet ombrien. Les monuments qui nous révèlent l'alphabet national des habitants de l'Ombrie sont en trèspetit nombre, mais comprennent l'un des documents épigraphiques les plus importants que nous aient légués les anciens peuples italiotes. Ils se composent, en effet, de quelques as portant les noms des villes de Tudor 100 et d'Iguvium 101, puis des fameuses Tables Cugubines, découver ALP 212 ALP Fig. 236. Alphabets de l'Italie méridionale. tes en 1444 auprès de Gubbio, publiées pour la première fois par Dempster, et étudiées de nos jours, avec les méthodes modernes de la philologie comparée, par MM. Lepsius, Aufrecht et Kirchoff. Une partie de ces tables a son texte tracé avec l'écriture nationale, et une autre, bien que conçue en langue ombrienne, est écrite avec les lettres latines. Les mêmes mots et les mêmes formules se répètent dans les deux parties, et la comparaison en a permis d'établir la correspondance de chacun des signes de l'alphabet ombrien avec une lettre latine. Mais elle n'est quelquefois qu'un àpeu-près. Les tables en écriture latine ne donnent pas de correspondant exact au signe * ; c'est seulement la comparaison avec l'étrusque qui amène à y reconnaître un z. Les deux sifflantes M et a sont également transcrites par S, cependant il est évident que la prononciation n'en était pas la même. Mais l'articulation un peu chuintante que représentait le M ne pouvait pas être rendue d'une manière exacte et précise avec l'alphabet des Romains. Nous voyons de même la lettre latine R transcrire deux signes ombriens qui n'étaient certainement pas homophones, (1 et q. Le premier est le r, exactement figuré comme en étrusque ; quant au second, c'est à M. Lepsius 10' qu'appartient l'honneur d'en avoir le premier discerné et établi sur les preuves les plus convaincantes la valeur précise. Le savant prussien a démontré, en effet, que cette lettre représentait une articulation particulière à l'ombrien, intermédiaire entre r et s et tenant à la fois des deux. Enfin il est assez difficile de préciser la prononciation que les rédacteurs de la partie des Tables Eugubines tracée en lettres latines ont voulu rendre par S' en transcrivant le signe d. M. Lepsius suppose que c'est celle du sch; MM. Aufrecht et Kirchoff celle du j ; M. Mommsen, ch. Ge qu'il y a de certain, c'est que S' ou d s'échange quelquefois avec le k. Il suffit de voir la liste de l'alphabet ombrien, telle que nous la donnons dans la troisième colonne du tableau fig. 236, pour reconnaître qu'il sort de l'alphabet étrusque et qu'il le reproduit exactement, sauf les modifications suivantes : Deux lettres grecques laissées de côté par les Étrusques ont été reprises par les Ombriens : la consonne douce =b, et le (, employé dans les Tables Eugubines toutes les fois qu'en étrusque on aurait mis le D, dont ces tables n'offrent aucun exemple. Mais le faisait probablement partie de la série des lettres adoptées à l'origine par les habitants de l'Étrurie, car il se retrouve dans plusieurs autres alphabets dérivés de l'étrusque. 2° Les aspirées m y, admises dans l'étrusque, n'ont point passé en ombrien. Quant au Q, qui était aspiré en étrusque comme en grec, nous ne le rencontrons que deux fois dans les Tables Eugubines; il est alors rendu en latin par T, et les mots mêmes où nous le voyons figurer se retrouvent dans d'autres endroits de la partie ombrienne des tables, écrits avec -~. Il est donc évident que l'organe des Ombriens, comme celui des Latins à l'origine, n'admettait pas l'aspiration pour les articulations c, p et t. 3° Deux lettres nouvelles ont été inventées par les Ombriens pour rendre des articulations qui n'étaient pas représentées dans l'étrusque. L'une, q, n'est que le r, 4, 102 De tab. eugubin. p. 18 et 56. ALP 213 ALP légèrement modifié par le prolongement de sa haste en bas; l'autre, d, semble le résultat d'une combinaison purement artificielle. L'alphabet ombrien a fidèlement gardé la direction de droite à gauche de l'écriture étrusque. Quant à l'expression des voyelles, elle est plus riche que d'habitude sur les monuments étrusques et se rapproche davantage de celle du latin. La vocalisation qu'elle représente, bien que ne comprenant que les mêmes sons que celle de l'étrusque, en est fort différente. Alphabet sabellique. Cet alphabet, que nous ne connaissons qu'imparfaitement, est celui qui figure dans la quatrième colonne du tableau. Deux seuls monuments en révèlent l'existence, l'inscription de Crecchio 103 et celle de Cupra Maritima 104 Sauf trois lettres ajoutées pour rendre des articulations et des sons vocaux que ne possédait pas l'ombrien, l'alphabet sabellique n'est autre que l'alphabet de l'Ombrie, dont les signes ont été retournés pour écrire de gauche à droite. Les deux voyelles nouvelles sont formées par l'adjonction d'un point diacritique aux lettres exprimant les sons vocaux les plus voisins dans l'alphabet ombrien, emprunté par les habitants du Picenum, 1 et V. L'i marqué d'un point, 1 •, représente ce que le grammairien latin Lucilius appelle i pinguius, c'est-à-dire un son long et en réalité intermédiaire entre i et e. Quant au v pointé, V, c'est un o. La consonne ajoutée dans le sabellique ne se distingue pas par un point diacritique ajouté à une lettre existant déjà; c'est une figure entièrement nouvelle, P. L'articulation du d n'existait dans l'organe ni des Étrusques ni des Ombriens ; ces deux peuples, en recevant l'alphabet des Grecs, n'avaient donc pas emprunté le signe qui servait à la peindre. Chez les populations sabelliques du Picenum, comme aussi chez celles qui se servaient de la langue osque, le d était une des articulations habituelles de l'organe; il avait donc fallu y trouver un signe. La tendance naturelle avait dû porter à l'emprunter aux colonies grecques du voisinage, puisque celles-ci possédaient cette lettre dans leur alphabet. Mais chez les colonies grecques avec lesquelles les habitants du Picenum et des pays osques avaient les rapports les plus habituels, le type usité pour le a était D. Or, cette figure était celle à laquelle, depuis la première communication de l'écriture alphabétique des Hellènes aux Étrusques, on avait pris l'habitude d'assigner la valeur de r, qui avait passé comme telle chez les Ombriens d'abord, puis chez les populations sabelliques. Afin d'éviter une confusion, les gens du Picenum cherchèrent à différencier de leur r le d tout semblable qu'ils puisaient chez les Grecs leurs voisins. Ils ajoutèrent à leur nouvelle acquisition deux traits supplémentaires par en bas, qui en firent R. Alphabet osque. L'alphabet osque et l'idiome qu'il servait à écrire étaient en usage dans presque tout le Midi de l'Italie, sur une très-vaste étendue de territoire comprenant les pays des Samnites, des Hirpins, des Apuliens, des Frentani, la Campanie, la Lucanie et le Brutium. Les monuments en sont nombreux et embrassent une période comprise entre le Ive siècle avant notre ère et la fin du let siècle ap. J.-C. Toutes les inscriptions osques connues ont été publiées en fac-simile et interprétées par M. Mommsen 105. Il faut y joindre les monnaies qui ont fait le sujet d'un ouvrage spécial de M. Friedlander 108. Nous donnons cet alphabet dans la cinquième colonne du tableau (fig. 236). II suffit de comparer cette liste de caractères avec celle de l'alphabet sabellique, tout incomplète que soit celle-ci, pour constater que l'alphabet osque dérive de l'alphabet sabellique du Picenum et n'est en réalité que cet alphabet régularisé dans le tracé de ses lettres et appauvri de quelques signes, e M P, th, s', rs. Ces trois signes représentaient des articulations que la langue du Picenum possédait comme l'ombrien, mais qui faisaient complétement défaut dans la langue osque. Lorsque les Osques voulurent rendre l'articulation du dans un mot d'origine étrangère, le grec a7.aupôq, ils l'exprimèrent comme les Latins par le t suivi d'un h, écrivant thesavrom, comme on le voit à la ligne 48 du traité entre Nola et Abella. C'était, du reste, l'habitude des Osques, pour l'expression du très-petit nombre d'articulations aspirées qu'admettait leur langue, d'écrire la lettre dure suivie d'un h. Dans le signe affecté à l'expression du son vocal que les grammairiens latins appellent i pinguius, le point diacritique ajouté en sabellique au I se change dans l'osque en un petit trait horizontal qui rejoint la haste droite, F. Les inscriptions de Crecchio et de Cupra Maritima ne fournissent pas l'occasion de savoir si la lettre de l'étrusque, disparue de l'usage en ombrien, avait été reprise dans le sabellique. Nous la retrouvons en osque. Seulement, au lieu d'y avoir la valeur de e comme en étrusque, elle y a pris celle de g, que des exemples décisifs ne permettent pas de contester. Alphabet euganéen. -Un certain nombre de monuments, des contrées de l'Italie situées sur les bords du Pô révèlent l'existence d'un alphabet particulier, étroitement apparenté à l'étrusque, qui était en usage dans ces contrées aux temps antiques. Lanzi 107 constata le premier l'existence et l'individualité de cet alphabet, et l'appela euganéen, du nom du principal peuple qui habitait ses domaines. Depuis, M. Mommsen y a consacré une dissertation spéciale, dans laquelle il en a rassemblé tous les monuments et a fixé d'une manière définitive les valeurs des signes avec la supériorité critique marquée d'ordinaire dans tous ses travaux 106. Le savant prussien le désigne sous le nom d'ale phabet nord-étrusque; mais nous préférons conserver l'appellation adoptée par Lanzi, d'abord parce qu'elle a en sa faveur la priorité, puis parce que celle que M. Mommsen propose nous paraît de nature à pouvoir impliquer pour quelques esprits une notion inexacte, l'idiome que cet alphabet écrit était tout à fait différent de l'étrusque. L'alphabet euganéen, mis en regard avec l'étrusque, occupe la deuxième colonne de notre tableau (fig. 237). Entre cet alphabet et l'étrusque il y a parenté étroite, et l'on pourrait même dire identité absolue sans l'absence des signes D ® 8, que possède l'étrusque tandis qu'ils font défaut dans l'euganéen, et sans la présence de deux lettres absentes des inscriptions de l'Étrurie, 1 et Q, cette dernière figure représentant un th en étrusque, tandis qu'elle est un o en euganéen comme en grec. Les monuments de l'alphabet euganéen montrent la direction de cette écriture comme variable ; ils sont écrits indifféremment de droite à gauche, en boustrophède, et de gauche à droite. V. Alphabets rhétien et salasse. Nous donnons ces noms à deux alphabets très-voisins de l'euganéen et qui n'en sont guère que des variétés. Ils occupent la troisième et la quatrième colonne de notre tableau (fig. 231). Les monuments de l'alphabet rhétien, trouvés dans le canton du Tessin, dans le Tyrol et dans la Styrie, ont été rassemblés dans la planche I du mémoire de M. Mommsen Sur les alphabets nord-étrusques. Le signe de la voyelle a, de A devient /2\ ou T en passant dans le rhétien. La perte de la tradition du p grec, que maintenaient encore chez les Euganéens le voisinage et les rapports journaliers avec les Étrusques proprement dits, conduit le signe de l'articula tion th à une altération qui le rend exactement semblable à un p grec, m et ~. Pour les lettres dont on constate dans l'euganéen deux formes, l'une presque semblable au prototype étrusque, l'autre s'en éloignant par un effet du temps, c'est toujours la seconde qui prédomine dans les monuments rhétiens; ainsi le s' y est beaucoup plus fréquemment p4 que M, et le t beaucoup plus habi tuellement X que -y. L'alphabet salasse est fourni par une précieuse inscription en langue celtique découverte dans le Novarais 709 et par les légendes des médailles que M. de Longpérier a restituées au peuple des Salasses, habitants de la chaîne des Alpes 1/0. Cet alphabet est le même que l'euganéen et le rhétien, mais appauvri par la suppression des aspirées h, th et ch, ainsi que du v. Pour s' et t les formes secondaires et altérées 1 et X y sont seules en usage. Enfin l'a, devenant F, s'éloigne de sa figure primitive dans le salasse plus que dans les deux autres alphabets du même groupe. VI. L'ALPHABET LATIN. Antiquité de l'écriture à Rome. Ottfried Müller 177 et après lui M. Lepsius 712 ont essayé d'établir que c'était seulement 300 ans après la fondation de Rome, et lors de la rédaction de la loi des Douze Tables que le latin avait commencé à être une langue écrite et à posséder un alphabet propre. Mais cette manière de voir a été pleinement réfutée par M. Mommsen 113 qui a soutenu la haute antiquité de l'art d'écrire dans la cité de Romulus. Des monuments écrits appartenant à l'ère des rois subsistaient encore au temps des auteurs classiques. Tel était le traité entre Gabies et Rome, conclu par l'un des Tarquins, et non pas, à ce qu'il semble, par le dernier d'entre eux l1r Denys d'Halicarnasse raconte avoir vu dans le temple de Diane Aventine, centre religieux de la confédération des Latins, la table de bronze sur laquelle était gravé l'acte d'alliance avec les villes du Latium, dressé sous Servius Tullius 115. Ce n'était, sans doute, qu'une copie transcrite au lendemain de l'incendie des Gaulois et d'après un exemplaire appartenant aux Latins, car, suivant la judicieuse remarque de M. Mommsen, « il paraît difficile d'admettre qu'au temps des rois on sût déjà graver de longues inscriptions sur le métal. » Mais le fait seul qu'elle était la reproduction d'un document écrit sous Servius Tullius suffit pour justifier la thèse que nous soutenons avec le savant historien de Rome, Les mots de la langue latine qui servent à exprimer les idées de l'écriture et de son matériel, révèlent, comme l'a reconnu M. Mommsen, quels furent les premiers procédés graphiques des Itomains. On traçait les caractères à la pointe (exarare, scribere, mot dérivé de la même racine que scrobes), ou bien on les peignait (linere, d'où listera) sur des feuilles (fokûm), sur des morceaux d'écorce (liber), sur des tablettes de bois (tabula). Plus tard le cuir et la toile reçurent les caractères tracés à l'encre (atramentum), car il semble que le papyrus ne pénétrait guère en Italie aux époques anciennes. Les titres sacrés des Samnites, ceux des prêtres d'Anagnia, étaient écrits sur des rouleaux de toile. II en était de même des listes des plus anciens magistrats de Rome, déposées dans le temple de Junon Moneta sur le Capitole. Veut-on d'autres preuves de l'ancienneté de l'écriture chez les Romains ? Nous rappellerons l'antique circonscrip A LP 215 A.LP tion allotie au bétail envoyé dans les pâtures [SCHIPTIIHA 1L8) les mots d'invocation par lesquels commence tout discours au Sénat, Patres conscripti, les vieux livres des oracles, les registres généalogiques, enfin les anciens calendriers de Rome et d'Albe. La tradition, dès le temps de l'expulsion des rois, parle des loges du forum, où les fils et les filles des patriciens allaient apprendre à lire et à écrire. C'est là une fable peut-être, mais ce n'en est point une nécessairement. Comme l'a dit M. Mommsen, « si les antiquités de l'histoire romaine nous échappent, ce n'est ni à l'absence de l'écriture, ni à celle des monuments qu'il convient peut-être de s'en prendre. Il faut en accuser les historiens qui, lorsqu'ils reçurent mission de fouiller les annales de Rome, se montrèrent absolument incapables d'en débrouiller les archives et qui prirent la tradition à rebours, y allant chercher des récits de batailles et de révolutions; qui, fermant les yeux à la lumière, ne virent pas ou ne voulurent pas voir ce que les monuments ne manquent jamais de révéler à tout investigateur impartial et sérieux. » Entre l'âge des rois et celui de la loi des Douze Tables on nous signale encore quelques monuments écrits qui avaient été préservés jusqu'aux siècles classiques. Tel était le traité d'alliance offensive et défensive contre les Èques et les Volsques, conclu avec les villes latines par les soins de Spurius Cassius. On l'avait considéré comme si important que la table de bronze sur laquelle il était gravé avait été placée derrière la tribune aux harangues. Cicéron 117 dit se souvenir de l'avoir vue; elle avait donc subsisté jusqu'à son époque, où une circonstance que l'on ignore l'avait fait disparaître. Une autre table de bronze, conservée celle-là dans le temple de Jupiter Capitolin, portait le texte du premier traité de commerce entre Rome et Carthage, gravé en l'an 245 de la fondation de Rome (510 av. J.-C.). Polybe 1'8 dit l'avoir vu lui-même et raconte que la langue en était si différente de celle de son époque que les archéologues romains dès lors parvenaient à peine à entendre ce texte. Monuments anciens de l'alphabet latin parvenus jusqu'à nous.Malheureusement aucun monument écrit d'origine romaine remontant jusqu'à une aussi haute antiquité n'est parvenu jusqu'à nous. Les monuments mêmes actuellement conservés ne nous reportent pas, tant s'en faut, au temps de la loi des Douze Tables; aucun ne date d'avant la seconde moitié du ive siècle de Home. La série complète des inscriptions latines archaïques subsistantes, jadis dispersées dans un grand nombre de recueils et d'ouvrages où il était assez difficile d'aller les chercher, a été rassemblée, avec un soin qu'égalent seulement le luxe des reproductions et la solidité des commentaires, par les soins de l'Académie de Berlin. Cette collection remplit le premier volume du Corpus inscriptionum latinarum, oeuvre magistrale de M. Mommsen, et le magnifique atlas de fac simile exécuté sous la direction de M. Ritschl, qui y a été joint sous le titre de Priscae latinitatis mmonumenta epigraphica. Les monuments contenus dans ce recueil nous ont fourni les éléments de notre tableau (fig. 238), dont la première colonne contient les signes empruntés aux inscriptions antérieures au dernier quart du v' siècle de Rome, la seconde ceux que fournissent les textes gravés entre cette époque et la fin du vit siècle, époque où la forme des caractères se fixa définitivement, précédant la fixation de l'orthographe, qui ne fut complète que vers le temps d'Auguste ; la troisième colonne contient ces types définitifs. Une tendance tout à fait propre au latin archaïque est celle qui consiste à détacher les uns des autres les différents traits d'une lettre et à leur donner en même temps autant que possible une direction de bas en haut. C'est cette tendance qui amène les changements de A en A, de E en II, de F en I'. C'est elle qui, se prononçant encore plus dans le latin cursif des graffiti de Pompéi, y conduit le M et le N à être tracés, l'un par quatre, l'autre par trois traits verticaux, In I I et III. C'est également cette tells V V X X dance qui porte à ouvrir le O par en bas, O, d'une manière assez analogue à celle qui a produit le S2 chez les Ioniens, sur quelques monuments de date fort ancienne, comme la ciste de Ficoroni, les dédicaces du tribun militaire M. Furius à Tivoli, et quelques-unes des inscriptions de Pesaro. Origine de l'alphabet latin. L'alphabet latin à ses débuts se composait de vingt et une lettres et s'arrêtait à X "s, que Quintilien appelle ultieta nostrarum. Pour retrouver ce nombre de vingt et une lettres il est nécessaire d'ajouter un signe à ceux de la première colonne de notre tableau (fig. 238) .Nous n'hésitons pas à penser, d'accord avec période des rois, elles répondent: Ce dut être de Cumes ou des villes de la Sicile. L'action de l'influence grecque, venue de ces deux sources à Rome dès le temps des rois, se manifeste par beaucoup de preuves. La réforme de la constitution de la cité, que la tradition attribue à Servius Tullius, est une imitation des républiques grecques. Le système des poids et mesures tel qu'il se présente à nous dès les temps les plus anciens, système que l'on comprend également dans les institutions mises sous le nom de ServiusTullius, est en grande partie d'origine grecque, et dans ce qui y subsiste de vestiges d'un système indigène antérieur, il a été modifié de manière à s'accorder exactement avec les poids et mesures des Hellènes; la plupart des mots qui s'y rapportent sont grecs. Il en est de même du système monétaire dès que Rome commence à avoir une monnaie la langue latine renferme un grand nombre de termes empruntés au grec dès ses époques les plus anciennes. Modifications de l'alphabet latin jusqu'à sa fixation définitive. Le plus ancien et l'un des plus notables parmi ces changements fut celui qui réduisit les deux sifflantes à une seule, S, et les gutturales C et K à une ALP 216 ALP M. Mommsen, que c'était celui du z. Le z avait en effet certainement fait partie de la première ordonnance de l'alphabet latin, calquée sur celle du grec, puisqu'ensuite sa disparition y avait produit entre F et H une lacune où l'on introduisit, pour la combler, i G, lorsqu'il eut été postérieurement inventé. L'articulation que cette lettre représente disparut de bonne heure dans la prononciation latine et n'y revint qu'avec les mots empruntés du grec sans mo dification, mots dans lesquels son emploi fut exclusivement restreint aux âges classiques. Mais cette articulation exis. tait dans la prononciation des plus anciennes époques de la langue. Nous lisons dans le grammairienVeliusLongus120: Nec aliena latin() serinent fuisse z littera videlur, plan inveniatur in carmine Saliari. Et en effet on trouve le z dans le premier mot d'un des deux seuls fragments du chant des Saliens qui nous ont été conservés par Varron 121. Nous voyons figurer un z, tracé à la seconde ligne de l'inscription marse de Milionia 1", dans le mot vezune; or l'alphabet des inscriptions marses est purement latin. En y rencontrant le z nous acquérons une preuve décisive de la présence de cette lettre dans l'alphabet latin primitif, et en même temps nous y apprenons, à peu de chose près, quelle était sa forme à Rome. L'alphabet primitif latin de vingt et une lettres, que nous parvenons ainsi à compléter, ne dérivait pas de l'étrusque comme les alphabets de l'Ombrie, du Picenum et des pays osques. Sa seule inspection montre qu'il sortait directement du grec, ainsi que l'ont reconnu Ottfried Miiller 12a et M. Mommsen 12'. Ce ne sont pas encore tant la direction différente de l'écriture, la présence des lettres douces b et d, ainsi que du q, manquant à l'étrusque, l'usage de la seule sifflante S et l'absence du s', M, qui sont les indications les plus décisives sous ce rapport; c'est surtout ce fait que pour exprimer l'articulation f, exclusivement propre aux langues de l'Italie, les Romains n'ont jamais employé la lettre nouvelle g, inventée par les Étrusques et conservée par les Ombriens, les habitants du Picenum et les Osques, mais ont affecté à cet usage le digamma grec, F, qui en étrusque avait pris la valeur de v. On peut, du reste, maintenant, grâce aux travaux de M. Kirchoff, pré. viser bien plus que n'avaient pu le faire ni Ottfried Müller ni M. Mommsen l'origine de l'alphabet latin. En reconnaissant le premier la variété particulière du grec éolodorien usitée dans les colonies chalcidiennes du Midi de l'Italie et de la Sicile, Cumes, Naples, Rhegium, Naxos, Messine, Rimera, le savant épigraphiste berlinois a compris parfaitement l'importance de sa découverte et a signalé dans l'alphabet qu'il rendait à la. lumière la source précise d'où l'alphabet latin est directement sorti 12'. On peut en effet voir, dans notre tableau (fig. 239), que l'alphabet latin à son origine n'a été autre que cette variété de l'alphabet hellénique, adoptée sans aucune modification, sauf toutefois la suppression des signes des trois articulations aspirées th,, ph et ch, lesquelles étaient étrangères à l'organe romain; et lorsque plus tard elles entrèrent avec quelques mots tirés du grec dans la langue des Latins elles y furent exprimées par la consonne dure correspondante suivie d'un h. Au reste, si l'on consulte les vraisemblances historiques pour savoir de quelles localités précises l'alphabet grec a pu être transmis aux Latins des âges primitifs, de la seule également, C. Nous avons montré tout à l'heure qu'à son origine l'écriture latine possédait deux sifflantes s et z, répondant à deux articulations différentes de la prononciation primitive. Mais la distinction entre ces deux articulations n'était probablement pas bien marquée, ou la prononciation latine subit en ce qui est des sifflantes un endurcissement notable. Le z cessa de très-bonne heure d'être en usage à Rome et disparut même de la série théorique de l'alphabet, où sa suppression laissa une lacune que remplit plus tard le g. Dès le temps de la loi des Douze Tables il était complétement abandonné ; car si le z avait été employé dans ce texte, les grammairiens latins auraient eu grand soin de l'y signaler. Toutes les inscriptions archaïques latines que l'on possède révèlent un alphabet où le z fait défaut, et ces inscriptions, nous l'avons dit, sont des Ive, ve et in' siècles de Rome. Bien plus, dans les Tables Eugubines, dont la ALP 217 ALE date doit être placée au vie siècle, le * ombrien, qui est bien positivement un z, est transcrit en latin par S. Le grammairien Marius Victorinus 128 nous apprend que le puête tragique Accius n'avait pas encore admis l'emploi du z. Cependant de son temps cette lettre, sous la forme Z empruntée à l'alphabet grec définitif, avait commencé à reparaître à Rome dans des mots tirés de la langue hellénique. Une fois réintroduite, on s'était mis à l'employer quand on voulait transcrire les caractères affectés à l'expression du z dans les autres idiomes de l'Italie. Ainsi dans la partie osque en lettres latines des tables de Bantia 727, qui sont du temps des Gracques, le * de l'alphabet indigène est constamment rendu par Z. Ce ne fut, du reste, que vers le temps de Cicéron que l'adoption du z devint générale 128 et que cette lettre fut définitivement réadmise dans l'alphabet, où elle prit la dernière place. La série alphabétique des Latins a constamment renfermé les deux gutturales C et K. Mais il est évident qu'à l'origine ces deux signes ne représentaient pas, comme plus tard, la même articulation. Ainsi que dans le grec, C était un g et K un k. Nous en avons la preuve par les abréviations des plus anciens noms, conservées traditionnellement, où Cet C N ont, tant que le monde latin est demeuré debout, continué à indiquer ceux qui se prononçaient en réalité comme Gaius et Gnaeus 129, tandis que Caeso se rendait par K. A cet état des choses se rattache aussi l'habitude si longtemps gardée d'employer le K pour exprimer la gutturale devant l'a, tandis que la même articulation était rendue par C devant toutes les autres voyelles, écrivant par exemple Karthago, kalumnia, kaput, karmentalia, merkatus, les mots qui dans l'orthographe définitive sont Carthago, calumnia, caput, carmentalia, mercatus. Le seul mot kalendae a constamment gardé son k, même après le temps où, vers le vue siècle de Rome, cette lettre fut devenue complétement supervacua, comme l'appelle Marius Victorinus 130, et ne fut plus demeurée dans la série de l'alphabet qu'en pure théorie. Cette disparition du k dans l'usage ordinaire fut le produit d'un changement dans la prononciation latine, où pendant un certain temps, par suite d'une influence évidente de l'étrusque, comme l'a prouvé Ottfried Müller 131, toutes les gutturales devinrent dures. Par suite de ce changement de la prononciation, le C cessa de représenter la gutturale douce g et devint absolument homophone du K ; dès lors, comme en étrusque, où il avait également la valeur de k, il supplanta rapidement cette dernière lettre et s'employa dans tous les cas où l'on avait une gutturale autre que q. La révolution était déjà accomplie au temps de la révision des Leges regiae et lors de la rédaction de la loi des Douze Tables, comme on en a la preuve par la phrase de cette dernière loi : ni cum eo pacit, que nous a conservée Festus au mot 7alionis 132 Dans les plus vieilles inscriptions latines préservées jusqu'à nous, dans toutes celles qui sont antérieures à la seconde moitié du ve siècle de Rome, nous voyons le C employé dans les cas où l'orthographe définitive met un g aussi bien que dans ceux où elle met un c. Cependant l'articulation du g était trop naturelle à l'organe latin pour que la prononciation durcie des gutturales, 1. qui avait amené le changement de valeur du C, pût se maintenir. Le besoin se fit de nouveau sentir de distinguer la notation de g et de k; mais l'habitude de donner au C une prononciation dure était trop bien prise pour que l'on pensât à revenir à l'ancienne méthode. II resta donc affecté à l'expression de la gutturale dure, et une légère modification dans sa forme créa une nouvelle lettre, G, qui devint le signe de l'articulation douce g. On attribue l'invention du Gau grammairien Spurius Carvilius 133, affranchi de ce Sp. Carvilius Ruga qui, dans l'année 523 de Rome, donna l'exemple de la première répudiation qu'eût encore vue la cité des Quirites. Les monuments prouvent cependant que cette lettre avait commencé à paraître un peu plus tôt. Elle est déjà employée dans l'épitaphe de Scipion Barbatus, consul en 436, et sur l'as libral de Luceria, antérieur àla réforme de 485. Mais en même temps l'inscription de la colonne rostrale de Duillius, dont l'original avait été dressé en 494 et dont la copie parvenue jusqu'à nous semble très-fidèle en ce qui est de l'orthographe, ne connaît que le C. Il faut en conclure avec M. Mommsen 134, que c'est dans le cours de la seconde moitié du ve siècle de Rome que le G fut inventé et fit son apparition, sans être encore adopté d'une manière générale. Quant à la part de Spurius Carvilius dans l'introduction de cette lettre, s'il faut cesser d'en voir en lui l'inventeur, on peut supposer avec une grande vraisemblance que, comme il fut le premier qui ouvrit à Rome une école de grammaire régulière et publique 135 ce fut lui qui par son enseignement généralisa l'emploi du Get fit entrer ce caractère dans la série des vingt et une lettres de l'alphabet, où il trouva une place toute naturelle dans la lacune qu'avait laissée entre F et H la suppression du z. La série définitive de l'alphabet latin, telle que nous l'employons, ajoute aux vingt et une lettres primitives deux caractères, Y Z, rangés après X. Ce sont deux lettres tirées du grec pour exprimer dans les mots et les noms propres empruntés à l'idiome hellénique des articulations qui n'avaient pas d'expression précise dans l'alphabet latin de vingt et une lettres ; elles sont venues se placer dans la série à leur rang d'adoption. Nous avons parlé tout à l'heure des vicissitudes du z, possédé d'abord, abandonné, puis repris. Le Y, dont l'origine demeure constamment rappelée par son nom de y graecum, fut introduit à Rome vers la même époque où reparut le z, et, de même, ne devint pas d'abord d'un usage général. Ce fut seulement vers le temps de Cicéron que l'une et l'autre de ces deux lettres, Y Z, furent définitivement reçues et prirent place dans la série de l'alphabet, où elles sont demeurées depuis lors 138. article, déjà trop long, et achever de passer en revue les différents alphabets de l'Italie antique, il nous reste à dire quelques mots d'un dernier, qui mérite de former une section à part, à cause de son caractère mixte, tenant à la fois de l'étrusque et du latin. C'est l'alphabet particulier au petit peuple des Falisques, que Strabon 137 signale comme se servant d'une langue à lui propre. Il a été révélé dans les dernières années par des monu 28 C I V'''il J'i 14 ALP -218-ALU monts épigraphiques découverts .1 Civita Castellana, l'antique Falerii Cet alphabet s'écrit de droite à gauche et est ainsi conçu comme on le verra dans le tableau (fig. 240). L'élément étrusque est prépondérant; c'est de lui que vient la direction de l'écriture ; c'est lui qui a fourni les types des lettres a, c, z, th, 1, t. Mais en revanche on ne saurait méconnaître l'origine latine de d, o, r. D'autres signes de l'alphabet, comme i, s, u, peuvent venir également de l'une et de l'autre source. H Enfin il est certaines lettres, comme e, h p, pour les quelles les inscriptions falis ques nous offrent alternativement des formes qui se rattachent à l'étrusque et des formes qui se rattachent au latin. En même temps l'alphabet des habitants de Falerii n'est pas vin pur et simple mélange de lettres latines et de lettres étrusques empruntées sans aucun changement. A quelquesuns des signes qu'ils empruntaient à leurs voisins, les Falisques ont donné des formes qui ne se rencontrent que chez eux. Telle est la déformation du A étrusque qui dans la plupart des inscriptions devient presque semblable à un r, a. Tel est le caractère Ts tout à fait particulier au falisque, dans lequel le R. P. Garrucci voyait un g ou un k, mais dont M. Mommsen et M. Detlefsen ont définitivement fixé la valeur comme étant celle d'un f. M. Mommsen suppose que c'est un dérivé du sp grec, parce que, dans les inscriptions assez grossièrement tracées d'un vase peint 139, celte dernière lettre revêt accidentellement la figure de ~. Mais la présence des formes et au lieu de 1, sur quelques-uns des monuments falisques, prouve que c'est dans -1, que doit être cherchée l'origine de ce signe. Nous nous trouvons dès lors en face d'un emprunt de plus fait à l'alphabet latin; car c'est seulement en latin que le dérivé du digamma grec a la valeur de f, tandis qu'en étrusque il a la valeur de v, un signe différent, 8, étant affecté à l'expression de f. L'origine mixte, participant àIa fois de l'étrusque et du latin, qu'il faut reconnaître ainsi à l'alphabet des Falisques, s'accorde parfaitement avec ce que l'on sait de l'histoire de ce peuple. Les Falisques se trouvaient entre les Étrusques et les Romains, et leur pays formait le point de jonction de l'influence des deux peuples et des deux civilisations. Leur histoire se compose tout entière de rapports de paix, de guerre et de sujétion, tantôt avec l'un, tantôt avec l'autre. Et comme un commentaire matériel de cette histoire, ainsi que de la présence de lettres venant de l'Étrurie et de Roule dans l'alphabet national, les fouilles de Civita Castellana ont fait découvrir, mêlées aux inscriptions proprement falisques, des inscriptions purement étrusques et des inscriptions purement latines archaïques. F. LENORMANT.