Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article MANICA

MANICA. 1 Voir, par exemple, Malin, Peint, de vases, I, pl. xxxvm. 2 Dumont 754, 1; 758 R, col. II, 7 =759, col. II, 2; 758 B, col. Il, 2t; 759, col. Il, 15; 7G3 col. 1, 16; Michaelis, Der Parthenon, p. 310, n. 44; p. 311, n. 150. + C. iriser. ait. II, 754, 19 = 755, 11 ; 758 B, col. If, 5 = 759, col. II. 1 ; 758 B, col. Il = 759, col. II, 20; 758 B, col. Il, 29; Michaelis, L. 1. n. 77, 149, 168, 169, 179, 182. 5 Phot. Lexie. KàvSuç ' (faim.« 2erp,Smzév. Voir eAaaaa, fig. 791. 6 N. 7 I.es cavaliers figurés dans la frise du Parthénon, du côté du nord, portant des vêtements à manches et le bonnet de fourrure [Ai.orsiual,, sont cerlainement des cavaliers thessaliens ou thraces admis dans la procession des Panathénées. MAN 1575 MAN populaire évite tout ce qui donnerait aux Hunes invoqués sur les tombes une personnalité limitée, comme si ceux du mort qui y est enfermé n'étaient qu'une parcelle d'un patrimoine commun à toute sa race'. I1 existe une inscription : MANIBUS COMMUNIBUS qui rappelle le mot d'un comique sur les hommes disparus : qui nunc ab'ierunl bine in comnlunem locum'. Une des plus explicites est celle qui, accompagnant le don d'une lampe funéraire, la destine : Manibus hujus 3 ; on trouve de même Manes tune ou hunes sanctissimae au féminin, comme on trouve des r,pw!vat chez les Grecs, à titre tout à fait exceptionnel 1. Enfin, la divinité des Mânes est affirmée encore par la transformation de la tombe en monument sacré ; le poète grec disait du sépulcre qu'il est un autel et les berna étaient de véritables chapelles 5. Les Romains imitent ces pratiques dès la fin de la République, comme nous le voyons par l'exemple de Cicéron qui rêve d'élever à sa fille morte un sanctuaire ainsi qu'à une divinité'. D'ordinaire on se bornait à donner ce vocable à la tombe toute simple; l'inscription rituelle dans ce cas est D. M. S., Dis Manibus sacrum', que les chrétiens primitifs conservaient en l'interprétant par Deo Magna) Sancto, ce qui supprime la personnalité du mort, en conciliant le respect de la tombe avec la croyance au Dieu unique a. En ce qui concerne le culte des Mânes, il nous suffirait presque de renvoyer à l'article FERALIA où sont énumérées les pratiques dont il est l'occasion'. D'une façon générale, ce culte va beaucoup moins à les supplier comme des divinités agissantes, qu'à les conjurer et à les apaiser comme des esprits irrités. C'est pour cela que, non seulement en Étrurie, mais dans le Latium, aux temps primitifs, on leur immolait des victimes humaines, plus tard remplacées aux fêtes des C,ompitalia par l'offrande des dianicle 1U. Les combats de gladiateurs, d'abord introduits en Italie comme un élément des fêtes funèbres et longtemps pratiqués à titre d'expiation religieuse avant de devenir un jeu, avaient la même signification : l'effusion du sang auprès des tombes réparait les pertes que la mort faisait subir à la famille et à la nation". S'il faut en croire saint Augustin, Varron voyait dans ces immolations une preuve de la divinité des Mânes, les jeux n'étant célébrés qu'en l'honneur des dieux 12 : en réalité, il s'agit moins ainsi de glorifier les morts que de les apaiser, en leur rendant par le sang, comme Ulysse dans l'Odyssée, quelque chose de la réalité vivante qui leur avait été ravie". Les offrandes pieuses de lait, de miel, de vin pur, de mets variés tels que lentilles, fèves, oeufs, etc., qui toutes éveillent l'idée de substances particulièrement nourrissantes, et que l'on déposait sur les tombes soit aux funérailles, soit aux jours anniversaires de la naissance ou de la mort des défunts, au nom des familles, des associations " et de la cité tout entière, procédaient d'idées analogues ". Quand on omettait d'honorer ainsi les Mânes, leur ressentiment se révélait par des songes pénibles, par des maladies qu'ils envoyaient aux vivants; un fabuliste met au compte d'une violation de sépulture la passion funeste des richesses dont devint victime celui qui s'en était rendu coupable 16. De tous les hommages, le plus précieux était, après la cérémonie des funérailles accomplies suivant le rite, l'entretien des tombes; ce sont les fleurs qui, dans le symbolisme propre au culte des Mânes, tenaient la principale place. On y apportait des fleurs naturelles, choisies suivant les saisons ; on en sculptait l'image au sommet des stèles et sur les cippeson plantait des haro" relie giosi sur les tombes, d'où, sur les inscriptions, des mentions nombreuses de cepotaphia au soin desquels il était pourvu par des fondations pieuses "S. Les fleurs qui poussaient sur les tombes étaient censées restituer la personnalité de ceux qui y étaient enfermés; un poète grec a dit : « Le sang enfante les roses, les larmes font germer l'anémone 19. » Perse, d'une façon plus précise, s'écrie : « Est-ce que du sein même de ces Mânes, du fond de ce sépulcre et de la cendre heureuse ne lèveront pas les violettes'? » Une épigramme d'un auteur inconnu dit mieux encore ": « Des fleurs en grand nombre ont poussé sur le tombeau récent, non pas la ronce sauvage ni la triste ivraie, mais la marjolaine, les violettes, le narcisse délicat, ô Vibius ; tout à l'entour de toi la terre s'est couverte de roses ! » A la veille du printemps, c'est-à-dire à la fête des Feralia, le culte des Mânes comportait des offrandes de violettes, et les jours où on les déposait sur les tombes s'appelaient dies violae, violationis2l. En mai, une pratique analogue s'accomplissait avec les roses (rosaria, rosatia) ". On offrait aux morts des lys, plus ordinairement encore du myrte ; cette dernière plante, consacrée à Vénus, symbolisait devant l'antique temple de Quirinus, par deux rejetons distincts, la floraison des deux ordres, patricien et plébéien, qui faisaient la force permanente de la cité". Aux yeux du grand nombre, les fleurs étaient simplement une image du renouveau; pour les philosophes, il s'y joignait la signification d'une félicité d'outre-tombe 2l. Juvénal demande aux dieux que la terre soit légère aux ombres des ancêtres et que dans MAN -1574.MAN a fait périr'. Mais si cette assimilation e pénétré dans l'opinion populaire, comme il est possible de l'induire de certaines inscriptions, ce fut sous l'influence de la littérature savant e. D'autres, qui semblaient cependant s'offrir d'elles-mêmes, sont restées isolées : ainsi l'expression de divirii Manes appliquée par un écrivain du temps de Claude à la personnalité divinisée d'un empereur 2 ; ainsi encore, chez Ausone, celle de dianes lieroici, désignant les ombres des Grecs illustres, réunis dans les enfers autour d'Agamemnon3. D'une façon générale, quand le mot Malles ne se matérialise pas pour désigner les restes enfermés dans la tombe, il se volatilise en quelque sorte pour n'être que l'expression d'une ombre vaine, objet de vagues rumeurs. Tel est le sens de l'apposition, chez Horace, de /'abulae Manes, que Perse développe en disant de l'homme qu'il deviendra cini.s et malles et fabula`. dianes synonyme de cutis, non seulement chez les poètes mais sur les inscriptions, est encore une preuve manifeste que dans la conception des Mènes il y a moins de philosophie que de superstition". Cependant, la philosophie s'en empara avec Varron, beaucoup plus préoccupé de l'accommoder à des spéculations savantes que de l'éclairer à la lumière des textes anciens et (les usages traditionnels. C'est ainsi que, pour interpréter l'être des Lares, le polygraphe commence par le confondre avec celui des Manes; puis il voit dans les uns et les autres des figures aériennes et finalement il se réfugie, pour leur donner une physionomie précise, dans l'idée grecque des héros' ; ailleurs, il confond les Lares avec les Larves et voit dans ces personnifications ou des espèces de génies ou les âmes des défunts, c'està-dire des Mènes' ; il était difficile d'être plus confus et moins exact. Apulée, selon l'esprit des doctrines platoniciennes, cherche à fonder la distinction des Lemures, des Larves et des Lares sur la qualité morale des esprits qui survivent au corps ; il fait rentrer les Manes dans cette hiérarchie systématique, les considérant comme les esprits ni bons ni mauvais, analogues au daenion abstrait des Grecs'; en inventant le Jldne Dieu (_lfeneni Deum), il donne même un pendant au daernon unique, incarnation du monothéisme, suivant les idées des derniers stoïciens ou du néo-platonismes ; saint Augustin fait sienne cette interprétation en la rattachant à Platon10. Le commentateur de Virgile, Servius, nous fournit dans une note très développée la synthèse des explications variées dont les Manes ont été l'objet depuis Virgile" ; pour les uns, ils sont les esprits des morts, appelés les bienveillants par antiphrase, leur nature les disposant à tourmenter les vivants" : à ce titre, ils peuvent être confondus avec les divinités infernales, quoique le plus souvent on les en distingue, et ils règnent sur le monde des morts comme les dieux célestes président à celui des vivants1U. [ne autre opinion confond les Mânes avec les Génies et distingue entre les bons et les mauvais, déterminés ainsi par la valeur morale des hommes dont ils prolongent l'être après la mort''. Ils continuent à habiter les sépulcres, ce qui les fait identifier avec les ossements ou les cendres, parfois avec les sépulcres eux-mêmes. Suivant les divers points de vue, le séjour des Manes est dans la région infernale ou dans les espaces sublunaires où errent les esprits en général, particulièrement les génies assimilés aux daemons des Grecs" Avec cette dernière conception s'accorde l'étymologie qui rattache maires à marie, matutinus et même lnaturus, étymologie qui e été reprise par des linguistes contemporains : les anciens disaient que ces esprits agissaient sur le monde des vivants par l'intermédiaire de la rosée matinale 1° ; ces fantaisies se compliquaient de la croyance à la métempsycose ; elles invitaient d'autre part, â rapprocher planes du verbe manage, les esprits subtils ayant la propriété de pénétrer partout". La preuve que les théories philosophiques sur la nature des Manes ont à peine effleuré l'opinion populaire nous est fournie par les innombrables inscriptions tombales qui, depuis les commencements du t" siècle de notre ère, affirment leur divinité sans la préciser, et cela dans toutes les parties du monde romain". Les formules qui attestent le culte des Mânes sont aussi monotones que la mort elle-même, aussi banales que le deuil ou le respect dont elles sont l'expression. L'hommage aux dieux Manes ou aux Mânes divins est tantôt inscrit en toutes lettres : Dus MANIRVS, jamais divis Manibus; le plus souvent figuré à l'aide du sigle D. M. qui est tantôt précédé, tantôt suivi du nom des défunts au génitif; quelquefois les noms sans la formule rituelle et s'en détachant, au nominatif; des épithètes sont l'exception. On rencontre toutefois rsi'imi, d'ordinaire à l'aide du sigle 1"; rarement sanctus, sacer, pins, castns90, etc. Plus fréquentes que les épithètes, qu'exclut a priori la formule rituelle diis Manibus, laquelle suffit à tout, sont les expressions memoriae, quieti, securitati, soit seules, soit avec des qualificatifs comme aeternus, perpetuus. pegennis". IL v a des inscriptions où sont confondus ou associés, même en dehors de l'Italie, les vocables de dianes et de Genius, celui de Juno et même de Venus prenant la place du Genius quand il s'agit d'une femme92, Une inscription de la Gaule Lyonnaise invoque séparément le Genius du mari et la Juno de la femme23; ailleurs, le mot Manes implique tous les morts d'une même famille et non tel défunt en particulier; il semble d'ordinaire que la piété MAN 1 573 MAN ne trouve pas davantage leur nom dans les fragments des poètes épiques et tragiques de la première période. Lorsque Cornelia, la mère des Gracques, dans une lettre célèbre, fait à son fils les recommandations suprêmes, elle se borne à employer, pour les honneurs à rendre après la mort, le verbe rituel de parentare et à invoquer le dieu protecteur de la race : parentabis mihi et invoeabis deum parentem 1, expression que nous rencontrons chez Plaute, déterminée non par Marres mais par Penates; c'est-à-dire que le culte des morts reste enveloppé toujours des vagues formules qui sont propres à la religion primitive. Chez Cicéron, qui n'a d'ailleurs jamais employé le mot genius et qui traduit Sa(N.wv par kir', si nous mettons à part les textes empruntés à la loi des Douze Tables, nous rencontrons un passage où les esprits des conjurés de Catilina, qu'il a fait mettre à mort, sont appelés .}Canes', ce qui équivaut au Ba{N.ove; UtT'rlptot ou apoTTpe7catot des Grecs, à l'idée d'un esprit vengeur qui reviendrait de l'autre inonde pour punir le meurtrier 4. Dans le même temps, Lucrèce considère comme une manifestation de banale superstition les cérémonies funèbres, les victimes noires immolées sur les tombes et les offrandes aux Mânes divinisés. Ailleurs il proteste contre la croyance qui veut que, vers les rives de l'Achéron, les dieux Mânes conduisent les âmes par la porte des enfers 5. En fait, le poète distingue ainsi les âmes des morts de ce qu'il appelle les Mânes, puisque ceux-ci se trouvent identifiés avec les divinités psychopompes des enfers. Tous ces textes, les seuls qui survivent de la littérature sous la République, démontrent que, même pour des intelligences pénétrées de poésie et de philosophie grecques, les Mânes ne sont autre chose que la vague appellation par qui les divinités infernales et les esprits des morts sont confondus dans un vocable collectif. C'est aux poètes et aux historiens du règne d'Auguste à Virgile en première ligne, qu'il faut faire honneur de la vulgarisation du culte des Mânes, considérés enfin comme les âmes des ancêtres apaisées, rendues bienveillantes et devenues pour les descendants des divinités au caractère vaguement personnel 7. Dans cette tâche, la littérature est aidée par la pratique de l'apothéose à la façon des Grecs, pratique dont la divinité de César mort et le Genius d'Auguste vivant sont les manifestations les plus anciennes et les plus solennelles. Mais cette signification n'exclut pas les autres, et l'on ne saurait dire qu'elle devient dominante. Chez Virgile, qui de tous les écrivains latins a employé le plus fréquemment le mot Manes, il désigne tour à tour, par métonymie, la région des enfers où résident les morts e, les ombres de ces morts prises collectivement, l'être des divinités infernales préposées au royaume des morts, le plus souvent VI. ces divinités associées aux morts dont elles ont la garde' et, par exception seulement, soit l'àme d'un mort déterminé, soit le groupe d'ancêtres défunts d'une race 'e. Un passage isolé est celui où !lianes s'identifie avec la destinée que font aux morts dans les enfers les actions bonnes ou mauvaises accomplies durant la vie ". De toute façon, chez Virgile, surabonde la nuance spiritualiste du mot, lequel s'adapte à l'expression des doctrines de Pythagore et de Platon ; ses contemporains, au contraire, et la plupart des écrivains du ter siècle ont une propension à l'appliquer de préférence, par une sorte de métaphore, ou à la région infernale ou aux restes matériels des morts, cadavres, cendres et ossements ; un philosophe dirait qu'ils sont matérialistes'. Cependant la religion traditionnelle garde ses droits chez la plupart (il n'y a guère à excepter que Pline l'Ancien), en ce que ces restes sont sacrés et qu'il y a impiété à les souiller, à les déranger dans la paix de l'au-delà, sans que d'ailleurs ce respect implique ni l'idée d'une divinité formelle du mort, ni même la foi en une immortalité soit collective, soit encore moins personnelle; c'est un hommage au mystère de la tombe, comme le culte du génie est un hommage au principe de la perpétuité de la race". Sous le bénéfice de cette restriction, on peut dire que le culte grec des héros a déteint fortement sur la religion des Mânes. Dans la littérature surtout, tous les sens dont le mot rlpw; a été susceptible ont été suivant les occasions traduites par le mot _Manes, devenu une appellation honorifique; chez Virgile, les ombres d'Anchise, d'llector, de Polydore, d'Eurydice sont désignées par ce mot, avec tous les caractères de la personnalité qui sont la conscience et le souvenir t' ; de même celles de Virginie chez Tite-Live et plus Lard de Galba chez Suétone ;. Remarquons toutefois que dans tous ces passages il s'agit de personnalités qui ont péri de mort violente, de sorte que la notion de héros s'y complique de celle du attentait, avec la nuance spéciale d'un esprit irrité qui sort de l'autre monde pour se plaindre ou se venger ; à ce titre elles affirment beaucoup plus les droits à l'éternelle justice que la foi en l'immortalité. Sous l'influence du néo-platonisme, cette conception inspirera plus tard des histoires terrifiantes dont le type nous est fourni par Apulée le; il s'agit de l'ombre d'un mari qui, tué traîtreusement par l'amoureux de sa femme, revient de l'autre monde pour persuader à celle-ci de crever les yeux du meurtrier. En exécutant l'ordre du mort, la femme se vante de rendre les devoirs funèbres aux mânes sacrés du mort, avec les yeux de celui qui a voulu prendre sa place : sanctis manibus ejus istis oculis parentabo. De même Agrippine, animée contre Néron, invoque contre lui, en même temps que le souvenir de ses propres crimes, les Mânes infernaux des Silanus qu'il 198 MAN 1 572 MAN perpétuité de la race. « Les Mânes, dit le commentateur de Virgile qui nous a conservé sur ce sujet les traditions diverses sans les concilier, sont les âmes durant le temps oit, s'étant retirées des corps auxquels elles étaient associées, elles n'ont pas encore passé dans d'autres corps'. » Au déclin seulement de la République, grâce à la diffusion des doctrines de Pythagore et de Platon, qui des milieux cultivés ont pénétré parfois dans les couches populaires, grâce aussi à la pratique de l'apothéose qui, limitée d'abord aux morts illustres, gagna aussi d'autres classes de la société', la religion des Mânes se précisa et les Mânes invoqués sur les tombes prirent à l'occasion un caractère plus personnel. En réalité, la seule preuve de la haute antiquité du culte des Mânes chez les Romains est une preuve indirecte; on peut la tirer tant des témoignages de piété dont on entourait les tombes et qui accompagnaient les funérailles, que de la religion de Mania, vieille divinité vénérée auxConmpitalia en compagnie des Lares et qui, du temps de Varron, était considérée comme la mère ou l'aïeule des Mânes'. Quoiqu'il ne soit question nulle part ailleurs d'un culte formel de Mania, et que les actes des Arvales mentionnent simplement une mère des Lares, sans préciser s'il s'agit de Mania ou d Acca Larentia'•, il est à peu près certain que Mania avait sa place dans la compagnie des Mânes ; on l'appelait aussi Muta ou Tacita et elle recevait à l'époque des Feralia des hommages superstitieux'. Dans la langue populaire on la confondait avec Larva prise dans l'acception la plus générale du mot ; elle était une figure terrifiante dont les nourrices se servaient pour faire peur aux enfants ; et un philosophe la place, avec Furrina et les Intenmperiae, parmi les divinités grotesques (thripes deorum) qni habitent le monde souterrain a. Employé au pluriel, le mot Manicle s'applique ou aux représentations grotesques des morts, comme celui de Larvae, ou à des poupées de cire que l'on suspendait pendant les C,ompital'ia aux portes des maisons, pour honorer les Lares, dit Varron ; en réalité, pour apaiser en faveur des vivants les esprits des morts, au sein de chaque famille Ces figurines, appelées encore pilae ou OSCILLA, s'étaient substituées aux victimes humaines que l'on immolait au temps de la barbarie primitive. Un auteur dit qu'elles étaient en nombre égal à celui des habitants d'une maison et que, pour honorer les divinités infernales, on leur offrait une de ces images en rachat de chaque existence 8. Tel est le sens d'un passage curieux de Plutarque où, sous le mot grec de ypriazdç désignant le mort, on devine le vieux mot latin manus ou manns, synonyme de bonus 9 : on suppliait Mania, dit cet auteur, pour qu'aucun des membres de la famille ne devînt lnani.s, c'est-à-dire ne mourût dans l'année. Cette Mania est surnommée Genila et on lui sacrifiait des chiens tout comme aux Lares 10; c'est-à-dire que dans sa personne se confondent les deux notions de la naissance et de la mort, le génie de la race qui se perpétue sur terre et celui qui se prolonge par les Mânes dans le monde infernal : il n'y a pas d'association d'idées plus fréquente dans la vieille religion des Romains. Les premiers textes qui nous renseignent sur l'emploi du mot Manes sont la loi des Douze Tables et la formule par laquelle Decius et Curtius se dévouent pour la République. Le premier nous a gardé l'affirmation que les anciens Romains considéraient les esprits des morts comme des divinités; il y était recommandé d'affranchir leur culte de tout appareil lugubre comme de tout luxe dispendieux". Cicéron, qui nous l'a transmis, conclut de la célébration des Feriae denicales, épilogue rituel de toutes les funérailles, que les ancêtres avaient entendu mettre au nombre des dieux les âmes de ceux qui avaient émigré polir les régions de la mortf''. Mais ces dieux, dépourvus de toute personnalité, sont distincts de ceux crue l'on vénérait dans les temples, et leur religion était limitée au cercle étroit de chaque famille. Cependant, par leur destinée même, qui est d'habiter dans le monde souterrain, ces Mîmes sont apparentés aux dieux infernaux proprement dits"; avec ce sens nous les trouvons dans l'acte de la DI3voTIO : Decius invoque les Mânes en même temps que la Terre Mère qui a reçu les morts dans son sein et il les nomme en compagnie des Lares, des Novensiles, des Indigetes, ce qui fait penser qu'à ses yeux ils représentent les puissances infernales ". Curtius, dans une circonstance identique, tend les mains tour à tour vers le ciel et vers la terre entr'ouverte, celle-ci séjour des Mânesf3. Le gouffre dans lequel il se précipite est identique au MUNDUS, cette vaste fosse que le rituel de la fondation des villes recommandait d'ouvrir et où l'on entassait les prémices de toutes les productions de la vie' ; l'extrémité inférieure en était fermée par la pierre appelée Manalis, expression dont la parenté avec le mot Manes n'est pas douteuse [MANALIS LAPIS]. La notion des Mânes va se transformer en se précisant au contact de la littérature hellénique ; nous y voyons alors entrer peu à peu quelques-uns des éléments qui caractérisent chez les Grecs la notion du daenmon ou celle du héros. Rien ne prouve que cette transformation soit antérieure au temps de Cicéron ; pour Caton L9, les dieux Mânes sont encore les êtres indéterminée à qui la partie inférieure du mundus est consacrée; trois fois par an, dit-il, on faisait le simulacre de l'entr'ouvrir, afin que ces jours-là les mystères cachés de la religion des dieux Mânes fussent mis au jour. Les comiques, qui ont trouvé le moyen de parler du Genius, des Lares et des Pénates, n'ont jamais fait d'allusion au culte des Mânes u, et l'on MAN niaient un recueil spécial, liber mandatorum, divisé en chapitres (capo( ex mandatis) Au Bas-Empire, le liber rnandatorunl est l'un de insignes des principaux fonctionnaires de l'État : lorsqu'ils rendaient la justice, le liber inendatorutn était placé dans la salle d'audience à côté (le la colonne por tant l'image des empereurs «fi g. 4805). Comme à l'époque antérieure, les mandats spéciaux à chaque province ou 1571 -MAN division de l'Empire étaient conservés dans les archives de l'empereur. La figure 4806 représente le dépôt des Inandatorunz libri àla chancellerie impériale t, Emin mn CHO.