Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article NAVICULARIUS

NAVICULARIIJS. Naûxartpoç. GR CE. Le mot vauxltr,,poç apparaît dans les textes avec un triple sens. 11 désigne : 1° le propriétaire d'un navire, qui le loue à un armateur, c'est-à-dire à un entrepreneur qui le pourvoit de tout ce qui est nécessaire pour la navigation, et organise celleci en choisissant le capitaine. C'est dans ce sens qu'Hésyehius définit le vatixkgpoç : ô èmax6'crlç TnC rt),o(ou, et qu'Aristote, essayant de classer systématiquement les branches du grand commerce (igstipta), oppose la vauxa-gp(ce à la ',op'r lyin, c'est-à-dire le louage de vaisseaux au transpcrt de marchandises [MERCATGBA] 1 2° L'armateur d'un navire, que cet armateur en soit le propriétaire, ou qu'il en soit seulement le locataire 2. L'armateur fait métier de transporter des marchandises. En ce sens, le vaSx)s~poç est aussi woprrl; dç, la vauxar p(a se confond avec la tpopTrly(a. C'est l'acception la plus fréquente. 3° Le capitaine, préposé par l'armateur à l'administration et à la direction du navire '. Lorsque l'armateur ne remplit pas lui-même les fonctions de capitaine et ne voyage pas avec le navire, il se fait parfois remplacer par un surveillant(S(oitoç ou Stoicreudv T-?IV vaûv) t. Ainsi, dans le plaidoyer d'Androclès contre Laerite, nous voyons que, de deux associés pour l'armement d'un navire', un seul, Hyblésios, dirige le voyage comme vaux), poç a ; l'autre, Antipatros, est représenté par Hippias, qui accompagne Hyblésios comme surveillant'. L'armateur transporte souvent des marchandises qui lui appartiennent. Parménisque et Dionysodore, armateurs, vendent à Rhodes des blés qu'ils ont chargés sur leur propre navire'. Souvent aussi il transporte des marchandises appartenant à autrui : ainsi Hyblésios a sur son navire quatre-vingts amphores de vin de Cos et des salaisons qu'un cultivateur fait venir de Panticapée à Théodosie0, Le propriétaire des marchandises transportées n'est jamais désigné, comme tel, du nom de vXS4)eilpoç. L'opération de transport, envisagée par rapport à lui, rentre plutôt, semble-t-il, dans la branche d'affaires qu'Aristole appelle 71api6Taatç. La convention par laquelle l'armateur s'engage à transporter les marchandises d'autrui en un lieu donné est traitée comme une variété de louage 10. On la compare à la location d'une maison, et Pollux nous apprend" qu'on assimile anciennement le prix du transport (vauaov, fret) 12 à un loyer. De là une extension intéressante du sens du mot vauxarpoçf3. De même qu'on l'avait employé pour désigner un propriétaire de navire, un locataire de navire (armateur) et un préposé du propriétaire ou de l'armateur (capitaine), on l'emploie pour désigner un propriétaire de maison de rapport (auvotx(z) un principal locataire10, ou enfin un agent du propriétaire (ou du principal locataire) pour la perception des loyers et l'administration 16. La symétrie des deux séries d'acceptions se poursuit de bout en bout; et peutêtre y a-t-il là un indice démontrant l'antériorité de la location des navires par rapport à la location des immeubles. Vraisemblablement la convention de transport conclue entre l'armateur et son client peut être relatée par écrit. Mais nous n'avons pas de témoignage sur l'existence du connaissement en Grèce r'. Nous possédons quelques données, malheureusement un peu fragmentaires, sur le prix des frets. Biickh a réuni les principales d'entre elles 1S. Ces prix montent assez haut, du moins pour les marchandises. Pasion paie pour le compte de Timothée 1750 drachmes comme fret d'un chargement de bois précieux (vxnov Ttûv çunmv), don d'Amyntas, roi de Macédoine 19. Le traité conclu entre Athènes et Céos pour la réglementation du comrnerce du minium fixe le fret entre les deux places à une obole par talent (26 kilogrammes) 20. D'après Lucien, le grand cargo-boat Isis rapporte à ses armateurs au moins douze talents par an21. Par contre, le prix de transport des passagers est relativement très bas d'Égine au Pirée, il n'en coûte que deux oboles au temps de Platon22, quatre oboles au temps de Lucien23. Le passage d'un homme, avec famille et bagage, d'Égypte ou du Pont au Pirée, ne dépasse pas 2 drachmes 23. Rien ne permet de révoquer en doute la sincérité de ces chiffres et le contraste entre le fret des marchandises et le prix des passages reste difficilement explicable. L'armement d'un navire exige de gros capitaux ; en NAV 21 NAV outre, c'est une opération qui, si elle peut rapporter de beaux bénéfices, comporte un aléa considérable. Hésiode recommandait déjà à ses contemporains de ne pas confier tout leur bien au caprice de la mer'. De là l'usage fréquent d'emprunts à la grosse aventure [NAUTICUM FOENUS IIIERCATURA] 2 contractés par le vaux)Airipoç auprès d'un ou de plusieurs capitalistes 3 qui se trouvent ainsi associés aux risques de l'entreprise. La fréquence de cet usage explique pourquoi l'on trouve peut-être moins de sociétés d'armement chez les Grecs que chez les peuples commerçants modernes. Il en existe pourtant un certain nombre. Dans l'énumération des principaux types d'associations que contient la fameuse loi de Solon rapportée par Gaius 4, les sociétés d'armement sont sans doute visées, soit parmi les sociétés de gens de mer (vo -rat)', soit plutôt parmi les sociétés d'entreprise commerciale (sis n.râptav oix6 .evo;) ou parmi les sociétés de corsaires (itt) ):E(xv oiy4.Evot) G. Comme exemples d'associés, Aristote cite les navigateurs (7t arr,t';oEç) qui ToÛ GUU.pipaVTOç trouve aussi, dans les oeuvres des orateurs s ou dans les textes épigraphiques 3, quelques témoignages relatifs à des sociétés d'armements10. Conformément au droit commun en matière de sociétés, les profits et les pertes de l'armement se partagent proportionnellement à l'apport de chaque associé. Mais il faut croire que la répartition des pertes occasionne des tracas particuliers au vxii illpos gérant, car Diphile nous en montre un qui, submergé au milieu des contrats, se' débat pour établir à grand peine le compte de chaque intéressé". P. l1UVELIN. ROME. Le mot navicularius était écrit d'abord sous la forme nauclerus 12, simple transcription du grec vailx),ripoç, très vite tombée en désuétude ; Cécilius avait donné ce titre à l'une de ses comédies13. Dans son acception la plus générale, il désigne les entrepreneurs de transports qui font le commerce par voie d'eau, les propriétaires de navires et de barques; il a pour synonymes les expressions dom'ini naviuln14, exercitores navium f'. On le trouve avec ce sens dans les auteurs classiques, qui l'associent fréquemment au mot MERCATORES16; les deux termes navicularii et mercatores, ainsi que leurs équivalents grecs vxlz?poi zxl i1aaopot 47, embrassent tout l'ensemble des commerçants, transportant leurs marchandises les uns par eau, les autres par terre. On distingue les navicularii amnici ou nautae, bateliers des fleuves et des lacs, et les navicularii marini, armateurs de navires. Sous l'Empire ils sont tous organisés en collèges et orlt d'étroits rapports avec l'annone [ANNONA sionnement de Rome, plus tard aussi de Constantinople. Le nom de navicularii n'est appliqué qu'assez tard et assez rarement. à des bateliers. Il y avait à Emona sur le Savus, dans la Pannonie inférieure, un collegium naviculariorum t8, à Arilica sur le lacus Benacensis (lac de Garde), dans la Gaule transpadane, un collegium naviculariorum Arelicensium 19. Aurélien, au me siècle, en même temps qu'il instituait en Égypte de nouveaux navicularii .lViliaci ou bateliers du Nil, créa à Rome des navicularii amnici 20 ; il n'y a pas lieu sans doute de les distinguer des CAUDICARII ou codicarii, mariniers du Tibre, qui transportaient sur des chalands, caudicariae naves, d'Ostie à Rome les denrées de l'annone reçues et vérifiées par les MENsoREs 21 ; ces mariniers formaient un collège très important et très considéré, corpus splendidissimum 22 ; ils sont appelés quelquefois sur les inscriptions codicarii navicularii 23 ; Aurélien aura augmenté leur nombre : aux codicarii qui existaient déjà il ajouta les navicularii amnici, préposés au même office et jouissant des mêmes droits 2+. Une novelle de Valentinien III en 430, adressée au praefectus Urbi, règle leur condition juridique et rappelle leurs obligations n. D'autre part, une loi de l'année 364 donne aux bateliers du Tibre le nom de nautae Tiberin'i 2fi ; peutétre s'agit-il là de tous les propriétaires de barques, tandis que les termes de codicarii et de navicularii amnici concernaient seulement les mariniers de l'annone; la loi ordonne en effet à ceux qui possèdent un bateau sur le Tibre de se soumettre aux exigences du service public, onus rei publicae necessarium. Hors de Rome les bateliers des fleuves et des lacs sont dits presque toujours nautae, quelquefois scapharii, lyntrarii, ratiarii, patrons de barques ou de radeaux. A défaut de textes littéraires ou juridiques, nous les connaissons par les inscriptions 27. On les rencontre en Italie à Arilica, sur la rive nord du lac de Garde 28, à Riva sur le bord opposé du même lac 29, à Côme sur le lac de ce nom 32, à Atria sur le Tartarus 31, à Mantoue n, à Ravenne" ; en Dacie à Apulum sur le Marisus 34 ; en Mésie inférieure à Axiupolis33. En Espagne, à Hispalis (Séville) sur le Bétis, les scapharii 38 élèvent une statue à un adjutor praefecti annonaen; les mariniers des villes voisines de Canama, Oducia, Naeva portent le nom de lyntrarii 38. Les nautae sont nombreux surtout en Germanie et en Gaule, où la navigation intérieure fut de NAVTAARARIC M°S N NA.V 22 NAV bonne heure très active ; Strabon vantait l'admirable disposition du réseau fluvial de la Gaule, si propice aux communications'. On trouve des collèges de bateliers sur le Rhin près d'Ettlingen0, sur l'Aar à Aventicurn 3, sur le Neckar à Marbach t, sur le Main près de Mayence 5, sur la Moselle à Divodurum (Metz) 6, sur la Seine à Lutèce, où les nautae Parisiaci dès le règne de Tibère élèvent un autel à Jupiter sur la Loire$. Dans la Narbonnaise il existe des ratiarii sur le Rhône à Genève sur l'Isère à Vienne f0, des nautae sur la Durance à Ernaginum " et à Arles ", sur l'Ardèche et l'Ouvèze à Nîmes 13. La corporation la plus importante et la mieux connue est celle qui avait son siège à Lugdunum (Lyon), au confluent de la Saône et du Rhône, et qui faisait le commerce sur ces deux fleuves ; c'est le splendidissimum corpus nautarum Rhodanicorum et Aparicopain" , très florissant au Ile et au me siècle 15. Les mariniers de Lyon sont donc les nautae Rhodanici et Ararici" ; mais souvent les inscriptions nomment à part les nautae Rhodanici 11 et les nautae Ararici" ; elles établissent même une différence entre les nautae Rhodanici Rhodano navigantes 19 et les nautae Rhodanici Arare navigantes 20 ; ces désignations s'appliquent sans doute à autant de sections différentes du même collège. Les membres de cette corporation étaient de condition libre21 ; ils avaient pour patrons généralement de grands personnages 22, pour chef un praefectus 23, peut-être nommé par l'empereur. Peut-être le praefectus d'assis fluminis Rhodani, en résidence à Vienne ou à Arles, que cite la Notitia dignitatum au Ive siècle 24, était-il chargé de surveiller la flottille des nautae lyonnais. Ceuxci, comme tous les navicularii amnici, devaient contribuer à alimenter I'annone, qui dirigeait sur Rome les redevances en nature de toutes les provinces. Ils rendaient les plus grands services au commerce privé. Parfois ils exerçaient eux-mêmes un commerce et transportaient sur leurs embarcations leurs propres marchandises; plusieurs d'entre eux sont qualifiés de fabricants d'outres 25, charpentiers 26, marchands de blé 27, de vins28, de saumure29. Ils avaient des relations fréquentes et faciles avec les mariniers des fleuves voisins ; un même personnage nous est donné comme patron à la fois du collège des nautae Ararici, de celui des nautaeLigericiet de la corporation des Condeates et Arecarii ou Arcarii 30 qui avait également son siège à Lyon 31 et se composait aussi, selon toute vraisemblance, de nautae. Les marchandises étaient portées par voie de terre d'un fleuve à l'autre ; un bas-relief (fig. 5262) représentant une voiture attelée de deux chevaux et un homme qui décharge des ballots accompagne une inscription relative à un nauta Araricus 32. Les mariniers lyonnais étaient les intermédiaires obligés entre le littoral méditerranéen d'une part, les côtes de l'Océan et ta Germanie d'autre part; leur action s'étendait à toutes les cités du sud-est de la Gaule ; des inscrip tions les mentionnant ont été recueillies à Vienne", à Glanum", à Nimes, où quarante places d'honneur leur étaient réservées dans l'amphithéâtre 35, et jusqu'à Rome 36 Les navicularii marini recevaient des nautae les denrées que ceux-ci avaient amenées jusqu'à la côte et ils les conduisaient ensuite eux-mêmes d'un rivage à l'autre de la mer u. Leur histoire est liée à celle de l'annone; le rôle qu'ils jouaient dans le ravitaillement de Rome a décidé des transformations successives de leur condition. Sous la République, l'État affermait aux compagnies de publicains [PUBLICANI1 la perception et le transport de toutes les denrées nécessaires aux distributions faites dans la capitale 38 ; les navicularii opéraient pour le compte des publicains et sous leur direction 38. Auguste substitua le système de la régie à celui de l'adjudication : il établit à Rome un praefectus annonce et dans les provinces impériales des fonctionnaires spéciaux (procuratores et susceptores), chargés de recueillir et d'emmagasiner les redevances 4'; dès le début du ne siècle, supposet-on, le même régime fut étendu aux provinces sénatoriales ". Pour faire venir l'annone jusqu'en Italie l'État aurait pu créer pareillement une marine marchande officielle, composée de vaisseaux lui appartenant et commandée par ses agents; il jugea plus avantageux d'employer à son profit les navicularii, depuis longtemps habitués à ces transports. Entrant directement en relations avec eux, il supprimait du moins l'entremise coûteuse des sociétés financières. Les empereurs prodiguèrent aux armateurs les encouragements pour stimuler leur zèle et assurer la régularité des communications entre l'Italie et les régions d'où elle tirait sa subsistance. Claude accorda aux propriétaires de navires de commerce, naves marinae, naves mercaturae causa fabricatae, le droit de cité romaine pour les Latins, l'exemption de la loi Papia Poppaea pour les citoyens, le jus trium liberorum pour les femmes, si leurs vaisseaux, d'une capacité de 10000 modii au moins, apportaient pendant six ans du blé à Rome 42. Au temps NAY -23 ® N AV d'Hadrien les patrons des navires employés aux approvisionnements de Rome sont dispensés des fonctions municipales', dont il était difficile de concilier l'exercice avec la pratique de leur commerce. A la même époque Gaius nous assure que partout, à Rome et dans les provinces, les navicularii sont réunis en collèges, auxquels des sénatus-consultes et des constitutions impériales ont accordé l'autorisation légale 2 ; ces collèges devaient exister depuis quelque temps déjà; ils s'étaient formés apparemment à l'imitation des anciennes compagnies de publicains, avec lesquelles à l'origine les armateurs se trouvaient en rapports constants. On a peu de renseignements sur leur organisation au ne et au rie siècle Ils constituent alors des groupements spontanés et autonomes, que l'État connaît et approuve, tout en leur laissant une entière indépendance ; ils se recrutent euxmêmes ; on n'y admet pas seulement les navicularii dontl'annone utilise les bons offices 4, qui reçoivent d'elle une indemnité (vecturae naviculariis exsolvendae °) et qui jouissent de privilèges étendus tant qu'ils sont à sa solde ° ; on y accueille aussi ceux qui naviguent pour leur compte, sans participer aux mêmes faveurs. D'ailleurs l'État pour ses fournitures ne traite pas avec les collèges, mais avec tels ou tels de leurs membres en particulier, à titre privé. Les navicularii, en résumé, sont des entrepreneurs de transports auxquels l'annone a recours; ce ne sont pas des fonctionnaires. Peu à peu cependant, la situation se modifie. Septime-Sévère et Caracalla règlent de nouveau les privilèges des armateurs, qui s'accroissent et se précisent 7; le jurisconsulte Callistrate observe à ce propos que les navicularii sont investis d'un inunus publicum; les avantages exceptionnels qu'on leur accorde s'expliquent par les charges qu'ils doivent remplir 8. A partir du règne de Dioclétien ils sont tous au service de l'État; leur profession n'est plus libre. Le code Théodosien décrit longuement la condition juridique qui leur est faite au ive siècle °. Ils ont des devoirs nombreux et précis '° : ils sont tenus d'effectuer les transports publics et de charger sur leurs vaisseaux le blé, l'huile, le bois, l'argent des impôts destinés à Rome et à Constantinople; ils sont obligés de mettre des navires à la disposition de la poste impériale [cuasus ruBLIcusl; l'État ne négocie plus avec eux individuellement ; il se borne à dicter ses volontés aux collèges, dont les membres n'ont aucune indépendance ; il n'y a plus de marchés passés ; les armateurs sont devenus de véritables fonctionnaires; ils n'ont qu'à exécuter les ordres qu'on leur donne. La loi les déclare responsables des denrées qu'ils conduisent, leur ordonne de prendre le chemin le plus court et de ne pas s'arrêter trop longtemps dans un port sans motif, punit très sévèrement, et même de mort dans certains cas, les retards, les détournements et les fraudes ; elle prescrit qu'après un naufrage on procède à une enquête sévère, en mettant au besoin la moitié de l'équipage à la torture [aAUrnAGruM]. Enfin la profession d'entrepreneur de transports maritimes, comme toutes les autres sous le Bas-Empire, devient obligatoire et héréditaire ; le fils d'un armateur ne peu se soustraire au métier de son père ; sa personne et ses biens demeurent à jamais liés à la corporation ; celle-ci passe même avant le fisc pour les successions vacantes de ses membres [BONA VACANTIA]. En revanche, les immunités, elles aussi, sont perpétuelles et héréditaires ". De tous les collèges ceux des navicularii ont été dès le début les mieux vus du pouvoir et les plus favorisés ; il en est encore ainsi aux derniers temps. Dans l'intervalle des traversées que l'annone leur demande, les armateurs peuvent faire eux, mêmes le commerce à leur bénéfice, ils ne paient alors aucun droit de douane 12. Ils sont exemptés en tout temps des fonctions municipales, si absorbantes et si onéreuses, des charges fiscales, de la tutelle, du service militaire ; nous n'avons pas d'autre exemple de la concession de tous ces privilèges à la fois aux mêmes individus r.coLLEGICMI. Ils touchent une somme fixe proportionnelle à la quantité des marchandises qu'ils transportent et prélèvent en outre sur elles un tant pour cent qui varie avec la nature des denrées et la longueur du trajet parcouru : les navicularii d'Orient, par exemple, recevaient, à l'exemple de la flotte alexandrine nous dit-on, un solides d'or par mille modii et, de plus, quatre pour cent du blé u, les navicularii d'Afrique un pour cent'''. Quelquefois les provinciaux sont astreints à leur fournir gratuitement le bois dont ils ont besoin pour construire ou réparer leurs vaisseaux 'h. Constantin, afin de relever la situation des armateurs dans la société romaine à laquelle ils étaient si nécessaires, leur donna à tous la dignité équestre, que ,Julien, Gratien et Théodore leur confirmèrent" Il convient de grouper les collèges de navicularii en deux catégories ; les uns étaient purement municipaux, formés dans les villes maritimes de l'Italie et des provinces pour faire le cabotage le long des côtes ; ils dépendaient de l'annone, qu'ils approvisionnaient, comme les nautae, mais ils n'envoyaient pas directement leurs navires jusqu'à Rome et à Constantinople; les autres, en petit nombre et très influents, avaient pour mission spéciale de centraliser toutes les denrées nécessaires aux deux capitales et de les y conduire. En Italie une inscription mentionne dès le temps d'Auguste les Ostienses naviculariei17 ; ce devaient être des bateliers du littoral ; les navicularii lignarii, que nomme une autre inscription d'Ostie 78, étaient préposés spécialement au transport des bois ; on doit citer aussi les navicularii Tarracinenses u, le corpus naviculariorum maris Igadriatici20, le collegium naviculariorum coloniae Pisaurensis 21, les vaux)c pot de Messine 22. En Illyrie, à Salone, paraît un nauclerus isolé, affilié à un collège de Sérapis ~'. En Gaule, sans parler des ncivicularii marini qu'on rencontre à Lyon 2'. et à Narbonne 2s, Arles possédait une corporation très importante, divisée en cinq sectifns, naviculariorum marinorum Arelatensium corpora quinque 26 ; au ne siècle elle a parmi ses patrons un procura/or Augustorum ad annonam pro NAV 24t• NAV vinciae Narbonensis et Liguriae' ; une tablette de bronze, récemment découverte dans le Liban, près de Daïr-el-Garnar, contient la copie d'une lettre écrite sous Septime-Sévère et Caracalla par le préfet de l'annone Julianus à un procurateur impérial au sujet de plaintes que lui avaient adressées les armateurs d'Arles 2. En Orient les vaûrkr,pot de Tomes (Mésie)3, ceux de Smyrne ou d'Ephèse les vauapy7ja'avrEç d'Arados (Phénicie) faisaient le commerce maritime, les premiers dans le PontEuxin, les autres dans la Méditerranée. Bien plus importants étaient les collèges qui apportaient à Rome et à Constantinople les denrées en nature que fournissait l'annone, les ANABOLICAE S ECIES ; on donnait quelquefois à cette catégorie de navicularii le nom particulier d'anabolicarii 6 ou decatabolenses 7.Chacune des deux capitales, de même que chacune des provinces frumentaires, avait sa corporation spéciale d'armateurs. Celle de Rome est citée déjà par Gaius au temps des Antonins 8; une inscription du ne siècle une autre du Ive f °, plusieurs lois du code Théodosien 1f, une novelle de Valentinienl2 la concernent. Celle de Constantinople fut organisée par Constantin même sous le nom de corpus, coetus, consortium ou collegium naviculariorum ou navarchorum Orientis 93; elle possédait plusieurs flottes, urbis Constantinopolis classes 14, dont l'une avait Carpathos pour port d'attache '5. La Sicile avait cessé sous l'Empire d'être l'un des greniers principaux de l'Italie; les voté) x)u1poi de Messine ne s'occupaient, semble-t-il, que du cabotage. La Sardaigne continua plus longtemps à envoyer ses blés à la métropole ; une inscription d'Ostie, au ne siècle, associe la mention des domini navium Sardorum (pour Sarda•rurn) à celle des domini navium Afrarum 10 ; Prudence parle encore de la flotte qui amène les grains sardes'-. En Espagne, au ne siècle, un adjutor du préfet de l'annone surveille et paie le transport par les navicularii des huiles et blés recueillis dans la péninsule ou provenant d'Afrique en transit f 8 ; les navicularii Hispaniarum sont visés par deux lois du code Théodosien 19. Mais c'est d'Afrique et d'Égypte qu'arrivait la majeure partie des anabolicae species ; c'est là surtout que les corporations d'armateurs étaient fortement organisées. Sous le HautEmpire, au temps des Flaviens, l'Afrique fournissait à Rome les deux tiers du blé qu'elle consommait et l'Égypte un tiers20; sous le Bas-Empire, en règle générale, la première alimentait Rome et la seconde Constantinople. La classis Alexandrina est la première mentionnée dans les textes [etAssis], sous les règnes d'Auguste, de Caligula, de Claude2f. Plus tard, à Ostie, les vaé0171pot 'rot Commode 22; une inscription du m° siècle nous fait connaître un i zta.E),-tr-'t)ç de cette flotte93 ; plusieurs lois du code Théodosien et des recueils de Justinien concernent la classis Alexandrins et les navicularii d'Égypte 24 ; les auteurs chrétiens de basse époque rappellent encore assez fréquemment l'existence du voA ;xov d'Alexandrie"; au vue siècle la communauté chrétienne de cette ville a ses vanxÀ11pot particuliers, héritiers du nom et du rôle local de ceux des temps antérieurs -6. Dès le le siècle les domini navium Carthaginensium ex Africa 2', puis les domini navium Afrarum universarum28, sans former encore un collège, interviennent collectivement à Ostie pour élever des monuments honorifiques. La création officielle d'une classis africana est attribuée par Lampride à Commode 29. Il est question dans Tertullien 36 et dans Symmaque 31 du collège des navicularii en Afrique. Deux anciens catabolenses figurent peut-être sur l'album des décurions de Timgad32. Des inscriptions de Botria33 et de Néapolis (en Proconsulaire)" donnent les noms de plusieurs navicularii et lransvecturarii. Il faut remarquer que jamais les documents juridiques du Bas-Empire relatifs aux armateurs d'Espagne, d'Afrique ou d'Égypte n'emploient à la fois l'expression de corpus naviculariorum et une indication déterminée de province" ; les princes paraissent alors considérer les navicularii provinciaux au service de l'annone comme ne formant qu'une seule corporation ; ils ont, suivant les régions, des attributions diverses, mais ils collaborent tous à la même tâche. Rien ne marque mieux le caractère qu'ont pris leurs collèges depuis le début du ive siècle. Les entrepreneurs de transports maritimes ne sont plus, comme sous la République et le Haut-Empire, de libres négociants que l'annone emploie occasionnellement; ils remplissent, sous certaines conditions très strictes et moyennan t d'avantageux privilèges, une fonction publique ; l'État désormais absorbe toutes les forces vives du monde romain. MAURICE BEBNIER.