Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article AMULETUM

AMULETUM. Nous réunirons et nous classerons sous ce titre, en renvoyant pour les plus importants à des articles spéciaux, les objets extrêmement variés auxquels les anciens attribuaient le pouvoir de préserver soit des maladies, soit des maléfices, et en général de détourner toute influence maligne des personnes ou des choses auxquelles ils étaient attachés : tel est, en effet, le sens précis du mot amuletum 1, venu d'Orient, vraisemblablement vers les premiers temps de l'empire romain, et de ses équivalents plus anciens vepia;a.ua, rcepixvrov, ligatura, alligatura, tous indiquant l'idée d'attache. D'autres noms qui viennent de la forme propre à certains amulettes, de la matière dont ils étaient faits, ou de la vertu qu'on leur supposait, seront expliqués dans la suite. Pline dit avec raison 2 que l'usage des amulettes est, aussi bien que la pratique des enchantements, né de la médecine : l'un et l'autre ont leur origine dans la superstition qui attribuait à des puissances occultes des maux dont on ne pouvait démêler les causes véritables. Sans nous arrêter sur 1 emploi que la médecine faisait des amulettes, nous devons dire qu'ils étaient compris parmi les nombreux remèdes auxquels elle avait recours d'une manière purement empirique, soit pour soulager les maux physiques ((ior,04.oeta), soit pour les prévenir (99a)axT'tipta, 7tpopu).axTCxà), et qu'on appelait tous d'un nom commun physica ((puatzé) 3. Plus les causes des maux qu'on éprouvait étaient inconnues, plus on était enclin à les attribuer à des influences surnaturelles. La superstition de ce qu'on appelle encore aujourd'hui en certains pays le mauvais oeil, la croyance à la fascination [FASCINU3l], était surtout universellement répandue. On croyait se garantir de ces influences au moyen des amulettes. C'étaient ou des substances naturelles, ou des objets présentant certains signes ou figures dans lesquels on faisait résider leur efficacité , ou bien même ils devaient, croyait-on, leur merveilleuse puissance tout à la fois à leurs propriétés naturelles et à leurs formes symboliques. 1. Pierres, plantes, animaux ou parties d'animaux servant d'amulettes. Il n'y avait pas d'amulettes auxquels on eût une foi plus générale que certaines pierres, les unes précieuses ou rares, les autres n'ayant de valeur que par les images ou les caractères qui s'y voyaient. Il est à remarquer que la plupart venaient d'Orient, comme l'emploi superstitieux qui en était fait. C'est ce qu'on peut induire aussi des auteurs anciens qui ont écrit sur ce sujet. Quelque date qu'on assigne au poéme orphique sur les pierres (AiOixâ), où sont célébrées leurs vertus mystérieuses, il est facile de voir ` que l'auteur avait eu des prédécesseurs, et qu'il était un adepte de la magie orientale. Pline, qui avait sous les yeux un grand nombre d'ouvrages antérieurs, quand il écrivait sur les pierres son xxxvne livre, indique aussi cette source 5 ; il nomme eZachalias de Babylone, qui avait dédié à Mithridate un livre dans lequel il attribuait aux pierres précieuses une action sur la destinée des hommes. Les esprits les plus éclairés paraissent avoir partagé la croyance du vulgaire à l'efficacité merveilleuse de certaines pierres dans des cas prévus 7. Nous citerons seulement quelques exemples. L'agate, très-estimée dans la haute antiquité «plus tard elle le fut moins), passait pour un préservatif contre les piqûres des araignées et des scorpions; on croyait aussi qu'elle détournait les tempêtes et le tonnerre 3. Toutes les agates ne possédaient pas ces qualités : on les éprouvait en les jetant clans l'eau bouillante; si elles la refroidissaient, on pouvait avoir confiance, à la condition de les attacher avec des crins de lion. On doit écarter, ajoute Pline, les agates qui ressemblent à la peau de l'hyène : elles jettent la discorde dans les familles ; celles qui n'ont qu'une couleur rendent les athlètes invincibles. Placée entre les cornes ou sur les épaules des boeufs attelés à la charrue, l'agate attire sur le champ labouré la fertilité". Le diamant est un antidote, il chasse la mélancolie, calme les affections de l'âme, dissipe les craintes mal fondées ; de là vient qu'on lui donne aussi le nom d'anachites (etvaxiTtlc)'t Le jaspe qui ressemble à l'émeraude et qui a dans son centre une ligne blanche transversale, est recommandé à ceux qui ont quelque harangue à prononcer 12 ; il peut aussi neutraliser l'effet des breuvages composés avec des herbes enchantées. Le jaspe qui a la couleur de la verdure printanière attire sur les champs desséchés la pluie bienfaisante 13. Les dieux ne résistent pas aux prières de celui qui se présente dans leurs temples en tenant dans sa main un cristal limpide 14, Les magiciens affirmaient que l'améthyste empêche l'ivresse (circonstance d'où lui vint son nom) ; ils ajoutaient que si l'on grave sur ces pierres le nom du Soleil ou de la Lune et qu'on les porte comme amulettes, elles préviennent les empoisonnements, procurent un accès favorable auprès des princes, enfin qu'elles doivent détourner la grêle et les sauterelles, pourvu qu'on récite une certaine prière dont ils donnaient la formule 15 L'antipathis sert de spécifique contre la fascination u ; d'après Ctésias 17, il guérit les lépreux. La chalcophane est recommandée aux acteurs tragiques 12. La chéloïde ou oeil de tortue, si on la tient sur la langue, fait connaître l'avenir pendant un jour entier 19. L'héliotrope, portée en amulette et combinée avec certains charmes, rend invisible 20. L'hématite sert à faire découvrir les embûches, guérit les maladies des yeux et du foie, fait gagner les procès. Etc. 21 D'autres pierres n'ont de valeur que parce qu'elles se trouvent dans certains endroits, comme la céraunie, recherchée des magiciens, qu'orne rencontre, disaient-ils, que dans les endroits frappés de la foudre 22 ; d'autres, parce qu'on les tire du corps de certains animaux. D'après Apollonius de Tyane 23, la prunelle de l'oeil du dragon est une AMU 25'3 AMU pierre étincelante à laquelle sont attribuées plusieurs vertus secrètes ; des pierres de toutes couleurs, qui se trouvent, disait-on, dans la tête du même animal, servaient aussi de talismans. Philostrate 2" compare leurs propriétés merveilleuses à celles du fameux anneau de Gygès. Milon de Crotone n se rendit invincible en portant une pierre trouvée dans le gésier d'un chapon. Celles que l'on découvre dans le corps d'une biche pleine entretiennent la santé des femmes enceintes qui les portent comme amulettes P6. Une petite pierre prise dans un nid d'hirondelle guérit les épileptiques 27. Le corail (curalium, roup)tov) et l'ambre (succinum), qui passaient aussi pour des minéraux, doivent être mentionnés à la suite des précédents. Les vertus phylactériques du corail étaient incontestées. Solin dit E8, d'après Zoroastre, que sa vertu est telle, que tout ce qu'on fait en cette matière a par cela seul une action salutaire. Une branche de corail suspendue au cou d'un enfant, est pour lui un sûr préservatif (tutela) 29 Elle écarte d'une maison toute mauvaise influence 30 ; elle résiste aux typhons et à la foudre. Une espèce particulière de corail, la gorgonie, calme les vagues de la mer et détourne la foudre 3I. En Orient, le corail était à la fois un objet de religion et de luxe 32, Aujourd'hui encore, l'usage des amulettes en corail est répandu en Italie et dans d'autres pays. Pour l'ambre, Pline n indique divers emplois qu'on en faisait en médecine et remarque que les femmes des bords du Pô, où on le recueillit d'abord, portaient des colliers d'ambre, nonseulement pour se parer, mais aussi comme préservatif contre les maladies. On en faisait porter en amulettes aux petits enfants 3". Les métaux passaient pour avoir par eux-mêmes une vertu phylactérique, et particulièrement l'or 3J. Le fer avait aussi des propriétés magiques: en traçant sur la terre des cercles avec un instrument de ce métal, ou en les figurant en l'air par trois fois autour d'un enfant, on détournait de lui tout maléfice 30, La famille Servilia croyait sa fortune étroitement liée à un triens de cuivre 94 : elle s'élevait ou s'abaissait suivant les proportions que prenait la pièce de monnaie : aussi lui rendait-elle un culte et l'honorait-elle par des sacrifices. Les plantes n'étaient pas employées seulement dans la médecine ou pour la composition des philtres, il y en avait qui étaient de véritables amulettes 38. Déjà dans Homère 39, la plante que le poète appelle µval, préserve Ulysse des enchantements de Circé. L'aubépine, le laurier, le nerprun, pour ne citer que ces exemples, ou des branches de ces arbustes, étaient placés devant la porte des temples ou des habitations n afin de neutraliser les influences malignes. Il y avait des gens superstitieux qui ne sortaient pas sans mettre du laurier dans leur bouche 41. D'après Apion 42, la plante appelée cynocéphalie était souveraine contre tous les maléfices. La fleur de l'ellébore était particulièrement réputée comme un remède contre les maladies incurables n. Elle devait rendre l'esprit plus actif et plus libre, développer la sagacité ; avant d'écrire un de ses ouvrages, Carnéade se purgea avec de l'ellébore "". Si on le répand en prononçant des paroles consacrées, écrit Pline "', on purifie le bétail. On l'employait aussi contre la rage et contre l'épilepsie 46; mais il fallait observer rigoureusement certains rites en le cueillant "'. Les animaux renferment dans leur corps, au dire des anciens, de nombreuses et remarquables propriétés talismaniques. Les paysans clouaient à des arbres, dans leurs champs ou à l'entrée de leurs maisons, la tête ou un membre de certains d'entre eux 48. L'hyène est un des animaux dont les magiciens racontaient le plus de merveilles; nous ne citerons que quelques faits. Si un guerrier attache àson bras une dent d'hyène, jamais les traits qu'il lancera ne manqueront le but ; portée au cou à l'aide d'un ruban de fil, elle préservera des frayeurs nocturnes et des terreurs qu'inspirent les ombres. Certaines parties du corps de cet animal suspendues au cou d'une femme grosse la garantissent d'une fausse couche. Ses nerfs ou son oeil font renaître la fécondité éteinte par quelque maléfice ; ses excréments préservent des sortiléges et de la fascination ; sa moelle épinière portée en amulette calme le délire des malades ; son rectum est une sauvegarde contre les injustices des hommes puissants, fait aboutir les pétitions, tourner les jugements à notre avantage, et gagner les procès n, Les anciens accordaient au loup une grande puissance contre les enchantements ; sa chair est pour les femmes en couches un préservatif contre la fascination "0Sextus Platonieus '1 énumère longuement les propriétés magiques de la graisse de cet animal ; elle chasse les ombres et les fantômes. Sa face rend les maléfices sans effet, aussi l'attachait-on aux portes des maisons de campagne 32. Le fiel de la chèvre placé sur les yeux ou sous l'oreiller d'un malade tient lieu de narcotique 53; il préserve des maléfices qu'on obtient à l'aide de la belette des champs'". Les excréments de cet animal enfermés dans un sachet et portés comme amulette par les enfants calment leur impatience ". Le fiel d'un chien noir mâle est un préservatif contre toutes sortes de maléfices; une maison est purifiée par son parfum 56.On faisait des amulettes avec les oreilles d'un rat enveloppées dans une étoffe de couleur rose" ; le foie du rat était aussi d'un grand secours contre les maléfices 88.On attribuait aux cornes de l'onagre cornu des propriétés merveilleusesS9: il suffit d'avoir bu dans une de ces cornes, pour être pendant tout le jour à l'abri des maladies, pour ne pas souffrir d'une blessure, pour traverser impunément le feu, pour n'avoir rien à craindre des poisons les glus violents, etc.-En portant comme amulette un talon de porc, on peut à son gré exciter la discorde 60. Une langue de renard suspendue au cou dans un bracelet AMU 254 AMU guérit le mal des yeux n. La chauve-souris et le hibou sont de mauvais augure ; s'ils entrent dans une maison, on doit s'empresser de les saisir et de les clouer sur la porte pour éloigner tout danger 6R. La tête desséchée d'une chauve-souris portée en amulette dissipe le sommeil ; après l'accomplissement de quelques formalités, elle préserve une bergerie de tout maléfice u. Les excréments des moineaux et des corbeaux portés dans un sachet et attachés au cou guérissent les maux de dents u. Les guêpes, les chenilles, Ies limaçons, les cloportes, les araignées, les fourmis, etc., servaient d'amulettes pour les fièvres 65. On racontait bien des merveilles sur un tout petit poisson que Pline n nomme échénéis. Il calme les vents et la tempête, il tient immobile un navire sur les flots furieux ; les auteurs grecs ne tarissent pas sur ses propriétés. Porté en amulette par une femme grosse, il la garantit des fausses couches et la soulage dans les douleurs de l'enfantement, etc. II peut rendre momentanément impuissant "7. Le même amulette avait un grand succès auprès des plaideurs, qui lui attribuaient le pouvoir d'arrêter les procès et de suspendre Ies jugements. Pline ajoute 66 qu'il compense tous les maléfices pour lesquels on l'emploie, en arrêtant les pertes des femmes enceintes et en faisant venir les enfants à terme, -L'anguinum ou oeuf de serpent avait le privilége de faire gagner les procès. L'empereur Claude se plut à démontrer d'une façon cruelle l'inanité de ce talisman : ayant appris qu'un chevalier romain toujours en procès en portait un sur lui, il le fit mettre à mort n.La langue du caméléon préserve des dangers de l'accouchement, et son cour, des fièvres quartes ; la patte droite attachée au bras gauche avec une lanière de peau d'hyène garantit des vols et des frayeurs nocturnes. Des pastilles faites avec la patte gauche et portées dans une boîte en bois rendent invisible. Au moyen de l'épaule gauche, on provoque des rêves délicieux; avec l'épaule droite on terrasse ses ennemis. Enfin la queue de cet animal arrête la prolixité des écrivains; sur quoi Pline regrette, non sans quelque raison, que cet amulette n'ait pas opéré sur Démocrite, lorsqu'il racontait les mille merveilles du caméléon 70. Les dents avaient une place importante dans les prescriptions de la médecine empirique. On attribuait à la première dent qui tombe à un enfant des vertus singulières, pourvu qu'elle n'eût point touché terre: enchâssée dans un bracelet et portée continuellement au bras, elle préservera des maux de la matrice n, Sextus Platonicus 72 lui accorde le pouvoir d'empêcher les femmes de concevoir, lorsqu'elle est enchâssée dans un chaton d'or ou d'argent'', Une dent de loup portée comme amulette par les enfants les empêche d'avoir peur et les garantit des souffrances de la dentition" ; attachée au cou d'un cheval, elle le rend infatigable à la course 75. On trouva en Crimée, en 1865, sous un tumulus, les restes de cinq chevaux dont les tètes étaient en partie ornées de plaquettes d'or ou d'argent, en partie de défenses de sanglier perforées 78 ; les dents du même animal servaient souvent d'amulettes; percées d'outre en outre, on les portait suspendues au cou. Les dents des taupes n, celles des serpents, les premières dents qui tombent aux jeunes chevaux recevaient la même destination et s'employaient pour tout ce qui concerne la dentition 7A. D'autres parties de certains animaux étaient appliquées aux maladies des parties analogues du corps humain, par exemple les nerfs, les jambes d'un vautour, d'un onagre, les osselets d'un lièvre, etc., attachés à la jambe ou au pied. On attribuait des effets semblables à quelques produits de l'organisme humain : les calculs bilieux, par exemple, pouvaient guérir les maladies du foie 80. Pline parle avec de longs développements 81 des prodigieux effets dus à l'état pathologique des femmes à des moments déterminés. On croyait à l'efficacité de certaines reliques des personnes qui avaient péri par accident ou dans les supplices "$. Les cheveux d'un pendu guérissent les fièvres, et la corde de pendu les maux de tête 83. Un clou ou un morceau de bois arraché d'un gibet et enveloppé de laine arrête la fièvre quarte 84. Pline énumère n les maladies qui sont guéries ou calmées par le traitement du sang des gladiateurs, telles que la goutte, les écrouelles, les furoncles, les érésipèles, l'épilepsie, etc. Un fil imbibé de ce sang et porté dans un bracelet d'argent est un remède contre l'hydrophobie et les fièvres. Il y avait aussi de nombreux talismans 88 employés soit pour exciter, soit pour réprimer l'ardeur des désirs amoureux, et pour rompre les enchantements dont les amants croyaient être victimes. II. Objets artificiels portés en amulettes. Nous avons énuméré jusqu'à présent les diverses sortes d'amulettes, en ne tenant compte que de leur nature et de la matière dont ils étaient faits, indépendamment de la manière de les porter, de la forme qui leur était donnée, des images ou des signes qu'on y ajoutait et auxquels on attachait une plus grande importance encore. C'est surtout sous forme de bijoux et d'ornements de toute espèce que les pierres et les métaux précieux, l'ambre et le corail servaient d'amulettes. On peut affirmer, d'après les textes et d'après l'examen des objets mêmes qui ont été conservés, qu'une très-grande partie des bijoux antiques ont été faits et portés dans une pensée superstitieuse. Il y avait des manières très-variées de les porter : suspendus au cou ou sur la poitrine (fig. 300 et 302) B7, soit comme un pendentif isolé, soit en collier, et sous cette forme quelquefois rassemblés en grand nombre (voyez p. 257, fig. 310); ou bien passés en AMU 255 AMU ceinture ou en écharpe autour du corps(fig.301,302)88; ou en bagues [ANULUS], en bracelets [ARMILLA], en boucles d'oreilles [INAunts]; placés à l'extrémité d'une aiguille de tête [ACUS]; cousus sur les vêtements [HRACTEAE], etc.: c'est ce qu'on pourra voir par quelques-uns des exemples figurés dans les articles spéciaux relatifs à chaque sorte de bijoux. Des amulettes qui n'eussent pas pu facilement être portés en parure ( telles sont beaucoup des substances naturelles dont il a été parlé plus haut) étaient enfermés dans des sachets ou dans les capsules d'or ou de cuir appelées bulles, dont l'usage fut si général surtout en Italie. II en sera parlé ailleurs avec développement [sULLA]. Disons seulement ici que les bulles se portaient (fi g. 300, 302) suspendues au cou, au bras ou sur la poitrine, souvent attachées à un collier ou à un bracelet, et qu'elles contenaient aussi sans doute des phylactères, des recettes, des formules (phylacteria, remedia, praebia) 89, comme on en a trouvé, en effet, dans quelques-unes de celles qui ont été conservées : par exemple, dans une bulle qui est actuellement au Louvre, une feuille d'argent où sont gravées des conjurations contre les démons et les maléfices 90. On a constaté m que les recettes écrites sur parchemin (breve) étaient rares et que l'usage général était de les graver sur une matière plus durable les laminae argenteae et les laminae aureae sont spécialement recommandées par Marcellus Empiricus 92 Les formules éphésiennes (Ephesiae litteTae, 'Ei ata ypâµp.a-ca) méritent une mention spéciale, à cause de la renommée dont elles jouirent et qui y fit recourir contre toutes sortes de maux et de sortiléges, même par des Grecs, quoique leur teneur fasse reconnaître leur origine barbare 93. On voit (fig. 303) le dessin, réduit au quart, d'une plaque, non de métal, mais de terre cuite, conservée dans la collection publique de Syracuse 9L. A part quelques mots, l'inscription qu'elle porte est restée inintelligible; mais les premiers mots paraissent être APTEM. $AOX IEPON, et dans la divinité figurée au centre on reconnaît avec certitude l'Artémis d'Éphèse. Cette plaque est vraisemblablement un amulette fabriqué à Éphèse et rapporté par un pieux habitant de Syracuse pour être suspendu dans sa maison comme un préservatif contre tout malheur. Elle est encore remarquable parce qu'elle n'appartient pas, comme la plupart des objets qui se rapportent à ces superstitions, à une époque avancée de l'empire romain; mais, d'après la forme des caractères et la manière dont la figure est traitée, elle peut être attribuée au ne siècle av. J.-C. A côté des bulles il faut placer les disques et les croissants (aE vta, pr,v(axot, LUNULAE) 9a; puis d'autres petits objets 96, d'apparence très-variée, semblables à des jouets (fig. 301), que les parents ou les nourrices mettaient au cou des enfants dans l'intention de détourner d'eux tout malheur Les phalères [PHALERAE], aussi bien celles qui étaient placées sur une armure comme décoration militaire, que celles qui servaient d'ornement au harnais des chevaux, doivent être comptées parmi les amulettes ; car orales choisissait dans la même intention. Les pierres, l'ambre, le corail, les métaux portés comme talismans présentaient ordinairement quelque figure symbolique, ou bien l'on y voyait gravés des caractères, des nombres, des formules empruntés pour la plupart à la magie et à l'astrologie orientales [cHALDAEI, MAGIA]. Nous n'avons pas à en parler ici ; il suffit de rappeler qu'on rencontre surtout de pareils signes sur des bagues 97 (iexTGÀtot, (puatxol, papµaxêcat, veval sp.é ot) tels sont les AHRAXAS des gnostiques, et les pierres qui portent des noms mystérieux comme celui d'abracadabra 99, qui se lit en tous sens. Si nous passons de ces signes et de ces formules aux images symboliques auxquelles on attribuait de pareils vertus, nous devons donner la première place aux figures de divinités, portées en amulettes comme des gages d'une protection spéciale : c'est ainsi que Sylla99 portait toujours dans son sein une figurine d'Apollon.Les images des dieux le plus souvent invoquées comme détournant les maux (âotoTp67tatot, âad)c(xaxot, averrunci), furent sans doute ordinairement préférées; mais celles qu'on rencontre en plus grande abondance, et qui sont aussi le plus fréquemment nommées par les auteurs et les inscriptions, sont celles de dieux étrangers dont le culte ne fut introduit que tard dans le monde grec et romain, tels que Diane d'Éphèse, Mithras, Isis, Anubis, et surtout Sérapis et Harpocrate ; ce dernier, devenu pour les Romains le dieu du silence, devait sans doute préserver contre toute parole imprudente qui eût pu attirer le mauvais sort to0. La même considération a pu faire adopter comme amulettes de petites figures dont quelques-unes ont été prises à tort pour des images de la déesse ANGERONA : elles représentent une femme tantôt nue, tantôt vêtue (fig. 304, 30è), qui porte une main à sa bouche, l'autre derrière elle, comme pour « marquer, AMU 256 AMU a dit justement Letronne loi, les deux orifices d'où le bruit peut sortir et rompre le silence o, et l'on sait qu'il ne pouvait être troublé, en beaucoup de cir-. constances, sans fâcheux présage. Quelquefois une main est pendante. L'anse placée der rière le dos de quelques-unes (fig. 304) ne laisse pas douter qu'elles n'aient été suspendues comme amu lettes. On possède aussi des figures d'homme dans la même attitude'" et d'autres ayant une double tête présentant d'un côté une face humaine, de l'autre celle d'un lion 103 Les Hermès et les images d'Apollon Agyieus, de Priape, d'Hécate et d'autres dieux, placés devant les maisons et les temples, comme de véritables to'rpo7tatz, doivent être au moins rappelés ici 10`'. Il était naturel que l'on pensât à réunir autour d'une divinité préférée les emblèmes de plusieurs autres, dont on espérait s'assurer également le secours. On a appelé panthées [PANTUI4A SIGNA] ces figures où l'on voit groupés autour de l'image d'Harpocrate, de la Fortune, de Vénus, de l'Amour, de Minerve, etc , toutes sortes d'attributs appartenant à des cultes différents; les mains et les pieds votifs, chargés de même d'attributs de dieux ou d'animaux symboliques, doivent pour la plupart se ranger à la suite des figures panthées, quand elles ne sont pas le signe d'un voeu, d'une prière ou d'une imprécation [VOTUM, PANTUEA SIGNA]. Quelquefois ces attributs seuls, sans les figures des divinités, sont rassemblés sur un amulette, comme par exemple on le voit sur une plaque de terre cuite (fig. 306) qui paraît avoir été autrefois munie d'un manche ou fixée sur un support f0' ; de même, sur des lampes de terre ou de bronze, ou sur divers objets mobiliers te6, où ils sont mêlés à d'autres symboles, pour lesquels il faut chercher une interprétation différente. Ce sont des images d'animaux réels ou d'êtres fantastiques, des figures monstrueuses ou risibles et souvent obscènes. La représentation de certains animaux peut avoir été, dans bien des cas, destinée à rappeler les divinités secourables dont ils sont des acolytes, comme le cerf qui appartient à Diane et le cygne à Apollon ; ou bien le choix qui en a été fait s'explique par la vertu phylactérique que la superstition faisait résider dans les êtres mêmes dont ils offrent l'image, ainsi qu'on l'a vu plus haut, et il en est de même des plantes auxquelles on attribuait une pareille efficacité : nous citerons en exemple une feuille d'or qui devait être cousue sur un vê tement et qui représente une fleur d'ellébore (fig. 307), ouvrage grec trouvé dans un tombeau de la Russie méridionale 10'. Mais les autres ont une origine différente, et l'on ne peut y voir que des amulettes contre le mauvais oeil et la fascination. Nous renvoyons, pour tout ce qui se rapporte à cette supersti tion si répandue dans le monde antique, à un article spé• Les préservatifs les plus usités contre ce genre de maléfices ont en général leur explication dans la nécessité de rompre le charme qu'exerce le regard fascinateur, en l'attirant et en le fixant ailleurs par l'effroi, par la surprise ou par le rire, ou de détourner l'envie (invidia, tptdvoç) par une sorte d'expiation volontaire 108. Cependant il en est un grand nombre pour lesquels cette explication semble insuffisante et dont on ne se rendrait compte vraisemblablement que si l'on pénétrait plus avant dans la connaissance des superstitions de l'Orient, d'où la croyance à leur efficacité est venue sans aucun doute. Nous nous contenterons d'en rappeler ici quelques-uns. Des images et surtout des têtes d'animaux, les uns malfaisants, comme le lion, le loup, le sanglier, le serpent ; les autres ordinairement inoffensifs, comme le taureau, le cheval, l'âne; des figures d'êtres imaginaires, comme le griffon, le sphinx, la sirène, ont été adaptés de toutes les façons aux meubles, aux armes, aux vêtements, portés en bijoux, placés sur les murs, sur les portes, partout enfin, par précaution contre le mauvais sort. Les préservatifs (x,ro-p47tata) par excellence furent le masque de la Gorgone, dont on rencontre encore tant d'exemples, et les représentations du phallus, non moins répandues; il ne faut pas oublier que chez les Romains le phallus fut aussi appelé fascinum. A côté se placent des figures qui rappellent le phallus par le geste, par la position des doigts; et des objets destinés, comme certains coquillages, des genres peigne (pecten) et porcelaine (cypraee), à servir d'emblème du sexe féminin ; les figures de satyres, de silènes, et d'autres qui appartiennent au cycle bachique, se rattachent au même ordre d'idées. Tous ces amulettes, même les amulettes phalliques, précédemment, toutes les formes de bijoux, et notamment celles de pendentif ou de collier. On ne peut méconnaître l'intention qui aaf~fait réunir dans les objets représentés (fig.308 (i ( '111!11Ο et 309), quelques-uns des emblèmes qui passaient pour les plus efficaces 108 la tête de taureau, le phallus, le croissant. Dans un collier (fig. 310), trouvé dans un tombeau de AMU 257 AMU étaient portés ouvertement sur la personne, ou placés en évidence sur les objets, sur les édifices. On les peignait et on les sculptait sur les murs, sur les portes, parmi les ornements des frises ou au rebord des toits; ils entraient clans la décoration de toutes sortes d'ustensiles, de meubles, d'armes, etc. ; de là cette prodigieuse quantité d'images autrement inexplicables, tant de masques hideux ou grotesques, tant de figures ityphalliques. Quand ils ne faisaient pas partie intégrante des objets, ils y étaient extérieurement attachés. Beaucoup se reconnaissent encore aisément à l'anneau qui servait à les suspendre ou au trou qui les traverse de part en part, de manière à y passer un cordon pour le même usage. De même, on cousait sur les vêtements des feuilles de métal, comme celle qu'on voit plus haut (fig. 307), offrant des images préservatrices; ou on leur donnait, comme aux amulettes dont il a été parlé Kertch en Crimée 110, se trouvent rassemblés beaucoup d'amulettes dont il a été question, des animaux (un lion, une grenouille, une tête de coq, un scarabée), un phallus, un hermès ityphallique, une main faisant la figue, des figures accroupies, une entre autres dont la coiffure paraît indiquer une origine orientale, des faces lunaires,etc.; enfin des pierres ou des pâtes de verre dont la vertu résidait dans leur forme sinon dans leur matière, et dans les yeux et les dessins bizarres dont elles sont semées. Dans la figure 311, on voit suspendu à une chaîne de coquillages enfilés, du genre cypraea, dont nous avons parlé, une tête de coq dont !'mil ressemble à un oeil humain 111. Ce sont autant d'amulettes contre la fascination. L'mil, en effet, qu'on voit figuré sur un si grand nombre d'objets de toute espèce, était, par une sorte de renversement de l'effet produit, considéré comme un des plus puissants moyens de préservation contre le mauvais oeil. On en trouvera aussi de remarquables exemples au mot FASCINUM. Parmi les animaux qui ont été imités dans les amulettes, le scarabée mérite, à cause de son fréquent emploi, une mention particulière. Les Égyptiens avaient fait de cet insecte le représentant de leur dieu Phtah, créateur de l'univers, et par suite l'emblème du monde et parfois du soleil. Ce symbole passa d'Égypte en Grèce et en Italie, mais en perdant sa signification primitive. Une partie de ceux qu'on a trouvés dans ces deux pays, ont été importés d'Égypte; mais la plupart ont été fabriqués en Grèce et surtout en Étrurie, où ils se rencontrent en abondance. Celui qu'on voit (fig. 312), monté en bague et qui était déposé dans un tombeau de.la Chersonèse Taurique 12 est un ouvrage grec du meilleur temps. Le travail très-soigné permet de reconnaître tous les détails de l'animal. Il est en or, ce qui est fort rare 113 ; les scarabées étrusques sont le plus souvent en cornaline, en onyx, en agate, en pâte de verre, mais non en terre émaillée comme la plupart de ceux qui viennent d'Égypte. On voit (fig. 313) 33 AlV1i = 258 AMY un collier trouvé à Vulci, actuellement au Louvre, composé de vingt-trois scarabées en cornaline, garnis de chatons d'or114. A la surface inférieure, qui est plate, sont gravés des figures d'animaux et des sujets appartenant à l'art et à la mythologie de la Grèce : ces figures distinguent ordinairement les scarabées étrusques de ceux qui sont propres à l'Égypte. Le caractère de l'animal y est aussi moins fidèlement conservé. Il suffira de mentionner, en terminant, encore quelques objets que des idées et des pratiques superstitieuses expliquées dans des articles auxquels nous renvoyons firent considérer comme des amulettes. Le son de l'airain passait pour avoir une vertu prophylactique. Des clochettes de ce métal furent employées nonseulement dans les cérémonies de certains cultes comme des instruments de purification, mais encore portées en amulettes. On les voit fréquemment suspendues à des Signalons encore la forme de noeud donnée à des bagues, à des bracelets ou à d'autres objets par suite de croyances analogues [Nonus]; les clous simples ou couverts de signes mystérieux que l'on portait sur soi, ou que l'on plaçait dans un endroit déterminé [CLAvus] ; enfin les monnaies d'or et d'argent à l'effigie d'Alexandre le Grand, qu'une singulière superstition fit rechercher comme portant bonheur 116 dans les entreprises : u Que dire,s'écrie saint Jean Chrysostome, de ceux qui se servent d'amulettes et de ligatures, et qui entourent leur tête et leurs pieds de médailles d'Alexandre 110 ? » On voit (fig. 314) une garniture de baudrier en or, du Musée d'artillerie, portant, dans un encadrement romain, une médaille d'Alexandre 117. On peut en rapprocher les médaillons des empereurs romains munis de bélières, qu'une superstition affectée fit aussi porter comme des amulettes. E. LABATUT.