Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article RELIGIO

RELIGIO (OEoetieEla., Eûaé°,Ela'. I. Le mot, étymologie et signification. L'étymologie du mot latin religio, dont les termes grecs 6Eoeéeeta, EÛ6ÉGEla, ne sont que des synonymes approximatifs, est incertaine. Les anciens eux-mêmes n'étaient pas d'accord sur l'origine et le sens le plus ancien du mot. Ils proposent trois solutions du problème : Religio dérive du verbe relegere ou religere, dont la composition est symétrique de celle des verbes diligere, eligere, intelligere; sous la forme religere, on ne cite, et encore à titre exceptionnel, que le participe religens (accus. : religentem) ; mais la forme relegere était courante dans le latin classique. Cette étymologie est signalée par Cicéron, qui paraît bien l'adopter', et par Aulu-Gelle, d'après un vers d'un ancien poème que cite le grammairien P. Nigidius Figulus 2. Le sens, qui se rattache à cette étymologie, est indiqué par Cicéron : Qui omnia, quae ad cultum deorum pertinerent, diligenter retractarent et tanquam relegerent, sent dicti religiosi ex relegendo.... Dans ce passage, Cicéron oppose la religio, qui est une qualité, à la superstitio, qui est un défaut. 5o Religio vient du verbe religare, lier, attacher; le mot exprime le lien qui unit l'homme à la divinité. Cette étymologie paraît être, elle aussi, assez ancienne, bien qu'elle ne soit mentionnée explicitement que par Lactance3, Saint-Augustin' et Servius, le commentateur de Virgile Il semble que ce soit elle qui ait inspiré à Lucrèce les vers souvent cités: ... et arctis... Relligionum animum nodis exsolvere pergoa; à P. Nigidius Figulus la phrase que rapporte Aulu-Gelle : Quocirca religiosus is appellabatur, qui nimia et superstitiosa religione sese alligaverat 7 ; à Tacite l'expression : Numa religionibus et divino jure populum devinxit 3° Religio dérive du verbe relinquere : cette étymologie fut soutenue parle jurisconsulte Masurius Sabinus dans ses Commentarii de indigenis : « Religiosum est quod propter sanctilatem aliquam remotum ac repositum a nobis est, verbum a relinquendo dictune ° n : elle avait été proposée, dès l'époque de Cicéron, par P. Servius Sulpicius10 Cette dernière étymologie n'a trouvé chez les modernes aucun partisan. Schoemann parait préférer celle qui rattache le mot religio au verbe religare; du moins, il en a affirmé la pleine et entière possibilité". La plupart des philologues se rallient à l'étymologie qui rapproche les mots religio, religiosus, de religens, religere, relegere 22. D'après Vanicek, la racine primitive tag, qui a servi à former les verbes legere, diligere, eligere, religere, etc., exprimait l'idée de soin respectueux mêlé de crainte Tel paraît bien être aussi le sens que Cicéron attribue à la véritable religio : il distingue, il oppose même la religio et la superstitio, dans laquelle, dit-il, inest timor inanis deorum"; la religio, pour lui, deorum culte pio continetur'a ; elle existe chez les hommes, quum rebus divinis operam riant 'a. Ailleurs, il la définit ainsi : religio..., quae in metu et caerimonia deorum siti7; ou encore: religio est, quae superioris cujusdam naturae, quant divinam vocant, curam caerimoniamque affert13. Ce qui ressort de ces diverses citations, semblet-il, c'est que pour Cicéron le mot religio exprimait un sentiment assez complexe : le respect, mêlé de crainte, à l'égard des dieux et le souci de leur rendre les hommages qui leur sont dus (cultes, cultus pins, cura, metus, caerimonia). Les divers sens, plus particuliers, que le mot a eus dans la langue latine, se rattachent les uns (scrupule pieux, conscience, terreur superstitieuse) à l'idée du respect mêlé de crainte ; les autres (cérémonies et pratiques religieuses, lois religieuses, objets sacrés, etc.), à l'idée du culte et des hommages dus aux dieux. Ce même sentiment fut exprimé en grec par les mots 6€ceéesta, E„Qéetta. La racine eEP exprime précisément l'idée de respect envers la divinité. D'après Schoemann, le mot E~iaéEta suppose la reconnaissance volontaire d'un principe supérieur, auquel l'homme se sent au dedans de lui tenu de payer un tribut de respect". De même que Cicéron opposait religio à superstitio, de même en grec, au moins sous l'Empire, on opposait Eûaé6eta à ôEtc 3tty.cvla 20. Ce qu'il faut entendre par religio, Eaaéeta, c'est donc le sentiment proprement religieux, le sentiment qu'éprouve à l'égard de la divinité l'homme qui ne sè laisse pas aller aux terreurs irraisonnées et aux pratiques minutieuses de la superstition, mais qui, d'autre part, croit vraiment à l'existence des dieux et ne substitue pas à cette croyance une théorie philosophique. Il nous paraît utile de préciser ce qu'était ce sentiment en Grèce et à Rome, chez les individus, dans les groupements sociaux et politiques. Nous renvoyons à l'article RITCS l'étude des actes par lesquels il s'exprimait. II. Le sentiment religieux en Grèce. Pour bien comprendre ce qu'est chez un peuple le sentiment religieux, il faut d'abord déterminer comment ce peuple se représente la divinité. Quelques mots sont donc nécessaires ici sur la conception qu'avaient les Grecs des dieux et des déesses auxquels ils rendaient un culte. Nous ne rechercherons pas quelle était, pendant la période des origines, la forme de ces dieux et de ces déesses ; si jamais, par exemple, comme certains savants modernes l'affirment, les Grecs ont adoré des pierres en tant que pierres, des plantes en tant que plantes et des animaux en tant qu'animaux2t. Nous voulons nous en tenir à la période historique, pendant laquelle sans doute survivaient des concepts et des rites plutôt magiques que proprement religieux 22, mais où, cependant, l'idée qu'on se faisait des dieux et des déesses présente un caractère religieux indéniable. A cette époque, la mythologie et la religion grecque étaient anthropomorphiques. Les divinités étaient conçues sous la forme d'êtres humains, non soumis sans doute à la plupart des faiblesses physiques de la nature humaine, mais qui en possédaient néanmoins, à un degré supérieur, les qualités, les défauts, les pas REL 832 REL sions t. Dieux et déesses existaient, pour les Grecs des temps historiques, en dehors, au-dessus des phénomènes physiques qu'ils personnifiaient, des idées morales, sociales, politiques qu'ils représentaient. Il est fort possible, comme Gruppe l'a brillamment soutenu, que la poésie et les arts plastiques aient puissamment contribué à préciser ainsi la physionomie de chaque divinité ; que, sans les poèmes homériques et sans Phidias, Zeus eût été moins majestueux, Athèna moins pure et d'une beauté moins idéale : mais, quelles que soient les causes qui aient concouru à la formation de la mythologie grecque, il nous paraît incontestable que l'un de ses caractères fondamentaux fut d'être, à tous les points de vue, profondément humaine 2. Les êtres divins, conçus sous une forme humaine par l'imagination hellénique, n'en étaient pas moins différents de l'homme et supérieurs à lui par leur puissance. Cette puissance s'exerçait dans le domaine de la nature physique, dans le monde des idées morales, sociales, politiques. Beaucoup de divinités grecques passaient pour présider aux principaux éléments et aux grands phénomènes de la nature : Zeus régnait sur l'atmosphère et lançait l'éclair ; Poseidon commandait aux flots, qu'il pouvait apaiser ou soulever à son gré ; Demèter personnifiait la terre féconde, productrice des moissons ; Héphaestos dirigeait la force, à la fois créatrice et destructrice, de la flamme, etc . L'imagination poétique des Grecs avait peuplé toute la nature, depuis les astres du firmament jusqu'aux profondeurs du sol, d'êtres divins conçus sous la forme humaine, mais plus puissants que l'homme. Il en fut de même du monde intellectuel et moral : la pensée, l'inspiration poétique et artistique, la justice, le courage, etc., les qualités, les vertus, les passions, le bonheur et le malheur étaient considérés par les Grecs comme donnés ou refusés aux hommes par des dieux et des déesses s. En lui-même comme hors de lui, le Grec sentait partout et à tout instant l'action d'une divinité'. Cette action ne s'exerçait pas seulement sur l'individu et la vie individuelle. Elle surveillait les relations des individus entre eux, présidait aux divers groupements et aux manifestations variées de la vie sociale. Que les relations des hommes entre eux fussent pacifiques ou guerrières, amicales ou hostiles, qu'il s'agît de combats, de traités, d'hospitalité, de serment, etc., un dieu était toujours censé y intervenir. La famille, la tribu, le dème, la cité avaient leurs divinités protectrices; les actes les plus importants de la vie domestique, de la vie civile, de la vie politique, s'accomplissaient sous l'invocation et la garantie d'un dieu ou d'une déesse 6. Cette conception, profondément religieuse, du monde matériel et moral, de l'existence individuelle et sociale, la pensée grecque ne l'appliquait pas moins au double problème de l'origine du monde et de la destinée de l'âme après la mort. De là étaient nées, d'une part, les théogonies et les cosmogonies s; d'autre part, les doctrines eschatologiques Dans les unes et les autres, le principal rôle était tenu, du moins pendant la période historique, par des êtres divins auxquels étaient prêtées, en général, la forme et les passions humaines; sans doute des monstres y figuraient, comme les Géants, comme Cerbère ; mais aux yeux des Grecs ce n'étaient pas là de véritables dieux. Ainsi, pour le Grec dont le sentiment religieux n'était ni dénaturé par la superstition et la croyance à la magie, ni transformé en une pensée purement philosophique, l'homme et la vie humaine, dans toutes les situations et dans leurs vicissitudes, étaient soumis à l'action d'une multitude de divinités, conçues à l'image de l'homme. Cette action était-elle favorable, sympathique à l'homme? Les Grecs voyaient-ils dans les êtres divins des ennemis, des amis ou des indifférents? Si les disciples d'Epicure, à la suite de leur maître, ont affirmé l'indifférence des dieux envers le monde et les hommes, ce ne fut là qu'une théorie philosophique s ; toute la mythologie, toute la religion, tout le rituel hellénique démontrent, au contraire, que, pour les Grecs animés d'un vrai sentiment religieux, la divinité ne cessait pas de s'occuper de l'homme, de prêter attention à ses actes, à ses souffrances, à ses joies. Il est incontestable, d'autre part, que la divinité ne passait pas pour être toujours bienveillante à l'égard des hommes. Le mythe de Prométhée, complété par la légende de Pandora PROMETHEUS, p. 681j, attribue nettement aux dieux un sentiment de jalousie haineuse : les Olympiens ne pardonnent ni aux hommes ni à leur bienfaiteur l'amélioration de la condition humaine; c'est pour compenser ce progrès qu'ils envoient sur la terre Pandora chargée d'y répandre toutes sortes de maux. La même idée s'exprime, avec une portée moins générale ou sous une forme plus philosophique, dans plusieurs légendes mythiques ou héroïques, dans celles, par exemple, de Phaéton, de Bellérophon, de Dédale; dans celle d'Esculape, foudroyé par Zeus pour avoir tenté de ressusciter un mort' ; elle se retrouve encore dans les réflexions que suggèrent soit aux historiens, soit aux poètes, la vie et les infortunes d'un Polycrate, d'un Crésus10, d'un Xerxès ". L'existence, l'importance de cette conception a été mise en lumière, avec une force et une clarté qu'on ne saurait trop louer, par Tournier, dans son livre, aujourd'hui classique, sur Némésis et la jalousie des dieux : o La jalousie des dieux n'avait rien de commun H. l'origine, écrit-il, avec la justice qui régit le monde moral: et par conséquent, si ces deux idées ont été souvent rapprochées, presque confondues par ceux mêmes qui les distinguent ailleurs si nettement, si les dieux ont été représentés maintes fois par eux comme frappant dans leur colère, non la prospérité, mais l'orgueil qu'elle engendre chez les méchants, ce n'est là qu'un adoucissement apporté après coup à la doctrine qui vient d'être exposée dans sa rigueur primitive. Si maintenant, dans une sphère plus haute et toute de spéculation, l'on peut considérer la jalousie divine comme la sanction des arrêts de Thémis, c'est là une interprétation que les témoignages anciens souffrent REL 833 REL plutôt qu'ils ne la suggèrent, et qui ne saurait, en aucun cas, jeter un doute sur la signification si nettement établie par les textes les plus sûrs : à savoir l'attribution de la jalousie à la divinité avec tous les caractères propres à cette passion, et une efficacité due au pouvoir dont les Grecs la supposaient naturellement et généralement douée'. » Il n'est pas possible de nier que la religion grecque ait prêté à ses dieux et à ses déesses des sentiments hostiles soit à l'humanité en général, soit à certains hommes en particulier: il n'était pas rare qu'on fit appel contre ses ennemis à ces sentiments de la divinité, qu'on s'efforçât d'attirer soit sur des individus soit sur des groupes d'hommes la colère et la vengeance divines : c'était là le but avoué des malédictions et des imprécations 2. Mais ces dispositions malveillantes à l'égard des hommes n'étaient pas les seules que l'on attribuait aux dieux. Comme les êtres humains eux-mêmes dans leurs rapports réciproques, les êtres divins pouvaient être bienveillants pour l'humanité; ils pouvaient aimer, protéger, secourir les individus, les cités, les peuples. L'Iliade, l'Odyssée, les poèmes épiques et tragiques fournissent maints exemples de l'affection, de la sollicitude vigilante qu'un dieu ou une déesse témoignent à un héros, à une ville, à une race. Qu'il nous suffise de rappeler la protection qu'étend Pallas-Athéna sur Ulysse et sa famille ; celle qu'accordent aux Grecs, sous les murs de Troie, Pallas-Athéna et Héra, aux Troyens Apollon, Poseidon et Aphrodite. Pindare appelle Hermès le protecteur de l'Arcadie'. A l'époque historique, chaque cité grecque rendait hommage à une ou plusieurs divinités poliades, conçues sans aucun doute possible comme protectrices de la cité ". Si c'étaient les dieux qui envoyaient aux hommes les maladies dont ils souffraient, c'était aussi un dieu, Asklèpios, qui les guérissait; si de même c'étaient les dieux qui envoyaient aux hommes des fléaux terribles tels que la famine, la peste, diverses épidémies, c'étaient aussi les dieux, du moins certains dieux, qui, par la voie des oracles, leur indiquaient les remèdes à appliquer ou les mesures exceptionnelles à prendre pour faire cesser ces maux. Enfin n'étaient-ce pas les dieux qui, de plusieurs façons, par tous les anciens modes de divination, leur indiquaient avec plus ou moins de précision et de clarté l'avenir soit tout proche, soit plus lointain 0 ? La divinité n'était donc, dans la pensée des Grecs, ni indifférente, ni exclusivement hostile, ni uniquement sympathique aux êtres humains. Elle éprouvait à leur égard des sentiments analogues aux passions humaines, mais dont l'action s'exerçait, comme il est naturel, avec une puissance bien supérieure. Ces sentiments étaient-ils les seuls mobiles qui inspiraient aux dieux et aux déesses leur attitude, leur conduite envers le genre humain? Les Grecs ne s'étaient-ils point élevés à une conception plus haute des rapports entre l'homme et la divinité? L'absence d'une telle conception serait bien surprenante: en réalité, elle existe, elle est très distincte dans les poèmes homériques, chez Eschyle, chez Sophocle. Nous voulons parler de l'idée, de la notion de la Motpa. On trouvera à l'article FATUM les VIII. développements nécessaires et suffisants sur la Moira grecque. Ce que nous devons en retenir, pour le mettre ici en lumière, c'est que la Moira, personnifiée par une ou trois déesses, représente « les lois naturelles, la règle physique et surtout morale des choses..., la force intelligente et juste qui préside au gouvernement de l'univers. Sous sa forme la plus élevée, la croyance à la Moira n'est pas autre chose que la croyance à la règle qui préside au désordre apparent de la nature et de l'humanité'. » Les dieux, comme les hommes, sont soumis à cette règle. « Une seule limite, mais infranchissable, écrit Gomperz, vient s'opposer aux prétentions et aux volontés contradictoires des Immortels : c'est celle de la Moira, à laquelle les dieux ne peuvent pas plus se dérober que les hommes, et dans l'acceptation de laquelle se manifeste un obscur pressentiment des lois de la nature. » Cette Moira, d'autre part, les Grecs, obéissant à leur génie épris d'ordre, d'harmonie et d'équilibre, en ont fait, non pas une puissance brutale et désordonnée, mais au contraire « l'expression de la force cachée qui, dès la naissance de tout ce qui a vie, en domine le développement, en règle le cours, en marque d'avance la fin inévitable et fait rentrer ainsi tous les êtres dans les lois générales de la nature 8. » C'est d'elle que provient l'ordre qui règne dans le monde ; c'est grâce à elle que l'univers est un ensemble harmonieux. Si les dieux, si le plus grand d'entre eux, Zeus luimême, sont impuissants contre la Moira, s'ils sont soumis à ses lois, ce sont eux, et en particulier Zeus, qui veillent à ce que les hommes ne transgressent pas ces mêmes lois, et qui les châtient lorsqu'ils les ont transgressées. Ceux qui agissent ici-bas 1576p Loïpxv, (rnip µdpov, ô7c1p Amy, sont tôt ou tard punis par la divinité Ainsi apparaît dans la religion grecque, dans la conception des rapports entre l'homme et les dieux, une idée plus élevée, celle des châtiments infligés par la puissance divine pour une atteinte portée à l'ordre universel, à la règle physique et morale que doivent observer tous les êtres et toutes les choses. A cette idée correspond naturellement la notion des récompenses accordées aux hommes qui se sont toujours conformés à la Moira, aux lois générales de la nature et du monde. Il n'y avait qu'un pas à faire, et ce pas les plus grands esprits de la Grèce l'ont fait, pour substituer à la Moira primitive la loi morale et pour attribuer à la divinité la tâche de présider à l'observation de cette loi, de punir les hommes coupables de l'enfreindre, de protéger au contraire et de récompenser ceux qui s'efforcent d'y toujours obéir. Eschyle, Sophocle ont, à plusieurs reprises, exprimé cette idée. Le sombre drame de l'Orestie en est tout inspiré. « Poursuivez les méchants sans relâche, dit Athéna aux Euménides ; ce que j'ai à coeur, moi, c'est de préserver et de défendre les bons 10. » Et dans Œdipe à Colone, OEdipe ne proclamet-il pas que « les dieux punissent tôt ou tard celui qui méprise les lois divines et s'abandonne à la folie " ? » Sisyphe, Ixion, Tantale, les Danaïdes, condamnés dans le Tartare à des supplices éternels, ne sont point, comme les Géants, des adversaires vaincus et terrassés après une 105 REL 83i REL lutte implacable ; ce sont des coupables châtiés pour des crimes qu'ils ont commis sur terre. La religion grecque voyait donc dans les dieux et les déesses qu'elle adorait des êtres, conçus sans doute sous la forme humaine, mais d'une puissance infiniment supérieure; présidant à tous les phénomènes et dirigeant toutes les forces de la nature; surveillant la vie individuelle, sociale, politique; animés envers le genre humain et envers chaque homme en particulier de sentiments tantôt hostiles, tantôt favorables; dont l'attitude et la conduite pouvaient être inspirés par la jalousie ou par une affection particulière qu'ils ressentaient pour un mortel, mais qui souvent ne voulaient que punir les criminels et récompenser les hommes vertueux. De cette conception dérivent logiquement les devoirs que la religion grecque imposait à l'homme envers la divinité. Puisque les dieux pouvaient faire à l'homme beaucoup de mal ou beaucoup de bien, puisqu'ils étaient maîtres de déchaîner contre lui ou en sa faveur toutes les forces physiques, de lui envoyer la santé, le courage, le bonheur, ou, au contraire, de lui infliger les maladies, les vices, le malheur, l'homme devait s'efforcer de gagner la faveur ou d'apaiser la colère des divinités en leur rendant un culte : de là, les divers rites [niTUS] par lesquels l'homme essayait d'atteindre et de satisfaire les dieux : prières, offrandes, libations, sacrifices, processions, jeux, etc., etc. [LUDI, POMPA, SAceIFICIUM]; de là aussi, les procédés variés auxquels l'homme avait recours pour connaître soit l'avenir, soit la volonté divine [DIVINATIO]. L'ensemble de ces rites et de ces procédés constitue le culte proprement dit. « Le culte, a écrit Schoemann, est né de la conscience qu'avaient les hommes de leur dépendance et de leur misère, et ses origines remontent à un temps où ils n'avaient pas encore un sentiment assez élevé de la divinité et de ses rapports avec la race humaine. Les poèmes hésiodiques présentent le culte comme une sorte de contrat intervenu à l'occasion d'un débat entre les dieux et les hommes, au sujet de l'assistance que les hommes étaient en droit d'attendre, et des honneurs que la reconnaissance leur imposait. Il ne s'agirait donc, dans ce cas, que d'un commerce d'échanges, et c'est là, en effet, d'après Platon, le point de vue auquel se place le grand nombre. L'homme emplit les obligations qui lui sont prescrites, et demande en revanche la satisfaction de ses besoins : il donne pour obtenir. It témoigne sa reconnaissance parce qu'il craindrait d'irriter les dieux par son ingratitude et de perdre ses droits à une faveur dont il sent à chaque instant la nécessité. Sa piété n'est que l'accomplissement intéressée de la loi'. » Mais en outre, pour les Grecs qui voyaient dans les dieux les gardiens vigilants de la Moira, c'est-à-dire de la loi physique et morale, c'était encore rendre hommage à la divinité, l'honorer et mériter sa protection, que d'être un fidèle observateur de cette loi : aussi considéraient-ils comme une obligation religieuse, non moins que morale ou sociale, de remplir tous leurs devoirs envers leurs semblables et envers l'État'. Une autre conséquence de la même idée paraît être le rite de la purification. « Tout ce qui est impur et souillé inspire de l'éloignement aux dieux : peuvent seuls s'approcher d'eux les hommes purs et sans tache; pour leur adresser des prières, pour leur témoigner sa vénération, pour implorer leur appui, la pureté est une condition indispensable 3. » S'il paraît ne s'être agi dans les temps les plus anciens que de la pureté corporelle, il n'est point douteux que plus tard cette pureté extérieure fût surtout considérée comme symbole de la pureté intérieure. Dans certains cas, cette pureté ne pouvait être acquise que par des rites expiatoires, dont le plus général était un sacrifice sanglant [RITUS]. Les cités, comme les individus, étaient soumises à cette condition essentielle 4. Ces notions morales, combinées avec les préoccupations qu'inspira de bonne heure aux Grecs la destinée de l'âme après la mort, introduisirent dans la religion grecque des éléments nouveaux qui paraissent étrangers à ce que Chantepie de la Saussaye appelle « le clair et robuste hellénisme homérique 5 » : ces éléments furent les mystères et l'orphisme. Les mystères grecs par excellence [ELEUSINIA, MrsTEmIA], du moins les plus célèbres et les plus populaires de tous, furent les mystères d'Éleusis. Il est bien difficile de ne pas y reconnaître, avec M. Foucart, auprès d'une représentation dramatique du mythe éleusinien agraire, une sorte d'enseignement, de révélation sur les épreuves qui attendent l'âme après la mort'. Seuls les initiés pouvaient recevoir cet enseignement, cette révélation. Les profanes n'en devenaient dignes qu'après une série de purifications, de jeûnes, de cérémonies, qui faisaient d'eux d'abord des myrtes, puis des époptes. Ils étaient admis à voir de plus près la divinité; ils apprenaient ce que leur âme deviendrait dans le monde souterrain et comment elle pourrait mener à bonne fin le terrible voyage qu'elle devait y faire. « Le résultat de cet enseignement, écrit M. Foucart, était d'inspirer aux initiés, non pas la vague espérance, mais l'assurance certaine d'une existence bienheureuse dans le monde souterrain'. » Quant à l'orphisme, dont on trouvera ailleurs l'origine et les mythes exposés avec tout le développement nécessaire [oxpnici], ce qu'il paraît avoir renfermé de plus original est précisément sa doctrine sur l'âme et la destinée humaine. Pour les orphiques, l'âme était d'essence divine ; c'était pour elle un exil, un châtiment d'une faute commise, que d'être enfermée dans un corps matériel; le corps était considéré comme un tombeau pour l'âme et la vie terrestre comme une période de mort. « Le devoir de l'homme, écrit Chantepie de la Saussaye, est de libérer l'âme, captive dans la prison du corps. Cette délivrance ne se fait pas d'elle-même, la mort ne peut l'accomplir, car elle ne fait que conduire à de nouvelles existences. Les orphiques admettaient l'hypothèse de la transmigration des âmes... Il faut donc chercher des moyens pour se délivrer de cette souillure toujours renouvelée. Ces moyens sont tout d'abord rituels : ce sont les initiations saintes qui unissent l'homme au dieu, à Dionysos.... A ces moyens rituels viennent s'ajouter les prescriptions éthiques de la vie orphique.... Il faut se tourner vers Dieu, se détacher de tout ce qui est prisonnier de la mort et de la vie corporelle.... L'âme sera libérée du corps et de l'impureté, et REL 83 5 REL sa vie réelle ne commencera que lorsqu'elle aura tout à fait échappé aux nouvelles naissances 1. » Dans les mystères orphiques, qui se célébraient en l'honneur de Dionysos Zagreus, comme dans les mystères d'Éleusis, on révélait aux initiés des formules « qui devaient leur permettre de se guider dans leur voyage aux Enfers 2 ». La destinée de l'être humain après la mort était l'un des problèmes essentiels que l'orphisme essayait de résoudre. Ces rites, dont la fin dernière était, d'une part, de rapprocher l'homme de la divinité, d'autre part de fournir à l'homme une doctrine rassurante sur la destinée de l'âme après la mort, n'étaient pas accessibles à tous les Grecs indistinctement. Seuls les initiés pouvaient assister ou participer aux cultes à mystères. Les profanes en étaient exclus Les initiés d'Éleusis étaient divisés en deux catégories, les mystes et les époptes; ceux des cultes orphiques formaient des confréries ou thiases. Entre les mystes et les époptes, entre les membres de ces thiases, un lien d'une nature toute particulière était ainsi créé ; ce lien était puissant, comme tous ceux que noue une communauté de foi religieuse. Ce fut peutêtre là une des raisons pour lesquelles, de tous les cultes helléniques, les cultes à mystères furent ceux qui survécurent le plus longtemps à la décadence de la religion grecque : sous l'empire romain, le sanctuaire d'Éleusis jouissait encore d'une grande vogue, tandis que ceux de Delphes, de Délos, même d'Olympie, étaient soit délaissés soit bien déchus de leur antique splendeur `. L'esquisse que nous avons essayé de tracer de la religion grecque, ne laisse pas d'être un peu systématique. Il est évident que la religion des paysans de l'Attique ou de la Béotie, des rudes pâtres de l'Arcadie ou de l'Étolie, des marins de l'Eubée, de l'Argolide ou des Cyclades, différait de celle que professaient et pratiquaient les esprits les plus éclairés d'Athènes, de Corinthe, de Smyrne, etc. Parmi ceux qui demandaient aux oracles la révélation de l'avenir, à Asklèpios la guérison de leurs maux, ou qui se faisaient initier aux mystères d'Éleusis, de Dionysos Zagreus, de Samothrace, il en était beaucoup, sans doute, dont les sentiments étaient moins religieux que superstitieux. Nous nous sommes efforcé de montrer, en négligeant ces variétés et ces nuances, quels étaient les caractères fondamentaux de la religion hellénique ; comment les Grecs se représentaient la divinité, quels sentiments ils lui attribuaient à l'égard de l'homme et quels sentiments ils ressentaient eux-mêmes à son égard ; enfin sous quelle forme la religion leur avait fourni une réponse au problème toujours angoissant de la destinée de l'âme, particulièrement après la mort. Tous ceux qui connaissent l'étendue et les difficultés d'un tel sujet accueilleront notre tentative avec indulgence. III. Le sentiment religieux à Borne. Si l'on veut déterminer avec précision les caractères distinctifs de la religion romaine, il faut, non point étudier cette religion à l'époque même dont datent la plupart de nos documents, c'est-à-dire vers la fin de la République et sous l'Empire, mais s'efforcer d'en retrouver le fonds original sous les apports successifs qui l'ont progressivement recouvert et dissimulé. L'antique religion romaine subit. en effet, de bonne heure l'influence hellénique par l'intermédiaire de l'Étrurie ou des colonies grecques de l'Italie méridionale; plus tard, les Romains empruntèrent directement à la Grèce la plupart des grands dieux de l'Olympe; puis les divinités d'Asie Mineure, d'Égypte, de Syrie furent introduites à Rome à diverses époques. L'érudition moderne a pourtant réussi à distinguer, dans la masse multiple et complexe des cultes pratiqués et des concepts religieux professés par le peuple romain, ceux qui lui appartenaient en propre, et qui peuvent être considérés à raison comme les éléments constitutifs de la vraie religion romaine 5. Cette religion était profondément différente de la religion grecque. Sans doute pour le Romain des premiers âges comme pour l'habitant de la Grèce, l'univers était rempli d'êtres divins ; la divinité était présente, intervenait dans tout phénomène physique, dans tout acte de la vie individuelle, de la vie domestique, de la vie sociale, de la vie politique; il n'était point d'objet, pour ainsi dire, où quelque dieu ne fût censé résider. Sans doute aussi, pour le Romain comme pour le Grec, il subsistait de l'être humain quelque chose après la mort ; à certains égards, il n'est pas impossible de dire que la religion romaine se préoccupait de l'au delà. Nulle religion peutêtre n'a imaginé un plus grand nombre de dieux ou de déesses; l'action de ces êtres divins était fort limitée, mais par là même très précise°. C'étaient les dieux des Indigitamenta [INDIGITAMENTA], spécialement ceux que Varron appelait les Dii certi [nu], dieux qui présidaient aux événements capitaux et aux principales phases de la vie humaine, naissance, enfance et adolescence, mariage, mort, dieux de la vie agricole et pastorale, dieux protecteurs de la maison et de sa prospérité; c'étaient encore les Génies [GENIUS], patrons des individus; les Lares et les Pénates, dieux de la famille et de la vie domestique [LARES, PENATES]; les Larves, les Lémures, les Mânes [LARVAE, LEMURES, MANUS], catégories diverses des âmes des morts. C'étaient enfin les dieux des curies et de la cité. Parmi ces êtres divins presque innombrables, quelques-uns paraissent avoir acquis de bonne heure une importance particulière : ce sont ceux que Varron groupe sous le nom de Dii selecti [DII, p. 184]. Si parmi ces dieux choisis de Varron, il y en a dont on peut difficilement contester l'origine grecque et l'introduction relativement récente à Rome, d'autres en revanche sont certainement, suivant la juste remarque de M. C. Jullian, « des dii certi, qui, plus heureux ou plus vivaces que les autres, ont survécu en absorbant les pouvoirs de leurs congénères, comme Saturne, Liber ou Janus » Jupiter, Mars, Vulcain, Diana, Juno, Vesta, etc., sont également cités par Varron au nombre des Dii selecti. La religion romaine était ainsi polythéiste à un degré, au moins égal, sinon supérieur à la religion grecque elle-même. Mais elle n'était pas anthropomorphique. Les êtres divins n'étaient pas conçus, du moins ne paraissent pas avoir été conçus à l'origine sous la forme humaine par les Romains. « Les ancêtres des Latins, a écrit M. Bouché-Leclercq, adoraient les forces multiples de la nature, conçues comme des influences occultes (numina), REL 836 REL des volontés immatérielles, incorporées, pour ainsi dire, aux objets qu'elles meuvent. Le fleuve qui coule, le vent qui passe, le feu qui s'allume, sont des actes, des manifestations, des produits de ces puissances invisibles, dont nul ne connaît l'essence et que l'on désigne par des noms génériques, comme Génies, Lares, Pénates, Mânes, Semons, Indigètes, Lymphes, Vires, ou plus simplement encore par le nom commun de dieux (dii-divi). Ces êtres, rivés à une tâche éternellement recommencée, ne peuvent être conçus comme des personnalités concrètes, à forme humaine, à volonté mobile et changeante. La religion romaine, guidée par son imperturbable logique, se refusait à détacher ses dieux de la nature et à leur reconnaître une personnalité distincte » En somme, ces dieux et ces déessses sont plutôt des forces divines (numina) que de véritables divinités. La seule distinction que la religion romaine fasse entre les êtres divins, auxquels elle rend un culte, c'est la distinction du sexe. Elle connaît des dieux et elle connaît des déesses; elle connaît des couples divins '. Ici encore, nous ne saurions mieux faire que de citer M. Bouché-Leclercq « En dépit du petit nombre des couples assortis par Varron, je suis persuadé que le mariage à la mode romaine, l'association par couples homonymes, était la règle pour les dieux des Indigitamenta, règle fondée elle-même sur le fait qu'il y avait à Rome une religion pour les femmes. Sauf exception,... les dieux masculins y étaient invoqués par et pour les hommes, les divinités féminines par et pour les femmes ". » Encore faut-il ajouter que dans bien des cas le véritable sexe de la divinité que l'on invoquait était incertain, puisque l'une des formules usitées par les pontifes dans leurs invocations était : si deus, si dea es ou encore sive mas, sine fenlina'. On voit donc que ce premier pas, fait par la religion romaine dans la voie de l'anthropomorphisme, fut singulièrement timide. En tout cas, il ne semble pas avoir été suivi d'autres. S'il y a dans les listes de divinités romaines des couples, on y chercherait vainement une généalogie'. Il n'y a point non plus dans cette religion de société divine, comme celle que les Olympiens forment chez les Hellènes'. Ni les dieux des Indigitamenta, ni les Génies, Lares, Pénates, ni les Mânes, Larves, Lémures, n'ont de personnalité. Ils n'ont pas non plus de mythes. A vrai dire, il n'y a ni cosmogonie, ni théogonie, ni mythologie latine ou romaine Les êtres divins n'ont ni sentiments, ni passions; ils exercent, en raison de leur puissance surhumaine. une action qui peut être favorable ou défavorable à l'individu, à la maison, à la famille, à la curie, à la cité; mais les anciens Romains ne donnaient comme source à cette action, ni un sentiment sympathique ou hostile à l'homme, ni la volonté de punir les méchants et de récompenser les bons. Et de même, si la conception des Larves, des Lémures, des Mânes, atteste, dans une certaine mesure, une croyance à l'immortalité de l'âme, elle ne comportait, pour les Romains des premiers âges, rien qui ressemblât même de loin à une eschatologie véritable. « La religion romaine a dd commencer comme les autres par l'animisme, par le morcellement infinitésimal des forces motrices de la nature, forces brutales qui ne peuvent être dominées que par l'incantation magique. La multiplicité des puissances cataloguées dans les Indigitamenta représente assez bien l'état primitif de la religion romaine, arrêtée à ce stade de son développement par le formalisme de la race et la ténacité des superstitions populaires 3. » Si telle était, avant l'infiltration, puis l'invasion de la mythologie et des cultes helléniques, la religion proprement romaine, quels étaient, quels pouvaient être les mobiles qui dictaient aux vieux Romains leur conduite envers les êtres divins, les numina ? A ces forces divines, auxquelles la foi populaire ne prêtait point la forme humaine, on ne pouvait attribuer des sentiments bienveillants ou malveillants envers l'homme. Il ne s'agissait donc pas de gagner ou de conserver leur faveur, de détourner ou de désarmer leur hostilité. Ce qu'il fallait obtenir, c'était que la force divine, nécessaire à l'accomplissement normal et heureux de tel ou tel acte de la vie individuelle, domestique, sociale, etc., se manifestât, agît au moment précis où cet acte était accompli. D'autre part, comme il y avait des numina dont l'action pouvait être nuisible à l'homme, à la famille, à la cité, il fallait détourner de soi, de sa famille, de la cité, l'action de ces numina. Enfin, il était nécessaire de savoir si tel ou tel acte, que l'on se proposait d'accomplir, devait être aidé par une force divine favorable ou, au contraire, devait rencontrer l'obstacle invincible d'une force divine défavorable : on atteignait ce but en observant, dans des conditions déterminées, certains phénomènes, certains signes spéciaux [AUGURES, ACSPICIA]. Pour agir, dans un sens ou dans l'autre, sur des forces divines impersonnelles, pour essayer de connaître d'avance comment ces forces devaient s'exercer dans tel ou tel cas particulier, les Romains des premiers âges pratiquaient des rites, dont la ressemblance avec les rites de la religion grecque était tout extérieure. Les formules prononcées par tous ceux qui s'adressaient aux divinités, individus, pères de famille, prêtres, étaient moins de véritables prières, que des incantations, où la forme et l'ordre des mots ne devaient être, sous aucun prétexte, modifiés, des carmina'. Ce qui importait dans les offrandes, libations et sacrifices, c'était moins le sentiment dont s'inspirait celui qui offrait la libation ou le sacrifice que l'observance rigoureuse, méticuleuse, des prescriptions liturgiques et rituelles [PIACULUM, SACRIFiCIUM]. Et tel était aussi le caractère essentiel des cérémonies augurales [AUGURES, AUSPICIAj : la divination proprement romaine ne ressemblait en rien à la consultation des oracles, qui semble lui avoir été inconnue, du moins à l'origine. Outre les prières, sacrifices et rites divinatoires, qui se retrouvent, malgré leurs différences intrinsèques souvent capitales, à la fois dans la religion romaine et la religion grecque, la religion romaine comportait d'autres rites, qui ne semblent pas avoir été pratiqués, du moins avec la même faveur, par les Grecs de l'époque historique : telles étaient, par exemple, les cérémonies que célébraient les Luperques, les Arvales, aussi le rite de la devotio [nEVOTto], et celui des Lemu BEL 837 BEP « La religion romaine n'apparaît dans l'histoire que sous la forme de cultes (sacra), surchargés de pratiques minutieuses et adaptés d'une façon plus ou moins artificielle aux besoins des individus, des familles, de la cité. Elle se réduit à l'observance scrupuleuse de certains rites, obligatoires en certains lieux et pour des groupes déterminés » L'individu y joue un rôle moins important que les groupes sociaux ou politiques, la famille, la gens, la curie, la cité ; rien ne peut se faire ou se décider au nom de l'Etat sans la religion. Le double trait distinctif de la religion proprement romaine est donc, d'une part, son formalisme rituel, peut-être encore imprégné de magie, d'autre part, son caractère plus social qu'individualiste. Les influences qui modifient cette physionomie particulière, furent surtout d'origine hellénique. S'il est vrai que des conceptions et des pratiques étrusques furent introduites d'assezbonne heure dans la religion romaine, ce qui la transforma surtout, ce qui en fit, suivant l'expression de M. Bouché-Leclercq, « une sorte de polythéisme international » n, ce fut l'action de la mythologie grecque. Alors seulement les divinités romaines devinrent vraiment anthropomorphiques; alors, seulement, Jupiter, Junon, Diane, Saturne, etc., acquirent une personnalité distincte et cessèrent d'être de purs nurnilta ou de simples genii ; la foule des dieux et des déesses, créés par l'imagination hellénique, parut alors se substituer aux innombrables êtres divins de la religion romaine primitive. Bientôt les cultes orientaux y apportèrent un nouvel élément : avec les divinités de Pessinunte, d'Alexandrie, de Dolichè, d'Héliopolis, de Comana et de l'Iran, Rome, l'Italie et l'Occident romanisé connurent une religion à la fois grossière et raffinée, sensuelle et ascétique, matérialiste et mystique 3. Mais il nous est, impossible de voir dans l'amas confus des cultes qui se célébraient à l'époque impériale la vraie religion romaine. Nous avons essayé de montrer ce qu'avait été cette religion dans la période des origines, à l'époque où elle n'avait pas encore subi de puissantes influences étrangères; nous avons surtout essayé d'en marquer les traits originaux, renvoyant pour les détails du culte, de l'organisation sacerdotale, etc., aux articles RELIGIOSI DIES [DIES, p. 176].