Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article SABAZIUS

SABAZIUS (Eagâtoç). Ce dieu, dont la première patrie est la Thrace', fut toujours adoré par les populations de la péninsule balkanique2. On a fait dériver son nom de celui de la bière, qu'on appelait en Illyrie sabaium 3, tandis que Dionysos, originaire de la même région, personnifiait le vin; mais ce nom, primitivement sans doute Savadios, prend des formes si diverses' que tout essai d'étymologie reste incertain. Comme Sabazius était la divinité suprême de certains cantons, on l'assimila, en Thrace même, au Zeus hellénique 5 et plus tard à Hélios'. Lorsque les tribus thraces franchirent l'Hellespont et s'établirent en Asie Mineure, elles y apportèrent leur culte national. Sabazius trouva ainsi en Phrygie une patrie d'adoption? et il fut accueilli de bonne heure dans les régions circonvoisines, en Lydie', en Bithynie', en Carie 10, en Cappadoce, d'où, au début du ne siècle av. J.-C., la reine Stratonice l'introduisit à Pergame". Il fut, selon la coutume du paganisme, confondu avec les dieux honorés en Asie Mineure, Attis1°, Mèn ", Mithra". Sabazius pénétra en Grèce dès le ve siècle, et si ce dieu, qui resta toujours essentiellement barbare ", provoqua d'abord les plaisanteries des poètes comiques19, si, à l'époque de Démosthène, ses mystères bruyants paraissaient encore méprisables aux citoyens athéniens!', le nombre de ses adorateurs n'en devint pas moins considérable ". On le trouve dès le n' siècle av. J.-C. à Rome, où le préteur, en 139, expulse les propagateurs de son culte". Mais les sacra Savadia20 ou Sebadia21 devaient prendre un nouveau développement dans le monde latin à l'époque impériale. Inscriptions et monuments attestent leur succès non seulement à Rome 2'et en Italie' 23, mais aussi en Pannonie2' et particulièrement en Gaule25. VIII. Comme Dionysos, auquel il est étroitement apparenté et dont on le rapproche fréquemment [BAccuus, p. 595]", Sabazius est sans doute primitivement un dieu de la végétation27 et l'on fêtait par de bruyantes orgies sa renaissance annuelle. On s'y enivrait en l'honneur de ce génie du blé, devenu par une transition naturelle celui de la liqueur capiteuse qui se fabrique ex ordeo vel frumento29. Démosthène a tracé de ses thiases un tableau caricatural, mais néanmoins fort instructif29. Il nous montre le cortège de ses fidèles dansant aux cris de eûoî segoi ,:i.e ç âTTr)ç et agitant au-dessus de leur tête des serpents sacrés. Puis, la nuit, se célébrait une cérémonie secrète : après certaines lustrations, on figurait le mariage mystique de l'initié avec le dieu; un serpent qui représentait Sabazios (b Stâ x6a7cou 8eiç) était introduit par le haut du vêtement et retiré par le bas30. On a voulu voir dans cet acte étrange un rite d'adoption", mais il faut plutôt y reconnaître un simulacre d'union sexuelle 3" dont les mystères offrent d'autres exemples. La religion grossière des vieilles tribus thraco-phrygiennes se transforma nécessairement lorsque Sabazius eut été identifié avec des divinités étrangères et fut devenu le parèdre d'Anàhita et d'Athéna Nicéphore33. De toutes ces assimilations, aucune n'eut des conséquences plus importantes que celle qui s'opéra avec le Dieu d'Israël, quand les Séleucides eurent établi en Asie Mineure une quantité de colonies juives34. Le xiptoç Eegi. ,oç des Thraces fut regardé comme l'équivalent du xt ptog Eagaw6 des Septante et à Rome même on confondit Iovem Sabazium et le a Iahvé Zebaoth » des Hébreux 3'. Le caractère du premier en fut profondément modifié. Il devint un dieu saint (iiytoç, sanctus)3°, et on lui attribua le pouvoir d'effacer par ses purifications la malédiction, analogue au péché originel, dont le ciel frappait une race entière à cause des fautes commises par son auteur3'; son nom même parait avoir été modifié en celui de Esgtao, Sauveur33. En même temps, il aspire à la toute-puissance, 117 SAB 930 SAC il est dit vxvxotpavoç', et les monuments de ses mystères prouvent qu'on le regardait comme une divinité aux qualités multiples, réunissant les puissances de dieux divers. C'est ainsi qu'il apparaît, sur une plaque de bronze estampée provenant de Rome (fig. 5983)2, debout dans un temple, entre les bustes du Soleil et de la Lune, entouré des animaux et des attributs les plus variés. Vêtu du costume phrygien, il pose un pied sur une tête de bélier, le compagnon d'Attis; de la main gauche il tient un sceptre, et de la droite porte une pomme de pin, emblème de fécondité. Dans le fronton, on voit le Soleil sur son quadrige; et, dans les angles supérieurs, les Dioscures personnifient les deux hémisphères célestes. Les recherches de M. Blinkenberg ' ont, de plus, démontré qu'une série de mains votives couvertes de symboles, dont les plus fréquents sont la pomme de pin et le serpent [noNARIUM, fig. 2542, FAsCINUM, fig. 2886], appartiennent au culte de Sabazius; elles représentent la main du dieu lui-même qui protège et bénit ses fidèles, les trois premiers doigts levés, les deux derniers abaissés: le geste chrétien de la benedictio latina. L'idée de l'immortalité de l'âme, qui est fort ancienne en Thrace, subit aussi, semble-t-il, parmi les sabaziastes, l'influence du judaïsme. Nous connaissons surtout leurs croyances eschatologiques par les célèbres fresques du tombeau de Vincentius, antistes Sabazis, découvert dans les catacombes de Prétextat4. On y voit la défunte Vibia, entraînée par Mercures dans le monde souterrain vers le tribunal de Pluton [ois PATER, fig. 2468], et introduite par un bon ange (angelus bonus) au banquet des bien heureux, auquel prennent part sept convives (bonorunl iudicio iudicati). Les mystes de Sabazius, à la fin de l'Empire, se représentaient donc encore, aussi bien que les anciens Thraces, la béatitude d'outre-tombe comme un festin perpétuel, où l'on s'abandonnait à une douce ivresse. Seulement l'âme n'y est plus admise qu'après un jugement, si elle a « pratiqué pieusement les cérémonies saintes des dieux », pris part au repas sacré des mystères' et, d'une manière générale, fait le bien (benefac). Les bacchanales du dieu de la bière s'étaient peu à peu spiritualisées, conformément aux tendances religieuses SACCARIUS(ZaxxotrXdxos).1° Fabricant et marchand de sacs [sAccus]. L'industrie des sacs devait être très florissante dans les ports et le long des grandes voies fluviales, par où se faisait le commerce. Ainsi une inscription mentionne un habitant de Trèves qui fut à la fois cuparius et saccarius, c'est-à-dire qu'il fabriquait également les tonneaux [CUPA] et les sacs nécessaires au transport des vins et des blés qui suivaient le cours de la Moselle'. 2' (Eaxxotpdpoç), porteur de sacs, portefaix'. Ces humbles travailleurs, si nécessaires à la vie des ports et des marchés, formaient, à l'époque romaine, des corporations dans un grand nombre de villes. Parmi ceux de Rome nous connaissons notamment les saccarii salarii totius urbis etcampi salinarum Romanarum (an 202 ap. J.-C.) qui faisaient le service des entrepôts de sel situés près de la Porte Trigemina'. Les saccarii de Pompéi y ont aussi laissé leur trace 4. Il y en avait certainement un grand nombre à Ostie' ; une curieuse peinture décou verte dans cette ville nous a conservé une image fidèle de leurs travaux (fig. 5984). Sur une grande barque, l'Isis de Geminius, prête à remonter le Tibre, des portefaix chargent le blé destiné à Rome, sous la surveillance du pilote Pharnaces et du capitaine Ahascantus ; l'un d'eux, qui a fini sa tâche, s'écrie avec satisfaction : « feci f6 ». Des associations de portefaix ont existé encore à Cyzique, à Panormos, à Périnthe, etc. GEORGES LAFAYE. SAC 931 SAC