Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article SACRIFICIUM

SACRIFICIUM. ROME. Le mot sacrificium, dans son sens le plus général, désignait, au moins à l'origine, tout acte par lequel un objet ou un être devenait propriété exclusive de la divinité, sacer ou sacrum' ; le verbe sacrificare, dont dérive sacrificium, signi fiait sans aucun doute sacrum facere. A. l'époque classique et dans l'usage courant, le terme sacrificium avait toutefois un sens plus restreint. On ne l'appliquait qu'aux actes rituels, dans lesquels un être ou un objet était tué, brûlé, détruit de quelque manière, en l'honneur d'une divinité, et près d'un autel. Isidore de Séville semble confondre les deux significations du mot dans la définition qu'il donne du sacrificium : Sacrificium autem est victima, et quaecunque cremantur in ara seu ponuntur; omne auteur quod Deo datur aut dedicatur aut consecratur2. Le premier membre de phrase définit assez nettement le sacrificium proprement dit ; dans le second, il paraît y avoir confusion entre le sacrificium, la dedicatio et la consecratio : or ces trois mots ne peuvent être considérés comme synonymes. Si tout sacrificium comporte, par définition même, la consecratio de l'objet ou de l'être sacrifié, la réciproque n'est pas exacte ; il peut y avoir consecratio sans sacrificium [CONSECRATIO, t. I, p. 14501451]. Quant à la dedicatio, c'est un acte surtout officiel et de caractère public, avec lequel le sacrificium ne saurait être confondu [DEDICATIO, t. Il, p. 42-45]. Les donaria n'étaient pas non plus des sacrificia; il suffira de se reporter à l'article DONARIUM (t. II, p. 363 sq.) pour reconnaître que les offrandes n'étaient point destinées à être immolées ou brûlées ; qu'au contraire, elles devaient être conservées avec le plus grand soin dans les sanctuaires. Sans chercher à donner une définition abstraite du sacrificium chez les Romains, nous dirons seulement qu'il y avait sacrificium toutes les fois qu'un être animé ou un objet inanimé', offert à la divinité par un individu ou un groupe collectif, famille, gens, association, cité, était, soit près d'un autel, soit sur l'autel même, tué, brûlé, détruit, de quelque manière que ce fût, partiellement ou totalement. Dans les limites mêmes de cette définition, les sacrificia peuvent être répartis en plusieurs catégories. Si l'on tient compte de l'intention dans laquelle le sacrifice a été accompli, on peut distinguer les sacrifices honorifiques, c'est-à-dire les sacrifices par lesquels on veut hono rer la divinité, s'assurer sa bienveillance et sa protection, s'acquitter envers elle ; les sacrifices expiatoires, par lesquels on veut apaiser le courroux de la divinité offensée ; les sacrifices divinatoires, dont le but est de fournir, par l'observation de diverses particularités, surtout par l'examen des entrailles des victimes, des indications sur l'avenir et sur la volonté des dieux. Les épithètes, employées par les Romains pour distinguer les hostiae llonorariae, piaculares, consultatariae, paraissent répondre à cette classification. D'autre part, on a souvent divisé les sacrifices en deux grandes classes: les sacrifices non sanglants, les sacrifices sanglants. Cette distinction porte exclusivement sur un caractère extérieur de l'acte rituel; s'il est difficile de la tenir pour fondamentale, il convient, du moins, de ne pas la négliger, car elle permet d'établir une différence assez nette entre la libation, par exemple, et l'immolation d'une victime. Sans nous prononcer pour telle ou telle classification, nous nous proposons: 1° d'examiner successivement les libations, les sacrifices d'animaux, les sacrifices humains; 2° de déterminer quelles étaient les conditions extérieures nécessaires pour qu'un sacrifice fût valable ; 3° de rechercher quelle était la véritable signification des sacrifices à Rome. 1. Les sacrifices, étudiés au point de vue des objets ou des êtres sacrifiés. 1° Sacrifices non sanglants : libations. Les mots libare, libamina, libationes s'appliquaient en latin à toutes les offrandes non sanglantes que l'on répandait ou dont on répandait une partie dans la flamme allumée sur l'autel, que cet autel fût le foyer domestique ou un autel proprement dit placé dans un sanctuaire consacré. Après avoir rappelé la légende, d'après laquelle Liber Pater le premier, à son retour des Indes, aurait mis à part les prémices de son butin pour Jupiter, lui aurait offert le cinname, l'encens et les entrailles rôties d'un taureau, Ovide ajoute : nomine ab auctoris ducunt libamina nomen libaque, quod sacris pars datur inde focisb. Les offrandes, auxquelles s'appliquaient les termes de libamina, liba, étaient de diverses catégories : elles comprenaient des liquides d'usage courant parmi les hommes, tels que le vin, vinum5; plus spécialement le vin pur, merum °; et le lait, lac'; des herbes et des plantes odoriférantes, romarin, laurier, herbes sabines, rameaux de pins ; des parfums d'origine orientale, encens, myrrhe, crocus et costum 9 ; divers produits agricoles, considérés comme prémices des fruits de la terre, far, farra f0, fruges ", baccae'2, spicae"; du miel, quelquefois en rayons, me114, favi15 ; des aliments usuels, dapesf0 ; du sel, sal17 ; enfin certains gâteaux spécialement préparés pour les cérémonies religieuses suivant des prescriptions rituelles, la mola salsa" et les liba's. Ces diverses libations faisaient partie du culte domestique comme des rites qui se célébraient dans les sanc SAC -97/4SAC tuaires publics. A l'intérieur de chaque maison, c'était au moment des repas, au début ou entre le premier et le second service, qu'on procédait aux libations en allant porter au foyer et en jetant dans le feu une partie des quibus hostiis immolandum cuique deo 2... On se servait de même du mot victima dans l'acception générale de notre mot victime10. Outre les animaux appartenant aux trois races bovine, ovine et porcine, les Romains aliments'. C'est ce que, dans un bas-relief étrusque de Chiusi (fig. 6003), on voit faire à un convive placé près de l'autel, dans le repas qui suit un sacrifice Dans les sanctuaires et les temples, les libations étaient pratiquées soit isolément (fig. 6004), soit en même temps qu'on immolait une victime (fig. 6005). Plusieurs écrivains anciens affirment qu'à l'origine les libations seules ; c'est-àdire les sacrifices non sanglants, existaient dans le culte romain 3 ; cette assertion a été fort justement révoquée en doute par les savants modernes ; il y a, dans la religion romaine la plus ancienne, des indices certains de l'existence de sacrifices sanglants4. 2° Sacrifices sanglants : victimes animales. Dans les sacrifices sanglants, les victimes immolées aux dieux étaient le plus souvent des animaux, quelquefois des êtres humains. Nous nous occuperons d'abord des sacrifices d'animaux. Les Romains choisissaient principalement les victimes dans les trois races bovine, ovine et porcine 6 ; les animaux de race bovine étaient qualifiés victimae 6, tandis que les autres animaux portaient le nom d'hostiae7. 11 ne convient pas d'attribuer à cette division une valeur excesssive : les deux mots paraissent avoir été employés pour désigner toutes les victimes en général; c'est le cas, par exemple, pour hostia dans ce texte de loi cité par Cicéron : (sacerdotes) quae cuique divo decorae grataeque sint hostiae providento8; et dans cette phrase de Cicéron lui-même : Jam illud ex ins titutis pontificum et haruspicum non mutandum est sacrifiaient, dans certains cas particuliers, des chevaux [OCTOBER EQoos, t. IV, p. 149]; des coqs et des poules en l'honneur d'Esculape 11 ; des chiens et des chiennes aux Lupercales [LUPERCALIA, t. III, p. 1400-1401] et dans quelques autres cultes, tels que celui de ROBIGO, de la Canicule et des Lares 12 ; des poissons aux vOLCANALL 13. Les victimes, de quelque race qu'elles fussent, formaient des catégories distinctes suivant leur âge, leur sexe, parfois aussi leur couleur. En ce qui concernait l'âge des victimes, on distinguait les lactentes et les majores". Suivant l'opinion le plus généralement adoptée, les animaux lactentes étaient ceux qui n'avaient pas encore leurs deux rangées de dents, supérieure et inférieure, qui n'étaient point encore bidentes ou ambidentes16. Les animaux majores étaient ceux qui avaient dépassé cet âge. Outre cette distinction essentielle, certaines règles prescrivaient soit de n'immoler les victimes lactentes qu'un certain nombre de jours après leur naissance, les porcs cinq ou dix jours, les brebis sept jours, les veaux trente jours 16; soit de choisir spécialement pour tels ou tels sacrifices des brebis et des moutons dont la laine n'avait pas encore été tondue, oves altilaneae, arietes, verveces altilaneif7. En ce qui concerne le sexe des victimes, on immolait, en général, des mâles aux dieux, des femelles aux déesses1e ; toutefois, cette règle souffrait des exceptions: par exemple, on sacrifiait annuellement au nom de l'État une génisse, juvenca, à Hercule 'y. Ces exceptions devraient être assez nombreuses, puisque Cicéron attribue aux prêtres la tâche d'indiquer aux fidèles, ex institutis pontificum et haruspicum, à quelles divinités il faut immoler des animaux mâles, à quelles divinités conviennent des victimes femelles 20. Il y avait aussi des prescriptions assez rigoureuses quant à la couleur des victimes: en général, les divinités du ciel préféraient des animaux blancs ; les divinités qui avaient quelque rapport avec le feu, des victimes au poil roux ; les divinités infernales n'agréaient que des animaux de couleur noire ou foncée'-'. A vrai dire, on ne se gênait guère pour tourner les difficultés qui résultaient SAC 975 SAC parfois de telles prescriptions: quand les taureaux blancs faisaient complètement défaut, on blanchissait à la craie la victime destinée à Jupiter Capitolin 1. Nous ne pouvons entrer ici dans le détail d'autres conditions particulières exigées des victimes dans les divers cultes : on trou vera ces conditions mention nées aux articles qui traitent de chaque divinité. Outre les conditions de race, d'âge, de sexe, de couleur, les animaux offerts en sacrifice devaient remplir certaines conditions générales, communes à toutes les victimes. Ils devaient être sans tares; c'en était une pour les boeufs d'avoir porté le joug ou tiré la charrue 2. A plus forte raison, un animal boiteux, borgne, blessé, etc., était-il, par là même, écarté de toute cérémonie religieuse. Ces qualités spéciales requises de la victime étaient exprimées d'un seul mot: elle devait être pura3. La réunion de toutes les conditions ci-dessus indiquées était tellement nécessaire que les animaux destinés aux sacrifices, du moins aux sacrifices publics , étaient soumis à un véritable examen officiel, la probatio ; une victime n'était admise que si elle avait été probata 4. La probatio était faite soit par les magistrats, consuls ou préteurs, qui offraient les sacrifices', soit par les prêtres Si, le plus souvent, une seule victime était immolée, dans certains cas, le sacrifice comprenait l'immolation de plusieurs animaux: la plus fameuse des cérémonies de ce genre était le sacrifice des suovetaurilia, où l'on offrait à Mars un taureau, un bélier et un porc [fig. 6006 et MARS, p. 1617, LUSTRATIO, p. 1429]. Quand la victime ou les victimes avaient été choisies et admises (optatae, probatae), alors l'acte même du sacrifice, l'opération rituelle commençait '. On peut la diviser en trois parties ou moments : 1° la victime est parée et amenée à l'autel ; 2' elle est consacrée à la divinité et immolée; 3° ses chairs sont partagées entre la divinité et les hommes, après qu'on en a examiné certaines parties pour y reconnaître la volonté divine. C'était surtout la tête de la victime qui était ornée: les éléments essentiels de cette parure étaient l'in fula, la vitta, plus rarement une plaque richement décorée, =;s (fig. 6007) qu'il faut peut-être appeler frontale ' p. 1343; INFULA, p. 515 ; VJTTA], des guirlandes de fleurs (fig. 6008; cf. SERTA); les cornes des boeufs étaient dorées a, et parfois on mettait sur leur dos une large bande d'étoff e plus ou moins richement ornée, appelée dorsuale [nORSUALE, p. 387]. Cette toilette terminée, la victime ou les victimes étaient conduites en procession jusqu'auprès de l'autel par les ministri, popae, cultrarii, victimarii [CULTaARIUS, t. I, p. 1587j; sur les monuments, ces personnages sont représentés nus jusqu'à la ceinture ; ceuxci portent sur l'épaule le malleus ou la securis ; ceux-là tiennent à la main le cuiter [CULTER, p. 1585]. Cette procession avait une importance toute particulière dans les sacrifices purificatoires [LUSTRATIO p. 1422 sq.]; mais, quelle que fût l'intention dans laquelle la victime était offerte aux dieux, toute résistance de l'animal à sa laisser mener à l'autel était tenue pour un indice de très mauvais augure ; à plus forte raison, renonçait-on à sacrifier la bête lorsqu'elle réussissait à s'échapper'°. Lorsque la victime avait été amenée à l'autel sans difficulté ni incident, le second moment de la cérémonie commençait. Le magistrat ou le prêtre qui offrait le sacrifice procédait d'abord à une libation d'encens et de vin", puis il consacrait la victime par le rite de l'immolatio proprement dite, c'est-à-dire en répandant sur sa tête la mola salsa [MoLA, t. III, p. 1962] et une coupe de vin12. Le sens de ce rite n'est point douteux; jusque-là la victime n'appartenait pas à la divinité ; après l'immolatio, elle est sacra: immolare, dit Festus, est mola, id est faire molito et sale, hostiam perspersam sacrare13, Après avoir été consacrée, la victime était tuée; à l'origine et peut-être dans les sacrifices privés, c'était le prêtre lui-même qui la tuait; dans les sacrifices publics, le prêtre ou le magistrat, chargé de la cérémonie, se contentait de faire un geste symbolique, par exemple, de promener un couteau tout le long du dos de la victime, SAC -976 SAC depuis le front jusqu'à la queue 1. L'animal était mis à mort par des ministri, ceux-là mêmes qui avaient conduit la victime ou les victimes à l'autel, cultrarii, popae, victimarii (fig. 6008) ; les taureaux et les boeufs étaient frappés avec une hache, .securis ; les veaux et les génisses étaient abattus avec un maillet, malleus ; les bêtes de race ovine et porcine étaient égorgés avec un couteau, cutter 2 [CULTES, p. 1585 ; CULTRARIUS, p. 1587]. Loin de marquer le terme de la cérémonie, la mort de la victime n'était, au contraire, que le prélude de pratiques minutieuses et compliquées, ou l'extispicine tenait une place importante. Abattue ou égorgée, la victime était, en général, dépecée ; des chairs proprement dites, viscera, on séparait les exta; ce dernier mot désignait le foie, les poumons, le coeur, le fiel et la membrane qui enveloppe les intestins (jecur, pulmo, cor, fel, omentum). Ces divers organes, auxquels il faut peut-être joindre l'estomac et les reins, étaient d'abord soumis à l'examen des aruspices ; si cet examen ne révélait dans la constitution de la victime aucune anomalie, aucune tare, on en concluait que le sacrifice avait été agréé par la divinité on tirait aussi de ces examens de multiples indications sur la volonté divine, sur l'avenir, sur les événements prochains, etc. [HARUSPICES DIVINATIO, p. 299, fig. 2474 p. 2325]. Quand l'examen des exta était terminé, les sacrificateurs procédaient à une sorte de cuisine savante: ils coupaient les divers exta en morceaux, que les auteurs appellent prosecta, prosiciae, prosicies, prosicium3 ; à ces prosecta ils ajoutaient quelques autres parties de la victime (augmenta, énagmenta), un morceau de la queue, un morceau du cou, un morceau de la hanche, une sorte de farce et des saucisses: le tout, dûment préparé, mélangé, dosé et cuit, composait un plat ou ferculum, sur lequel on répandait, comme on l'avait fait sur la tête de la victime encore vivante, de la mola salsa et du vin. Sous cette forme, les exta étaient placés sur l'autel, porrecta ou reddita 4; c'était la part de la divinité; elle était brûlée. Le reste des chairs de l'animal sacrifié était dès lors considéré comme non sacré, et consommé soit par les prètres, soit par les fidèles au nom desquels le sacri lice avait été accompli, soit peut-être, en cas de cérémonies officielles, par les magistrats et les sénateurs 3. Tels étaient, abstraction faite des cas particuliers et des circonstances exceptionnelles, les rites du sacrifice romain, les divers actes, dont l'ensemble, la succession, les rapports réciproques, rigoureusement déterminés par le rituel, constituaient le sacrifice. Les sacrifices d'animaux n'avaient pas tous le même caractère; ils n'étaient pas tous offerts dans la même intention. Les uns étaient simplement propitiatoires ; d'autres étaient des sacrifices d'actions de grâces, supplicationes, gratulationes, qu'on offrait, par exemple, pour célébrer tous les événements heureux de la vie privée ou publique des empereurs ; ceux-ci étaient purificatoires [LUSTRATIO, p. 1413 sq.], et l'un des plus importants était la cérémonie des suovetaurilia [LUSTRATIO, p. 1428-1429]; ceux-là étaient plus spécialement expiatoires, piacula [PIAcuLUM, p. 454-455]. Il n'est pas certain', que dans les sacrifices expiatoires les victimes fussent entièrement brûlées : Wissowa déclare que les holocausta étaient inconnus dans le vieux rituel romain 8; les Acta Arvalium nous apprennent qu'à plusieurs reprises, en cas de piacula, la part de la divinité se réduisait aux exta et les chairs des victimes étaient consommées par les frères Arvales 9. 3a C'est à la catégorie des piacula que se rattachaient dans la religion de Rome les sacrifices humains. La tradition romaine prétendait, à l'époque classique, que l'immolation des victimes humaines était un rite étranger i0; c'était, d'ailleurs, dans les livres sibyllins que les pouvoirs publics trouvaient ou feignaient de trouver l'ordre de procéder à de tels sacrifices ". Numa, le fondateur et l'organisateur légendaire du culte national, passait pour les avoir interdits f2. Quelles que fussent sur ce point les affirmations et les prétentions des écrivains latins, il parait aujourd'hui démontré que la plus ancienne religion romaine a connu et pratiqué, comme la plupart des religions primitives, sinon toutes, l'usage de consacrer des êtres humains à la divinité, pour apaiser sa colère provoquée par un crime, une faute, etc. Les rites de la procession des Argei, du culte de Mania et des Lares Compitales, la devotio, la consecratio capitis étaient, semble-t-il, des survivances de cet usage [ARGEI, t. 1, p. 404-406 ; CoNSECRATIO, t. I, p. 1451 ; DEVOTIO, t. 1I, p. 113 sq. ; MANIA, MANES, t. III, p. 1572 ; OSCILLUM, t. IV, p. 257 ; SATURNALIA, VER SACRUM]. Non loin de Rome, au pied des monts Albains, dans le bois consacré à Diana Nemorensis, le meurtre du prétre de la déesse par son successeur était sans doute aussi l'atténuation d'un antique sacrifice humain 13. Tite-Live et Plutarque sont d'accord pour nous apprendre que soit en 222 (Plutarque), à la veille de la guerre contre les Gaulois Insubres de la Cisalpine", soit en 216 (Tite-Live), après la bataille de Cannes", les êtres humains sacrifiés, un Grec et une Grecque, un Gaulois et une Gauloise, furent enterrés vivants sur le Forum Boarium. Tite-Live ajoute : in locum saxo conseptum, [jam] ante hostiis, minime Romano sacro, imbu SAC 977 SAC tue. Si l'on se rappelle les conditions particulières du supplice infligé aux Vestales qui avaient manqué à leur voeu de chasteté', on sera frappé de la ressemblance au moins extérieure qu'il y avait entre ces sacrifices humains et le mode d'exécution des Vestales coupables 2. La mise à mort des Vestales n'aurait-elle pas été, elle aussi, un véritable sacrifice humain? N'y faudrait-il pas voir la forme, peut-être la mieux conservée, de cet usage barbare ? Par sa faute la Vestale coupable avait gravement offensé la déesse dont elle était chargée de célébrer le culte : afin d'éviter que la colère de la déesse n'atteignit la communauté tout entière 3, on lui sacrifiait, au sens étymologique du mot, la personne elle-même qui avait provoqué cette colère. La victime, retranchée désormais du nombre des humains, était enfermée vive dans un caveau souterrain. L'exécution de Vestales coupables serait, dans notre hypothèse, un piaculum demeuré immuable malgré l'adoucissement des moeurs romaines. D'autre part, du rapprochement que nous venons de faire, il semble résulter qu'au moins dans les temps historiques, à Rome, les victimes humaines n'étaient pas, à proprement parler, immolées ni égorgées, mais plutôt livrées à la divinité : les sacrifices humains, ceux du moins dont la tradition historique nous a gardé le souvenir, diffèrent donc profondément des sacrifices d'animaux. Plus tard, en 97 av. J.-C., les sacrifices d'êtres humains furent interdits formellement par la loi romaine 4. Si, à une date aussi tardive, le Sénat crut devoir promulguer une telle loi, c'est bien, quoi que prétende Wissowa que les sacrifices humains n'étaient pas absolument étrangers à la religion romaine. II. Conditions extérieures : personnel, réglementation, mobilier, ustensiles. Nous avons déjà eu l'occasion, dans les observations précédentes, de mentionner quelques-uns des personnages qui jouaient un rôle dans l'acte même du sacrifice. Le plus important était celui-là même qui sacrifiait, c'est-à-dire qui accomplissait en personne les rites liturgiques ou qui présidait à leur accomplissement. Dans les sacrifices du culte domestique, le sacrifiant était, en principe, le paterfamilias ; il célébrait les rites sacrificiels en son propre nom et au nom de toute sa domus ; s'il avait besoin d'assistants, ces assistants n'étaient autres que Ies membres de sa famille, sa femme, ses enfants ou ses esclaves. Lorsque le sacrifice était offert à une divinité dans un sanctuaire déterminé, le sacrifiant était un prêtre, assisté, suivant les circonstances, d'un personnel plus ou moins nombreux. Enfin, dans les sacrifices publics célébrés au nom de l'État, il arrivait que le sacrifiant fût un magistrat, consul ou proconsul, préteur ou propréteur [SACEROOS]. Parmi les assistants du prêtre ou du magistrat dans les sacrifices publics, il convient de distinguer: 1° les camilli, véritables servants du culte, qui devaient être de naissance libre [CAMILLI, p. 858-8591; 2° les victimarii, à qui incombait le soin de tuer les victimes, popae, cultrarii CULTRARIUS, p. 1587] ; 3° les tibicines, ViIf. joueurs de flûte [TIBICEN] ; 4° les praecones, calatores, lictores, spécialement chargés de veiller à ce que la cérémonie ne fût troublée par aucun bruit, aucun désordre [PBAECO, LICTORI ; 5° les pistores et les coqui, qui préparaient les liba, fercula, magmenta, etc. [COQUES, p. 1503; PISTOR, p. 499]; 6° enfin l'haruspex, qui examinait les exta [HARUSPICES, p. 23 sq.]. Tous ces personnages étaient soumis, comme le sacrifiant lui-même, aux conditions générales de pureté, physique et morale, réclamées de tous ceux qui prenaient part à une cérémonie religieuse ". En outre, nous savons par les monuments et les textes que le sacrifiant et les victimarii étaient astreints à certaines obligations liturgiques. Le sacrifiant, prêtre ou magistrat, s'il voulait observer strictement le ritus romanes, devait sacrifier velato capite, c'est-à-dire en se couvrant de sa toge tout le haut de la tête et la nuque; c'était là ce qu'on appelait le cinctus Gabinus Cette disposition de la toge est parfaitement visible sur un grand nombre de monuments, comme on le voit plus haut dans les figures 6004 et 6006 ". (v. aussi 3458). Dès l'antiquité, on a cherché la cause de ce rite fort caractéristique ; d'après Plutarque u on en donnait plusieurs raisons, que M. S. Reinach résume en ces termes: « L'origine de cet usage remontait. croyait-on, à Énée. Au livre lil de l'Lnéide, le héros troyen aborde en Épire et consulte le devin Helenus, fils de Priam, qui règne sur des villes grecques avec Andromaque. « Dès que ta flotte sera parvenue au terme de sa « course, dit Helenus, et que tu auras élevé des autels « sur le rivage pour acquitter tes voeux, couvre-toi la tête d'un voile de pourpre, de peur qu'au milieu des feux « sacrés allumés en l'honneur des dieux, un visage ennemi « ne se présente à tes regards et ne trouble les présages. « Que tes compagnons répètent ce rite dans les sacrifices ; « observe-le toi-même et que ta postérité s'y conforme. » On racontait qu'Énée, sacrifiant sur le rivage de l'Italie, fut surpris par Diomède ou un autre Grec et qu'il put échapper au trouble que devait lui causer cette rencontre grâce au voile dont il était recouvert. Voilà la fable étiologique, l'origine pseudo-historique de la coutume. Plutarque allègue cette explication, mais il en propose encore trois autres : 1° on adore les dieux la tète couverte par humilité ; 2° on agit ainsi pour ne pas entendre pendant la prière des paroles de mauvais augure ; 3° on veut signifier que l'âme qui adore les dieux en dedans de nous est couverte et comme cachée par le corps '°. » Aucune de ces explications ne peut être admise, et M. S. Reinach, après avoir rappelé plusieurs épisodes historiques et diverses coutumes romaines où le voilement de la tête est attesté, conclut, plutôt sous forme d'hypothèse : « On peut dire, d'une manière générale, que le voile convient aux choses sacrées, parce qu'elles sont « mises à part » pour les dieux, réservées à leur usage, et, en conséquence, isolées du monde ". » Cette conclusion aurait plus de valeur, si le voile couvrait, non le sacrifiant, mais la victime. Quoi qu'il en soit, ce n'était une 123 SAC -978SAC obligation pour le prêtre ou le magistrat sacrifiant de ramener sur sa tète un pan de sa toge que dans le rites romanus; s'il sacrifiait suivant le rite grec, il accomplissait la cérémonie la tête découverte, aperlo capi.le. .Ainsi, sur les reliefs de la colonne Trajane, l'empereur sacrifie, tantôt voilé, tantôt, au contraire, tète nue'. Sur un bas-relief du Louvre 'fig. 6009) un quindecemvir fait une libation à Apollon la tête nue, couronnée de laurier t. Sur les monuments, le costume des victimarii est très caractéristique. Ils sont représentés le torse nu, vêtus seulement d'une sorte de tablier serré à la ceinture, qui ne descendait guère au-dessous des mollets, et qui était orné d'une frange à sa partie inférieure LLrmus, t. III. p. 1259]. Cette disposition du limus explique l'épithète de succincti, donnée aux viciimarii. Souvent ils sont couronnés, probablement de laurier ; les camilli et les tibicines le sont aussi d'habitude'. Les rites sacrificiels proprement dits étaient accompagnés de prières ou de formules liturgiques prononcées par le sacrifiant'. Prières et formules étaient fixées par les pontifes et reproduites dans leurs rituels '. Il y avait même tin formulaire, semble-t-il, pour les prières qui devaient être dites dans les sacrifices domestiques. Caton nous a conservé plusieurs formules de ce genre, telles que : Jane pater, de hac strue commovenda boiras preces precor, uti sies volens propitius mihi liberisque meis, domo familiaeque meae, ou encore Jupiter, te hoc Tercio obmovendo boisas preces precor, uti sies voleras propitius mihi liberisque meis, domo familiaeque meae maous hoc fercto G. Voici, d'autre part, la prière que tout propriétaire devait prononcer, lorsqu'il célébrait la lustratio de ses champs sous la forme des suovetaurilia : Mars pater, te precor, quaesoque uti sies volens propitius mihi, domo familiaeque nostrae, quo jus rei ergo agrum terrain fundumque meum suovitauriliacircumagi jussi. Utitu morbos visas invisosque, viduertatein, vastitudinemque, calamitates intemperiasque, prohibessis, defendas averruncesque; otique tu fruges, frumenta, vineta virgullaque grandire beneque eveniresinas; pastores pecuaquesalva seroassis dicisque bonum salutem. valetudinemque mihi, domo familiaeque nostrae. Harumce rerurn ergo fundi terraeque agrique mei lustrandi lustrique faciendi ergo, sicuti dixi, matte hisce suovitaurilibus lactentibus immolandis esto. Mars pater, ejusdem rei ergo, macle hisce suovitaurilibus lactentibus esto '. Le Chant des Arvales était sans doute une prière qui accompagnait l'un des rites du sacrifice à la dea Dia'. Prières et formules liturgiques devaient être prononcées sans qu'un mot fût changé ni même déplacé : la plus légère modification constituait un piaculurn et la cérémonie tout entière devait être recommencée [PiACULUm, p. 454-455]. D'autre part, pendant que le sacrifiant procédait aux diverses opérations sacrificielles, libatio, immolatio, porrectio des exta, etc., les assistants devaient observer un silence parfait : ordre leur en était donné par le praeco, le calator ou le lictor, qui disait: Farcie linguis' ou bien Roc age 10 ou encore Parcilo linguani". C'était le moment où le tibicen jouait de la flûte, afin qu'aucun brui! étranger ne vint troubler lacérémonie 12. Des prescriptions minutieuses réglaient tous les détails du sacrifice; ces prescriptions devaient être rigoureusement observées; la moindre négligence, un oubli, un geste non conforme au rituel, constituaient un piaculum. Les sacrifices, du moins les sacrifices publics, étaient donc, dans le culte romain, des actes fort compliqués. Un mobilier abondant, des ustensiles nombreux et variés y étaient nécessaires. Si, pour les libations et les sacrifices journaliers du culte domestique, le foyer de la maison suffisait, pour les sacrifices offerts dans les sanctuaires, l'autel est indispensable [ARA, p. 347] ; il fallait même, dans certains cas, que le sacrifiant le tint avec les mains13. Parfois l'autel était remplacé par une sorte de foyer portatif [ARA, p. 3119; Locus, p. 1195; TuRIBULUM], ou par un trépied [TBIPUSI. C'était sur l'autel, le foyer ou le trépied, que le sacrifiant versait les libations de vin et d'encens. Près de l'autel se trouvait en général une table, anclabris, mensa, sur laquelle on disposait soit les instruments du culte, soit les mets offerts à la divinité, soit encore les exta de la victime [ANCLABRrs, p. 236 et fig. 317; MENSA, p. 1720; cf, fig. 133, 317, 417, 449]. Les divers instruments, dont il était fait usage pendant la cérémonie, étaient:le vase d'eau lustrale, labrum ou labellum, placé à demeure près de la porte du sanctuaire ou mobile et porté par un camillus [LABRUm, p. 881] ; l'aspersoir, aspergillum?r, tantôt simple branche de laurier, tantôt véritable goupillon [LUSrRATiO, p. 1408 sq., fig. 4682, 4685]; les vases, appelés praefericulum, guttus, simpulum ou simpuvium, dans lesquels on apportait au sacrifiant les liquides qu'il devait répandre en libations sur les flammes de l'autel, et la patera, dont il se servait pour cet acte rituel [CDTTUS, p. 9674 ; PATEBA, p. 341, fig. 5522 ; PBAEFEBiCULUM, p. 622 ; srmuutum] ; l'acerra ou coffret à encens, qu'un des camilli assistant à la cérémonie présentait ouvert au sacrifiant, afin qu'il y prit les grains d'encens [ACEniA, p. 22, fig. 41, 42] ; la taeda ou torche, avec laquelle on allumait le feu sacré, et qu'un m'aillas tient devant l'autel sur le bas-relief du Louvre (fig. 5908); les divers instruments qui servaient à abattre ou à égorger les victimes, le cutter, que les cultrarii portaient à la ceinture enfermé dans tin étui [cuLTrER, C'LTBABIUS, p. 1584, fig. 2114-2119] ; le malleu.s, SAC 979 SAC dont la masse était, en général, de forme ronde [MALLEU3, p. 1562, fig. 4803) ; la dolabra et la securis, à peine différentes l'une de l'autre, et toutes deux employées clans les sacrifices [DOLARRA, t. 329, fig. 2488; SECURIS] ; Poila ou aula, marmite d'assez grande capacité dans laquelle on faisait cuire les exta'. A ces instruments proprement dits, il faut joindre la mantele, serviette à franges, portée d'habitude par les camilli [MANTELÉ, p. 1581, fig. 4824]. Comme le sacrifiant, comme tous les assistants qui l'entouraient ou qui l'aidaient dans l'accomplissement des rites, ces instruments du sacrifice devaient être purs'. Leur impureté constituait un piaculum. Il fallait de même qu'ils fussent disposés sur l'anclabris ou maniés conformément aux prescriptions rigoureuses du rituel; sinon, il y avait encore piaculum [PIACULOM, p. 454]. On voit, par tous les détails qui précèdent, combien les rites sacrificiels étaient minutieux et compliqués, au moins dans les cérémonies publiques. En dépit de toutes les indications précises que donnaient sans doute les libri sacerdotum populi romani 3, il y avait de très fréquents piacula; les Romains en étaient si convaincus, qu'ils prenaient la précaution de célébrer d'avance, la veille des sacrifices solennels offerts au nom de l'État, un sacrifice expiatoire en vue des fautes que l'on pourrait commettre le lendemain dans la cérémonie principale 4; la victime immolée dans ce sacrifice préliminaire était appelée hostia praecidanea. De même, le sacrifice de la porta praecidanea, que chaque année on offrait à Cérès avant de commencer la moisson, devait expier les dérogations au rituel funéraire qui auraient pu être commises depuis la récolte précédente [PIACULUM, p. 455]. III. Caractère du sacrifice dans la religion romaine. Il est aujourd'hui impossible d'étudier et d'exposer les rites sacrificiels d'un culte, d'une religion, sans parler au moins brièvement des théories récentes sur la nature, le caractère et l'origine du sacrifice. Même si l'on refuse d'accorder à ces théories la solidité et la certitude que leur attribuent maints savants, on ne peut contester qu'elles aient attiré l'attention sur plusieurs détails jadis trop négligés. Al'époque historique, les Romains sacrifiaient à leurs divinités pour obtenir leur protection, pour les en remercier, pour détourner d'avance leur courroux, ou pour l'apaiser s'il avait été déjà provoqué. Les sacrifices étaient les uns propitiatoires, les autres d'actions de grdces; ceux-ci étaient des cérémonies purificatoires, ceux-là des rites d'expiation. En outre, par l'examen des exta, on essayait de savoir si le résultat visé avait été obtenu; si la divinité, à laquelle le sacrifice était offert, l'agréait; si, par conséquent, elle promettait sa bienveillance, se montrait satisfaite des remerciments qu'on lui adressait, renoncait à son courroux pour se réconcilier avec l'individu ou la collectivité qui avait pu l'offenser. Le sacrifice n'était qu'un procédé employé pour acquérir l'appui de la divinité : la cérémonie ne réussissait que s'il y avait vraiment litatio, suivant la formule du scholiaste de Stace: inter litare et sacri/icare hoc interest : sacrificare est hostias inimolare, litare vero per imm.olationem hostiarunt impetrare quod postules 5 [LITATIO, p. 1266-1268]. Si nous essayons de ramener autant que possible à une idée simple les sentiments qu'éprouvaient, en ce qui concerne les sacrifices, les Romains des temps historiques, voici ce que nous trouvons : les divinités sont les puissances qui envoient à l'homme le bonheur ou le malheur, le succès ou l'échec, la richesse ou la misère ; si l'homme veut être heureux, il doit invoquer et obtenir la faveur des divinités; s'il veut éviter les malheurs, il doit détourner de lui ou apaiser le courroux de ces mêmes divinités. Ce qui est vrai de l'individu est vrai de la famille, de la communauté, de l'État. D'autre part, comment faut-il s'y prendre, que faut-il faire pour parvenir à ce résultat ? Il faut sacrifier; c'est-à-dire, il faut abandonner aux dieux, en lui conférant la qualité toute particulière qu'exprimait le mot sacer, soit un objet inanimé, soit un être animé. Mais nous avons vu, au début de cet article, que si le mot sacri ficium eut à l'origine ce sens très compréhensif et très large, en fait, il ne désigna plus tard que la cérémonie spéciale dans laquelle tout ou partie de l'objet ou de l'être offert à la divinité était détruit ou consommé. Le sacrifcium était conçu comme une oblatio d'un genre spécial. Il était, pour employer une expression courante, un sacrifice-don 5. Toutefois, cette conception n'explique point tous les détails de la cérémonie, tous les rites proprement sacrificiels. Pourquoi, par exemple, les objets ou les êtres sacrifiés à la divinité étaient-ils, sinon exclusivement, du moins presque exclusivement des fruits de la terre et des animaux domestiques, c'est-à-dire des objets et des êtres destinés à la consommation alimentaire? Ce caractère est encore accentué par certains faits particuliers : dans le culte domestique, pendant chaque repas, le père de famille allait déposer ou verser sur le foyer une partie des aliments qui composaient le repas; dans les sacrifices publics, la porrectio des exta ressemblait vraiment à la présentation d'un plat savamment préparé. Enfin, sauf circonstances exceptionnelles, la plus grande partie des chairs (viscera) de la victime était consommée, après le sacrifice, par les adorateurs de la divinité. Tous ces traits ne se rapportent-ils pas à une autre conception du sacrifice, celle que l'on pourrait appeler le sacrifice-banquet? Cette conception a été mise en lumière avec beaucoup de précision et de pénétration par W. RobertsonSmith'. Les Romains l'ont eue certainement, puisqu'ils offraient à leurs dieux des epula, et puisqu'il n'est pas certain que l'usage des lectisternes soit à Rome d'origine uniquement grecque [EPULA, p. 738; EPULONES, p. 738 sq. ; LECTisTERNIUM, p. 1006 sq.]. Ainsi, c'est par l'offre aux divinités d'un repas, où les hommes prennent part, que les anciens Romains paraissent avoir voulu s'assurer leur protection, les remercier de leurs bienfaits, ou désarmer leur hostilité. Mais, pour W. Robertson Smith et pour ceux qui l'ont suivi, le sacrifice-banquet était surtout un sacrifice de communion. Seule l'organisation du clan totémique peut en rendre compte, en fournir une explication acceptable. « Dans le totémisme, écrivent MM. Ilubert et Mauss, le totem ou le dieu est parent de ses adorateurs ; ils ont même chair et même sang ; le rite SAC 980 SAC a pour objet d'entretenir et de garantir cette vie commune qui les anime et l'association qui les lie. Au besoin, il rétablit l'unité. L«( alliance par le sang » et le repas en commun » sont les moyens les plus simples d'atteindre ce résultat. Or, le sacrifice ne se distingue pas de ces pratiques aux yeux de R. Smith. C'était pour lui un repas où les fidèles, en mangeant le totem, se l'assimilaient, s'assimilaient à lui, s'alliaient entre eux ou avec lui. Le meurtre sacrificiel n'avait d'autre objet que de permettre la consommation d'un animal sacré, et, par conséquent, interdit'. » A notre avis, il n'y a rien dans les rites sacrificiels romains, tels que nous les connaissons, qui permette d'entrer dans la voie ainsi ouverte. On a prétendu retrouver la trace d'un sacrificecommunion dans l'usage que pratiquaient les frères Arvales lors de la fête de la dea Dia, de se nourrir, le second jour de cette fête, des deux cochons de lait immolés le matin même de ce jour [ARVALES, p. 45 ]. Mais il n'y avait là, en vérité, rien de caractéristique, puisque les esta des victimes avaient été, au préalable, porrectxz sur l'autel situé à l'entrée du lucus deae Dite: le sacrifice s'accomplissait comme tous les autres; il y restait des traces plus visibles peut-être de l'antique conception du sacrifice-banquet; il ne s'y trouvait aucun indice du caractère communiel qu'on veut lui attribuer. De même, certains érudits ont voulu reconnaître des survivances totémiques dans les rites qui prescrivaient de sacrifier des porcs à Cérès, des béliers à. Bacchus, des chèvres à Esculape 3. 11 est certain que les explications de ces rites fournies par les auteurs anciens, tels qu'Ovide, ne sont nullement satisfaisantes ; (lire que le porc est voué à Cérès, parce qu'il détruit les récoltes; le bélier à Bacchus, parce qu'il est nuisible à la vigne ; la chèvre à Esculape, parce qu'elle passe pour être constamment en état de fièvre, ce n'est point donner des raisons bien vraisemblables. Mais le totémisme fournit-il une exégèse plus acceptable? « La victime favorite d'une divinité, écrit M. S. Reinach, n'est autre, à l'origine, que cette divinité elle-même.... Le sacrifice par excellence est celui du totem, dont les fidèles se partagent la chair pour se sanctifier. » Ainsi les ancêtres des Romains auraient été divisés en clans totémiques, dont l'un aurait eu pour totem le porc, un second le bouc, un troisième la chèvre. Ce sont là des affirmations qu'on ne peut ni prouver ni réfuter, parce qu'elles ne sont étayées par aucun document. Au delà de l'époque à laquelle nous permettent de remonter les plus anciens documents historiques aujourd'hui connus, tout est hypothèse ; et chaque hypothèse n'a que la valeur d'une opinion personnelle. A l'époque historique, les rites sacrificiels du culte romain, où la conception du sacrifice-banquet est encore très visible et très nette, ne renferment aucun indice de la conception du sacrifice communiel. J.'focralo.