Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article SCALPRUM

SCALPRUM [SCALPTURA II]. 1. Le nom de cet art chez les Grecs, ôax7CU),t0y)9ucf(a, désigne plus spécialement la gravure en intaille, c'est-à-dire celle des cachets de pierre dure (atfpay(c)2 qui formaient la plupart du temps le chaton des bagues (ôaxré),toç) 3. Les Latins appelaient scalptura non seulement l'art de la gravure sur gemmes, mais encore les gemmes gravées elles-mêmes et jusqu'aux sujets qui y sont figurés ; l'expression de scalpturae ectypae ° s'appliquait aux gemmes gravées en relief que nous appelons camées et les distinguait ainsi des gemmes gravées en intaille auxquelles était réservé le terme de scalptura ; nous ignorons si, chez les Grecs, un terme propre s'appliquait aux camées, l'expression rti7rot £'('(c ty.u.ivot qu'on a parfois traduit par ce mot s'appliquant à tous les reliefs gravés et sculptés, quelle qu'en fût la matière 0. L'étude des monuments nous montre que la technique de la gravure sur gemmes [GEMMAE] n'a guère varié dans l'antiquité, et l'origine en est trop ancienne pour qu'on en sache préciser la date. Cette technique dérive naturellement de celle des travaux de la pierre polie et n'en est que le perfectionnement, et l'avance qu'on voit partout à la scalptura sur la gravure des métaux n'est que l'avance habituelle des arts de la pierre sur les arts du feu et du métal. En 15gypte, des scarabées de cristal de roche, prototypes à la fois du camée et de l'intaille, attribués par M. Maspero 7 à la sixième dynastie, et des cylindres chaldéens datant de plus de 3500 ans avant notre ère supposent l'emploi des instruments et des matières dont nous savons, par Pline, que les lithoglyphes de l'époque classique se servaient, à savoir le foret de fer mousse, imbibé de poudre d'émeri, et peut-être la pointe de diamant ou d'ostracite. L'émeri (a aép;t) 9 est une altération granulaire de corindon qu'on trouve à Naxos 10 (va;(a Àilot, naxium), en Asie Mineure et en Espagne ; pulvérisé et mêlé d'huile, il servait aux lapidaires à tailler et à polir les gemmes: sans doute aussi employaient-ils dans leur travail la meule et la lime" . Une fois sortie des mains du lapidaire qui lui donnait sa forme (cylindre, scarabée, scarabéoïde, cône, etc.), la pierre devait être gravée par le lithoglyphe : pour ce travail, les modernes 12 emploient outre la pointe de diamant, maniée àla main, des forets d'acier, terminés par un bouton plus ou moins gros, qui creusent des trous hémi-sphériques (ce sont les bouterolles), et de fines rondelles d'acier plein montées sur un axe et dont la tranche creuse, en tournant, des sillons plus ou moins profonds (ce sont les scies) : la tige des bouterolles et l'axe des scies sont fixés àl'essieu d'une sorte de roue appelée touret, mise en mouvement par une pédale ; les bouterolles et les scies tournent ainsi dans le même plan avec une grande rapidité, et ii suffit de les imbiber de poudre d'émeri ou de poudre de diamant (dite égrisée) et de les mettre en contact avec les gemmes destinées à être gravées pour qu'elles y creusent des trous et des sillons. On a supposé f 3 que les anciens avaient connu ces divers instruments; en réalité, les textes ne mentionnent comme outils du lithoglyphe que la pointe de diamant, les forets de fer émoussé et, peut-être, le touret, outils qui suffisaient sans doute aux artistes, patients, de l'antiquité. Nous savons par le témoignage des monuments figurés [GEMMAE, fig. 3483, TEREBBA], qu'ils ont beaucoup employé l'archet t1, qui seul peut suppléer au tour pour l'emploi des forets ; seulement, il est probable que dans la gravure des gemmes ils imaginèrent d'y substituer le touret, dès une antiquité très reculée, car le touret est un instrument aussi simple que la meule et le tour, connus depuis une date immémoriale. Tel est l'avis de Soldi, 15, de François Lenormant fe et de Blümner 17 qui ont discuté la question. C'est au touret sans doute que Pline 18 fait allusion lorsqu'il écrit que la plupart deu gemmes qui ne peuvent être entamées qu'avec un fer émoussé, terrent retusum, le sont surtout à l'aide de ce qu'il appelle terebrarum fervor. Il n'est pas, du reste, nécessaire de supposer que ce touret ait tourné au moyen de la pédale 19, car la main-d'oeuvre humaine 20 était chez les anciens à un prix assez bas pour rendre inutile l'invention d'un perfectionnement semblable. Des tours à poteries étaient mis en mouvement à la main [FIGLINUtli OPUS, p. 1121 et fig. 3034]. Nombre d'intailles orientales L1 portent la trace très nette du ferrum retusum, c'est-à-dire du foret composé d'une tige de fer émoussé qu'on imbibait d'émeri coagulé avec de l'huile : ce foret creuse les trous par lesquels sont représentés, dans beaucoup de cylindres ou cônes chaldéens et surtout perses, les jointures des membres et les parties les plus saillantes du modelé ; ces trous sont parfois d'un travail irrégulier et mou, comme on le voit dans cette intaille orientale (fig. 6152) 22, ébauche composée uniquement d'une suite de ces coups de forets : le foret a dû, dans ce cas, être manié à l'archet. Dans d'autres pierres, d'un travail moins barbare, les trous du foret apparaissent, au contraire, d'une netteté parfaite, comme dans la plupart des cylindres perses, et il semble impossible que le foret, pour un tel travail, n'ait pas été fixé à l'axe d'un touret. Peut-être Fig. 6153.Tradans ces cas, les forets se terminaient-ils vailau foretsur déjà par lin bouton', comme la boute tal mile moderne : mais, à vrai dire, des tiges SCA 1110 SCA rondes de fer émoussé peuvent suffire à creuser les mêmes cavités hémisphériques. Le même instrument, très simple, creusait aussi sans doute les sillons qui dans la gravure des intailles figurent le modelé, et il n'y a pas lieu de supposer que les lithoglyphes de l'antiquité aient imaginé et employé la scie 2 des graveurs modernes. Le ferrum retusum manié par un artiste patient suffisait à ce travail, et, en fait, toutes les intailles chaldéennes, mycéniennes et perses, d'une matière très dure, comme la calcédoine, sont uniquement gravées en trous hémi-sphériques et en lignes grasses qui ne supposent que l'emploi de ces forets de fer ` émoussé, leS ~t quels, imprégnés d'émeri, usaient peu àpeulapierre plutôt qu'ils ne la gravaient. Seuls certains cylindres chaldéens ou perses, d'un travail sommaire sont en outre gravés de sillons larges, et d'une régularité sans souplesse, qui ont pu être exécutés avec la meule du lapidaire (fig. 6153). Toutefois les cylindres hittites puis, à une date moins ancienne, toutes les pierres, même les plus dures, perses, phéniciennes ou grecques, portent la trace d'outils coupants ou pointus, généralement très fins : c'est la pointe du graveur qui, pour entamer les stéatites, les hématites, les serpentines. pierres peu rebelles à l'outil, devait être d'une sorte d'acier ou de bronze trempé [FEaeuM, p. 1077] et, pour graver les corindons, devait être de diamant. C'est elle qui dans les intailles creuse ces traits extrêmement déliés, qui deviennent surtout fréquents dans les intailles grecques. L'emploi de la pointe de diamant par les graveurs antiques nous est attesté par Pline 6 [GEMMAE, p. 1461] : les éclats de diamant, dit-il, sont enchâssés, sertis, au bout d'une tige de fer, includuntur ferro et, maniés ainsi par le graveur, ils entament les matières les plus dures. Blümner s suppose que les anciens ont pu utiliser souvent, à la place des éclats de diamant, des fragments d'ostracite, que certains auteurs 9 citent à côté du naxium et de l'émeri, et dont la dureté est extrême. Avec cette pointe qui entame directement la matière à graver, sans l'aide du tour ni du marteau, l'outillage du lithoglyphe (très simple, on le voit) est complet 10. Les graveurs de l'époque mycénienne ont emprunté leur technique aux graveurs chaldéens : comme ceux-ci, ils gravent volontiers des pierres assez molles; lorsqu'ils gravent des pierres dures, ils se servent surtout du ferrum retusum ; très exceptionnellement, q uelques-unes de leurs intailles semblent terminées à l'aide de pointes très dures, éclats de diamant ou d'ostracite. Dans la période qui suit l'invasion dorienne, toutes les intailles qui forment la série dite des pierres des ï'les sont en stéatite, pierre très molle, et gravées ou plutôt écorchées à la main avec une pointe de fer' (fig. 6155). Toutes les intailles du vie siècle sont des scarabées, où la technique égyptienne est visiblement imitée i3 : l'emploi du ferrum re tusum et de la pointe de diamant y sont flagrants. Une foule de scarabées italiotesf4 (fig. 6155), imités des scarabées archaïques grecs, ne sont gravés qu'avec le ferrum retusum, comme beaucoup de cylindres et de cônes chaldéens, et la plupart ne sont que des ébauches composées de trous hémisphériques creusés avec cette bouterolle primitive. Enfin au ve siècle, la technique grecque devient trop souple pour que la trace des outils reste visible sur les intailles et les camées ; gravés, à l'aide du touret, avec le ferrum retusum et la pointe de diamant, ils étaient ensuite polis'' avec soin à l'aide du naxium ou de la pierre à aiguiser 18, que les Grecs appelaient xdvrl, et les Latins cos. Les chefs-d'oeuvre de la glyptique antique nous prouvent, d'ailleurs, qu'avec un instrument aussi simple que le ferrum retusum, imprégné d'émeri et fixé au touret, les graveurs de gemmes savaient atteindre à d'extraordinaires souplesses de modelé. II. SCALPRUM. Ep.(arl. Il semble que l'outil essentiel de la scalptura" doive être le scalprum dont l'exact équivalent en grec est cu.i)dzl 13. Mais nous ignorons si les lithoglyphes désignaient par ces termes leur pointe de diamant, et nous savons, au contraire, que les noms de dt.(nrl et de scat prum étaient donnés à d'autres instruments très différents, appartenant à des arts absolument étrangers àla scalptura. Le ciseau des graveurs d'inscriptions sur marbre est quelquefois nommé cp.(),-fi 19, et SCA 1111 SCA des textes latins appellent ces graveurs scalptores mare morum ; Tite-Live 2 parle d'un scalprum fabrile qui, manié au maillet, servait aux cornacs àtuer les éléphants de guerre devenus furieux : ce peut être le poinçon des tailleurs de pierre, mais aussi bien la tarière des charpentiers ou le foret des forgerons 3 [TEREBRA]. La lancette des chirurgiens [CHIRURGIA, p. 1109] est appelée tantôt aµt0 4 et tantôt p),e6otdp.ov Celse 6, qui emploie scalprum dans le même sens, l'emploie aussi comme équivalent de scalpellum 7, qui est notre scalpel. Le tranchet des cordonniers, qui sert à couper le cuir [suTOR], est habituellement appelé ap.(kt 8 et scalprum ; les mêmes mots désignent aussi le canif 10 avec lequel les scribes taillaient le CALAMUS, ainsi que la serpe " des arboriculteurs et des vignerons ; toutefois, Columelle" réserve le nom de scalprum à la partie tranchante de la faix vinitoria [FALx]. SCALPTOR MONETAE est dans une inscription latine 13 le nom d'un graveur de coins monétaires. L'art monétaire est, d'ailleurs, issu tout naturellement de la scalptura : les premières monnaies frappées en Asie Mineure sont identiques de style aux scarabéoïdes gravés dans le même temps en cette région, et la trace ronde et grasse du ferrum retusum y est très visible, comme dans le statère d'électrumfigure 6157; c'est tout Fig. 6157. à fait exceptionnellement qu'on a signalé S"t"e d'élee. parmi les premières émissions monétaires lapointe de la Sicile des pièces dont les coins ont été gravés au ciseau '6 à l'imitation des reliefs xylographiques. La seule différence entre la gravure des cachets de pierres dures et celle des coins monétaires provient de la différence de la matière : il n'était besoin ni de diamant ni d'émeri pour graver le métal, mais seulement, en dehors du ferrum retusum, d'une simple pointe d'acier maniée soit à la main, soit au maillet]'; le travail était donc exactement le même que celui du graveur d'intailles sur chatons de bagues en métal [MONETA, p. 1970 ; MONETARII, p. 1982]. On sait, du reste, que souvent le même artiste était à la fois graveur de gemmes et graveur de coins monétaires comme ce Phrygillos 19 dont nous possédons à la fois un cachet de cornaline, signé de son nom en toutes lettres, et de belles monnaies, également signées, émises à Syracuse à la fin du ve siècle [GEMMAE, p. 1474]. J. nE Fov1LLE.