Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article SEMO SANCUS

SEMO SANCUS. Pour Varron, Denys d'Halicarnasse et les poètes qui ont suivi leurs enseignements, Semo Sancus est un dieu venu à Rome avec T. Tatius le Sabin, aux débuts de la royauté, et installé par lui dans un sanctuaire sur le Quirinal, en face de celui qui avait reçu le dieu Quirinus, leur Mars national'. Il serait de même identique au DIIS PIDII S (II, 2, p. 291), personnification de la bonne foi et garant des serments prêtés sous la voûte claire du ciel'. Les mythologues modernes ont pris texte de cette identité pour le moins contestable, en remarquant que Dius Fidius est d'une part semblable à l'Hercule romain, que d'autre part, il se confond avec l'Héraklés des Grecs qui a absorbé dans son être un héros de la primitive religion des Romains ; et ils croient apercevoir enfin ce héros dans le Semo Sancus des Sabins 4. Pour mettre quelque clarté au milieu de celte confusion, le meilleur moyen est encore d'étudier Semo Sancus en lui-même, à l'aide des témoignages qui lui sont personnels. Le mot Sente nous est connu par le Chant des Frères Arvales, où, pris au pluriel, il sert à désigner une catégorie de génies apparentés aux Lares et invoqués de concert avec eux Les Semones, ainsi que leur nom l'indique (le catalogue des INDIGITAMENTA mentionne parmi les divinités agricoles une Semonia a) peuvent être classés à côté des Lares, des Pénates et des Mânes, comme un groupe de forces divines qui président à la germination des graines et à la prospérité des semailles. L'importance de cette notion dans la primitive religion des Romains nous est attestée par les vocables de Consivius, Consivia, donnés à Janus et à Ops, par les noms de Saturnus, de Cousus, etc. ; Semo est avecserere, seminare dans le même rapport que genius avec gerere = gignere, generare7. Les Semones du Chant des Frères Arvales se retrouvent dans une inscription votive de Corfinium sous la forme de Semunu a ; plus tard, leur nom survit dans l'oeuvre de Martianus Capella qui l'interprète, d'ailleurs, en se référant au grec'jµilsot et au radical latin semis, par demi-dieux : c'est une erreur évidente '. Pour la désignation du dieu Semo, le vocable Sancus a une valeur limitative; il exprime la fonction spéciale d'un génie de la classe des Semones. Sancus est en rapport avec les mots latins sancio et sanctus, ce dernier le remplaçant même dans divers textes; dès l'époque classique, on le trouve sous la forme Sancius et même, dans les manuscrits de Tite-Live, sous celle, qui parait erronée. de Sangusfa. Sancus sera donc légitimement interprété par : qui sancil, celui qui confirme, garantit (le SEM -1181-SEN serinent) '. Par cette fonction, Semo Sancus apparaît comme semblable au Dius P'idiu.s que les Ombriens nommaient Sancius Pis jus ou Fisovius et qu'ils identifiaient avec Jupiter 2 : les tables Eugubines nomment un Jupiter Sancius, identique au ZEil; n(5T105 des Grecs, que nous rend une inscription plus récente sous le nom de Jupiter Jurarius 3. Si nous remarquons que dans la religion romaine, la sainteté du serment est, en principe, sous la garde du dieu suprême, Dius Pidius équivalant à Jupiter Lavis, et que l'Hercule Romain, tel qu'on le vénère à l'Ara Maxima sur le Marché aux Ba'ufs, est lui aussi une divinité de la bonne foi, prise à témoin dans les contrats on voit comment chez les Latins, les Sabins et les Ombriens, Semo Sancus a pu se confondre tantôt avec Jupiter, tantôt avec Hercule, et aussi former un être à part ayant une fonction semblable. Des témoignages que nous venons de citer, il résulte que le dieu n'appartient pas en propre aux Sabins qui l'auraient introduit à Rome, qu'il a rayonné chez les divers peuples de l'Italie centrale et même que son origine est très probablement latine Outre Rome, où il a eu un sanctuaire que l'on attribuait à T. Tatius, mais qui voué par Tarquin le Tyran fut dédié par Sp. Postumius en 466, après l'établissement de la République, nous le trouvons installé à Velitrae et à Castrimoenium, toutes deux localités du Latium ; sa présence parmi les Semones à côté des Lares est de même à elle seule une preuve de son caractère latin. C'est à Tite Live que nous sommes redevables de la mention d'un culte en l'honneur (le Sancus à Velitrae; le même auteur, à propos de la trahison, en 330 av. J.-C., d'un certain Vitruvius Vaccus, du pays des Annonces, dont les biens furent confisqués au profit du (lieu, dit que l'airain qu'on en retira servit à confectionner des disques qui furent déposés dans son sanctuaire du Quirinal 7. Les tables Eugubines mentionnent des disques du même genre (qu'elles nomment urfeta= orbital. Elles nous apprennent de plus qu'en sacrifiant à Jupiter Sancius, il était d'usage d'en tenir un dans sa main; leur image figure sur des monnaies ombriennes Preller y voit un symbole d'éternité, ce qui parait bien étrange ; on les rapprocherait plutôt des unciiia (SALI!, p. 10201, en leur donnant une signification à la fois astronomique et morale. Images du disque solaire, ils rappellent que Dius Fidius ou Semo Sancus est le dieu du serinent parce qu'il est celui du ciel lumineux'. Dans ce sanctuaire étaient déposés aussi certains traités; ainsi celui que le dernier des Tarquins conclut avec la ville de Gabies 10. On y offrait des sacrifices lorsqu'on partait pour un lointain voyage, Semo Sancus partageant avec l'Hercule la protection des voyageurs et assurantla sécurité des routes''. Une tradition populaire racontait que du chanvre, une quenouille et des sandales qu'on voyait au même lieu étaient ceux de Gaia Caecilia, autrement dit Tanaquil, l'épouse de Tarquin l'Ancien que la légende considérait comme la personnification la plus éminente (le la fidélité conjugale et des qualités qui font prospérer une maison : on y montrait même une statue qui la représentait L2. Dans l'île du Tibre, il existait une autre chapelle où Semo Sancus paraît avoir été vénéré en compagnie de Veioris et de Jupiter Jurarius dont les inscriptions signalent le culte ". Une divinité aussi complexe et de provenance aussi ancienne devait être méconnue plus que d'autres, lorsque le sens de la primitive religion s'oblitéra dans les esprits. Ainsi s'expliquent les identifications multiples dont elle fut l'objet jusqu'aux temps où elle prit place dans la littérature. ll lui était réservé d'être interprétée d'une façon particulièrement étrange par les premiers chrétiens1'n. En 1855, on découvrit à Home dans le voisinage de la Pian-na di Monte Cava/In sur le Quirinal, c'està-dire sur l'emplacement de l'ancien temple de Sent() Sancus Dius Fidius, une statue dont une inscription exhumée en même temps garantissait l'attribution à ce dieu''. Elle n'a rien de commun avec les types connus d'hercule, ce qui contribue à infirmer l'opinion de Schwegler, déjà caduque pour d'autres raisons; mais elle rappelle Apollon archaïque. Le dieu est d'allure jeune, nu ; son bras gauche, étendu, dont l'extrémité est brisée, tenait peut-être un attribut qu'il est impossible de conjecturer (fig. 6299); les yeux sont largement ouverts. C'est la seule représentation connue de Semo Sancus; elle est aujourd'hui au Musée du Vatican. J.-A. lins.