Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article VILLA

VILLA. Le mot villa, prononcé vella par les paysans contemporains de Varron', dérive de la même racine que vicus 2; par son étymologie, il désigne donc une habitation. L'usage latin lui attribue le sens de « maison des champs » ; la villa est la demeure isolée au milieu de la campagne, par opposition à la maison d'une ville ou d'un village. C'est ainsi que nous trouvons le terme employé chez les auteurs classiques : Tite-Live raconte que le consul Ti. Aemilius Mamercus dévasta la Sabine (an 470 av. J.-C.) et brûla non seulement les villages, mais toutes les villas 3. Rapportant des faits analogues, César emploie une expres sion différente : ce n'est plus villa, c'est aedificia que, d'une façon constante, il oppose à viens 4. Mais chez Tacite, comme chez Ti le-Live, nous trouvons couramment le mot villa signifiant toute espèce d'habitations éparses dans les campagnes Si César préfère le terme aedi f cia à villa, c'est vraisemblablement qu'il parle de fermes gauloises et que le mot villa lui semble devoir être réservé aux exploitations agricoles latines. Villa peut avoir en latin une signification plus large que celle de ferme ; ce mot désigne souvent tout le domaine rural avec ses terres et les constructions qui s'y trouvent; villa en vient ainsi à être synonyme de fondus. « La loi des XII Tables », dit Pline, « employait exclusivement llortus (enclos) dans le sens où nous prenons aujourd'hui villa ; pour hortus elle disait heredium 6. » Caton et Varron usent couramment du mot villa pour désigner une propriété sise à la campagne et non pas seulement les bâtiments qu'elle contient'. Mais en d'autres cas ils opposent villa, ensemble des bâtiments de ferme, à fendus, terrains d'un domaine 3 ; c'est en ce sens restreint que Tite-Live et Tacite entendaient le mot. C'est ce sens également que précisent les textes juridiques : u L'usage, dit le Digeste, donne le nom d'aedes aux édifices de la ville et celui de villa aux édifices ruraux... ; tin champ (ager) est un terrain sans villa... ; un champ contenant des bâtiments, au contraire, s'appelle fundus s ». Nous n'étudierons ici le mot villa que dans son acception la plus étroite de construction rurale, renvoyant, pour tout ce qui concerne les biens de campagne en général, On distingue généralement parmi les villas antiques deux grandes catégories : la ferme proprement dite, simple bâtiment d'exploitation agricole, que l'on appelle d'habitude villa rustica, et la villa de maître, dont l'architecture se rapproche de celle des maisons urbaines10, et que l'on qualifie, pour cette raison, de villa urbana. Cette division est évidemment artificielle ; car, bien souvent, la ferme et la villa de plaisance devaient se trouver unies dans un même corps de bâtiment. La villa de Casinum, dont Varron décrit l'installation, apparaît à la fois comme une ferme et comme une habitation de luxe". Columelle semble ne concevoir la ferme modèle dont il trace le tableau que comme une dépendance de la villa urbana. Les fouilles, hors d'Italie surtout, nous font connaître, la plupart du temps, des établissements mixtes, où les constructions utiles se mêlent à celles de pur agrément. La distinction entre villae rusticae et urbanae n'en correspond pas moins à deux aspects divers de la vie rurale dans le monde antique. Il nous sera donc commode de considérer séparément les établissements destinés exclusivement à l'exploitation agricole et ceux qui devaient, avant VIL 871 VIL tout, offrir une villégiature agréable à de grands propriétaires, mais en entendant bien que la réalité les a souvent unis et que, surtout, le développement brillant des villas de luxe n'a jamais pu étouffer complètement la vie modeste des petites fermes. L VILLA RuSTICA, la ferme. La construction de fermes isolées au milieu de la campagne ne saurait être considérée comme un usage particulier à une race ou à un peuple ; elle résulte bien plutôt d'un état économique et social que les diverses populations du monde antique ont atteint à des époques différentes. Des habitudes essentiellement sédentaires et la prédominance de l'agriculture sur l'élevage nomade sont, en effet, les conditions de cette forme d'habitat. 11 convient particulièrement à une société patriarcale, au sein de laquelle chaque groupe familial s'ingénie à produire tout ce qui est nécessaire à sa subsistance. La moyenne propriété favorise la multiplication de ces petits centres de culture' indépendants ; une ferme en effet ne saurait suffire à un trop vaste domaine, tandis qu'une terre très divisée s'accommode mieux de l'existence d'un village. Les fermes exigent, en outre, une société assez policée pour assurer aux familles résidant sur leurs terres la sécurité dans l'isolement. Un tel état semble être celui de la Grèce à l'époque homérique, du monde romain dès le ive siècle avant notre ère et de la plupart des provinces du monde barbare au moment où la conquête romaine les fait entrer dans l'histoire. GRÈce. Si haut que nous permettent de remonter les documents concernant la Grèce, nous trouvons mentionnée l'existence de véritables fermes. Le vieux père d'Ulysse, Laërte, s'est retiré, aux environs de la ville d'Ithaque, dans une demeure de ce genre. « Il l'avait achetée lui-même », raconte Homère, « mais l'avait bien améliorée par son travail. C'est là qu'il avait sa demeure (oxo;) et tout autour courait l'abri (x),(aiov), dans lequel mangeaient, s'asseyaient et dormaient les serviteurs esclaves; là aussi ils accomplissaient leur travail »). Nous pouvons entendre que la ferme se composait essentiellement d'une cour, qu'entouraient la salle de réception (olxo;), les cases des serviteurs et les hangars. Ulysse, ayant retrouvé son père, le ramène vers la belle partie de la maison (7rbç ôi µxTx x«iei) ; ils arrivent aux appartements agréables à habi ter (CxovrO Sd!.X.OU; eûvxtET OVTa;) ; là se trouvait le bain où une vieille femme sicule fait la toilette du vieillard2. De la ferme, située au sommet d'un coteau, un grand jardin peuplé d'arbres fruitiers descendait vers la plaine ; c'est là que travaillait Laërte, tandis que, plus loin, dans les champs, les serviteurs recueillaient des épines pour parfaire la haie de l'enclos. Outre Laërte et sa servante, le personnel ne comptait, semble-t-il, que le vieux Dolios et ses six fils, que des liens d'affectueux dévouement attachaient à Ulysse. Dans l'île d'Ithaque, et même sur le continent, Ulysse possédait d'autres domaines, exploités sous la direction d'un serviteur particulièrement fidèle comme Eumée. La fortune de la plupart des chefs et des nobles de l'ancienne Grèce consistait, sans doute, en domaines ruraux semblables à ceux d'Ulysse et de Laërte, qui, vraisemblablement, ont servi de modèle aux descriptions de l'Odyssée. Dans les pays démocratiques, comme l'Attique, le développement de la petite propriété eut probablement pour effet de grouper les paysans en communautés villageoises et de diminuer le nombre des fermes isolées. En 403 avant notre ère, en effet, {b000 citoyens sur 20000 étaient propriétaires ruraux ; beaucoup d'entre eux habitaient Athènes; ils partaient dès le matin pour leur campagne et rentraient en ville le soir, harassés de fatigue 3. Mais dans les autres régions que l'Attique, en Béotie, en Argolide, en Laconie, dominait sinon la grande, du moins la moyenne propriété et l'aristocratie, ne cultivant pas elle-même, installait des tenanciers sur ses terres. De même que la fortune des nobles, celle des temples consistait, la plupart du temps, en propriétés rurales. Les comptes des sanctuaires fournissent parfois des inventaires assez précis de ces domaines ; à Délos, notamment, les documents de l'Intendance sacrée, relatant les locations des immeubles ruraux, propriétés du dieu, répètent à de nombreux exemplaires de véritables états de lieux. Il est regrettable que l'on n'ait encore mis la main sur aucune de ces fermes suburbaines, de façon à pouvoir comparer la réalité ou, du moins, ce qui en reste, au tableau que permettent d'imaginer les inscriptions. Ces domaines sont désignés par leur nom générique de TÉUEVO;, qui marque leur caractère sacré [TÉSIÉNOS], et non par celui de y~ ou de pw, iov, qui indique les propriétés rurales ordinaires. Cependant les comptes les plus anciens, -ceux des Amphictyons de o34, emploient trois expressions qui donnent de ces propriétés une idée plus complète : « la terre, propriété sacrée, sise à Délos, avec ses jardins et ses bâtiments ». Chacun de ces domaines a son nom particulier : c'est tantôt un adjectif patronymique, dérivé du nom de l'ancien propriétaire, tantôt une expression géographique, indiquant le lieu où la terre est située, et composée d'un nom de localité précédé de iv ou de sri, tantôt un terme qui fait connaître la nature du terrain ou les productions du sol 5. L'un de ces états de lieux, figurant aux comptes des hiéropes de l'année 250, décrit ainsi l'un des plus simples parmi ces « téménos » délions : « un logement pour les esclaves (x),e.tov) avec sa porte, un thalamos sans porte, une étable à boeufs ((3ouaTaats) et une étable à moutons (7ooRar(iv) sans porte, un four (iavwv) sans porte, une porte de cour...° ». Une autre ferme plus grande, mentionnée un peu plus loin par la même inscription, comprend : « une porte de cour, un logement pour les esclaves avec sa porte, communiquant avec un thalamos muni d'une porte, un escalier en bois de palmier, un premier étage muni d'une porte, un moulin (t,tuXeiv) avec sa porte, un appartement pour les hommes (xvlç«vtov) avec sa porte, une porte donnant sur le jardin, un four sans porte, dans le jardin : un appartement pour les hommes, sans porte, quatre figuiers, un grenadier, etc... ». Un troisième inventaire d'un domaine sis à B,hénée énumère : « une porte de cour, un logement pour les esclaves avec porte, VIL 872 -VIL deux thalamos avec porte, un grenier à blé (cero[io),t,'iv) sans porte, une grange (zyuptly) sans porte..., une étable à boeufs sans porte, une étable à moutons sans porte, deux appartements pour les hommes, avec porte, un premier étage (uaepm;ôtov) avec porte, un four sans porte, des vignes, des figuiers, etc... 1 n. Un autre inventaire mentionne encore un cellier (7rtO ôv). Toutes ces listes concordent assez exactement entre elles; plus ou moins complexes, les fermes de Délos et de Rhénée apparaissent bâties sur un plan à peu près uniforme. Essayons de nous représenter ce plan. Nous trouvons constamment mentionnée soit en premier lieu soit, bien plus souvent, en dernier lieu, une porte de cour, sans doute une grande porte à deux battants, comme il sied dans une ferme. L'élément essentiel doit donc être la cour et sur cette cour donneront les diverses pièces ou constructions énumérées. Mais on tenterait en vain de ranger les appartements autour de la cour suivant la disposition traditionnelle de la maison grecque. La première description que nous avons citée mentionne sans doute un thalamos, que l'on serait tenté de placer, comme l'appartement noble [THALAMUS], en face de la porte, en guise de prostas. Mais dans le second état de lieux ce thalamos n'apparaît plus que comme une dépendance, attenante au aaEietov ou logement des esclaves ; il est séparé par une chambre à meules, un moulin, de l'appartement des hommes (ivôouivtov), qui peut avoir autant de droit que le thalamos lui-même à occuper l'espace central. Dans la ferme de Rhénée nous trouvons deux thalamos et deux vôpi vtz, séparés des granges et des étables et flanqués respectivement du logement des esclaves et de la chambre à four. Le premier étage ici semble être construit au-dessus de l'appartement des hommes ; à Délos, il surmontait le thalamos. On ne saurait donc trouver, dans ces fermes de Délos, une pièce comparable au n'égarait des maisons urbaines. Elles diffèrent également de ces fermes de la région de Pergame dont nous possédons par Galien une substantielle et précieuse description [nosius, p. 337]. Nous n'y apercevons pas de grande salle, au milieu de laquelle serait le foyer et que flanqueraient de part et d'autre les étables. Les habitations les plus riches ne se distinguent pas, comme dans le pays de Galien, par une pièce de réunion, s'ouvrant, en face de la porte, dans le mur du fond de la salle principale, et par deux chambres à coucher, disposées de chaque côté de cette pièce de réunion. Les comptes détiens ne fournissent nul indice de cette symétrie qui semble caractéristique de la maison grecque classique. On rapprochera plutôt ces métairies des autres habitations de Délos, des maisons particulières ou des magasins, qui donnent, ainsi qu'on l'a remarqué, un complet démenti à la description faite par Vitruve de la maison grecque. A la ville comme à la campagne, l'élément commun à toutes les habitations détiennes est une cour intérieure, autour de laquelle se groupent, sur trois côtés, les divers appartements L'entrée s'ouvre, au milieu d'un des petits côtés, par un étroit vestibule, resserré entre deux chambres. Nous suppo serons que, dans les fermes suburbaines, la porte s'ouvrait au contraire largement dans le côté du mur d'enceinte, contre lequel ne s'appuyait aucune construction. Quant au péristyle à colonnade, ornement habituel des cours de la ville, il était soit supprimé, soit remplacé par une simple galerie à auvent ; dans une ferme, en effet, il n'aurait été qu'une gêne. On admettra sans peine que les inventaires déliens énumèrent les différentes pièces des fermes dans l'ordre où celles-ci se présentaient au visiteur; ils nous font faire, pour ainsi dire, le tour de la cour. Le premier local signalé de façon constante dans le voisinage de la porte de la cour est le x?e(etov, le logement des esclaves, auquel est toujours associé un thalamos, et quelquefois deux. Ce thalamos est probablement la salle commune où résidait la maîtresse de maison, où mangeaient les serviteurs de la ferme, où s'accomplissaient les travaux domestiques. Il pouvait être surmonté d'un étage où couchait sans doute le fermier. Le x)■EtIctov et le thalamos devaient occuper l'une des faces latérales de la cour. Contre le mur du fond pouvaient trouver place, dans la première ferrne, l'étable à boeufs ; dans la seconde, la chambre à meules et l'andrônion ; dans la troisième, la grange et l'étable à boeufs. Sur le troisième côté nous trouverions, soit l'étable à moutons et la chambre à four, soit la porte du jardin et la chambre à four, soit enfin, dans la villa de Rhénée, deux andrônia surmontés d'un étage faisant face aux deux thalamos, la chambre à four et l'étable à moutons. ITALIE. lei encore l'élément essentiel semble être la cour (cohors, chors, cors); d'ailleurs n'en est-il pas de même dans les fermes modernes? Les dimensions de cette cour doivent être calculées sur le nombre des troupeaux, des paires de boeufs, des chariots et des machines agricoles'. La ferme, dans son ensemble, doit être proportionnée au domaine qu'elle exploite Près de la porte, surveillant l'entrée, placez, dit Varron, la cella du mucus' ; aménagez dans le voisinage un local où ie personnel servile puisse se reposer et s'abriter commodément du froid et du chaud ; une autre pièce, dans le sous-sol, servira. de logement aux esclaves enchaînés [ERGASTULUM]. La cuisine [CULINA] ne devra pas être éloi gnée ; c'est là qu'avant le lever du jour, en hiver, les serviteurs exécuteront quelques menus travaux, là aussi qu'ils prépareront et prendront leurs repas 6. Elle doit donner, ajoute Vitruve, sur la cour, au lieu le plus chaud, et elle se trouvera en communication avec l'étable à boeufs (bubile, bovile, sTABurJIM). A proximité on placera le bain des esclaves [BALNEUM] et les pressoirs à huile [rormuuAn, CELLA olearia]. Ceux-ci doivent ouvrir au midi, tandis que les pressoirs et les caves à vin [CELLA vinaria] ne prendront jour qu'au nord. Les greniers [nonREUsI] occuperont le premier étage, du côté de l'aquilon. Sur la cour donneront encore les abris pour les moutons et les chèvres (civile, caprile) et l'écurie des chevaux [EQUILE, STABCLUSI], prenant jour à l'est'. [Ce sont là les parties principales du bâtiment; mais il n'est guère de ferme qui ne comporte des dépendances plus ou moins étendues, pour la commodité ou la pro VIL 873 VIL spérité de l'exploitation. Il y faut, par exemple, une remise couverte (tectum), où l'on puisse abriter les chariots et les instruments de travail; Columelle la range parmi les horrea et il veut que les outils en fer (ferramenta) y soient tenus sous clef dans un réduit spécial'. Beaucoup de cultivateurs ont une porcherie (suile), divisée en plusieurs loges [nABA]2. A tous il leur faut, comme aujourd'hui encore dans les contrées méridionales, une aire (area), généralement pavée de silex, où le blé est foulé sous les pieds des chevaux ; un hangar (nubilarium), placé à côté, permet d'entreposer les gerbes, en cas de pluie; il s'ouvre du côté de l'aire et doit être largement aéré'. 11 est bon que les eaux de pluie soient recueillies dans une citerne [CISTERNA] ou dans des bassins [LACUS], dont un, dans la cour intérieure, servira d'abreuvoir aux bestiaux, et un autre, à l'extérieur, recevra les végétaux que l'on veut faire tremper. On entasse le fumier dans une fosse (sterquilinium) à deux compartiments, l'un pour le fumier frais (novus), l'autre pour le fumier consommé (velus), à proximité du potager [CrBARIA, HORTUS] et des champs du domaine Le nombre et l'étendue de ces dépendances s'accrurent de plus en plus avec les siècles, même dans les propriétés où l'on n'avait en vue que le rapport, surtout lorsqu'on y eut développé l'élevage des animaux de basse-cour. De tout temps on avait pratiqué la pastio agrestis ou pecuaria, c'est-à-dire l'élevage des bestiaux qu'on menait paître au dehors et qui souvent même séjournaient en pleins champs, pendant toute une saison, à une distance plus ou moins grande de la ferme [nus Il vint un moment où l'on s'aperçut que l'élevage pratiqué dans la ferme même (pastio villatica) pouvait aussi procurer de très beaux bénéfices ; d'où le progrès de certaines branches de l'élevage, en rapport avec les exigences de la gastronomie romaine. Varron, qui l'a noté, consacre tout un livre de son traité, le troisième, à la pastio villatica. Il divise en trois catégories les animaux auxquels elle s'applique : 10 les volatiles; 2° les lièvres, entretenus dans le clapier ou la garenne [LEPORARIUM], les sangliers, les chevreuils, les loirs [CLI [COCIILEARIUn1] ; 36 les poissons d'eau douce et d'eau salée, . entretenus dans le vivier [VIVARIUM]. Pour ces besoins nouveaux il fallait des constructions spacieuses et bien aménagées ; on peut voir dans les articles auxquels nous renvoyons tout ce qui concerne la seconde et la troisième catégorie ; mais nous devons dire quelques mots de la première. « Nos ancêtres, écrit Varron, n'avaient dans leurs fermes que deux espaces réservés à la volaille (aviaria) : une basse-cour, où ils nourrissaient les poules,.. et une tour [TUnRIS] pour les pigeons [coLuxBAI1runl] dans la partie supérieure du bâtiment. On a changé ce nom d'aviaria et nous avons ce qu'on appelle des ornithones (ôa niivt5), créés par la gourmandise des propriétaires, constructions qui occupent plus de place que toute une ferme d'autrefois 6. » Même en faisant la part des hyperboles familières aux Romains quand ils parlent de leur luxe, il est évident qu'ils se sont souvent livrés à de grandes dépenses pour loger leurs vola 11. tiles, parmi lesquels, outre les espèces indigènes, il faut compter des espèces acclimatées, comme la pintade et le faisan ; il leur fallait aussi enfermer dans des volières spéciales des espèces sauvages comme les grives, les merles et les cailles, qu'ils voulaient avoir toujours en quantité sous la main, pour satisfaire aux demandes du marché [CIBARIA]. Varron et Columelle indiquent avec précision comment il faut installer le pigeonnier [COLUMBARIUM], la basse-cour, le parc aux Le poulailler (ôpvt0sessxs ov, gallinarium) est ainsi décrit par Varron : « Pour deux cents poules il faut prévoir un enclos (locus septus), dans lequel on dispose deux grandes cabanes [CAVER] l'une à côté de l'autre, toutes deux au soleil levant. Chacune aura environ dix pieds (2 m. 96) de longueur, la moitié (1 m. 48) de largeur et un peu moins de hauteur. Les fenêtres auront trois pieds (0 m. 89) de largeur, un pied de plus (1 m. 19) en hauteur et seront d'osier à claires-voies [CLATRI], de façon à laisser entrer beaucoup de jour, sans livrer passage à aucune bête nuisible. Il y aura entre ces cabanes un passage (ostium) pour le gardien du poulailler (curator gallinarius, aviarius). En travers des cabanes seront fixées des perches (perticae) en nombre suffisant pour servir de juchoir [PETAURU3I] à toutes les poules. Visà-vis de chaque perche on leur creusera des niches (cubilia) dans les murs. On ménagera par devant une cour fermée (vestibulum), où elles puissent se tenir pendant le jour et se rouler dans la poussière. Il y faudra encore une grande chambre (cella), servant d'habitation au gardien. » Le poulailler de Columelle est plus grand d'un tiers, et à deux étages ; l'auteur s'est efforcé de compléter et de dépasser son prédécesseur et en effet il donne des détails intéressants, tant sur la construction même, que sur ses accessoires, les paniers [QUALUS] d'osier, dans lesquels on fait couver les poules, les échelles (asserculi, scandulae) par où elles accèdent aux perchoirs, les auges [CANALISI à couvercles perforés, propres à contenir leur nourriture, etc. 7. La volière de rapport (fructus causa) est, dans la ferme, un édifice très simple, mais qui peut abriter parfois plusieurs milliers d'oiseaux; qu'elle affecte la forme d'une rotonde [TESTUDO] ou d'un rectangle, on la couvre de tuiles ou d'un filet [RETS] ; la porte est basse, étroite, fermée par un tourniquet [COCULEA] ; peu de jour, peu de fenêtres ; car les oiseaux sauvages, qu'on y engraisse pour la vente, ne doivent pas, autant que possible, apercevoir le dehors. Dans le haut, des perchoirs (pali) et des planches (tabulata) fixés aux murs ; dans le bas, depuis le sol jusqu'à hauteur d'homme, tout autour du bâtiment, d'autres perchoirs (perticae) en estrade, reposant sur des supports obliques. La pièce communique avec une autre plus petite, un réduit (seclusorium), largement éclairé, où l'on chasse, au fur et à mesure du besoin, les oiseaux que l'on veut tuer. Toute la volière doit être arrosée par un canal, où l'eau, amenée du dehors à l'aide d'un conduit [FISTULA], puisse courir librement. Une tante de Varron, propriétaire d'une ferme dans la Sabine sur la voie Salaria, entre _tome et Rieti 8, possédait une volière de ce modèle; 110 s. e f d 1 c . VIL -8714VIL en une année elle vendit cinq mille grives qui lui rapportèrent 60000 sesterces (13 020 francs) '.] Commentant Vitruve, M. Choisy imagine ainsi le plan de la ferme latine : une grande cour a avec la cuisine d à l'angle sud-ouest, de façon que les deux côtés reroivent le soleil aux heures les plus chaudes. A proximité, contre le mur t du fond, un • pavillon con l' tenantlesser rb vices des cuisines et des bains d',l'huilerie e et les celliers f. Sur les autres faces, des locaux comportant les orientations prescrites seraient respectivement affectés aux bergeries g, aux écuries h et aux étables O. Si nous reportons sur ce plan les indications dues à Caton, Varron et Columelle, nous obtiendrons le croquis de la figure 7481 : b est le logement du villicus, b' celui des esclaves, i un auvent. Ce n'est là évidemment qu'un plan schématique, pouvant comporter bien des variétés. Pour un domaine de quelque étendue Varron recommande, par exemple, d'aménager une double cour '. En vue de parer au danger d'incendie, Vitruve prescrit de construire hors de la ferme le grenier, la grange (foenile), la forge et le four [PISTRINUM] 5. Caton est d'avis que le maître doit se ménager, à côté de sa ferme, un appartement digne de lui, proportionné à sa fortune et où il aura plaisir à habiter. Il viendra ainsi plus souvent aux champs et son domaine en prospérera davantage '. Il n'en reste pas moins vrai que l'on chercherait vainement une analogie entre le plan de la ferme et celui de la maison romaine. Loin de rappeler l'atrium fermé, la cour, largement ouverte, en est tout l'opposé. La distribution des pièces d'habitation et des locaux d'exploitation autour de la cour n'offre aucune ressemblance avec la disposition si parfaitement régulière du tablinum et des ailes. N'eston pas frappé, au contraire, de l'étroite parenté qui unit la ferme latine aux fermes sacrées de Délos et de Rhénée? La constatation de cette parenté n'est pas, nous semble-t-il, une simple illusion, résultant du caractère également artificiel des deux plans, dressés l'un et l'autre d'après des textes épigraphiques ou littéraires. On pourra tenter d'expliquer cette ressemblance, soit en reconnaissant qu'un tel aménagement est en effet le plus simple et le plus rationnel, celui qui correspondait le mieux aux besoins et aux conditions du travail agricole antique, soit en admettant une influence de la pratique grecque sur les théoriciens de l'agriculture latine, soit enfin en supposant que les Grecs de Délos et les Latins ont reproduit un modèle commun. L'une de ces hypothèses d'ailleurs n'exclut pas nécessairement les autres. Pour nous en tenir aux indices que l'on possède, contentons-nous de remarquer que ni Varron ni Vitruve ne font mystère de leurs sources grecques et que vraisemblablement Caton lui-même, s'il ne cite pas ses auteurs, n'en doit pas moins quelque chose aux Grecs. Ajoutons que l'on peut aisément croire à une influence assez développée des habitudes de l'Orient sur les constructeurs de Délos et que, d'autre part, l'expérience et les traditions agricoles de l'Orient, codifiées par le Carthaginois Magon, n'étaient pas étrangères aux agronomes latins '. S'il nous est impossible de citer, en Grèce, des exemples de fermes ramenées au jour par les fouilles, on connaît, au contraire, en Italie et dans les provinces de l'Occident, bon nombre de ruines d'habitations rurales qui rentrent dans cette catégorie. Les plus complètes ont été trouvées dans la région de Pompéi, sous les cendres de l'éruption de l'année 79 après J.-C. A des bâtiments d'exploitation, destinés à la production du vin et de l'huile, elles unissent des appartements plus ou moins développés. Plus complexe que celui que nous avons esquissé d'après Vitruve, leur plan n'en reproduit pas moins le même type. Il rappelle avec assez d'exactitude les dispositions générales des fermes grecques de Délos. Dans le voisinage immédiat de Boscoreale, au lieu dit della Pisanella, les fouilles ont dégagé, en 1895, une grande ferme, connue généralement sous le nom de Villa de Boscoreale 8 et qu'a rendue célèbre la découverte du trésor de vases d'argent aujourd'hui au Louvre 9. Conservés presque à la hauteur d'un étage, les bâtiments dessinent un rectangle de 39 m. 70 de long sur25m.50de large (fig. 7482). La façade, un grand mur VIL -875VIL rectiligne, regarde .le sud; elle était prolongée à l'est de la ferme, sur une dizaine de mètres, par un mur bas entourant une cour secondaire; à l'ouest s'étendait un jardin. Vers le milieu de la façade s'ouvrait l'entrée principale (a), une grande et solide porte à double battant, peinte en rouge ; elle donnait dans une cour à peu près carrée, garnie sur trois côtés d'une galerie couverte formant péristyle. Les colonnes de pierre soutenant l'auvent reposaient sur un soubassement continu, haut de 0 m. 90. A l'un des angles de ce préau, un bassin (b) était destiné à recevoir l'eau des toitures et correspondait avec une citerne. Le portique servait, pour ainsi dire, d'antichambre aux appartements situés à l'ouest, tandis que sur les côtés nord et est s'étendaient les locaux d'exploi tation. Tournant à gauche, par la galerie, nous arrivons à une logette, légèrement en retrait sur les autres bâtiments (c), le poste du vILLlcos, sans aucun doute. Les restes d'un lit contre le mur du fond indi quent qu'elle était habitée nuit et jour; une fenêtre donnait sur la campagne et le chemin conduisant àlaferme. En t 'une seconde pièce isolée et de destination indéterminée ouvrait sur la cour. Plus loin, un corridor d conduisait à un espace que le passage d'une route moderne a empêché de fouiller. En e se trouvait la chambre à meules. La salle q, donnant sur la galerie, était un triclinium ; on y a retrouvé les restes d'un lit de table. De nombreux instruments agricoles étaient amoncelés en h, qui servait, semble-t-il, ,de magasin. Dans l'angle nord-ouest sont groupés la cuisine (i), le bain (p, q, r) et l'étable ,(t). Un foyer en dallesi"réfractaires (j) ôccupe le centre de la cuisine ; dans l'angle de droite, un escalier (k) conduisait à l'étage supérieur; contre le mur du fond, en 1, était adossé le [araire. En m une caisse de plomb fixée en haut de la paroi servait de réservoir d'eau. Un robinet fournissait l'eau fraîche à la cuisine, tandis qu'un tuyau la conduisait dans une chaudière (o), placée sur le praefurnium (n), où chauffait l'eau du bain'. La cuisine donnait accès au bain placé derrière elle. On reconnaît en p l'apodyteriuin, la salle où l'on se déshabillait ; en q le tepidarium, salle tiède; en r le caldarium, bain chaud avec sa piscine (s). Ces trois pièces étaient pavées de mosaïques ; les deux dernières, construites sur un hypocauste chauffé par le praefurnium, avaient en outre leurs parois tapissées de briques creuses où circulait la chaleur. La piscine s recevait directement l'eau chaude de la chaudière o, placée de l'autre côté du mur. Ce bain, réduit à ses pièces essentielles, était aménagé sinon avec luxe, du moins avec une parfaite entente du confort. Il est curieux de constater qu'il se trouvait porte à porte avec l'étable (t) ; ce local, dont la destination ne saurait faire de doute, puisqu'on y a retrouvé des squelettes de chevaux, de porcs, de poulets, dépendait de la cuisine; peut-être avait-il, dans l'angle qui n'a pu être fouillé, une sortie sur le dehors; mais en tout cas, pour passer de la cour à l'étable, les bêtes devaient traverser la cuisine. Tandis que les pièces de l'angle sud étaient couvertes en terrasse, un étage s'élevait au contraire, à l'angle nord, au-dessus de la cuisine et du bain. Il est difficile de se rendre compte dela disposition de ces chambres supérieures, écrasées par le poids des cendres. Elles renfermaient, semble-t-il, surtout des provisions; dans la cuisine des soupentes contenaient des jarres de vin que l'on mettait vieillir ; une abondante vaisselle de verre et de terre semble aussi avoir été précipitée d'en haut; elle garnissait sans doute les chambres à coucher réservées à la famille qui dirigeait l'exploitation de la ferme. A ce pavillon surélevé de l'angle nord-ouest faisait pendant un autre pavillon à l'angle nord-est, audessus des pièces D-J, auquel on accédait par l'escalier K. Il contenait des chambres d'habitation ornées de stucs assez finement peints; c'était là le bel appartement de la maison, celui qui, évidemment, était réservé au propriétaire. Séparés par le vaste local AA'A", qui n'avait pas d'étage, les deux pavillons ne communiquaient pas entre eux; ils s'élevaient, comme deux tourelles, à chacun des angles, sur la face postérieure du bâtiment. Nous pouvons nous en figurer l'aspect d'après l'image que nous offre une mosaïque africaine de Tabarka 2 (fig. 7483). En façade, la ferme ne présente qu'un mur rectiligne, avec la porte et la loge du mucus. Derrière le mur s'étend une cour, bordée, semble-t-il, d'une colonnade ; au second plan, le corps de bâtiments postérieur est flanqué de deux ailes à un étage, formant tours d'angles. Les parties de la ferme de Boscoreale dont nous n'avons pas encore parlé étaient réservées à l'exploitation agricole du domaine. Ouvert largement sur la cour, VIL 876 en face de l'entrée, le grand local A était destiné à la fabrication du vin ; deux emplacements surélevés en A' et A" supportaient les pressoirs. Un système de canalisations maçonnées recueillait le moût en un bassin A"', d'où une nouvelle conduite amenait le liquide dans la salle 13, placée en contre-bas. Dans cette salle, de grandes jarres, enfoncées dans le sol, sont rangées en files parallèles; la contenance totale de ces récipients atteignait 750 hectolitres. Des soupiraux percés dans le mur de façade éclairaient ce cellier. De l'autre côté du corridor C, dans les quatre pièces D E FG, logeaient probablement les esclaves préposés aux soins du pressoir et du cellier; le réduit Il paraît avoir été occupé par une grande armoire. Plus loin, en I, nous trouvons le pressoir à huile (I'), avec un réservoirM et l'espace J, destiné à contenir la récolte. Des jarres à huile se trouvaient d'ailleurs également disposées dans, le corridor C, le long du mur de B. En L une grange ouvrait directement sur la cour secondaire. Une telle demeure est avant tout, on le voit, un centre d'exploitation rustique; la majeure partie de ses locaux est occupée par les pressoirs à huile et à vin et par les celliers ; le reste est destiné au logement du personnel servile et du mucus chargé de la surveillance de la ferme. Mais le propriétaire et sa famille devaient également y habiter; les appartements situés au premier étage de l'aile orientale auraient été superflus pour un tenancier de condition servile ou affranchi ; les cubicula de la cour et de l'aile occidentale lui auraient suffi ainsi qu'à sa famille. Cependant le propriétaire devait être, lui aussi, un simple paysan prenant part au travail agricole : l'absence de toute pièce d'apparat, la simplicité des bains relégués derrière la cuisine, à proximité de l'étable, l'indiquent suffisamment; un riche Romain, maître de plusieurs domaines analogues, n'aurait pu se contenter, même pour de brefs séjours, d'une installation aussi rudimentaire. Au plan de la ferme de Boscoreale on comparera celui d'un autre établissement situé dans son voisinage immédiat, à quelques centaines de mètres de là, entre Pompéi et Boscoreale, et ayant appartenu, comme l'indique un graffite incisé sur le rebord d'un vase, à P. Fannius Synistor (fig. 7481). La maison' était également destinée àla production du vin et de l'huile, industrie principale, semble-t-il, de la région pompéienne ; mais des bâtiments d'habitation plus luxueux y ont réduit la place réservée aux travaux agricoles. Elle n'en conserve pas moins le caractère très net d'une villa rustica. On notera l'étroite parenté des deux plans : comme la ferme de Boscoreale, celle de P. Fannius Synistor dessine un rectangle. La façade en est orientée non plus au sud, mais à l'ouest ; deux petits corps avançants en rompent l'uniformité dans sa moitié méridionale; mais l'entrée se trouve toujours vers le milieu du mur de front et donne dans une vaste cour à péristyle. Bordée d'une colonnade sur ses quatre côtés et non plus seulement sur trois, cette cour devenait peu praticable aux charrois : c'est celle d'une maison de ville plutôt que d'une ferme. Nous trouvons, sur le côté gauche de la cour, en c et d, des pièces d'habitation. Un autre appartement est composé d'une salle e, très largement ouverte sur la cour, servant pour ainsi dire d'antichambre à une salle f plus petite. Les salles g et h paraissent être deux grands triclinia, dont l'un possède deux petites salles de service. Décorées de peintures de style architectural, toutes ces pièces semblent réservées au maître plutôt qu'au personnel servile. Elles étaient probablement surmontées d'un premier étage, où pouvaient loger les esclaves. Dans le bâtiment du fond, en face de l'entrée de la cour, la place d'honneur, réservée dans la ferme de Boscoreale au pressoir, est occupée ici par un véritable atrium à colonnade centrale (o). A gauche, en j-n, on reconnaît le bain ; à droite, des salles de petites dimensions, en p, servaient sans doute, comme les pièces symétriques de la ferme de Boscoreale, au logement des ouvriers. Elles voisinent avec des communs (q). A l'extrémité méridionale, recevant également la lumière du sud et de l'ouest, on trouve la cuisine (r), avec son foyer (r'). En x et y sont les pressoirs à vin et à huile, avec leurs celliers. Mais la maison de Synistor se distingue surtout de celle de Boscoreale par une entrée monumentale, placée sur le petit côté, au sud des bâtiments. Cinq degrés bordés d'une colonnade (s) donnaient accès à un très ample vestibule (t). C'est là, contre le mur de gauche, qu'était placé le laraire (v). Un double couloir (uu) conduisait de là à la cour centrale et à l'atrium. Cette entrée suppose un remaniement des bâtiments primitifs : elle s'ouvre entre les communs et les pressoirs, bien loin des appartements réservés à l'habitation ; elle ne conduit que très indirectement à l'atrium; le vestibule t et les couloirs ufi semblent avoir été pris sur les locaux précédemment attribués aux pressoirs et aux celliers. Nous considérerions également comme des modifications apportées au plan original l'aménagement de l'atrium o et la construction de la cuisine en r dans une sorte d'annexe ajoutée après coup. Destinée d'abord à une exploitation rustique, la demeure de Synistor semble avoir été, dans la suite, transformée en villa de plaisance par l'adjonction de quelques pièces d'apparat et d'une entrée un peu prétentieuse. Ces remaniements dateraient d'ailleurs d'une époque assez ancienne, puisqu'un graffite, retrouvé sur l'une des colonnes du vestibule, fournit la date du consulat de Germanicus (an 12 de notre ère). Ce type de villa rustica ne saurait être considéré comme particulier à Pompéi ou même à la Campanie. Il paraît être d'origine grecque. Mais comme il est conforme, dans ses grandes lignes, au plan qu'on peut déduire des prescriptions des agronomes latins et de VIL877 -• VIL Vitruve, nous devons Supposer qu'il avait été adopté par la civilisation romaine et répandu par Rome dans les provinces de l'Italie. Les fouilles, qui relèvent cependant assez fréquemment la présence de restes d'habitations antiques dans les campagnes d'Italie, ne nous ont malheureusement fait connaître jusqu'ici, autant que nous sachions, aucun exempté de ferme tant soit peu complet dans le reste de la péninsule. Nos renseignements se réduisent à quelques indications sommaires des écrivains de l'époque impériale, qui, décrivant l'antique simplicité, s'étonnent de la médiocrité des habitations rustiques où résidaient souvent les grands hommes de l'ancienne Rome t. Mais ce môme genre d'exploitations agricoles que nous ont fait connaître les fermes pompéiennes, nous le retrouvons dans les diverses provinces de l'empire romain, depuis l'Afrique jusqu'à la Germanie et à la Bretagne. LES PROVINCES. Fermes à cour ouverte. Telle est, sur la côte illyrienne, en Istrie, la ferme de Brioni Grande, fouillée par M. Gnirs, dans la région de Pola Plus petite que celle de Boscoreale et destinée uniquement à la production de l'huile, la ferme de Brioni a la forme presque carrée et non plus rectangulaire. L'entrée se trouve sur le côté nord-ouest, qui ne présente en façade qu'un simple mur. Elle donne accès dans une vaste cour intérieure, bordée sur trois côtés par un portique. L'aile droite, au sud-ouest, contient les logements de la familia ; l'aile gauche tout entière est occupée par un vaste magasin à huile. Près de là se trouvaient les pressoirs à huile, communiquant par une conduite avec un grand récipient. Puis vient une cave, placée peut-être au-dessous de la cuisine. Les deux pièces voisines servaient probablement de bain et les salles adjacentes, de communs ; le bain et les communs sont séparés par un corridor, conduisant à une sortie sur la face postérieure de la ferme. On reconnaît dans'un tel établissement un plan étroitement apparenté à celui des fermes de Pompéi ; c'est le type, consacré parla tradition, de la villa rustica latine. Fermes à galerie antérieure. Ce type ne reste naturellement pas invariable et subit certaines transformations qui modifient à la fois l'aspect extérieur et la disposition intérieure des bâtiments. Dans les fermes que nous avons étudiées jusqu'ici, les constructions ne s'élevaient que sur trois côtés de la cour ; un simple mur, percé d'une large porte, formait la façade. En Gaule, en Germanie, en Bretagne, au contraire, dans des fermes qui peuvent être datées, d'une faon générale, du second siècle de notre ère, la cour nous apparaît entourée de bâtiments sur ses quatre côtés. Nous trouvons généralement en façade, non pas un simple mur, mais une galerie, occu gant toute la longueur de la ferme et flanquée â chaque angle d'un pavillon avançant. C'est surtout la présence de cette galerie qui distingue les fermes de ce type, dites souvent à corridor, des fermes à cours. Comme exemple tout particulièrement bien caractérisé de ferme à corridor, nous citerons celle de Bilsdorf, récemment fouillée, dans le Luxembourg belge3. L'entrée, large d'environ trois mètres, s'ouvrait au milieu d'un ample vestibule unissant les deux ailes. Une seconde porte, en face de la première, conduisait à la cour. Le pavillon est contenait le bain. Le pavillon nord est occupé par une seule grande salle, oil un espace pavé de briques paraît marquer l'emplacement du foyer. La cour était entourée d'un appentis, soutenu à chaque angle par un poteau de bois, que supportait un soubassement de pierre ; au centre était un bassin rectangulaire, un véritable impluvium; le sol de la cour était tout entier cimenté comme le bassin. A gauche, deux salles étaient chacune précédées d'un espace non bétonné, contenant un praefurnium. En face, au milieu de la cour, s'ouvrait une chambre également précédée d'une installation de chauffage. Au fond, un grand local pouvait servir de communs ou de logement des esclaves. Les habitations de ce type ne présentent plus, il faut le reconnaître, que de faibles analogies avec les fermes de type gréco-latin que nous avons étudiées tout d'abord. Essaiera-t-on de rapprocher la galerie servant de façade, et ses deux pavillons d'angle, du bâtiment que nous apercevons à l'arrière-plan sur la mosaïque de Tabarka (fig. 7483) ? L'aspect, sans doute, n'en devait pas être très différent. Comme le prouve quelquefois la présence d'escaliers, les ailes flanquant la galerie, ou du moins l'une d'entre elles, pouvaient s'élever d'un étage au-dessus des autres parties. Mais l'économie de ce corps de logis n'a rien de commun avec ce qu'on peut observer soit à Tabarka, soit aux environs de Pompéi. La galerie, en effet, se trouve en façade et non plus au fond de la cour ; elle ne contient ni granges, ni communs ; elle se réduit la plupart du temps, semble-t-il, à un simple appentis soutenu en avant par des poteaux ; elle n'est qu'une entrée, protégée par un auvent qui se prolonge tout le long du bâtiment entre les deux ailes'; c'est un large passage couvert, mettant en communication les pavillons, la cour et les différentes pièces de l'habitation. Cette disposition est-elle originale, est-elle imitée des portiques servant fréquemment de façade aux grandes villas de luxe ? Ou bien villae urbanae et villae rusticae reproduisent-elles également un même modèle? Nous n'en saurions juger. Plus frappante encore est la transformation de la cour. L'étroit couloir qui conduit parfois à une sortie sur sa partie postérieure ne pouvait livrer VIL 878 IL passage qu'aux personnes : fermée en avant par la galerie de façade, la cour devenait inaccessible aux charrois, aux bêtes de somme et au bétail; elle ne ser, vait plus que de centre à l'habitation. Quoi qu'en disent les archéologues qui, en Allemagne, se sont récemment occupés des villae rusticae', une telle cour ressemble singulièrement à un atrium [ATRIUM] ; comme un atrium, elle est souvent pavée ou dallée. La plupart du temps elle semble avoir été entourée d'une galerie à jour formant portique ; les poteaux de bois qui la soutenaient n'ont laissé aucune trace, ruais on trouve parfois les soubassements en maçonnerie qui les portaient. Enfin il arrive qu'un bassin occupe le centre de la cour, de même que l'impluvium, au milieu de l'atrium, était disposé pour recevoir l'eau des toitures. Dans ce bassin M. Kropatscheck croit pouvoir reconnaître une fosse à purin 2 ; l'emplacement serait étrangement choisi pour un réservoir de cette nature. Du reste, dans la plupart des petites constructions dont le plan nous occupe, aucun local ne semble avoir été réservé aux étables ; elles apparaissent comme de simples habitations sises à la campagne ; leur aménagement rappelle celui d'une maison urbaine bien plus que les dispositions des fermes de type gréco-latin. Fermes à double cour. Lorsque les étables, les granges, les remises étaient comprises dans le bâtiment principal, elles devaient, de toute nécessité, ouvrir non sur la cour inté rieure, mais sur les côtés extérieurs de la ferme ; la véri table cour rustique devait donc être reportée au dehors. C'est là d'ailleurs une particularité qui n'était pas in connue en Italie: pour les exploita tions de quelque étendue Varron recommande en effet d'aménager deux cours, l'une à l'intérieur des bâtiments, l'autre au dehors3. A l'est de la ferme de Boscoreale (fig. 7482), un petit mur circonscrit, en avant de la grange, une cour rustique spécialement réservée, semble-t-il, aux charrois. L'entrée monumentale aménagée sur le côté sud de la villa de Synistor (fig. 7484) devait aussi s'ouvrir sur une cour extérieure. De même, sur la mosaïque de Tabarka( fi g. 7483), nous apercevons, en avant de la ferme, de nombreuses volailles : un canard qui se désaltère à une mare, des oies, des poules, des pintades ; ce ne sont pas là de simples motifs de remplissage : la basse-cour, évidera vent close, devait se trouver hors des bâtiments de la ferme. A plus forte raison, lorsque la cour intérieure tendait à se transformer en atrium, l'existence d'une seconde cour extérieure s'imposait-elle nécessairement. Plusieurs fermes gallo-romaines en présentent des exemples. Telle est celle de Frécourt, dans les environs de Metz 4 (fig. 7485). On reconnaît aisément, dans les bâtiments, un plan analogue à celui de la villa de Bilsdorf ; mais en avant de la galerie de façade se trouve une cour extérieure (a), largement ouverte sur le côté ouest, quoique assez étroite. A Sorbet', dans la même région les bâtiments n'occupaient que la moitié nord-ouest d'une vaste enceinte rectangulaire : le reste de l'espace circonscrit constituait, sur le flanc de l'habitation, une ou même deux cours; c'est là, et non à l'intérieur de la ferme, que devaient s'accomplir les travaux rustiques. Il arrive même que, ne rendant plus grand service, la cour intérieure disparaisse entièrement ; l'emplacement en demeure sans doute aisément reconnaissable au centre de l'habitation, mais il est lui-même occupé par des bâtiments 8. Fermes à bâtiments dispersés à l'intérieur d'une enceinte. Réduits presque exclusivement aux appartements d'habitation, des bâtiments de ce type ne sauraient suffire à constituer une ferme. Aussi ne sont-ils pas généralement isolés ; ils ne représentent qu'une partie de la villa rustica ; à côté d'eux se rencontrent les traces d'autres constructions. Il en était ainsi à proximité de la plupart des fermes que nous venons de mentionner. A Frécourt, par exemple, à une cinquantaine de mètres en avant du bâtiment principal, se rencontrent les fondations d'un petit local de forme carrée, mesurant environ 4 mètres de côté et, quinze mètres plus loin, des substructions beaucoup plus vastes de communs, granges, écuries etc. Autour de la petite ferme de Stockbronner Hof on a relevé de même les traces de trois bâtiments accessoires 3. Ces différentes parties d'un même établissement devaient être, sans aucun doute, entourées d'une clôture; si les fouilles, bien souvent, ne rencontrent aucune trace d'un mur d'enceinte, c'est que vraisemblablement une palissade, une haie ou une simple levée de terre plantée d'arbres en tenait lieu. Au lieu de se grouper sur les côtés d'une cour centrale, les bâtiments indispensables à toute exploitation agricole se dispersent donc autour de la maison d'habitation. Nous retrouvons là l'application du précepte de Vitruve, qui conseille, en vue de diminuer les chances VIL 879 VIL d'incendie, d'installer à distance du bâtiment principal les greniers, les granges, la forge, le four'. L'Italie avait dû connaître des fermes ainsi distribuées à l'intérieur d'une enceinte plus ou moins vaste. Deux peintures de Pompéi donnent pour cadre à une scène rustique l'entrée d'une ferme 2 [PERGIILA, fig. 569]. A gauche de la porte s'élève un petit bâtiment à un étage ; à droite on aperçoit le commencement d'un mur de clôture ; dans le fond, au milieu d'un très vaste terrain planté de grands arbres, une maisonnette couronne une crête. Une telle construction n'a rien de commun avec celles dont on retrouve les ruines autour de Pompéi ; elle ne semble autre chose qu'une enceinte, enfermant divers bâtiments très espacés. En Afrique également, les établissements 5 m. 20 de naut. Elles forment des carrés irréguliers, dont la superficie varie de 1 à 7 hectares environ. Le nombre des bâtiments qu'elles contiennent peut s'élever, comme à Altstatt, jusqu'à 17. Vers le centre de la cour, en un point dominant, se trouve la maison d'habitation (a), conforme au type habituel, avec sa galerie, ses deux ailes avançantes, en façade, et sa cour intérieure fermée (fig. 7488). Le bain (b) occupe un bâtiment à part ; des substructions (c) paraissent celles d'une grange qui, étant donnée l'épaisseur des fondations, devait être surmontée d'un grenier. Plus loin, en d, un grand corps de logis quadrangulaire, entourant une cour, abritait sans doute le personnel et les communs de la ferme. Faisant saillie dans le mur d'enceinte, à agricoles devaient se composer souvent de logis différents, plus juxtaposés qu'unis et construits au fur et à mesure du besoin La mosaïque de Tabarka que nous avons reproduite plus haut (6g. 7483) représentait non pas la ferme tout entière, mais seulement une de ses parties. Cette mosaïque garnissait l'une des absides d'un tri folium ; les deux autres absides étaient ornées d'autres vues de la même propriété'. Les écuries et les granges occupaient un bâtiment à part, en avant duquel une bergère, filant sa quenouille, gardait les poussins et les moutons (fig. 7486). Au milieu du verger, où les arbres fruitiers alternent avec des vignes, s'élèvent encore d'autres constructions, chais, granges, etc., précédés de gourbis couverts de chaume, où devaient loger les esclaves et les ouvriers (fig. 7487). Les pays rhénans nous offrent d'ailleurs les plans complets de plusieurs établissements ainsi constitués. A Hagenschiess près de Pforzheim et à Altstatt près de Messkirch, dans le pays de Bade 6, notamment, nous trouvons de grandes enceintes constituées d'un mur maçonné, épais de 0 m. 60 à 0 m. 80 et qui devait atteindre de 2 mètres à gauche de l'entrée, nous trouvons en e l'écurie et à l'angle opposé les étables (f). De petites constructions dans la même partie de la cour (g) servaient sans doute de poulailler. Elles voisinent avec une mare (h), qui occupe l'angle sud-est de l'enceinte. Dans les campagnes où l'espace était moins étroitement mesuré et la colonisation moins dense qu'autour de Pompéi, les propriétaires avaient intérêt à disséminer ainsi les locaux, au lieu de les grouper autour d'une cour centrale. Malgré les différences que nous avons pu noter dans le plan etla disposition des fermes, bien que les dimensions, le confort, l'aménagement de chacune d'elles fussent subordonnées à l'étendue du domaine, à la fortune et aux goûts du propriétaire, à la fertilité du sol et à la nature des cultures, il semble que partout et toujours, dans les diverses provinces du monde romain, depuis la conquête jusqu'à la chute de l'Empire, les établissements agricoles épars dans les campagnes présentent les mêmes traits généraux et, pour ainsi dire, les mêmes types. Tous portent égale VIL 880 VIL lement la marque de la civilisation romaine ; ils sont issus des mêmes traditions architecturales latines ; ils témoignent de la diffusion des mêmes méthodes de culture et du même genre de vie. Nous ne saurions établir aucune distinction bien nette entre les fermes italiennes du début de notre ère et celles qui, en Gaule, en Germanie, en Angleterre en Afrique, semblent dater du second et du troisième siècle. On notera, sans doute, que le type à cour, qui prévaut autour de Pompéi, semble plus rare dans les provinces du nord, où se rencontre plus communément le plan à galerie antérieure ; mais il semble que l'Italie et l'Afrique aient aussi possédé des fermes analogues aux fermes de Gaule et du Limes. Aucune des particularités que nous avons signalées ne paraît exclusivement propre ni à un temps ni à une région. On peut remarquer, évidemment, que les salles chaudes construites sur hypocaustes se multiplient dans les fermes des pays froids, tandis qu'ailleurs les bains seuls étaient chauffés ; mais, plus ou moins développé, le système de chauffage reste partout le même. Peutêtre est-ce également la rigueur du climat qui a déterminé les colons de Gaule et de Germanie à fermer d'une galerie l'entrée de la cour intérieure et même à réduire les dimensions de cette cour jusqu'à la supprimer parfois entièrement. Mais la galerie à auvent semble imiter les portiques à colonnades gréco-romains et toujours, qu'il soit bâti ou non, l'emplacement de la cour demeure distinct au centre des bâtiments. On remarque, en Bretagne, que les maisons des champs sont fréquemment construites sur le même plan que les maisons des villes 1 ; ce plan est toujours celui de la maison romaine ; et lorsqu'en Gaule ou en Germanie la cour semble devenue un atrium, cette disposition est inspirée évidemment par un modèle romain. La construction. La construction accuse de même une technique à peu près uniforme et d'origine latine : c'est la conquête romaine qui enseigna l'art du maçon à la plupart des provinces barbares. Partout les fondations des fermes montrent l'emploi du mortier et la construction en petit appareil. Dans les régions où abonde la pierre, les murs sont construits en moellons régulièrement taillés et soigneusement ajustés ; ils allient fréquemment des lits alternés de pierres et de briques. Ailleurs, en certains points du Limes notamment, l'usage de la brique l'emporte. Ces briques portent parfois l'estampille des légions qui les ont fabriquées ; il ne s'ensuit pas que les fermes aient été bâties par la main-d'oeuvre militaire, ni même que les légions aient fourni les matériaux ; il semble plutôt que les constructions aient profité du voisinage de fortins ou d'édifices militaires abandonnés ; les marques légionnaires ne sauraient donc servir à dater les bâtiments civils'. En Gaule, en Germanie et en Bretagne, le bois dut aussi être fréquemment employé à l'édification des fermes. L'emplacement des ruines ne fournit en effet le plus souvent qu'une faible quantité de décombres, tandis que les cendres et les débris de bois forment une couche extrêmement épaisse. On y retrouve en grande abondance des clous de fer, qui n'ont pu servir qu'à fixer des pièces de charpente. Les panneaux de bois qui constituaient les parois reposaient toujours sur des substructions en maçonnerie ; ils étaient, comme les murs euxmêmes, enduits extérieurement d'un crépi stuqué et peint en couleur rougeâtre. L'intérieur des chambres semble aussi avoir été généralement orné de stucs peints de couleurs vives ; on en retrouve de nombreux débris. Les soubassements des murs sont toujours établis avec le plus grand soin ; la partie maçonnée repose sur plusieurs couches de moellons sans mortier, disposés souvent en arête de poisson, et sur un lit épais de blocaille ; le tout est destiné à protéger les murs contre l'humidité. Des précautions minutieuses sont prises, même dans les bâtiments les plus modestes, pour drainer le terrain de la villa ; des conduites souterraines en pierres sèches partent de divers points pour aboutir à un puits collecteur. Le sol des pièces d'habitation, alors même qu'elles ne sont pas chauffées, est généralement formé d'un ciment mélangé, en plus ou moins fortes proportions, de brique pilée ; une couche d'argile battue était jugée suffisante pour les communs et les écuries. Les toits paraissent avoir été ordinairement couverts de grandes tuiles plates, remplacées parfois par de l'ardoise ou même par des éclats de pierre. Chaque ferme possède une cave, parfois voûtée, logée le plus souvent sous l'un des pavillons de la façade. Dans les pays de vignobles, ces caves ont la forme de galeries longues et étroites et s'étendent sous toute la longueur soit du portique antérieur, soit de l'une des faces du bâtiment ; on y reconnaît des celliers 3 ; une rampe inclinée partant de la cour y accède. Dans les parois de la cave et de la rampe d'accès sont généralement ménagées de petites niches, pouvant servir d'armoires. Étant donné le peu de hauteur des ruines qui subsistent, il est difficile de juger de la façon dont étaient éclairées les pièces et de la disposition des fenêtres. A Boscoreale, la plupart des chambres prenaient jour, simplement par leur porte, sur la cour intérieure; les ouvertures sur le dehors étaient petites et fort rares. Mais les mosaïques de Tabarka nous montrent un certain nombre de fenêtres, de petites dimensions, dont plusieurs paraissent garnies d'une croisée. Il devait en être de même dans les provinces du Nord, surtout dans les fermes qui avaient réduit et même supprimé la cour intérieure. Ces fenêtres devaient se fermer, ainsi que les portes, par un volet de bois ; mais elles pouvaient aussi être garnies de vitres. On trouve en effet parfois, dans les ruines, des plaques d'un verre assez grossier, peu transparent et poli d'un côté seulement, qui, enchâssées dans du bois ou du plomb, devaient laisser filtrer dans les chambres un jour assez atténué Comme toute demeure antique, chaque ferme doit avoir son génie protecteur. Les ruines mises au jour à Boscoreale nous ont en effet montré le laraire installé contre le mur de la cuisine ; chez Fannius Synistor (fig. 7484), il se trouvait dans le vestibule monumental. La peinture de Pompéi décrite plus haut (fig. 5569) nous montre les Lares protecteurs en avant de l'entrée de la VIL 881 VIL ferme. De même en Germanie un autel ou une chapelle précédait souvent l'entrée. A Hagenschiess près de Pforzheim un sacellum entouré d'un mur se trouvait à une cinquantaine de mètres au sud de l'entrée '. A Altstadt près de Messkirch, un petit temple, consacré à Diane, comme nous l'apprend une inscription, s'élevait immédiatement à gauche de la porte, en dehors de l'enceinte 2. C'est aux abords des fermes que se dressaient le plus souvent, semble-t-il, ces colonnes surmontées d'un groupe représentant une divinité équestre portée sur un géant anguipède ; l'une d'elles a été retrouvée récemment, à Saverne, dans la cour d'une ferme Dans le Limes une inscription nous apprend qu'un propriétaire a érigé, sur son fonds, un monument de ce genre 4. Très discutée, la signification de ce groupe d'un dieu cavalier et d'un géant demeure encore incertaine. On a voulu y reconnaître une divinité germanique 5 ; les exemples les plus nombreux proviennent en effet des deux rives du Rhin, mais il s'en rencontre aussi dans diverses régions de la Gaule. Il semble donc plus juste de considérer le dieu cavalier comme un dieu celtique, transformé en Jupiter, supporté par quelque démon chthonien. C'est également d'habitations rurales que semblent provenir la plupart des autels sculptés consacrés à trois ou quatre dieux, si fréquents en Germanie et en Gaule 6. Ils témoignent du culte dont Jupiter, Junon, Minerve, Diane, Apollon, Vulcain, Hercule, étaient l'objet dans les campagnes les plus lointaines de l'empire. Les fermes ont aussi, très souvent, leurs cimetières particuliers. De petits groupes de tombes, à proximité de leurs ruines, ne peuvent provenir, en effet, que des cultivateurs qui les habitaient'. Distribution et groupement des fermes. L'abondance des traces relevées dans toutes les régions où les fermes ont fait l'objet de recherches méthodiques montre l'extrême diffusion de l'exploitation rurale à l'époque romaine. Sur la rive gauche du Rhin, au moins en certaines régions du Limes, les restes de bâtiments agricoles sont presque régulièrement espacés de deux en deux kilomètres. Ils paraissent avoir été le centre de domaines délimités et assignés par l'administration romaine S. Moins régulièrement distribués en Gaule, ils n'y sont pas moins fréquents : dans les environs de Metz on signale, autour de Courcelles, '53 emplacements dans un espace d'environ 10 kilomètres carrés . Une telle densité n'a rien d'exceptionnel Ici; non loin de Rouen, sur le seul plateau de Boos, M. de Vesly a relevé les traces d'au moins une douzaine de fermes" ; les ruines ne sont pas moins nombreuses dans la forêt de Rouvray 12. Très souvent isolées dans les campagnes et même dans les clairières des forêts, les fermes se rencontrent particulièrement nombreuses, dans la Germanie romaine, aux abords des camps et des forteresses ; en Gaule, dans les environs des villes et des bourgades. Administrativement elles devaient, la plupart du temps, être rattachées à ces agglomérations ; mais parfois aussi il semble que les fermes d'un même canton aient pu à elles seules, indépendamment de tout village, constituer un viens; un lien social les unissait donc entre elles. C'est ainsi qu'une pierre milliaire du Donon, dans les Vosges, compte la distance à partir d'un vieux Saravus 13, qui paraît pouvoir être identifié avec un groupe de villae trouvé dans les environs de la petite cité moderne de Lorquin'". Dans le pays Trévire, une dizaine de fermes, disséminées dans un rayon de près de deux kilomètres, formaient sur le Marberg, hauteur qui domine la vallée de la Moselle, entre Carden et Pommera, un vicus du même genre15. Plus caractéristique encore est l'exemple du vicus Ambitarvius, où serait né Caligula : il paraît avoir été composé d'une quarantaine de villae éparses dans la forêt qui, de Coblence à Boppard, couronne les hauteurs entre la Moselle et le Rhin". De même que chaque ferme possède son autel, ces groupes de fermes ont chacun un ou plusieurs temples. Situées au centre du domaine qu'elles exploitaient, les fermes ne se trouvent pas généralement au bord des grandes voies romaines ; les bâtiments qui se rencontrent parfois le long des routes doivent être considérés plutôt comme des relais ou des auberges. Les fermes préféraient sans doute se tenir à quelque distance des lieux de passage. Le voisinage d'une bonne route n'en était pas moins pour elles, comme le faisait déjà remarquer Caton, une situation avantageuse 17 ; leurs ruines jalonnent en effet, sinon les abords immédiats des grands chemins d'époque romaine, du moins, de loin, leur direction t8. On les trouve le plus souvent dans des vallons transversaux, campées à mi-hauteur des coteaux, soigneusement abritées par un pli du terrain ; entre bois et ruisseau, la ferme domine et surveille les champs qu'elle cultive. Dans l'antiquité, l'exploitation agricole de la terre était une source de richesse encore plus importante que de nos jours. Ce furent ces villae rusticae qui, en Italie, constituèrent durant de longs siècles la fortune de l'aristocratie romaine. Plus tard, au dernier siècle de la République et sous l'Empire, elles continuèrent à faire la force de cette noblesse provinciale qui vint, à Rome, prendre la place des grandes familles disparues. Leur développement dans les provinces soumises et pacifiées par Rome fournit au monde romain, durant plus de trois cents ans, les ressources économiques qui soutinrent son existence. Construites et aménagées sur le modèle latin, les villae rusticae marquent vraiment l'empreinte de Rome sur les campagnes des provinces conquises. Elles n'étaient pas seulement, comme les fermes d'aujourd'hui, des établissements d'exploitation agricole ; elles représentent de véritables centres de civilisation. Jusque sur les terres les plus reculées de l'empire elles faisaient pénétrer le mode de vie, les procédés de travail, les traditions sociales et religieuses du monde VIL 882 VIL sance, installée à la campagne comme une maison de ville. Historique. -Le goôt de lavillégiature naquit àAthènes au ve siècle av. J.-C., sous l'influence des mêmes causes que partout ailleurs : l'accroissement de la fortune publique et, chez les hautes classes, fatiguées par l'existence agitée d'une grande ville, le besoin du repos. On vit alors s'élever dans les campagnes de l'Attique « des habitations plus belleset plus richementmeublées que celles qu'enfermaient les remparts d'Athènes; beaucoup de citoyens ne descendaient plus à la ville, même les jours de fête, et ils aimaient mieux vivre sur leurs biens particuliers que de jouir de ceux qui appartiennent à tous 3. » Mais ce goût n'eut pas le temps de se développer beaucoup dans la Grèce propre avant Alexandre; déjà en 431 av. J.-C., pendantla guerre du Péloponèse,les Lacédémoniens avaient saccagé toutes les maisons de campagne où se plaisaient les plus notables habitants d'Athènes'. L'état politique du pays jusqu'à la conquête macédonienne put toujours faire craindre le retour de pareilles calamités. En somme il parait probable que les villas de pur agrément se multiplièrent surtout à l'époque hellénistique, au m° et au 11e siâ.cle avant notre ère, quand une paix plus durable eut été assurée aux campagnes ; et c'est plutôt en Égypte et dans les -pxitteot de l'Asie Mineure []'pans] qu'il faut chercher le prototype de ces constructions de luxe 5. Ce qui est vrai d'Athènes l'est aussi de Rome pendant les six premiers siècles de son existence, et pour les mêmes raisons, parmi lesquelles il faut compter au premier rang l'insécurité des campagnes. 11 ne put guère être question de s illégiature en Italie avant la fin des guerres puniques. Scipion, le premier Africain, possédait une maison de campagne à Liternun', sur la côte de la Campanie6 ; c'était en réalité une ferme fortifiée, toujours prête à repousser l'assaut d'un ennemi venu par mer ; elle était bâtie en pierres de taille lapis quadratus , entourée d'un mur d'enceinte, et flanquée de deux tours de défense (in propugneculum) ; « la citerne aurait pu suffire à une armée n, en cas de siège. En revanche la salle de bains était un réduit étroit (angulus), mal éclairé par des lucarnes, ou plutôt des fentes (rintae , sobrement ménagées, comme des meurtrières, dans la pierre du mur. Scipion venait s'y délasser de ses fatigues, après avoir lui-même promené la char' ue sur les terres d'alentour'. C'est cependant à cette époque que les Romains, délivrés de la terreur de Cartilage, commencent à bâtir dans un autre style ; Caton admet que l'on ait à côté de la ferme une maison de maître et qu'on cherche à la rendre aussi agréable que possible ; ainsi le maître viendra plus volontiers surveiller les travaux des champs; Caton est aussi le premier qui donne à ce logis le nom significatif de villa urbana'. Pendant l'âge suivant, celui de Scipion Émilien, on voit s'élever « des villas d'une extrême élégance », avec des viviers et des parcs, où sont rassemblés des animaux sauvages'. Dès lors cette forme de luxe fit des progrès rapides. Cornélie, mère des Gracques, possédait au Cap Misène une villa dont elle avait donné un prix équivalant à 75000 drachmes (69 750 francs) ; Marius fut, après elle, propriétaire de cette demeure, « plus somptueuse, disaiton, qu'il ne convenait à un chef de guerre '»a Il dut l'agrandir et l'embellir dans de vastes proportions ; car Lucullus, quelques années plus tard, achetait ce même domaine pour une somme équivalant à 2 500000 drachmes (2325 000 francs) ; et enfin Auguste, ou peut-ètre 'libère, s'en rendit acquéreur. Les anciens ont tout dit sur la passion avec laquelle les Romains, depuis cette époque, édifièrent dans les plus beaux sites de la péninsule des villas magnifiquement meublées et décorées ; les rhéteurs en ont fait un des principaux thèmes de leurs protestations déclamatoires Il est probable du reste qu'à la fin de la République les censeurs, chargés de réprimer les excès du luxe, intervinrent souvent pour rappeler à l'ordre les propriétaires de ces domaines, « où il y avait plus à balayer qu'à labourer » 12, parce que depuis Caton l'accessoire était devenu le principal. Point de personnage en vue qui n'ait au moins une villa dans la montagne ou sur la côte: Sylla, Pompée, Jules César, Antoine, Lucullus, les orateurs Crassus et Ilortensius goûtent avec délices le plaisir de passer dans ces retraites dorées leurs heures de loisir13. Mais l'exemple le plus frappant est celui de Cicéron i4 : il a possédé au cours de son existence neuf villas ; il achetait et revendait souvent, selon l'état de ses affaires, et plusieurs de ces propriétés furent surtout pour lui des placements d'argent. Elles n'avaient pas non plus la même valeur ; par sa correspondance nous voyons ce qu'ilattendaitde chacune d'elles et quel rôle ces domaines jouaient alors dans la vie des grands. Il y avait d'abord à Arpinum la maison paternelle des Tullii, où l'orateur allait de temps à autre se retremper dans ses souvenirs de famille ; elle était entourée de terres de rapport d'une étendue assez considérable ; mais il n'avait rien négligé pour en faire une résidence attrayante. Sa villa de Tusculum, habitée avant lui par Sylla, était un véritable palais, où il avait rassemblé à grands frais des oeuvres d'art acquises de tous côtés par ses agents ; on y voyait des galeries de tableaux, des portiques, une bibliothèque, un gymnase ; tout fut brêlé quand Cicéron partit polir l'exil et reconstruit après son retour ; il trouvait là le grand avantage de n'être pas très éloigné de Rome, de sorte qu'il pouvait jouir de la solitude sans cesser de se tenir au courant des affaires publiques. Puis c'était, au bord de la mer, sur la côte du S'IL 883 VIL Latium et de la Campanie, toute une série de villas toujours prêtes à recevoir le maître dans ses déplacements Antium, Astura, Formics, Cumes, Pouzzoles, Pompéi l'ont vu séjourner sur leurs territoires à diverses époques. Quoique son but fût de s'y reposer, il lui arrivait souvent d'y mener une existence fort agitée, non seulement parce qu'il négociait de nouveaux achats et bâtissait sans cesse, mais parce qu'il était envahi par un flot de visiteurs importuns ; il disait plaisamment de sa villa de Formies que ce n'était pas une villa, mais une basilique'. Il faudrait encore ajouter un certain nombre de piedà-terre (deversoria), probablement beaucoup plus modestes, que Cicéron possédait le long de la Voie Appienne et de la Voie Latine, et qui lui servaient surtout de gîtes aux étapes, quand il circulait entre Rome et ses villas2. Géographie des villas. La ville de Rome comprenait, au delà de l'ancien mur de Servius, toute une zone de parcs princiers, créés pour la plupart à la fin de la République et au commencement de l'Empire [noRTUS[ 2; ils enfermaient des constructions somptueuses, devenues peu à peu des résidences impériales, que l'on a considérées, jusqu'au moment où l'enceinte d'Aurélien les sépara de la campagne, comme des villas, puisque les plantations en étaient entretenues par des villici '. Puis tout autour de la ville des quatorze régions s'étaient iiiiltipIiées,pendant la même période, les hab tatiens de plaisance dites suburbaines (suburbana) 5; cette appellation s'appliquait à un rayon assez étendu ; car on en usait même pour désigner 13ovillae et Tibur', situées l'une à 10 milles (M kilomètres) de Rome, l'autre à 20 milles (28 kilomètres). Aujourd'hui, quand on parcourt les parties basses de la campagne romaine, surtout les bords du Tibre, on a peine à concevoir que ces solitudes, infestées par la malaria, aient jamais pu être habitées et cultivées. Rien cependant n'est plus certain; les ruines des villas qui couvrent partout le sol sont là pour l'attester, aussi bien que les écrits des anciens. Les travaux de drainage entrepris de très bonne heure dans cette région [cuNICULUs] l'avaient assainie au point de la transformer en un séjour fertile et riant '. Le Tibre près de Rome, dit Pline, « voyait à lui seul se dresser sur ses bords presque plus de villas que tous les autres fleuves du monde réunis' ». M. Lanciani, qui explore depuis de longues années la campagne romaine, y distingue trois zones de propriétés rurales, en partant des murs de la villes : 1o des suliurbana de petites gens, constructions modestes, guinguettes et bicoques de faubourgs ; il y avait là des praediola 70, entourés de jardins, où le propriétaire invitait ses amis à venir manger avec lui ses légumes et ses fruits, et d'où, le soir venu, on reprenait à pied le chemin de Rome; toutes nos villes méridionales ont encore autour d'elles des constructions de ce genre; 2e au delà venaient des propriétés de grandeur moyenne; enfin 30 les grands domaines, les latifundia, formaient, à l'horizon de rager rontanus, la zone extrême, celle où le beau monde avait le plus de chance, vu l'éloignement, de trouver le repos et l'air pur. Depuis la fin des guerres puniques jusqu'au commencement du ve siècle, pendant six cents ans environ, ces propriétés d'agrément, qui avaient peu à peu évincé les propriétés de rapport, ont fait de la campagne romaine un véritable jardin Parmi celles qui appartinrent à des personnages connus, il en est beaucoup dont l'emplacement a été déterminé avec certitude, grâce aux recherches des savants modernes 12. Nous voyons ainsi des membres de la famille impériale, de hauts magistrats s'installer pendant l'été dans des lieux aujourd'hui insalubres et peu fréquentés, à une faible distance de Rome : Livie réside dans sa terre Ad Gallinas (Prima Porta) 1'; Antonin et Marc-Aurèle résident à Lorium (Castel di Guido) 1'1 ; Lucius Verus, près du Pons Milvius (à Acqua Traversa) 10; Pline le Jeune, à Laurentum (Tor Paterno) 16 ; Minicius Fundanus, consul de l'an 107, ail Clivus Cinna., (Monte Marie)17 ; Quintilius Condianus et son frère Maximus, consuls de l'an 151, au cinquième mille de la Voie Appienne (Santa Maria Nuova) l' ; les Gordiens, à Tor de' Schiavi ; Maxence, à San Cesario 1', etc... Bref il n'est pas une seule des routes dont l'admirable réseau couvrait la campagne romaine [VIA] qui n'ait donné accès, sous l'Empire, à de riches villas habitées par la plus haute aristocratie 20 Cependant les Romains n'étaient pas sans avoir remarquéles avantages de la montagne ; ils étaient très sensibles aux charmes d'une belle vue 21. Aussi se sont-ils portés avec une faveur particulière du côté de la Sabine et des monts Albains, dont les sites enchanteurs répondaient bien à l'idée qu'ils se faisaient des beautés de la nature. Tibur (Tivoli) a été, depuis le temps des Scipions, un séjour de prédilection pour les amateurs de villégiature22; les poètes ont célébré à l'envi la fraîcheur de ses eaux et de ses ombrages ; les gens paisibles lui reprochaient seulement d'être un peu trop envahi, pendant la saison chaude, par la société élégante de Rome ; c'est la raison pour laquelle Ilorace était allé chercher le repos un peu plus loin, dans un vallon écarté, qu'arrosait la Digentia (Licenza), affluent de l'Anio 23. D'autres VIL 88 poussaient jusqu'à Préneste (Palestrina) ou Sublaqueum (Subiaco) 2. Le territoire le plus fréquenté dans les monts Albains était celui de Tusculum (Frascati) ; on a identifié une vingtaine de ses villas, dont quatre ont appartenu à des empereurs 3; mais tous les environs des lacs d'Albano et de Némi étaient couverts de constructions semblables, depuis Castrimoenium (Marino) jusqu'à Aricia et à la chaîne du mont Algidus 4. Ceux qui préféraient la mer à la montagne couraient vers les plages et les anses qui bordent les côtes du Latium, surtout vers Antium (Anzio), Astura, Anxur (Terracine), Formiae, Caieta (Gaète) 5. Puis venait toute la série des stations campaniennes, délices du beau monde : Cumes, Baïes, Misène, Pouzzoles, Pompéi, Sorrente et Salerne 8. Plus rares devaient être ceux qui allaient jusqu'à Velia (Vallo) en Lucanie, ou jusqu'à Tarente ; ceux-là étaient surtout des gens de santé délicate, à qui de longs loisirs permettaient de passer la saison froide dans des retraites très abritées En Étrurie, la côte, en grande partie marécageuse comme aujourd'hui, n'offrait de séjours agréables qu'à Alsium (Palo), près de Rome 8, et tout à fait au Nord, à Luna 9. Dans la Haute Italie, des villas sont mentionnées près de Ravenne, dont une impériale, provenant de l'héritage de Domitia, tante de Néron10. Il va de soi qu'en dehors de ces centres principaux de villégiature des habitations de plaisance se sont élevées un peu partout, en Italie, autour des villes les plus importantes S1; mais on ne pouvait les comparer à celles où affluaient les Romains de la capitale. Catulle était propriétaire à Sirmio sur le lac de Garde ; mais Catulle était de Vérone 12 ; Pline le Jeune, né à Côme, avait plusieurs villas sur les bords du lac; il les appelait ses délices 13 et il y revenait de temps en temps, comme Cicéron revenait à Arpinum, pour surveiller ses intérêts ou entretenir ses relations avec les gens du pays ; mais le même Pline s'était fait construire deux autres villas magnifiques, l'une en Étrurie, près de Tifernum Tiberinum (Città di Castello) 14, la seconde à Laurente ; celle-ci avait à ses yeux un avantage inappréciable, celui d'être située « à 17 milles de Rome, de telle sorte qu'après avoir terminé ses affaires on pouvait y rester, le soir, en règle avec soi-même, sans avoir rien perdu de sa journée » 16. Ce point de vue était celui de toute la haute société dans la capitale 16. Loin de Rome, il en était autrement, surtout dans les provinces. Là l'aristocratie, grâce à la paix profonde assurée par l'Empire, s'habitua de plus en plus à vivre sur ses terres, en sorte que la villa urbana, centre d'une exploitation agricole, avait toujours une villa rustica auprès d'elle et souvent plusieurs [LATIFUNDIA, p. 962] ; mais comme le maître était généralement cultivé, épris des arts et plein d'admiration pour les moeurs de Rome, qu'il s'efforçait d'imiter en tout, sa demeure ne différait guère des élégantes maisons de plaisance construites dans le Latium ou la Campanie. C'est ce que nous voyons particulièrement en Gaule. La plupart de nos villages se sont fondés et développés autour d'une villa antique et leur nom même perpétue à travers les âges le nom plus ou moins altéré d'un propriétaire qui les habita pendant l'ère gallo-romaine; le mot fundus étant sousentendu, on a formé un adjectif avec son nom et un suffixe qui varie suivant les régions : acus (lulius, luliacus, Juillac), ou anus (Licinius, Licinianus, Lusignan); ou, plus tard, avec addition du mot villa (Theodonis villa, Thionville); ailleurs le nom géographique rappelle une culture spéciale (villae Ilosariae, Rosières) ou la villa elle-même (Palatiolum, Palaiseau), etc... '7. Nos villages furent donc, à l'origine, des villae rusticae groupées auprès d'une villa urbana sur un fundus qui en dépendait18. Si l'on veut savoir quel degré de splendeur peut atteindre la demeure du maître au milieu de ces agglomérations rustiques, il faut lire, par exemple, la lettre où Sidoine Apollinaire (vers l'an 472 ap. J.-C.) a décrit son Avitacum (praedium, à Aydat, Puy-de-Dôme) : thermes, piscine, portiques, salles à manger d'hiver et d'été, belvédère, jeu de paume, etc... rien ne manque à cette habitation, appelée par-son propriétaire une cabane19. Dans ces villas magnifiques de la Gaule on menait, comme dans celles de l'Italie elle-même, une large existence, embellie par tous les plaisirs alors en usage dans la société polie 20. Mais, quand les invasions eurent commencé, il fallut les enfermer dans des travaux de défense, et ainsi la villa urbana redevint par le malheur des temps ce qu'elle avait été au début, un château fort, où tous les habitants du domaine pouvaient, en cas de nécessité, trouver un refuge21 ; les châteaux de nos villages n'ont fait, bien souvent, que remplacer la demeure seigneuriale de l'époque romaine 22. En Afrique, les grands propriétaires ont pris soin euxmêmes de laisser àla postérité l'image de leurs demeures ; les mosaïques de cette région, où ils les ont fait représenter (voir nos fig. 7483, 7486, 7487), comptent parmi les documents les plus curieux que nous possédions sur l'architecture, la distribution et la décoration des villas antiques; VIL 88t') ---VIL grâce aux mosaïques d'Uthina (Oudna), de Thabraca (Tabarka) en Tunisie, et de l'Oued Atménia, près de Constantine, nous pouvons restituer sans peine les constructions écroulées depuis tant de siècles, où les Romains d'Afrique avaient donné libre carrière à leurs goûts fastueux ; plusieurs de ces tableaux animés ont été reproduits dans les articles EQUITIUM (fig. 2750, 2751) et musivuM OPUS (fig. 5230) et l'on peut y voir aussi des plans, qui font comprendre d'un coup d'œil la richesse des habitations qu'ils décoraient [siusivusI opus, fig. 5246, 52491]. Entre toutes les villas dont l'aristocratie avait couvert l'Italie et les provinces, les plus monumentales étaient celles qui appartenaient à des empereurs ou à des membres de leurs familles ; la villa d'Hadrien près de Tibur (fig. 7494) en est restée le type le plus original et le plus fameux. Nous n'avons pas à les énumérer ici', ni à exposer comment elles étaient administrées et entrete nues [LATIFUNDIA, p. 959, col. 2 ; PATRIMONIUM, p. 352]. Étant la résidence du chef suprême des armées, une villa de l'empereur est souvent désignée par le nom de PRAETORIUM; mais déjà avant l'Empire on appliquait ce terme à toute maison de plaisance qui frappait les regards par sa grandeur et le luxe de son installation 3. Descriptions des anciens. Du nom même de la villa urbana ou pseudourbana et de sa définition il résulte clairement qu'elle ressemblait en tout à un hôtel particulier de Rome [DOMS], avec cette différence toutefois qu'elle pouvait s'étendre plus librement sur un espace plus large 4. En outre, il faut retenir qu'elle a subi dès l'origine, c'est-à-dire depuis le ne siècle av. J.-C., l'influence de la maison hellénistique ; car, autrement, on ne s'expliquerait pas que toutes ses parties eussent reçu, sous la République, des noms grecs; 7:po xottia'v désigne l'antichambre; â7co'u'riptov, le vestiaire ; 7LEpiaTUÀov, une colonnade ; le pigeonnier [COLUMBARIUM] devient un 7Eptc'reps v et le maître, à plus forte raison, appelle aaa2:a2po. et ôpvtle(v la palestre et la volière de luxe, dont l'es Grecs lui ont fourni le premier modèle Cette affectation du langage suppose une imitation voulue dans l'installation elle-même. Les auteurs latins nous ont abondamment renseignés sur la splendeur des vitlae urbanae; ils ne tarissent pas sur ce sujet en descriptions déclamatoires, où l'orgueil de la puissance romaine s'allie au sentiment de réprobation que leur inspirait tant de prodigalité'. Les riches propriétaires ont dû en effet, bien souvent, pour satisfaire leur coûteuses folies, lutter contre la nature et exécuter, avant même de bâtir, des travaux de terrassement considérables; dans la montagne il leur a fallu, quand ils voulaient jouir d'une belle vue, soutenir les terres, sur le flanc des coteaux, par plusieurs étages d'épaulements; au bord' de la mer, ils contenaient les flots par des digues ou les enfermaient entre des jetées, afin d'avoir chacun leur port pour des barques de plaisance (fig. 7.490). Les uns comblaient des vallonnements, les autres rasaient des monticules 7. 11 n'y avait pas jusqu'à Horace qui ne « remuât de la terre et des pierres n, en faisant rire ses voisins de sa manie moins qu'il n'en riait lui-même$. Entre tous les documents dont nous disposons9, il faut citer d'abord les petits poèmes où Stace a célébré deux villas construites ou embellies par de riches personnages de son temps, ses amis et protecteurs : l'une, sise à Tibur, était la propriété de P. Manilius Vopiscus 10 l'autre, à Sorrente, celle de Pollius Felix 11, Mais beaucoup plus importantes encore sont les deux lettres dans lesquelles Pline le Jeune décrit ses villas de Tifernum et de Laurente. Il en parle avec tant de complaisance et de précision qu'on a été souvent tenté d'en reconstituer le plan; on est arrivé à un résultat très vraisemblable, depuis que l'archéologie a acquis de nouvelles connaissances sur les édifices du même genre iz. La villa de Laurente 13, outre la proximité de Rome, avait l'avantage d'être située au bord de la mer et elle avait été construite de telle sorte que toutes les pièces principales fussent orientées et largement ouvertes du côté des flots. C'est une maison basse, toute en longueur ; point d'escaliers, ni d'étage, sauf dans deux tourelles qui ne font point partie du même bâtiment et n'ont pas d'autre utilité que de servir de belvédères. Le logis comprend une dizaine de chambres, de dimensions VIL 886 VIL variées, qui ne sont pas toutes des chambres à coucher et où le maître promène sa fantaisie suivant l'heure du jour, l'état de l'atmosphère ou ses occupations du moment; non seulement il a à sa disposition plusieurs salles de bain en enfilade a\ec baignoires baptisteria). piscine, étuve (hypocaustum et antichambre de l'étuve (propnigeum , mais encore une bibliothèque, puis tonte une série de pièces désignées par leurs noms grecs : sphaeristeriu?n jeu de paume), APOTUECA office , procoeton antichambre), zotlleca xéranda , nELIociiuNLTs (poêle solaire 1. Comme Pline éprouve quelquefois un grand besoin de tranquillité et de silence, il s'est fait construire, sur ses propres plans, un pavillon séparé au bout du jardin, une sorte de casino mAETA , « ses délices », où il peut s'isoler même de sa villa, sans sortir de chez lui: Trianon à côté du palais de Versailles. Il a ainsi de part et d'autre, rien que pour son usage personnel, suivant son humeur du jour, deux salles à manger, plusieurs chambres à coucher, deux belvédères, etc... Cependant il assure que cette demeure, commode et spacieuse, n'exigeait pas de grands frais d'entretien 2. Point de terres de rapport aux alentours ; car on est là sur du sable ; point d'eaux courantes ; rien que de l'eau de puits, qui salit, cependant pour alimenter les bains et arroser le jardin. Sa propriété de Tifernum, en Toscane, ses Tusci crgri) a, est d'un tout autre genre et s'il a écrit deux longues lettres descriptives sur ses deux villas, c'est précisément parce au il comptait sur le contraste des lieux mêmes pour renouveler l'expression. En effet, la villa de Tifernum est située dans la montagne, audessus de la vallée du Tibre; elle est abondamment arrosée ; ce ne sont partout que bassins, fontaines et chutes d'eau, qui répandent la fraîcheur jusqu'à l'intérieur de l'habitation, protégée tout autour contre les ardeurs du soleil par de grands arbres. Les jardins sont aussi plus vastes et plus ornés qu'à Laurente; Pline y a donné un libre cours à son goût pour les TO IA ; c'est bien la demeure d'un grand propriétaire, qui surveille de là un domaine de rapport; quelques-unes de ses fenêtres donnent sur ses vignobles. Néanmoins, malgré ces différences, nous avons bien affaire au même système de construction. Il n'est pas question d'étage, sauf dans quelques rares parties des thermes ; les pièces semblent avoir été juxtaposées à la file, au fur et à mesure des besoins, et ces besoins sont raffinés. Nous retrouvons ici un spllaeristerium ; les bains, organisés avec plus de luxe encore, comprennent trois salles distinctes pour l'eau chaude, l'eau tiède et l'eau froide, avec des baptisteria (baignoires), un hypocaustum (étuve) et un apedyterium (vestiaire). Quant aux pièces d'habitation proprement dites, elles sont représentées par plusieurs pavillons (diaetae), complètement indépendants les uns des autres, qui sont rarement dans le même axe et que l'on a reliés par des portiques ou des corridors (cryptoporticus) ; chacun peut contenir plusieurs chambres (euh/cula); le maître se transporte del'un à l'autre, quand d lui plaît de changer son installation. Il a ainsi une salle à manger pour tous les jours et une salle à manger de réception ; une troisième, où l'on accède par une cryptoporticus aestiva, est bonne surtout pendant l'été 4. Tel portique est agréable avant midi ; tel autre, après. Tout un côté de la villa donne sur un hippodrome, longue piste, ornée, à son extrémité, d'un pavillon avec colonnes de marbre, où l'on peut encore manger et coucher, si l'on veut. Il faut observer que, dans sa description si minutieuse, Pline ne dit rien des pièces destinées à sa famille et à ses domestiques et qu'il a été préoccupé uniquement de faire valoir les aspects qui dénotaient chez le propriétaire l'homme de goût et de haute culture ". Ii est donc possible que les plans que nous dressons d'après lui soient incomplets sur certains points; mais, malgré ces lacunes, l'impression qui se dégage très nettement de l'ensemble a toutes les chances d'être exacte. La mème fantaisie régnait dans la villa de Varron à Casinum (San Germano au Mont Cassin) ; cet admirateur de la simplicité antique a décrit dans le plus grand détail une volière (ornitltoit, ornitllotropheium), qui faisait un des principaux ornements de sa demeure'. M. Laenius SLrabo était le premier qui eût ajouté une volière à sa villa de Brindes ; Lucullus en possédait une autre, à Tusculuin; mais parmi celles qui n'étaient destinées qu'à l'agrément du maître (animi, delectation is causa) aucune ne pouvait rivaliser, à la même époque, avec la volière où Varron avait réuni des oiseaux chanteurs, notamment des rossignols ; elle se dressait au bord d'un cours d'eau, près de son cabinet de travail (museum) ; c'était un édifice en forme de rotonde (Motus), entouré de deux rangées de colonnes qui emprisonnaient les oiseaux entre des filets tendus sur le pourtour ; des perchoirs (mululi) réunissaient la colonnade extérieure à la colonnade intérieure. Au centre de la rotonde on voyait un bassin (stagnum) où nageaient des canards, et, au milieu du bassin, une petite île arec une table et des lits qui permettaient d'y prendre un repas '. Les villas chantées par Stace témoignent aussi de ces habitudes dispendieuses ; nous y remarquons le même goût pour les pavillons isolés (diaetae), dont chacun a son emploi distincte; mais le poète nous fait connaître en outre ce qu'on n'aperçoit VIL 887 VIL pas dans les descriptions de Pline : la décoration; ce ne sont partout que marbres rares LMARD1oR], lambris dorés, portes d'ivoire, galeries de sculpture et de peinture, où l'on a réuni à grands frais des chefs-d'oeuvre de l'art grec, tableaux d'Apelle, statues de Phidias, de Polyclète ou de Myron'. Pline déclare qu'en matière d'art il ne se rangeait point parmi les connaisseurs, qu'il n'était qu'un pauvre apprenti; ce qu'il aimait par-dessus tout, c'était la nature °. De ces aveux modestes on a conclu, peut-être un peu vite, que la sculpture et la peinture faisaient défaut dans ses villas 3. Il a eu au moins dans sa propriété de Toscane des statues d'empereurs, dont il s'est défait, à un certain moment, en faveur de la ville de Tifernum, pour une fondation pieuse ; il est difficile de croire que l'art fût tout à fait absent de ce domaine, où quatre colonnes en marbre de Carystos [111ARèIOW soutenaient une tonnelle du parc'. Représentations figurées. Des villas ou des parties de villas ont été souvent représentées dans les fresques des villes ensevelies par le Vésuve. M. Rostowzew a donné deus peintures un catalogue instructif; elles confirment entièrement l'idée que nous pouvions nous faire de la villa romaine d'après les textes G. Il est manifeste que les architectes anciens n'ont point cherché à produire un effet harmonieux par l'unité de l'ensemble, mais qu'au contraire on leur demandait de viser à l'effet pittoresque par la variété, comme si on avait voulu cor r riger par là ce que les lignes droites de l'art classique ont d'un peu rigoureux. Nous sommes frappés de voir les corps de logis, multipliés sur un faible espace de terrain, se succéder sans ordre, suivant des axes divergents; d'où résulte quelquefois pour l'oeil une certaine impression d'éparpillement'. Les deux fresques reproduites dans les fig. 74S9 et 71.90 décoraient à Pompéi I la maison de M. Lucretius Fronto1. La première nous montre la façade d'une riche villa ; nous avons devant nous le corps de logis principal et tout y est combiné avec une parfaite symétrie pour donner dès le seuil une sensation d'élégance et de bien-être ; on remarquera aussi que l'habitation, toute en longueur, est d'un bout à l'autre ouverte à l'air et à la lumière'. Au-devant s'étendent les plates-bandes d'un parterre, enfermées entre des balustrades de marbre et ornées, sur les bords, d'arbustes isolés qui se font pendant. Une allée, limitée par un parapet, sépare le parterre de la terrasse un peu plus élevée qui longe la maison. Celle-ci se compose d'un corps central, flanqué, à droite et à gauche, de deux ailes terminées en avant par deux pavillons demi-circulaires. Un portique orné de colonnes court tout le long de la façade. Au-dessus du rez-de-chaussée il n'y a qu'un seul étage, de moitié moins haut, ouvrant aussi sur un portique, et qui doit contenir les chambres à coucher. Le milieu du corps central, en forme d'abside, est précédé par un pavillon circulaire surmonté d'une coupole. Des statues se dressent sur le devant de la terrasse. Derrière l'abside doit venir l'atrium ; des arbres touffus encadrent toute la partie postérieure de l'édifice. Voilà l'aspect qui s'offre au premier coup d'oeil. Mais dans le fond on aperçoit une colline, dont les pentes sont couvertes d'autres constructions moins importantes, étagées sur des plans différents, entre autres un portique de forme courbe, et partout encore une grande profusion de colonnes et de décoration architecturale. La villa de la fig.. 7490 est située au bord de la mer 10 ; une barque sillonne les eaux au premier plan ; un quai, orné d'hermès et de statues, s'étend devant l'habitation. VIL 888 VIL Ici point de corps central ; mais seulement deux ailes se joignant à angle droit et, à l'une des extrémités, une grande pièce carrée, sans doute un triclinium, surmontée d'une balustrade ; puis, tout autour, six pavillons,~de dimensions variées, avec colonnes et frontons. A l'horizon on aperçoit deux collines ; entre ces collines et la maison se dressent des cimes d'arbres, parmi lesquels on reconnaît des pins parasols, des cyprès et des lauriers. Les villas représentées sur les mosaïques de l'Afrique sont, comme on pourrait s'y attendre, beaucoup plus simples ; elles participent davantage de la ferme; la maison du maître est avant tout un centre d'exploitation agricole ; pourtant les portiques, les colonnes et les tourelles n'y manquent pas non plus (cf. fig. 2750, 2751, 7483, 7486). Une mosaïque découverte à l'Oued Atmenia près de Constantine (Algérie), dans les bains de Pompeianus (fig. 7491)' nous montre que les gens d'esprit délicat avaient soin, jusque dans les provinces lointaines, de se réserver chez eux une place pour l'étude des lettres et les entretiens savants. Au milieu d'un verger une dame, maniant un éventail, est assise, au pied d'un palmier, sur une chaise à dossier ; un jeune homme, debout à ses côtés, l'abrite sous une ombrelle et tient en laisse son petit chien ; l'endroit s'appelle, dit l'inscription, filosofii lolocus a. Les ruines. Cependant entre les cabanes, où les petites gens de la ville allaient prendre leurs ébats les jours de fête, et les villas impériales, il y avait bien des degrés dans l'importance et le luxe des constructions. Les ruines que l'on a étudiées jusqu'ici nous offrent des exemples très variés de ce que les anciens savaient faire en ce genre. On peut citer en premier lieu la villa dite de Diomède dans les faubourgs de Pompéi, sur la route d'Herculanum [noRTUS, fig. 3898] 3 ; demeure d'une famille aisée, mais qui, ne pouvant s'éloigner beaucoup de la ville, avait choisi son terrain sur une voie toute bordée de tombeaux. Beaucoup plus importante est la villa des Pisons, exhumée près d'Herculanum ; on y a trouvé des oeuvres d'art, notamment des bronzes d'une grande valeur, et 350 rouleaux de papyrus rangés dans la bibliothèque. A l'extrémité s'étendait un vaste jardin tout entouré de portiques (long. 95 m. X larg. 32 m.), avec une pièce d'eau au milieu . Les villas privées des environs de Rome n'ont jamais été l'objet de recherches méthodiques ; il faut faire une exception pour celle qu'un personnage nommé P. Voconius Pollio, contemporain des Antonins, à ce qu'il semble, possédait sur le territoire de Tusculum (fig.7492) 6. Construite, comme beaucoup d'autres dans la même région, à flanc de coteau, elle donne, au nord, sur trois terrasses de niveaux différents, dont la plus élevée est consolidée par de gros murs de soutènement. Des eaux fraîches et abondantes, recueillies dans une piscine, étaient amenées par un canal jusqu'à la maison, dont des thermes très confortables occupaient une grande partie. Cette belle demeure est conforme au type ordinaire des hôtels privés »mus]. On y rencontre successivement, à partir de l'entrée, vestibule, atrium, tablinum, triclinium, puis, à l'extrémité, toute une série de chambres à coucher ; mais pas trace d'escaliers ; l'édifice dans toute son étendue ne comportait qu'un rez-de-chaussée. En avant, la première terrasse (long. 74 m. ; larg. 108 m.) était entourée sur trois côtés par un portique orné de colonnes. Des statues, dont quelques-unes plus grandes que nature, entraient dans la décoration des principales pièces ; elles se détachaient sur des murs couverts de stucs et de peintures du meilleur goût. La villa de Chiragan près MartresTolosanes (Haute-Garonne), fouillée à diverses reprises depuis le xvue siècle, et en dernier lieu en 1897-1899 (fig. 7493) 6, couvrait une superficie (2 hectares et demi) encore plus vaste que la précédente. Malheureusement nous ignorons quels en furent les propriétaires et il est même difficile de déterminer, dans cette masse énorme de bâtiments, l'affectation de chaque pièce. Cependant on y distingue d'abord un groupe dont l'ensemble, à en juger par la décoration, constituait la villa urbana; puis, dans ce groupe, plusieurs séries d'appartements distincts, qui ne sont probablement pas de la même époque et dont chacun a pu servir à une famille ; car il semble que les mêmes services se répètent de distance en distance. Nous voyons à l'extrémité ouest une cour VIL 889 VIL à péristyle, contiguë à un grand jardin, au milieu duquel un pavillon isolé a pu abriter le jardinier. La partie centrale, sans doute la plus brillante, comprend plusieurs atriums, un espace terminé en hémicycle qui fut peut-être une palestre, puis des thermes avec frigidarium, caldarium, piscine, baignoires et étuves. suppose que la seconde aurait servi de logement aux ouvriers agricoles, à raison d'un bâtiment par famille, ce qui représenterait une centaine de personnes ; les greniers, les étables, les poulaillers, etc., ferment la cour du côté de l'est. Nous avons donc là un exemple imposant d'une de ces villas de la Gaule, où le village s'est Une longue galerie mène de là à une enfilade de petites pièces très modestes, faites, à ce qu'il semble, pour loger les serviteurs de la maison. Mais ce qui ajoute beaucoup à l'intérêt de ces ruines, c'est qu'elles nous montrent clairement la villa rustica jointe à l'urbana; car on ne saurait voir autre chose que des bâtiments de ferme dans tous ces quadrilatères alignés, au nord et à l'est, sur trois rangs parallèles et laissant entre eux une large cour libre. La première file a pu être occupée par des écuries et des remises, la troisième par des ateliers; on 1X. développé auprès et sous la protection de la demeure seigneuriale'. On y a découvert, parmi de très beaux fragments d'architecture, une vingtaine de bustes représentant des empereurs ou des membres de leur famille, depuis Auguste jusqu'à Gallien ; il ne serait donc pas surprenant que Chiragan fît partie d'un domaine impérial ; peut-être aussi, comme on l'a pensé, les procurateurs ou les gouverneurs de la Narbonnaise y avaient-ils leur rési dence 2. 11 août 117 au 10 juillet 138, date de sa mort ; il est impossible de préciser davantage l'époque où il a fait construire son palais de Tibur; car certaines parties existaient peut-être déjà avant l'an 117 et il semble bien y avoir fait travailler jusqu'à son dernier jour, ou à peu près 2. Ce qui donnait à cette résidence un caractère singulier, c'est que, par ordre d'Hadrien, on y avait reproduit les monuments et les lieux célèbres qui l'avaient le plus frappé pendant ses longs séjours en Grèce et en Égypte. L'idée cependant n'était pas absolument nouvelle : Cicéron montrait déjà avec orgueil dans sa villa de Tusculum une Académie, copie des jardins d'Athènes VIL -890VIL Mais de toutes les villas romaines dont il subsiste des ruines la plus fameuse et la plus monumentale est assurément celle que l'empereur Hadrien possédait dans la campagne romaine, au-dessous de Tibur (fig. 7494) ; mieux que le nom de villa elle mériterait celui de palais d'été. Nulle part les caractères que nous avons cherché à définir dans ce genre d'édifices n'apparaissent plus clairement. L'espace couvert est énorme et les bâtiments, dont chacun impose par sa masse, sont comme juxtaposés au gré d'uue imagination toujours féconde en caprices nouveaux. Hadrien a exercé le pouvoir souverain du chers à Platon, et un Lycée qui rappelait Aristote 3. Un ruisseau devenait un Nil; tous les canaux auxquels on voulait trouver une lointaine ressemblance avec le détroit de l'Eubée prenaient le nom pompeux d'Euripes 4. Mais Hadrien, grâce à son rang, avait pu donner à ses imitations des proportions et une splendeur exceptionnelles; outre l'Académie etle Lycée, ilavaitvouluavoir aussi sous les yeux le Prytanée d'Athènes [PRPTANEUM] et son Poecile (Hotxi?,ri c-roi), portique orné de peintures fameuses [PORTIcus] ; un vallon voisin offrait l'aspect de la vallée de Tempé, charme de la Thessalie; une pièce d'eau, celui du Canope alexandrin ; enfin un emplacement spécial avait été affecté aux Enfers'. Les archéologues qui ont voulu identifier les ruines admirables de la villa et en reconstituer le plan ont quelquefois péché par excès d'imagination; pourtant la critique la plus circonspecte considère certains résultats comme définitivement acquis (fig. 7491 6). Ainsi il est bien clair que la vallée de Tempé ne peut être que celle qui s'étend au-dessous des collines de Tibur et par conséquent le ruisseau qui l'arrose a dû figurer le Pénée thessalien. Le Canope a été révélé par le grand nombre d'antiquités égyptiennes retrouvées sur ses bords. VIL 891 VIL Aucun nom ne convient mieux que celui de Poecile au portique immense dont le plan est inscrit sur le sol par ses substructions ; il en subsiste un mur long de 230 mètres et haut de 10 mètres. Le stade et les théâtres sont aisément reconnaissables à leur forme; un des théâtres, par les proportions de la scène, rappelle le type grec, un autre le type latin. Point de difficulté non plus sur l'identification des thermes. Mais on conçoit qu'il est beaucoup plus délicat d'indiquer avec précision où se trouvaient le Lycée, l'Académie, le Prytanée, et, à plus forte raison, les Enfers; les attributions acceptées jusqu'ici ont, en ce qui les concerne, un caractère tout provisoire 1. D'autre part, on ne sait quels noms antiques devraient être substitués aux noms vulgaires qu'on respecte faute de mieux, tels que Roccabruna, ou Place d'or 2. En somme on peut bien dire que ce qui apparaît le moins dans le plan d'ensemble ce sont les pièces destinées proprement à l'habitation ; elles doivent être cherchées probablement dans le massif du nord-est ; la Place d'or elle-même, la salle dite des piliers doriques, le triclinium et le vestibule voisin en ont sans doute fait partie. Mais même en cet endroit le défaut de symétrie est sensible ; de grandes salles, qui ont dû être somptueuses, forment les unes avec les autres des angles variables, comme si chacune d'elles avait été indépendante de tout le reste. En revanche, on ne saurait trop admirer l'ingéniosité et le goût dont témoignent certaines constructions, par exemple le pavillon circulaire qui s'élève à l'est du Poecile; c'est un îlot entouré d'un bassin et tout revêtu de marbres précieux, qui n'a jamais pu servir à autre chose qu'à des siestes voluptueuses'. Les lettres de Pline sur ses villas et les ruines du palais d'Hadrien s'éclairent mutuellement; mais, pour avoir une idée complète de cette résidence impériale, il faut encore y rétablir par la pensée toutes les oeuvres d'art qui entraient dans sa décoration et qu'on en a extraites comme d'une mine pendant plus de trois siècles; elles formeraient à elles seules un musée de premier ordre 4. A la fin de l'Empire les villas romaines sont souvent devenues des centres religieux, où les agriculteurs du voisinage, convertis au christianisme, pouvaient, sous la protection du propriétaire, pratiquer librement leur culte; beaucoup d'églises ont été ainsi fondées de très bonne heure à la campagne sur des terrains appartenant à de riches familles, et probablement à leurs frais ; rebâties plusieurs fois à la même place, au centre d'un village, elles indiquent encore l'endroit ou s'élevait jadis la villa, principal foyer de la civilisation dans la où l'État avait installé différents services publics. Il était situé au Champ de Mars, en dehors de l'enceinte de Servius, et par conséquent avait été considéré' primitive ment comme une propriété extra-urbaine de l'État, d'où son nom de villa ; c'était un lieu de réunion pour les magistrats, lorsqu'ils présidaient à certaines opérations, surtout à celles que la loi ne permettait pas d'accomplir dans l'enceinte de la cité. Les consuls y passaient en revue les cohortes nouvellement enrôlées ; les censeurs y procédaient au recensement de la population ; on y logeait aux frais du peuple les ambassadeurs étrangers pendant toute la durée de leur mission, parce que leur séjour à l'intérieur des murs aurait pu présenter un danger pour la république2. Enfin les généraux vainqueurs, qui étaient en instance pour obtenir les honneurs du triomphe, devaient y attendre le moment de le célébrer avec leurs troupes 3. La Villa publica avait été construite en l'an 435 av. J.-C.4; elle fut restaurée et agrandie en 1945. Elle était probablement entourée de portiques, où on admettait le public à circuler librement quand elle était inoccupée; les oisifs du Champ de Mars pouvaient s'y asseoir à l'ombre pendant les heures chaudes du jour; Varron y a placé la scène d'un des dialogues dont se compose son traité sur l'Agriculture'. Nous avons l'image de la Villa sur un denier de P. Fonteius Capito, qui fut triumvir monétaire vers l'an 54 av. J.-C. ; il l'a fait représenter au revers, en y associant, on ne sait pourquoi, peut-être parce qu'il était son parent, le souvenir de T. Didius, imperator en 93, mort en 89 ; peut-être Didius avait-il réparé ou embelli l'édifice ; la légende se lirait alors : T. Didi[us] imp[erator] vil[lam] pub[licam refecit]. On voit sur cette monnaie quatre arcades supportées par des colonnes, et au-dessus un étage plus bas et plus étroit, dont la toiture en pente repose aussi sur des colonnes ; là se trouvaient sans doute les pièces d'habitation (fig. 7495) 7. Un fragment, malheu 'ÎL 892 VIL reusement mutilé, du Plan antique de Rome' nous permet de préciser l'emplacement de la Villa, que les textes nous font connaître approximativement', Elle s'élevait à côté des Septa Iulia, où se tenaient les comices [cOMITIA, SAEPTUM], entre le Sérapéum, le Por lieus divorunl et le temple de Bellone (fig. 74196) ; l'église du Gesù est située à peu près sur le même terrain 3. A en juger par le Plan, la Villa formait à l'une de ses extrémités un angle très aigu ; on conjecture qu'elle avait subi des amputations considérables depuis le temps d'Auguste, quand on bâtit autour d'elle de grands et somptueux édifices ; et peut-être aussi son importance dans la vie publique de Rome avait-elle beau