Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

VILLICUS '

VILLICUS '. Esclave régisseur d'un domaine rural [VILLA], dont le propriétaire garde pour soi tous les bénéfices. Ce n'est donc pas un fermier au sens propre de ce mot [coLoxus], puisque, n'étant pas libre, il n'a aucun droit sur les produits de son travail; ses fonctions consistent essentiellement à distribuer la besogne entre les autres esclaves du domaine et à en surveiller jour par jour l'exécution. Il remplit, en somme, dans la ferme latine le même office que l'i 'r o7Loç dans la ferme grecque3. Quand l'exploitation est modeste, ce contremaître, chef des cultures, peut avoir aussi à tenir les comptes, surtout si le propriétaire est absent; il rentre alors dans la catégorie des accores ou dispensatores [ACTOR, D1sPEVSATOR] 4. Mais si le domaine est étendu, ou si le propriétaire possède sur le même terrain plusieurs domaines, il peut arriver que le villicus ait au-dessus de lui un intendant [PHOCURATOR], spécialement chargé de la partie financière et administrative [RUSTICA DES, p. 918, col. 2]. Columelle veut que dans la ferme ils soient logés l'un à côté de l'autre, le villicus contre la grande porte, le procurator au-dessus, afin qu'ils puissent à tout moment surveiller les entrées et les sorties [VILLA] 5. Les agronomes ont défini avec le plus grand soin les attributions de l'agent si important appelé par les Latins villicus 6. Xénophon recommande au maître de le choisir parmi ses propres esclaves et de le former lui-même, parce que c'est le seul moyen de ne pas avoir de déceptions. Columelle, qui cite le témoignage de Xénophon et qui lui emprunte surtout les considérations morales qu'il mêle aux conseils pratiques de Caton, reconnaît la justesse de ce principe; mais il se hâte d'ajouter que, par malheur, ce qui était possible au temps de Xénophon est devenu impossible au moment où il écrit; car il faudrait d'abord que le maître connût le métier d'agriculteur et le plus souvent il n'en a pas la moindre teinture. Donc, en pareil cas, si on ne veut pas acheter un régisseur tout formé, le mieux est de choisir des adolescents, que l'on confie, pendant une certaine période, à un agriculteur expérimenté, pour qu'il les prépare, sous sa direction, à leur tâche future ; dans le nombre il s'en trouvera bien un qui donnera toute satisfaction. Et, à ce propos, Columelle, défendan t une conception qui n'a été réalisée que par les modernes après une longue suite de siècles, se demande pourquoi il n'y a pas d'écoles spéciales pour l'agriculture, comme il y en a pour la rhétorique et la philosophie. Il a voulu combler cette lacune regrettable en écrivant son traité et particulièrement le livre XI, où il passe en revue les devoirs du villicus'. Celui-ci doit d'abord être exempt des défauts les plus ordinaires dans la classe servile: la paresse, l'ivrognerie et la luxure. Bien entendu, on exigera de lui la fidélité, une probité scrupuleuse et une parfaite exactitude en toutes choses. Puis il faut qu'il sache se faire obéir des autres esclaves, et cela par la douceur et la persuasion autant que par la fermeté. Il célébrera pour la familia rustica les fêtes traditionnelles ; mais il se gardera avec soin de la superstition et il évitera le contact des diseurs de bonne aventure qui courent les campagnes. S'il a la passion de la chasse, il fera bien d'y renoncer, parce qu'elle le détournerait de ses occupations essentielles, etc... Bref, en traçant le type idéal de la profession, les agronomes nous ont suffisamment fait comprendre combien la réalité en était souvent éloignée e. Le bon villicus, le plus apte à bien remplir ses fonctions, est un homme sain et robuste, de trente à soixante ans ; il fait exécuter par les ouvriers les travaux de grande culture et il en prend aussi sa part; mais le soin du potager [CIBARIA, HoRTUS] rentre dans ses attributions spéciales, parce qu'il exige plus d'attention et qu'il est nécessaire à la subsistance journalière du personnels. Le villicus prend ses repas à part, et toujours assis, suivant l'antique couturne, sauf les jours de fête, où il lui est permis de manger couché. Il a la surveillance et la responsabilité de la chambre de garde où sont logés les esclaves enchaînés [ERGASTULUM] ; il y fait l'appel et vérifie les fers tous les jours. Enfin il s'assure que les travaux sont exécutés au moment voulu, dans l'ordre des saisons et des mois ; d'où la nécessité pour lui d'avoir sans cesse présent à l'esprit, et même aux yeux, le calendrier rus VIL 893 -VIN tique [CALENDARIUMI ; un exemplaire de ce tableau doit être affiché pour ses besoins dans la ferme même'. Le meilleur des régisseurs ne valait pas ce que les Perses et Xénophon avaient, avec raison, mis audessus de tout, l'ceil du maître (See7:d7:ou opOx), e ç) 2 ; mais c'était un personnage de première importance dans les grands domaines que le maître ne pouvait exploiter lui-même, faute de goût, de loisir ou d'expérience 3. De même que le villicus remplace le maître dans les travaux des champs, de même la villica est chargée de diriger tous les travaux qui se font à l'intérieur de la ferme, aux lieu et place de la maîtresse, de la materfariiilias, empêchée; et comme ce cas, après Caton, est devenu l'ordinaire, le rôle de la villica a grandi dans la même proportion que celui du villicus 4. Columelle a consacré un livre entier de son ouvrage, le douzième, à exposer en quoi consiste la tâche de la villica a. C'est généralement une esclave de confiance, que le maître a prise dans sa domesticité et qu'il a donnée pour compagne (contubernalis) au villicus. Elle doit présenter les mêmes garanties morales, faire régner partout l'ordre, la propreté et l'économie, emmagasiner les provisions et les distribuer sagement au fur et à mesure des besoins, confectionner et réparer les vêtements avec l'aide des servantes, soigner les malades, etc. Son domaine propre, c'est la cuisine et l'office, où se préparent les condiments et les aliments de réserve [CIBARIA, CONDIMENTA], les saumures, les fruits confits dans le miel, le vin cuit, les vins sucrés [MEL, VINUM], les fruits secs, les olives noires, la moutarde, le porc salé, etc. 6. Sous les ordres du villicus est placé tout le personnel, souvent très nombreux, de la familia rustica ; on peut voir à l'article RISTICA RES (p. 918, col. 2) quels sont les divers emplois des ouvriers qu'il commande, et les auxiliaires dont il dispose dans l'exercice de son autorité. Là où la VILLA était devenue une résidence de pur agrément [HORTUS], le villicus n'était plus qu'un jardinier chef ; d'où le titre plus précis de villicus hortorum ou supra portos; mais l'entretien d'un grand parc pouvait exiger encore assez de soins pour que cet agent fût aidé dans la direction par un subvillicus et un adjoint, vica Par extension on a appliqué le nom de villici même aux gérants d'immeubles urbains S et aux agents subalternes de diverses administrations publiques, telles que les contributions [VICESIMA HEREDITATIUM 9, ou les fondations charitables [ALIMENTA] 19. Ceux des aqueducs de Rome [AQUAEDUCTUS, AQuARIUS] surveillaient la distribution de l'eau ; certains d'entre eux, les villici a plumbo, étaient spécialement chargés de présider à la fabrication et à l'entretien des tuyaux de plomb ; leur honnêteté laissait beaucoup à désirer et ils avaient grand besoin d'être eux-mêmes surveillés 13