Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article VINDICIAE

VINDICIAE. Le mot vindiciae, que la loi des Douze Tables emploie aussi au singulier (vindicia)', a des sens divers. En général il désigne une chose litigieuse, celle dont la propriété est contestée, et qui donne lieu à des actes de violence réciproques, tout au moins à ce combat simulé qui caractérise l'action en revendication à l'époque antique [vINDICATIO]. Le jurisconsulte Servius Sulpicius, le contemporain et l'ami de Cicéron, déclare vindiciam esse [dictam] qua de re controversia est, ab eo qui vindicatur2. Son témoignage est confirmé par Festus : Vindiciae appellantur res eae de quibus controversia, quod potins dicilur [li]s, quia fit inter ces qui contendunt 3. Parfois le mot vindiciae sert à désigner, non plus la chose litigieuse qui donne lieu au procès, mais la partie de la chose que l'on présente en justice : la motte de terre qui symbolise le fonds litigieux, la brebis qui représente le troupeau. Tel est le sens que lui donne, au vine siècle de Rome, L. Cincius : Vindiciae olim dicebantur illae quae ex fundo sumptae in jus adlatae erant 4. Qu'on entende les vindiciae de la chose litigieuse ou de la partie pour le tout, l'idée exprimée par ce mot est si étroitement unie à celle des actes de violence exigés dans l'action en revendication qu'Aulu-Gelle confond les vindiciae avec la manus consertio. En rapportant la disposition de la loi des Douze Tables contre celui qui a obtenu à tort la possession intérimaire de la chose litigieuse, il donne la définition suivante : De qua re disceptatur in ju re praesenti, sire ager, sire quid aliud est, cum adversario simul manu prendere et in ea re [soll]emnibus verbis vindicare, id est vindicia Le mot vindiciae a une seconde acception : dans l'expression lis et vindiciae qui caractérise l'objet de l'obligation des praedes exigés du possesseur intérimaire, le mot vindiciae désigne les fruits de la chose litigieuse. Pro lite et vindiciis, dit Gains, id est pro re VIN 908 -VIN et fructibus ' [Lis, p. 1263, n. 3 et 13]. Cette seconde acception est la conséquence de la première: celui qui a la possession de la chose litigieuse en perçoit les fruits. S'il y a contestation sur la propriété de la chose, cette contestation s'étend forcément aux fruits perçus durant l'instance. La loi romaine a posé des règles sur la possession de la chose et sur les fruits qu'elle produit au cours du procès. 1. Vindiciarum dictio. Dans les procès en revendication où l'on fait usage de l'action de la loi per sacramentum in rem, l'attribution de la chose litigieuse pendant la durée du procès fait l'objet d'un décret du magistrat : vindicias dare ou dicere. Le Préteur a mis fin au combat simulé (manuum consertio) ; il a donné aux deux parties l'ordre de lâcher la chose litigieuse : mittite ambo hominem. La chose est désormais à sa disposition ; régulièrement il devrait veiller sur elle pendant l'instance. Il se décharge de ce soin en confiant à l'un des plaideurs la possession intérimaire : c'est la vindiciarum dictio. Gaius dit : Secundum alleruin eorum vindicias dicebat, id est interim aliquem possessorem constituebat 2. Vindicias postulare se dit de celui qui demande la possession a ; vindicias ferre, de celui qui l'obtient ° ; vindicias amittere, de celui qui la perd 5 lorsque le sacramentum de son adversaire est déclaré justum [SACRAMENTUM, p. 9544]. Parfois les parties se mettent d'accord pour régler la question de possession ; dans ce cas, l'acte de celle qui renonce à la possession au profit de l'autre se dit : vindicias cederes. Cette renonciation avait l'avantage de mettre les risques à la charge de l'adversaire. A défaut d'accord, le magistrat attribuait en principe les vindiciae au possesseur actuel, à celui qui avait la chose au début de l'instance. Il n'y avait aucun motif pour la lui enlever; à une condition toutefois, c'est qu'il présentât des praedes pour garantir la restitution des vindiciae, au cas où il perdrait son procès. S'il ne trouve pas de praedes, les vindiciae seront attribuées au revendiquant sous la même condition'. On a prétendu que le Préteur avait un pouvoir arbitraire pour l'attribution des vindiciae : il les donnait à qui il voulait a. Mais cette assertion est contredite par Gaius: olim, cum lege agebatur, (praedes) a possessore petitori dabantur9. Deux cas seulement ont été exceptés par la coutume : dans les procès relatifs à la liberté, les vindiciae sont attribuées à l'adsertor in libertatent10; dans les procès relatifs aux aqueducs, elles sont données au peuple romain " L'attribution des vindiciae n'est que provisoire ; elle n'est faite, dit Gaius, que pour la durée du procès (interim)12. Lorsquele jugea statué, ou bien celui qui a obtenu la possession triomphe et, dans ce cas, il garde la chose ; ou il succombe et, dans ce cas, il doit la restituer. La loi n'a pas prévu le cas où les deux sacramenta seraient déclarés injusta. Vraisemblablement les praedes remet taient la chose à la disposition du magistrat pour se libérer de l'obligation qu'ils avaient contractée envers lui. Celui-ci la laissait-il en fait au possesseur actuel bien qu'il Mt démontré qu'il n'avait aucun droit à garder la chose? Nous ignorons si à une époque où la notion de la possession n'existait pas encore, l'on observait déjà la règle : in pari causa, possessor potior haberi debet 13. Il en fut autrement lorsque le Préteur appliqua aux propriétés privées les interdits possessoires qu'il avait créés pour protéger les possesseurs de terres du domaine public. La possession put dès lors faire l'objet d'un débat préalable distinct de celui qui a trait à la propriété [POSSESSIO, p. 602]. Celui qui a la possession actuelle est protégé par les interdits uti possidetis ou utrubi, lorsque sa possession n'est pas vicieuse à l'égard de son adversaire. En matière mobilière, la protection du Préteur s'étend à celui des plaideurs qui, dans la dernière année, a possédé plus longtemps que l'autre. Désormais la possession est protégée indépendamment de la propriété, dans l'intérêt de l'ordre public, pour prévenir des troubles dans la cité i5 [INTERDICTUn, p. 560, n. 11 ; p. 561, n. 20]. Le règlement de la possession au moyen des interdits n'a pas eu pour effet de supprimer la vindiciarum dictio dans l'action de la loi per sacramentum in rem. Elle subsiste encore au II` siècle de notre ère, au temps d'Aulu-Gelle 16, pour les procès soumis aux centumvirs Mais il va de soi que le Préteur devait tenir compte du résultatdel'interdit possessoire, lorsque les parties lui avaient d'abord soumis la question de possession. D'autre part la situation des parties était modifiée en fait sinon en droit. Celui qui avait succombé au possessoire n'avait intérêt à exercer l'action de la loi par serment' que si l'affaire était de la compétence des centumvirs, qui offraient plus de garanties d'impartialité qu'un simple juge. Dans tout autre cas, il avait à sa disposition une procédure plus simple et moins périlleuse que l'action de la loi : la procédure per sponsionem, ou la procédure par formule pétitoire; il ne courait plus le risque de perdre 50 ou 500 as, montant du sacramentum ; mais le fardeau de la preuve était à sa charge. Celui qui avait eu gain de cause au possessoire avait donc moins de chances d'être actionné en revendication II. Praedes luis et vindiciarum. La condition, requise par le Préteur pour obtenir les vindiciae, est de fournir des praedes qui garantissent la restitution de la chose et des fruits [rnAES]. Ces praedes, qu'il ne faut pas confondre avec les praedes sacramenti 17 [SACRA3IENTU111, p. 953, n. 8], s'obligent, suivant l'usage, envers l'État. L'État agit ici dans l'intérêt de la partie adverse' 3 : il ne faut pas que celui des plaideurs qui n'a pas obtenu du Préteur la possession intérimaire puisse reprocher au magistrat de l'avoir mis hors d'état de recouvrer la chose et les fruits qu'elle a produits au cours du procès. Si la chose ou les fruits ne peuvent être restitués en VIN 909 \TIN nature, celui qui a obtenu à tort la possession intérimaire peut, d'après la loi des Douze Tables, demander au magistrat de nommer trois arbitres pour en déterminer la valeur. Si vindiciam falsam tulit, si velit is... [prae]tor arbitros tres dato. Eorum arbitrio... fructus duplione damnum decidito [JURGIUST, p. 714, n. 12]. Ce texte, quelque peu mutilé, soulève une difficulté : la peine du double est-elle encourue seulement en cas de non-restitution des fruits, ou bien encore au cas où la chose litigieuse n'est pas restituée intégralement, parce qu'elle a péri ou a été détériorée? La question nous paraît résolue par un fragment des Sentences de Paul, relatif à la satisdation pro praede titis et vindiciarum de la pétition d'hérédité La peine du double est due, non seulement lorsque le défendeur n'a pas perçu ou conservé les fruits, mais aussi lorsqu'il a diminué les choses héréditaires, ce qui comprend le cas de détérioration. La satisdation pro praede Titis et vindiciarum étant, en principe, modelée sur l'obligation des praedes3, il y a lieu de penser que, dans la procédure des actions de la loi, la règle était la même. III. Satisdatio « pro praede Titis et vindiciarum ». Cette satisdation est mentionnée par Gaius et par les Fragments duVatican 4. Elle a disparu avec l'action réelle per sponsionem. Les compilateurs du Digeste ont rapporté à la satisdation judicatum solvi, usitée dans la procédure par formule pétitoire, les textes de l'époque classique relatifs à cette satisdation. Ces textes sont extraits principalement du livre 77 du commentaire d'Ulpien sur l'Édit La satisdation pro praede Titis et vindiciarum et la satisdation judicatum solvi contiennent des clauses analogues pour garantir l'obligation d'exécuter la sentence, de défendre au procès, de ne pas commettre de dol. Elles diffèrent en ce que, dans la stipulation judicatum solvi, les trois promesses sont distinctes, bien que réunies dans la même formule 6. Le demandeur peut donc agir successivement pour chacune d'elles. Dans la satisdation pro praede titis et vindiciarum, au contraire, il y a une promesse unique, qui sera exigible si l'une des conditions prévues se réalise 7 ; mais le droit du demandeur est épuisé après la première poursuite 8 On n'a pas de renseignements sur la clause ob rem non defensam et de dolo malo dans notre satisdation ; mais quelques indications ont été conservées sur la première (ob rem judicatam). Les cautions s'engagent envers un tribunal déterminé ; si l'affaire est portée devant un autre, elles sont libérées de leur obligation 9. Le défendeur et les cautions promettent de restituer la chose ou d'en payer l'estimation 70 [Lins AESTIMATIO, p. 1269]. Ils promettent en outre de payer le double de la valeur des fruits qui n'ont pas été perçus ou conservés depuis la titis contestatio. Ils doivent également payer le double, si la chose a été détériorée depuis la titis contestatio 11 [LITIS CONTESTATIO, p. 1272, n. 28]. Il y a là une différence avec l'obligation des praedes titis et vindiciarum qui remonte au jour de la vindiciarum dictio.