Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article VOLUMEN

VOLUUEV. Volume, rouleau de papyrus, de parchemin, de toile ou de toute autre matière propre à former un livre. Nous n'aurions pas à revenir sur un sujet qui a déjà été traité longuement dans l'article LIBER, Si nous n'avions à signaler l'apparition d'un ouvrage de M. Birt, qui en a éclairé toutes les parties par des recherches nouvelles'. On trouvera là, dans l'ordre méthodique, un très copieux catalogue des oeuvres de l'art plastique qui permettent de préciser et de compléter les témoignages des auteurs anciens sur la forme du livre roulé ou déroulé, sur les différents aspects qu'il prend entre les mains du lecteur, sur les attitudes et les procédés de la personne qui le couvre de son écriture, etc. 2. Nous nous bornerons à consigner ici quelques renseignements qui n'ont pu trouver place ailleurs. Les monuments antiques où le volumen est représenté sont en nombre considérable et on en découvre sans cesse de nouveaux ; il apparaît dès le commencement du Ve siècle av. J.-C. dans les peintures de vases, dont quelques-unes signées des noms d'Euphronios, de Brygos et de Douris [EDUCATIO, fig. 2599, 2600, 2601 ; VASA, fig. 7313] 3. Dans les sujets mythologiques il est le plus souvent l'attribut des Muses ; entre les mains de Calliope ou de Melpomène il représente la poésie; entre celles VOL de Clio, l'histoire [MOSAE, fig. 5207, 5208, 5209, 5210, 5216, 5217] Quand il accompagne les images d'Esculape ou de Télesphore, il est le symbole de la science médicale [TELESPUORUS, fig. 6777] 2. Les Parques lisent la destinée de chaque créature humaine dans un volumen, que l'une d'elles déroule jour par jour jusqu'à ce qu'elle soit arrivée à l'extrémité [FATUM, fig. 2897;3. Ailleurs le volumen contient un message confié à Iris par les dieux'. Si nous passons aux sujets historiques, nous voyons que le rouleau de papyrus est essentiellement l'attribut des poètes et des grands écrivains ; c'est ainsi qu'une peinture de vase du ve siècle av. J.-C. nous montre Sapho la tête penchée sur le recueil de ses poèmes, qu'elle tient à deux mains devant elles. Dans les scènes de la vie publique le volume est fréquemment représenté comme un insigne de l'autorité, depuis l'autorité suprême, celle de l'Em pereur; il symbolise sans doute chez le magistrat le droit de rendre des édits, inhérent à sa charge, et chez le juge le droit de rendre des arrêts [DIPTVCnoN,fig. 2457]0. Il peut convenir, du reste, non seulement aux person nages de qui émanent ces documents, mais encore à ceux qui les conservent. La figure 7564 reproduit la partie inférieure d'une statue trouvée à Rome ; elle représente un homme vêtu de la toge, qui fut en son temps archiviste d'une corporation industrielle, commerciale ou autre; près de lui est déposé le sciimunt, sans doute plein de documents; sur le couvercle fermé on aperçoit quatre volumina réunis en faisceau par une sangle ; comme nous l'apprend l'inscription, le tout se compose de constitutions impériales (consjtitIutiones), sur lesquelles reposaient les privilèges de la corporation et. qu'elle considérait comme ses principaux titres (coirporisl nlunilmenta) 7. Dans le culte, surtout dans les cérémonies en l'honneur des dieux orientaux [Isis, fig. 4103], les rouleaux contenant les textes de prières, les hymnes ou les prescriptions rituelles sont quelquefois lus ou consultés devant l'autels. Dans les écoles de toute catégorie le volumen est indispensable aux maîtres et aux élèves ; il a sa place marquée dans toutes les réunions des sociétés lettrées ou savantes [EDUCATIO, fig. 2599, 2600, 2601, 2605, 2608, 2609; LUDUS, fig. 4647, 4648] 9. Si on représente une scène de mariage, on met dans la main de l'époux le volumen sur lequel a été rédigé le contrat [MATRIMONIUM, fig. 4871, 4872] 10. Enfin c'est encore l'attribut distinctif de beaucoup de professions: il rappelle tantôt le livre de comptes du banquier ou du commerçant if, tantôt le recueil des planches sur lesquelles l'entrepreneur ou l'architecte ont établi leurs plans [BACULUM, fig. 734] 12. Nous reproduisons dans la figure 7565 le monument funéraire d'un architecte romain (mensor aedifbciorum) nommé T. Statilius Aper; auprès de lui on voit un énorme rouleau de papyrus et une CAPSA fermée, qui doit en contenir d'autres 13. Il est naturel qu'ayant servi à tant d'usages et symbolisant tant de formes diverses de l'activité humaine, le volumen ait été très souvent représenté sur les tombeaux.On s'est demandé si dans certains cas il n'aurait pas eu par lui-même la valeur d'un symbole funèbre ; M. Birt a soutenu qu'il fallait y voir l'application de cette métaphore bien connue qui a conduit, comme nous l'avons dit plus haut, à en faire un attribut des Parques; ce serait « le livre de la vie » déroulé jusqu'au bout". Mais cette hypothèse est difficile à justifier ; la présence du volumen dans les bas-reliefs funéraires, depuis l'époque hellénistique, s'explique beaucoup plus simplement par le désir de mettre à côté de l'image du mort un attribut qui rappelle sa profession ou ses occupations favorites ; quoique nous ayons parfois de la peine à préciser davantage, il semble bien qu'il résume en général la vie de l'homme de lettres, du savant, du professeur, de l'artiste ou du magistrat ; il signifie surtout travail intellectuel ou autorités. C'est ainsi sans doute qu'il faut interpréter un bas-relief grec de Byzance (fig. 7566) qui rentre dans la série dite des banquets funèbres [cf. REROS, fig. 3831] ; en haut, dans un cadre, est sculptée, suivant l'usage, une tête de cheval ; le mort héroïsé, étendu sur un lit, tient de la main gauche un volumen légèrement déroulé; en face de lui est assise sa femme ; une servante porte la corbeille à ouvrage de la dame et un jeune garçon lui tend un diptyque. Suivant toute apparence, nous avons là devant les yeux une famille de lettrés ou de savants, en tout cas de gens cultivés 16 VOL 967 VOL Grâce à des découvertes récentes, nous connaissons mieux aujourd'hui comment étaient organisés dans l'antiquité les grands dépôts de manuscrits. Les fouilles exécutées à Pergame, à Éphèse, à Timgad (Algérie) et aussi à Rome, dans l'église de Sainte-Marie-Antique, ont ramené à la lumière des restes importants de bibliothèques [BIBLIOTHECA] ; ceux qu'on a découverts à Éphèse surtout, identifiés grâce à une inscription recueillie sur les lieux mêmes, donnent une idée très nette des édifices affectés à cet usage 2. La bibliothèque fondée à Éphèse, sous Trajan, par un ancien consul, en l'honneur de son père C. Julius Celsus Polemaeanus, était précédée d'une colonnade élevée sur cinq marches ; on accédait dans l'intérieur par trois portes, flanquées de pilastres qui encadraient des niches ornées de statues allégoriques : la Science, la Sagesse et la Vertu. La salle mesure 16 m. 50 sur 11 mètres. En face de l'entrée s'ouvre une grande niche demi-circulaire, destinée à recevoir une statue colossale; autour de la pièce sont ménagés dans l'épaisseur du mur dix placards hauts de 2 m. 80, larges de 1 mètre et profonds de 0 m. 50 ; ce sont les armaria dans lesquels on conservait les rouleaux [BIBLIOTHECA]. Peut-être y avait-il au-dessus un autre étage de placards semblables, auquel on accédait par un escalier et une galerie; une ouverture pratiquée dans le plafond éclairait toute la pièce. Autour des murs s'étendent extérieurement deux couloirs, larges de 1 m.20 environ ; ils avaient l'avantage d'isoler complètement la bibliothèque des constructions avoisinantes ; ils protégaient les livres, non seulement contre l'incendie, mais encore contre l'humidité. Les anciens paraissent en effet avoir pris de grandes précautions pour préserver de la pourriture leurs frêles rouleaux de papyrus;' c'est aussi pour cette raison que la bibliothèque de Celsus était orientée vers le levant, comme le recommande Vitruve'. Enfin la niche du fond recouvre un caveau funéraire, dans lequel on a retrouvé encore en place le sarcophage de Celsus; l'édifice prenait par là un caractère sacré, celui d'un hérôon ; c'est ainsi que le rhéteur Dion de Pruse avait fait ensevelir sa femme et son fils dans la bibliothèque de cette ville M. Birt a réuni des renseignements précieux sur le classement des volumina dans ces grands dépôts. Là où il y avait des armoires, chacune d'elles portait un numéro 6 ; mais on s'est servi aussi de casiers (77rlyp.XT«, loculamenta), qui pouvaient couvrir entièrement les murs et monter jusqu'au plafond' ; en pareil cas il est probable qu'on numérotait chaque case (loculus, nidus, forulus) 8 ; on n'imagine pas qu'il pût en être autrement dans certains dépôts qui contenaient des milliers et des milliers de volumes 9. La fig. 7567 reproduit un basrelief trouvé à Trèves au xvne siècle et qui est aujourd'hui perdu ; on y voit les rouleaux empilés les uns audessus des autres et rangés par cases ; plusieurs portent, suspendue à leur extrémité, une étiquette destinée à recevoir le titre; un homme en tient un, qu'il remet en place 10. La case de gauche paraît avoir été faite pour contenir dix-huit rouleaux en trois rangées de six, superposées". Pour les ouvrages d'une très vaste étendue, chaque case devait correspondre à une de ses grandes divisions ; ainsi les Annales de Tite-Live comprenaient 142 livres, soit 142 rouleaux ; on n'aurait jamais pu s'y reconnaître ni les prendre en main com modément, si l'ensemble n'avait été divisé par groupes: d'où les décades, ou séries de dix rouleaux, dont chacune occupait une case portant un numéro, de I à XV. Il semble aussi que la série de cinq, ou pentade, ait été quelquefois employée. Au lieu de rangées égales on pouvait encore former, sur les tablettes des armoires, des pyramides par cinq ou par dix rouleaux, dont chacune représentait soit un ouvrage, soit une de ses VOM 968 VOM grandes sections [BIBLIOTRECA, fig. 852; cf. fig. 4451]; le même groupe de rouleaux entrait ensuite, sans changement, dans la CAPSA (fig. 4450), quand on voulait les transporter avec soi 1. Il a déjà été question à l'article LIBER (p. 1187) des manuscrits ornés de figures 2. Ajoutons que les anciens ont aussi connu les livres d'images, dans lesquels le texte, quand il y en a un, se réduit à quelques mots ou à quelques lignes d'explication. On ne peut douter par exemple que la carte géographique dite Table de Peutinger [FORMA, fig. 3196 ; VIA, fig. 7435], tracée au xule siècle sur un rouleau de parchemin long de près de sept mètres, reproduise un rouleau antique ; et ce cas n'est pas isolé : on connaît plusieurs peintures, relatives à l'histoire sacrée, qui ont été ainsi exécutées, au moyen âge, par des procédés empruntés à l'antiquité classique 3. D'autre part, nous avons dans le Livre des morts de l'ancienne Égypte, et dans ses recueils de Fables satiriques, des échantillons de rouleaux à images qui nous reportent bien au delà de l'antiquité gréco-romaine. D'où l'hypothèse très ingénieuse de M. Birt que les colonnes de Trajan et de Marc Aurèle, à Rome, ne sont pas autre chose que la reproduction, à grande échelle, de livres du même genre, qu'on aurait imaginé de fixer en spirale autour d'un fût. Elles se lisent toutes les deux de gauche à droite, comme un volumen ; sur celle de Trajan, le rouleau mesure 200 mètres de long et il est divisé en 155 compartiments ou scènes distinctes, dans lesquels le même personnage revient à plusieurs reprises. Le bord n'est pas partout rectiligne, comme si l'artiste avait voulu donner l'idée d'un papyrus un peu flottant, qui n'adhérerait pas toujours exactement au fût. Enfin, comme les images d'un volunien, les bas-reliefs de la colonne étaient peints°. On peut conclure de là avec vraisemblance que les frises de certains monuments antiques, ou les tableaux divisés en plusieurs registres, dans lesquels se développent les épisodes successifs d'un même sujet [ILIACAETABULAE, avec les fig. 3948, 3949], ont été souvent inspirés par des dessins ou par des peintures sur rouleaux, à supposer même qu'ils n'en soient pas la copie exacte. Ces sortes de recueils ont dû jouer un rôle important dans les écoles 5. GEORGES LAFAYE. VOLUPIA, VOLUPTAS. [INDIGITAMENTA, p. 470] 1.