Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article ARCHITECTUS

ARCHITECTUS (Apyrr€xc(av), architecte a. Les deux mots âpyol, je commande, et -6x'mv, ouvrier, indiquent suffisamment le sens du mot architecte dans les langues grecque et latine : c'était le chef qui avait sous ses ordres des ouvriers de diverses professions et présidait à l'exécution d'un édifice publie ou privé dont il avait primitivement conçu les principales dispositions et tracé les plans ou donné un modèle Ûn texte montre bien la différence qui existait, au Iv` siècle av. J.-C., lors de la plus grande splendeur des arts de la Grèce, entre les -rnrroveç, très-souvent mentionnés par Homère' et après lui, et les âpy tTEXTOveç, qui touchaient, à la même époque, un traitement près de dix fois plus considérable. a Voyez, dit l'interlocuteur d'un dialogue attribué à Platon, ce qui se produit dans l'art des construc tions (iv Tr, TexTOVtxq) : on se procure facilement un ouvrier (TEx'ovet) pour cinq ou six mines 7 tout; au plus; pour un architecte (âp7 tTéxTova), il faudra mettre dix mille drachmes e car les architectes sont rares dans toute la Grèce. n Les inscriptions, trouvées en 1836 aux Propylées d'Athènes, portent mention des salaires touchés par les sculpteurs, les peintres et les autres ouvriers qui, sous la direction de l'architecte Archiloque, ont travaillé à l'achèvement de l'Érechthéion d'Athènes, l'an 407 av. J.-C. On y voit, d'une part, que cet architecte touchait, pour ses honoraires et probablement par prytanie, trente-cinq drachmes °, et que l'hypogrammate ou sous-secrétaire Pyrgion, qui est nommé après lui, n'en touchait, dans les mêmes conditions, que trente-trois 10, tandis que, ARC d'autre part, les sculpteurs, les peintres et les autres ouvriers placés sous leurs ordres, recevaient des sommes diverses, mais moindres, suivant la nature et l'importance de leur travail, lequel paraît, de plus, leur avoir été payé à la pièce ". Deux siècles plus tard, il est vrai, l'an 220 av. J.-C., le roi d'Égypte Ptolémée Philopator envoie cent architectes et sculpteurs à Rhodes, en partie détruite par un violent tremblement de terre 12; mais il est permis de conjecturer d'après ce que nous savons de la facilité avec laquelle les artistes grecs cultivaient plusieurs branches de l'art, que, parmi ces artistes, on ne devait compter qu'un bien petit nombre d'architectes à côté des sculpteurs chargés de les seconder et souvent initiés eux-mêmes aux règles de l'architecture. Vers la fin de la république romaine, l'an 44 av. J.-C., Cicéron annonçant à Atticus son intention d'élever un monument à Tullia, sur les dessins de Cluatius, l'un de ses architectes, vante les connaissances de son temps en architecture 13. Ses lettres nous font connaître, outre le nom de Cluatius, celui de Corumbus1°, affranchi deBalbus, qui lui était connu comme habile architecte; puis de Cyrus, de Chrysippe, affranchi de Cyrus, et de Diphilus, tous trois employés par lui. On sait qu'il ne posséda pas moins de vingt et une maisons, qu'il avait achetées ou fait bâtir luimême "; celle d'Arpinum seule lui était venue par héritage de ses ancêtres L6. Dans la première moitié du u° siècle de l'ère chrétienne, à l'époque même où Apollodore de Damas dirigeait les constructions remarquables du règne de Trajan, de somptueux édifices 17 s'élevaient dans toutes les provinces, dans tous les municipes. Pline le Jeune, gouverneur de Bithynie, demandant à l'empereur de lui envoyer un architecte ig, Trajan répond : a Vous ne pouvez manquer d'architectes. 11 n'est point de pays où on ne trouve des gens entendus et habiles, si ce n'est que vous pensiez qu'il soit plus court de vous en envoyer de Rome, où ils nous viennent ordinairement de la Grèce 19 » Sans s'arrêter longtemps à l'origine et au sens des mots 01X7159 et osxoov,xY', OU xt xoooévy, on trouve dans l'étude de leurs plus anciennes acceptions, de précieux ?enseignements sur la nature des travaux que purent avoir à diriger les architectes primitifs. En effet, on voit dans Homère", et après lui encore, quand ces mots sont pris dans une acception rigoureuse, que TÉxTwv désignait, par opposition à ceux qui travaillaient la pierre, l'ouvrier habile à travailler les métaux et surtout le bois, qui était employé soit pour la construction des combles, et peut-être pour celle des temples, soit pour la construction des navires. C'est de bois et d'airain qu'étaient bâties les demeures des chefs, d'après les plus anciens témoignages. On peut rapprocher ce que dit Pausanias 21 du temple de bois de Poseidon à Mantinée, des colonnes de chêne de l'Ilere'iin de Samos et des trois temples qui précédèrent, à Delphes, celui d'Agamède et de Trophonius, érigé en marbre vers l'an 1200 av. J.-C. Le premier de ces temples était une cabane de branches de laurier, le troisième était couvert de plaques d'airain. Pausanias dit encore à ce propos ARC « que le temple de Minerve X0,,zio X75 (c'est-à-dire au temple d'airain) existait encore à Sparte, au I1° siècle de l'ère chrétienne. On peut induire de ces faits, en laissant ici de côté les récits qui se rapportent, aux Dactyles, sut Telchines, aux cabires, aux Corybantes, aux Curètes, aux Cyclopes, regardés comme les plue anciens constructeurs et inventeurs des métaux, que les premiers architectes grecs dirigèrent des travaux exécutés en bois ou en métal, et que de grands perfectionnements dans l'emploi du bois et du fer et dans l'industrie du bâtiment sont dus à ces constructeurs primitifs, véritables initiateurs de leurs compatriotes dans l'art de bâtir. Dédale, qui est le représentant fabuleux de l'art grec sortant de l'enfance, inventa, suivant Pline le naturaliste Z2, la scie, la doloire, le fil à plomb, la tarière, la colle, ett.; il fit aussi, d'après Pausanias 23, les plus anciennes statues de bois qui, dans là suite, conservèrent son nom. On prête aussi à Dédale l'honneur d'avoir fait élever, sinon les premières, au moins de fort anciennes constructions en pierre ; et Pline dit encore 26 qu'il érigea le labyrinthe de Crète [DAEDALUS). Au vie siècle av. J. C., les Samiens Rhoecus et Théodore exercèrent les premiers en Grèce l'art de couler le bronze ; ils dirigèrent la fondation du temple de Diane à Éphèse, construisirent à Lemnos un labyrinthe soutenu par cent cinquante colonnes dont les fûts étaient, disait-on, si parfaitement suspendus, dans l'atelier où on les travaillait, qu'un enfant suffisait pour mettre en mouvement le pivot qui les étreignait 2' ; à Sparte, ou Théodore seul fut appelé, cet architecte éleva un édifice nommé la Skias, qui vraisemblablement avait une toiture faite de tuiles métalliques 28. On petit rapprocher ces faits de ce que la Bible nous apprend 27 au sujet de Béséléel, directeur des travaux de l'arche d'alliance au temps de Moïse, lequel s'occupait particulièrement des travaux de fonte et de ciselure d'or, d'argent et d'airain, tandis qu'un autre personnage, Ooliah, était chargé de ceux de charpente, de menuiserie et de tissage d'étoffes. Au temps de Salomon, le Tyrien Byrant, qui avait l'intendance générale des travaux du temple de Jérusalem, était aussi un habile fondeur 28 Ainsi, les premiers chefs de chantier qui nous sont connus possédaient des connaissances toutes spéciales dans l'art de travailler le bois ou les métaux. Il est vrai qu'il y a tout lieu de croire à une double influence égyptienne et asiatique agissant sur les oeuvres du Crétois Dédale et des Sauriens Bhcncns et Théodore, de même qu'Ooliab et Béséléel ne tirent qu'appliquer dans la terre de Chaman des procédés industriels empruntés à la civilisation si avancée des Pharaons d'Égypte, au siècle de Sésostri et qu'enfin la nationalité de IIyram suffirait seule pour expliquer sou habileté dans l'industrie métallurgique. Au contraire, dans les anciens empires de l'Orient, à Babylone et à Ninive, ainsi que dans l'Inde et dans l'1?gy'pte, la nature même des matériaux de construction (briques crues ou cuites et granits ou roches naturellement entaillées) dut forcer les architectes à se préoccuper plutôt, à défaut d'excavations presque régulières clans le roc, de donner leurs soins à l'extraction, au transport, à la taille, à la pose et à l'assemblage des ouvrages dits de maçonnerie, ARC 376 ®ARC qu'ils revêtirent d'une décoration sculpturale, obtenue en creux ou en relief, à l'aide du ciseau et du maillet et parfois colorée, « créant ainsi l'architecture par l'alliance intime de la construction et de la décoration 2B. » Et, dans la suite, lorsque les traditions égyptiennes, asiatiques et phéniciennes eurent une si grande influence sur l'art grec, l'architecte dut étudier surtout la construction en marbre, en pierre ou en brique. Homère 30, racontant les merveilles du palais de Priam, nous montre ce palais entouré de riches portiques et renfermant cinquante chambres revêtues d'un marbre poli. Hérodote, à une époque plus rapprochée de nous, désigne par le mot ê gtiéztwv n, l'auteur inconnu des magnifiques propylées du temple de Minerve à Saïs, en Égypte, érigés en granit vers I'an 510 av. J.-C.; puis Eupalinus de Mégare, qui, probablement sous le tyran Polycrate, construisit à Samos, dans le vie siècle av. J.-C., le canal-aqueduc long de treize cents mètres qui alimentait d'eau la ville de Samos; et aussi Rhoecus, qui, dans cette même ville, érigea l'Hereurn ou temple de Junon, le plus vaste connu jusqu'alors, d'ordre dorique 3z, et plus tard reconstruit dans de plus grandes proportions encore, mais d'ordre ionique. Hérodote, il est vrai, donne aussi et avec raison ce titre d'architecte sa à Mandroclès de Samos, à la fois ingénieur et architecte, qui, lors des guerres médiques, jeta à Chalcédoine, sur le Bosphore, le pont de bateaux qui servit au passage des Perses et que décoraient, sur la rive asiatique, deux colonnes monumentales en pierre couvertes d'inscriptions gravées, sur l'une, en caractères assyriens, et sur l'autre, en caractères grecs. On voit par ces exemples, qu'il serait facile de multiplier, que chez les Grecs la profession d'architecte, anciennement alliée à celle de sculpteur sur bois ou de fondeur en métaux, le fut aussi à celle d'ingénieur; elle s'allia souvent même à celle d'autres arts34,et particulièrement à celui de la décoration théâtrale 35, ou à l'ordonnance des fêtes et des cérémonies publiques : c'est ainsi que Hiéronyme construisit le char funèbre d'Alexandre le Grand 38. II y a tout lieu de croire aussi à une intervention utile, ou pour mieux dire nécessaire, de l'architecte dans les pompes triomphales des Romains, où l'on faisait paraître comme on sait des chars renfermant des statues d'ivoire et d'airain, des colonnes, des tours, des images des villes, des citadelles, des montagnes, des fleuves, des marais, des mers, et enfin de tout ce qui avait été conquis par le général victorieux 34. La construction des machines de guerre ou des engins industriels réclamait aussi le concours de l'architecte". Pline le Jeune montre bien le mélange d'attributions qui existait à Rome entre les architectes et les ingénieurs, lorsqu'il écrit à l'empereur Trajan "9 de lui envoyer soit un ingénieur hydraulicien (aquilex), soit un architecte, pour terminer les travaux d'un aqueduc commencé à Nicomédie, soit un niveleur (lihralor), soit un architecte pour étudier les dispositions que nécessiterait la jonction à la mer d'un lac situé près de Nicomédie. On conçoit donc facilement que, lorsque la civilisation et le luxe eurent atteint les plus grands développements et que furent érigés ces monuments dont les ruines impo santes attestent encore aujourd'hui l'état florissant de l'architecture chez les Grecs et chez les Romains, l'architecte dut posséder une grande somme d'aptitudes et de connaissances : aussi Quintilien admet-il b0 que « l'architecture s'étend à. tout ce qui entre dans la composition d'un édifice, » et Vitruve, architecte et ingénieur militaire du temps de l'empereur Auguste, résume ainsi, au commencement du Traité d'architecture qu'il dédie à ce prince, et dans lequel il s'est inspiré d'ouvrages malheureusement perdus des auteurs grecs anciens, tout ce que la pratique de l'architecture exige de ceux qui veulent s'y adonner avec fruit : « L'architecture, dit-il 41, est une science qui doit être accompagnée d'une grande diversité d'études et de connaissances, par le moyen desquelles elle juge de tous les ouvrages des autres arts qui s'y rapportent. Cette science s'acquiert par la pratique et par la théorie. » Vitruve, dont les écrits décèlent une éducation libérale et une instruction complète u, ajoute que « les architectes qui ont essayé de parvenir à la perfection de leur art sans le secours des lettres et par le seul exercice de la main, ne s'y sont guère avancés , quelque grand qu'ait été leur travail, non plus que Ceux qui ont cru que la seule connaissance des lettres et le seul raisonnement les y pouvaient conduire ; car ils n'auront jamais vu que l'ombre. Il faut que l'architecte soit ingénieux et laborieux tout ensemble. Il doit être lettré, savoir dessiner, être instruit dans la géométrie et n'être pas ignorant de l'optique; avoir appris l'arithmétique et s'être nourri de la lecture de l'histoire ; avoir étudié avec soin la philosophie, connaître la musique, et avoir quelque teinture de la médecine, de la jurisprudence, de l'astrologie et du mouvement des astres... Il faut que l'architecte ait étudié la médecine, pour savoir quelles sont les différentes situations des lieux de la terre, lesquelles sont appelées climats par les Grecs, afin de pouvoir connaître la qualité de l'air, s'il est sain ou dangereux, et quelles sont les diverses propriétés des eaux ; car il n'est pas possible de construire une habitation qui soit saine, si l'on n'a bien examiné toutes ces choses. L'architecte doit savoir la jurisprudence et les coutumes des lieux pour la construction des murs mitoyens, des égouts, des toits et des cloaques, pour les vues des bâtiments, pour l'écoulement des eaux et autres choses du même genre, afin qu'avant de commencer un édifice, il prévoie tous les procès qui pourraient, l'ouvrage étant achevé, être faits sur ce sujet aux propriétaires. » Il est bon de remarquer ici qu'il y avait à Rome diverses lois, soit sur les hauteurs des maisons qui ne devaient pas excéder soixante-dix pieds'', soit sur l'épaisseur des murs mitoyens et même sur les conditions d'emploi de certains matériaux ". « Ces connaissances, dit Vitruve, rendront en outre l'architecte capable de donner de bons conseils pour dresser les baux à l'utilité réciproque des preneurs et des bailleurs; car, en y mettant toutes les clauses sans ambiguïté, il sera facile d'empêcher qu'ils ne se trompent l'un l'autre. L'astrologie lui servira aussi pour la confection des cadrans solaires, par la connaissance qu'elle lui donne de l'orient, de l'occident, du midi et du septentrion, des équinoxes, des solstices et du cours des astres. Donc, puisque l'architecture est enrichie de la connaissance de tant de diverses choses, il n'y a ABC 3 ~. ARC pas d'apparence de croire qu'un homme puisse devenir bientôt architecte. Il ne doit pas prétendre à cette qualité, à moins qu'il n'ait commencé dès son enfance à monter par tous les degrés des sciences et des arts qui peuvent élever jusqu'à la dernière perfection de l'architecture... Et c'est pourquoi Pythias, cet ancien architecte qui s'est rendu illustre par la construction du temple de Minerve dans la ville de Priène, dit, dans ses Commentaires (aujourd'hui perdus), que l'architecte doit être capable de mieux réussir, à l'aide de toutes les sciences dont il a la connaissance, que tous ceux qui ont excellé par une industrie singulière dans chacune de ces sciences. » Vitruve ne se borne pas à énumérer longuement tout le bagage de connaissances que doit posséder l'architecte complet, il veut encore que celui-ci fasse preuve d'un grand désintéressement ; aussi blâme-t-il l'avidité de trop nombreux architectes de son époque. Tel est le portrait, tracé surtout d'après les auteurs grecs, de l'architecte ancien vraiment digne de ce nom. De nombreux exemples montrent que l'ensemble de connaissances qu'exigeait Vitruve fut souvent réuni dans l'antiquité. A côté des Dédale, des Béséléel, des Hyram t5, qui représentent un art primitif, il faut placer les plus anciens architectes, sculpteurs sur bois ou ciseleurs sur métaux, comme Alexanor 46, Byzès de Naxos 47, qui tailla le premier des tuiles de marbre ; un grand nombre furent aussi statuaires, comme Callimaque, à la fois architecte, statuaire , peintre et ciseleur n ; Clecetas de Sicyone 69, Miletus de Tripoli 60, Parménion a1, Phidias, à la fois architecte, statuaire , ciseleur et peintre n ; Gitiadas de Sparte, architecte, sculpteur et poète qui, après avoir élevé un temple à Minerve et fondu sa statue, célébra la déesse par ses vers"; Bupalus de Chio u, qui sut aussi se servir de la palette et des pinceaux , Clisthènes d'Érétrie 55 et cet affranchi de Diomède à Pompéi, qu'une table de marbre conservée au palais des Études désigne comme pictor idem et architectes n. La liste des architectes ingénieurs ou mécaniciens est des plus longues : tels furent Etherius de Constantinople, architecte, ingénieur et homme d'État n; Andronicus de Cyrrhos, l'auteur de la tour des Vents à Athènes 58 ; Anthémius de Tralles, qui fut peut-être l'inventeur d'une machine à vapeur, et l'auteur (avec les Isidore de Milet) de Sainte-Sophie de Constantinople n ; Callias d'Aradus 66, Chrysès d'Alexandrie e, Dioclide ou Diognète d'Abdère 62, Épimaque d'Athènes 63, Héraclide de Tarente, architecte, ingénieur et commandant de flotte 64 ; Héron et les autres architectes et ingénieurs qui construisirent Alexandrie, Crater, Cléomène, etc.65; Sostrate de Cnide, l'auteur du phare d'Alexandrie 66, etc. Nous nommerons encore Alypius, architecte, géographe, poète, intendant de province et confident de l'empereur Julien l'Apostat 67; on pourra compléter cette liste en se reportant aux ouvrages indiqués à la bibliographie. Vitruve nous donne aussi 66 une liste de nombreux architectes ayant écrit sur leur art des traités aujourd'hui L disparus et dont il s'est inspiré. Tous ou presque tous, architectes, ingénieurs, mathématiciens ou écrivains, la désinence de leurs noms, à défaut même du texte de Vitruve, nous les fait reconnaître comme d'origine grecque ; car, sauf un ouvrage vanté de Fufitius, un (les livres de T. Varron, les deux de P. Septimius que cite Vitruve, et le célèbre traité de ce dernier, il ne paraît pas qu'à Rome aucun écrivain ait pris soin de formuler les préceptes de l'art de construire. Plusieurs architectes grecs excellèrent aussi dans l'art oratoire , comme Philon 6O, Metichus ou Metiochus 70, et d'autres encore. On ne saurait s'étonner de la grande considération dont jouirent les auteurs d'ceuvres si estimées dans tout le monde hellénique : situation bien différente de celle qui fut faite aux architectes dans les grands empires de l'Orient, aussi bien qu'à Rome, où rarement les noms des artistes ont été mis en grand honneur. En Grèce, au contraire, Pausanias l'atteste presque à chaque ville qu'il visite, c'étaient le plus souvent des dieux, des demi-dieux, des héros ou tout au moins des chefs de peuples, qui passaient pour les plus anciens constructeurs; et toujours, tant que dura leur indépendance, les cités grecques s'enorgueillirent des oeuvres d'art et surtout des monuments d'architecture qui faisaient leur splendeur. Ainsi, nous dit Valère-Maxime41, « Athènes est fière de son arsenal, et ce n'est pas sans raison : c'est, pour la richesse et l'élégance, un ouvrage admirable. Philon, qui en fut l'architecte, rendit compte de ce travail en plein théâtre, et il le fit en si beaux termes que le peuple le plus éclairé de l'univers n'applaudit pas moins à son éloquence qu'à son talent dans l'architecture. » Une inscription du 220 siècle av. J.-C. u mentionne des récompenses accordées aux architectes qui se sont occupés de l'achèvement de certains détails du temple de Delphes, et il faut, dans cet ordre d'idées, citer la statue élevée à Byzès de Naxos, architecte du vie siècle av. J.-C., qui inventa, comme nous l'avons dit, de tailler dans le marbre les tuiles destinées à servir aux autres de couvre-joints, invention dont, suivant Pausanias 78, une application fut faite au temple de Jupiter à Olympie. Il est presque certain aussi que les cités grecques, quand elles se préparaient à l'acte,si important au point de vue religieux, politique et commercial, de la fondation de leurs colonies, devaient joindre des architectes aux magistrats et aux devins qui prenaient la direction de l'expédition ; car nous voyons les plus anciens temples doriques des colonies de la Grande-Grèce rappeler par leurs proportions et leurs détails d'ornementation les édifices construits peu d'années auparavant dans les métropoles en l'honneur des mêmes divinités protectrices. « Les architectes étaient ainsi appelés de bien loin et voyaient leur gloire se répandre de toutes parts; on les accueillait avec des honneurs et des récompenses tels que les Grecs seuls ont su en prodiguer aux artistes de talent. Eupalinus était appelé de Mégare à Samos, pour construire le magnifique canal 48 ARC ARC ---,378 répul é une des merveilles du monde ; Spintharus de Corinthe était mandé par les amphictions de Delphes pour reconstruire le temple d'Apollon ; Chersiphron de Gnosse bâtissait le temple colossal des Éphésiens ; Théodore de Samos était mandé à Sparte et y tenait école; les architectes qui avaient élevé les temples de Paestum ;rosidonia) étaient appelés par les Phocéens pour fonder la ville de Vélia 7a„ ; comme à Rome, à la même époque, des architectes étrusques, imbus des principes de l'art grec, vinrent bâtir en l'honneur de la triade du Capitole un temple magnifique qui est longtemps resté un des plus beaux ornements de la ville". Ce double sentiment, d'admiration pour l'architecture et de justice envers les architectes, se fit jour, à Rome, aux derniers temps de la république et sous les empereurs. L,'art de bâtir était estimé et goûté des Romains, qui se piquaient même trop facilement, au gré de Vitruve 7, de s'y connaître et de le pratiquer. Beaucoup employaient à leurs constructions des esclaves, des affranchis ou des étrangers"; ruais il y eut aussi sous la république des citoyens romains parmi les architectes, comme Cossutius, qui éleva à Athènes, pour le compte d'Antiochus Épiphanes, le temple de Jupiter Olympien ", et C. Mucius qui construisit à Rome pour Marius les temples de l'Honneur et de la Vertu 79. Cicéron, dont le témoignage est précieux à ce sujet ", nous apprend ce que doit être, à son gré, la maison d'un citoyen romain considéré et élevé en dignité : « En la construisant, l'architecte ne doit jamais perdre de vue l'usage auquel elle est desi.inée ; cependant il songera à rendre celle d'un noble citoyen digne de son rang et le plus commode possible. Nous savons que ce fut un titre d'honneur pour Cneius Octavius (un des grands-oncles de l'empereur Auguste), le premier de cette famille qui obtint le consulat, d'avoir fait élever sur le mont Palatin une maison magnifique et toute pleine de dignité ; tout le monde allait la visiter et on disait qu'elle n'avait pas peu contribué à porter son maître, homme nouveau, au consulat. n Il n'est donc pas étonnant que Cicéron, toujours si préoccupé de tout ce qui touche de près ou de loin à la carrière politique, mette l'architecture « au nombre des arts dont la profession demande du savoir et qui sont d'une utilité réelle, comme la médecine et l'enseignement des sciences ou des lettres, qui n'ont rien que d'honorable pour ceux qui se trouvent de condition à les exercer, » Suétone atteste fil que l'empereur Auguste resta dans les traditions de Cneius Octavius et que, « souvent aussi, il exhorta les principaux citoyens à orner la ville, chacun selon ses moyens, ou par des monuments nouveaux, ou en réparant et en embellissant les anciens ; et ce seul désir en fit élever un grand nombre. e Les membres de sa famille et Agrippa, son principal ministre, le secondèrent dans ce dessein, et nous lisons dans les inscriptions du temple de Rome et Auguste, à Ancyre 8z, connues comme le testament politique du même empereur, une longue liste des monuments élevés sous son règne, que fous les empereurs romains, comme autrefois =fa.ns des villes grecques, favorisèrent le goût des peuples pour les constructions et luttèrent à l'envi les Flaviens, pour effacer les souvenirs des Césars; les Antonins, pour effacer les souvenirs des Flaviens, Un des Antonins même, l'empereur Hadrien, doit, sur l'autorité de Dion Cassius H3, être considéré comme architecte ; car il fit élever sur ses propres dessins, le double temple de Vénus et de Rome, et il prit une grande part aux dispositions et à l'aménagement de sa villa de Tibur. Il serait donc facile de citer un certain nombre d'architectes romains ayant construit des édifices soit à Rome, soit dans les provinces, pendant les premiers siècles de l'empire; ainsi Agasius, affranchi de Sextus Pompée"; Valérius d'Ostie, qui couvrit à Rome un théâtre vraisemblablement à la même époque t0; Sauras et Batracus, les architectes des temples du portique d'Octavie 8e ; M. Vitruvius Pollio, l'auteur du Traité d'architecture dédié à l'empereur Auguste et l'architecte de la basilique de Fano ; L. Vitruvius Cerdo, auquel Vérone devait l'arc des Gavius S7 ; Severus et Celer, les architectes de Néron"; Rabirius, qui reconstruisit sous Domitien le temple de Jupiter Capitolin"; Musli us, l'architecte de Pline le Jeune "; C. JuIius Lacer, auquel est dû le pont d'Alcantara en Espagne 81; Apollodore de Damas et Decrianus,les architectes de Trajan et d'Hadrien"; Cleander, qui construisit des bains pour l'empereur Commode 9 ; Athénée, l'architecte de Gallien", etc. Ce goût pour les oeuvres d'architecture persista pendant toute la durée de l'empire : on voit Alexandre-Sévère u non-seulement faire ériger un grand nombre de monuments, mais encore établir des écoles d'architectes ; Gallien et Dioclétien laisser d'importants édifices, et Constantin et ses successeurs faire de Byzance Constantinople, et donner une rivale en splendeur à la Rome impériale. A l'imitation d'AlexandreSévère, Constantin ordonna, de plus -e, « de former des écoles, de payer des professeurs et d'engager, par l'espoir des récompenses et des priviléges, les jeunes gens qui avaient reçu une éducation distinguée, à se livrer àl'étude et à la pratique de l'architecture. u Après cet empereur, Julien l'Apostat tenta la restauration du temple de Jérusalem 97, et, à. la limite même où doit s'arrêter cette étude, Justinien, songeant a ce temple fameux, s'écriait, en inaugurant à Constantinople l'église de Sainte-Sophie, dont il avait suivi la construction avec une telle sollicitude qu'il en paraissait à tous l'auteur : « Je t'ai vaincu, ô Salomon "a n Au moment même où s'écroulait le monde ancien et où commençait le monde moderne, Cassiodore, le secrétaire du roi goth Théodoric, écrivant, au nom de son maître, à l'architecte Aloisius 89, à Ravenne, à l'occasion de la réparation de thermes et d'autres édifices de Rome, et à Symmaque, préfet de la ville, sur ses devoirs à ce sujet, s'exprimait en ces ternies, qu'il est intéressant de rapprocher des recommandations faites par Vitruve cinq siècles aupara vant : « Ce n'est pas un emploi de peu de conséquence qu'on vous confie, puisqu'il vous oblige de remplir, par le ministère de votre art, le désir ardent que nous avons d'illustrer notre règne par des monuments nouveaux. Car, soit que nous voulions réparer une ville ou fonder de nouvelles forteresses, soit que nous nous laissions aller au plaisir flatteur de bâtir un prétoire, vous serez obligé d'exécuter et de donner une existence sensible aux projets ARC -et. 3 79 --ARC que nous aurons imaginés. Quel emploi plus honorable, quelle fonction plus glorieuse que celle qui vous met à portée de transmettre aux âges les plus lointains des monuments qui vous assureront l'admiration de la postérité! Car c'est à vous qu'il appartient de diriger le maçon, le sculpteur en marbre, le fondeur en bronze, les ouvriers en stuc et en plâtre, et le peintre en mosaïque. Vous êtes tenu de leur apprendre ce qu'ils ignorent, et de résoudre les difficultés que vous propose cette armée de gens qui travaillent sous votre conduite et qui doivent avoir recours aux lumières de votre jugement. Voyez donc combien doit avoir de connaissances celui qui a tant de monde à instruire ; mais aussi vous recueillerez le fruit de leurs travaux, et le succès de leurs ouvrages que vous aurez bien dirigés sera votre éloge et deviendra votre récompense la plus flatteuse. C'est pourquoi nous voulons que tout ce que vous serez chargé de bâtir, soit fait avec tant d'intelligence et de solidité que les nouvelles fabriques ne diffèrent des anciennes que par la fraîcheur de la nouveauté. Cela vous sera facile si une basse cupidité ne vous porte jamais à frustrer les ouvriers d'une partie de nos Iargesses. On s'en fait aisément obéir s'ils reçoivent un salaire honnête et compétent, sans fraude ni retenue. Une main généreuse anime le génie des arts, et toute l'ardeur de l'artiste se porte à son ouvrage quand il n'est point distrait par le soin de la vie. Remarquez encore quelles sont les distinctions dont vous êtes décoré : vous marchez immédiatement devant notre personne, au milieu d'un nombreux cortége, ayant la verge d'or à la main, prérogative qui, en vous rapprochant si près de nous, annonce que c'est à vous que nous avons confié l'exécution de notre palais 100 » Pareille justice fut loin d'être toujours rendue aux artistes dans l'antiquité, et la gloire de mettre leur nom à leur oeuvre leur fut trop souvent refusée. Il est vrai qu'à Olympie un portique garda celui d'Agnaptus qui l'avait bâti 103 ; à Athènes une basilique portait celui de l'architecte Métiocbus163; il y avait aussi au Pirée un portique d'Hippodamus 1"; mais à côté de ces faits il faut rappeler ce que l'empereur Julien disait 105 de ces constructions élevées aux frais du public, que des ouvriers fondent et achèvent, pour qu'un magistrat qui. n'a fait que blanchir le mur, y inscrive son nom; et ce que Lucien rapporte de l'architectelo6 qui avait construit le phare d'Alexandrie, « ce rare et merveilleux édifice, du haut duquel un feu éclairait au loin les voyageurs pour les empêcher d'aller se jeter sur les brisants de la côte difficile et impraticable de Parétonium. Après avoir achevé son ouvrage, il y grava son nom fort avant dans la pierre et le recouvrit d'un enduit de plâtre sur lequel il écrivit le nom du roi (Ptolémée Philadelphej qui régnait alors (250 av. J.-C.). 11 avait prévu ce qui devait arriver, Au bout de quelques années, le plâtre tombait avec les lettres qu'il portait, et l'on découvrit cette tecte n'a pas eu en vue le moment présent, le court instant de la. vie, mais l'heure actuelle et les années à venir, tant que la tour serait debout et que subsisterait Peel ivre de son talent. » Un subterfuge différent, également couronné de succès, fut employé, d'après Pline, par Sauras et Ratraeus, Lacédémoniens d'origine, qui bâtirent les temples renfermés dans le portique d'Octavie à Rome 11". a Quelquesuns, dit-il, pensent qu'ils étaient fort riches et qu'ils avaient construit ces ouvrages à leurs dépens, espérant y inscrire leurs noms, mais que, l'honneur de cette inscription leur ayant été refusé, ils y suppléèrent en un autre lieu et d'une autre façon : toujours est-il qu'aujourd'hui encore on voit sculptés sur les bases des cotonlles108 un lézard et une grenouille, emblèmes de leurs noms; probablement était-ce aussi sur les chapiteaux, car on en a retrouvé un avec ces emblèmes, à Saint-Laurent hors les murs 100 » En effet, d'après un texte inséré au Digeste J50, du jurisconsulte Aemilius Macer, qui vivait sous Alexandre Sévère, il n'était permis qu'au prince et à ceux qui avaient fait les frais d'un édifice d'y placer leurs noms. Les inscriptions néanmoins, indépendamment des écrits des auteurs grecs et latins, nous ont fait connaître les noms d'un certain nombre d'architectes et même d'ouvriers. Nous avons déjà parlé des tables de marbre, véritables registres de comptabilité, par lesquelles on connaît les noms de plus de soixante ouvriers "l, tailleurs de marbre et sculpteurs qui, sous la direction de l'architecte Archiloque , travaillèrent à la reconstruction ou à une grande restauration de l' irechthéion d'Athènes, vers la fin du ve siècle av. J.-C. Ce sont aussi des inscriptions souvent commémoratives de faits politiques et religieux, ou retraçant des décrets spéciaux indiquant le mode d'exécution et les conditions de paiement des travaux, qui ont permis aux archéologues modernes, tels que Otfried Muller, Béekh, MM. Rangabé, Choisy, Caillemer, de reconnaître diverses classes parmi les architectes grecs. Ce dernier a bien voulu résumer pour nous les résultats acquis sur ce sujet, en quelques lignes que nous insérons ici : Dans l'inscription relative à la reconstruction des murs d'Athènes 113, on trouve mentionnés des rp/IT€xcrovoç t16 bien se garder de mettre sur la même ligne. Les premiers sont des entrepreneurs de travaux de construction qui ont fait un contrat de louage d'ouvrage (n tc~6)%âlJ evot) 11r, en un mot des €pïo3,déot, ayant sous leurs ordres de simples ouvriers, de ces T.xTOVEc qui au temps de Platon ne coûtaient que cinq ou six mines 116 L'âpxtTlxrorv xtzstpoTOVYI(AÉVOç birô Tot LŸiu.aa est un fonctionnaire public, élu par le peuple 117. Son rôle est analogue à celui des t°anaTCiTat Twv Sgµooiwv 4ywv, à la suite desquels il figure quelquefois 118. Il aura la direction générale et la surveillance des travaux. L'ouvre tout entière sera partagée en dix sections, chiffre qui nous autorise à croire que chacun des dix Tetxeaotoi aura, sous le contrôle supérieur de 1'47;T€xTwv, une section particulière à diriger. C'est cet âpxtrixomv fonctionnaire public qui dressera le cahier des charges, qui recevra les soumissions des GCpxeTéXTOVEÇ entrepreneurs, et qui agréera définitivement leurs ouvrages. Ces entrepreneurs, si leurs soumissions sont admises, viendront jurer, devant le sénat des Cinq cents, qu'ils se con ARC -380 -es= ARC formeront à toutes les obligations du cahier des charges 119 et devront fournir des cautions 720 « On doit donc s'abstenir de voir dans tout âpytréaTtev un €pyoaAeoç, un redemptor operis 121, puisque le mot «pxt'e rwv pouvait désigner soit un entrepreneur, soit un fonctionnaire élu par le peuple tout entier et supérieur par son origine aux iaus.téTai Tôiv 671aoaftev Epywv que nommaient les tribus 727. L'acception qu'il faut préférer dépend donc des circonstances. Les grammairiens anciens ne s'y étaient pas trompés : ApytT;xrwv, dit un des lexiques de Séguier, exprime deux idées : il peut convenir en effet à l'srrtarérgs Tî,iv oixoèop:r)c.Arwv; mais, le plus habituellement, il s'appli On peut d'après ce qui précède se faire une plus juste idée de la situation des architectes grecs, fonctionnaires publics, honorés de l'estime et de l'amitié des magistrats, dont ils avaient, en certains cas, le rang et les prérogatives; il faut aussi tenir compte de la différence des fonctions et du mérite des travaux, si l'on veut s'expliquer les contradictions des textes, qui tantôt confondent les architectes, et les artistes en général, dans la foule des métiers que dédaignaient les gens bien nés, tantôt au contraire les placent très-haut et font honneur, par exemple, à Pamphile, le maître d'Apelles, d'avoir fait décider que tous les enfants de condition libre, et ceux même des plus hono rables familles seraient instruits dans les arts, à l'exclusion Rien de pareil n'exista jamais à Rome, où les beauxarts, n'ayant guère pris d'essor qu'après la conquête de la Grèce, furent assez longtemps exercés principalement par des esclaves, des affranchis ou des Grecs. C'est ainsi que Crassus, parmi ses nombreux esclaves, en possédait jusqu'à cinq cents habiles dans l'art des constructions et qu'il louait comme architectes, maçons ou charpentiers 726. Toutefois, comme nous l'avons vu, l'art de bâtir était plus estimé à Rome que les autres; aussi les inscriptions et les auteurs nomment-ils parmi ceux qui exerçaient les diverses industries du bâtiment, non-seulement des affranchis, mais encore des hommes libres 127 Quant à l'exécution des travaux, l'architecte jouissait, en Grèce, à ce qu'il semble, dans la construction des édifices publics, d'une assez grande liberté, témoin Hermogène, qui fit transformer pour la construction d'un temple d'ordre ionique tous les matériaux préparés pour celle d'un temple dorique 128; mais l'architecte, aussi bien celui qui avait accepté l'entreprise que celui qui était élu pour en surveiller l'exécution,étaient, pour la reddition des comptes, enfermés dans des limites étroites. Les dépenses étaient arrêtées de concert avec les magistrats de la cité ou leurs délégués, qui adjugeaient les travaux après avoir pris l'avis des hommes compétents et au besoin ouvert un concours129; des vérificateurs (alriy 'rxi) recevaient et payaient les travaux faits 130 Vitruve nous apprend qu'à Éphèse t", une des plus grandes et des plus célèbres villes grecques, il y avait autrefois une loi très-sévère, mais très-juste, par laquelle les architectes qui entreprenaient un ouvrage public étaient tenus de déclarer ce qu'il devait coûter, de le faire pour le prix qu'ils avaient demandé, et d'y engager tous leurs biens. Quand l'ouvrage était achevé, ils étaient récompensés et honorés publiquement si la dépense était telle qu'ils l'avaient annoncée ; si elle n'excédait que du quart ce qui était demandé dans le marché, le surplus était fourni sur les deniers publics ; mais quand elle dépassait le quart, l'excédant était fourni par les architectes. Pour l'exécution des travaux entrepris pour le compte des particuliers, les architectes étaient liés par les règles ordinaires des contrats [ERGOLAHOS] 13 Sous la république romaine, c'était le sénat qui ordonnait l'édification ou permettait la restauration des monuments publics. a Les censeurs ou les consuls, autorisés par un sénatus-consulte, mettaient la construction ou la réparation aux enchères 133 après les publications préalables, faites dix jours à l'avance. S'ils n'y pouvaient procéder eux-mêmes, ils se faisaient représenter par des commissaires spéciaux, appelés duumvirs, triumvirs ou quinqueviri, suivant leur nombre L'adjudication se faisait avec toutes les formalités des enchères et au rabais'''. Un édit prétorien la confirmait et relatait que l'entrepreneur fournirait de bons matériaux. S'il s'agissait d'une restauration, il spécifiait que le dommage causé par la faute de l'entrepreneur dans quelque partie de l'édifice serait à sa charge; enfin qu'il aurait les vieux matériauxf38. Les magistrats refusaient un adjudicataire s'ils croyaient qu'il n'exécuterait pas bien les travaux. Celui qu'ils admettaient fournissait caution en immeubles pour garantie du traité 137 et des dommages qui pourraient donner lieu à des réclamations "1. Le sénat allouait l'argent nécessaire 139. L'adjudicataire recevait moitié de la valeur estimative à l'ouverture des travaux, et moitié après leur entière confection 140, dans un délai fixé 141, et lors de leur approbation. Le sénat nommait des commissaires, les censeurs ou les édiles 143, pour reconnaître et approuver (probare)103, c'est-à-dire recevoir les travaux, qui devaient être parfaits pour être acceptés'. Dans le cas contraire, l'adjudicataire perdait sa caution 163.1) Les adjudications pour l'entretien des édifices publics se faisaient ainsi chaque année par les censeurs [CENSOR]. Sous Auguste, l'administration des travaux publics, qui appartenait auparavant aux censeurs, fut partagé entre des fonctionnaires spéciaux ayant le titre de curatores operum publicorum 146 [cuRATORES]. Les empereurs aidèrent souvent les villes des provinces dans leurs constructions. Des commissaires appelés aussi curatores 147 présidaient à l'exécution des travaux. Le curateur, nommé par l'empereur ou par élection 1'`8, traitait avec un entrepreneur (redemptor ou locator operis) tel que fut, par exemple, L. Cocceius, redemptor des travaux du temple d'Auguste à Pouz ARC 381 ARC zoles 1~e, pour l'adjudication des travaux et se réservait la réception. Il ne restait à l'architecte, choisi par lecurator , que la direction technique du chantier, le double rôle d'artiste et de constructeur directeur de travaux, à moins, ce qui arrivait souvent, qu'il ne fût en même temps curator, comme Vitruve lorsqu'il construisit la basilique de Fano 760. Un passage d'une lettre de Pline le Jeune à l'empereur Trajan indique le contrôle qu'avaient à subir les curateurs des ouvrages publics de la part d'experts choisis pour vérificateurs (mensores) ; et la réponse de Trajanm prouve que ces experts étaient alors assez communs. Plutarque 'S2 résume ainsi la marche d'une adjudication de son temps : « Lorsqu'une ville veut élever un temple ou une statue colossale, elle appelle des artistes pour les consulter sur les moyens d'exécuter cette entreprise. Les artistes présentent leurs plans, font leurs modèles et fixent leurs prix, et l'entreprise est donnée à celui qui s'engage à la faire le mieux, le plus promptement et au moins de frais possible. » Enfin la célèbre inscription de Pouzzoles 15s nous initie aux détails les plus minutieux d'une adjudication dans une colonie romaine et nous présente un devis descriptif de l'oeuvre à entreprendre, avec les dimensions et l'indication des matériaux, leur mise en oeuvre, les cautionnements des entrepreneurs, etc. Plutarque, dans le passage qui vient d'être cité, parle de plans et de modèles ; et, en effet, non-seulement les architectes traçaient sur du parchemin, comme le dit encore Aulu-Gelle 1a0, les plans des édifices qu'ils voulaient ériger, mais encore, comme plusieurs fois Cicéron y fait allusion 156, ils en faisaient faire des modèles. On voit dans un des basreliefs de la colonne Théodosienne 166 (fig. 463) le préfet du prétoire, accompagné des deux chefs des factions qui avaient fait construire les murailles de Constantinople en quarante jours : il présente à l'empereur le modèle de cette colonne. L'architecte dont ce modèle était l'ouvrage est lui-même représenté sur le monument; c'est aussi lui qui avait dirigé la fortification des murailles de la ville. On voit aussi un chef de chantier dans l'exercice de ses fonctions, dans un des bas-reliefs de la colonne Trajane t07; mais cette figure est celle d'un chef revêtu du costume militaire, comme les ouvriers qu'il employait et que nous savons être des légionnaires. Nous reproduisons encore ici (fig.464) une peinture antique qui, après avoir fait partie du cabinet du marquis Capponi156 , est entrée au musée Kircher, à Rome, nous renvoyons à d'autres articles pour les explications re latives aux instru ments qui accompagnent cette figure, aussi bien qu'aux appareils qu'on voit dans la figure 466 [INSTRUMENTA, MA Cette figure et, la figure 465 sont des reproductions de deux miniatures du manuscrit de Virgile du Vatican'", qui montrent des architectes dans l'exercice de leurs fonctions : l'un d'eux (fig. 465) surveille les ouvriers qui tirent les pierres de la carrière, l'autre (fig. 466) préside aux travaux de la construction d'une ville. Nous n'avons rien dit des honoraires des architectes romains,on est peu renseigné sur ce sujet, tout en sachant 186 que leur profession était devenue des plus lucratives à Rome, à l'époque des Césars ; car des incendies fréquents entraînèrent la ruine d'un grand nombre de constructions publiques ou privées 161, et le goût du luxe et de la ma -ARC: 3ân ARC gnificence ics fit reconstruire, non-seulement dans cette ville, mais encore dans tout J'empire, avec plus de faste qu'auparavant' 62. Les empereurs et les riches particuliers luttèrent de magnificence pour l'embellissement des villes 7e', et ce grand mouvement de constructions publiques et privées dut nécessairement engager beaucoup d'hommes qui en étaient indignes à usurper le titre d'architectes, et amener une décadence dans l'art, dont se plaignait déjà Vitruve; elle semblait, alors passagère, mais après quelques retours heureux, elle ne fit que s'aggraver jusqu'à la chute de l'empire romain. CHARLES Lccss. lI. Apytm-rmo)v. L'entrepreneur qui se chargeait de construire un théâtre ou qui prenait à bail un théâtre déjà construit, avec faculté dans les deux cas de percevoir un droit d'entrée sur les spectateurs, s'appelait, à Athènes fragment de contrat dans lequel les Piréens reconnaissent à quatre personnes le droit d'édifier ou d'exploiter un théâtre moyennant une somme de trois mille trois cents drachmes. Le contrat porte que si les prerieurs ne font pas les constructions indiquées au cahier des charges, les bailleurs auront le droit de les faire exécuter aux frais des preneurs, Quand les travaux seront terminés, ils seront reçus et vérifiés par trois experts (i-:tr¢y.r,Tol) nommés par les bailleurs. Au Ive siècle, le prix ordinaire d'entrée dans un théâtre était de deux oboles'. L'établissement du théorique [THEoRrrcA], que la caisse de l'Etat donnait aux citoyens, avait pour but de procurer, même aux plus pauvres habitants de l'Attique, les moyens de payer leur place et d'assister, comme les citoyens riches, aux représentations dramatiques. Les décrets honorifiques chargent quelquefois l'âp.r'tiéxxv)v de réserver dans le théâtre des places distinguées (AEav xataV.4LEty) aux personnes que le peuple veut récompenser E. Cr1LLEvOER.