Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article BASILICA

BASILICA, basilique. I. La forme grecque du nom de basilique a fait admettre, communément que le genre de monuments qu'il désigne devait avoir eu ses premiers modèles en Grèce, et que ce nom avait été d'abord celui de l'édifice attenant à l'agora d'Athènes, où l'archonte-roi exerçait ses fonctions [ARCHONTES]. Toutefois cet édifice n'est appelé nulle part 3«ctatx' , mais bien 3aclaetoç mn« ou pot aailà.eç «yod,, ce qui veut dire portique du roi. Le nom de 3actatxii ou uatatxli erro« n'a été employé que par les écrivains grecs de l'époque romaine qui ont eu à traduire le mot latin basilical. On ne connaît ni 1c plan ni la disposition de la (,aet?,to,c ero d'Athènes'. On ne saurait dire non plus si un portique où séjournaient, à Élis, les RELLANODIKAI3, avait quelque rapport avec la basilique romaine. Peut être en trouverait-on plus justement un exemple dans un portique dont il subsiste quelques parties à Thorikos', en Attique. A Pæstum il existe aussi un portique traditionnellement appelé basilique mais qui n'a peut-être reçu ce nom que par suite de l'embarras où l'on était de classer un édifice à colonnades qui visiblement n'est pas un temple. En réalité, nous ne connaissons pas la basilique grecque, et c'est seulement par analogie que nous pouvons nous la figurer, annexée à une AGORA. Les mêmes causes ont dû naturellement produire des effets semblables; le climat, les habitudes, l'état social, étant analogues en Grèce et en Italie, nous croyons que la basilique, si elle a existé en Grèce, doit avoir été un équivalent des loggie des républiques italiennes, par exemple de celles de Florence ou de Vérone, un portique d'abri, de rendez-vous et d'affaires complétant la place principale de la ville, et constituant avec l'agora, le forum ou la piazza le véritable centre de la vie publique et de la cité. II. Pour les Romains, nous possédons des données beaucoup plus précises : d'abord une règle formulée par Vitruve e. « Les basiliques, dit-il, qui sont dans les places publiques, doivent être construites dans l'endroit le plus chaud, afin que pendant l'hiver les commerçants puissent y trouver un abri contre les rigueurs de la saison. Leur largeur doit être au moins du tiers de leur longueur, de la moitié au plus, à moins que le terrain ou un obstacle ne permette pas d'observer cette proportion. Si l'espace était beaucoup plus long, on ferait aux deux extrémités des chalcidiques semblables à ceux de la basilique Julia Aquiligna. Les colonnes des basiliques auront une hauteur égale à la largeur des portiques, et cette largeur correspondra à la troisième partie de l'espace du milieu. Les colonnes du haut doivent être, comme je l'ai dit, plus petites (d'un quart) que celles du bas. La cloison (pluteura) que l'on fera entre les colonnes du premier étage (ou selon d'autres textes, entre les colonnes du premier et du -BAS iéiss 678 -tété BAS deuxième rang, inter znfèriores superioresque columnas7) sera d'un quart moins haute que ces colonnes, afin que ceux qui se promènent dans les galeries supérieures de la basilique ne soient pas vus des personnes qui s'occupent en bas de leurs affaires... » Ce passage rapproché de quelques autres textes et éclairé par l'examen des ruines, nous aidera à nous rendre compte de la composition et du rôle des basiliques romaines. Selon nous, les basiliques affectées à des usages publics doivent être considérées, en général, comme le complément du roauM, dont elles étaient voisines: c'est le forum couverts avec ses destinations diverses, affaires, commerce, banque, justice ou simple promenade. Et d'abord, nous voyons que la basilique n'a qu'une antiquité relative 9. Les premiers temps de Rome ne l'ont pas connue, bien qu'assurément tout ce qui par la suite s'est fait dans les basiliques ait dû se faire primitivement quelque part. Mais alors on restait exposé au soleil ou à la pluie, ou bien on se réfugiait sous un usus. Nous voyons aussi que la cons{ truction d'une basilique fut un des moyens employés par quelques ambitieux pour faire leur cour au peuple, dégoûté des intempéries du forum : témoin le marché peu honorable conclu entre César et Paulus Aemilius et dont le prix servit, dit-on, à construire la basilique Aemilia 10. Le choix de la plus chaude exposition, que recommande Vitruve pour les basiliques, le luxe et les dimensions de ces monuments, plus grands, en général, que ne l'eût exigé la satisfaction rigoureuse d'aucun besoin défini, leur potout autorise à conclure que pour se représenter la vie et l'animation d'une basilique, on doit transporter par la pensée dans un vaste édifice couvert la vie et l'animation du forum ; et l'on s'explique en même temps ce nom de basiliea qui, à l'époque où Rome vit construire sa première basilique, n'était qu'une épithète appliquée à tout ce qui paraissait magnifique et vraiment royal 47. La plus ancienne basilique de Rome fut élevée au nord du forum (en 570 de Rome, 184 av. J.-C.) par M. Porcins Caton, et s'appela de son nom basilique Porcia 12. Elle fut détruite en 52 av. J.-C., dans l'incendie occasionné par les funérailles de Clodius Y3. Peu après, furent construites d'abord (en 575 de Rome, 180 av. J.-C.) du même côté, la basilique Fulvia, appelée aussi quelquefois Aemilia, des noms de M. FuIvius Nobilior, son fondateur, et de L. Aemilius Paulus, qui la restaura'"; puis la basilique Sempronia, du nom de Titus Sempronius, qui fut censeur en. 171 av. J. -C. "; cette dernière était contiguë au forum boarium et l'on croit que l'antique église de Saint-Georges au Vélabre a été édifiée sur son emplacement. O. Opimius consul en l'an 600 de Rome (155 av. J.-C.) construisit la basilique Opimia qui était située au nord du forum". Ces édifices progressaient en richesse et en beauté, en même temps que toute l'architecture, dont la magnificence fut générale à la fin de la république. A cette période appartiennent la nouvelle basilique Aemilia et la basilique Julia. La première n'est autre peut-être que celle qui portait déjà les noms d'Aemilia et de Fulvia, transformée par Aemilius Paulus, fils du fondateur17. La deuxième, commencée par Jules César, fut achevée par Auguste et, après un incendie, relevée par lui 18. Plusieurs empereurs construisirent encore à Rome des basiliques ", parmi lesquelles nous nommerons seulement la plus considérable de toutes, labasilique Ulpia, bâtie sous Trajan, probablement par Apollodore de Damas, l'architecte du forum de Trajan, où elle était située 2e ; et la plus récente, celle qui fut bâtie par Maxence et à laquelle Constantin donna son nom 21: on en a reconnu les restes 22 (mais cette attribution a été contestée) dans les ruines appelées communément temple de la Paix, Il y eut aussi des basiliques dans les villes des provinces : telles sont, pour ne citer que celles dont on croit avoir conservé des restes, les basiliques d'Otricoli 23, d'Herculanum2'', de Pompéi 25 de Trèves 26, peut-être de Praeneste 27, etc. 21. Les ruines qui subsistent encore peuvent, mieux que tous les textes, nous éclairer sur la composition des basiliques. A Itome, la basilique Julia, dont les piliers ont été dégagés par les récentes fouilles faites sous la direction de M. Pietro Rosa 29; la basilique Ulpia, dont on peut encore reconnaître la disposition et dont de beaux fragments sont conservés au forum de Trajan 30; à Pompéi, la basilique du grand forum 81, appartiennent, avec quelques nuances et des grandeurs différentes, à un même type. Celle de Constantin n est d'un type tout différent, et présente beaucoup d'analogie avec les grandes salles des thermes, En général, les premières sont assez conformes à la description de Vitruve. Toutefois, la basilique Julia présente une série, non de colonnes, mais d'arcades avec doubles bas-côtés. La basilique Ulpia est composée au contraire d'une grande nef avec double rang de bas-côtés, séparés de la nef par des colonnades. L'une et l'autre forment un rectangle et ont des dimensions fort vastes, dont les plus grandes salles modernes don nent difficilement l'idée. A cela se bor-Pif nent les renseignements qu'on peut tirer de l'état actuel, le surplus est conjectural. Toutefois, des fragments de la basilique ldlpia et de celle de Pompéi, et la représentation grossière de la basilique Aemilia sur une médaille n reproduite (fig. 799) démontrent bien l'existence d'un portique supérieur. n i l 121 i À I cTJ._s D naga MM M Nous avons donc quelques données assez précises sur ces édifices, mais nous restons sur bien des points dans l'ignorance. La description que fait Vitruve a4 de la basilique construite par lui à Fano (Colonia Julia Fanestris) ne peut servir à la dissiper. On s'est beaucoup exercé sans résultai sur ce sujet : tout ce qu'on peut induire, c'est que cette basilique s'éloignait autant que celles dont on petit encore étudier les restes de la conception théorique que l'architecte romain s'est plu à développer dans le passage cité plus haut. Il est évident qu'on modifiait selon les besoins et les emplacements la forme de ces monuments. On remarquera aussi que Vitruve ne parle nulle part d'une abside , et qu'il n'en est question dans aucun des auteurs qui se sont occupés des basiliques.Cependantcomme une des principales destinations de ces édifices était d'abriter les juges et les plaideurs, le tribunal devait avoir une place à part 95. Dans le plan de la basilique Julia cette place n'est pas marquée; mais dans la grande basilique de Pompéi (fig. 800), elle est très-nettement indiquée, à l'extrémité du monument, par une importante tribune carrée, élevée au-dessus du sol environ à hauteur d'homme et faisant face à l'entrée. Le fragment du plan antique qui est conservé au Capitole (fig. 801), où est indiquée la disposition de la basilique Ulpia se montre à l'une des extrémités une construction demi-circulaire en forme d'abside, et l'on doit présumer, d'après l'ordonnance symétrique de l'ensemble des constructions dont la basilique faisait par_ tie, que cette abside était répétée à l'autre extrémité. Une abside semblable se retrouve à la basilique de Constantin. Toutefois le mot LIBERTATIS inscrit dans cet exèdre, sur le plan antique de la basilique Ulpia donne à penser que l'édicule carré qui la termine n'était pas un tribunal, mais un sanctuaire consacré à la Libertés', La basilique de Constantin est un vaste édifice dont le plan (fig. 802) est un rectangle de 90 mètres environ sur plus de 75 de large, divisée en trois nefs dans sa longueur et en trois travées dans sa largeur ; à l'extrémité de chacun de sès axes est une abside en demi-cercle faisant face à une entrée ; l'une de ces entrées, celle qui termine la grande nef, ouvrant sur la voie Sacrée, l'autre tournée vers le temple de Vénus-et-home. La deuxième abside et les ouvertures qui lui sont opposées datent, se ion quelques personnes, du temps où la basilique païenne fut convertie en église chrétienne. Ainsi, en général, une nef entourée (Fun ou deux rangs de portiques, où les commerçants avaient des boutiques ss, et une place spéciale pour le tribunal, voilà le rez-dechaussée de la basilique ; audessus des portiques et entourant également la nef, qui monte de fond, encore un ou deux rangs de portiques. Nous laissons de côté la question obscure du CHALCIDICUM, dont la construction est recommandée par Vitruve dans des conditions spéciales et qui n'est pas essentielle dans le pian de la basilique. Le rez-de-chaussée est affecté aux affaires et à la justice (programme très-analogue à celui de nos bourses); les galeries supérieures paraissent être réservées aux oisifs, telle est la composition de la basilique romaine. Était-ce un monument ouvert ou fermé? Vitruve est muet à cet égard 35 ; mais différentes raisons nous portent à croire que les basiliques étaient ouvertes en général : des textes d'abord, où il est parlé de libre passage de troupes BAS 680 BAS et de chevaux à travers le monument "0 ; l'examen des restes de la basilique Julia autorise aussi cette conclusion, A la basilique Ulpia, il ne reste aucun vestige des murs de face, mais des marches s'étendaient devant toute l'ancienne façade, placée latéralement du côté du forum de Trajan ; elles sont usées par les pas à des places qui ne peuvent, si le monument était fermé, avoir été celles des portes ; enfin les fragments du plan conservé au Capitole, qui indiquent nettement les colonnades intérieures, ne marquent nullement des murs de face. On a encore comme document relatif à cet édifice des monnaies de Trajan, et notamment le grand bronze reproduit (fig. 803) 81 nous croyons toutefois que cette médaille représente seulement l'entrée de l'édifice. Une autre raison nous paraît digne d'attention : on admet généralement que les basiliques chrétiennes sont une imitation ou plutôt une continuation de la basilique antique ; les dispositions sont identiques, les noms mêmes des parties se sont conservés, par exemple l'abside qui, dans les basiliques de Rome moderne, s'appelle encore tribuna; or, on sait que, tandis que les autres églises de Rome ferment à certaines heures, les églises qui ont rang de basiliques restent toujours ouvertes. Ne serait-ce pas là une tradition " ? Rappelons-nous encore la recommandation de Vitruve relativement à l'exposition : nous croyons pouvoir, par toutes ces raisons, conclure que la basilique était probablement un édifice ouvert comme le portique, dont elle procède, et comme l'est encore la loggia moderne en Italie. Il n'est pas douteux que les basiliques étaient couvertes". Sauf celle de Constantin, celles que nous connaissons ne pouvaient être voûtées, leurs points d'appui ne le permettaient pas. Etaient-elles plafonnées, ou une charpente apparente supportait-elle simplement la toiture? Les deux hypothèses sont admissibles, et il est fort possible qu'il y ait eu des exemples des deux systèmes. Cependant nous croirions plutôt à l'existence de charpentes apparentes : la médaille déjà citée (fig. 799) de la famille Aemilia fournit une indication, très-imparfaite d'ailleurs, de la basilique qui portait ce nom 06, toutefois on y aperçoit une charpente. Mais ici encore nous pouvons nous appuyer sur l'analogie avec les basiliques chrétiennes. En effet, les plus anciennes, et avant toute autre celle de Saint Paul hors les Murs, avant l'incendie 45, avaient des charpentes apparentes, et il serait étonnant que les chrétiens, s'ils ont réellement imité les anciennes basiliques, en eussent modifié cette partie sen lement. M. Lesueur te a remarqué très-judicieusement que la largeur dans oeuvre de la nef de Saint Paul hors les Murs est la même que celle de la basilique Ulpia; on sait que cette dernière fut ruinée prématurément, et il est très-possible que Constantin, dont l'arc de triomphe est fait avec des matériaux de l'arc de Trajan, ait employé de même pour couvrir sa basilique chrétienne les bois de la basilique Ulpia, d'autant plus qu'à cette époque on n'aurait pu que difficilement faire venir du Liban des poutres de 25 mètres. Nous savons que le bronze avait été employé pour la toiture de la basilique Ulpia 07 ; des statues et des trophées dorés concouraient à la décoration. A l'intérieur comme à l'extérieur des basiliques, en général, les matières précieuses et les oeuvres d'art furent prodiguées par les fondateurs, qui se faisaient un titre d'honneur de cette magnificence G3. Les colonnes de la basilique Aemilia étaient de marbre phrygien, et P. Aemilins y avait suspendu des boucliers ornés [cLIPRLs] qu'on aperçoit sur la médaille reproduite plus haut (fig. 798)". Ailleurs il est question du bronze et de l'or, des statues et des peintures qu'on y voyait. Le nom de basilique réservé d'abord aux édifices somptueux qui étaient une dépendance de la place publique, ou pour mieux dire qui formaient un autre forum couvert, fut étendu à d'autres constructions, analogues sans doute par le plan et les dispositions générales : les unes sont mentionnées comme des annexes de temples, de curies 50, de théâtres ", de bains 5", où elles servaient d'abri, de promenade ou de salle des pas perdus ; les empereurs et d'autres grands personnages voulurent en avoir aussi dans leurs palais et leurs villas53, qui rivalisaient de magnificence avec les monuments publics; puis, par une nouvelle extension, ce nom fut donné encore à d'autres bâtiments qui n'avaient probablement avec les premières basiliques qu'une ressemblance assez éloignée, mais qui devaient être comme celles-ci un lieu couvert. Ainsi des inscriptions 64 mentionnent des basiliques construites par des cohortes auxiliaires : l'une d'elles indique plus précisément qu'il s'agit d'un manége (basilica equestris exereaiatoria). J. GUADET.