Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article CABIRI

CA.BIIII (Kdetpct, Ketpot, K«égpot). « Ce qui concerne « les Cabires, a dit Fréret est un des points les plus im« portants et les plus compliqués de la mythologie grec« que les traditions qui les regardent sont tellement « confuses et si souvent opposées les unes aux autres que « l'analyse en paraît à peine possible. Les anciens eux« mêmes se contredisaient, faute de s'entendre, et les t( modernes, en accumulant avec pIus d'érudition que de « critique leurs différents témoignages, ont embrouillé la « matière au lieu de I'éclaircir. » Ce jugement d'un des hommes qui font la gloire de l'érudition française a beau dater de plus d'un siècle, il est encore en grande partie vrai aujourd'hui. Les recherches des savants les plus illustres de ce temps n'ont pas réussi à éclaircir complétement les questions relatives aux Cabires, et il n'est pas de sujet où l'esprit de système ait contribué à répandre plus d'obscurités. Ce qui a surtout embrouillé les choses, c'est la confusion que des hommes d'un grand mérite se sont attachés à maintenir, malgré la grande majorité des témoignages anciens et malgré l'évidence des faits les mieux établis, entre les Cabires pélasgiques et les Cabires phéniciens, divinités absolument distinctes, qui n'ont de commun qu'une ressemblance de noms toute fortuite et entre lesquelles l'assimilation n'a été tentée dans l'antiquité qu'à une époque tardive et d'une manière entièrement artificielle. La distinction entre ces deux sortes de Cabires et la séparation des données qui se rapportent aux uns et aux autres sont la première base de cet article. Notre rôle ici doit consister dans un exposé des faits aussi méthodique que possible, où nous nous efforcerons de suivre les traces de ceux des érudits dont l'esprit de critique et de méthode est parvenu à apporter un peu d'ordre dans ce chaos, c'est-à-dire de Fréret lui-même, dewelcker, d'Ottfried Millier et de Gerhardt 1. Le culte et la conception des Cabires pélasgiques prennent leur source dans la croyance que le feu, sous trois formes, céleste, maritime et terrestre, est le principe des choses. Es sont des personnifications du principe igné, comme l'indique clairement leur nom même. En effet, comme ire'elcker a l'a. établi, ce nom dérive de la racine xdsne, sxiit'r «brtàler a, KiFetpct avec l'insertion du digamma pour Kautpot, « les Brûlants 3 ». Ce sont les grandes divinités d'une époque primitive, déjà reculée dans la nuit des âges aux temps helléniques, Comme en général les dieux des races éteintes et subjuguées, ils ne conservent leur rang antique que dans les mystères célébrés en leur honneur dans diverses localités [srYsTERIA] ; mais dans le système de la mythologie poétique et dans le culte public, sauf à Samothrace, ils sont réduits à la condition inférieure de DAEMONES, de génies acolythes des grandes divinités du polythéisme proprement hellénique. Ils descendent même encore plus bas, ils sont quelquefois ramenés aux proportions héroïques, et, comme les CORYBANTES, les CURE' ES, les DACTVLI, les TELCIIINES, avec lesquels ils ont plus d'un point de contacte, ils se présentent dans certaines traditions sous des traits qui en font des prêtres des premiers âges S, comme si le souvenir de corporations sacerdotales primitives s'était confondu avec celui des dieux qu'elles honoraient et dont elles prenaient peut-être le nom e. A ce point de vue, l'on doit tenir un compte sérieux de l'observation de Fréret 7 sur la parenté du nom des Cabires avec celui des t:aêar'ni, les prêtres de Déméter à Paros 8. Hérodote ° caractérise la religion cabirique comme essentiellement propre aux Pélasges ; nous en retrouverons des traces dans toutes les parties de la Grèce où cette population a été établie, en particulier dans la Béotie, qui fut un de ses principaux centres, un de ceux où elle se maintint le plus tard sur le continent hellénique 1°. Mais le domaine principal du culte des Cabires, celui où il conserve jusqu'aux âges helléniques et romains son antique importance, la région qui en demeure alors le foyer, est cette chaîne d'îles qui s'étend de l'Eubée à l'Hellespont, et où précisément toutes les traditions de la Grèce montrent la race pélasgique pure trouvant son dernier refuge, continuant jusqu'à une date assez basse à être distincte des Hellènes. Ce sont des faits décisifs pour établir le caractère tout pélasgique de cette religion, pour montrer qu'elle est véritablement indigène et qu'elle n'a pas été importée par les Phéniciens, malgré leurs établissements de Thasos. En même temps nous ne voyons pas le culte des Cabires établi seulement dans ces îles, mais en face, de l'autre côté de la mer, dans la partie nord-ouest de l'Asie Mineure, où habitaient d'autres rameaux de la race pélasgique. Chez les anciens, les uns faisaient passer cette religion d'Asie Mineure à Samothrace rt, les autres de Samothrace en Asie 12. Ottfried Müller L3, conformément à sors système tout hellénique, a adopté la seconde opinion ; il prétend même rétablir historiquement le voyage du cuite cabirique de la Béotie dans les îles septentrionales par l'intermédiaire de l'Attique et des îles dans l'Asie Mineure, C'est l'inverse qui est vraisemblable dans l'état actuel de la science ; pour les choses communes à la Grèce et à l'Asie, c'est toujours cette dernière que nous devons tenir comme le berceau, comme le point de départ. Ceci donné, la logique et la régularité de la méthode doivent nous conduire à parier d'abord du peu que l'on sait des Cabires de l'Asie Mineure. CAB est entièrement consacrée 32 [VULCANUS]. Dans la religion extérieure, les Cabires, fils de ce dieu, y apparaissent comme ses aides et ses ministres (7cpé tohot), les personnifications de sa puissance et de ses travaux 33. Sous ce rapport Welcker 3" a eu raison de rapprocher ces trois Cabires des trois Dactyles Idéens, qu'un fragment de l'ancien poème de la Phoronide 3a place aux côtés d'Adrastea, dans le pays même d'où Phérécyde faisait venir les dieux de Lemnos, et auxquels il donne des noms qui expriment les principales opérations du travail des métaux, Celmis, le fondeur, Damnameneus, le marteau qui bat le fer, et Amon, l'enclume 36. Aussi, quand Nonnus introduit dans l'armée de Dionysos les Cabires lemniens, réduits à la proportion de héros, il en fait des personnages adonnés aux travaux du feu 37, qualifiés de Sa.1]uoveç ZQyapeû,vo; 38, aidant leur père divin dans les forges de l'Etna n. En même temps, ces Cabires de Lemnos sont des génies de la fécondité du sol entretenue par les feux souterrains, en particulier de la production du vin, par lequel l'île était célèbre 40. C'est sous ces traits qu'Eschyle les avait représentés dans sa tragédie des Cabires, accueillant les Argonautes à Lemnos avec bienveillance et leur fournissant de vin en abondance Voilà pour le côté exotérique des Cabires lemniens; mais dans les mystères que l'on célébrait en leur honneur 42, et où leurs noms secrets étaient révélés, leur rang était bien plus relevé. Ce n'étaient plus de simples génies ; c'étaient « les dieux grands, les dieux puissants, » Oeoi uz7(h0t, Oeoi SUOXTO(13. Ils sont « des Héphaestos ou des Titans», dit Photius dans son Lexique", d'après des écrivains perdus aujourd'hui. Cette parenté avec les Titans nous est déjà apparue dans le culte cabirique de Pergame ; elle est précisée par l'importante inscription d'un autel trouvé à Imbros par M. Gonze n, inscription dans laquelle sont invoqués les 0E01 umYzlot, Oeol Suva-rot, isxupoi, c'est-à-dire les trois Cabires, avec Kés(ctiXoç âvaç et quatre des Titans de la Théogonie d'Hésiode [TITANES], Coeos, Creios, Hypérion, Iapétos et Cronos ". Une semblable confirmation donne la plus haute valeur au renseignement de Photius dans ses deux parties, y compris celle que « les Cabires sont des Héphaestos ». La conclusion naturelle de cette dernière donnée est que, dans la doctrine ésotérique, Héphaestos lui-même n'était pas seulement, comme dans le mythe extérieur, le père des Cabires, mais un d'entre eux, le premier de tous, le Cabire par excellence. C'est ce que vient assurer une monnaie d'Héphaestia dans l'île de Lemnos b7 (fig. 899), qui montre d'un côté la tête d'Héphaestos et de l'autre un flambeau de course allumé entre les deux bonnets des Dioscures, surmontés chacun d'une CAB 758 II. Les Cabires, disaient Stésimbrote 1" et Athénicon 13, venaient du mont Cabiros, une des ramifications de l'Ida" d'où ils tiraient leur nom et où ils étaient associés comme serviteurs à la déesse du Bérécynte, à la Grande Mère de Phrygie [cÏBEnis]". Nous rencontrons encore une ville de Cabiria dans la Phrygie Mineure le et une autre de Cabira dans le Pont 19, dont les appellations mêmes sont autant de vestiges de l'existence primitive du culte de ces dieux. D'après Phérécyde 9°, les Cabires étaient honorés dans les villes de la Troade. La contrée de Pergame, dit Pausanias P1, était autrefois entièrement consacrée aux Cabires. On les y tenait, rapporte le rhéteur Aristide Y2, pour les plus anciens des génies (7vpeaf Tazot Sat(aévwv) et on y célébrait les mystères en leur honneur. Un oracle du temps des Antonins, conservé dans une inscription de Pergame23, fait des Cabires les fils d'Ouranos, comme les Titans ; puis il raconte que c'est dans cette ville même que Rhéa enfanta Zeus, assistée des Cabires, qui jouaient alors dans les traditions locales le même rôle que les Curètes dans celles de la Crète, adoptées par la mythologie poétique habituelle [JUPITER]. Une anecdote rapportée par Nicolas de Damas n et à laquelle il est impossible d'assigner une date précise, nous montre les objets mystérieux du culte secret des Cabires apportés de Phrygie à Milet par deux jeunes gens, Tottès et Onnès, au milieu d'une guerre civile où ils procurent le salut miraculeux de la ville. Celle-ei, par reconnaissance, adopte solennellement leur adoration. Une tradition enregistrée par Cicéron faisait de Cabiros le père du Dionysos lydien [BACCHUS, sect. 1v, au commencement]. III. Suivant Phérécyde ", les Cabires de la Troade sont les mêmes que ceux de Lemnos et d'Imbros, trois génies nés d'Héphaestos et de Cabira u, fille du dieu marin Protée, dont le culte avait un de ses siéges principaux sur la côte voisine de Pallène et de Toroné 27 [PROTEUS]; ils ont pour soeurs trois nymphes Cabirides, les nymphes de Lemnos que Médée associe à Déméter dans un sacrifice qui met fin à la famine de Corinthe ". Leurs noms sont mystiques et ne se révèlent que sous le sceau du secret dans les orgies fermées aux profanes. La généalogie que donnait Acusilaûs 29 est un peu différente : d'Héphaestos et de Cabira naît Camilos, père des trois Cabires, desquels naissent à leur tour les nymphes Cabirides. Enfin, pour Pindare M il n'y a qu'un seul Cabire lemnien, père de l'humanité et instituteur des mystères. C'est à Lemnos que les Cabires se présentent avec le caractère le plus prononcé de génies ou de dieux de l'élément igné. Cette île volcanique 31 est le siége le plus ancien du culte d'Héphaestos, sa résidence favorite ; elle lui CAB 759 CAB étoile 68 [DioscuRI]. Le flambeau fait manifestement allusion à la fête annuelle de Lemnos, où le feu était éteint pendant neuf jours, puis solennellement rallumé L9, fête que l'on rattachait à la légende du massacre des hommes par les femmes lemniennes 50, mise en rapport d'une façon fort peu claire avec le culte des Cabires 51. Les bonnets des Dioscures indiquent clairement un couple de dieux cabiriques, pareil à celui que nous allons constater tout à l'heure à Samothrace avec la même assimilation aux deux jumeaux divins ; Héphaestos en personne, dont la tête est figurée sur le droit, complète donc la triade indiquée par Acusilaüs et Phérécyde. Ceci nous explique comment Nonnus, écrivain de basse époque, sans doute, mais qui s'inspirait de sources mythologiques fort précieuses, réduit les Cabires deLemnos à deux, Alcon et Eurymédon 52, qu'il fait fils d'Héphaestos et de Cabiro 53 et range parmi les suivants de Dionysos 54. Aux deux bonnets des Dioscures, identifiés à ces deux Cabires inférieurs à Héphaestos, la monnaie ajoute un symbole religieux important : c'est le caducée d'Hermès, divinité dont le culte à Lemnos est attesté par le nom du mont Hermseon 55 et par la présence du bélier, son animal sacré, sur quelques médailles d'Héphaestia se, où il est même associé au flambeau allumé. Ce symbole complète le groupe des dieux cabiriques, en y ajoutant un quatrième personnage, que nous retrouverons à Samothrace. La généalogie des Cabires de Lemnos, empruntée par Strabon à Acusilaüs, nous a fait voir Camilos introduit entre Héphaestos et ces dieux; l'inscription d'Imbros associait Casmilos aux trois Cabires avant les Titans. Or, Cadmilos, Casmilos, Camilos, n'est autre qu'Hermès, des témoignages formels nous l'apprennent u, et une forme particulière de ce dieu, celle qu'Hérodote 58 rapporte à Samothrace et y joint aux Cabires, l'Hermès ithyphallique des Pélasges [MERCuaIUS], dieu de la génération et de la fécondité dans la nature. Cet Hermès est indiqué comme associé aux Cabires dans la religion d'Imbros u et dans les mystères qu'on y célébrait 00 comme à Lemnos. L'île même paraît lui avoir dû son nom, car on l'y appelait Imbros ou Imbramos 61, nom où Welcker 62 a très-heureusement reconnu une variante de celui d'Himéros, « le désir », en rapport avec le caractère du dieu ; c'est un des points de contact que les mythologues ont depuis longtemps signalés entre Hermès et Eros 83. Les monnaies d'Imbros nous offrent la figure de cet Hermès dans l'attitude la plus caractéristique 64, et Nonnus 65 ne manque pas de faire d'Hermès l'instituteur de ses Cabires lemniens. Dionysos Brisaeos [BACCnus] se substitue quelquefois, il est vrai, à Hermès comme associé dans le culte de Lemnos à Héphaestos et aux Cabires66, et la grappe de raisin,placée au revers de la tête d'Hélios sur une pièce d'Héphaestia 87, fait allusion à ce dieu. Une telle substitution nous sera expliquée quand nous allons notas occuper de la religion de Samothrace et quand nous y verrons combien sont flottantes les assimilations entre les dieux du vieux système cabirique et ceux du panthéon classique des Hellènes. Nous verrons aussi quelle place tient toujours auprès des Cabires une déesse mère, à laquelle ils sont associés. A Lemnos nous devons la chercher dans le personnage de Cabiro, bien que le mythe légendaire en fasse une simple nymphe. Nous reconnaîtrons donc en elle, avec Gerhard 88, une forme de la grande déesse que l'on appelait Lemnos 65, comme l'île elle-même, et que l'on identifiait avec l'Artémis Taurique 70 et avec celle de Brauron en Attique 71 [DIANA] ; aussi Nonnus donne-t-il en un endroit u Hécate comme la mère des Cabires. IV. A Samothrace, ainsi que nous l'avons déjà remarqué, les Cabires ne sont pas, comme ailleurs, descendus au rang de génies ; ils y demeurent, conformément à leur conception primitive, des dieux cosmiques de premier ordre, les plus grands des dieux. C'est là qu'ils sont, par excellence, les grands dieux, les dieux puissants, cool µeyâaot,Oeoi ~pNsro(, Osoi Sovuroi, comme on les appelait d'habitude 78. En effet, leurs noms étaient tenus secrets 74 de telle façon que les initiés à leurs mystères pouvaient seuls les invoquer efficacement dans le danger u. C'est seulement à une indiscrétion, presque à une profanation, de Mnaséas de Patara, complétée par Dionysodore, que nous devons de connaître ces noms. Les Cabires de Samothrace, disent ces auteurs, sont au nombre de trois, Axiéros, Axiokersa et Axiokersos, auxquels s'en ajoute un quatrième, Casmilos 76. Ces quatre noms se lisent en abrégé sur un amulette découvert à Windisch (l'antique Vindonissa) en Suisse 77, amulette qui a dû appartenir à quelque Romain initié à Samothrace. Il est utile d'en reproduire ici la disposition, car elle est manifestement intentionnelle et résume de la manière la plus claire le système et la filiation respective des grands dieux de Samothrace. Le mot grec qui accompagne les noms divins dans le cadre extérieur et dans les deux cantons du haut de la partie supérieure, est ûyte(a, « santé, salut », c'est le CAB 760 -CAB souhait du bonheur que doit, procurer l'amulette à celui Bali le porte. Quant aux noms, ils sont disposés de manière r««osier dans Axiéros un premier principe, d'on découlent jsmdlèlement Axiokersos et Axiokersa; puis, aude s. à un degré inférieur et dans une autre génération divin vient Casmilos, sortant des deux premiers. Les I:,m.s qui nous sont ainsi révélés sont purement pélasgiques, puisant leurs racines dans les couches les plus anciennes de la langue grecque. Ainsi que Fréret l'a reconnu le premier 7fi et après lui tous les maîtres de la science, les trois premiers offrent comme élément initial le mot rt;zo;, dans son sens antique de «puissant, fort 79 », tel qu'il entre dans le nom propre A.itOia et dans l'invocation des femmes de l'Élide. à Dionysos Tauromorphe, «rte Tccüpe 86 [BACCnLS, sect. ii et xi]. Kersos et kersa paraissent signifier c. l'époux n et « l'épouse 81 ». Welcker ", ©ttfried Millier" Gerhard n cherchent dans le second élément d'Ai-epoç le nom de « l'amour » sous son ancienne forme éolienne npo;, Lou »', et rapprochent ce personnage de Philos de Thespies n, mais ceci est bien difficile à admettre, car d s'agit, comme nous allons le voir, d'une divinité féminine. Le nom de ce premier principe reste donc encore ales plus obscurs, et le plus sage est peut-être d'y voir, non pas comme Fréret 87, un comparatif d'atoç (il serait nécessairement en tiepo;), mais un antique adjectif formé, comme tant d'autres, en epo;, po; ; il aurait donc signifié le personnage puissant, fort par excellence, la plus puissante et la plus vénérable des divinités cabiriques, en tant que la source de toutes les autres. (Mani à Kcaap.càoç, ou lZ«Spai4;, le sens paraît en être bien positivement « 1 ordonnateur », soit qu'avec Fréret B8 on le rapproche de xatol, xrltica, « prendre soin e, x7t,Sep.t,'iv, « celui qui prend soin, qui ordonne e, soit qu'avec Welcker u on prenne KAègsç, lf ; pour d'autres formes de Kdap.oç, Kéapt2Aoç. Il y a de 'i I':'ebablement quelque chose d'exact dans l'assimilation que les anciens 90 établissaient entre ce nom et le titre latin CAMILLUS, « ministre des autels », originairement Casmillus, titre d'origine grecque ou pélasgique, que Varron" dit avoir trouvé en grec dans les poésies de Callimaque et dont Denys d'Halicarnasse 9= atteste que la forme pélasgique était li;xa,a.Eto; ", ajoutant. que c'était un tille des ministres des Grands Dieux de Samothrace. Suivant Mrnaséas et Diorysod.ore, Axiéros était Déméter, Axioke;°sa . °erséphoné, Axiokersos Iladès et Casmilos Hermès 9.. C'est le renseignement le plus direct et le plus précis que nous ayons sur le rapport des divinités cahiriqi : s de Samothrace avec les dieux helléniques. Les p. .' ,rphiques associent de même Déméter et Persél . aux deux Cabires mâles 98 et Strabon n donne is s orgies de Samothrace comme célébrées en l'honneur d Déméter et de Coré. Hérodote 9 unit aux Cabires dans l. culte de Samothrace l'Hermès ithyphallique des Pélasges et ajoute que les initiés connaissent le mythe sacré qui explique le type de sa représentation. Ce mythe, nous en avons le récit dans Cicéron 98. Le premier Mercure, dit-il, fils du Ciel et de Dia 99, porte encore la marque de la passion excitée chez lui par la vue de Proserpine 100 [MERCURIUS, PltosErsPINA]. Nous avons une nouvelle traduction des divinités de Samothrace, plus conforme peut-être à leur conception primitive que celle que nous venons de voir auparavant et où la recherche d'un rapprochement entre Samothrace et Éleusis est un peu trop visible En tous cas, elle s'accorde d'une manière remarquable avec ce que dit Varron, que le couple suprême de Samothrace se composait du Ciel et de la Terre 101, auxquels Casmillus était joint comme ministre 1°0, et ce même groupement de divinités se retrouve dans une inscription de Rome 103, que l'on peut considérer coinnsc ayant été dédiée par quelqu'un des nombreux Romains qui se faisaient initier aux mystères cabiriqucs, « Coelo aeterno, Accroc ?nabi, ,Wercurie menesta°atori» . Il est vrai que dans un autre livre i" le même Varron, préoccupé du rapprochement que l'on tendait à établir entre la religion cahirique et certains points de la religion romaine, rapprochement dont nous aurons à nous occuper un peu plus loin, expliquait autrement les divinités de Samothrace et y voyait la triade du Capitole, Jupiter, Junon et Minerve. Servius 103 y ajoute Mercure comme quatrième divinité, et dans un autre endroit los nomme seulement Jupiter, Junon et Mercure. Voici maintenant une explication toute différente, adoptée par un certain nombre d'écrivains grecs. Des deux Cabires mâles, l'aîné est Zeus et le plus jeune Dienysos 1°' ; on y ajoute qu'ils étaient associés à Rhéa ou à la Cybèle phrygienne 208. Lucien 109 et le scholiaste d' Aristide 110 présentent, en effet, les mystères de Samothrace comme ceux de cette déesse, et l'image de Cybèle est le type le plus habituel des monnaies de l'île714. Ceci nous ramène à l'Asie Mineure, où noirs avons déjà entrevu l'association des Cabires à Cybèle, où la fête célébrée par Midas en l'honneur de la Mère est aussi dédiée aux M»' éésot ®eol, c'est-à-dise aux Cabires 112, et à la donnée du médaillon impérial de Smyrne I13 dont le revers montre Cybèle assise, portant dans sa main les deux Cabires armés, représentés comme les Dioscures (fig. 901). Au reste, Lobeck lui-même, si hostile par principe aux rap CAB -. 761 CAB prochements mythologiques, a été frappé de la parenté étroite qui existe entre Cybèle et la déesse de Lemnes, la mère cabiriaue de cette île Un autre système d'assimilation nous est révélé par un monument d'une Importance capCale, que Gerhard a rattaché avec certitude aux mystères de Samothrace et qui paraît avoir étéconservé dans un iaratreparticulier comme un souvenir d'initiation. C'est le célèbre marbre de la duchesse de Chablais, conservé au Vatican 115 (fig. 902-90ii), hermès à trois faces qui représente Axiokersos, Axiokersa et Casmilos sous des traits conformes à ceux que l'art donne ordinairement à Dionysos-Liber et à Coré-Libera [saccaus, sect. xvI], ainsi qu'à l'Hermès juvénile des beaux temps de l'art [Mnacumus]. Axiokersos est ithyphallique, Axiokersa entièrement vêtue et Casmilos a son sexe caractérisé, mais sans donner les signes de pétulance de l'autre dieu. Ce qui fait de ce monument une sorte de texte bilingue en plastique, c'est que, sur les trois faces, à la hase, se détachent en relief les divinités grecques correspondant aux trois divinités cabiriques, Apollon Hélios devant Axiokersos, Aphrodite devant Axiokersa et Eros devant Casmilos. Et nous apprenons ainsi, par une indication formelle, que les trois statues de Phaéthon, Vénus etPothes, que Seopas avait exécutées pour Samothrace n'étaient autres qu'une traduction hellénique des divinités des mystères. La traduction est un peu différente sur une peinture de vase 117 qu'on trouvera reproduite un pela plus loin (fig. 907), et où Panofka 118 a expliqué de la Manière la plus ingénieuse le groupe de divinités qui occupe la partie supérieure. Ce sont les divinités de Samothrace, mais représentées cette fois par Pan, Aphrodite "' et Hermès. Pan tient ici la place de Phaéthon, comme étant lui-même un dieu de la lumière, Phospltoros [pax], appelé stiAoa sur un vase d'un caractère mysti-. que 120. Une peinture de vase (fig. 905) nous offre le buste d'Axiokersa, accom pagné des premières lettres de son nom ; cette représentation offre la plus étroite ressemblance avec celles de Perséphone ou d'Aphrodite sur la majorité des monuments céramographiques. Sur l'autre face du même vase (fig. 906) on voit, comme le dieu fils correspondant à Casmilos, Dionysos en fant, désigné par son nom écrit en entier, atotsnoz. ll faut encore tenir compte des cultes helléniques et exotériques de l'île de Samothrace, des divinités qui, à côté des Cabires, étaient adorées publiquement dans les différentes parties de la contrée, car en général, dans les foyers de religions mystiques, les cultes de ce genre sont comme des reflets des mystères, qui en tradui sent les dieux sous une forme extérieure. Cr, à Samothrace, à côté de la religion cabirique, nous constatons l'adoration de quatre divinités principales, qui répondent d'une manière très-frappante aux quatre divinités mystiques énumérées par Mnaséas et Dionysodore ë Déméter au port Dérnétrion "2; sur les sommets, Zeus, l'ancêtre de la race des habitants et des héros donnés comme les instituteurs des mystères 123 ; sur la côte nord, Hécate dans le fameux antre Géryritlaien 124 [BRUTE], où Aphrodite la -remplace quelquefois i2S ; enfin Hermès, sous le surnom spécial de coç 18e ou ii5toc 127, « le sauveur 's, qui se re produit dans l'appellation du héros local Sans, Saon ou Samon s2@, fils d'Hermès et de la nymphe lthéné 129 , c'est à ce. dernier que l'on rattachait les désignations de l`île Ces assimilations diverses et contradictoires semblent au premier abord former un chaos inextricable. Mais il ne faut pas oublier qu'elles ne sont qu'approximatives, qu'elles ont pour objet de définir des divinités qui ne sont pas celles des Hellènes proprement dits, des divinités qui avaient pris quelque chose du caractère complexe et ondoyant appartenant toujours à celles des mystères x1vsiexia]. De plus, si on prend soin de les grouper, comme nous allons le faire, dans un tableau synoptique, 96 CAB 762 CAB on est tout étonné de voir une certaine clarté pénétrer tout naturellement dans cette confusion. Le système de divinités qui ressort de ce tableau paraît très-nettement caractérisé : c'est un système de DIVINITÉS DE SAMOTIIRACE. dieux de la nature, comme tous ceux de la race pélasgique, où l'anthropomorphisme a bien moins de part que dans les religions proprement helléniques. Il porte en luimême des marques évidentes qui doivent faire chercher sa source en Asie Mineure, car sa parenté est étroite et incontestable avec la religion phrygienne [CYBELE, SABAZIUS]. Il peut se résumer de la manière suivante : une grande divinité féminine, premier principe et mère universelle des dieux comme de tous les êtres, une Terre-mère, analogue dans sa conception fondamentale à la Cybèle de la Phrygie et de l'Ida, facile également à assimiler à Déméter et même pouvant être rapprochée d'Aphrodite, puis à ses côtés deux dieux mâles, issus d'elle à deux degrés différents d'émanation et de génération divine. Telle est la donnée fondamentale, et cette association d'une déesse mère à deux dieux mâles constitue essentiellement ce que j'appellerai le groupement cabirique, qui est le type de toute une famille particulière de cultes dans les religions les plus antiques des contrées grecques. Des deux dieux mâles, le premier, l'ancien, est envisagé successivement comme Zeus, Hadès, Hélios et le Dionysos viril ; à Lemnos il est Héphaestos ; c'est en effet le dieu du principe lumineux et igné, du feu céleste ou chthonien, qui féconde la matière primordiale et passive, la Terre-mère dont il est issu. De leur union naît le Kéè sIÀoç, l'ordonnateur de l'univers, le générateur terrestre, personnifié dans l'Hermès ithyphallique, dans le jeune Dionysos ou même dans Eros, dernière assimilation qui nous rappelle nécessairement le nom d'Imbros-Himéros, que nous avons vu porté dans une autre île par cet Hermès cabirique. Entre ces deux dieux mâles, qui sont plus spécialement les Cabires, existe, comme l'a remarqué Ottfried Müller, l'opposition qu'on retrouve dans les notions fondamentales de tout polythéisme, entre la majestueuse immobilité d'un dieu voué à un éternel repos et l'agitation d'un autre dieu vivant et mourant. Quand la déesse mère reste unique, qu'on l'appelle Terra, qu'on la rapproche de Cybèle ou d'Aphrodite, le premier des deux Cabires mâles est véritablement un dieu mari de sa mère, suivant les données des religions asiatiques. Mais cette déesse, comme Cybèle dans quelques rares formes de ses mythes [CYBELE] et surtout comme Déméter dans la conception éleusinienne [CURES, ELEUSINIA, sect. 1], est susceptible de se dédoubler en une dualité de mère et de fille. C'est alors que l'on a devant soi le couple d'Axiokersos et Axiokersa, « l'époux et l'épouse », issu d'Axiéros, exactement parallèle au couple de Coros et de Cora, issu de Déméter dans d'autres mystères [BACCHUS, sect. xv]. La dualité de la mère et de la fille, d'Axiéros et d'Axiokersa, est dans ce cas traduite par Déméter et Perséphoné, Dia et Proserpine, Junon et Minerve, suivant le système et le point de vue particulier des écrivains. Enfin le récit conservé par Cicéron nous laisse entrevoir une autre donnée, celle d'une entreprise du dernier né de ces générations divines, de l'HermèsCasmilos, sur la déesse fille, dont les autres versions le font issu ; il devient ainsi à son tour le mari de sa mère ou de sa soeur. Ce sont les étranges enchevêtrements de ces rapports, les échanges de rôles, les relations éminemment complexes que nous rencontrons partout entre les divinités des mystères et qui constituent une partie de leur Nous retrouverons bientôt, sur d'autres points de la Grèce, cette donnée essentielle du groupement cabirique, une déesse simple ou double entre deux dieux mâles. A Samothrace, elle se reflète dans le groupe des héros que l'on représente comme ayant fondé les mystères, et qui eux-mêmes sont quelquefois appelés Cabires; ce sont en effet, Dardanos et Jasion, avec leur soeur Harmonie 133 et la tentative que l'on attribue au plus jeune des frères, à Jasion, sur Déméter 13' [CURES], rappelle d'une manière frappante celle d'Hermès-Casmilos sur Perséphoné 135. A Lemnos et à Imbros, nous avons vu, dans le mythe cabirique local, l'association de Cabiro avec Héphaestos et Hermès-Casmilos ou Imbros, qui correspond exactement au groupe samothracien d'Axiokersa, Axiokersos et Casmilos ; mais ce sont, dans ces îles, les dieux mâles qui se dédoublent au lieu de la divinité féminine ; d'Héphaestos et de Cabiro naît le couple des deux Cabires jumeaux, CAB 763 CAB Alcon et Eurymédon, reproduisant à une génération inférieure la dualité d'Héphaestos et d'Hermès. Ces deux Cabires forment à leur tour un groupe de trois avec Héphaestos, leur père, et enfin dans la légende poétique ils sont trois frères distincts d'Héphaestos. Nous avons déjà signalé [BACCnus, sect. xv] la facilité avec laquelle les dieux des mystères passent de l'unité à la dualité, et de la dualité à la triplicité 156. Ce retour sur le culte cabirique de Lemnos fera mieux comprendre comment à Samothrace les deux Cabires mâles, Axiokersos et Casmilos, envisagés sous un autre aspect, se présentaient aussi, non plus comme un père et un fils, mais comme deux dieux égaux et presque jumeaux. A l'entrée du port, ou devant le temple principal, car on varie sur cette position, deux statues les représentaient, nous dit l'auteur des Plzilosophumena 157, sous les traits d'hommes nus, ithyphalliques, les mains élevées au ciel. Le premier, ajoute-t-il, était appelé 'ASxu, et l'écrivain chrétien se hâte d'y voir l'homme archétype, en le comparant à l'Adam de la Bible ; mais un fragment d'hymne qu'il cite en un autre endroit 138 l'ait de l'Adam de Samothrace le même dieu que l'Attis ou le Pappas de la Phrygie [CFBELE], que 1'ADO:v1s syrien. En réalité, il n'y a guère moyen de douter qu' ASâlt. ne soit ici une abréviation d''Aéâynç ou kli34acros, épithète d'Hadès le [PLIITO], ce qui ramène à l'explication de Mnaséas pour Axiokersos. Pour Servius 116, les deux statues en question sont celles de Castor et de Pollux. La monnaie d'lléphaestia de Lem_ nos, citée plus haut, nous a déjà montré cette assimilation des Cabires aux Dioscures, qui finit par devenir presque générale et que nous retrouverons sur beaucoup de points du continent grec. Le point de départ semble en avoir été à Samothrace 141. Là, des circonstances particulières venaient se joindre à la communauté des qualifications de ®coi fA.ET xàxr 142 t7Wri,pcÇ, 0.àoexc, pour faciliter la confusion du couple des Cabires mâles avec celui des jumeaux achéo-doriens. Les dieux de Samothrace commandent spécialement aux vents et aux tempêtes, et sauvent les navigateurs du péril de la mer 143, ce qui, comme on l'a remarqué, est bien le propre de dieux dont le culte a traversé les flots pour venir s'établir dans l'île ; ils apparaissent aux marins qui les invoquent 144, sous la forme des flammes électriques du feu Saint-Elme 14a. Tout ceci leur est commun avec les Tyndarides [moscuel] ; aussi est-ce à Samothrace, suivant une des formes dé là légende n , que les étoiles du feu Saint-Elme descendent pour la première fois sur la tête des Dioscures après qu'ils ont adressé leur prière aux Cabires, qui se manifestent en eux de cette façon. Aussi pour Ovide 741 et pour Plutarque 1'd les deux dieux de l'île deviennent purement et simplement les Tyndarides. Les deux étoiles de la constellation des Gémeaux, qui pour la majorité des Grecs sont les Dioscures, se voient attribuées aux Cabires par les Orphiques 149 par Nigidius 150 et par Ampélius 151. II est vrai que d'autres auteurs distinguent les deux étoiles des Dioscures des trois astres des Cabires 1ss Enfin, Denys d'Halicarnasse 156 d'après Callistrate et les autres historiens locaux, ramène cette donnée de l'adoration des Dioscures à Samothrace au type fondamental que nous avons reconnu être celui de la hiérarchie des dieux propre à cette île, quand il raconte que les images divines, transportées de là à Troie par Dardanos et emmenées ensuite en Italie par Énée, consistaient dans le Palladium avec les deux figures des Dioscures ou Pénates armés. Les grands dieux cahiriques de Samothrace, que nous venons d'étudier, ne se présentaient pas seuls aux adorations, mais entourés, comme les dieux de l'Asie Mineure, d'un cortége de suivants (,tpdno)sot) intermédiaires entre les Dieux e t l'humanité, que l'on qualifiait eux-mêmes quelquefois de Cabz)'es154. A Lemnos, nous avons vu les trois Cabires fils d'Héphaestos descendre à ce rang dans la légende poétique, avec leurs soeurs, les trois nymphes Cabirides. Celles-ci n'étaient pas étrangères à Samothrace, bien qu'aucun auteur ne les y nomme, car les fouilles récentes ont fait découvrir les débris de leurs images, tenant comme attributs le I1HYTON ou la corne à boire et la grappe de raisin, parmi les statues provenant du fronton du temple principal 155. A la catégorie des icduoueç 71pd770).ot doivent être rapportés les Cabires, fils de Zeus et de Calliope, qui viennent de Phrygie en Samothrace établir les orgies sacrées et faire le service des grands dieux, personnages au sujet desquels il y avait discussion entre Stésimbrote et Démétrius de Scepsis, ce dernier prétendant que seuls ils devaient être appelés Cabires et que leur rôle n'avait pas un caractère mystique comme ceux des CORYBANTES 1'S. Ils ressemblent fort aux neuf Corybantes, fils d'Apollon 157 et de Rhytia, que Phérécyde faisait aller à Samothrace et y remplir le même office 158. Ceuxci sont quelquefois appelés cUBETES. Un hymne orphique 156 représente les deux grands dieux de Samothrace, avec la troupe subordonnée des Curètes aux armes d'airain retentissantes, comme les souffles intarissables qui soufflent dans le ciel, sur la terre et sur la mer. V. Les mystères célébrés à Samothrace en l'honneur des dieux Cabires 180 étaient les plus célèbres et les plus vénérés du monde grec après les Éleusinies 161 Diodore de Sicile 181 nous a conservé l'une des légendes locales relatives à leur fondation. Elle débute par un déluge que produit la rupture des digues du Pont-Euxin, dont les eaux s'ouvrent un passage par le Bosphore 163 ; toutes les îles et toutes les côtes de la région sont submergées 16Y, et le haut sommet de Samothrace offre seul un asile aux fugitifs, comme l'Ararat à Noé et le Parnasse à Deucalion et à Pyrrha; ceux-ci, en reconnaissance, consacrèrent File tout entière, en environnant ses rivages d'une ceinture d'autels dédiés aux dieux 165. Bientôt, au CAB i4CAB milieu de ces réfugiés échappés au cataclysme, viennent s'établir différents héros, d'abord Saon, lits de Zeus ou dHermès, puis les trois enfants de Zeus et de l'Atlantide Électre, Dardanos. Jasion et Harmonie, partis de l'Arcadie 166 ou de la Crète If'. Jasion, instruit par Zeus luimême, établit les mystères. Dardanos passe de Samothrace en Asie 160 devient le fondateur de l'empire des Troyens et institue le culte de la Grande hère de Phrygie f69; Harmonie épouse Cadmus, et leurs noces, célèbres dans la mythologie, ont pour théâtre dans cette version, non pas Thèbes, mais Samothrace. Denys d'Halicarnasse R70, faisant aussi passer Dardanos de Samothrace en Troade, le représente comme étant, au lieu de Jasion, l'Instituteur des mystères cabiriques, qu'il implante ensuite dans son nouveau domaine asiatique. Pour d'autres. le fondateur de ces mystères est Éétion 711 ou Aétion, un troisième frère "j, à qui quelques-uns font tenir dans la généalogie des fils d'Électre la place de Jasion 17". Ces récits sont manifestement ceux auxquels se complaisait la vanité nationale des gens de Samothrace, présentée ainsi comme le berceau de la puissance troyenne, la terre oit les Grands Dieux eux-mêmes avaient fondé leur culte et révélé les saintes orgies. Mais nous avons vu déjà que d'autres narrations, plus conformes à la vraisemblance. faisaient venir, au contraire, le culte de ces grands dieux de la région de l'Ida en Samothrace, même en attribuant son établissement à Dardanos et Jasion, et en les qualifiant eux-mêmes de Cabines 174. En tous cas, on s'accordait à faire remonter l'institution des mystères de Samothrace àla période la plus reculée des âges héroïques, et l'on racontait que les plus fameux héros en avaient recherché avidement l'initiation, Jason, les Dioscures, Hercule,'Orphée S7e, Ulysse 1B et Agamemnon, Suivant le récit des poêles, les Argonautes, battus d'une violente tempête, firent voeu parle conseil d'Orphée, le seul d'entre eux qui eut encore été initié à Samothrace, de relâcher dans cette île; aussitôt l'orage s'apaisa ; les compagnons de Jason abordèrent à la nuit, reçurent l'initiation et bientôt repartirent, comptant désormais sur une heureuse navigation 177, Hérodote'79 n'entre pas dans toutes ces traditions mythiques ; pour lui, les mystères de Samothrace et leurs dieux viennent des Pélasges, qui s'étaient maintenus à Lemnos et à Imbros jusqu'au temps des guerres médiques 179, à Samothrace jusqu'au commencement du vue siècle av. J.-C., époque probable de l'établissement d'une colonie de Samiens dans cette île 106 Diodore de Sicile 181 remarque, ce que nous avons déjà vu confirmé par les faits, que les indigènes y conservèrent fort tard un dialecte pélasgique particulier et que les noms et les termes usités dans les mystères appartenaient à ce dialecte, non au grec proprement dit. Hérodote, du reste, montre les mystères de Samothrace florissants et vénérés dans la période qui suivit immédiatement les guerres médiques "' comme Pindare 103 à la même époque, ceux de Lemnos. Au temps de la guerre du Péloponnèse, ces mystères sont dans tout leur éclat, profondément vénérés de l'universalité des Grecs. Aristophane 1"4 y fait allusion; les Spartiates Antalcidas 103 et Lysandre 136 se présentent à l'initiation. De la part des Athéniens la vénération n'est pas moins grande , parmi les motifs de l'accusation capitale portée contre Diagoras de Mélos, la divulgation et le mépris des mystères de Samothrace est mise sur le même rang que des impiétés semblables à l'égard des Éleusinies 10', LM peu plus tard, 1 c'est dans les initiations de Samothrace que Philippe de Macédoine et Olympias se voient pour la première fois et deviennent épris l'un de l'autre 1R3, Mais c'est surtout au temps des successeurs d'Alexandre que la célébrité des mystères cahiriques de Samothrace atteint son apogée. Lysimaque prend les sanctuaires de cette île sous sa protection spéciale et s'occupe de leur administration 169 ; il parle des nombreuses offrandes qu'y avaient consacrées les rois et les autres Hellènes. C'est à Samothrace qu'Arsinoé Philadelphe se réfugie pour échapper à Ptolémée Céraunos 19° ; c'est là que Persée, le dernier roi de Macédoine, vaincu par Ies Romains, cherche un asile 191 ; c'est enfin là que Ptolémée Philométor se retire momentanément après sa défaite par Antiochus 192. En effet l'île sacrée jouissait alors, au milieu de tous les troubles du monde grec, d'une véritable trêve des dieux198, universellement respectée, qui permettait aux dévots de s'y rendre en foule chaque année sans courir aucun danger. D'Alexandre à Auguste on ne voit que deux occasions où cette paix sainte n'ait pas été respectée, l'attentat mentionné dans l'inscription de Lysimaque 19'' et un coup de main des pirates pendant la guerre de Mithridate 19'. Samothrace était une terre d'asile inviolable mais l'exercice de ce droit d'asile était sévèrement réglementé par les autorités sacerdotales. Nous le voyons par l'exemple d'Agésandre, le général de Persée. 11 s'était réfugié à Samothrace, mais, les Romains ayant représenté que sa présence souillerait le sanctuaire, il fut cité devant l'antique tribunal chargé d'examiner les cas des homicides qui demandaient asile. Alors, craignant d'être convaincu du meurtre d'Eumène, commis au pied de l'autel d'Apollon à Delphes, il n'insista pas davantage et fut tué par l'ordre du roi, son maître et son complice 166. La période macédonienne et alexandrine est précisément celle à laquelle appartiennent la majorité des poète s et des mythographes qui parlent avec un certain détail des Cabires de Samothrace, comme Callimaque, ApolloMus de Rhodes, Mnaséas de Patara, etc.197 ; c'est aussi celle des écrivains spéciaux des traditions et de l'histoire de l'île, comme Callistrate, Polémon et Idoménée 193. Durant la même période historique, les édifices sacrés de Samothrace, théâtre de la célébration des mystères, furent splendidement renouvelés. Leurs ruines ont été étudiées à fond de nos jours dans la première exploration CAB 765 -CAB de M. Gonze , dans les fouilles de nos compatriotes MM. Devine et Coquart 2°o et dans celles de la mission autrichienne dirigée plus récemment par M. Gonze 9'i. Ces excavations ont amené la découverte des vestiges d'un seul édifice qui parait antérieur à Philippe de Macédoine, et de trois autres temples, voisins les uns des autres et beaucoup plus somptueux, tous les trois du temps des successeurs d'Alexandre. Les deux plus importants et les plus complétement mis au jour sont un bâtiment de forme ronde et couvert comme un ODEUM, qui servait peut-être aux spectacles mystiques des initiations, bâtiment élevé par Arsinoé Philadelphe en souvenir de l'asile que les dieux lui avaient donné, puis un grand temple d'ordre dorique, celui que l'on appelait Anactoron comme le temple d'Éleusis, et où se trouvaient les statues dont parlait Varron 203 en les rapprochant de celles des dieux du Capitole. La plupart des inscriptions grecques de ,Samothrace appartiennent aux temps macédoniens ou romains. EIles nous renseignent sur les cités qui envoyaient des théories sacrées à la fête annuelle des Grands Dieux, et sur celle dont venaient le plus habituellement les dévots pour se faire initier 204; c'étaient Dium en Macédoine, Thasos, Abdère et Maronée en Thrace, Cyzique, Abydos, Dardanos, Érésus, Cymé en Mysie et en Éolide, Clazomènes Téos, Colophon, Éphèse eu Ionie, Alahanda, Halicarnasse et Céramus en Carie, avec les îles de Cos et d'Astypalée. De pays plus lointains il ne vient guère de pèlerins que de Gortyne de Crète, de l'Élide et de home. Les Romains sont fort nombreux, et c'est en latin qu'ils rédigent les inscriptions commémoratives de leur initiation 05 Samothrace était à leurs yeux un sanctuaire national, grâce à la croyance soigneusement entretenue dans un but politique par le sacerdoce de l'île, que les PENATES de Rome étaient les mêmes que les dieux de Samothrace, transportés à Troie par Dardanos et de là à Rome par lunée 20S Aussi voit-on les personnages importants de Rome mettre encore plus d'empressement à se faire initier à Samothrace qu'à Éleusis. Marcellus, qui dédia de riches offrandes à Samothrace 204, et peut-être Cicéron 208 doivent être comptés au nombre de ces initiés. Voconius, lors de l'expédition de Lucullus contre Mithridate, s'attarda à Samothrace pour assister a la grande fête annuelle et participer aux mystères, retard qui donna au roi de Pont le temps de s'échapper 209. En iS de l'ère chrétienne, Germanicus eut aussi le projet de se faire initier, mais la violence des vents l'empêcha d'aborder dans I'ie 270. Au temps de Libanius 211 les mystères de Samothrace se célébraient régulièrement. De ces mystères eux-mêmes on sait peu de chose. Une hiérarchie sacerdotale nombreuse y présidait, et le chef parait en avoir été le Rvataoéç ou Prêtre-roi, qui apparaît dans les inscriptions comme le premier magistrat de File 27'. On ne sait pas s'il était le même que l'hiérophante, dont parle Galien 213, mais peut-être par une expression impropre, empruntée par analogie à Éleusis fELEUSINIA, sect. UI; iI1ESOPHANTES]. Comme dans tous les mystères, les rites purificatoires y tenaient une place large et essentielle [aLYSTERIA]; un prêtre les administrait spécialement et portait le nom de Korç ou Kohlç 218 mot antique qui signifiait « purificateur '13 », IL soumettait les candidats à l'initiation à une véritable confession auriculaire, réclamant d'eux l'aveu de leurs fautes. On raconte que lorsque Lysandre se présenta devant lui, il lui demanda de confesser le plus.grand crime qu'il eût commis. « Est-ce toi ou Ies dieux qui l'exigent?» dit le général lacédémonien. Ce sont les dieux, » repartit le prêtre. « Retire-toi alors, reprit Lysandre ; s'ils m'interrogent je leur dirai la vérité2L6. Dans une pareille circonstance, Antalcidas se contenta de répondre : o; Les dieux le savent'''. » Aux Cabires eux-mêmes on attribuait d'avoir été les agents de purifications analogues à celles qui trouvaient place dans leurs mystères. Une légende racontait qu'ils avaient effacé la tache d'un crime commis par Dardanos". D'après une autre, qui paraît avoir fourni le sujet d'un mime de Sophron 2", Angélos, fille de Zeus et de Héra, aurait dérobé à sa mère pour le donner à Europe le parfum dont elle se servait à sa toilette ; craignant la colère de Héra, elle se réfugia d'abord dans la maison d'une femme nouvellement accouchée, puis dans un cortége de funérailles. Alors Zeus ordonna aux Cabires de la conduire sur les bords de l'Achéron pour la purifier, et elle y devint Hécate'. Pas plus qu'à Éleusis [ELEUSINIA, sect. iv] et dans aucun mystère [MYSrERIA] , il n'y avait dans les initiations de Samothrace de catéchèse ou d'enseignement dogmatique formel. C'était un ensemble de rites entourés d'un respect superstitieux et voilés aux profanes par la loi du secret le plus sévère 221, de cérémonies et de spectacles sacrés, accompagnés de paroles énigmatiques (Spé geva, xa. 1c2yégavx 22'), dont l'intelligence du myste devait tirer le sens intime et dont Cicéron 223 résume alors l'impression générale : Quibus eacplicatis, ad rationernque revocatis, rendit rnagl`s natura cognoscitur quam deorurrl. On est en droit de croire que les monuments du genre de l'hermès Chablais, destinés à rester cachés dans le laraire des initiés, peu-. vent donner une certaine idée des figures qui apparaissaient alors à leurs yeux, accompagnées d'acteurs humains, pris dans les rangs du sacerdoce [ELEUSINIA, sect. vn]. Dans les formules parlées, les mystes entendaient et apprenaient les noms véritables des dieux des mystères, cachés au commun des hommes 224. Les femmes et les enfants 226 étaient admis aussi bien que les hommes à l'initiation de Samothrace. Les inscriptions nous apprennent 221 qu'il y avait deux classes de mystes, correspondant évidemment à deux degrés successifs d'initiation, d'abord les simples a,GarMi, puis ceux qu'on appelle en grec J.ûaiat sîasd~ic„ en latin rnystae pif', correspondant aux EPOPTAE d'Éleusis et aux PROTOMYSTAE d'Andania ; ces derniers seuls ont participé à une réception mystérieuse des choses saintes, analogue sans doute à celle qui avait lieu dans les Éleusinies [ELEUSINIA, sect. vI, MYsTEaiA0 i sacra aceeloerunt, disent les inscriptions. CAB 766 CAB Les insignes des initiés de Samothrace étaient la couronne d'olivier?23 et une bandelette de pourpre portée autour de la tête en manière de CRÉDEMNON. Cet ornement avait, dit-on, la vertu de sauver les initiés des plus grands périls. Agamemnon, s'étant montré le front ceint de la bandelette de Samothrace à ses soldats mutinés, avait aussitôt apaisé leur sédition 229; Ulysse, dans un naufrage, s'en étant ceint les reins, avait été porté miraculeusement sur les eaux 230. En effet, le privilége principal qu'assurait l'initiation de Samothrace, celui qui la faisait le plus avidement rechercher, était, par suite de la connaissance acquise du vrai nom des Cabires, le pouvoir de leur adresser une invocation nominale et toute-puissante qui assurait leur secours au milieu du danger20i. Ce secours était efficace et immédiat dans toute espèce de péril 2"2, mais plus particulièrement dans ceux de la mer 233, par suite de l'idée que l'on se faisait, comme nous l'avons vu plus haut, de l'apparition des Cabires dans le feu Saint-Elme 23`, idée d'un rôle maritime qui avait aussi produit la consécration du poisson pompile à ces dieux 230. Dans cette croyance à une protection purement maté Au centre est un grand arbre, dont les racines s'enfoncent dans la région des enfers et dont les branches s'épanouissent dans la région supérieure, où se tiennent les divinités des mystères cabiriques, Axiokersa, Axiokersos et Casmilos, représentés, comme nous l'avons dit, sous les traits d'Aphrodite, qu'accompagne Éros , de Pan et d'Hermès ; pareille réunion de divinités ne saurait se rap rielle au milieu des dangers de la vie comme résultat de l'initiation, il n'y avait pas de quoi rendre les hommes meilleurs, effet que Diodore de Sicile attribue aux mystères de Samothrace 238. II est donc probable que l'on donnait aux initiés d'autres espérances, qu'il y était dans une certaine mesure question d'une existence après la mort, si la notion n'en était peut-être pas aussi développée dans ces mystères que dans ceux d'Éleusis [ELEUSINIA, sect. vnt], et qu'en y participant on croyait s'assurer un sort heureux au delà de la tombe. La fable d'Angélos, que nous citions tout à l'heure, met les purifications cabiriques de Samothrace en rapport avec le monde infernal et les divinités des morts. Du reste, ici, dans le silence des écrivains, nous avons le témoignage des monuments. Une des peintures les plus célèbres de vases représentant des scènes des enfers exécutées sous l'influence de l'orphisme [oePDICi] et avec un caractère mystique évident, se rattache avec une certitude presque complète aux mystères de Samothrace. C'est celle du vase Blacas234, que nous avons déjà cité pour la manière dont il traduit sous une forme grecque les divinités cabiriques; nous en reproduisons ici la composition dans son entier )fig. 907). sri' porter à d'autres mystères que ceux de Samothrace. L'arbre qui occupe ainsi le milieu de la scène et forme le lien entre les deux registres de figures, représentant le ciel et les enfers, est l'arbre cosmique, qui joue un si grand rôle dans les plus anciens mythes de toutes les fractions de la race aryenne, arbre dont les nuages du ciel sont les rameaux et le feu de la foudre le fruit 238. CAB -767CAB En bas, l'Hermès ithyphallique d'un dieu imberbe, couronné du myrte mystique et funèbre, caractérise la région infernale, car on ne saurait y méconnaître le roi de cette région, Dionysos-Hadès as [BACCHUS, sect. xv], identique à l'Axiokersos des mystères. A droite de l'arbre et de l'hermès on voit Orphée, qui joue ici le rôle du mystagogue par excellence, et qui, si la secte qui se parait de son nom en avait fait l'instituteur de tous les mystères [namus, oRPUicij, est à sa place et comme chez lui à Samothrace plus que partout ailleurs. D'une main il retient par une chaîne Cerbère prêt à s'élancer, de l'autre il présente sa cithare à un éphèbe, qui, de l'autre côté de l'arbre et de l'hermès, étend la main pour la recevoir. Cet éphèbe est l'initié qu'Orphée accueille dans l'autre vie ; un vieillard, son père ou son pédagogue, l'accompagne et semble le recommander au chantre de la Thrace. Derrière Orphée, Eurydice est assise sur une pierre au pied d'un arbrisseau, qui semble indiquer le bois sacré de Perséphoné, demeure des trépassés ; elle retourne la tète pour regarder la scène de l'accueil du jeune homme. L'artiste s'est manifestement inspiré d'un des épisodes de la peinture si éminemment mystique des Enfers [INrent], que Polygnote avait exécutée dans la Lesché de Delphes 240. On y voyait Orphée revêtu du costume grec, comme sur notre vase ; assis au pied d'un saule du bocage de Perséphoné"', d'une main il jouait de la cithare, de l'autre il touchait les branches de l'arbre. Au même saule et du côté opposé s'appuyait un éphèbe prêtant toute son attention aux chants de l'aède ; il était désigné par le nom de Promédon, nom tout allégorique, étranger aux mythes connus et dont le sens semble caractériser un type de l'initié. Une particularité toute spéciale à Samothrace, et qui nous est révélée par les inscriptions, est que les initiations n'y avaient pas lieu, comme à Éleusis, une seule fois dans l'année, à une grande et solennelle célébration des mystères. Les individus qui dédient des inscriptions commémoratives de leur initiation, les Romains en particulier, ont soin d'indiquer la date de ce fait, et on en voit qui ont été reçus aussi bien à l'un qu'à l'autre degré, comme mystae ou comme mystae pie, dans tous les mois d'été, depuis mai jusqu'à septembre 242. Ceci semblerait indiquer que l'initiation de Samothrace réclamait un moins grand développement de cérémonies que celle d'Éleusis; elle se rapprochait peut-être davantage de celle que les Orphiques donnaient dans leurs thiases particuliers [oRPHrdI]. Mais il y avait en outre une grande fête annuelle, célébrée avec un éclat extraordinaire et à laquelle on prêtait un caractère de sainteté encore plus auguste qu'aux initiations qui avaient lieu en d'autres moments. C'est celle où les cités de la Thrace et de l'Asie Mineure envoyaient des théories, celle que marquait le plus grand concours de pèlerins. Cette fête est celle à laquelle Voconius, oubliant les nécessités militaires, voulut assister, celle dont il attendit quelque temps l'époque 263 : et ce qu'on rapporte du retard fâcheux qu'il apporta ainsi dans les opérations contre Mithridate, montre que la grande panégyrie de Samothrace devait avoir lieu dans les jours les plus chauds de l'été, à la fin de juillet ou au commencement d'août Y44. Des danses armées, analoglles à celles des CURETES et des CORYBANTES, y avaient place 245 et rappelaient les rites des cultes de l'Asie Mineure, en particulier ceux de la Phrygie. Les ministres religieux qui exécutaient ces danses armées au son des flûtes et du tympanum étaient appelés Icot268, nom que nous avons vu devenir celui d'un héros éponyme, fils d'Hermès et un surnom d'Hermès-Casmilos lui-même. Dans leur préoccupation de retrouver à Samothrace leurs origines religieuses, les Romains en firent les ancêtres des SALH 267. Il y avait aussi à Samothrace un oracle des dieux Cabires 2'; Lysandre venait le consulter (yprvrRptu dp.evos), en même temps qu'il se faisait initier 24s VI. A peu de distance de Thèbes de Béotie, Pausanias 250 vit un bois consacré à Déméter Cahiria et à Coré, et tout auprès un sanctuaire des Cabires, dans lequel eux et la Mère étaient honorés d'un culte orgiastique et mystérieux sur lequel sa superstition ne veut pas s'expliquer. Il nous apprend seulement que ces Cabires sont au nombre de deux, Prométhée et son fils Aetnaeos, deux noms d'un caractère bien significatif et qui caractérisent clairement des personnages de la même nature que les Cabires de Lemnos. Ces deux héros donnèrent l'hospitalité à Déméter dans ses courses errantes; en récompense ils reçurent d'elle le dépôt des objets ineffables et sacrés que l'on conservait dans la ciste mystique [CISTA], et les préceptes (les rites qui devinrent ceux des saintes orgies qu'ils instituèrent et où ils furent désormais associés à la déesse. La famille sacerdotale des Cabires, descendants de Prométhée et d'Aetnaeos, administra ces cérémonies mystérieuses jusqu'à la guerre des Épigones, époque oit elle fut expulsée du pays par les Argiens. Un peu plus tard, Pélargé, fille de Potneus, et son époux Isthmiade rétablirent les mystères cabiriques béotiens dans un lieu nommé Alexiaros ; puis, Télondès ayant rassemblé les derniers débris de la famille des Cahires, les ramena dans leurs anciennes demeures du canton de Cabirée, où avaient habité Prométhée et Aetnaeos, et ils y reprirent l'exercice du culte quelque temps interrompu. Telle était la légende locale. Sans aller jusqu'à prétendre avec Ottfried Miiller, que la Béotie fut le vrai berceau du culte cabirique et que c'est de ce pays qu'il fut porté à Samothrace, il est difficile de ne pas admettre que cette religion y existait dès une époque fort ancienne et y remontait au temps des Pélasges. Nous retrouvons à Anthédon la même association de Déméter et de Coré avec les deux Cabires 251 et l'antique parenté religieuse entre Thèbes et Samothrace est attestée par la communauté des personnages héroïques de Cadmos et d'Harmonie, ainsi que par l'existence à Thèbes d'un groupement particulier de, divinités dont nous dirons quelques mots plus loin. D'ailleurs, historiquement, le temple des Cabires auprès de Thèbes avait une existence au moins antérieure aux guerres médiques, puisque ceux des soldats de Mardonius qui essayèrent de le piller furent frappés d'un châtiment divin, de même que plus tard quelques soldats d'Alexandre qui tentèrent la même impiété 252. Mais si le culte et le temple étaient anciens, la célébration des orgies mystérieuses en l'honneur de Déméter et des Cabires avait été au moins interrompue pendant plusieurs siècles, car ces cérémonies ne furent rétablies d'une manière définitive qu'au temps d'Épaminondas, par CAS 768 -e CAB l'Athénien Méthapos, de la famille sacerdotale des Lycumides 'a3. Ce même Méthapos, personnage des plus curieux, qui paraît avoir été une sorte d'hiérophante ambulant, consacrant sa vie au rétablissement et à la réorganisation des vieux mystères tombés en désuétude 2", fut aussi le premier restaurateur de ceux d'Andante en Messénie, sur lesquels nous aurons à revenir dans l'article ELEUSINIA [sect. lx], et qui nous sont particulièrement connus par la grande inscription contenant leur règlement 25', Autrefois, prétendait-on, c'étaient des mystères issus de ceux d'Éleusis et consacrés entièrement à Déniéter et à sa fille, fondés par l'Éleusinien Camion, développés par Lycos, fils de Pandi on "6. Depuis les désastres des guerres de Messénie, ils avaient cessé d'être célébrés, et quand Méthapos les rétablit il y associa, comme dans le culte du sanctuaire voisin de Thèbes, l'adoration des Cabires à celle de Déméter. Au temps oh fut gravée (91 av. J.-G.), l'inscription retrouvée il y a peu d'années, les mystères d'Andania étaient consacrés à Déméter et à Coré, sous le nom de Ragna, puis aux Meyctlot Oeo(, c'està-dire aux deux Cabires, que viennent doubler, par une combinaison analogue à celle que nous avons vue à hemnos, deux autres dieux mâles, Apollon Carnéios et Hermès 257, dont l'analogie est on ne peut plus étroite avec quelques-unes des traductions ordinaires des deux Cabires mâles de Samothrace 028. Ces deux dieux sont si bien à Andania un dédoublement, une manifestation extérieure des May«lot Onoi, qu'ils finissent par les absorber; au temps de Pausanias "3 il n'est plus question de ceux ci, et les mystères sont consacrés seulement à Déméter, à CoréHagna, à Apollon Carnéios et à Hermès Criophore. A Amphissa dans la Phocide, on adorait avec Athéna deux jeunes dieux que l'on désignait sous le nom vague d' àazxreç: les uns, ajoute Pausanias 260 disent que ce sont les Dioscures 261, d'autres les Curètes, mais les plus entendus affirment que ce sont les Cabires "62. Semblable hésitation était naturelle par suite du caractère particulier et ambigu qu'avait pris en Grèce le type de représentation des Cabires, surtout à partir d'une époque un peu tardive L'assimilation des deux Cabires aux Dioscures, que nous avons vue naître à Lein.nos et à Samothrace, y était devenue générale et constante; elle semble avoir eu dans une certaine mesure pour foyer de son établissement définitif l'Attique, où le sentiment national devait se complaire à une transformation qui dénaturait les jumeaux doriens de Sparte et les rattachait à une source pélasgique. Dans une inscription d'Athènes 203 un individu du dème s'intitule iopolu Oet;)v MEyânouv àtoavôpmv Kadeiucov, et ces Dioscures-Cabires sont certainement ceux qu'un basrelief athénien représente tenant de longs flambeaux 26hr en rapport avec la nature ignée des Cabires 266, Les Ms'iéài: OEOi dont Méthapos, partant de l'Attique, propageait dans les différentes parties de la Grèce le culte associé à celui de Déméter, devaient nécessairement avoir ce caractère, M. Heuzey 206 a rattaché de la manière la plus ingénieuse à la donnée des Dioscures-Cabires, substitués au plus ancien type des Cabires, et à leur union avec Déméter, une série de monuments, tous du même type et tous d'assez basse époque, qui se rencontrent dans les contrées les plus diverses habitées par les Grecs, en Macédoine 26,, dans le Péloponnèse 0m et ,jusqu'en Égypte259, On y voit les deux Dioscures, dans leur accoutrement ordinaire et dans leur rôle de cavaliers, aux deux côtés d'une déesse qui est certainement une Déméter, et à laquelle ils sont subordonnés comme repéitOiot, car dans certains cas ils semblent lui offrir une libation . Nous donnons ici deux échantillons de ces représentations. Le premier (fi g, 908) est emprunté au bas-relief de Stobi de Macédoine publié par M. Heuzey; la déesse placée entre les deux Dioscures y est une Dé méter hellénique tenant le flambeau. Le second exemple (fig. 909) est tiré d'une des sculptures qui, à Sparte, décorent le sommet des listes de convives sacrés ou tstrrlBÉVtiaç 270 ; la déesse y est figurée sous la forme d'une idole are 2e époque o Axiéros, Axiokersa, CAB 769 C: R ehaïque, ayant le calathos sur la tête et des branches de fruits dans ses deux mains symétriquement abaissées. Ceci nous fait comprendre ce qu'entendait Denys d'Halicarnasse 277, quand il dit que les dieux de Samothrace transportés à Troie par Dardanos consistaient dans le Palladium avec Ies Dioscures-Pénates ; il avait en vue une de ces représentations des jumeaux divins aux deux côtés d'une idole d'aspect archaïque. Nous apprenons en même temps par les monuments de ce genre qu'à Sparte même, dans les bas temps, les Dioscures-Cahires, associés à Déméter, avaient fini par supplanter l'antique couple national des Tyndarides. Sur une pâte de verre du Musée de Berlin 972, la déesse placée entre les Dioscures-Cabires est représentée assise. Dans quelques terres cuites de Cypr•e, ce n'est plus Déméter, mais l'Aphrodite Paphienne qui se voit sur un trône dont les acrotères sont décorés de la figure des Dioscures-Cabires tenant leurs chevaux et revêtus du costume orientai, avec la tunique à manches, les anaxyrides et la 'nitra phrygienne 213. A Actium, les 0E01 l'LlEyg),ot ou iVituxTEÇ étaient également associés à Aphrodite Aineias 271, Nous résumons dans un nouveau tableau synoptique les indications des textes et des monuments qui viennent d'être passés en revue relatifs aux cultes cahiriques de la Grèce propre ; un semblable tableau les rendra plus claires et fera ressortir d'une manière éclatante l'étroite parenté de ces cultes avec la religion de Samothrace. Nous y joignons, dans une seconde section du tableau, quelques exemples d'associations de dieux dans les cultes de certaines localités de la Grèce, lesquelles rentrent d'une façon frappante dans la donnée essentielle de ce que nous avons appelé le groupement cabirique; Gerhard 2T en a déjà signalé le rapport manifeste avec le système des divinités de Samothrace, et l'on est en droit de considérer ces cultes comme des vestiges de vieilles religions cabiriques ayant pris avec le cours des temps une forme extérieure hellénique. Les Cabires paraissent avoir été des divini généralement connues des Pélasges, puisqu'on ra, ,:,•, qu'ils avaient l'habitude de leur consacrer la dîme fruits de la terre pour être préservés de la famine 279. Nous aurions pu grossir beaucoup cette dernière section du tableau, mais nous nous sommes bornés à quatre exemples, qui nous paraissent particulièrement incontestables. Le premier 297 reproduit trait pour trait la série des trois images divines exécutées par Scopas pour Samothrace.; il est emprunté à Corinthe, la ville où la légende fait offrir par Médée un sacrifice à Déméter et aux Nymphes Lemniennes, soeurs des Cabires 27a. Le second est le résume' du culte national de Thèbes de Béotie, tel qu'il a été établi par Ottfried Miiller' ; on pourrait le compléter en rappelant les trois images d'Aphrodite dédiées par Harmonie 28°, la soeur des héros fondateurs du culte de Samothrace et l'épouse de Cadmos, car leur nombre rappelle celui des nymphes cabiriques ; nous renvoyons à l'article CAnnus pour l'indication des rapports étroits qui existent entre le héros thébain, sous certains de ses aspects, et l'Hermès Cadmos ou Cadmilos. Le troisième exemple, enfin, est emprunté au culte spécial du prytanée d'Olympie 231 considéré comme le lien entre la religion de l'Élide el celle des Grecs de la Libye. Le quatrième enfin2' nous ramène en Béotie, à Potniae, rattachant les cultes de ce pays et l'adoration de Déméter et de Coré à la religion de Dodone par une pratique superstitieuse et faisant des deux dieux associés à la déesse, dédoublée cette fois en mère et en fille, Zeus et Dionysos, suivant une des traductions les plus admises des deux Cabires mâles de Samothrace. Axiokersos. Casmïlos. A l'article HEBMAE il sera question de l'ingénieuse théorie de Gerhard, qui ramène à la notion des divinités cabiriques de Samothrace, et en général des Pélasges, la représentation hiératique de certaines divinités sous la forme d'un hermès quadrangulaire surmonté d'une tête. VII. L'étroite parenté des cultes cabiriques de la Il. Grèce propre avec la religion de Samothrace nous a conduit à en placer l'étude immédiatement après. Mais il nous faut maintenant revenir au nord pour dire quelques mots du Cabire de Thessalonique eu Macédoine Ce Cabire est adoré seul 283. Les monnaies de Thessalonique nous offrent fréquemment son image (fig. 910) sous 9 CAB 770 CAB les traits d'un jeune homme, vêtu de la courte tunique de l'ouvrier, que les monuments de l'art donnent habituellement à Héphaestos [VULCANUS], tenant d'une main un marteau de forgeron et de l'autre nAs281, expression du double caractère que nous avons constaté chez les Cabires de Lemnos. Néron a fait représenter sur des monnaies de la même ville "85 sa tête en Nouveau Cabine, le front ceint de la bandelette de pourpre des initiés de Samothrace et le marteau sur l'épaule (fig. 911). Sur d'autres pièces, le Cahire, de très-petite dimension,estporté sur la main de la Mère cabirique assise et munie de la corne d'abondance 238. La numismatique de Thessalonique nous apprend également qu'on célébrait dans cette ville des jeux appelés simplement Kabdipta2g' ou KxdEtptx HGAta28s La figure du Cabire de Thessalonique, sur une monnaie romaine de Claude le Gothique 289, fait allusion à la délivrance de cette ville, assiégée par les Goths 290 Mais pourquoi l'adoration d'un seul Cahire, au lieu de deux ou de trois ? Julius Firmicus Maternus 291 va nous l'apprendre, en introduisant dans le cycle cabirique un mythe que nous n'y avons pas encore vu, un mythe exactement semblable 292 à celui de la mort de ZAGREUS, et qui se racontait également des CORYBANTES : In sacris Corybantuns parricidiusn colitur; Nam unes frater a duobus interemptus est, et ne quod indicium fraternae mords aperiret, sub radicibus Olympi montis a parricidis fratribus consecrater Hic est Cabires cui Thessalonicenses quondam cruento cruentis lnanibus supplicarunt. Clément d'Alexandrie 293 fait le même récit et ajoute à nos connaissances celle du nom spécial des ministres des mystères du Cabire mis à mort par ses frères. « Veux-tu assister en épopte aux mystères des Corybantes ? Les Corybantes étaient trois frères ; l'un d'eux fut tué par les deux autres : ceux-ci, ayant enveloppé la tête du mort dans une étoffe de pourpre (potvtxiit), la transportèrent sur un bouclier de bronze pour l'ensevelir au pied du mont Olympe, après l'avoir couronnée... Les prêtres du mystère, que l'on appelle Anactotélestes (âv2xTOTE),É6r«1), défendent de servir sur la table des pieds de céleri (cÉatvov), parce que, disentils, cette plante est née du sang du Corybante assassiné, répandu à terre 294... Appelez les Corybantes Cabires, et vous avez le mystère cabirique. Les Cahires ont aussi tué leur frère ; mais, cette fois, ce n'est pas la tête, c'est le phallus de Dionysos qu'ils recueillent dans une ciste. Commerçants d'un nouveau genre, ils emportent en Tyrrhénie cette précieuse marchandise, et là ces fugitifs ouvrent une école respectable de religion, enseignant aux Tyrrhéniens à adorer un phallus dans une corbeille. » Dans ce récit, le titre des Anactotélestes nous remet en présence du nom d''AvxxTEu, que nous connaissons déjà comme appliqué aux Cabires et aux Dioscures ; et l'appellation de Dionysos donnée au Cabire tué par ses frères précise la parenté du mythe avec celui de Zagreus, en même temps qu'elle rappelle une des traductions admises pour le Casmilos de Samothrace. Un des hymnes orphiques, le xxxix', est adressé au jeune (lieu tué par ses frères ; il y est appelé « le Curète nocturne (Koûpr,Tz vuxTEptvov) », a le Corybante qui erre dans les déserts (KopGbnn,x Épggâ,Taxvov) », c'est toujours la même confusion syncrétique, que nous avons déjà signalée, entre ces personnages et les Cabires, et l'on ajoute que Déméter, changeant sa forme, en a fait le serpent qui garde son temple. Il n'est pas impossible que cette histoire ait été admise dans le culte mystique de Lemnos. Ceci nous expliquerait, en effet, comment les Cahires de cette île sont tantôt trois, et tantôt deux ; et le Cabiros dont Pindare 29' fait le premier mortel suivant les Lemniens, apparaîtrait ainsi comme le troisième frère, le frère mis à mort, à côté d'Alcon et d'Eurymédon. Nous tendons à rapporter l'origine des Cahires à l'Asie Mineure et en particulier à la religion de l'Ida. Dans la religion phrygienne le mythe de la mutilation d'Attys [CYBELE] est celui qui correspond dans une certaine mesure au meurtre de ZAGREUS, et l'histoire du Cahire mis à mort, telle que la raconte Clément d'Alexandrie, tient à la fois de celle d'Attys et de celle de Zagreus. Il l'a si bien compris lui-même qu'il ajoute, après l'avoir narrée : « Ce n'est donc pas sans raison que quelques-uns voudraient qu'on donnât le nom d'Attys à Dionysos, après sa mutilation. » VIII. La Tyrrhénie, où est portée la ciste contenant le phallus du jeune dieu tué par ses frères, était peut-être à l'origine, comme le pense Preller 298, dans le mythe du Cabire de Thessalonique, le pays des Pélasges Tyrrhéniens de la Chalcidique et des îles de Lemnos et d'Imbros. Mais plus tard on l'entendait certainement comme l'Étrurie, à cause du développement qu'avaient pris les mystères cabiriques dans ce pays. Les Pélasges Tyrrhéniens de l'Italie paraissent y avoir apporté avec eux, dès l'époque reculée de leur établissement dans cette contrée, la notion des dieux Cabires qu'un autre rameau de leur race adorait dans les îles de la mer de Thrace 297. C'est à eux spécialement que Denys d'Halicarnasse 298 attribue l'usage de consacrer à Zeus, à Apollon et aux Cabires la dîme des récoltes. On signale formellement chez eux le culte de l'Hermès Cadmos 299 ou Casmilos 300. Ce sont eux, dit-on, qui appelaient les ministres des autels K1ibgtaot 301, d'où vint le latin cAMILLUS 302. Quoi qu'il en soit de ces origines, il est certain que vers la seconde moitié du ive siècle avant l'ère chrétienne et le m' siècle avant l'ère chrétienne, à l'époque où ont été fabriqués la plupart des miroirs étrusques à sujets gravés [sPEcULuM], une influence venue de la Macédoine CAB 771 e CAB ou des îles de la Thrace (et dont il est difficile (le resti1° Les trois frères divins dans une association paisible et tuer historiquement l'origine et la marche) avait répandu amicale 303 (fig. 918). dans toute l'Étrurie, comme une sorte de mode, les thia ses où se célébraient des mystères en l'honneur du Ca bire tué par ses frères. Une part notable des sujets repré sentés sur cette classe de monuments ont trait à ce mythe, i '° dont ils retracent toutes les phases 6°3. C'est un cycle complet, qui s'enchaîne d'une manière des plus remarquables et qui fait suivre la fable dans les différentes parties de son développement d'une manière bien plus complète que les récits écourtés de Firmicus Maternus et de Clément d'Alexandrie. Voici d'abord un miroir (fig. 912) qui représente la scène du meurtre sous sa forme la plus antique 30i. Les deux Cabires meurtriers sont barbus, ailés, et ont le front ceint de la bandelette de pourpre des initiés de Samothrace, identique à la uotvtzlg dont les Corybantes enveloppent la tête coupée de leur frère. Leur victime, qu'ils se préparent à déchirer, est plus jeune et imberbe. Sur ce monument on n'aperçoit encore aucune trace de l'identification des Cabires aux Dioscures. C'est un signe d'antériorité sur la plupart des autres miroirs relatifs au même cycle mystique, où les trois Cabires sont, au contraire, représentés (ou du moins les deux meurtriers) avec le type, le costume et les attributs habituels des Tyndarides [nloscrnil, quelquefois même avec leurs noms ; nous venons de voir qu'il en était de même dans les monuments de la Grèce postérieurs aux temps macédoniens. Il est impossible d'énumérer ici, ni d'étudier en détail toutes les variantes de sujets des miroirs étrusques à sujets cabiriques dont les compositions ont pour première base l'identification plastique des Cabires et des Dioscures. Nous nous bornerons donc à placer sous les yeux du lecteur un spécimen, choisi parmi les plus clairs et les mieux caractérisés, de chacune des classes de représentations de cet ordre de sujets. Ils suivront ainsi toutes les phases du mythe : 2° Le meurtre du jeune dieu par ses frères 306 (fig. 914). Les deux meurtriers portent les noms classiques des Dioscu res, Kastler( (Castor) et Pulutuke (Pollux) le frère qu'ils attaquent et vont déchirer s'appelle Chalaeliasu, nom qui semble d'origine grecque et qu'il faut sans doute rapprocher du mot )(cil , désignant une fleur de couleur pourprée ou une bandelette de pourpre comme celle des mystères cabiriques. La scène se passe entre Minerve armée et Tic«, Vénus, qui tient ouverte la ciste où sera déposé le phallus du Cabire mis à mort. 3° La résurrection du Cabire mort par Hermès, qui le touche de sa verge magique 307 (fig. 915). Le mort est couché sur le bouclier de bronze où, dans le récit de Clément, les Corybantes placent la tête de leur frère ; les deux Satyres placés aux côtés d'Hermès paraissent remplacer les Cabires meurtriers. 4° Théogamie du troisième Cabire ressuscité 603 (fig. 916). La stéphané et le sceptre surmonté d'une grenade, donnés à la fiancée mystique, établissent une étroite parenté entre le groupe des deux époux et le couple de Dionysos et de Coré-Libera dans les mystères de la Grande-Grèce CAB -772[eACemis, sect. xvtl. Les deux autres Cabires, représentés commeles Dioscures, se tiennent de chaque côté du groupe. L'implantation des mystères cabiriques en Étrurie, attestée par ces monuments, et l'habitude prise d'y représenter les Cabires sous la forme des Dioscures, eut une large part à la naissance de la croyance romaine d'après laquelle le Palladium et les Dioscures-Pénates auraient été les divinités de Samothrace, portées à Troie par Dardanos, puis transférées en Italie par Énée après la chute de Troie. Nous avons déjà signalé, dans ses rapports avec la hiérarchie divine et les mystères de Samos thrace [sect. Iv et vi, cette croyance, intimement liée à la fable de l'émigration d'Énée [AENEAS] ; il en sera parlé aux IX. Les antiquités orientales sont hors du plan de ce dictionnaire ; mais il a été tant question, dans les travaux d'un grand nombre d'érudits, des Cabires de la Phé CAB nicie à propos des Cabires de Lemnos et de Samothrace, qu'il est impossible de n'en pas dire ici quelques mots. On sait qu'autant que possible les Grecs s'étudièrent à identifier à leurs propres dieux ceux des religions indigènes de l'Égypte et de l'Asie, quand ils en eurent connaissance. Des raisons diverses déterminèrent ces identifications, qui ne se firent jamais d'après un système vraiment scientifique ni d'après des règles fixes; tantôt on fut guidé par une ressemblance réelle de nature et de conception, tantôt par une analogie plus ou moins lointaine de type de représentations et par une certaine communauté d'attributs dans Ies oeuvres de l'art ; tantôt enfin l'on se conforma à l'assonnance fortuite des nones, malgré la différence de leurs origines, que les Grecs n'étaient pas en état d'apprécier, en l'absence d'études philologiques. Une des plus frappantes et des plus complètes parmi ces assonnances était sans contredit celle qu'offraient les deux noms des Kabzi'im adorés par les Phéniciens et des 1e«6etpot des Pélasges ; et ce qui venait encore la rendre plus séduisante, c'est que Kabi'rim signifiait « les Forts, les Puissants », ce qui correspondait à la qualification de 0E01 w,cYâaot, èuva.coi, icyupoi, si souvent donnée, comme nous l'avons vu, aux Cabires de Samothrace et à ceux de Lemnos. L'assimilation des Kabirim de la Phénicie aux Cabires pélasgiques, et en particulier à ceux de Samothrace, telle que nous la trouvons chez des écrivains d'assez basse époque, comme Philon de Byblos 308 et Damascius 310, devait donc se produire presque nécessairement et n'a rien qui doive nous surprendre. Mais c'est là une assimilation artificielle, tenant à un rapprochement tout extérieur, et dont on n'aperçoit aucune trace avant Alexandre. Malgré l'assonnance des noms, les Kabirim phéniciens sont si différents, comme nombre, comme caractère essentiel, comme rôle et comme attributions, des Cabires pélasgiques, qu'il est impossible de suivre les savants qui ont soutenu leur identité réelle et qui ont prétendu ramener les dieux de Samothrace et de Lemnos à la source phénicienne. Les Itabi'rim sont au nombre de huit 311. Personnifications cosmiques et sidérales, ils sont les sept planètes avec le monde formé de leur assemblage 312 et on leur donne pour père Sydyq, « le juste, le droit » 313 dieu qui personnifie la règle invariable présidant à l'univers et à ses mouvements. Ils naissent de ce dieu et des sept Titanides 316, qui sont les étoiles de la Petite Ourse ; celle dont naît le huitième des Cabires, personnifiant l'ensemble du monde sidéral, parait être l'étoile polaire 315, que les Phéniciens observaient et prenaient pour guide dans leurs navigations, à tel point que chez les Grecs elle fut d'abord appelé cDotvlxil 316. Ce Cabire plus compréhensif, et supérieur à tous les autres, s'appelle Esclamoun, c'est-àdire « le huitième » 3 7 ; c'est un des dieux les plus importants de la Phénicie, dieu qui présente un triple caractère uranique, cosmique et médical. Les Cabires passaient, en effet, pour avoir découvert les remèdes de la médecine 378, et par suite le plus important d'entre eux fut souvent assimilé par les Grecs à Asclépios 919, avec lequel il avait en commun le symbole du serpent, Cet attribut appartient, en effet, dans la symbolique de l'Asie, à toutes CAB 773 -CAB les divinités sidérales et planétaires ; il exprime la notion de la marche sinueuse et orbiculaire des planètes 320. Un bas-relief punique, découvert en Algérie 327, offre une image d'Eschmoun (fig. 917), qui avait un temple dans la citadelle de Carthage 322 ; le dieu y est debout, ayant deux étoiles des deux côtés de sa tète et auprès de lui un serpent. Ce serpent est aussi l'animal de Taaut323, dieu avec lequel Eschmoun avait beaucoup d'analogie et que les généalogies divines des Phéniciens 32¢ faisaient fils de Misor (la règle personnifiée), frère de Sydyq. En tant que représentant le ciel étoilé, Eschmoun était regardé comme le plus beau des dieux. On racontait à son sujet une légende, qui n'était autre qu'une des innombrables variations de la donnée du dieu mourant périodiquement ou soumis à l'éviration, donnée essentielle dans les religions asiatiques et qui s'y répète toujours, sous tant de formes diverses. Nous avons vu plus haut cette notion s'introduire en Macédoine et en Étrurie dans le mythe des Cabires pélasgiques, quand on en admet un troisième, mis à mort par ses frères ; nous avons vu aussi que cette particularité pouvait tenir au fond même de la religion cahirique et avoir été apportée d'Asie Mineure avec ces dieux mêmes. Mais on pourrait aussi, sans trop d'invraisemblance, la tenir pour d'origine phénicienne, comme la fable de la mort de zACREUS, et y voir une addition au mythe primitif, résultant d'une première assimilation des Cabires des îles de la mer de Thrace aux Kabirim des Phéniciens. Quoi qu'il en soit, la fable locale de Béryte de Phénicie, telle que nous l'a conservée Damascius 325, était la suivante. Astronomé (Astar Naamah), mère des dieux, était devenue amoureuse d'Eschmoun, le plus beau des dieux, compagnon de ses chasses, et celui-ci ne répondait pas à sa passion ; poursuivi par la déesse, il se mutila volontairement. Mais Astronomé, se précipitant sur son corps, le réchauffa et le ramena à la vie. Les huit Kabirim passaient aussi pour avoir inventé l'art de la navigation 326 et cela en leur qualité de dieux planétaires, d'après la donnée d'origine égyptienne, admise aussi par les Phéniciens, qui voulait que ce fût dans des barques, et sur un océan céleste, que les astres accomplissent leurs trajets périodiques 327 A ces faits se réduit ce que nous savons de positif sur les Cabires de la Phénicie. Quelques érudits 3'8 ont, il est vrai, ajouté, pour établir une parenté étroite entre eux et les Cabires de Lemnos et de Samothrace, que leur père Sydyq était l'Héphaestos de la Phénicie, qu'on les tenait pour des démiurges en sous-oeuvre, enfin que, par suite, on les représentait sur les monuments de l'art tenant le marteau à la main, comme des dieux forgerons. Rien de tout cela n'est exact et ne trouve une justification sérieuse, ni littéraire, ni plastique ; ce sont de pures illusions résultant de la préoccupation d'une idée préconçue. Une monnaie de bronze de Béryte, à la tête de l'empereur Elagabale 329, nous montre les images des Cabires phéniciens, au nombre de huit, conformément aux anciennes traditions nationales, avec un navire, qui fait allusion à I'invention qu'on leur attribuait (fig. 918) ; on disait, en effet, que la souveraineté de Béryte leur avait été donnée 330. La monnaie que nous plaçons sous les yeux du lecteur est, du reste, le seul monument qui représente les Kabirim d'une manière conforme à la donnée indigène phénicienne. Toutes les autres pièces de Béryte 334 et de Tripolis 332, frappées à la fin de la domination des Séleucides et sous les Romains, substituent la figure des deux Dioscures-Cabires de la Grèce à celle des huit dieux phéniciens, et mettent ces deux Dioscures-Cabires avec Astarté dans un rapport pareil à celui où nous les avons vus dans l'Hellade propre avec Déméter a5 [sect. v1]. C'est le culte grec qui prend complétement la place du culte chananéen dont on l'a d'abord rapproché ; et jusqu'à présent rien n'indique qu'une donnée quelconque de l'ancienne religion de la Phénicie autorisât cette réduction, toute grecque, des huit Cabires à deux. Pellerin 334 et Eckhel 333 ont attribué à Tripolis de Phénicie le tétradrachme 333 dont nous plaçons ici le dessin (fig. 919) ; on y voit d'un côté la tête de Déméter, de l'autre les deux Dioscures debout avec l'inscription OESSN KABEIPLSN i-YP1.CnN. A cette monnaie se rattache toute une série de pièces de cuivre de l'époque impériale où la flatterie a assimilé divers empereurs et leurs femmes à ces Kâèetpot Iuptot 337. Mais l'attribution de toutes ces pièces est fort douteuse, car Sestini 33A, avec plus de raison peut-être, veut les reporter à l'île de Syros dans l'Archipel. Si cette dernière attribution, qui, elle aussi, a besoin de confirmation, était définitivement reconnue CAC -774CAC pour juste, le tétradrachme en question devrait être groupé avec les monuments énumérés dans la section vi et relatifs au culte des Dioscures-Cabires en Grèce, ainsi qu'à leur association à Déméter. En tous cas, même avec le caractère incertain qu'il présente encore, il ne pouvait être passé sous silence dans cet article. Hérodote, ayant vu à Memphis des images de dieux fils de Phtah, le personnage du panthéon égyptien que l'on assimilait à Héphaestos [yc evçus], les qualifie de Cabires par un rapprochement avec ceux de Lemnos. Il est même curieux de noter que de son temps on pensait encore si peu à identifier les Cabires fils d'Béphaestos aux Kabir'irn de la Phénicie, qu'il ne nomme même pas ces derniers ; et pourtant il compare le type de représentation de ses prétendus Cabires égyptiens 340 à celui de dieux phéniciens, des Patèques, que quelques érudits ont confondus à tort avec les Kabir'irrl, et qui en étaient tout à fait différents'''. Les Patraques étaient des dieux représentés sous la forme de nains grotesques, dont les Phéniciens plaçaient les images sur leurs navires à titre de protecteurs. F. LEVORMAST,