Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article ADOPTIO

ADOPTIO. L'adoption était, dans la constitution de la famille antique, une ressource offerte par la religion et les lois à celui qui n'avait pas d'héritier naturel afin de perpétuer sa descendance, et par là d'assurer la continuité du culte domestique et la transmission des biens. Toutes les règles de l'adoption chez les Grecs et chez les Romains découlèrent, en effet, de ce principe, qu'il ne faut pas que la famille s'éteigne, et avec elle son foyer et sa religion [FASIILIA,FOCUS].Les biens en étaient à l'origine inséparables 1. L'étranger qui entrait dans la famille par l'adoption devait hériter du patrimoine, comme il devait continuer le culte. L'un et l'autre n'appartenaient pour ainsi dire pas à luimême : c'était comme un dépôt qui lui venait des ancêtres et qu'il devait transmettre à la postérité 1. Chez les Grecs. L'adoption est appelée aofs 1g, eeatç; le fils adoptif, 7ro171rôç, Os' éç, par opposition au fils issu du mariage, yvisatoç. 'ExaotE e0cet signifie donner en adoption, ADO 76 ADO slsnots?ctat ou simplement notsCatat, recevoir en adoption, et sianotrtir,vat, notr,Artvat, être adopté. Cette traduction n'est encore qu'approximative : dans leur sens le plus précis, les mots 7to(riatç et autres, que nous venons de citer, impliquent une idée plus générale que celle d'adoption, et s'appliquent à tout acte par lequel on peut se donner un fils, par exemple, à la légitimation aussi bien qu'à l'adoption proprement dite '. A Rhodes, à Corcyre et dans d'autres républiques grecques, l'adoption s'appelait vioOsaia «les inscriptions portent souvent LioOzaLet). « L'adoption, dit l'orateur Isée 5, est en usage chez tous les peuples, et tous, tant Grecs que Barbares, ont reconnu l'excellence de cette institution. o La loi d'Athènes, en particulier, donnait à l'adoption une importance considérable : elle attachait un intérêt à la fois politique et religieux à la conservation des familles; chaque maison avait ses divinités domestiques dont le culte était abandonné quand la famille venait à s'éteindre, et cette belle pensée de Platon6, que chaque homme doit en mourant laisser à Dieu des enfants pour le servir et l'adorer à sa place, n'était que l'expression d'un sentiment populaire. De plus, la cité athénienne n'étant qu'une association de familles, aucune famille ne pouvait disparaître sans que l'organisation sociale fût altérée ; c'est ce que l'archonte avait mission de prévenir : Que l'archonte veille et pourvoie, disait la loi, aux maisons abandonnées 7, et pour cela il devait, comme nous l'expliquerons tout à l'heure, attribuer un enfant adoptif à celui qui ne laissait pas d'héritier pour représenter sa personne et porter son nom. Or, s'il importait à chacun de laisser un héritier qui continuât sa personne, d'un autre côté la loi n'admettait pas qu'on pût avoir d'autres héritiers que ses parents légitimes, en sorte qu'on ne pouvait se donner un successeur qu'en l'introduisant par l'adoption dans sa famille. Aussi les Grecs n'ont-ils qu'un mot, rot,trdç, pour désigner soit le fils adoptif, soit l'héritier institué; ils emploient les expressions stanotsïcbat, adopter, et StaTiho-Oxt, tester, comme synonymes, et appliquent le mot ânatc à l'homme mort ab intestat comme à celui qui meurt sans enfants 6. L'adoption est donc, chez les Grecs, la forme nécessaire que doit revêtir toute disposition de biens à titre universel : ainsi, à côté de l'intérêt religieux, elle présente un grave intérêt pécuniaire, et sa double origine explique bien des règles tout à fait incompatibles avec nos idées modernes, par exemple qu'on puisse adopter pour partie ou révoquer une adoption consommée, que l'adopté puisse et doive épouser la fille de l'adoptant, etc. Le principe du droit romain et des lois modernes, que l'adoption doit imiter la nature, est tout à fait étranger à la législation grecque. Les conditions nécessaires pour qu'une adoption soit valable se résument dans la capacité des parties et dans l'observation des formes qui peuvent être exigées par la loi. Quant à la capacité, elle doit naturellement être la même que pour les testaments [TESTAMENTUM] : il faut d'abord avoir la jouissance générale des droits civils, c'est-àdire être citoyen d'Athènes. On ne fait d'ailleurs aucune distinction entre les citoyens d'origine et les citoyens na turalisés. Cette dernière proposition a été, il est vrai, contestée : on s'est fondé sur un passage de Démosthène, où l'orateur équivoque sur le sens des mots ôaot g irenoi7lvro, qu'il traduit ainsi : « Tous ceux qui n'ont pas été faits citoyens, qui ne sont pas i g.o7cotr,roi ; » mais un autre texte de Démosthène 10 prouve que l'interprétation présentée dans le premier passage est entachée de mauvaise foi et que les mots osot i7ts7.oi7jvzo signifient : «Tous ceux qui ne sont pas eux-mêmes enfants adoptifs...» La privation partielle des droits civils résultant de l'infa mie [ATIMIA] n'implique pas incapacité Cette première condition suffit en général du côté de l'adopté : on n'exige rien, quant à lui, ni pour l'âge ni pour le sexe; ainsi l'on peut adopter une femme (Ou.ta-rpo7to et)", et l'adoption en ce cas, perdant son caractère politique, ne conserve plus que celui d'une disposition de biens. Pour adopter, au contraire, il fallait être mâle et majeur c'est-à-dire âgé de dix-huit ans. Il fallait avoir le plein usage de ses facultés intellectuelles 1$ : un simple soupçon de captation suffisait souvent, comme on le voit par les orateurs attiques, pour attaquer et renverser les volontés d'un défunt''. Il fallait être sans enfants ou, si l'on en avait, les retrancher de sa famille en abdiquant sa puissance paternelle [APoxERYXIS] ; tant qu'ils restaient dans la famille, ils avaient, sur la succession future de leur père, un droit exclusif qui ne permettait point l'adoption d'un étranger; en effet, la loi grecque n'admettait pas qu'on pût avoir d'autre héritier que ses enfants, et, de même qu'on ne pouvait attribuer son héritage à un étranger qu'en le revêtant par l'adoption de la qualité de fils, on ne pouvait aussi priver son fils de sa succession qu'en le dépouillant de cette qualité par l'apokeryxis. Cependant l'adoption accomplie entre vifs n'était pas annulée par la survenance d'enfants légitimes à l'adoptant; la succession se partageait alors entre les enfants légitimes et les enfants adoptifs 17. Il était permis à celui qui n'avait que des filles, d'adopter un étranger, en le mariant ou le fiançant à sa fille 18; et à celui qui ne laissait que des enfants en bas âge, de leur substituer par testament un fils adoptif, pour le cas où ils viendraient à mourir avant leur majorité, et par conséquent avant d'avoir pu lester eux-mêmes ". Enfin, pour pouvoir adopter, il fallait n'être pas soi-même un enfant adoptif; et Démosthène Q0 en donne la raison : c'est que les volontés de l'adoptant seraient violées, si son patrimoine passait, par l'intermédiaire de l'adopté, à quelqu'un qu'il n'aurait pas lui-même choisi ; d'ailleurs il eût été impolitique de laisser les familles se continuer sans mariages par une série d'adoptions successives. Nous devons ajouter que : I° les comptables qui n'avaient pas rendu leurs comptes ne pouvaient ni adopter, ni être adoptés. Leurs biens étaient affectés d'un droit de gage au profit de l'État et ils n'en avaient pas la libre disposition; or, d'une part, l'adopté acquérait un droit de succession sur les biens de l'adoptant; d'autre part, par l'effet de l'adoption, les biens de l'adopté devenaient la propriété de l'adoptant; dans les deux cas, par conséquent, l'État eût été exposé à perdre son gage; 2° Les enfants de celui qui avait encouru une atimia complète ne pouvaient pas ADO 77 ADO être adoptés ; aussi arrivait-il fréquemment que les citoyens, qui étaient menacés d'une condamnation entraînant l'atimia, s'empressaient de donner leurs fils en adoption à d'autres citoyens 91. Le décret de condamnation voté contre Archéptolème et Antiphon décide même que, si, malgré cette dernière prohibition, quelque citoyen adopte l'un des enfants dés condamnés, il sera lui-même frappé d'atirnia; mais il est permis de croire que cette aggravation de sévérité était exceptionnelle, et que, dans les cas ordinaires, la sanction de la loi était seulement la nullité de l'adoption. Nous avons dit plus haut que l'impubère pouvait être adopté. Ne devait-on pas obtenir alors le consentement de son père ou de son avonos? La négative, soutenue par M. Van den Es 22, nous paraît inadmissible. Comment l'adoptant, par sa seule volonté, aurait-il pu faire sortir l'enfant de sa famille naturelle? Aussi nous voyons dans Isée2? que Ménéclès n'osa pas demander à son frère de lui donner en adoption son enfant ; il s'attendait à un refus de la part du père, qui, en adhérant à la proposition, se serait lui-même privé de successeur. Quant à l'adopté majeur, il n'avait besoin d'aucune autorisation. Quelquefois, il est vrai, l'adoptant demande aux parents de l'adopté la permission d'adopter leur fils 2`' ; mais il ne faut voir, dans cette démarche, qu'un acte de courtoisie, et non pas l'accomplissement d'une obligation juridique. La loi n'exigeait pour l'adoption aucune forme solennelle, et celles dont on avait coutume de l'entourer n'étaient prescrites que par la tradition et les moeurs". L'adoption se faisait soit par acte entre-vifs, soit par acte testamentaire (xa-râ lé iv 7roteiaOat) et de manière à ne produire d'effet qu'à la mort du père adoptif. Au premier cas, l'adoptant réunissait, le jour de la fête des Thargélies, ses proches, les membres de sa phratrie [PIRATBIA], et, après un sacrifice commun (p.eiov) offert au dieu de la tribu (Zoàç ê ppârptoç), il présentait (ela«ysty) l'adopté, en jurant sur l'autel qu'il était citoyen d'Athènes et adopté conformément aux lois; ensuite les assistants votaient (é4 i ov7o) sur l'adoption, et l'adopté, si le résultat du scrutin lui était favorable, était inscrit, comme fils de l'adoptant, sur le registre de la phratrie d'abord, puis plus tard, avec des formalités moins solennelles, sur les registres du dème de son père adoptif ces solennités comme un usage particulier à certaines familles (kid ê'n oiç vdp.oç ê câ éç, etc.), et, bien qu'elles fussent assez généralement observées, il ne faudrait point les considérer comme essentielles àl'adoption ; elles étaient seulement utiles pour la prémunir contre les actions en nullité, en l'entourant de l'adhésion de tous ceux qui pouvaient avoir intérêt à l'attaquer 28. Si l'on ne voulait pas donner d'effet à l'adoption de son vivant, on pouvait la faire sous forme de disposition testamentaire; ici encore, il était d'usage d'appeler, comme témoins du testament, ses parents et ses proches ; mais ce n'était pas là une formalité de rigueur, le testament fait sans l'assistance d'aucun membre de la famille n'était point nul pour cela, seulement il était exposé à plus de chances d'attaque et de rescision Y9. L'adoptant pouvait par testament adopter non seulement un enfant simplement conçu, mais même un enfant qui était encore dans le néant. Ainsi le père qui n'avait que des filles adoptait quelquefois par acte de dernière volonté le fils qui naîtrait de l'une de ses filles, en appelant ce petit-fils, très-incertain, à continuer sa personne. L'adoption pouvait avoir lieu même après la mort de l'adoptant : si quelqu'un mourait sans laisser de postérité, le parent le plus proche devait, par une adoption posthume, donner un de ses enfants pour fils adoptif au défunt, afin que son nom ne s'éteignît pas, que sa maison, sa tombe et l'autel de ses dieux ne fussent pas abandonnés 30. L'archonte éponyme [Ancaox] était chargé de faire exécuter la loi par les parents récalcitrants. Pour l'adoption dans le cas où le défunt ne laissait que des filles, nous renvoyons aux articles MAT RIMONIUM, succxSSIO. Dans le cas d'adoption testamentaire et dans le cas d'adoption après la mort de l'adoptant, il y avait encore inscription sur les registres de la phratrie et du dème. Seulement, l'inscription était alors requise par l'adopté luimême, ou, s'il était mineur, par son xxruos. Lorsque des contestations surgissaient, elles étaient jugées par les tribunaux ordinaires. Nous arrivons aux effets de l'adoption, Ils se réfèrent soit au droit privé, soit au droit public et religieux. Relativement au droit privé, il y a d'abord pour l'adopté changement de famille, mais seulement quant à la branche paternelle : les liens civils qui unissaient l'adopté à son père et aux parents de son père, sont rompus; mais il conserve tous ses droits dans sa famille maternelle : nul ne peut sortir par l'adoption de la famille de sa mère (µ21rpèç oêêe(s Écrin xiroir,7oç) "Al devient héritier légitime et nécessaire de l'adoptant, et cette qualité d'héritier, bien plus étendue qu'à Rome ou dans les législations modernes [HURES], implique la continuation la plus complète de la personne du défunt : ainsi l'adopté acquiert, comme éléments de l'hérédité (sûi poç), non-seulement le patrimoine (ova(a), mais encore le nom du défunt, tous ses droits de parenté, ses de même qu'il succède à son atimian; si l'adoptant laisse une fille, elle est aussi considérée comme faisant en quelque sorte partie de la succession [EPIKLEROS], et l'adopté est, en conséquence, tenu de la pourvoir, soit en la dotant, soit en l'épousant lui-même [succEsslo]; par la même raison, c'est à lui qu'incombe la tutelle des enfants mineurs nés après l'adoption et laissés par l'adoptant 33; enfin, parmi les charges de l'hérédité, il faut comprendre l'obligation de pourvoir aux funérailles du défunt et d'accomplir tous les devoirs religieux envers ses mânes (râ vo od é. ;revu). Il faut remarquer enfin que l'adoption peut être partielle, c'est-à-dire qu'on peut instituer quelqu'un héritier, ou, en d'autres termes, l'adopter pour une quote-part de son patrimoine, le surplus demeurant aux héritiers ab intestat"; mais un simple legs à titre particulier ne suffirait pas pour constituer une adoption, car le légataire particulier ne continue pas la personne du défunt. Nous venons de voir que, si l'adopté acquérait dans la famille de son père adoptif tous les droits qui auraient appartenu à l'enfant né en mariage, il perdait, d'un autre ADO --78ADO côté, tous les droits dont il jouissait précédemment dans sa famille naturelle°. Les effets de l'adoption ne sont pas irrévocables; les Grecs n'avaient point admis que cette parenté civile dût, pour imiter la parenté naturelle, être indissoluble comme elle. L'adoption peut être rompue, non-seulement du consentement des deux parties, comme un contrat ordinaire, mais encore par la seule volonté de l'une d'elles : d'abord, par la volonté de l'adoptant, qui peut, si l'adoption s'est faite par testament, révoquer ce testament et, si elle a eu lieu entre-vifs, abdiquer sa puissance paternelle; enfin par la volonté de l'adopté, qui peut retourner dans sa famille naturelle à la seule condition de laisser des enfants issus de lui dans sa famille adoptive 36 Il est évident que, dans ce dernier cas, l'adopté ne pouvait pas conserver, non plus que dans les premiers, les avanta ges que l'adoption lui avait promis. Démosthène prétend, cependant, que la pratique athénienne était en sens contraire 37. Mais il ne faut voir dans son affirmation qu'un argument (le plaideur aux abois, et les tribunaux n'en tinrent aucun compte 3R. P. GIDE. E. CAILLEMEn. II. Chez les Romains. L'adoption, dans le sens large du mot, qui comprend 1'ADROGATIO d'une personne sui jurés et l'adoption proprement dite d'une personne alieni juris, est l'acte par lequel un père de famille introduit volontàirement un étranger, extraneus, cognat ou non, sous sa puissance paternelle et au rang de ses enfants. L'adopté devient membre de la famille de l'adoptant, et acquiert tous les droits d'héritier sien, d'agnat, de gentilis et de cognat [AGNAT', GENS, EAMILIA], tant que dure l'adoption; mais si elle est dissoute par l'émancipation, tous ces droits s'évanouissent, sans qu'il reste à l'adopté dans la famille adoptive, les droits que le préteur a réservés au sang sous les noms de possessions de biens onde liberi et unde cognati [JIERES]. Réciproquement, tant que dure l'adoption, l'adopté perd tous ses droits dans sa famille naturelle ; mais il y retrouve au moins ses droits de liber et de cognat, quand l'adoption est dissoute. Les dignités de l'adopté ne sont nullement atteintes par l'adoption : ainsi un sénateur adopté reste sénateur 34, L'adoption eut toujours une importance particulière dans les meurs romaines ; non-seulement les grandes familles tenaient, pour des motifs aristocratiques, à une institution qui soutenait leur perpétuité, mais tous les Romains y attachaient le plus grave intérêt religieux, afin que les sacra domestica et genti/ic a ne fussent pas interro mpus[sACRA]. En effet, l'adopté perdait toute participation à ceux de sa famille naturelle, tandis que toutes les choses sacrées de la famille adoptive lui devenaient communes. Il gardait seulement son prénom intact, mais à la place de ses noms de gens et de famille, il prenait ceux de la gens et de la famille adoptive, ajoutant seulement à la suite son an tien nom de famille comme surnom, avec la terminaison anus. Ainsi le fils de Paul-Émile, adopté par les Scipions, prit le nom de Publius Cornelius Scipio Aemilianus; Octave, après son adoption par César, se nomma C. Julius Caesar Octavianus. On voit que l'adoption entraînait toujours une minima tapins deminutio [CAPUT], même lorsqu'elle s'appliquait à une personne aliéné juris; car il perdait ses droits dans la famille qu'il quittait. La puissance paternelle [PATMA POTESTAS] étant particulière au peuple romain, l'adoptant et l'adopté devaient être citoyens; l'adoption d'un Latin était nulle, car elle aurait constitué un moyen détourné de lui donner le droit de cité. De même un affranchi ne pouvait être adopté que par son patron", car l'adoption par un étranger aurait fraudé ses droits; d'ailleurs l'adoption ne faisait pas d'un affranchi un ingénu. L'adoption d'un esclave par son maître ne le rendait pas non plus ingénu, mais elle lui conférait la liberté, puisqu'elle en faisait un fils de famille; telle était du moins l'opinion de Caton, suivant les Institutes de Justinien4l. Il en était de même pour l'esclave adopté par un étranger, du consentement de son maître ". L'esclave jouissait ici de plus de faveur que le Latin, puisqu'on pouvait adopter l'un et non l'autre; mais cette anomalie s'explique lorsqu'on songe que, par l'affranchissement, le maître pouvait toujours faire de son esclave un citoyen romain, tandis que les particuliers n'a. vaient en nulle occasion le droit de faire un citoyen d'un Les femmes ne pouvaient adopter, puisqu'elles n'avaient pas la puissance paternelle. Mais, en 291, Dioclétien et Maximien permirent à une femme d'adopter un fils de son mari (privignus) comme son fils légitime, autant qu'il en pouvait résulter d'effet civil entre elle et lui, pour la consoler des enfants qu'elle avait perdus °. L'impuissant (spado) pouvait adopter ", de même que le célibataire; Justinien seulement décida que le castrat ne le pouvait pas"1. L'adoption devait être évidemment consentie par l'adopté s'il était sui juris. On a douté de la nécessité de ce consentement pour le cas où l'adopté était alieni juris, et donné en adoption par son propre père. Cependant Justinien déclare que l'ancien droit permettait au fils de famille de s'y refuser 46. L'adoptant pouvait, à son choix, recevoir l'adopté comme fils ou comme petit-fils, et, dans ce dernier cas, tous les enfants du premier degré de l'adoptant devenaient les oncles de l'adopté, à moins qu'un d'entre eux n'eût consenti à lui tenir lieu de père; mais il fallait son consentement exprès, a afin qu'on ne lui imposàt pas malgré lui un héri tier sien 47. 11 L'adoptant pouvait à son tour redonner l'adopté en adoption à un tiers; il pouvait aussi l'émanciper; mais ADO 79 --ADO une fois sorti de sa puissance, l'adopté n'y pouvait plus rentrer par une adoption nouvelle n. II s'élevait une question dans l'ancien droit : l'adoptant devait-il être plus âgé que l'adopté, de façon à ce qu'il eût pu être son père? Dans l'adoption de Clodius par M. l'onteins on avait passé par-dessus cette condition, et l'adoptant était plus jeune que l'adopté. Cicéron s'en plaignit comme d'une violation du droit69. Du temps de Gaius 5° la question était encore controversée. Mais les jurisconsultes postérieurs, notamment Ulpien et Modestin, la décidèrent clans le sens de la nature, que l'adoption, selon les Romains, devait imiter, et voulurent que l'adoptant eût au moins une pleine puberté (plena pubertas), c'est-à-dire dix-huit ans de plus que l'adopté 51. Après ces observations applicables à l'adoption en général, à ses conditions et à ses conséquences, arrivons à l'acte lui-même et aux formalités qui le constituaient. A cet égard, on distinguait deux espèces d'adoption, suivant qu'il s'agissait des personnes sui ou alieni juris. L'adoption des personnes sua 'unis portait le nom particulier d'adrogation [ADROGATIO]. Nous allons parler ici de l'adoption proprement dite, dans laquelle le futur adopté est un fils de famille. Les formalités de l'adoption se décomposent en deux opérations successives : 1° faire sortir le fils de famille qu'on veut adopter de la puissance de son père naturel; '?° le faire entrer sous celle du père adoptif. Ces deux actes s'accomplissaient au moyen de fictions. Pour faire sortir l'adopté de la puissance de son père naturel, on procédait à peu près comme pour l'émancipation, c'est-à-dire qu'on profitait de la disposition de la loi des Douze Tables, suivant laquelle le fils mancipé trois fois et les autres enfants mancipés seulement une fois étaient libérés de la puissance paternelle [MANCIPATIO]. Le père naturel le mancipait clone, ordinairement, à l'adoptant lui-même. Les deux premières mancipations, s'il s'agissait d'un fils, étaient faites contracta ducia et suivies chacune d'un affranchissement. Mais après la troisième (ou après l'unique mancipation, s'il s'agissait de filles ou de petits-enfants) s'arrêtait la ressemblance avec l'émancipation ; l'enfant était libéré de la puissance paternelle de son ancien chef, et passait in mancipio relativement à son acquéreur, puis au père auquel celui-ci l'avait rémancipé. Il fallait qu'à ce mancipium succédât la puissance paternelle de l'adoptant. Au lieu d'affranchir encore, les parties se présentaient devant le magistrat (in jure), devant le préteur à Rome, ou le président en province, et l'adoptant montrant l'adopté disait : Aio hune hominem esse filium meum. C'était comme le commencement d'un procès; mais le père naturel ne contredisant pas, le procès n'allait pas plus loin, et il ne restait au magistrat qu'à prononcer l'addiction (addicere) de la propriété en faveur de celui qui s'en était prévalu. Cette procédure fictive, qui s'appliquait à toute sorte de déclarations d'état et de translations de propriété, s'appelait CESSJO IN JURE. C'est à cause d'elle qu'on a pu dire que cette adoption avait lieu par le pouvoir du magistrat (imperiomagistratus"). Justinien supprima ces formes compliquées; il suffit désor mais de la comparution et de la déclaration desparties devant le magistrat compétent, l'adopté présent et consentant 53 L'adoption ne produisait pas toujours des effets avantageux à l'adopté : l'adoptant pouvait l'exhéréder, l'émanciper, et dans ce dernier cas, comme nous l'avons dit, il perdait tous ses droits de succession dans sa famille adoptive, pour n'en retrouver que d'imparfaits dans sa famille naturelle. Le sénatus-consulte Sabinien, dans la vue de favoriser le développement de la population, avait essayé de remédier à cet inconvénient, en décidant que lorsqu'un père de trois fils en donnerait un en adoption, le père adoptif lui laisserait nécessairement au moins le quart de sa succession 54. Justinien alla plus loin : il détruisit en quelque sorte les effets de l'ancienne adoption, sauf pour le cas où l'adoptant serait un aïeul de l'adopté. Mais au cas où l'adoptant serait tin étranger, il décida que l'adopté resterait dans sa famille et sous la puissance de son père naturel, et que l'adoption lui conférerait seulement un droit à la succession ab intestat du père adoptif 55. Ce genre d'adoption a été nommé par les commentateurs adoptes minus plena. Une autre adoption imparfaite est celle que Dioclétien et Maximien ont permise, comme il a été dit, à des femmes, pour remplacer les enfants qu'elles auraient perdus. L'adoptante ne peut avoir ici de puissance paternelle sur l'adopté; mais celui-ci acquiert des droits de succession, et peut même au besoin intenter la querela ino f/iciosi testa menti 56. F. IIAUDRY.