Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article OCEÀNUS

OCEÀNUS US ('t2xaxvèç), OCEANH)ES ('G'z xsG ç, -iiEç, Aux yeux des Grecs, l'Océan n'est pas une nier (Qza«asx) ; c'est un fleuve (ao,ccu.dç) qui entoure circulairement la terre'. Comme tous les fleuves, il a un courante, mais un courant qui revient éternellement sur lui-mèrne (xédopoos)'. Cette conception, nous la trouvons traduite plastiquement sur le bouclier d'Achille : tout autour du bord, Héphaestos y avait tracé le fleuve Okéanos et, à l'intérieur, la terre, le ciel, la mer''. Comment a pu naitre cette croyance fabuleuse? Elle n'est pas sortie de l'imagination des Grecs primitifs, mais d'une observation physique, superficielle. C'est ce qu'explique très bien M. Ch. Ploix s : « L'observation pouvait facilement faire reconnaître que c'était l'eau tombée du ciel qui entretenait les sources et les rivières. Après des pluies abondantes, on voyait leur volume. augmenter... Mais d'où venaient ces nuées qui reparaissaient de temps à autre dans le ciel, qui ne se lassaient pas de pleuvoir °... II y avait donc quelque part un immense réservoir... Or, c'est à l'horizon que les nuages semblent na re et se développer.... II était donc naturel de supposer à l'horizon un grand réservoir plein de liquide. Les anciens croyaient, la terre ronde et plate le ciel couvert était pour eux une calotte hémisphérique, nuageuse, appuyée sur le bord de la circonférence terrestre. Donc, autour de 1a terre, toute une ceinture liquide, doit sortaient les nuages. lies Grecs appelèrent '2xoav6ç ce réservoir circulaire. Océan est 1a limite où-se touchent la terre et le ciel. Mais il est aussi le point de 'encontre de la terre et du monde souterrain. Quand Ulysse va consulter le devin Tirésias, son navire suit le cours de l'Océan « jusqu'à ce qu'il ait atteint le pays des morts' . Non moins fabuleuses que l'Océan lui-même sont les peuplades qui habitent ses bords. Au nord, vivent les Kinuuérieus, enveloppés de nuages et de brouillards éternels, et que le soleil ne visite jamais 7. A l'ouest et. e l'est, divisés en deux nations, s'étsndenl tes Ethiopiens, chez qui se rendent souvent les dieux pour prendre part à de splendides festins Au sud, est le peuple nain des Pygmées, en lutte constante avec les Grues'. Sur les bords de l'Océan, dans le voisinage de l'Hadès, Homère place encore la plaine Élysée 70 et le bois de Perséphone". Si l'Océan et la mer sont deux éléments distincts, ils ne sont pas cependant sans communication. Lorque Ulysse navigue vers l'Hadès, le poète, en effet, nous le inontre, d'abord, passant, des vagues de la mer dans le courant de l'Océan, puis inversement, à son retour ". La conception de l'Océan reste sensiblement la même chez Hésiode. Qu il suffise de rappeler le bouclier d'Héracles, où ce fleuve occupe la même place que sur celui d'Achille". De même qu'Ilomnère, Ilésiode peuple les rives de l'Océan d'êtres chimériques : les Gorgones les Hespérides ' ', Géryon, Eurytion ". Là sont aussi les demeures de la Nuit, d'1ladès, de Perséphoné, de Styx, des Hécatoncttires t'. 4 plusieurs reprises, le domicile de ces personnages est désigné par la périphrase Ttépw x)wzo"i '4zexvoïo, qui a été diversement. interprétée Toutefois, comme en l'un de ces passages le domicile ainsi indiqué est une île de I«Oeéan 10, il semble bien que par ces mots il faille entendre soit une fie, soit, plus généralement, tout ce qui s'étend au delà. du rivage continental de l'Océan; région vague et mystérieuse, qui représentait. à l'imagination grecque les extrémités du monde. Hésiode nous a conservé une tradition '° qui n'est. point chez Homère L1. Neuf parties des eaux de l'Océan, dit-il, s'enroulent autour de la terre, la dixième s'en sépare, et, sous le nom de Styx, s'enfonçant sous la terre, pénètre dans les enfers, où elle fournit celte onde sacrée et redoutable, sur laquelle jurent les dieux. Selon Mimnerme 22, Stésichore Eschyle, '' le Soleil, chaque nuit, naviguait de l'ouest à l'est, dans une coupe, d'or, le long du fleuve Océan. Fiction évidemment inventée pour expliquer comment l'astre qui, tous !es soirs, disparaît à l'Occident, recommence cependant, chaque matin, sa course à l'Orient. C'est en vain qu'on. chercherait chez. 1es premiers prosateurs des idées plus justes. ltecatee de Milet, lili-même, OCE: -144OCE en dépit de ses voyages et de sa science géographique fort étendue pour son temps, conçoit encore l'Océan comme un fleuve, et situe sur ses bords les nations fabuleuses des Kimmériens, des Pygmées, des Skiapodes C'est à Hérodote que revient le mérite d'avoir, le premier, traité de chimère l'Océan fleuve et de l'avoir considéré comme une mer Enfin le vieux préjugé fut définitivement écarté le jour où la science grecque eut reconnu et proclamé la sphéricité de la terre 3. Toutefois, par un souvenir de l'ancienne croyance, le nom d'Océan resta réservé chez les Grecs à. cette étendue d'eau salée qui baigne de toutes parts les continents, et ne s'appliqua jamais, comme chez nous, aux mers intérieures. Comme toutes les forces de la nature, l'Océan, aux yeux des Grecs, était en même temps un dieu`. A ce dieu Homère attribue un rang éminent, qui n'est vraisemblablement que la traduction anthropomorphique du rôle, si considérable 3, que joue l'eau, comme élément nourricier, dans la nature physique: « 11 est l'origine de toutes choses, même des dieux e. » Bien que déchu de cette dignité, Okéanos figure encore dans la Théogonie parmi les plus anciennes divinités, comme fils d'Ouranos et de Gaia'. Malgré son antiquité vénérable et sa puissance, qui, selon Homère', ne le cède qu'à celle de Zeus, Okéanos est, dans la mythologie grecque, une figure assez effacée. Comme le fleuve qu'il symbolise, il siège aux confins du monde ° étranger aux affaires des dieux, ne se rendant pas à leurs assemblées plénières " e , se gardant de prendre parti dans leurs conflits ". 'toutefois c'est un dieu bienveillant. Pendant la lutte de Zeus et des Titans, il recueillit et nourrit l'enfance d'Héra 12. Ce mélange de bon homie et de prudence égoïste est un trait de physionomie qu'Eschyle lui a conservé dans son Prométhée. Chez Homère, l'Océan est le réservoir « d'où dérivent tous les fleuves, toutes les mers, toutes les sources, tous les puits profonds n ». La même croyance se retrouve chez Hésiode, mais, par un progrès naturel de l'anthropomorphisme, elle s'y exprime sous forme de généalogie'4. Selon la Théogonie, en effet, Okéanos a eu de son épouse Téthys trois mille fils, «les fleuves retentissants» , et autant de filles, « les Océanides aux fines chevilles, qui, répandues par toute la terre, président aux sources profondes f5 ». De cette innombrable lignée, un mortel, dit le poète, ne saurait retenir tous les noms '°. A titre d'exemples, il cite cependant vingt-cinq fleuves" et quarante et une Océanides. Tout à fait comparables en cela à ceux des Néréides [NÉRÉIDES], les noms des Océanides ne sont pour la plupart que la personnification des propriétés et des qualités de l'eau des sources. Ils traduisent ses teintes changeantes ('IdvOo', duction (HenIt, Kaa),tpdrl , la brise fraiche qu'elle exhale [Inr„aup Paa«;adpr,), sa bienfaisance, la vie et la richesse qu'elle répand (tlwp(ç, Ilo).uâ«lFt,, Euâcip'rl, IIaou'ro(, Mradéostç)'s. Le mythe le plus connu, où interviennent les Océanides, est celui de Prométhée: [PnoIIETHEUS] elles y jouent le rôle de divinités douces, timides, compatissantes. Okéanos figure déjà dans le cortège des dieux, aux noces de Pélée, sur le vase François. Cependant ses représentations ne sont pas très nombreuses dans l'art. Elles ne deviennent fréquentes qu'à partir de l'époque alexandrine. Le dieu est figuré généralement par la statuaire sous les traits d'un personnage d'âge mur, barbu, dans l'attitude 16 et souvent avec les attributs des dieux fluviaux, en particulier avec les cornes de taureau'" : ce qui rend, dans bien des cas, son identification fort malaisée. Nous reconnaîtrons cependant le père des eaux dans le buste colossal du Vatican (fig. 5363)", et dans d'autres tètes cornues, ouvrages de la sculpture 22, de la peinture 23, de la mosaïque (fig. 5251) 24, qui offrent le type très caractérisé d'un dieu des eaux, à la barbe et aux cheveux mêlés de poissons et d'autres animaux marins et de végétations, qui couvrent une partie du visage et descendent sur la poitrine. Un bronze du Musée Britannique (fig. 5364) nous montre, autour d'Okéanos, trois Océanides 25. 0. NAVARRE.