Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article TONSOR'

TONSOII' (Koupn];2). Celui qui coupe des poils, soit donc le tondeur d'animaux (tonsor pecoruin 3) ou plus couramment le coiffeur et barbier 4. Sa besogne essentielle consiste, soit à radere (ï;upEiv), soit à tondeue (XE(pEtv). Quoique le rasoir soit déjà mentionné dans IIomère', la première de ces deux fonctions dut être assez rare jusqu'au siècle d'Alexandre, étant donné ce que nous savons du port de la barbe 6 dans l'antiquité [BARRAI. Le tonsor est généralement capable aussi de composer une coiffure savante [COMA], d'édifier une perruque et de compiéter une chevelure par de faux cheveux [GALERUS] ou de la teindre ; il est encore manucure et pédicure, se charge du soin des ongles (vu7(nty 7, â7rovuy(Eee e), de l'enlèvement des durillons (Tu)■oi)', des cors et des verrues. 11 se peut que, dans les premiers temps, le barbier-coiffeur ait été ambulant, ou ait même opéré en plein air, comme on le voit encore dans quelques petits villages, car il lui suffisait d'un bien modeste matériel. Mais bientôt il devint un artisan de première importance, ayant sa boutique sur rue (xoupEiov'°,x(uptov, tonstrina"), boutiqueassez élégante 12, surtout sous l'Empirel3, avec ses murailles couvertes de grands miroirs, la profusion de ciseaux, couteaux, rasoirs, pinces et fers de toutes sortes" partout étalés. Le client se confie aux soins du patron 13 ou d'un de ses aides appelés circitores 16. Il prend place sur un siège parfois dénommé pompeusement (.rÿ,r)),'o; Ooôvo; en réalité un escabeau bas (sella lonsoria 1S), comme celui de la fig. 7007. Cette dernière montre encore le client enveloppé tout du long d'une sorte de grand peignoir ou serviette protectrice (rcv v 19, t;iu.datvov 20, involucre" , lin que le coroplathe n'ait simplement négligé de modeler les membres du personnage assis, car une autre terre cuite, d'un travail plus poussé 23, laisse les bras libres et détachés du corps. Une pierre tombale chrétienne (fig.ï334i) représente2'` les instruments usuels du tonsor . peigne [PECTEN], miroir [SPECULem], ciseaux [FORFEX], rasoir [NOVACULA] ; ils sont énu mérés dans les auteurs 23, qui en indiquent d'autres, notamment les pinces à épiler VOLSL'LLAE], plus expéditives que l'onguent dit dropax, les fers à friser" [CALAMISTER], que met au feu le CINERARIL"S ou cini/lo, le couteau à ongles 27 (ôvu/to-Tr7tov 28).il faisait aussi grand usage des pommades, huiles ou essences parfumées [UNGUENTUII]. 11 se servait pour tondre, soit d'un seul couteau26, soit de deux qui, réunis, formaient les ciseaux. Pour guider ceux-ci, comme les coiffeurs de nos jours, ceux de l'antiquité opéraient per pectinein30, coupaient les pointes dépassant le peigne engagé à travers les mèches ; mais parfois aussi, et notamment lorsqu'il s'agissait de raccourcir strictim, ils saisissaient les cheveux à poignée : vue d'en haut (fig. 31711), la terre cuite TON 33.; TON de Berlin déjà citée (fig. 7007) montre la main de l'artisan tenant une boucle. On tondait quelquefois très court en effet, on rasait même la tête, surtout chez les Romains ; un buste de bronze, donné pour celui de Scipion, indique avec soin la racine des cheveux'. On jugeait cette précaution nécessaire pour le diagnostic ou le traitement de certaines maladies Les coiffeurs en renom, après avoir raccourci les cheveux, égalisaient ceux qu'ils pouvaient avoir laissés plus longs; cela s'appelait 7c2p2asyma92t 3. Pour faire la barbe, le tonsor retirait le rasoir de sa tlteca (upoilxrf), l'aiguisait sur une pierre humectée sans façon de sa salive'. et travaillait sur la joue que son client lui-même gonflait, pour tendre la peau, comme le montre une scène burlesque d'Aristophane b. Nous n'avons pas à revenir ici sur les différentes façons, dictées par une mode changeante, de se coiffer ou de porter la barbe [BARBA, comA] °. Il était très rare 7 c'était un signe de deuil' qu'on se rasât de ses propres mains, sans doute parce que la médiocrité des instruments ne le permettait guère ; pourtant, s'il est vrai qu'Alexandre fit raser tous ses soldats avant la bataille d'Arbelles 3, il n'y eut pas que des professionnels pour y travailler. En outre l'idée de ridiculiser un personnage, comme celui que rencontra IioraceL°, cultello proprios purgantem leniter unques, montre qu'il y avait surtout mauvais genre à se soigner soi-même. Les tonsores maladroits rte manquaient pas d'ailleurs"; le rasoir faisait souvent des victimes dans les tonstrinae ;pour arrêter le sang qu'épanchaient de semblables blessures, Pline préconisait la toile d.'araignée12. Denys l'Ancien, tyran de Syracuse, redoutait le pouvoir de ces artisans' et à la fin, n'osant plus leur confier sa tête, il décida de se faire tondre par ses filles, qui lui brûlaient aussi la barbe avec des coquilles de noix rougies au feu Il est difficile de démêler ce qu'il y a de vrai dans une indication suspecte que Varron'S' prétend avoir empruntée aux archives de la ville d'Ardée: il n'y aurait pas eu à home de tonsores avant l'an 1154 (300 av. J.-C.), oit P. Ticinius Menas en amena de Sicile. Il est certain que, bien antérieurement, on raccourcissait déjà les cheveux avec des ciseaux ; peut-être simplement ce métier n'était-il pas encore spécialisé. Les femmes aussi recouraient parfois aux soins d'un tonsor de profession, mais seulement pour les coiffures cornpliquées1e, et encore une habile servante, esclave souvent, y suffisait (fig. 7008), la xououlrpta 17 ou tonstrix's [cf. ORSATRIX, et des scènes montrant les soins de la coiffure féminine, fig. 102, 103[ 19. Il a pu du reste y avoir des coiffeuses tenant boutique en ville : une Euterpe est mentionnée parmi les xouprt; d'Arsinoé en Égypte, sous l'Empire2° ; telle aussi probablement la tostrix de Martial". Quelques hommes riches ont pu tenir de même à se faire « accommoder » chez eux par leurs esclaves ; c'est ce qu'attes tent les officia de la maison des Statilii 22. Certains de ces tonsores, tonstrices ou orna/ri-ces privés ont dû accomplir leur apprentissage dans une officine, à côté des circitores : il existait des lames émoussées, sans tranchant, avec lesquelles on pouvait se faire la main sans causer de dommages "'. Les jurisconsultes discutaient gravement la question de savoir au bout de quelle durée d'exercices on était vraiment qualifié, et d'après l'un d'eux, Celsus, il y fallait au moins deux mois24. Martial" a composé l'épitaphe de Pantagathus, « délices et regrets de son maître (domini), habile à couper, en y touchant à peine, le surplus des cheveux et à nettoyer les joues du poil dont elles sont hérissées ». Les hommes mûrs qui voulaient garder l'air jeune se faisaient arracher leurs cheveux gris 26, et les flatteurs des gens fortunés se chargeaient de leur rendre ce service27, qui se passait utilement du grand jour de la tonstrina. Mais la plupart des Grecs (elles Romains les imitèrent) préféraient fréquenter les salons de coiffure, qui rendaient les mêmes services que les cafés d'aujourd'hui ; Théophraste9', à leur sujet, parle d'otv2 cUp.77ô6Ia [BARBA, p. 669 ; coma, p. 136-2_1. Ils partageaient et partagent encore maintenant en Grèce avec les officines des apothicaires l'honneur de tenir lieu de salons de conversation29 ; on y allait recueillir les derniers potins. Une res nota lippis '0 et tonsoribus31 était une chose connue de tous. Ils exagéraient sûrement quelque peu; c'étaient des plaisantins et de joyeux farceurs, cumulant plusieurs industries, comme ce barbier, dont se plaignait un parasite, « qui met en vente des miroirs de Brindes, apprivoise les corbeaux et fait avec ses ciseaux une musique vraiment harmonieuse32 » ; il n'avait rasé qu'à moitié le malheureux qui souleva le 356 TON rire universel au festin où il se rendait. La réputation de bavards et de gobe-mouches des coiffeurs est bien établie ; l'opérateur d'Archélaos lui ayant posé la question habituelle : Uc e xEiou ;Silencieusement, répondit l'autre. C'est par un coiffeur du Pirée que se serait répandue à Athènes la nouvelle du désastre de l'armée de Sicile; il l'apprit le premier, disait-on, de l'esclave d'un de ceux qui avaient pu s'échapper, et il courut jusqu'à la capitale pour l'annoncer, abandonnant sa boutique. Comme il manquait de détails, on crut à un faux bruit malignement propagé ; mis sur la roue, il ne fut délivré que le soir, après confirmation de l'événement'. 11 n'en fallait pas plus pour motiver une visite journalière chez le coiffeur; d'ailleurs les jeunes élégants, rien que pour les soins de leur toilette, y passaient de longues heures 2, et même ceux qui se faisaient arranger chez eux n'étaient pas fâchés, pour voir comment leur esclave s'en était tiré, de consulter les vastes miroirs de la tonstrina, devant lesquels s'arrêtaient les clients avant de sortir 3. Les tonstrinae devaient donc offrir des spectacles fort pittoresques ; un peintre, Piraeicus, qui en avait beaucoup représenté dans ses tableaux, était arrivé par là à la notoriété'. Il nous est parvenu quelques allusions à des barbiers devenus riches 5 ; ce n'est pas que leurs prix fussent bien élevés, vu le maximum porté à l'Édit de Dioclétien : deux deniers 7, moins d'un sou de notre monnaie; mais sans doute ce chiffre ne concernait que les opérations essentielles, et il (levait y avoir, comme aujourd'hui, bien des petits soins à côté, plus rémunérateurs. 11 existait à Byzance un coiffeur de la cour ; c'était, sous l'empereur Constance, un personnage considérable et haut placé 8. Dans le Mlletallum Vipascense 9, un conductor avait seul le droit de raser à titre onéreux les employés de la mine, et pour un prix désigné d'avance. Il acquittait une patente appelée tonstrinum. Dans l'Égypte gréco-romaine, vers le début de notre ère, l'impôt ntl xoup~coV est rappelé par des quittances ; on y croit reconnaître un versement mensuel de 3 drachmes, 4 oboles, soit 44 drachmes à l'année". La collégialité des tonsores se marque, à Pompéi, par un graffite électoral". A Rome, il s'en groupait un certain nombre près du Cirque 12 : un collier d'esclave spécifie, en cas de fuite : Redue inc ad Florac [templumj ad tosores''. Une inscription des environs de Périnthe (Thrace) mentionne Il n'est pas sûr qu'un professionnel intervînt lorsque, suivant un rite fréquent, on faisait l'hommage de sa chevelure à une divinité: Fauteur du sacrifice devait souvent se dépouiller lui-même. Pourtant il se peut que le ministère d'une main consacrée fût quelquefois obligatoire : les temples phéniciens de Cypre, tels que celui d'Astarté à Ki Lion, renfermaient des a tondeurs divins» 15; TON sans doute ces derniers n'étaient-ils pas seulement affectés au service des prêtres ; ils se mettaient peut-être à la disposition de ceux qui, sous cette forme, s'acquittaient d'un voeu 16. Chacun connaît l'histoire de la reine d'Égypte, Bérénice, déposant sa chevelure dansle temple d'Arsinoé Zéphyritis, pour obtenir l'heureuse issue d'une expédition de son épouxf7. De telles offrandes f9 s'adressaient spécialement aux dieux des fleuves : Pélée apromis au Sperchios la chevelure de son fils, si Achille revient. à Troie sain et sauf'9 ; Oreste consacre la sienne à l'Inchos 20; Leukippos la destine à l'Aphée 2i, Ajax àl'Ilissos22. A côté du pont de la Voie Sacrée éleusinienne, sur le Cépllise, se dressait une statue du fils de Mnésimachè, coupant ses cheveux pour les consacrer au fleuve ".Tous les citoyens de Phigalie, au sortir de l'adolescence, dédiaient cette coupe au dieu du fleuve N )da 2s. On réservait surtout à cet effet la touffe de l'occiput (axda)uç2J). Même offrande aux divinités guérisseuses50, et aux dieux mêmes sur les tombeaux"; c'était un souvenir et un emblème des sacrifices humains que réclamaient à l'origine les puissances infernales : l'adoucissement des moeurs permettait de racheter la personne entière au prix d'une parcelle de son être2S. Les fleuves aussi, accoutumés d'abord aux hommages des existences mêmes, se contentaient finalement de ce substitut". Ainsi encore ce sacrifice de la chevelure explique-t-il certaines cérémonies expiatoires après un meurtre, notamment à la fête attique d'Artémis Brauronia, qui rappelait l'absolution d'Oreste par l'Aréopage.On racontait à Mégalopolis que ce héros, pourchassé des Furies, avait racheté sa vie en abandonnant sa chevelure30; d'autres plaçaient l'événement à Comana en Cappadoce '1.11 y avait à Corinthe des cérémonies expiatoires rattachées au culte de Médée: sept jeunes gens, la chevelure tondue, TOP 357 TOP y entonnaient un chant de deuil mystique'. On a signalé [coMA, p. 1362] des sacrifices analogues en cas de naufrage '(fig. 7009), ou en signe de deuil, et l'acte des jeunes mariées offrant leurs boucles comme prémices de la virginité 3. Les cheveux coupés aux jeunes gens à la puberté servaient à leur obtenir des dieux la santé et une longue vie' [cf. APATIJRIA]. Les éphèbes nouvellement admis consacraient les leurs à Héraclès'. Thésée avait voué ses boucles à l'Apollon de Delphes'. Néron, paraît-il, dédia sa première barbe, enfermée dans une boite d'or, à Jupiter Capitolin'. Il faut encore tenir compte d'une autre conception, très répandue cher beaucoup de primitifs', qui faisait de la chevelure le siège de l'âme ou de la vie 9. C'est ainsi que l'on coupait une touffe de poils sur le front des animaux conduits au sacrifice10. Proserpine mil. fin à l'agonie de Didon par un procédé semblable". On l'employait vis-à-vis de soi-même comme une manière de se dévouer aux dieux, pour avoir leur protection, ou encore s'unir avec eux'. Le sacrifice des cheveux à Zeus, dont on a trace dans des inscriptions de Panamara, marquait peut-être aussi un acte d'initiation aux mystères13. C'est ainsi également que l'oblation d'une partie de la chevelure constituait en certains cas un rite de consécration de la personne à un service religieux. Les Vestales [VESTALES] devenues nubiles réservaient leur chevelure à Juno Lucina". Les Curètes se rasaient le sommet du frontf6 ; les prêtres d'Isis (fig. 11100 et de plusieurs dieux égyptiens avaient le crâne entièrement mis à nu 16, comme ceux de l'Iléraclès Lyrien à Gadès 17. Il y a là peut-être un usage sémitique : les Arabes, au temps d'Hérodote", se rasaient, en l'honneur de leurs dieux, la plus grande partie de la tête. La loi mosaïque interdit aux Hébreux cette pratique, comme entachée d'idolâtrie13. Il ne semble pas que la tonsure sacerdotale des chrétiens soit à rapprocher de cet usage, car elle ne date, liturgiquement, que du vie siècle ; on a allégué quelques textes, à partir du ne, pour la faire remonter plus haut; mais ils recommandent seulement au clergé d'éviter le désordre des longues mèches 20. VICTOR CDArur.