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AENEAS, AivelŒG, Énée. Héros troyen, fils d'Anchise, roi des Dardaniens, et d'Aphrodite. Il faut distinguer à son sujet trois ordres de traditions.
Traditions homériques. Elles comprennent ce qui est dit d'Énée dans l'Iliade et dans l'Hymne à Vénus. Homère fait naître Énée sur le mont Ida, où l'hymne homérique nous dépeint les amours du roi pasteur Anchise avec la déesse Aphrodite 1. D'après la tradition suivie dans l'Iliade, Énée fut élevé dans la maison d'Alcathoüs, mari de sa soeur Hippodamie 2. D'après l'hymne à Aphrodite, les nymphes de l'Ida furent chargées de son éducation jusqu'à ce qu'il eût atteint l'àge de puberté 3. Pasteur sur l'Ida comme son père, Énée l'ut un jour attaqué par Achille et dut fuir devant lui, tandis que le héros grec emmenait ses boeufs et les chassait jusqu'à Lyrnesse ''. Quoique parent des princes troyens', il n'avait pris d'abord aucune part à la guerre. 11 vint cependant à Troie et y combattit à la tête d'une troupe de Dardaniens a. Ilv fut en butte à la jalousie de Priam, qui ne lui rendit aucun honneur ; niais le peuple l'honora comme un dieu 3. Énée est l'Achille des Troyens. Comme Achille, il est né d'un mortel et d'une déesse; comme lui, il est rapide à la course 9; comme lui, il a des coursiers de race divine pour le conduire au combat io. Énée est un objet de jalousie pour Priant comme Achille pour Agamemnon. Énée combattit contre Diomède, qui le blessa d'un coup de pierre ; il fut secouru dans son danger par sa mère Aphrodite, qui le couvrit de son manteau et l'emporta de la mêlée 11. Plus tard, il se mesura avec Achille lui-même en combat singulier 12. Cette fois encore il fut sauvé par une intervention divine : ce fut Poseidon qui vint à son secours et qui
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lui conserva la vie, parce que la postérité d'Énée devait, par l'ordre du Destin, remplacer sur le trône la race condamnée de Priam 13. Homère fait d'Énée un favori des dieux, un héros prédestiné ; mais il ne fait aucune allusion à son émigration ; au contraire, il regarde ses descendants comme appelés à régner sur la Troade.
Traditions post-homériques. Apollodore donne à Énée un frère du nom de Lyrus, né comme lui des amours d'Anchise avec la déesse de la beauté i4. Sa femme est appelée Eurydice par Leschès et par le poéte Cyprien 15. D'autres la nomment Créuse et la croient fille de Priam et d'Hécube 1k. Dans la tradition grecque, Créuse fut faite captive par les Grecs, puis délivrée par la mère des dieux et par Aphrodite''. Suivant les Cypriaques n, Énée, sur l'ordre d'Aphrodite, avait accompagné en Laconie Pâris, qui s'y rendait pour enlever Hélène. Sa valeur à la guerre est attestée par Hygin, qui lui attribue d'avoir tué de sa main vingthuit ennemis ; Hector seul, parmi les Troyens, en avait tué davantage 19. On diffère sur ce qu'il fit lors de la catastrophe qui mit fin au royaume de Priam. Si l'on en croit Arctinus, dans son poême de la Destruction de Troie, Énée, épouvanté de la mort tragique de Laocoon et de ses fils, se serait réfugié sur l'Ida avec ses compagnons 20. D'après une version, unique d'ailleurs, il aurait livré Ilion aux Grecs, de concert avec Anténor 21. Selon d'autres auteurs, loin de trahir ou d'abandonner la ville, il se retrancha dans la citadelle, s'y défendit vaillamment et obtint pour lui et les siens une capitulation honorable 22. D'après Leschès, dans la Petite Iliade, Énée, fait prisonnier par les Grecs, fut donné à Néoptolème, fils d'Achille, et emmené par lui sur la flotte grecque, où il devint le compagnon d'esclavage d'Andromaque, la veuve d'Hector 2'. Ceux qui veulent qu'il se soit défendu et qu'il ait obtenu, par une capitulation, la liberté pour lui et les siens, ajoutent un trait qui a valu à Énée son grand renom de piété. Ils disent que les Grecs lui permirent, de même qu'à ses compagnons, d'emporter ce qu'ils voudraient de leurs biens : les autres se chargèrent d'or et d'effets précieux; pour Énée, il prit son père vieux et infirme, qu'il chargea sur ses épaules, et avec son père ses dieux, à la grande admiration des Grecs 2'. Tandis que d'après une tradition fort ancienne, Énée aurait fondé dans le même pays un nouveau royaume avec les débris du peuple troyen de nombreuses légendes, qu'il n'est pas possible de toutes rapporter ici, le font errer avec ses compagnons dans différentes contrées : en Macédoine, où une ville d'Aineia le reconnaissait pour son fondateur et célébrait chaque année un sacrifice en son honneur 26 ; en Laconie, où il fonde également deux villes, pendant qu'Anchise va mourir en Arcadie, où, du temps de Pausanias, on montrait encore son tombeau au pied du mont Anchisius2i. L'une de ces villes fondées par Énée s'appelait Aphrodisias, du nom de sa mère; l'autre Étis, du nom d'une fille que mentionne Pausanias et dont il ne dit rien de plus 23. Près du mont Anchisius était un temple d'Aphrodite P9. Son séjour en beaucoup d'autres lieux, sur la côte orientale de l'Adriatique, en Sicile, et ailleurs, était attesté pour les
I anciens par des légendes et des usages locaux, particulièrement par des temples et des cérémonies en l'honneur de sa mère Aphrodite, par les temples qui lui étaient consacrés à lui-même, par son tombeau qu'on montrait en maint endroit 20.
Stésichore (643-560 av. J.-C.) passe pour le plus ancien auteur grec qui ait fait voyager Énée vers l'Hespérie (Italie). Après lui, Aristote et Callias parlèrent de l'origine troyenne du Latium ; mais ce fut Timée, historien contemporain de Pyrrhus, qui raconta le premier la légende d'Énée telle que nous l'a transmise la tradition latine 31. La puissance des Romains fit prévaloir la tradition à laquelle ils rattachaient leur origine; Pausanias ne doutait pas que le PALLADIUM, cette statue fatale dont dépendait la fortune d'Ilion, n'eût été porté en Italie sa
Traditions virgiliennes. Parmi les auteurs latins, Naevius, Ennius, Caton dans ses Origines, Fabius Pictor, Cicéron dans ses Verrines, ont adopté cette légende d'Énée en Italie. La gens Julia reconnaissait Énée pour son auteur. Le sénat romain avait lui-même consacré cette tradition, l'an 282 avant J.-C., en reconnaissant des frères dans les habitants d'Ilion 3Y. Virgile, à son tour, s'en empare pour en faire l'épopée nationale des Romains. Il traduit, en la modifiant, la prophétie homérique sur la grandeur future des Énéades S4. Il n'a garde de négliger, dans les traditions postérieures, la piété d'Énée, mais il en fait, au contraire, le trait dominant de son héros (pins Aeneas). Dans l'Énéide, après avoir défendu contre les Grecs jusqu'à la fin Troie embrasée, Priam étant mort, le pieux Énée charge Anchise sur ses épaules, lui confie ses Pénates, et quitte la ville avec sa femme Créuse et Ascagne son fils. On sait comment il perdit sa femme en chemin : dans un poême d'Ovide, Didon le lui reproche comme un abandon volontaire n. Parti d'Antandros avec vingt vaisseaux, Énée bâtit d'abord une ville en Thrace et lui donne son nom ; il va ensuite à Délos consulter Apollon. L'obscurité de l'oracle lui fait croire que le dieu l'envoie s'établir en Crète : il s'y rend et tente d'y fonder une ville, mais il est arrêté dans son entreprise par une épidémie. Un nouvel oracle, qui lui vient cette fois de ses Pénates, lui indique clairement l'Hespérie comme le but de son voyage 36. Après une navigation longue et périlleuse, Énée aborde en Sicile au pied de l'Étna. Anchise meurt à Drépane. Comme il cherche à gagner l'Italie, Énée est jeté par une tempête sur la côte d'Afrique. Ici se place le fameux épisode de Didon. Le héros, après s'être oublié quelque temps, quitte furtivement Carthage et reprend, non sponte, sa route vers l'Italie. Il aborde encore une fois en Sicile et va célébrer des jeux funèbres sur le tombeau de son père, dans un pays habité par une colonie troyenne, littora fi'da paternel . Ce tombeau d'Anchise est placé par le poste latin au pied du mont Éryx, fameux, comme on l'a vu plus haut, par son sanctuaire d'Aphrodite, dont Pausanias indique la place au pied du mont Anchisius, non loin d'un temple de la même divinité. Suivant Virgile, ce fut Énée lui-même qui bâtit sur le mont Éryx ce temple à sa mère 3W.
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L'incendie des vaisseaux par les femmes troyennes, lasses d'une trop longue navigation, peut montrer comment le poëte latin savait s'approprier, en les transformant, les traditions différentes de celle qu'il avait adoptée. En effet, cet incendie est emprunté à une tradition sur la fondation de Rome qu'on peut lire dans Plutarque Y9. Averti par Anchise, qui lui est apparu en songe, Énée laisse en Sicile les femmes et ses compagnons les moins hardis et se dirige vers l'Italie avec une élite virile. Il aborde à Cumes, visite l'antre de la sibylle, et, conduit par elle, va chercher aux enfers de nouveaux oracles. Enfin, après sept ans de navigation et d'aventures, il aborde aux rivages du Tibre, où Latinus l'accueille et lui donne en mariage sa fille Lavinia. Turnus, roi des Rutules, amant déçu de Lavinia, fait à son rival une guerre acharnée, qui se termine par un combat singulier entre le chef étrusque et le héros troyen. Ainsi finit l'Énéide. La tradition suivie par Ovide 4e est la même, à quelques détails près, que celle de Virgile. Le pot te des !Métamorphoses complète le récit de l'Énéide par la disparition mystérieuse d'Énée, noyé dans le Numicius pendant la bataille, et par l'apothéose du héros dont la vertu avait fini par désarmer Junon, son implacable persécutrice. Un temple lui est élevé sur le Numicius, et il est honoré sous le nom de Jupiter indiges 41.
Tl est intéressant d'étudier avec Klausen, Schwegler, Preller et les autres savants qui ont approfondi ces origines u la formation de la légende romaine d'Énée. Cette légende contenait un élément religieux qui contribua beaucoup à sa propagation. Il s'agit du culte d'Aphrodite Aineias (c'est-à-dire favorable) répandu sur tous les rivages grecs de la Méditerranée, et précisément sur la route qu'Énée était censé avoir suivie pour venir de Troie dans le Latium. Cette Aphrodite troyenne et asiatique, dont le nom même indique l'étroite parenté avec Énée, était une déesse marine de la navigation; il n'est pas étonnant de la voir honorée dans les ports de mer où divers auteurs nous signalent son culte. On trouve ses sanctuaires, d'abord sur le golfe salonique, puis sur toute la côte qui va de Zante à Corfou; et c'est toujours Énée à qui l'on en attribue la fondation. C'est lui encore, ou du moins c'est une colonie troyenne, qui avait élevé le temple d'Aphrodite Érycine u, dans une troisième région où Virgile ne manque pas de le conduire. Les traditions du culte latin de Vénus se rattachaient d'une manière étroite à Ségeste et au mont Éryx, et, d'autre part, l'Aphrodite Érycine était en relation avec une Aphrodite carthaginoise. Telles sont les véritables sources de la légende d'Énée. Rome avait cherché d'abord son fondateur entre divers héros, ancêtres supposés des colonies grecques établies sur les rivages de l'Italie 44. Mais la fable énéenne l'emporta bientôt sur les autres traditions, vague et flottante d'abord, puis de plus en plus précise et arrêtée. Pour Naevius et Ennius, Énée était le père d'Ilia, mère de Romulus. Preller pense que cette légende antihellénique et antipunique a dû commencer à s'accréditer dans Rome pendant la guerre de Pyrrhus et la lutte avec Carthage. Adoptée,
comme nous l'avons dit, par les écrivains romains qui la fixèrent peu à peu, Virgile la prit de leurs mains pour la marquer du sceau de son génie, en faire le centre de toutes les traditions sur les origines de Rome, le résumé vivant, savant et poétique de son histoire primitive as
Le caractère sacré dont Virgile a revêtu son héros a été mis en relief par M. Fustel de Coulanges 46, Ce n'est pas un simple héros; c'est un pontife, c'est le penafiger, le fondateur saint d'un culte et d'un empire. Les Romains le comprirent ainsi : ils lui attribuaient l'usage observé parmi eux de sacrifier aux dieux la tête couverte b7. Il fut même dieu. Une identification se fit entre le héros troyen qui avait porté dans le Latium les dieux d'Ilion et le dieu principal de la confédération latine, le Pater indiges dont le culte était en relation intime avec celui des Pénates. Le centre de ce culte était à Lavinium et aux bords du Numicius; de là sa confusion avec le culte d'Énée disparu mystérieusement sur les mêmes rives 4s.
Il nous reste à parler des monuments concernant Énée. Il y avait à Argos une statue d'Énée en bronze 69; à Olympie, on voyait son image faisant partie d'un groupe, oeuvre de Lykios, représentant des héros grecs et autant de héros troyens combattant 50. Parrhasius le peignit en compagnie de Castor et Pollux 61. Auguste plaça dans son forum le groupe d'Énée portant son père Anchise 32. Les statues d'Énée et de Créuse décoraient le Zeuxippe 53, ces thermes de Constantinople qu'un incendie détruisit sous Justinien.
Un grand nombre de monuments subsistant encore retracent différents faits de l'histoire d'Énée. Sa fuite de Troie et son dévouement filial font le sujet d'un assez grand nombre de peintures de vases d'ancien style "; on le voit aussi sur deux vases qui appartiennent à la belle époque, l'un de la fabrique de Nola (fig. 151), actuellement
à Munich 55; l'autre au musée de Naples, connu sous le nom de vase Vivenzio 56 et qui représente la dernière nuit de Troie. Sur d'autres vases, Énée est figuré prenant part aux combats livrés autour du corps de Troïle, de Patrocle ou d'Achille, ou combattant contre Ajax 57. Les ouvrages de la sculpture où l'on retrouve avec certitude le
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personnage d'Énée ne sont pas d'un temps aussi ancien. On le rencontre dans un des bas-reliefs qui décorent un autel consacré à Auguste vraisemblablement '$ : il est debout devant une femme assise, qui paraît être la sibylle de Cumes; entre eux est la truie de Lanuvium allaitant ses petits o9. Dans un bas-relief du musée de Turin, il fuit Troie emportant son père et tenant son fils Ascagne par la main. Enfin il paraît plusieurs fois dans les bas-reliefs représentant des sujets tirés de l'Iliade qu'on désigne sous le nom de tables iliaques : on l'y voit tantôt chargé de son fardeau sacré 80, tantôt combattant Diomède et sauvé par l'intervention de Vénus 61. La piété d'Énée est encore retracée sur des lampes d'argile ; nous en citerons une au musée du Louvre G2; sur un casque de gladiateur, en bronze, trouvé à Pompéi"; sur des pierres gravées, où on le voit aussi dérobé aux coups de Diomède par Vénus et par Apollon 84; la même image sur les monnaies de quelques villes est destinée à rappeler qu'il en était le fondateur, ou bien comme sur celle de Jules César qui est ici reproduite d'après un exemplaire du Cabinet de France (fig. 152), à confirmer l'origine fabuleuse que s'attribuaient les Romains et en particulier la familleJulia. Antonin le Pieux, qui était de Lanuvium et issu, à ce qu'il croyait, d'une ancienne famille du Latium, attachait un grand intérêt à ces souvenirs ; il a fait frapper des médaillons où sont réunies quelques-unes des antiquités les plus vénérées des Romains. Deux de ces médaillons sont ici gravés d'après des exemplaires du Cabinet de France 65. Sur l'un (fig. 153), on voit Énée abordant dans le Latium et rencontrant sous un chêne (sub ilicibus sus)
la truie allaitant ses trente petits, qui doit lui révéler le lieu où grandira sa race 66 ; on voit au-dessus le figuier ruminai et un édifice auprès duquel est un autel, et qui peut être
le temple de Lanuvium, restauré par Antonin, ou le temple rond de Vesta. Cet édifice est plus visible encore sur l'autre médaillon (fig. 154), où est représenté de même le figuier ruminai, et à côté le groupe d'Énée portant Anchise. Au-dessous, et de proportions colossales, la truie et ses petits, au centre d'une enceinte de murailles, telle peut. être qu'on la voyait représentée à Lanuvium 67. Le monument le plus curieux où se trouvent retracées les traditions que Virgile a suivies dans son poëme, est une ciste de bronze [LISTA] trouvée sur le territoire de l'antique Préneste, et datant du ve ou du vie siècle de Rome 66 : des figures gravées au trait décorent le contour extérieur et le couvercle de la boîte. Autour sont retracés les combats des Rutules et des Troyens, et Turnus périssant par la main d'Énée auprès de la fontaine Juturna; sur le dessus le héros est debout auprès de Latinus qui foule aux pieds un faisceau d'armes et conclut avec lui une alliance solennelle en le prenant pour gendre (fig. 155). Auprès d'eux se tiennent trois femmes; à
droite et à gau
che des guerriers portant le corps inanimé de Turnus et un génie funèbre ; au-dessous,le fleuve N umicius et la nymphe Juturna.
Quelques peintures murales reproduisent encore le sujet de la fuite d'Énée ; la plus connue est celle de Pom
péi où ce sujet est traité en caricature 69 : Énée, Anchise et Ascagne ysont représentés sous les traits de singes habillés. D'autres peintures de Pompéi montrent Énée rencontrant Didon 70, saisissant ses armesblessé par Diomède 72; une mosaïque découverte à Halicarnasse le représente en compagnie deDidon73. Enfin les miniatures du célèbre manuscrit de Virgile de la bibliothèque du Vatican7k reproduisent un grand nombre d'épisodes de l'Enéide. L. DE RoNCHAUD.