Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article CRETARCHA

CRETARCHA, Kp yrépnç, -Ce titre se trouve dans une inscription citée par les derniers éditeurs du Thesaurus linguae graecae' ; mais quand même nous ne l'aurions pas rencontré encore, nous aurions pu inférer l'existence de cette charge des faits nombreux qui nous attestent que la Crète s'était donné; avant même la conquête romaine, une organisation fédérative. C'est le xotvly Kpscwv que mentionnent souvent les monnaies et auquel les auteurs font de fréquentes allusions. Ce ne fut, à ce qu'il semble, que dans les derniers jours de l'indépendance crétoise que les souffrances infligées à l'île par les luttes acharnées et sanglantes des principales cités inspirèrent la pensée de tenter un essai de fédération CITE 11'163 lE et cette pensée naquit trop tard et fut trop imparfaitement réalisée pour que la Crète ait pu en obtenir un accroissement de force qui lui permit de résister avec quelque succès à la congnèie étrangère. « La crainte des ennemis du dehors », dit Plutarque', sans nous donner d'autre renseiment, « amena les Crétois à s'unir et à se réconcilier; ce fut cette union qu'ils app elèreut le syncrétisme. » Or, jusqu'au temps d'Alexandre, les Crétois n'eurent rien à craindre, ni des Perses, refoules en Asie après les guerres médiques, ni des Grecs du continent occupés de leurs propres discordes. Mais, après la mort d'Alexandre, les rois dLgypte, de Syrie et de Macédoine, qui possédaient les côtes de la Méditerranée, eurent avec la Crète des relations où son indépendance put paraître plusieurs fois menacée ; aussi, à la fin du troisième siècle av. J.-C. voiton les Crétois s'entendre et agir de concert en plusieurs circonstances. Ce sont les Crétois, et non les habitants de telle ou telle ville de la Crète, qui concluent des traités d'alliance avec Philippe, roi de Macédoine, Nabis, tyran de Lacédémone, ou Aniiochus le Grand, roi de Syrie. L'assemblée commune des Crétois, le cvstèptov coi, xotvoû rwv Kpalstmv, existait sans aucun doute à cette époque. Quand les Romains commencèrent à pénétrer dans l'île, ils se trouvèrent en présence de cette espèce de fédération crétoise. Après la défaite d'Antiochus, Q. Fabius Labéon alla faire une expédition en Crète et ordonna aux villes de lui envoyer des députés pour traiter des affaires communes aux Crétois et aux Romains, 189 av. J,-C. Quelques années plus tard, Appius permet aux hydortiates de ne pas participer aux droits communs de l'île et de s'isoler de tout le reste de la Crète, 184 avant notre ère'. Il y avait donc une constitution commune, et les Romains l'invoquaient. Des députés crétois viennent en 170 au sénat de Rome et lui rappellent qu'ils ont envoyé en Macédoine le nombre d'archers exigé par le consul P. Licinius. On leur demanda s'il n'y avait pas eu plus d'archers crétois dans l'armée de Persée que dans l'armée romaine. Ils ne le nièrent pis. On leur répondit . « Si les Crétois ontl'intentiondepréférer l'amitié du peuple romain à celte du aoi Persée, le sénat de son côté leur répondra comme à des amis sûrs. En attendant. qu'ils annoncent à leurs compatriotes le décret dit sénat ordonnant que les Crétois rappellent dans le plus bref délai. tous les soldats qu'ils ont dans les garnisons du roi Persée'. » Par qui avaient été envoyés ces députés crétois, sinon par l'assemblée générale de la Crète, et à qui, si. ce n'est à elle, rapportèrent-ils la réponse du sénat? Mais une preuve encore plus nette et plus décisive de l'existence à cette époque du xotvôv Ppriààv, c'est l'ambassade envoyée l'année suivante en Crète par les Rhodiens. Ils envoyèrent des députés à tous les Crétois, dit Polybe, et aussi à chaque ville séparément, spbç sv vrar, iïpgtiateiç, buoioi; $e xat xaz' iSixv apis Taç nQAs¢ç, c La premiccre expression, rrrzvraçKprlira¢eliç, s'applique certainement au congrès des cités confédérées, au xotvly Après la conquête, les Romains conservèrent cette institution qui facilitait faction de leur gouvernement dans le pays. On a de nombreuses médailles impériales portant la légendeco¢vic KpaisDs du temps des Césars et des Antonins ; les plus nombruses sontcelles de Trajan. Sur ces médailles le dieu le plus fréquemment représenté est Jupiter, le grand dieu de la Crète, ?eiïç nu ZIe IKc'grayénrtç, armé de sa foudre. portant une Victoire ou un aigle'. Quelles étaient les cités où se réunissait le congrès des députés de la Crète, et quelles particularités présentait l'organisation de la province? C'est ce que malheureusement nous ne savons pas dune inscription d'Axos qui contenait un décret du xotvav Kpr,sciv, il n'a malheureusement été conservé que les premiers mots 3. G. P1: 4oT. parler des institutions crétoises, un nom se présente immédiatement à l'esprit, celui de Minos. Mais, si l'on essaie d'analyser les anciennes légendes et d'en tirer quelques faits particuliers dignes de foi sur le grand et puissant législateur, on reconnaît bientôt que l'entreprise sera stérile. Qu'était-ce que Minos et quelle fut son oeuvre? Il y a déjà plus de deux mille ans, Hérodote faisait cette remarque que Minos de Cnosse est antérieur aux générations humaines '. C'est un dieu ou un héros, mais ce n'est pas un homme. Les anciens n'ont pas pu rhème déterminer sa nationalité ; on le rangeait habituellement parmi les barbares qui ont possédé la Crète avant les Doriens' ; niais quelques historiens le rattachaient au monde hellénique et dressaient des généalogies qui prouvaient qu'il était de race dorienne. Il appartient donc à la fable et non pas h l'histoire. On lui a attribué, comme on l'a fait pour beaucoup d'autres personnages mythiques, toutes les institutions religieuses et politiques les plus anciennes, quelle que fût leur date et leur origine. H faut laisser de côte toutes ces vieilles légendes, celles qui se rapportent à Rhadamanthe, comme celles qui sont relatives à Minos, et nous borner à constater les faits que nous rencontrons dans les historiens dignes de foi. A l'époque historique, les institutions crétoises offraient beaucoup de similitude avec les institutions spartiates. Polybe a bien essayé de contester ces ressemblances ; mais il n'a pas réussi et tous les auteurs anciens sont de l'avis de Platon, qui appelait les lois de Lacédémone et celtes de Crète des loir soeurs, él o1' vô8.ot 4. Quelques historiens, dont l'opinion a été récemment développée par M. Conrad Tricher 5, voyaient dans la constitution crétoise une importation lacédémonienne. Mais la croyance générale était que la constitution de Sparte avait été copiée sur celle de la Crète. Aristote trouve une preuve décisive de cette imitation dans la supériorité relative des institutions spartiates, supériorité qui indique une époque de civilisation plus avancée Lycurgue, disait-on, avait séjourné assez longtemps en Crète, et, lorsqu'il donna des lois à Sparte, il adopta, en le perfectionnant, le système législatif qu'iI avait trouvé en vigueur dans l'île 7. Les similitudes incontestables ne s'expliquent-elles pas plus simplement par la communauté d'origine des Lacédémoniens et des Crétois? En Laconie comme en Crète, les invasions doriennes ont fait presque complètement disparaître t'ancienne population, et les institutions doriennes, apportées par les émigrants, se sont en majorité substituées à celles des vaincus. Il n'est donc pas nécessaire de CRE 1564 CRE supposer quelque emprunt soit d'un côté, soit de l'autre ; il suffit de se rappeler que, de très bonne heure, l'élément dorien domina en Crète comme en Laconie, et que, si, au début, son action fut moins énergique chez les Crétois, de nouvelles migrations vinrent, de temps à autre, le renforcer. C'était Lacédémone qui comblait dans les cités crétoises les vides faits par la famine ou par la peste 8. 1. La population de la Crète paraît avoir été composée de cinq classes de personnes : 4° citoyens, 2° Stjxoot, 4° Les citoyens crétois étaient certainement, comme les citoyens des autres républiques doriennes, divisés en tribus et en phratries. On trouve, au moins à Cydonie, des `1 )EEç 9, dont le nom éveille aussitôt le souvenir des trois grandes tribus spartiates, les Hylleis, les Dymanes et les Pamphiloi. Mais, tandis qu'on ne constate pas à Sparte d'inégalité d'origine entre les citoyens, on remarque en Crète de véritables distinctions de naissance. Ainsi certaines familles jouissaient du privilège de fournir à la République ses premiers magistrats, les kosmes 10, et Éphore nous présente les chevaliers crétois (lit7tEïç) comme formant une sorte de magistrature («p-/:ri), c'est-à-dire évidemment, dans la pensée de l'auteur, un ordre à part, distinct du reste de la population''. 2° Immédiatement au-dessous des citoyens, nous plaçons les ûtnixoot, qui rappellent les ttEp(otxot de Sparte, et qu'il ne faut confondre ni avec les esclaves proprement dits, ni avec les serfs. Grote a soutenu, il est vrai 12, qu'il n'y avait pas en Crète, comme à Sparte, deux degrés d'infériorité; qu'il n'y en avait qu'un seul, et qu'on commet une erreur en cherchant en Crète une classe correspondant aux périéques lacédémoniens. « En Crète, dit-il, chaque Etat autonome comprenait seulement une ville avec son territoire circonvoisin, mais sans municipes annexés; il n'y avait donc pas de place pour la classe intermédiaire appelée en Laconie les Perioekoi; il y avait seulement deux classes, les citoyens crétois libres et les cultivateurs serfs avec des divisions et des subdivisions. » Il est certain qu'Aristote désigne sous le nom générique de 7rEpiotxo1 tous les anciens habitants du pays, sans distinguer f3, et que, dans un autre passage, il établit un rapprochement entre les périéques crétois, qui se tiennent tranquilles, et les hilotes spartiates, qui s'insurgent souvent''. Mais Sosierate, qui connaissait très bien la Crète dont il était originaire, oppose nettement les ûar',xoot aux gvorzrai et aux 4eptwrut, et il montre la ressemblance qui existe entre ces htoxoot et les périéques lacédémoniens f5. Son témoignage si précis doit l'emporter sur des inductions tirées d'Aristote. Pourquoi d'ailleurs n'admettrait-on pas l'existence en Crète, à côté des villes doriennes, de petites bourgades, dans lesquelles vivaient les représentants de l'ancienne population, bourgades sans autonomie, sans indépendance politique, soumises à la cité dorienne, mais dont les habitants vivaient libres et n'étaient serfs d'aucune terre? Les habitants de ces bourgades ne pouvaient-ils pas occuper, en Crète, entre les citoyens et les serfs, une place analogue, sinon absolument semblable, à celle que les périéques occupaient en Laconie entre les Spartiates et les hilotes, à. celle que les Perrhèbes occupaient en Thessalie entre les Thessaliens et les Pénestes? 3°, 4° et 5°. Pour les p.vwizut, serfs attachés au domaine de l'État, les «rptwrat ou xa'egwrut, serfs attachés aux domaines des particuliers, et les ypuoGuarot, esclaves proprement dits, nous renvoyons à ce que nous avons dit II. Chacune des petites républiques crétoises avait sa constitution particulire ; mais les diverses constitutions offraient de telles similitudes que les auteurs anciens ont cru que l'exposé de l'une d'elles suffirait pour les faire connaître toutes. Le même type avait été partout adopté 16 Dans les premiers temps, dit Aristote 17, la royauté existait chez les Crétois; mais elle fut abolie de bonne heure et remplacée par un régime aristocratique. Hérodote parle encore, il est vrai, d'un roi d'Axos, nommé Étéarque, qui aurait régné vers le vue siècle '8. Mais il est peu probable que la petite cité d'Axos eût seule conservé un régime monarchique. On peut croire plutôt qu'Hérodote a donné le titre de pxat),EGs au premier magistrat de la cité, leProtokosme, ou bien qu'il aura eu en vue quelque dignitaire d'ordre religieux, portant cette qualification, comme l'archonte-roi d'Athènes et beaucoup d'autres aataois, sans être vraiment roi. Peut-être même Étéarque était-il un de ces magistrats uniques ou dictateurs que le Crétois se donnaient dans les temps de crise f9. Quoi qu'il en soit, à l'époque historique, la forme du gouvernement peut être qualifiée d'aristocratie. Les divers pouvoirs étaient inégalement partagés entre des magistrats, un sénat et l'assemblée du peuple. Les premiers magistrats étaient les kosmes (xtiapot), formant un collège de dix membres, dont le président (tcp s éxoap.oç) donnait son nom à l'année. 'Fous les auteurs anciens, Aristote 26, Éphore 21, Cicéron 22 ont comparé ces magistrats aux éphores de Sparte ; il nous semble plus naturel de voir en eux, comme dans les archontes athéniens, les héritiers et les continuateurs de la royauté. Les kosmes étaient choisis, probablement pour une année seulement, non pas dans l'universalité des citoyens, mais dans quelques familles aristocratiques 23, probablement celles dont le sang dorien paraissait le plus pur. Dans une inscription de Dreros, qui remonte au moins au me siècle avant notre ère et qui est peut-être beaucoup plus ancienne on voit que tous les kosmes ont été pris dans la même famille, celle des Açthalées §7l 'mv AtOti i,v xoautov'rwv. Aucune garantie d'aptitude n'était d'ailleurs imposée à ceux qui se portaient candidats à de si hautes fonctions 25. Les textes nous montrent les kosmes investis de la plénitude du pouvoir exécutif Y6. Ce sont eux qui commandent les armées en temps de guerre ; aussi Hésychius les compare aux stratèges 27. Ce sont eux qui président les assemblées et les tribunaux. Quelquefois ils rendent directement la justice. A des pouvoirs si étendus, les Crétois avaient opposé des correctifs, dont quelquesuns ne paraissent pas heureux. De l'inscription de Dreros, il résulte que le sénat exerçait une véritable juridiction sur les kosmes ; dans le cas, par exemple, où les kosmes de Dreros auraient négligé de faire prêter aux jeunes gens le serment civique, le sénat aurait eu le droit d'in CRE 1565 Piger à chacun de ces magistrats, au moment où il sortait de charge, une amende de cinq cents statères u. De plus les kosmes pouvaient, même pendant la durée de leurs fonctions, être légalement déposés par quelques-uns de leurs collègues ou par de simples particuliers insurgés contre eux. L'insurrection contre tous les kosmes et sa conséquence forcée, l'anarchie, qu'Aristote appelle ici I'âxoaµ(a n, était donc le moyen légal de remédier aux abus d'autorité des kosmes ! Montesquieu fait remarquer qu'une pareille institution serait habituellement fatale à une république, mais qu'elle ne détruisit pas la Crète, parce que les Crétois avaient le plus grand amour pour la patrie 30, et que l'amour de la patrie corrige tout 31 Aristote, plus sévère, déclare qu'il est toujours dangereux de permettre les révolutions aux caprices des hommes ; avec un pareil régime, il n'y a plus que l'apparence du gouvernement ;en réalité tout est abandonné à l'arbitraire. Quand des Crétois puissants voulaient se soustraire à des poursuites dirigées contre eux, ils n'hésitaient pas à se servir de l'arme dangereuse que la constitution leur offrait. Souvent les kosmes prévenaient une révolution imminente en abdiquant volontairement le pouvoir u. Quelques autres magistratures crétoises sont çà et là mentionnées. Dans une inscription du me siècle, on trouve MOPHYLAKES n, mais qui doivent avoir eu aussi des attributions de police. Ailleurs on rencontre la mention de pédonomes (aatSovôp.ot), chargés de diriger l'éducation des jeunes gens 34. Pour la solution des questions les plus importantes, les kosmes devaient prendre l'avis d'un conseil d'anciens, appelé indifféremment (3ou)n ou yEpoua(a, qu'Aristote compare à la yapoua(x de Sparte et qui avait sans doute les mêmes attributions n. Nous ignorons quelles conditions d'âge étaient exigées des sénateurs et comment ils étaient nommés. Nous savons seulement qu'ils étaient pris parmi les anciens kosmes les plus recommandables par leur vertu et par leur probité n. Tous les kosmes sortant des familles aristocratiques, la force des choses voulait que le sénat fût lui-même un corps aristocratique. Aristote dit expressément que le nombre des sénateurs en Crète est égal au nombre des yÉpovTEç de Sparte u, par conséquent de vingt-huit, ou de trente en comptant les deux rois. Devant unetelle affirmation, peut-on essayer de soutenir, avec M. Rangabé n, que tous les kosmes sortant de charge, qui avaient bien rempli leurs fonctions, entraient dans le sénat, de même que les anciens archontes d'Athènes entraient dans l'aréopage ? Le nombre des membres du sénat crétois aurait été alors illimité, comme celui des aréopagites. Plusieurs inscriptions parlent d'un président du sénat (rpE(ytazoç ('.,ou)Lr,ç) u. Les sénateurs étaient institués à vie et exempts de toutes responsabilités. Dans leurs délibérations, ils n'étaient pas tenus de se conformer aux lois positives; ils statuaient suivant les inspirations de leur conscience L0. Notons toutefois que, dans l'inscription de Dreros déjà citée, on lit que, si le sénat ne fait pas payer par les kosmes les amendes qu'il a le droit de leur infliger, il paiera lui-même le double ; voilà une vraie res ponsabilité. Le soin de faire exécuter cette prescription est confié à des npetyeuTul Twv àvepuur(vt,tv, dans lesquels M. Rangabé voit des fonctionnaires préposés aux revenus publics, sans doute par opposition aux sepetyeuzal 2ô,v ®E(mv, préposés aux revenus sacrés 41, tandis que M. Dethier, lisant hheü'r«t Twv enlpma(vunv, estime qu'il s'agit d'un tribunal politique jugeant en dernier ressort 42. L'assemblée du peuple, à laquelle tous les citoyens étaient indistinctement admis u, ne paraît pas avoir eu un rôle bien considérable. Aristote reconnaît, en effet, que le peuple ne participe pas au gouvernement de la République 44 ; que l'assemblée générale ne décide aucune affaire; qu'elle se borne à voter sur les propositions qui lui sont soumises par les sénateurs et les kosmes u. Le droit d'approbation implique forcément le droit correspondant de rejeter les propositions faites ; on ne comprend pas que ce droit d'émettre un vote défavorable ait été contesté par d'éminents historiens. II paraît bien que, au temps de Polybe, un changement s'était insensiblement produit dans les institutions crétoises; Polybe dit, en effet, qu'elles ont une apparence démocratique (Slg.oxpxrtxr v St«9Eatv), et il a peine à s'expliquer qu'on voie quelque analogie entre elles et les institutions de Sparte 46. .Les progrès de la démocratie en Grèce ne pouvaient manquer d'exercer une influence sur la constitution crétoise. Le rôle de l'assemblée alla grandissant. C'est elle qui, au temps de Polybe, non-seulement statue sur les questions les plus graves, mais encore donne des ordres et des instructions aux magistrats. Les Crétois supportèrent, sans trop murmurer, le régime aristocratique que nous avons décrit. Aristote le constate lui-même et attribue la tranquillité de cette foule, tenue à l'écart des affaires, à la confiance qu'elle avait dans la probité de ses magistrats, dont les corrupteurs habituels des magistrats du continent n'avaient pas intérêt à acheter le concours III. Plusieurs fois, les Crétois, las des agitations et des guerres civiles que suscitait l'antagonisme des cités rivales, ou sentant que leurs divisions ne leur permettraient pas de résister à une invasion étrangère imminente, essayèrent de s'associer et de former ce qu'ils appelaient le syncrétisme (auYxpr,2tapéç) 48. On trouve aussi plusieurs mentions d'une sorte de droit commun à l'île entière, d'une juridiction supérieure à toutes les cités crétoises prises individuellement (xotvol(xtov) 4s, juridiction dont on constate encore l'existence au 111e et au ne siècle avant notre ère. Mais ces tentatives ne paraissent pas avoir été couronnées de succès et l'on peut dire qu'il n'y eut jamais en Crète de fédération générale durable. Ce qu'on rencontre plus souvent, ce sont des fédérations partielles. Deux cités voisines, séparées souvent par une distance de moins de dix kilomètres, avaient naturellement, par suite de ce voisinage, beaucoup d'intérêts communs. Elles concluaient alors des traités d'alliance défensive, clans lesquels chaque cité accordait aux citoyens de l'autre cité de nombreux avantages. Nous possédons le texte de plusieurs de ces traités, notamment de ceux qui intervinrent, vers le nte siècle, entre Hiérapytna et Prian CIéE 1566 --CIRE sos U0, entre Lato et Olusn, entre Oins et Lvttus, entre Lyttus et Malla 5', etc., traités qui confirmaient souvent un état de choses bien antérieur". Les copies de ces actes de fédération locale étaient déposées et soigneusement conservées, non seulement dans les temples de file, mais encore dans les sanctuaires les plus respectés du reste de la Grèce, pax exemple dans le temple d'Apollon à Délos. Une cité tierce, habituellement Cnosse pour les villes du lord, Gortyne pour les villes du Sud, parfois même une cité étrangère à l'île, était désignée pour jouer le rôle d'are bitre ou de médiateur en cas de difficultés 64, Dans ces traités, chaque cité accorde chez elle aux membres de l'autre cité l'ISOPOLITEI4, privilège que l'on ne doit pas confondre avec la 7rnincreiz ou droit de cité, ni avec l'icoz€?,et« ou assimilation aux citoyens relativement aux taxes et aux impôts ; l'iaoxa),tnnnec conférait à l'étranger la jouissance de certains droits habituellement réservés aux citoyens, mais elle ne lui donnait ni le droit de remplir des fonctions publiques, ni celui de siéger dans les assemblées. La cité accorde également l'cmtynglu, droit pour l'étranger d'épouser une citoyenne ; l't xrr3au, droit pour l'étranger d'acheter et de posséder des immeubles: la c.eroyn xui AsEav zai zvtp 1nEvoly rcâvtiwv, participation à toutes les choses divines et humaines, formule un peu vague dont il ne faut pas exagérer la portée; l'éartvsyhe, droit pour l'étranger de faire paître ses troupeaux dans les pàturages publics, sans payer aucune taxe, ou du moins sans payer une taxe plus élevée que celle qui est exigée des habitants du pays, etc. Les habitants d'une cité pourront, sur le territoire de ]'autre cité, vendre et acheter, prêter et emprunter, faire en un mot tous les contrats de la vie civile avec la certitude que la loi du lieu du contrat les protégera, Si quelqu'untrouble l'étranger dans l'exercice des droits concédés, une amende sera prononcée contre l'auteur du trouble, Lorsque le député d'une des villes contractantes se rendra dans l'autre, il sera hébergé aux frais de cette dernière; les kosmes devront lui procurer tout ce dont il aura besoin. L'inaccomplissement de ce devoir d'hospitalité sera puni par une amende de dix statères, que la ville négligente devra remettre au député. Lorsque le kosrne d'une cité ira dans l'autre cité, il devra être revu dans le lieu où se tiennent les magistrats, et admis à prendre séance dans l'assemblée da peuple. Si les habitants de l'une des cités se trouvent dans l'autre, au moment des fêtes ou des cérémonies religieuses, ils devront y être admis comme les habitants du pays. Si des contestations sont pendantes entre les deux cités au moment de la conclusion du traité et qu'on ne puisse les soumettre à la juridiction commune, au xaniti xtos dont nous avons déjà parlé 55, elles seront jugées par un tribunal désigné d'un commun accord. Un délai est assigné aux kosmes, délai dans lequel le jugement devra être rendu sur leurs diligences. Pour les contestations qui s'élèveraient à l'avenir entre les deux cités contractantes, elles devront être soumises d'abord à un arbitre (ap6Stx0ç? ; à défaut de conciliation, on fera juger le confit par une cité tierce, désignée d'un commun accord. Ainsi le peuple de Lato et le peuple d'Olus ont pris l'engagement de porter leurs différends devant la ville de Cnosse, qui, à l'occasion, ne craint pas de leur rappeler cette promesse et de les inviter à s'y conformer JO. Ce seront encore les kosmes ou premiers magistrats qui joueront le rôle le plus actif, si actif que Dceckh a cru qu'ils auraient ïa direction des débats Pour assurer l'exécution des jugements rendus par la ville tierce, chacun des deux peuples sera obligé de fournir une garantie. Ainsi les cités de Lato et d'OAus donneront une garantie équivalente à dix talents alexandrine d'argent, et c'est cette somme qui servira à, indemniser la partie gagnante, quand elle éprouvera un préjudice par suite du refus du condamné d'exécuter la sentence. Chose notable, cette garantie n'est pas fournie en argent; on n'a pas voulu, sans doute, astreindre de petites cités à une consignation pécuniaire très onéreuse. Elle ne consiste pas non plus en simples cautionnements; la ville de Cnosse, n'ayant d'action directe que sur les Cnossiens, n'aurait pu agréer comme répondants que ses propres citoyens, et ceux-ci ne devaient pas être empressés de se porter gratuitement garants de l'exécution d'une sentence par une ville étrangère. On supplée à ces cautionnements, réels ou personnels, par une garantie ingénieuse on aura, dit le traité, recours à l'intermédiaire du ypetspu?,xxtov de Cnosse. Cela veut dire sans doute que les deux cités contractantes se procureront des titres de créance sur des habitants de Cnosse; obligation aisée à remplir, puisque les différentes villes de Crète avaient des relations commerciales très suivies, et que beaucoup de citoyens d'une ville devaient être créanciers ou débiteurs des citoyens de la ville voisine. Ces titres de créance, déposés dans le ,pewunéxtov de Cnosse, seront à la disposition des magistrats de cette ville. Lorsque l'éventualité prévue se réalisera et qu'iI faudra indemniser soit Lato, soit Olus, les magistrats Cnossiens feront présenter les titres aux débiteurs Cnossiens, et paieront l'indemnité avec les sommes encaissées 5'. Dans un traité de la fin du me siècle avant I.-C., entre Hiérapytna et Priansos 5e, nous trouvons une clause assez curieuse. On sait que les Crétois se livraient volontiers à la piraterie ; or des pirates n'ont pas toujours le loisir de porter directement chez eux leurs prises; lorsqu'ils se sentent poursuivis, leur intérêt exige qu'ils profitent du premier abri qu'ils rencontreront. Les deux cités maritimes de Priansos et d'Iliérapytna promettent de se venir mutuellement en aide. Quand un citoyen d'Iliérapytna introduira à Priansos des choses dérobées, qu'il voudra mettre immédiatement en sûreté, en attendant l'heure où il pourra les conduire chez lui ('rà tirage 'atpa, id est subducta et subtracta in Inca tuto pos=ta), la ville de Priansos ne percevra aucun droit de douane, soit à l'entrée, soit à la sortie, par terre ou par mer, des choses elles-mêmes et des fruits qu'elles auraient pu produire. Ce sera seulement dans le cas où la chose serait vendue et où l'acheteur l'emporterait par mer que des droits de douane pourront être exigés, Un traitement réciproque est garanti aux habitants de Priansos pour les choses qu'ils introduiraient dans thérapytna. Les contractants favorisaient ainsi leurs compatriotes crétois, ot igepu),ot, sans faire bénéficier de cette faveur les étrangers qui venaient s'approvisionner en Crète. IV. -Après cet exposé sommaire de la constitution CRE 1567 CRE politique des cités crétoises, nous pouvons indiquer rapidement quelques traits de leur législation. On admet généralement, malgré les vives objections de Grote, que les Doriens en Laconie procédèrent au partage des terres conquises, en faisant des lots d'égale valeur, et en édictant, pour maintenir le plus longtemps possible cette égalité, l'indivisibilité et l'inaliénabilité des parts. Rien n'autorise à croire que les Doriens de la Crète aient eu la même préoccupation. On ne peut pas affirmer qu'il y ait eu répartition égale des terres conquises entre les conquérants. Mais, lors même que cette répartition aurait eu lieu, comme les lots étaient certainement disponibles et divisibles, l'égalité n'eût pas tardé à disparaître. Polybe reconnaît que rien ne fait obstacle en Crète à ce qu'un propriétaire accroisse à l'infini ses domaines n. En Crête, comme à Sparte, il y avait des repas publics, dont l'organisation était méticuleusement réglée. La seule différence notable entre les syssities des Spartiates et les âaêpa"a des Crétois a été mise en relief par Aristote 60 A Sparte, chacun des convives devait, pour sa part, contribuer, soit en nature, soit en argent, aux dépenses des syssities, tandis que, en Crète, les citoyens étaient nourris aux frais de l'État. Les revenus publics, comprenant les produits des domaines de l'État cultivés par les gvwiTet et les tributs payés par les i5ntixont, étaient divisés en deux parts, l'une affectée aux dépenses générales du culte et de l'administration, l'autre réservée pour les'xvipa7s. On a maintes fois vanté l'hospitalité des Crétois, qui, dit-on, contrastait avec la xénélasie de Sparte. Il est certain que, dans l'civôpaiov, une table d'honneur était dressée pour les étrangers, et que, lorsque des étrangers y prenaient place, ils étaient servis avant tous les citoyens ; les kosmes eux-mêmes ne venaient qu'en seconde ligne. II paraît bien aussi qu'un bâtiment spécial, le xotu ,Tijptov, était affecté aa logement des étrangers. Il ne faut pas toutefois perdre de vue que ces étrangers si favorablement traités n'étaient pas habituellement des gens venus des continents voisins. C'étaient, en réalité, des Crétois, membres des petites républiques voisines de celle qui les accueillait. Les Doriens en général n'étaient naturellement portés ni vers l'industrie, ni vers le commerce. Il est donc probable que, pendant longtemps, les Crétois doriens abandonnèrent ces deux branches de l'activité humaine aux anciens habitants du pays, les û7-f,xoot, groupés dans les petites bourgades dépendantes des cités doriennes, de même que les Doriens de la Laconie les avaient abandonnées aux périéques. Mais l'antique discipline dorienne ne demeura pas ausssi forte en Crète qu'à Sparte. L'amour des richesses, le désir de faire fortune, s'implantèrent de bonne heure dans le coeur des Crétois u, et tous les moyens leur parurent bons pour s'enrichir. Quelques cités crétoises abandonnèrent les vieilles traditions de leur race'', On vit des bandes de Crétois, engagées comme troupes mercenaires, qui mettaient aux enchères leurs services et combattaient indifféremment amis ou ennemis 63, au besoin même marchaient contre leur propre pays. Rome utilisa cette vénalité; car, parmi les prisonniers qu'Anni bat fit à Trasimène, il trouva jusqu'à six cents Crétois ". D'autres s'adonnèrent à la piraterie. Habitants d'une lie montagneuse qui ne produisait pas toutes les choses nécessaires à la vie, les Crétois devaient être navigateurs; mène pour aller d'une cité dans une autre, il était souvent plus facile de voyager par mer que de franchir les montagnes ou de traverser les forêts dont l'île était couverte. Beaucoup de villes eurent des ports et des arsenaux considérables. L'idée de Crétois finit par devenir inséparable de celle d'homme de mer. Mais, au lieu d'user de cette habileté pour exercer loyalement le commerce maritime, les Crétois devinrent des pirates redoutés. Nous avons cité plus haut un curieux traité conclu entre Hiérapytna et Priansos en vue de protéger leurs conquêtes ré ciproques.. Plus tard, l'alliance, que les Crétois firent avec les pirates de la Cilicie, contribua à fixer sur eux l'attention des Romains et hâta l'occupation de leur île, Nous savons peu de chose de la législation civile des Crétois, Meursius a dit que le mariage était permis entre frères et soeurs ; mais nous ne croyons pas utile d'insister de nouveau sur une erreur qui nous paraît suffisamment démontrée par nos devanciers. L'adultère était puni, au moins à Gortyne, de peines pécuniaires et infamantes; une amende de cinquante statères était prononcée contre le complice, sur la tête duquel on plaçait une couronne de laine, afin de bien montrer qu'il était mou, efféminé et impropre à tout autre service qu'à celui des femmes. Cette couronne était le signe extérieur de sa dégradation civique 68 Aristote 66 parle de mesures qui auraient été législativement adoptées pour prévenir le développement excessif ûWavaç Igt\(a. On est bien obligé d'avouer que la moralité des Crétois laissait beaucoup à désirer ; les liaisons entre hommes faits et adolescents dégénérèrent trop souvent en honteuses associations. Mais il est difficile d'admettre que le législateur crétois ait jamais expressément autorisé et surtout encouragé de pareilles turpitudes. Dans le partage des successions, les filles étaient moins bien traitées que les fils; mais elles n'étaient pas exclues. Elles recevaient, à titre de dot, une part égale à la moitié de celles de leurs frères G7. Le texte d'une vieille loi crétoise, remontant au commencement du vie et peut-être au vue siècle avant notre ère, a été trouvé, il y a quelques années, dans les ruines de Gortyne; cette loi détermine quelques-uns des effets de l'adoption ou de l'institution d'héritier. Mais, le sens qu'il faut lui donner n'étant pas encore bien fixé, nous devons nous borner à une simple mention 68. Nous n'insisterons pas davantage sur une autre loi, trouvée également à Gortyne, et qui parait avoir eu pour et le règlement de la succession d'un père mort en ne laissant qu'une fille héritière (aovpotD,,Aoç) 39. D'après Plutarque, à Cnosse, lorsqune personne voulait emprunter de l'argent à une autre personne, au lieu de le demander, elle devait le prendre de sa propre autorité. Le philosophe grec essaie de justifier cette coutume CRI 1568 CRI singulière en disant qu'elle avait été motivée par le désir d'assurer la restitution du prêt. L'emprunteur, qui ne se serait pas libéré k l'époque où le remboursement était exigé, eût été exposé, non pas k une simple action fondée sur le contrat de prét, mais k l'action de vol". Notons enfin, sur la foi de Platon7t, qu'il était défendu aux jeunes gens de rechercher et de discuter si les lois étaient bonnes ou mauvaises. Leur devoir était d'affirmer sans hésitation que les lois de leur pays, lois inspirées par la Divinité, étaient excellentes et de refuser d'écouter quiconque les critiquerait devant eux. Les vieillards seuls étaient autorisés k soumettre leurs réflexions aux magistrats et k d'autres vieillards, les jeunes gens étant préalablement éloignés. Pour tout ce qui concerne l'éducation des jeunes Crétois, nous renvoyons k ce que nous avons dit sous l'article