Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article CULINA

CULINA, Mayatpeiov. I. Grèce. On sait que nous manquons absolument de documents sur la construction de la maison grecque. Vitruve décrit, il est vrai, certaines dispositions particulières aux habitations grecques', mais il est probable qu'il ne s'occupe là que des constructions de son temps ; en tout cas, il n'y est pas question des cuisines. Les fouilles archéologiques, jusqu'à présent, ne nous ont pas procuré des renseignements précis sur ce sujet. Quelques archéologues citent bien une habitation de Délos qui remonterait à l'époque grecque, et où l'on voit figurer une cuisine', mais le dernier explorateur de l'île de Délos, M. Paris, déclare qu'il n'a rien retrouvé de cette prétendue maison, dont le plan offre d'ailleurs beaucoup d'obscurité; il a donné lui-même la description de deux habitations qu'il a fouillées et dont il attribuerait la date au II' siècle av. J.-C. ; on y voit quelques petites chambres qui auraient pu servir de cuisine, mais où rien n'indique en particulier cette destination'. Un renseignement un peu plus précis, sans être absolument certain, nous est donné par les fouilles de MM. Heuzey et Daumet, à Palatitza en Macédoine; dans le grand édifice qu'ils croient être une sorte de Prytanée royal des souverains de Macédoine, on voit, à côté de la salle des festins (hestiatorion), une série de petites salles dépendantes qui devaient servir de cuisine et d'offices, comme paraît le prouver la présence d'un caniveau, destiné à l'écoulement des eaux et engagé dans les substructions On voit que ces documents se réduisent à fort peu de chose. On ne peut, en somme, raisonner que sur quelques textes des auteurs et c'est là-dessus que les archéologues ont édifié des plans et des restaurations de maisons grecques qui sont purement hypothétiques et qui diffèrent beaucoup entre eux'. Il paraît probable qu'à l'époque la plus ancienne, il n'y eut pas d'emplacement particulier pour la cuisine chez les Grecs. Nous savons que l'office de cuisinier [COQuus, p. 14991 n'avait rien de servile et qu'il était rempli par les héros eux-mêmes ou par leurs jeunes compagnons. Dans l'Odyssée, c'est la grande salle de réunion pour les hommes (zéyapov) qui sert de cuisine, et la cuisson des aliments se fait sur le vaste foyer qui remplit le fond de la pièce'; un simple trou dans le toit laisse passage à la fumée [CAMINUS, p. 861] 7. Nous ne savons pas à quelle époque se fit le changement qui relégua la cuisine dans un coin retiré des appartements; mais nous voyons que c'est un fait accompli au ve siècle. Un des personnages d'Aristophane, Philocléon, échappant à la surveillance de ses gens, se réfugie dans la cuisine et se sauve par la cheminée ; on le voit apparaître en haut du toit, d'où il harangue son fils et son serviteur 8. Le tt.ayetpeiov, qu'on appelle aussi éicraveTov, est toujours désigné dans la suite comme une division particulière de la maison'. Il faut ajouter cependant que la cuisine ne perd pas absolument à ce changement le caractère religieux qu'elle avait d'abord ; la présence du foyer, qui est le point de départ du culte privé des Grecs, lui conserve ses relations avec les divinités protectrices de la maison; on y voit figurer les dieux du foyer 70, comme tout à l'heure à Rome nous y verrons les Lares. 11 devait y avoir également des cuisines annexées aux temples et aux édifices publics en Grèce". Les cuisiniers avaient un rôle assez important dans les temples [COQuUS, p. 1504] et nous savons qu'on offrait aux divinités de véritables repas qui nécessitaient la présence d'une cuisine, indispensable d'ailleurs pour les besoins du personnel des sanctuaires 12 ; mais nous n'avons aucun détail sur la disposition et la construction de ces cuisines. II. Rome. Chez les Romains, la culina, qu'on appelle aussi plus anciennement colina13 et coquillaf4, n'a pas toujours été non plus reléguée dans une partie distincte de la maison. Le grand foyer [FOCUS], placé dans l'atrium comme un autel consacré aux divinités protectrices, servait en même temps à cuire les aliments i5. Dans les comédies de Plaute au lue siècle av. J.-C., il est déjà question de la cuisine comme pièce distincte" ; mais il est vrai qu'elles sont imitées du grec. Au siècle suivant, Varron recommande de placer la cuisine dans la partie postérieure de la maison 47. Le même conseil est donné plus tard par Columelle, qui explique que la cuisine doit être éloignée des chambres à coucher et des pièces où l'on se tient habituellement à cause du danger d'incendief8. Ce changement n'en bannit pas la religion, et la cuisine, comme le foyer primitif, resta le sanctuaire particulier des Lares protecteurs de la maison. Outre les textes des auteurs f9, nous en avons pour preuve les décorations à fresques qu'on a trouvées dans les cuisines de Pompéi, et qui représentent toujours les Lares, seuls ou accompagnés d'une autre divinité protectrice, avec les deux serpents enroulés près d'un autel qui sont aussi un symbole tutélaire (fig. 2096)". Dans les habitations de campagne, la cuisine sert en même temps de salle à manger aux serviteurs de la maison ; elle a besoin d'être spacieuse 2f. A la ville, au contraire, la cuisine occupe un emplacement plus restreint, à moins qu'il ne s'agisse de maisons très riches, comme celles dont parle Sénèque, où l'on voit tout un peuple de cuisiniers s'agiter au milieu des fourneaux allumés 2R. Grâce aux découvertes de Pompéi, nous sommes bien renseignés sur la disposition et l'aspect de la cuisine telle qu'elle se trouvait dans les habitations des bourgeois romains. Nous la trouvons ordinairement placée, suivant les principes donnés par les auteurs, dans une partie reculée de la maison, en général dans les dépendances qui entourent le peristylium (fig. 2097)'3. Dans beaucoup de maisons de Pompéi on voit encore le fourneau, composé d'un bloc de maçonnerie adossé au mur dans un angle de la pièce 24 (lettre A du plan) ; nous n'avons pas à in CUL 1581 CUL sister sur la forme de ce fourneau avec sa cheminée (xaavoad ) qui a été décrite ailleurs [cAMlnus]. A côté de ce fourneau fixe, il y avait sans doute place aussi dans la cuisine pour les fourneaux de bronze portatifs qui servaient de réchauds pour l'eau ou pour les plats [cALDAmuM]. Dans ces deux genres de fourneau, on brûlait du charbon de bois 25, qui avait l'avantage de développer peu de fumée; on en a trouvé des restes à demi consumés sur le fourneau de la cuisine dans la maison de Pansa 26. Bans un autre angle de la pièce se trouve souvent la pierre d'évier 27, munie de ces tuyaux pour l'écoulement des eaux, que les auteurs appellent confluvia et Ces tuyaux ont d'ordinaire leur dégagement dans les latrines qui, pour cette raison, sont presque toujours placées près de la cuisine dans les maisons de Pompéi 29. La citerne où l'on puise l'eau pour les besoins du ménage se trouve aussi à proximité (fig. 2097) 30 L'ameublement de la pièce se compose de tous les instruments nécessaires au métier de cuisinier, casseroles et chaudrons de métal, grands vases d'argile, passoires et LIUM, CULTER] 31. Beaucoup de ces ustensiles sont suspendus au mur, à côté du fourneau 32; au-dessus de l'ouverture des foyers, on plaçait de petits trépieds de bronze [TRIPUS] qui supportaient les récipients où cuisaient les mets. Notons encore comme partie de l'ameublement la table de cuisine avec le dessus en marbre blanc pour y découper proprement les viandes et où l'on remarque parfois à l'extrémité une petite cavité qui servait, croit-on, à piler des ingrédients comme le sel et le poivre 33 On voit souvent, à côté de la cuisine, une ou plusieurs petites pièces adjacentes qui devaient servir d'offices Il semble tout naturel que dans le plan de la maison romaine, comme nous l'avons vu plus haut pour le palais grec, la cuisine ait été mise à proximité de la salle à manger [TRICLINIUM]. Il n'y a pourtant pas de règle à ce sujet et l'on voit parfois la cuisine et ses dépendances reléguées assez loin de la pièce où se passaient les repas et les festins 33; mais, d'autre part, il n'est pas rare de voir à côté de la cuisine (n° 2 du plan) s'ouvrir le triclinium (n° 1) 36 parfois même on a ménagé une ouverture dans la muraille pour faire passer directement les plats dans la salle à manger, comme cela se pratique dans les maisons CUL -J1482 -CUL modernes, afin d'éviter le va-et-vient des serviteurs '7. Une autre idée ingénieuse des architectes de Pompéi est, d'avoir fait dans quelques habitations la salle de bains contiguë à la cuisine, de façon à. faire servir le fourneau comme fol.o9 ' pour les bains ae [BAL\PL4ii. On remarquera aussi qu'en général, a côté de la cuisine se. trous'e l'escalier qui conduit à l'étage supérieur de la maison (fig. 2097) 39; cette disposition a peut-être été amenée par l'habitude qui existait déjà au temps de Varron de prendre les repas à l'étage supérieur de la maison ", Les cuisines en sous-sol sont également connues dans l'antiquité. M. de Vogüé a donné la description d'une cuisine souterraine dans un groupe d'habitations de la Syrie centrale, dont les fondations sont creusées dans le roc. On y pénètre par un escalier souterrain; le foyer est en forme de table légèrement concave et placé dans une niche au-dessus est un grand trou circulaire perce dans le plafond pour laisser entrer le jour et sortir la. fumée ; tout autour, des anneaux fixés dans les parois, des niches, des auges servaient à suspendre, laver et ranger les ustensiles du ménage (fig. 2098) °T. Ce que nous venons de (lire de la cuisine dans les habitations privées s'applique également à celles qui dépens (laient des, temples et des édifices publics chez les Rnn air , Le plan de 1'Isium de Pompéi indique très nettement la situation de la cuisine au rez-de-chaussée, assez loin des chambres à coucher et e côté du triclinium réservé au personnel du sanctuaire " 2 ; les inscriptions mentionnent plusieurs fois des cuisines dédiées à des divinités et qui devaient faire partie de sanctuaires ". Rappelons enfin que les rites funéraires et les banquets funèbres qui s'accomplissaient près des tombeaux des morts avaient nécessité, dans les cimetières antiques, la construction de cuisines publiques ou privées qui servaient à préparer les epulae fnnebres ' [EUNCS]. E. Po7•rsex.