Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

DADUCHUS

DADUCHCS, Saâoü foq. I. Le daduque était le second personnage dans la hiérarchie sacerdotale d'Éleusis. Son nom vient de l'attribut caractéristique qui le distinguait des autres ministres de Déméter. A«ô'e5 oq signifie, en effet, un porte-flambeau et, avant de désigner une fonction religieuse, avait un sens beaucoup plus général'. Dans l'exercice solennel de son ministère le daduque portait donc les flambeaux de Cérès. Nous savons aussi que, comme l'hiérophante et les autres prêtres du culte éleusinien, il était revètu d'une robe de pourpre et avait la tête ceinte d'une couronne de myrte': de plus, même en dehors des cérémonies religieuses, il portait ce diadème, qui, à Marathon, fit prendre Caillas pour un roi par les Perses 4. Sur le fameux vase d'Iacchus découvert à Panticapée et conservé à Saint-Pétersbourg, au Musée de l'Ermitages, on voit Eumolpe faisant l'office de daduque auprès de Déméter et de Coré. Cette figure, que nous reproduisons (fig. 2276) explique d'une manière précise la coiffure caractéristique de cette fonction sacerdotale et aussi la manière dont le daduque portait les flambeaux; mais nous croyons qu'il ne faut pas la prendre à la lettre pour le reste du costume. On sait positivement par d'autres sources que les ministres supérieurs d'Éleusis portaient la STOLA ou robe longues ; il est donc probable que sur le vase la tunique courte aux riches broderies et les endromides ont été données à Eumolpe en imitation du costume thrace et pour rappeler son origine [ELEUSINIA]. On manque presque absolument de notions sur le rôle du daduque dans la célébration des mystères et dans les grandes solennités du culte 7. Suidas le fait prier avec l'hiérophante pour le salut du sénat et du peuple Porphyre, cité par Eusèbe raconte que dans le drame d'une des nuits sacrées des initiations [ELEUSINIA, sect. vil], le daduque faisait le personnage du Soleil, comme l'épibome celui de la Lune, l'hiérocéryx celui d'Hermès, et l'hiérophante celui du Démiurge. Enfin Hésychius et Suidas S8 disent que, dans les purifications qui précédaient les mystères, c'était le daduque qui plaçait sous les pieds de.s DAD 3 DAD hommes soumis à la purification la peau des victimes immolées à Zeus Milichios, c'est-à-dire ce que l'on appelait due; xs,iitsv. Quelques savants prétendent qu'avec l'hiérophante il aurait « administré en commun ce qu'on appelait aeydg.eva, les prescriptions ou les formules parlées. n Les passages allégués à cet égard ne sont rien moins que positifs. Le siège d'honneur du daduque " figure à un rang très distingué parmi ceux du théâtre de Bacchus 32. Cependant ce personnage était considéré, par rapport à l'hiérophante, comme un assistant de celui-ci; lui et l'hiérocéryx marchaient au même degré hiérarchique S3. Bien que Lucien f4 dise formellement que le daduque était hiéronyme aussi bien que l'hiérophante, c'est-à-dire perdait en entrant en fonctions son nom individuel pour n'être plus désigné que par son titre, ce témoignage est formellement démenti par les monuments et par les auteurs, qui donnent toujours le nom des ministres de cette espèce, même de leur vivant. Aussi, de toutes les fonctions sacerdotales d'Éleusis, la daduchie est-elle celle dont on connaît le plus de titulaires''. Primitivement l'office de daduque était héréditaire dans la famille des Callias, dont on ignore l'appellation commune, qui faisait remonter son origine à Triptolème 16 et qui était en mème temps étroitement apparentée avec la race des cEHYCES 17. La filiation des personnages de cette famille, qui occupèrent tous un rang très considérable dans l'État, depuis le temps de Solon jusqu'à celui de la première guerre olynthienne, vers lequel leur race s'éteignit, est parfaitement connue par les auteurs S8 La famille des Callias ayant fini, comme nous venons de le dire, en la personne d'un Hipponicus au 1v° siècle avant notre ère, la daduchie passa à une autre race religieuse de l'Attique, les Lycomides, dont l'origine ne se rattachait pas aux traditions éleusiniennes ", mais dont un des ancêtres mythiques, Lycus, passait pour avoir introduit en Messénie des mystères calqués sur ceux d'Eleusis 20. Illustrée dans l'histoire par Thémistocle, cette famille desservait et possédait en propre un vieux foyer de mystères pélasgiques, différents de ceux d'Eleusis, mais où une doctrine semblable était professée, le PASTOS de Phlya 2f. Les Lycomides conservaient traditions nellement les hymnes de Pamphus, d'Orphée 22 et de Musée 23 en l'honneur de Déméter. Dès l'an 300 avant l'ère chrétienne on les trouve en possession de l'office de daduque à Éleusis 2, mais on ne connaît les membres de cette famille qu'à partir de l'an 160 environ, cent ans avant l'époque où ils s'allièrent à la descendance de l'orateur Lycurgue, c'est-à-dire au sang des Étéobutades, qui avait, quelques générations auparavant, contracté alliance avec celui des Eumolpides. Dès lors nous connaissons leur généalogie presque complètement jusqu'au milieu du Ive siècle de l'ère chrétienne ; on a pu en dresser le tableau pour un intervalle de 500 ans environ 26. Bien que les auteurs anciens ne parlent jamais des da duques d'Éleusis, mais du daduque, en employant le mot. S«ôoûxoç au singulier et toujours avec l'article, é Sxcoûxo„ bien qu'on sache positivement que la daduchie était une fonction à vie u, Sainte-Croix 27, Beeckh 28 et Bossler 20 ont cru pouvoir conclure des inscriptions qu'il y avait, au moins à l'époque romaine, plusieurs individus investis en même temps du titre de daduques, lesquels figuraient alternativement dans les cérémonies par un roulement régulier. Rien dans la réalité ne justifie cette supposition. Pausanias 36 dit même formellement le contraire; car s'il avait pu exister simultanément plusieurs personnages portant le titre de daduques, il ne remarquerait pas comme une circonstance fortuite (tlyo), sans autre exemple, le fait qu'Acestium vit de son vivant son frère, son mari et son fils successivement investis de cette fonction. De même, dans les catalogues des AEISITOI du Prytanée, lorsque nous en possédons plusieurs qui appartiennent à des années immédiatement consécutives, nous voyons le daduque rester le même sans qu aucune alternance avec un autre se produise 31. Il est vrai que, dans le tableau généalogique de la famille des Lycomides, on voit quelquefois deux daduques à la même génération. Mais ceci ne prouve pas qu'ils aient en même temps porté ce titre, et l'existence d'un seul daduque est aujourd'hui généralement admise 32. C'est en partant de cette donnée que l'auteur du présent article est parvenu à reconstituer, sauf deux très courtes lacunes, la liste complète des daduques d'Éleusis depuis 460 av. J.-C. 33. En effet, l'office de la daduchie se maintint, sans sortir de la famille des Lycomides, jusqu'à la destruction des temples d'Éleusis par Alaric, en 396 ap. J.-C. 34. Le dernier connu est Flavius Pompéius, dont on a un monument élevé entre 360 et 370'5. Choisi sans doute par la voie de l'élection dans une des deux familles dont nous venons de parler, le daduque n'était admis à remplir sa charge qu'après avoir passé par un examen 36, sans doute devant les Eumolpides et les Céryces réunis en conseil. II y avait aussi des daduques dans quelques-uns au moins des mystères issus et imités de ceux d'Eleusis, par exemple à Paros 37. II. Un des caractères particuliers du sacerdoce éleusinien était l'existence d'une hiérarchie féminine, analogue et parallèle à la hiérarchie des ministres choisis dans le sexe viril. C'étaient pour les représentations des nuits mystiques que ces prêtresses étaient particulièremen t nécessaires. En effet, dans ces spectacles, à côté des mannequins de taille colossale qui sortaient du plancher de l'Anactoron des Grandes-Déesses, des rôles importants étaient remplis par les principaux ministres du culte costumés en divinités 3s [ELEUSINIA, sect. vit]. Eusèbe 30, d'après Porphyre, fait connaître ceux de l'hiérophante, du daduque, de l'hiérocéryx et de l'épibome. Il ne parle pas des prêtresses, mais les monuments qui peuvent être rapportés aux représentations de la nuit de l'époptie suppléent à cette lacune L0. Ceux-ci indiquent, en effet, l'existence de trois ministres sacrés de l'ordre supérieur DAE 4 DAE appartenant au sexe féminin et tenant les personnages de Déméter, de Coré et d'Artémis. Les filles de Céléus, comme l'a remarqué M. Auguste, Mommsen 41 étaient aussi au nombre de trois 42 et avaient dû fournir les types des trois ministres féminins. C'était d'abord l'hiérophantide, puis sans doute la prêtresse éponyme, correspondant à l'uriBonnus ; la troisième était certainement la parallèle du daduque, et l'on peut supposer qu'elle remplissait le rôle de Coré, comme l'hiérophantide celui de Déméter. Or, une inscription de Gortyne d'Arcadie "a mentionne une femme qui avait été daduque et à qui la famille sacerdotale des Prosymnéens, dont elle faisait probablement partie, avait élevé une statue. Le lieu où l'inscription a été trouvée et le rapport évident entre la famille des Prosymnéens et le culte de Déméter Prosymna, à Lerne 44, rendent certain que c'est dans les mystères de Lerne [ELEUSINIA, sect. ix] que la femme en question avait exercé la daduchie. Mais le peu que nous savons de ces mystères révèle une grande affinité avec ceux d'Éleusis; des deux côtés l'organisation du sacerdoce semble avoir été identique. Aussi, malgré le manque de témoignages antiques formels à ce sujet, nous n'hésitons pas plus que M. Guigniaut `'3 à ranger parmi les hypothèses presque sûres celle de l'existence à Éleusis, comme à Lerne, d'une prétresse porte-flambeau parallèle au daduque. Lucien y fait, d'ailleurs, une allusion directe et manifeste 46. Enfin, Gerhard a remarqué que le daduque féminin figure à plusieurs reprises, d'une manière impossible à méconnaître, clans plusieurs des représentations de l'art qui ont trait aux mystères d'Éleusis 47. F. LENOItMANT.