Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article DALMATICA

DALMATICA. Les textes les plus anciens qu'on connaisse sur la dalmatique ne datent que de l'époque impériale. Lampride signale comme une excentricité que Commode porta la dalmatique en public et au cirque' . Capitolin, parlant de la vente des objets qui avaient appartenu à Commode, mentionne aussi chiridotasDalmatarum 2. Lampride, pour blâmer Héliogabale, dit qu'il portait publiquement la dalmatique 3. C'est peut-être le même vêtement qu'on trouve désigné chez Trebellius Pollio sous le nom de singiliones dalmatenses De ces textes des écrivains de l'histoire Auguste on peut tirer quelques renseignements. 1° La dalmatique avait déjà été portée à l'époque républicaine, mais, semble-t-il, cette infraction au costume national était considérée comme une honte A l'époque impériale l'habitude s'introduisit de porter des vêtements d'origine étrangère. Les empereurs eux-mêmes en donnèrent souvent l'exemple, mais leurs biographes le notent en des termes qui contiennent un blâme. On adoptait ainsi, même officiellement et au mépris des traditions, des vêtements, soit de tissus précieux, soit de formes amples et commodes. 2° La dalmatique était originaire de Dalmatie. On manque malheureusement de renseignements sur l'ancien costume dalmate. Les écrivains du moyen âge ont suivi sur ce point le témoignage des écrivains profanes G. 3° Enfin Capitolin note les longues manches comme le trait distinctif de la dalmatique. Il faut descendre ensuite jusqu'au Iv° siècle pour trouver de nouveaux renseignements. L'édit de Dioclétien sur le maximum, de l'an 301, chap. xvi et xvn, atteste que l'usage de la dalmatique était fort répandu en Orient'. Il existait en Asie Mineure et en Syrie plusieurs manufactures importantes à ce point de vue, celles de Laodicée (Latakié), de Tarse, d'Alexandrie de Commagène, de Byblos, de Scythopolis (au sud de Tibériade). Il y est question de dalmatiques tissées avec trois lices et étoffe plucheuse avec bandes de pourpre (SEauaTCxi' )dzcttoç E/ouca -copyûpaç), de dalmatiques plucheuses à capuchon (SEX LETtxuy.04EpTOç AIXuEtOç), de dalmatiques tout en soie ou mi-soie (bloer ptxai, eua1 iptxaO. Dans le chapitre xvn, les dalmatiques d'hommes et celles de femmes sont l'objet d'articles distincts : les unes et les autres sont classées d'après la qualité et les dimensions de l'étoffe. D'après M. Wad 340 et passim. 2 Paus. IX, 3, 2 et 4, nomme Platée, Corouée, Thespies, Tanagre, Chéronée, Orchomène, Lébadée et Thèbes. 3 Paus. 1. c. E,anzoeneraze. Welcker, Zu Fabium et Scipionem se appellans, quod cum ea veste esset cum qua Fabius et Cornelius a parentihus ad corrigendos mores in publicum essent producti. n Claud. 17. 5 Aul. Gell. VII, 12, au sujet des tuniques à longues manches. Une nomme pas, il est vrai, la dalmatique. CL Marriott, Vestiariusn christiani,nt, matica ventis primum in Dalmatia, proviueia Graeciae, texta est, tunioa sacerdotatis candida, cum clavis ex purpura. n 7 Le Bas et Waddington, Inscript. ,gr. DAL 20 DAL dington, il ne s'agirait à cet endroit que du prix des pièces d'étoffe destinées aux vêtements ; d'après M. Lépaulle il s'agirait du vêtement confectionné. Les dalmatiques d'hommes les plus chères en laine auraient coiffé environ 210 francs, celles des femmes 190francs ; les moins chères ne seraient que de 17 francs. Les chrétiens adoptèrent la dalmatique. Saint Cyprien de Carthage, conduit au supplice, se dépouille d'abord de son manteau, lacerna byrro e, puis de sa dalmatique, et ne garde que sa tunique 0. 11 ne s'agit pas ici d'un costume ecclésiastique : évéques et prêtres étaient alors vêtus comme les particuliers. D'après le Liber Pontificalis, un peu plus tard Eutychien, évêque de Home (275-283), défendit qu'on ensevelît les corps des martyrs sans dalmatique et sans colobe; mais le Liber Ponti ficalis est bien plus récent, et on ne peut déterminer l'origine ni la valeur de ce renseignementi0. Au ]v° siècle, par ordre du pape Silvestre (314-335), la dalmatique serait devenue le costume officiel des diacres à l'Église", mais ici encore l'autorité du témoignage est incertaine. Ce fut probablement dans le courant du v° siècle que la dalmatique devint un insigne des diacres romains, mais le pape accordait quelquefois le droit de la porter à des clercs d'autres églises 12. Il serait hors de propos ici de pousser plus loin et de renvoyer aux textes très nombreux des écrivains du moyen âge qui traitent de la dalmatique ecclésiastique 13. L'ancienne dalmatique était du reste portée encore par des laïques au vl°, au vu° siècle, etc., ainsi que l'attestent certains textes ii et des monuments tels que les mosaïques, les ivoires, etc. On faisait des dalmatiques avec divers tissus, soie, lin, mais surtout laine. Quelle était la forme de ce vètement? Dans l'édit de Dioclétien les mots dalnsatica et colobium paraissent employés comme synonymes quand il s'agit du costume viril et M. Waddington croit qu'en effet il n'y avait pas de différence entre ces deux vètementsts. Il s'appuie sur un passage de saint Épiphane où on lit « SE),µaTtxâç, iyouv xoAoôforvaç », mais l'ensemble de ce texte manque de précision et d'ailleurs à cet endroit saint Épiphane parle de vêtements juifs qu'il rapproche de vêtements romains t6_ Nicétas Choniatès , au commencement du xul° siècle, écrit aussi « les dalmatiques qu'on appelle maintenant colobes » 17, mais ce texte de basse époque est de valeur douteuse. Au contraire, de nombreux témoignages antiques distinguent la dalmatique du colobe. Tandis que Capitolin signale les longues manches du vêtement dalmate 13 Servius indique que le colobe est sans manches et qu'il appartient à l'ancien costume 12 [T MICA]. Aussi Ferrari propose-t-il d'y reconnaître la tunique ordinaire 20. Isidore, il est vrai, reproduisant Servius, ajoute que le colobe aurait été long, ce qui ne convient pas à la tunique. Cassien, décrivant le colobe des moines égyptiens, dit qu'il n'a que de courtes manches qui atteignent à peine le coude 2f. Enfin, dans le passage de la Vila Silvestri indiqué déjà il est dit que les dalmatiques auraient remplacé les colobes afin d'éviter la nudité des bras. En résumé, malgré les obscurités et quelquefois les contradictions des textes, on peut en conclure que la dalmatique différait du cotobe par des manches dépassant le coude 22 Dès lors, on peut compléter les renseignements des écrivains par ceux des monuments. Sur les bas-reliefs profanes, les diptyques consulaires, les peintures des catacombes, les sarcophages chrétiens, les miniatures de manuscrits, les mosaïques, la tunique à longues manches et tombant au-dessous des genoux que portent tant de personnages est évidemment la dalmatique. A la fin de l'empire elle s'introduit même dans le costume officiel (voy. p. 1475, fig. 1906). Les peintures des catacombes (fig. 2288 et 2289) prouvent qu'elle était ordinairement ornée de deux larges clavi de pourpre "-3 [cLAVUS ]. Ce détail est conforme à ce qu'apprennent saint Épiphane et Isidore de Séville 24. Plus tard on vit dans ces bandes de pourpre le symbole du sang du Christ'-". Pour confectionner la dalmatique on employait sans doute une pièce d'étoffe assez longue pour retomber devant et derrière ; on la pliait en deux et on cousait les bords en laissant libres pour les bras deux ouvertures auxquelles on ajustait les manches faites à part 26 ; enfin on ménageait à mi-hauteur l'ouverture pour la tête. Cet ajustement diffère de celui de la tunique ordinaire, tel que l'a si bien décrit M. Heuzey 27. De curieux vêtements, trouvés dans des nécropoles d'Égypte et récemment acquis par le Musée d'art industriel de Lyon, donnent pour l'époque romaine quelques indications qui peuvent s'appliquer à la dalmatique. Quant aux dalmatiques ecclésiastiques du moyen âge, elles ne peuvent fournir beaucoup de renseignements, car l'Église a fait subir à ce vêtement des modifications profondes : les manches ont été remplacées par des épaulières et la dalmatique a été ouverte sur les côtés. En Occident c'est surtout à partir du mit siècle que la forme de la dalmatique est définitivement changée 2s : en Orient le cTotyéptov, que portent les diacres de l'Église orthodoxe, rappelle au contraire bien mieux l'ancienne dalmatique 2s. C. BAYET.