Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article DARDANARII

DARDANARII. On appelait ainsi, en droit romain, tous ceux qui, par leurs actes, opéraient une rareté artificielle et, par conséquent, une hausse factice dans le prix des denrées. Quant au délit en lui-même, les interprètes modernes le nomment dardanariatus 1. L'étymologie de dardanarius est assez obscure. Turnèbe croit qu'on a tiré ce nom de Dardanus, célèbre magicien, parce que le peuple croyait à la possibilité d'anéantir les récoltes dans les greniers, au moyen de manoeuvres magiques ou de sortilèges, ou de tromper l'acheteur dans le mesurage. Du reste, on nommait aussi les dardanarii, pantapolae, cociatores, arillatores 3. Hxvcar.6,a11ç est le nom grec des accapareurs, comme nous l'apprend la Novelle V de Valentinien III', intitulée De pantapolis ad Urbem Romani revocandis. Mais l'expression dardanarii était la plus usitée; elle est employée par Ulpien 5. Il parait que, dans les premiers temps, les manoeuvres des dardanarii étaient punies d'une amende par les édiles, ou par le peuple, sans doute en vertu d'une loi spéciale, à laquelle Plaute fait allusion G. Tite-Live' mentionne également une peine pécuniaire prononcée contre les frumentarii, ob annonam compressam. Nous ne trouvons pas d'autres traces de ce délit jusqu'à la loi Julia de annona (on ne sait si elle appartient à César ou à Auguste). Elle embrassait dans sa généralité l'infraction des dardanarii, en tant qu'ils se seraient rendus coupables de manoeuvres frauduleuses tendant à la hausse des prix des céréales, annonam attentare ou vexaret. Cette loi fait l'objet d'un titre spécial au Digeste De lege Julia de annona. Ulpien nous dit 10 qu'elle punit quiconque a fait des actes contraires à l'approvisionnement du blé (contra annonam fecit) ou formé une société à cet effet, et celui qui, dans ce but, a détourné ou fait retenir des navires ou des matelots. La peine consistait dans une amende de 20 aurei. Plus tard, on vit que les abus en cette matière devenaient plus graves et plus dangereux et, pour les réprimer, des constitutions impériales ordonnèrent aux magistrats, et notamment au proconsul, de statuer extra ordinem, en dehors du 7UDICIUM PGBLICUM institué par la loi Julia, contre ceux qui annonam vexant ou adtentant, et même contre les accapareurs de toute sorte de marchandises : ne dardanarii ullius mercis sint. Ainsi ces peines atteignaient, par exemple, ceux qui supprimaient des marchandises après les avoir achetées, et les riches qui refusaient de vendre leurs fruits à des prix équitables, attendant d'une mauvaise récolte un bénéfice plus élevé u. Quelquefois les marchands employaient, pour accroître leurs gains, des mesures ou des poids faux, staterae adulterinae. Un édit de Trajan leur appliqua la peine de la loi Cornelia de falsis f2. Quant aux dardanarii proprement dits, leur châtiment variait; quelquefois on les frappait d'interdiction de commerce; souvent on les reléguait, ou s'ils étaient de basse condition, on les condamnait aux travaux pu Mies. Plusieurs empereurs, afin d'assurer la répression du dardanariatus, permirent aux femmes et aux militaires de se porter accusateurs en cette matière, et même aux esclaves contre leurs maîtres 13. L'empereur Zénon publia une constitution tendant à punir spécialement le concert formé par plusieurs négociants ou propriétaires pour ne vendre des marchandises qu'à un prix déterminé ; ce qui offre la plus grande affinité avec le dardanariatus. La peine était au maximum la confiscation et l'exil perpétuel14. Souvent, les empereurs, cédant aux clameurs populaires, avaient exilé de Rome les négociants en grains, violence antiéconomique et dont le résultat, comme toutes les mesures antilibérales en cette matière, a toujours été d'amener la hausse et la famine. La Novelle V de Valentinien, citée plus haut, a précisément pour but de ramener à Rome les pantapolae, afin d'y rétablir l'abondance 1 G. HUMBERT.