Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article DECUMAE

DECUMAE. La dîme (decumae) était une redevance perçue en nature sur certains possesseurs de l'AGER PUBLicus, ou de biens particuliers situés en province. 1. Sous le premier point de vue, l'impôt de la dîme paraît remonter aux premiers temps de Rome. La partie non cultivée et mesurée officiellement des terres du domaine public était, en vertu d'un édit spécial', ouverte à l'exploitation du premier occupant, sous le nom d'ager occupatorius ou arci finalis [AGER PUBLICUS], sous la réserve de la dîme des maisons et du cinquième des fruits des arbres 2. Les tenanciers de ces fonds nommés possessiones n'en avaient pas la propriété, mais une simple possession indéfinie et toujours révocable par l'État 3. Ces terres n'étaient pas officiellement mesurées ; elles n'avaient que des limites naturelles, déterminées par l'occupation des possesseurs. Ceux-ci pouvaient du reste transmettre leurs droits précaires à leurs héritiers ou avants cause 4. Primitivement le droit d'occupation était un privilège des patriciens 5, mais il fut rendu accessible aux plébéiens sous la République, en 387 de Rome seulement. Jusque-là ils n'avaient eu que la faculté d'envoyer leurs bestiaux aux pâturages publics, pascua pub lice, moyennant le payement de la taxe appelé SCRIPTERA. En outre, il arrivait souvent que les tenanciers patriciens échappaient au payement de la dîme due au trésor public 6, en sorte que les charges pesaient presque exclusivement sur la plèbe. Un projet de loi, proposé en 260 de Rome ou 474 av. J.-C. par Sp. Cassius pour obvier à cette iniquité, ne put aboutir [AGRABIAE LEGES]. En 353 de R., les plébéiens obtinrent seulement que le payement des dîmes serait rétabli' et le produit affecté à la solde des troupes. Enfin, en 387 de R., ou 367 av. J.-C., les trois rogationes de Licinius et Sextius, connues sous le nom de lois Liciniennes (Licinianae Ieges) furent décrétées. La seconde accorda probablement aux plébéiens le droit d'exploiter les agri occupatorii non déjà occupés par les patriciens, et moyennant les mèmes re devances ; car, un peu plus tard, on voit la plèbe posséder de l'ACIER PUBLICUS 8. La première rogation défendait de posséder plus de 500 jugères d'ager publicus cultivable, et d'envoyer aux pascua publica plus de 100 têtes de gros et plus de 500 têtes de petit bétail. La perception des decumae avait lieu, depuis la république, d'abord par les soins des questeurs de l'AERARIUM ° ; les édiles [AEDILIS] devaient surveiller l'exécution des lois Liciniennes 16 ; longtemps ils y tinrent la main et prononcèrent de fortes amendes contre les infracteurs et veillèrent à empêcher l'usurpation par les tenanciers des terres du domaine. Du reste, la revendication (rei vlNnlCATIO) et la réunion au domaine (publicanno) était toujours possible. Mais il paraît que, faute de cadastre et de mesures officielles, aes, forma 11, pour les agri occupatorii, les riches tenanciers peu à peu confondirent ces possessions avec leurs propres biens, achetèrent les possessiones de leurs voisins pauvres et en vinrent à ne plus payer la decuma, cette redevance, symbole de leur possesion précaire". C'est l'origine des LATIFUNDIA et l'occasion des lois agraires des Gracques [AGRARIAE LEGES]. Quoi qu'il en soit, le mode de perception des decumae avait changé à une époque indéterminée; elle avait été mise en ferme, sans doute à cause de l'immense extension qu'avait pris rager publicus en Italie " par la conquête, et notamment dans le Samnium, l'Apulie, la Lucanie, la Campanie, le pays de Tarente et de Galatie. Désormais, les redevances ou dîmes à payer par les tenanciers de rager occupatorins ne furent plus directement versées au trésor public. Les censeurs f CENSOR] mettaient aux enchères en adjudication la ferme des decumae, et une société de publicains spéculateurs [PURLICANI] s'obligeait à payer à l'État une somme fixe, sauf à recouvrer les redevances contre les débiteurs, le tout moyennant les conditions du cahier des charges [cENSORIA LoCATIO]. Cette opération se nommait agrum fruendum locare 16, en ce sens qu'on affermait au publicain le produit de la dîme, et non les terres elles-mêmes 15, comme l'ont mal compris ou exprimé certains historiens grecs 16. Sous un autre point de vue, dans le langage administratif, on appelait aussi cette adjudication vendait), vente. En effet, on pouvait dire que l'État vendait pour le prix des enchères les revenus annuels des terres publiques S7 : quod velut fructus «publicorum locorum venibant. IIyginus 18, un des écrivains agri mensores, s'exprime d'une manière encore plus juridique en disant que l'État vendait aux publicains le droit de percevoir la redevance : mancipes, qui emerunt lege dicta jus vectigalis. Mais cette expression était surtout employée dans le cas où c'était l'excédent des terres limitées, agri vectigales limitati, c'est-à-dire les subsceciva, que l'État offrait en location u [AGER VECTIGALIS]. Les publicains prenaient tout un canton, pour une somme ronde, et ensuite relouaient les terres par centuries à des particuliers. Les adjudications de la ferme des dîmes avaient lieu avec les autres, au 1" mars, et généralement pour la durée 37 -es DEC d'un LUSTRUM 20, et les instrumenta ou exemplaires du cahier des charges étaient déposés à l'AERARIOfor 2f. Il est assez difficile d'expliquer comment, en présence de l'intérêt qu'avaient les publicains à percevoir les decumae, les terres de layer publicus furent généralement usurpées. On peut supposer qu'il y eut connivence des publicains 22 avec les usurpateurs riches, et que le trésor, n'ayant plus à toucher directement le revenu du domaine, ne s'aperçut pas assez tôt de l'usurpation. Elle ne devait se manifester que par la diminution du prix des enchères de la ferme ; mais elle était compensée sans doute par l'accroissement du domaine hors de l'Italie. On peut conjecturer aussi que l'usurpation dut être plus générale pour les fonds non officiellement nommés, subsceciva ou agri decumani, occupatorii, que pour les agri vectigales limitati. Quoi qu'il en soit, les réformes tentées par les Gracques 23 et par Livius Drusus ayant échoué [AGRARIAE LEGES], une loi de Sp. Borins abandonna la propriété des terres publiques aux possesseurs, moyennant une redevance ", qui fut ellemême supprimée peu de temps après par la loi Tltoria 25. Une autre loi, connue sous le même nom 26, reconnut le droit de propriété de ceux qui avaient conservé ou obtenu des lots de terre publique en vertu des lois des Gracques, et de ceux qui avaient occupé jusqu'à trente jugères d'agri sur les biens usurpés par ceux qui possédaient des terres publiques au delà du maximum légal, le tout à charge de payer seulement le tributum ex censu et non plus la redevance ancienne, VECTIGAL ou decumae. Après le partage des terres publiques de la Campanie (ager Campanus), en vertu de la loi agraire de Jules César u, lex Campana, rendue en 695 de Rome ou 59 av. J.-C., rager publicus se trouva réduit à peu de chose en Italie. II. En province, certaines terres appartenaient également à rager publicus. Elles se composaient du territoire des cités vaincues et du domaine privé des rois détrônés 28 En Bithynie et en Macédoine, le domaine royal, et, en Afrique, le territoire de Carthage, furent affermés et adjugés aux enchères aux publicains, moyennant une somme ronde, à charge de percevoir la dîme ou une redevance sur les cultivateurs Dans certains cas, la république restituait son territoire à une cité soumise, comme il advint en Sicile 36 (ager redditus). Seulement les anciens propriétaires, aratores agri publici, n'avaient qu'une sorte de jouissance et, en reconnaissance du domaine éminent de l'État romain, ils furent assujettis également à une redevance, dont le recouvrement était affermé aux publicains par censoria locatio. Walter31 et après luiVoigt 32 semblent avoir prouvé que l'État ne leur affermait pas le fond luimême, comme l'ont cru Marquardt 33 et Mommsen, mais bien la redevance due par les possesseurs de tout ager publicus. Il ne faut pas confondre ces agri redditi avec les véritables agri decumani, dont les possesseurs conservèrent une propriété véritable d'après la loi de leur pays, mais propriété qui ne pouvait être un domaine quiritaire, DEC 38 DEC car le DOMINIUM EX JURE QUIRITmM n'était possible que sur les immeubles d'Italie ou jouissant du Tus 1TALICUM34. Quoi qu'il en soit, ces propriétaires furent maintenus dans certaines parties de la Sicile, à la charge de payer la dîme de leurs moissons, frumentum decumanum 35. Le recouvrement de cette taxe était affermé, vendebatur, moyennant payement d'une certaine quantité de blé, dans le pays mème, à des fermiers nommés decumani 36, d'après une ancienne loi du roi Hiéron". Les propriétaires se nommaient aratores et leurs fonds arationes. Toutefois, pour les terres qui fournissaient le vin, l'huile et les cultures potagères, la dîme en était affermée à Rome par les questeurs 38 Cet impôt foncier était supporté même par les propriétaires romains, mais comme les habitants, et sans avoir de déclaration à faire au cens romain [CCNsus] 30. La Sardaigne payait également une dîme des céréales, outre un tribut assez lourd en argent 40. Les terres, dans la province d'Asie, étaient soumises, d'après la loi Sempronia, à une dîme de leurs produits naturels 41, dont le recouvrement était affermé à Rome par les censeurs. Sylla, par une mesure transitoire42 et à titre de peine, imposa aux Asiatiques une contribution en argent. Mais on revint ensuite au système normal ; seulement les publicains en àbusère nt pour pressurer les populations". César, faisant droit à leurs plaintes, convertit la dîme en une somme d'argent fixe 44 que payait la province, sauf à se rembourser en exigeant la dîme des possesseurs. C'est à. tort que Mommsen"' attribue la même importance à la mesure accidentelle ordonnée par Sylla. L'Espagne considérée alors comme moins fertile que les pays précédents payait 46 le vingtième des grains, et la dîme seulement sur les menus produits, frugum minorum, comme l'huile, le vin, etc. 67 Indépendamment de ces impôts fonciers ordinaires, il y avait diverses sortes de contributions extraordinaires, comme une addition à la dîme des fruits", des fournitures pour la maison du préteur, frumentum in cellam 49, que l'on pouvait convertir en argent J0 [AESTIMATOM], puis des réquisitions en blé pour le service de la république, mais avec indemnité d'après un tarif, frumenlem emptum. Elles étaient exigées souvent sous la forme et d'une double dîme, frumentum emtum deeumanum, ou seulement d'un vingtième pour les terres peu fertiles 52. Enfin, depuis la loi Terentia Cassia o3, rendue en 681 de Rome (73 av. J.-C.), une levée d'une certaine quantité de blé fut imposée à la Sicile et répartie entre les différentes cités, frumentunt erntum imperatum 64, pour l'alimentation de Rome. Vers la fin de la république, comme il arrivait à Rome une grande quantité de blé d'Afrique, on a vu que César avait remplacé la dîme sans inconvénient; après la conquête de l'Égypte, elle fut également abolie en Sicile 55, tandis que l'Afrique, au contraire, depuis la bataille de Thapsus, fut assujettie à la dîme 56 Sous l'empire, le tributum soli tendit à se généraliser, mais souvent on exigea que tout ou partie de la presta