Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article DEKARCHIA

DEISARCIIIA, Aexap,(ia. Nom sous lequel les historiens grecs' désignent une forme oligarchique de gouvernement que, à la suite de la victoire d'1Egos-Potamos, Lysandre établit dans beaucoup de villes soumises à l'hégémonie de Sparte'. Dans chacune de ces villes, dix citoyens, choisis naturellement parmi les adhérents de Lysandre et de la politique lacédémonienne, étaient investis de la direction des affaires publiques, et Sparte, pour les protéger et pour faciliter l'accomplissement de leur tâche, mettait à côté d'eux un harmoste et une garnison spartiate. Cette forme de gouvernement ayant, parait-il, complètement répondu aux espérances de son auteur, Lysandre ne se borna pas à l'imposer aux cités hostiles et à celles qui témoignaient des préférences pour le gouvernement démocratique; il l'institua même dans des villes alliées, où depuis longtemps la forme oligarchique avait prévalu Et cependant les décarchies ne nous paraissent pas avoir justifié cette faveur. Composées, en général, de citoyens hardis et entreprenants, sans plus de scrupules que leur fondateur, elles furent un véritable instrument de tyrannie. Pour en donner une idée, on peut avec M. Grole rappeler ce que fut à Athènes, précisément à la même époque, le gouvernement des Trente, établi également par Lysandre, sous l'influence des mémes préoccupations. Il est probable que les décarques furent mèrne souvent pires que les tyrans d'Athènes, retenus sur la pente du mal par le souvenir des enseignements qu'ils avaient reçus. L'un des plus mal famés, Critias, était un ancien disciple de Socrate! Que devait-on attendre de petits tyrans, n'ayant pas reçu la mime culture intellectuelle ou morale? Aussi les contemporains nous disent que les décarques se rendirent coupables des plus grands excès: mettre à mort leurs adversaires, sous ce prétexte que les ennemis de leur politique devaient être des méchants persécuter les citoyens riches, dont la fortune excitait leurs convoitises, et leur faire largement payer une tranquillité relative; maltraiter tous ceux qui protestaient contre les abus, ou ceux mêmes qui, sans protester ouvertement, se refusaient à approuver des actes répréhensibles, c'était là le droit commun des décarchies Isocrate ajoute que les décarques n'avaient nul souci de la pudeur des femmes ou des enfants. Grâce aux décarchies, les années qui suivirent la bataille d'1Egos-Potamos furent, pour les cités grecques, bien que la paix régnât en apparence, des années de tyrannie, des années de souffrances plus intolerahles encore que celles qu'elles avaient endurées pendant la guerre. Brasidas, parlant au nom de Sparte, avait affirmé aux villes grecques de la Thrace que la chute d'Athènes n'aurait pas pour conséquence l'établissement de gouvernements oligarchiques, plus à craindre encore que l'occupation étrangère: les Lacédémoniens, disait-il, se présentent en libérateurs, en défenseurs de l'autonomie générale incompatible avec l'hégémonie d'Athènes'. Sur la foi de ces promesses, les villes s'insurgèrent contre la domina. Lion athénienne el facilitèrent la victoire des Spartiates Mais les Grecs durent plus d'une fois regretter de s'élire montrés si confiants, lorsqu'ils eurent constaté que Lysandre usait de sa victoire pour leur imposer l'oligarchie la plus tyrannique et les obliger à supporter des garnisons lacédémoniennes°. Théopompe eut le droit de dire que, pendant la guerre, Sparte avait servi aux Grecs une boisson délicieuse, les promesses de liberté et d'indépendance, mais que, la guerre finie, ce doux breuvage fut remplacé par de mauvais vin, du vin tourné, du vinaigre, le gouvernement des décarques et des harmostes'. Les décarchies furent rapidement discréditées; elles ne durèrent même pas aussi longtemps que l'hégémonie de Sparte. On peut constater, en effet, que là mème où les harmostes, représentants de Sparte, demeuraient en fonctions, les décarques indigènes avaient quelquefois disparu. Amis personnels de Lysandre, ces décarques eurent à souffrir de la réaction dont l'ambitieux générai fut la première vietirue°. Les Éphores ne les soutinrent pas; ils permirent aux villes de les renverser et de reprendre leur ancienne forme de gouvernement. Moins de dix ans après leur institution, en 396, beaucoup de décarchies avaient déjà disparu". En 394, la bataille de Cnide, qui mit fin à l'hégémonie maritime, en 371, la bataille de Leuctres, qui mit fin à l'hégémonie continentale, eurent pour conséquence forcée l'entière destruction de ce régime". E. C.1LLr-,1mR.