Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article DÉMIOURGOI

DÉMIOURGOI (®ri.toupyo(). Les historiens grecs donnaient le nom de Démiurges à l'une des trois classes de personnes entre lesquelles la population de l'Attique était, disaient-ils, répartie au temps de Thésée'. Ces trois classes étaient : 1° les Eupatrides, citoyens issus des familles nobles, d'origine plus ou moins ancienne, vivant à la ville, associés au gouvernement, participant aux sacrifices publics; 2° Les Géomores ou agriculteurs, comprenant les propriétaires fonciers, dont la vie s'écoulait à la campagne et qui cultivaient directement leurs terres, et, en outre, les fermiers et les métayers des Eupatrides; 3° enfin, les Démiurges ou artisans, travaillant à prix d'argent pour le compte d'autrui. Ces derniers sont quelquefois appelés Entys65N.opot2, ce qui permet de ranger parmi eux des ouvriers occupés, moyennant salaire, aux travaux des champs. Le mot ..4g.toupyoi a, dans la langue homérique, un sens analogue à celui que nous venons de trouver dans la vieille constitution d'Athènes, puisqu'il sert à désigner tous ceux qui travaillent pour autrui. Mais on ne le traduirait pas fidèlement si on le considérait comme synonyme de notre mot « ouvrier o. Homère classe, en effet, parmi les démiurges, non seulement les artisans, qui se livrent simplement à un travail manuel, mais encore les hérauts, les aèdes, les chirurgiens, les artistes, etc. C'est sans cloute sous l'influence de cette assimilation que se développa, pendant la période homérique, la très réelle considération dont paraissent avoir joui des hommes exerçant des professions même modestes. Minerve honore de son affection des charpentiers (r_xroveç), c'est-à-dire des constructeurs de navires 3; Vulcain et Minerve protègent un fondeur de métaux°; les héros des grandes épopées ne dédaignent pas de travailler de leurs mains comme de simples ouvriers. Plus tard, l'assimilation produira un effet diamétralement opposé ; la défaveur attachée à la condition d'ouvrier rejaillira, au ve siècle, sur les grands artistes, dont les noms sont plus honorés aujourd'hui qu'ils ne l'étaient parmi leurs contemporains Les démiurges, dont nous venons de parler, travaillaient pour le public. Ne peut-on pas dire d'un magistrat que, lui aussi, il travaille pour le peuple qui l'a mis à sa tête? Il ne faut donc pas s'étonner si, à côté des démiurges artisans, on rencontre des démiurges magistrats et souvent magistrats d'un ordre très élevé. Nous allons passer rapidement en revue ces Orµtoupyo1 des cités grecques (appelés naturellement ,ap.toupyoi dans les États doriens)'. La constitution de la ligue achéenne avait placé, à côté du stratège, chef du pouvoir exécutif, un conseil de dix démiurges chargés de l'éclairer de leurs avis et de l'assister dans l'expédition des affaires fédérales°. Les historiens ne sont pas d'accord sur le mode de nomination de ces démiurges. Une seule chose paraît certaine: ils n'étaient pas désignés par le stratège ; la constitution ne devait pas, en effet, confier à ce magistrat le choix des personnes appelées à contrôler son mode d'exercice du pouvoir. Mais étaient-ils nommés par le conseil représentatif de la ligue, ou par des délégations des citoyens, ou mime par le peuple tout entier? Chacune de ces trois opinions a des défenseurs ; mais elles sont toutes marquées du même caractère d'incertitude'. Le nombre des démiurges, rapproché de celui des dix vieilles cités achéennes, autorise à croire qu'à l'origine chacun des démiurges représentait l'une de ces dix cités : Patras, Pharae, Léontium, Dymé, Tritwa, 1Egium, Iiery D EM 67_... -- neia, Boura, iEgira et Polliné. Mais, plus tard, lorsque la ligue comprit d'autres cités péloponésiennes, les anciennes cités conservèrent-elles le droit d'élection? Merleker et Schorn répondent affirmativement. Si leur opinion doit être admise, il en résulte une réelle inégalité entre les Achéens et leurs confédérés. Kuhn essaye d'échapper à pareille objection en disant que chacune des villes qui entrèrent successivement dans la ligue fut rattachée à l'une des dix vieilles cités achéennes 8. Chacun des dix démiurges aurait donc été le représentant, non plus seulement de l'ancienne cité, mais encore des cités qui, plus tard, avaient été fictivement incorporées à son territoire. Les démiurges achéens jouaient un rôle influent dans les délibérations de l'assemblée de la ligue. C'étaient eux qui convoquaient cette assemblée, qui préparaient et rédigeaient les propositions sur lesquelles elle devait exprimer un avis9. Lors du congrès de 198, réuni pour examiner s'il était opportun de conclure une alliance avec les Romains, les démiurges firent connaître à l'avance l'opinion que chacun d'eux jugeait la meilleure : cinq se prononcèrent en faveur des Romains ; cinq autres furent d'un avis diamétralementopposé10 A AEgium, les démiurges étaient éponymes ". Pour la ligue arcadienne, il y avait un sénat de cinquante membres appelés Aag(opyot. Une inscription du nt° siècle (2M à 224 av. J.-C.) nous apprend que les cinquante démiurges avaient été nommés dans les proportions suivantes : dix pour Mégalopolis; cinq pour Clilor, Cynuria, Hwréa, Mantinée, Orchomène, Tégée, Thelpusa; trois pour Moenalion ; deux pour Leprion 1`3. Lorsqu'un traité de paix fut conclu entre les Athéniens, d'une part, et, d'autre part, les Argiens, les Éléens et les Mantinéens, ce traité fut confirmé par un serment solennel ; à Mantinée, le serment fut prété par les démiurges, le Conseil et les autres autorités ; à Élis, par les démiurges, les magistrats suprèmes et les six cents73. Dans les deux États, le premier rang est donné par Thucydide aux démiurges. Les démiurges Éléens paraissent avoir été les premiers magistrats des petites cités, magistrats qui, réunis en conseil général, formaient une sorte de sénat placé à la tete de l'Élide. Les plus anciens textes les appellent Zagtoipyo( et donnent au Conseil le nom de Za cu pyia 4°. Nous venons de dire que le traité de paix conclu avec Athènes fut confirmé par le serment solennel des démiurges Éléens, qui, après avoir personnellement juré, reçurent le serment des autres magistrats et du Conseil des six cents 'o. Est-ce ce sénat ou Zagttdpy(a des Éléens qu'Aristote avait en vue lorsqu'il a parlé des dangers résultant des divisions qui peuvent se produire dans une oligarchie? « En Élide, dit-il, la constitution ne permettait qu'à un très petit nombre d'oligarques d'entrer dans le sénat, parce que le nombre des places de sénateurs était limité à quatre-vingt-dix et que les sénateurs restaient en charge pendant toute leur vie. Les nominations étaient donc assez rares et, quand elles devaient avoir lieu, les élus étaient pris dans les familles les plus puis sentes. On arrivait ainsi à former une oligarchie dans l'oligarchie, et les oligarques du second ordre, mécontents de leur situation inférieure, ne tardaient pas à être aussi enclins aux révolutions que le peuple lui-même » A Corinthe, on trouve des Épidémiurges ('E.atôrgtoupyoO. Chaque année, nous dit Thucydide, les Corinthiens envoyaient des épidémiurges à Potidée, l'une de leurs colonies. Les Athéniens, lorsque les Potidéates furent devenus leurs alliés et leurs tributaires, exigèrent l'expulsion des magistrats en exercice et défendirent de recevoir ceux que les Corinthiens pourraient ultérieurement envoyer d7. On a pu justement comparer les épidémiurges de Corinthe aux harmostes lacédémoniens, et au Kuelpoa'i;tr,ç que Sparte entretenait à Cythère. Il y avait aussi des démiurges à Argos1', à Hermione en Argolide, à Styrnphaios en Arcadie, à Andania en Messénie, etc. Nous sommes, par conséquent, autorisé à dire que cette magistrature se rencontre dans tout le Péloponèse, la Laconie exceptée. On la trouve aussi dans la Grèce centrale, en Phocide, à Médéon, à Chalcion et à OEanthea, chez les Locriens du golfe de Corinthe; puis en Thessalie, notamment à Larissa19; dans les Cyclades, à Astypalea ; dans la mer Égée, à Samos, où les démiurges sont éponymes; en Asie mineure, à Cnide, où les inscriptions parlent d'une 6(rr,02ç iv $a11.tospy(61 qui rappelle la cic stq iv 7tp11rav.(w d'Athènes; dans l'île de Rhodes, à Camiros ; dans l'île de Nisyros, à Chersonésos, et jusque dans la Grande-Grèce, à Petilia en Bruttium".