Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article DÈMOPOIÈTOS

DÈMOPOIÈTOS (à-nuo7roiAros)• Nom par lequel les Athéniens désignaient l'étranger auquel ils avaient concédé le droit de cité. L'acte qui donnait à une personne d'origine étrangère la 7to)uTEt% athénienne peut être appelé àr,uottofr,aq et comparé à la naturalisation de notre droit actuel. Le principe généralement admis aujourd'hui, que l'on ne peut avoir qu'une patrie, a été consacré par le droit romain; mais les Grecs paraissent l'avoir à peine soupe DEM 72 -es DEM çonné. Cicéron nous dit, en effet, que, dans les Républiques de la Grèce, on admet au droit de cité des gens qui gardent leur ancienne patrie, et qui, grâce à cette tolérance, peuvent être citoyens de beaucoup d'états, multarum cives civitatum. Cette pratique était si répandue en Grèce que les Romains eux-mêmes en subirent l'influence. On vit siéger dans les tribunaux d'Athènes et jusque dans l'Aréopage des citoyens romains, qui, de bonne foi, croyaient ne pas abdiquer la qualité de civis romanos en acquérant celle d'Athénien. Et cependant, « jamais, dit encore Cicéron, un homme instruit du droit romain et désireux de conserver le droit de cité romaine ne s'attacherait à une autre cité » Atticus le prouva bien; Athènes, reconnaissante de la sympathie qu'elle trouvait en lui, voulut lui conférer la 7tonttista ou droit de cité; il refusa 2, et ce refus dut paraître bien étrange. On raconte, en effet, que deux illustres philosophes, Zénon et Cléanthe, n'avaient pas voulu plus que lui devenir Athéniens, parce que l'acceptation par eux du droit de cité à Athènes aurait pu ressembler à un acte d'ingratitude et d'injustice envers leur patrie d'origine Plutarque nous dit qu'on se moqua de leurs scrupules. « N'est-il pas singulier qu'un homme donne son corps et toute son activité à un pays dont il ne veut pas être citoyen, alors qu'il laisse seulement son nom à. un autre pays, auquel il déclare appartenir exclusivement. Zénon et Cléanthe offrent des traits de similitude avec un mari, qui a, depuis longtemps, abandonné sa femme légitime, qui a pris une autre femme avec laquelle il vit maritalement, qui a de cette dernière des enfants, et qui lui refuse le mariage pour ne pas faire de tort à la première 3. » Atticus, qui vivait à Athènes, comme s'il eût été originaire de cette ville, dut être plus d'une fois exposé à des railleries analogues. Un autre philosophe, Chrysippe, accepta le droit de cité; mais il n'en fit pas usage. Bien qu'il saisît toutes les occasions d'exhorter ses contemporains à se mêler à la vie publique, il ne fut jamais stratège, nomothète ou sénateur ; on ne le vit jamais paraître devant un tribunal, combattre pour Athènes, aller en ambassade, faire une libéralité à l'État 4. Sur ce point, comme sur beaucoup d'autres, Solon avait devancé l'opinion publique. « Le droit de cité, disait-il, ne doit être accordé qu'aux étrangers qui ont été pour toujours exilés de leur pays, et à ceux qui sont venus s'établir à Athènes avec toute leur famille pour y exercer une industrie. On aura ainsi de bons et fidèles citoyens, n'ayant de devoirs qu'envers une seule patrie ; les premiers ont été dépouillés de leur nationalité d'origine; les seconds ont montré par leur conduite qu'ils abdiquent volontairement cette nationalités. » Mais l'avis du grand législateur athénien ne fut pas suivi. De très bonne heure, on admit au droit de cité, à Athènes, des gens qui n'entendaient pas devenir exclusivement Athéniens. Dans l'étude que nous allons faire, au point de vue juridique, de la naturalisation athénienne, nous nous abstiendrons de parler de la législation antérieure au vie siècle. Plutarque raconte, il est vrai, que Thésée aurait adressé un appel à tous les peuples 6 et qu'il aurait accordé les droits de citoyen à tous ceux qui avaient répondu à son appel. C'est sans doute à cette vieille légende de la ptXoZavia de Thésée qu'il faut rattacher diverses lois recueillies par les grammairiens, cette loi, que l'on trouve dans Photius et dans Suidas 7, qui prescrivait de recevoir parmi les citoyens d'Athènes tous les Grecs qui exprimaient le désir de jouir du droit de cité dans cette ville, cette autre loi qui ordonnait d'inscrire sur la liste des citoyens tous les étrangers qui venaient s'établir à Athènes, dès qu'ils y avaient séjourné pendant un temps déterminé 6 Plutarque avoue lui-même que, lorsqu'on veut parler des temps héroïques, on court grand risque de franchir la limite de ce qu'on sait et même de ce qu'on peut savoir. « C'est le pays des fictions et des monstres, habité par les poètes et les mythographes ; rien n'y est assuré, rien ne mérite confiance 5. » On nous pardonnera de ne pas nous y arrêter. En prenant comme point de départ le commencement du voa siècle, nous rencontrerons déjà bien des questions encore obscures. Nous parlerons successivement des conditions, des formes et des effets de la naturalisation. qui pouvaient motiver l'adoption d'un étranger par la république athénienne et faire agréer cette adoption par le peuple et par les tribunaux étaient naturellement multiples. Le plus souvent, les décrets sont conçus en termes vagues et généraux ; ils parlent de la bienveillance dont le naturalisé a fait preuve à l'égard de la cité, de son dévouement, de sa générosité. Mais quelquefois un service notable est particulièrement mentionné. Perdiccas de Macédoine a achevé la défaite des Perses, après la bataille de Platée 10. Ménon, de Pharsale, a donné douze talents d'argent pour faire la guerre contre Eion; il a même amené aux Athéniens trois cents cavaliers pris parmi ses pénestes ". Evénor, fils d'Evépias, d'Argos l'Amphilochique, en Acarnanie, s'est signalé dans l'exercice de la médecine par un dévouement exceptionnel aux malades d'Athènes 12. Andoléon, roi des Péoniens, a, dans un moment de crise, en 286, donné sept mille cinq cents médimnes de blé aux Athéniens et il a fait transporter à ses frais cette masse de céréales dans les ports de l'Attique 13 Athènes accorda à tous ces bienfaiteurs le droit de cité 11. Elle témoigna de la même manière sa gratitude pour les nombreuses faveurs que lui accordèrent les Spartocides, princes ou rois du Bosphore t6 Les lois modernes abrègent, en faveur des étrangers qui ont introduit en France une industrie, la durée du stage habituellement imposé aux aspirants à la naturalisation; sous l'influence du même mobile, les Athéniens accordèrent le droit de cité aux fils d'un négociant en salaisons, nommé Chæréphile, qui avait enseigné aux Athéniens l'art de préparer la saumure fe. Il y eut fréquemment des abus, surtout à l'époque de la décadence. Aristonicus de Caryste devint citoyen uniquement parce qu'il était habile joueur de paume 17. D'autres furent naturalisés sans qu'on eût, au préalable, bien examiné leurs bonnes dispositions: Athénion, qui mérita d'être qualifié de tyran d'Athènes de, Apellicon de Téos, qui déroba les textes originaux des anciens décrets conservés dans le Métroon 19, étaient des Ssiuoaoisvrot 20. Dans un discours prononcé vers l'année 355, Isocrate va jusqu'à dire que le peuple d'Athènes donne le titre d'Athénien avec plus de prodigalité que ne le feraient les Triballes ou les Lucanes, si on sollicitait leur misérable condition 2f. A peu près à la même époque, en 352, Démosthène se plaint de ce que le droit de cité, presque traîné dans la boue, est dépouillé de son ancienne valeur. e Autrefois, dit-il, le titre de citoyen d'Athènes était en si haute estime chez tous les hommes que, pour l'obtenir, on était prêt à rendre aux Athéniens les plus grands services; maintenant, parmi ceux qui l'ont obtenu, il y en a qui ont fait plus de mal à Athènes qne des ennemis déclarés 22 » Descendit-on jusqu'à trafiquer du prestige que, même à l'époque où la République était complètement déchue de son ancienne splendeur, le titre de citoyen d'Athènes avait conservé? Dion Cassius prétend qu'Auguste défendit aux Athéniens de vendre aux étrangers le droit de cité dans leur ville 23. Si l'historien ne s'est pas trompé, Pison était bien autorisé à dire qu'à Athènes on ne voit plus d'Athéniens; après tant de désastres, il n'en reste plus. Les descendants des héros ont été remplacés par un vil ramas d'étrangers : non Athenienses, tot cladibus extincti, sed con/unes nationum 24. Nous avons vu, de nos jours, des naturalisations en masse, sans aucun examen des garanties individuelles offertes par chacun des naturalisés. La petite République athénienne a quelquefois employé cette façon sommaire d'accroître le nombre de ses citoyens. Lorsque Clisthène eut expulsé les fils de Pisistrate et leurs partisans, il introduisit à leur place dans les tribus une foule de métèques et d'affranchis 26. Pendant la guerre du Péloponèse, lorsque la ville des Platéens, qui avaient donné à Athènes des preuves d'un dévouement exceptionnel, eut été détruite, les Athéniens accordèrent à tous les habitants de la malheureuse ville le droit de cité, sous la seule condition de le réclamer immédiatement et de faire vérifier par un tribunal leur nationalité et leurs bonnes dispositions pour Athènes 2°. Beaucoup de Platéens profitèrent de cette offre, et Athènes les établit, en 422, à Skioné, dans la presqu'île de Pallène en Chalcidique 27. En 406, après la bataille des Arginuses, tous les esclaves qui s'étaient embarqués sur la flotte furent affranchis et inscrits sur la liste des citoyens, au même titre que les Platéens 2fl. La concession à des esclaves du droit de cité a paru invraisemblable à quelques historiens; pour la nier, on s'est fondé sur le témoignage de Dion Chrysostome, qui cite une loi athénienne interdisant à l'esclave de naissance l'accès du droit de cité 29. Mais cette prétendue loi, alléguée par un rhéteur de peu d'autorité, ne peut pas être conciliée avec le fait certain que des affranchis, esclaves de naissance, furent naturalisés. Andocide félicite même ses concitoyens d'avoir souvent accordé la 7oatce(« à des esclaves, Soé),otc clvOp6Saot„ qui se sont signalés par leur dévouement à la République 3°. III. cours contre Néaera dit que le peuple d'Athènes s'est imposé à lui-même des lois auxquelles il doit se conformer lorsqu'il donne le droit de cité. La faveur qu'il accorde à celui qu'il rend Athénien est si belle et si imposante que le législateur n'a pas pu admettre qu'elle fût abandonnée à l'arbitraire 31. 11 y a d'abord, dit l'orateur, une loi qui s'adresse au peuple et qui lui défend de rendre Athénien l'étranger qui ne s'est pas montré digne du droit de cité par un dévouement exceptionnel à la république d'Athènes 37. Lorsque le peuple assemblé aura émis un vote affirmatif sur la demande en naturalisation, ce vote équivaudra seulement à une prise en considération. Pour que la naturalisation soit parfaite, il faudra que, dans une assemblée ultérieure, la première décision soit confirmée par les suffrages de six mille citoyens votant au scrutin secret. Même après ce second vote favorable de l'assemblée du peuple, la naturalisation pourra encore être attaquée par une aapuvéµtsv ypapsj. Le premier venu sera autorisé à demander aux tribunaux de déclarer que l'étranger est indigne de la faveur qui lui a été octroyée et que c'est contrairement aux lois qu'il est devenu Athénien 33. Ainsi un tribunal de cinq cents membres sera appelé à contrôler et à réformer un décret de l'assemblée du peuple voté, au scrutin secret, après un double examen, par six mille citoyens! Et il y a, ajoute l'orateur, de nombreux exemples du retrait judiciaire de la qualité de citoyen conférée par le peuple 34. Tous ces renseignements, extraits d'un discours qui fut prononcé vers l'année 340 avant notre ère, sont merveilleusement confirmés par les textes officiels des décrets qui sont arrivés jusqu'à nous 3'. Dans tous les textes antérieurs à l'année 320, on lit : « Qu'un tel soit Athénien, lui et sa postérité; qu'il ait la faculté de se faire inscrire dans telle tribu, dans tel dème, dans telle phratrie qu'il lui plaira de choisir, conformément à la loi ; que les prytanes qui entreront en fonctions dans la prochaine prytanie fassent, dans la première assemblée de cette prytanie, voter le peuple sur le projet de naturalisation 36. » A cette époque l'examen judiciaire est encore l'exception ; il est subordonné à la mise en mouvement par Mais des textes nombreux prouvent que l'intervention des tribunaux devint bientôt obligatoire. Le législateur n'attend plus qu'un simple particulier prenne l'initiative d'une vérification en justice des titres du naturalisé ; il charge les thesmothètes de faire juger d'office, et le plus tôt possible, par un tribunal, si le don de la qualité de citoyen est légitimé par un examen attentif des mérites du privilégié u. C'est vers l'année 320 que ce jugement d'office par les tribunaux, sur la réquisition des thesmothètes, apparaît pour la première fois dans nos recueils d'inscriptions 33. Pendant une trentaine et une quarantaine d'années, la nouvelle formule est employée concurremment avec l'ancienne 39. Mais elle ne tarde pas à devenir la règle générale, et mème, à partir de l'année 280 jusqu'à la fin de la guerre Chrémonide, c'est elle seule que l'on rencontre A0. 10 DEM 74 DEM Plus tard, vers le milieu du lue siècle, quelques années après la fin de la guerre Chrémonide (263 av. J.-C.), nous trouvons une troisième formule. Les textes ne parlent plus de la mise aux voix par les prytanes, dans une deuxième assemblée, du décret de naturalisation. Mais ils continuent d'exiger une Soxtuaa(a par les tribunaux, et c'est seulement lorsque le résultat de cet examen a été favorable au naturalisé qu'il peut se prévaloir de la qualité de citoyen à lui conférée par le peuple". Le tribunal n'ayant pas alors à juger un litige entre deux parties contradictoirement intéressées, il est probable que sa décision était rendue en observant des formes très simples, analogues à celles que suivent nos tribunaux, lorsqu'ils vérifient si une adoption est conforme à toutes les prescriptions légales 42. Nous en concluons que l'examen par les Héliastes et le vote pouvaient avoir lieu sans que le naturalisé fût présent à Athènes". Longtemps après l'époque classique, vers le milieu du ne siècle avant notre ère, la loi ayant défendu d'accorder des faveurs telles que la 7cpcev(a et l'iyarratç à des personnes qui ne les auraient pas expressément demandées 44, il fallut aussi que l'étranger qui voulait être naturalisé sollicitât préalablement la naturalisationb5. Peut-être y avait-il eu des exemples de gratifiés, qui, loin de se montrer reconnaissants de la faveur qui leur avait été spontanément accordée, l'avaient dédaigneusement accueillie ou même refusée. Pour prévenir le retour de pareils faits, une sollicitation formelle avait été exigée des nouveaux naturalisés. Le texte officiel du décret de naturalisation était déposé dans le Métroon, édifice affecté à la garde des archives d'Athènes. La gravure sur une stèle de pierre et l'exposition de cette stèle sur l'Acropole étaient habituelles; mais elles n'avaient pas lieu de plein droit. C'étaient des distinctions supplémentaires, surbordonnées à une concession expresse. M. Foucart croit que le Sénat « pouvait ordonner, de sa seule autorité, la gravure et l'exposition de décrets votés antérieurement par l'assemblée 46. » Nous accordons volontiers que le Sénat pouvait permettre de rétablir une stèle effacée ou détruite ; le Sénat ne faisait alors que maintenir et perpétuer l'exécution d'un vote antérieur de l'assemblée. C'est ainsi que nous expliquons le décret qui autorise Sthorynès, de Cyzique, naturalisé Athénien, à exposer dans le Pythion des copies des décrets constatant les services rendus à Athènes par ses ancêtres 47. Mais il nous semble que le peuple seul avait le droit d'autoriser pour la première fois la gravure et l'exposition et qu'une telle autorisation excédait les bornes de la compétence du Sénat. Les sénateurs le reconnaissent eux-mêmes à l'occasion d'un décret de proxénie ; on lit, dans leur trpoeoÛaeulea, que la gravure et l'exposition du décret auront lieu, à la condition toutefois que le peuple le juge convenable 48. Le plus souvent, cette autorisation était accordée dans le décret même de naturalisation; mais elle pouvait être postérieure au décret. Tl y a, en effet, des exemples de décrets, qui, à l'origine, ne de vaient pas être gravés, et pour la gravure desquels les intéressés obtinrent plus tard de l'assemblée de nouveaux décrets. En même temps qu'il accordait l'autorisation, le peuple désignait un magistrat pour veiller à ce que le texte gravé fût exactement conforme au texte officiel et pour faire placer la stèle dans l'Acropole, lieu habituellement choisi pour l'exposition des stèles honorifiques. Le magistrat chargé de cette mission fut tantôt le yoxuuarsifç T~ç (3ouÀ ç Y9, Les frais d'achat d'une stèle et de gravure étaient souvent laissés par le peuple à la charge de l'intéressé, mais, souvent aussi, l'État s'engageait à les supporter, à titre de faveur supplémentaire. Dans ce dernier cas, pour faire face à la dépense, le décret allouait un crédit de dix ", vingt J5 ou trente drachmes 56, et désignait le trésorier dans la caisse duquel devait être prise la somme votée, d'abord le Ta oisç 'CO lliV.0u57, puis les trésoriers de l'administration, Ttxtôv59. Quant aux frais de rétablissement des stèles détruites ou endommagées, rétablissement que, comme nous l'avons dit, le Sénat pouvait autoriser, ils étaient naturellement payés par les intéressés. décrets de naturalisation, il est dit que le naturalisé pourra se faire inscrire dans la tribu, dans le dème et dans la phratrie qu'il lui plaira de choisir. En vertu de cette clause, le 64ryuo7co(rrrot avait certainement le droit de réclamer son inscription sur les registres du dème, et par conséquent de la tribu, qui lui convenaient le mieux. Un refus d'inscription par les Sruu6Tat n'était pas possible. Le naturalisé ajoutait à son nom propre le nom de ce dème, comme le faisaient les citoyens d'origine. Quelquefois, il adoptait un surnom rappelant sa nationalité primitive Ap1s'ls a b Mais le naturalisé, qui n'avait pas besoin du consentement des I coTat pour se faire admettre dans un dème, devait-il obtenir le consentement des pp«TOpaç pour se faire inscrire dans une phratrie? Pouvait-il même entrer dans une phratrie 6t, en dehors du cas où il avait été adopté par un citoyen, qui était lui-même membre de cette phratrie? Il est incontestable, en effet, que le etwo7t0(7TOç adopté pouvait, en remplissant les formalités ordinaires, entrer dans la phratrie de l'adoptant. Hors le cas d'adoption, les questions que nous venons de poser sont très difficiles à résoudre. M. Philippi s'est efforcé d'établir que jamais, même à l'époque macédonienne, le citoyen naturalisé n'a pu être légalement membre d'une phratrie ; il ne distingue même pas entre l'hypothèse où les ppciropeç auraient consenti à l'accueillir et celle où son admission rencontrait des résistances; c'était la loi elle-même qui aurait interdit aux 8rlN.o770('tITOt l'accès des phratries 82. D'autres enseignent qu'à l'époque classique, le naturalisé devait rester en dehors des phratries; la naturalisation le faisait seulement entrer dans les dèmes [nÉeaos]; mais, plus tard, à une époque de décadence, correspondant, sans doute, à la domination macédonienne, l'entrée des phratries lui aurait été permise comme celle des dèmes 63. Moins rigoureux, quelques historiens admettent que le naturalisé put, dès l'époque classique, être membre d'une phratrie; seulement, d'après eux, il n'y entrait pas de plein droit; les membres de la phratrie à laquelle il désirait appartenir votaient sur son admission. Plus tard, cet assentiment fut déclaré inutile, et le Srluorcoil roç, de même qu'il choisit librement son dème, choisit aussi librement sa phratrie. Nous sommes enclin à croire que les partisans de toutes ces opinions limitent arbitrairement les droits du naturalisé 64. Nous connaissons aujourd'hui près de cinquante décrets de naturalisation ; il y en a parmi eux qui remontent au commencement du Ive siècle avant notre ère et même à la fin du ve siècle, puisqu'il y en a au moins un qui est antérieur aux réformes d'Euclide 66. Dans les plus anciens comme dans les plus récents, on trouve cette formule toujours identique : ypeijraaeat puailç xai éifiuou xxi tpparp(aç ;sis âv (aovayrut. Si, dans la mesure où elle s'applique aux dèmes, elle signifie que le naturalisé a le droit de choisir, comment n'aurait-elle pas la même signification, lorsqu'elle s'applique aux phratries? Et elle doit l'avoir à toutes les époques; car la distinction proposée entre le temps qui a précédé et le temps qui a suivi la conquête macédonienne est inadmissible. Ce qui est toutefois probable, c'est que beaucoup de naturalisés ne profitaient pas de tous les droits que le texte des décrets de naturalisation, le texte officiel et constamment le même, leur accordait. Les rois du Bosphore, Leukon, Spartokos, Eumélos, Satyros, qui reçurent le droit de cité athénienne pour eux et pour leurs enfants, ne furent jamais de véritables citoyens; peut-être même ne résidèrent-ils jamais à Athènes. On a peine à croire qu'ils aient songé à réclamer leur inscription dans un dème, à plus forte raison dans une phratrie, au culte de laquelle ils devaient toujours rester étrangers. Le titre d'Athénien était pour eux une simple distinction honorifique. Ils y attachaient un grand prix et Leptine ne les en aurait pas dépouillés sans les froisser profondément; mais, comme l'a dit Sainte-Croix, ce n'étaient pas des citoyens actifs, c'étaient des citoyens honoraires. Même parmi les Srtuorto(ryrot qui résidaient à Athènes, beaucoup s'abstenaient de demander leur admission dans une congrégation d'ordre religieux. Pour des marchands, pour des soldats, l'important était d'être admis à jouir des droits civils et politiques; le côté religieux de la naturalisation ne les intéressait guère. Tout en décidant, avec le texte exprès des décrets de naturalisation, que le illui.76o(liTO4 pouvait se faire inscrire dans telle tribu, dans tel dème, dans telle phratrie qu'il lui plaisait de choisir, nous sommes obligé d'avouer que plusieurs textes, dont les plus anciens remontent seulement à la fin du nt' siècle, font allusion à des restrictions apportées au droit d'option du naturalisé 66. Mais les documents nous font défaut pour dire quelles étaient ces restrictions et quels motifs les avaient fait établir 67. Nous ne savons pas même avec certitude si à côté des restrictions légales, applicables à tous les naturalisés, il n'y avait pas aussi des restrictions spéciales, tenant à des circonstances personnelles à tel ou tel naturalisé 68. Les effets de la naturalisation nous paraissent avoir été individuels, en ce sens que la femme de l'étranger naturalisé demeurait étrangère 68, à moins qu'elle n'eût été nominativement comprise dans le décret qui prononçait la naturalisation de son mari. Quant aux enfants du naturalisé, nés avant la naturalisation, ils sont toujours, dans la formule officielle des décrets, jusqu'au milieu'du me siècle avant notre ère, assimilés au naturalisé luimême et deviennent citoyens, sans distinguer entre le cas où leur mère restait étrangère et le cas où elle devenait citoyenne. Exceptionnellement, l'un des descendants pouvait être spécialement exclu de la faveur accordée à la postérité du naturalisé; dans un décret relatif à Pisithidès de Délos, on lit que ses descendants seront citoyens, sauf un seul qui, probablement, avait fait quelque acte d'hostilité contre la République Athénienne 70. Vers le milieu du me siècle, quelques années après la guerre Chrémonide (263 av. J.-C.), la formule des décrets de naturalisation fut modifiée ; les décrets ne parlent plus que du naturalisé et gardent le silence sur ses descendants. Faut-il en conclure, avec M. Kirchhoff, qu'à partir de cette époque, les enfants nés avant la naturalisation du naturalisé et d'une femme étrangère restèrent étrangers, comme leur mère? Faut-il plutôt dire avec M. Buermann qu'une loi décida une fois pour toutes que ces enfants seraient citoyens et qu'il devint inutile de s'expliquer sur leur condition dans le décret''? Cette dernière opinion nous semble préférable; il est, en effet, peu conforme aux vraisemblances que les suites de la naturalisation aient été plus restreintes au me siècle qu'aux siècles précédents. La qualité de citoyen appartenait certainement, en vertu du droit commun, aux enfants nés, après la naturalisation, du SlgorroCa oç et d'une femme athénienne. Mais quelle était la condition des enfants nés, après la naturalisation, du Sgooao(rroç et de sa femme restée étrangère? Plusieurs textes prouvent qu'ils étaient étrangers. La seule difficulté vraiment embarrassante est celle de savoir si ces enfants, lorsqu'ils voulaient devenir à leur tour citoyens d'Athènes, étaient obligés de remplir toutes les formalités requises des étrangers ordinaires, ou s'il n'y avait pas en leur faveur une naturalisation plus simple, analogue à ce que nous appelons « le bienfait de la loi ». Les documents sont contradictoires. Un décret, concernant Aischron, fils de Proxène, auquel le droit de cité est accordé pour lui et pour ses descendants, afin qu'il en jouisse comme en ont joui ses ancêtres, implique l'accomplissement de toutes les formalités habituelles 72, tandis que d'autres décrets plus anciens impliquent une naturalisation privilégiée. L'Acarnanien Phormion avait obtenu pour lui et pour ses descendants le droit de cité athénienne; deux de ses petits-fils, Acarnaniens de naissance, furent, en 338 avant notre ère, autorisés à se prévaloir, eux et leurs descendants, de la faveur accordée à leur aïeul; le décret qui les concerne n'est pas rédigé dans les termes ordinaires; il ne mentionne pas l'intervention des prytanes faisant voter le peuple assemblé; c'est une simple extension de la naturalisation du grand-père". De même un décret, relatif à Arybbas, roi des Molosses, permet à ce prince de se prévaloir à Athènes du droit de cité qui a été précédemment conféré à son père et à son aïeul 7'. Au point de vue politique, il n'y avait guère de différence entre un citoyen d'origine et un naturalisé ; la seule dissemblance notable était que le Srlµoirolrlros n'était admissible ni à l'archontat, ni aux sacerdoces7". Les Platéens eux-mêmes, qui avaient tant de titres à la bienveillance des Athéniens, furent atteints par cette incapacité ". Mais, si le naturalisé ne pouvait ni être archonte, ni participer comme ministre du culte à une cérémonie religieuse, il avait, au moins au Ive siècle, la satisfaction de penser que ses enfants, pourvu qu'ils fussent nés d'une femme Athénienne légitimement donnée en mariage au naturalisé, jouiraient de tous les droits attachés à la qualité de citoyen. Ces enfants n'avaient pas toujours été si bien traités ; car, s'il faut en croire Pollux", dans l'examen auquel étaient autrefois soumis les archontes, on vérifiait si, dans la ligne paternelle et dans la ligne maternelle, ils étaient citoyens depuis trois générations. Ainsi, à l'époque dont parle Pollux, le petit-fils descendant d'un naturalisé marié à une femme Athénienne, l'arrière-petit-fils du naturalisé marié à une femme étrangère, étaient, parmi les descendants du naturalisé, les premiers qui fussent admissibles à l'archontat. Le témoignage de Pollux se rapporte à un temps bien antérieur à l'année 340, date approximative du discours contre Néaera (343 à 339 av. J.-C.), antérieur même à l'admission des Platéens au droit de cité, peut-être même antérieur à Aristide; il nous fait donc remonter jusqu'au commencement du ve siècle. Pollux dit, en effet, qu'on vérifiera non-seulement l'origine de l'archonte, mais encore El rl r(U11µô1 iarty aûrw78; or la nécessité de justifier d'un certain revenu fut supprimée par Aristide. Nous sommes donc autorisé à penser que le renseignement donné par le grammairien a été pris dans un document antérieur à t89. Relativement aux droits civils, aucune différence n'existait, à notre avis, entre le citoyen d'origine et le naturalisé. On a bien essayé de soutenir que les Saryµoxo(77rot ne pouvaient pas faire de testament et qu'ils n'avaient pas la plénitude de la puissance maritale n ; mais les arguments sur lesquels reposent ces deux propositions ne résistent pas à un examen attentif. Pour le testament d'abord, c'est en jouant sur le sens du mot Trot tro(90 que l'on a pu arriver à appliquer aux citoyens naturalisés une loi faite exclusivement pour les personnes qui sont sorties de leur famille d'origine et sont entrées par adoption dans une autre famille; tant que les enfants adoptifs, oi 7sotrroi, restent dans leur famille adoptive, ils' sont privés du droit de tester. Mais les naturalisés, les SrlµozOir,rot, n'ont jamais pu être atteints par une telle incapacité 81. Le texte dans lequel on a cru trouver une restriction de la puissance maritale H2 n'est pas plus décisif; car on peut soutenir d'abord qu'il vise une femme étrangère à laquelle la législation d'Athènes n'était pas applicable, et, lors même que le droit athénien eût dû être appliqué, comme cette femme était épicière 8', son mari, s'il eût été citoyen d'origine, n'aurait pas eu, plus qu'un naturalisé, les droits qu'implique ordinairement le titre de xuptos. Rien ne permet donc de croire que les Sreair.oiprot aient été placés, pour la vie civile, dans une situation inférieure à celle des Athéniens de naissance 86. E. CAILLEMER.