Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article DEPOSITUM

DEPOSITUM (H«paxs'sf (xg, MocErdrga). 1. Gréer. Le mot napxxre'roeOrixx ' avait en Grèce, comme a chez nous le mot dépôt, une double signification. Il pouvait, en effet, désigner, soit le contrat de dépôt, ce contrat par lequel une partie s'oblige à garder gratuitement une chose qui lui est confiée par l'autre partie et à la restituer à. première réquisition, soit la chose même qui faisait l'objet du contrat. C'est le contrat qu'Aristote a en vue, lorsqu'il classe le dépôt dans la série des contrats, entre le commodat et le louage 2; c'est l'objet du contrat que vise Isocrate, quand il parle de la restitution du dépôt 3. Une courte définition, attribuée à Platon 4, met en relief l'un des principaux caractères de ce contrat : la fidélité avec laquelle le dépositaire doit garder la chose déposée, et aussi la délicatesse qu'il convient de mettre dans l'exé La preuve du dépôt était régie par le droit commun. Le plus habituellement, la remise des objets par le déposant au dépositaire était constatée par un acte écrit, ou bien elle avait lieu en présence de témoins, hommes libres ou esclaves, aux souvenirs desquels on aurait plus tard recours, si le dépositaire, par mauvaise foi ou par oubli, refusait de rendre la, chose déposée 5. il était toutefois contraire aux usages reçus d'appeler des témoins, lorsque le dépôt était fait chez un trapézite 6. Dans ce cas, comme dans toutes les autres hypothèses, où, les circonstances exigeant un secret absolu, les parties avaient contracté seule à seule, g.dvoç naoâ N.dvou 7, le déposant, en face d'un dépositaire infidèle, n'avait d'autre ressource que la délation du serment 8; extrémité périlleuse, puisque l'on devait craindre un parjure, pour lequel, dans certains cas au moins, l'opinion se montrait indulgentes. Le dépositaire était tenu de deux obligations. Il devait d'abord veiller fidèlement à la garde de la chose déposée et ne pas se servir de cette chose pour son usage particulier sans avoir préalablement obtenu l'autorisation dit déposant1e. Un emploi abusif aurait justifié la mise en mouvement de l'action privée dérivant du contrat, la Sixq 7c«pxxaraOs~xr,ç, s'il s'agissait d'un dépositaire ordinaire ", 1 DEP 104 DEP et même de la ypeyd,, ihomv yprluz-mv, sil s'agissait d'un dépositaire de deniers sacrés 12. Il devait, en second lieu. restituer la chose déposée, dans son individualité, aussitôt qu'elle lui était redemandée par le déposant. Nier le dépôt, refuser la restitution au créancier (âsoa7epeiv; était un délit justiciable de la loi religieuse, de l'opinion publique et de la loi civile. Le dépositaire infidèle encourait la colère des dieux; en moins d'un siècle, la race entière d'un Spartiate, nominé Glaucus, périt misérablement, en expiation de la faute de Glaucus, qui avait songé à s'approprier un dépôt; son repentir, ses prières furent inutiles ; les dieux ne consentirent pas à lui pardonner Les moralistes, interprètes de la conscience générale, n'étaient guère moins rigoureux : Lucien met sur la même ligne le mari qui prostitue sa femme et l'homme qui, après avoir accepté un dépôt, jure par Minerve qu'il n'a rien recu 1J. Aristote s'attache à démontrer que la négation du plus petit dépôt est une faute plus grave que la négation d'une grosse dette, parce qu'elle constitue une injustice, non pas envers un simple créancier, comme dans le cas de prêt, mais envers un homme qui a eu confiance en la loyauté du dépositaire et qui l'a traité en ami 76. La loi civile protégeait le créancier en lui accordant une action privée, la 77apaxaTxOf,xnç Sixri, par laquelle il pouvait obtenir en justice la restitution du dépôt S7. Une autre action, la Six el; iyyaviàv xatiâataaty, aurait-elle conduit au même résultat ? Meier l'affirme 1B; mais cette opinion nous paraît très contestable. Beaucoup d'auteurs enseignent que le dépositaire infidèle était frappé d'atimie10. Les partisans de cette opinion, qui repose principalement sur un texte deMïchet d'Éphèse"0, se divisent toutefois sur le point de savoir si l'atimie était encourue de plein droit ou si elle devait être prononcée par une condamnation spéciale; ils ne sont pas non plus d'accord sur l'étendue de l'atimie, les uns disant qu'elle était totale, tandis que les autres soutiennent qu'elle était seulement partielle. On peut objecter aux uns et aux autres que, de l'aveu formel de Démosthène 21, la négation d'un dépôt volontaire laisse la république indifférente; la société ne demande pas au dépositaire infidèle d'expier sa faute; la victime de l'injustice seule est fondée à se plaindre et à réclamer une réparation pécuniaire 22. La glose de Michel d'Éphèse se rapporte moins au droit grec qu'au droit romain, d'après lequel le défendeur qui succombait dans l'actio depositi directa était noté d'infamie. Du dépôt proprement dit, nous pouvons rapprocher le séquestre (µsaeyyûrua), conventionnel ou judiciaire. Il y avait séquestre conventionnel lorsque deux personnes, contradictoirement intéressées, déposaient une chose litigieuse entre les mains d'un ami, qui s'obligeait à la garder et à la rendre, une fois la contestation terminée, à la partie qui aurait triomphé n. Les juristes athéniens voyaient également un µeaartdilya dans le dépôt, fait, à titre de garantie, entre les mains d'un tiers, d'une somme d'argent affectée à la rémunération d'un service non encore rendu "1. C'était surtout pour le cas où le service à rendre était contraire à l'ordre public et où toute action en justice pour en obtenir le prix eût été impossible, que cette espèce de séquestre avait quelque utilité '21. Si le tiers gardien de la chose refusait de la restituer, lorsque l'évènement prévu était arrivé ou sur l'ordre des deux parties intéressées, il y avait probablement lieu à la TcapaxaTaO';xr,ç u Sel, Lorsque c'étaient les intéressés eux-mêmes qui ne pouvaient pas se mettre d'accord sur le point de savoir si le moment était venu de laisser l'un d'eux prendre possession de la chose séquestrée, peut-être avait-on recours à la à l'hégémonie des 'thesmothètes ". Il y avait séquestre judiciaire lorsque le juge, saisi d'un procès, craignait que le possesseur de l'objet litigieux ne fit sur la chose des actes préjudiciables à sa conservation, et ordonnait que cette chose Nt remise, jusqu'au jugement, à une tierce personne. Platon accordait au gardien une action contre le perdant pour le recouvrement des frais occasionnés par l'entretien de la chose "x. Nous ne pouvons pas dire si le gagnant, qui profitait des dépenses faites par le séquestre, était complètement à l'abri de pareille réclamation. Dans l'exposé qui précède, nous avons toujours parlé d'un dépôt régulier, ne donnant pas au dépositaire le droit de se servir de la chose déposée et l'obligeant à restituer cette chose elle-même. Nous devons cependant reconnaître que les Grecs donnaient également le nom de 7capaxaTzOf,xr au dépôt irrégulier, c'est-à-dire au contrat qui autorisait le dépositaire à employer la chose déposée, et qui lui permettait de rendre, non pas les objets mêmes qu'il avait revus, mais d'autres objets de même nature, en quantité égale. Ainsi, les citoyens d'Athènes, qui étaient en compte courant avec un banquier, auquel ils remettaient leurs capitaux disponibles pour les faire fructifier, à charge de leur fournir, à première réquisition, les sommes dont ils auraient besoin ou d'effectuer des payements sur leur ordre, étaient traités comme déposants et non pas comme prêteurs n. Pour la sauvegarde de leurs droits, ils avaient la 7apaxa' Or,xr,ç Six', 30. La même observation peut être faite pour les dépôts irréguliers qui étaient confiés aux temples 3i; le plus souvent, les trésoriers de ces temples ne gardaient pas improductives les sommes confiées à leur vigilance; ils les prêtaient volontiers aux particuliers et surtout aux villes qui se trouvaient dans l'embarras. Le créancier n'espérait donc pas recouvrer la chose elle-même ; il ne pouvait compter que sur une restitution en équivalent, et cependant il y avait dépôt, II. Rome. Le contrat de dépôt se présentait, dans le très ancien droit romain, sous la forme d'une translation DEP 405 DEP de propriété avec contrat de fiducie (fducia), par lequel le dépositaire (fiduciarius) s'engageait à retransférer la propriété au déposant, à sa première réquisition". Celui-ci d'ailleurs, s'il recouvrait la possession, reprenait la propriété (»nui modo, par une espèce d'usucapion d'un an sans titre ni boita /ides , qu'on appelait usureceptio 3i. Plus tard les inconvénients de ce système firent admettre un contrat de dépôt", par lequel le dépositaire (depositarius) recevait la détention d'une chose mobilière pour la garder gratuitement36 au profit du déposant (deponens, depositor), et s'obligeait à la restitution en nature au déposant 37. Ce contrat était un des quatre contrats réels, ou qui re perficiuntur, c'est-à-dire qui devenaient obligatoires par la remise de la chose. Le dépositaire était tenu de conserver l'objet et de le rendre à première réquisition au déposant, lors même qu'il s'agissait de la chose d'autrui" (res aliena), à moins que le déposant ne lui eût remis, par erreur, la chose du dépositaire lui-même39; il ne répondait que de son dol relativement, à la garde de l'objet40, et peut-être de la faute lourde, tata culpa, qui est assimilée au dol. Du reste le déposant avait le choix d'agir contre lui soit en revendication (rei vindicatio) 41, soit par l'action personnelle, depositi directa. A cet égard même, le préteur lui permettait de choisir l'action civile, personnelle, in jus concoepta bonae fidei°", ou une action personnelle prétorienne, in factum depositi, dont Gaius nous a conservé la double formule 43. Les héritiers du déposant qui a vendu la chose déposée ne sont tenus que dans la mesure de leur enrichissement°'. L'action depositi était infamante contre l'auteur du dol''". La loi des Douze Tables la donnait même au double, suivant Paul, mais au moins contre celui qui niait le dépôt (infciatio°G) ou qui se refusait frauduleusement à à tort que quelques auteurs restreignent cette duplicatio au cas de fiducie ; les textes ne disent rien de semblable et cette opinion de Puchta et de Danz n'a pas prévalue; elle a été réfutée notamment dans des dissertations intéressantes de Huschke 49 et de Rudorff 60. Mais le préteur ne maintint l'action au double que dans le cas qu'on nomrne habituellement « dépôt misérable », c'est-à-dire celui oti le dépôt est occasionné par quelque accident qui le rend nécessaire, comme un tumulte, un naufrage, un causa51, s'il y a dol du dépositaire ou de son héritier. L'action était alors mixte, c'est-à-dire tam rei quant poenae persecutoria n ; pour tout autre cas elle était in être même arbitraria n, mais autorisant le serment litis III. estimatoire que le juge pouvait déférer au déposant en cas de dol du dépositaire °4. Le terme stipulé dans le contrat était réputé établi dans l'intérêt du seul déposant, qui pouvait toujours exiger la restitution immédiate ", tandis que le dépositaire n'était admis à l'offrir par anticipation, qu'autant qu'il avait des motifs graves de se décharger du dépôt". Le dépositaire qui se serait servi de la chose contre la volonté du déposant était considéré comme ayant commis un vol d'usage (furtum usus) et sujet à l'action furti [FURTUM[ ". Tout dépositaire devait rendre la chose avec ses accessoires et les fruits s'il y avait lieu, et les intérêts moratoires pour les objets fongibles50; si la chose avait été confiée à plusieurs dépositaires, chacun d'eux était tenu pour le tout de la restitution (in soliduln) ; mais une fois effectuée, elle libérait les autreso°. Le dépositaire pouvait devenir accidentellement, ex post facto, créancier de l'autre partie, lorsqu'il avait fait des frais pour l'entretien ou la conservation de la chosef°, ou si elle lui avait causé un dommage par la faute du déposant, mais sans qu'il y eût lieu au jusjurandum in litem" . Ces indemnités étaient poursuivies par l'action depositi contra voie d'exception sous-entendue dans l'action directe intentée contre le dépositaire; toutefois celui-ci ne pouvait opposer la compensation pour se dispenser de restituer l'objet82. Il y avait dépôt irrégulier, c'est-à-dire modifié dans son essence par une clause spéciale ou tacite, lorsque le dépositaire recevait de l'argent à charge de rendre une somme égale, mais non les mêmes écus, à première réquisition 03; ce n'est pas un prêt nutum, aussi l'action de dépôt pourra être employée et les intérêts seront dus sans contrat de stipulation. Le créancier avait même un privilège quand la somme avait été déposée chez un banquier dépôt d'une chose litigieuse entre plusieurs, dans les mains d'un tiers qui devait la garder pour la remettre au gagnant°°, et prenait le nom de sequesterE7; il avait dans l'intervalle la possession proprement dite de l'objet contesté 68, afin qu'aucune des parties ne pût usucaper contre l'autre inter moras litis; mais les parties peuvent convenir que sa possession profitera au gagnant contre un tiers qui pourrait être le véritable propriétaire". Le séquestre d'une chose litigieuse remontait à une antiquité très éloignée et il y est fait souvent allusion dans les auteurs classiques 70, à l'occasion d'un dépositaire qui est aussi un arbitre, notamment pour une gageure, arbitere.r 14